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  Sujet: [One-shot] Heavy Cross  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mer 29 Avr 2020 21:08   Sujet: [One-shot] Heavy Cross
HEAVY CROSS

https://zupimages.net/up/20/18/jg4i.jpg


Ma relation avec mon corps a toujours été compliquée. Mon corps d'enfance a eu une réaction viscérale aux robes, aux jouets pour filles, à la couleur rose et à d'autres constructions sociales et attentes comportementales parce qu'il était perçu comme celui d'une femme. J'étais grande et à onze ans, mes pieds étaient immenses, à tel point que les chaussures pour femmes de taille adulte ne me convenaient plus. J’étais soulagée et excitée de «devoir» acheter des chaussures de garçon mais honteux par elles, et mon désir pour elles, en même temps. J'étais athlétique mais loin d'être «de la taille d'une fille». Dans les photos de classe, je suis toujours celle qui se tient à l'arrière-plan avec les plus grands garçons, juste à côté du professeur. Gênant, incertain, anxieux, parfois en colère, et sentant souvent que je ne m'intégrais pas. Je me souviens avoir souhaité plusieurs fois que j'étais petite et que je pouvais disparaître, nichée parmi les petites filles souriantes devant.
À la puberté, la véritable dysphorie a commencé. Le corps qui m'a été assigné a commencé à me trahir de nouvelles manières. Quand j'ai eu mes règles devant un de mes amis, la panique a augmenté. J'ai essayé de cacher ma poitrine dans des pulls molletonnés surdimensionnés. Les taquineries sur ma présentation enfantine sont devenues si douloureuses et honteuses que j'ai fait pousser mes cheveux. Je me suis penchée sur le catalogue Sears pour les vêtements qui étaient destinés aux filles sans pour autant compromettre mon intégrité et mon sens de soi. Des vêtements qui ne m'ont pas obligé à supprimer l'envie de les arracher de mon corps, frénétique de détresse. J'ai commencé à manger.
J'ai mangé quand j'étais en colère. J'ai mangé quand j'étais triste. J'ai mangé pour me distraire de revivre des souvenirs douloureux. J'ai mangé pour éviter les peurs et les soucis. J'ai mangé pour le confort. J'ai mangé pour me déconnecter. J'ai mangé pour calmer mes compagnons: solitude et anxiété. J'ai volé une fois de l'argent pour la nourriture parce que mon besoin de manger était plus grand que ma honte d'être un voleur. J'ai glissé de la nourriture de notre cuisine et je l'ai cachée sous mon lit. J'ai poussé des emballages de bonbons dans les évents de la fournaise pour cacher mes traces et d'une manière ou d'une autre je n'ai pas brûlé la maison. J'ai reproduit à plusieurs reprises une publicité télévisée des années 1990 dans laquelle un Viking attrape une barre de chocolat dans un coffre au trésor, l'enfonce la moitié dans sa bouche, avale et crie avec une joie, une force et une puissance que j'aurais souhaité avoir.
Mon corps et ma relation avec la nourriture ont pris beaucoup d'espace physique et mental pendant une grande partie de ma vie.

Le flux et le reflux d'une vie déconnectée d'un corps peuvent être comme marcher sur l'eau. Vous restez à flot mais ne vous éloignez pas beaucoup de votre position. Votre tête est levée, regardant autour de vous, engageante. Mais sous le cou, les choses sont d'un autre monde, se déplacent plus lentement, se détachent. Ma pilosité repousse vite : quand je fais le ticket de métro, c'est que pour un trajet. Mais au fond, je les aime ces poils... plus que l'infect glabre.

Je reconnais et suis reconnaissant que, malgré la relation de frustration que j'ai eue avec lui, mon corps donné m'a apporté une grande joie et celle des autres dans ma vie. Dans ce corps féminin, j'ai grandi active - courir dans le vent, faire du vélo avec une liberté qu'aucune autre activité ne m'apportait, nager dehors sous la pluie. Une chose m’importait : le sport, malgré mon surpoids. Dans ce corps, j'ai travaillé dans les égouts pour mon premier emploi, j’ai été une excellente prof de danse de salon et j’ai excellé dans les sports d'équipe. J'ai négocié mon chemin et obtenu mon diplôme d'études secondaires. Mon corps m'a fait traverser la dépression et l'anxiété si profondément que la vie ne valait parfois pas la peine d'être vécue. Dans ce corps, j'ai fait mon chemin jusqu'à l'université. J'ai lancé ma carrière, portant souvent des vêtements qui me mangeaient vivants, croyant que ma réussite dans la vie dépendait d'eux.
Comme je suis devenu grosse, mon corps est devenu plus politique, a remué le pot conservateur au sein de ma famille d'origine et m'a rendu plus fort. Je suis sortie lesbienne. J'ai trouvé un amour profond et durable et je me suis engagé dans la vie avec une femme qui a fait chanter mon cœur. Mes mains ont été les premières à toucher nos enfants lorsqu'ils sont entrés dans le monde. De par leur conception, les premiers mots que nos enfants ont entendus au bord de la terre ont été les miens, les accueillant. Mon corps féminin pourrait réconforter ma belle même si souvent il ne pouvait pas me réconforter moi-même.

Et tout au long du sentiment que quelque chose n'allait pas et qu'il manquait était toujours présent. Je vieillissais et je ne voulais pas regarder en arrière avec regret. J'étais terrifiée et pourtant je devais faire un choix. Je m'engage à être plus présent et à accepter le corps qui m'a été assigné et la taille qu'il est devenu. Ou laisser les questions sur qui j'étais vraiment parler à haute voix et voyez où cela m'a mené.
Ma première injection de testostérone a apporté de l'euphorie pour combattre ma dysphorie de longue date. Je ne m'y attendais pas si vite. Mais, encore une fois, je ne savais pas trop à quoi m'attendre, vraiment. À chaque injection subséquente, la joie grandissait, les questions et les craintes s'amincissaient et le bruit dans ma tête à propos de la fausseté de mon corps commençait à se calmer.

Contrairement à de nombreux garçons cisgenres à la puberté, j'ai été charmé par ma voix craquante. En fait, ça m'a fait rire plus d'une fois. Ma voix de chant qui était bonne auparavant est devenue vraiment horrible, et j'attends toujours de voir si je la récupérerai jamais. Les poils de mes jambes ont bien poussé à certains endroits mais presque pas à d'autres. Frange au genou. J'attendais avec impatience mes premiers poils de menton et en moins d'un an j'ai été soulagé d'être dans le groupe qui peut pousser une barbe pleine. J'ai de la chance; ce n'est pas une garantie. Mais les cheveux sur ma poitrine étaient parmi les meilleurs changements. Ce sont ces débuts précoces et velus qui m'ont permis de regarder des parties de mon corps avec un véritable émerveillement et une joie, peut-être pour la première fois. Pour la première fois, j'ai pu voir mon vrai moi.
Quand j'avais lu que les personnes trans « se voyaient pour la première fois », j'étais toujours confus. Même si j'avais tendance à résister à me regarder à moins que cela ne soit nécessaire, je savais à quoi je ressemblais. Ma taille et ma féminité étaient toujours difficiles à voir, mais je savais à quoi ressemblait mon corps. J'ai été surpris, alors, quand ma barbe a commencé à pousser et j'ai aperçu un jour une personne masculine familière et chaleureuse dans le miroir. Pas tout de moi aussi autant que moi. Pour la première fois, je voulais regarder et c'était très émouvant. J'ai vu l'homme trans doux, pas la femme. J'ai vu la barbe, pas la graisse. J'ai vu la joie, la liberté et j'ai senti que je pouvais voler. J'avais peur néanmoins car une fois passé à l'acte, j'étais conscient qu'il ne serait plus jamais possible de vivre comme je le faisais auparavant.

Les stéréotypes de la culture pop, les frustrations d'achat, les grosses blagues et les idées fausses sur la santé sont autant de moyens par lesquels la société rejette systématiquement les gros corps. Avec le temps, j’ai entendu une tonne d'expériences personnelles et intimes de femmes de taille plus, de personnes non binaires et trans dans une société obsédée par la minceur. Cela m’a révélé sur la société des idées à la fois drôles et traumatisantes, surprenantes et stimulantes, familières et inattendues avec des thèmes aussi divers que la perception de soi, l'image corporelle, la mode, l'activisme des graisses, la nourriture, la sexualité, la culture alimentaire, la maternité et plus encore. Ces histoires m’ont offert un examen plus approfondi de ce que signifie naviguer dans un monde conçu pour s'adapter à des corps d'une certaine taille (parfois littéralement) et cela m’a finalement invité à reconsidérer notre obsession collective et individuelle avec le corps des femmes.
Je m'étais toujours imaginé comme un grand type Grizzly Adams avec une barbe sombre, touffue et légèrement sauvage, des épaules larges et un ventre ferme mais doux. La taille de mon corps féminin était douloureuse, honteuse et laide. Mais une version masculine douce et torve de moi était une pensée chaleureuse et gentille, si privée. J'ai imaginé une chemise en flanelle rouge Levi’s, des boxers à carreaux et des chaussettes en laine. Ironique, vraiment, car j'avais grandi avec des hommes rasés et disciplinés avec des coupes de cheveux militaires en costumes avec des liens. Je ne m'identifiais pas beaucoup à ces hommes. Ils n'étaient pas accessibles et montraient rarement de l'émotion. Ils m'ont fait peur et m'ont intimidé. Cela a rendu la présence masculine en moi terrifiante. Comment pourrais-je être un homme? Je ne voulais pas être ce que je pensais être un homme. Cela a ajouté à ma peur, ma honte et ma haine de soi. Mais la vérité que j'étais beaucoup plus masculin que féminin me rongeait et je devais trouver la paix.
Au fil du temps, j'ai commencé à voir et à croire qu'il y avait en moi une présence masculine contrairement aux hommes que j'avais grandis en train de regarder. Le mâle en moi a remis en question les définitions existantes de la masculinité. À l'intérieur de moi se trouvait le genre de personne douce et sensible que je voyais rarement dans le monde masculinisé autour de moi. Et réaliser que j'étais un homme bon, gentil et clairement féminin a lentement rendu le processus moins effrayant. Une question me hantait néanmoins : "vais-je trouver plus de paix avec mon surpoids d'homme que jamais en tant que femme?". Mais il fallait me fixer sur le positif: une bite et deux couilles, cela faisait toujours trois bonnes raisons de voir la vie du bon côté.

Alors que mon corps changeait, la douleur progressait mais il parait que la beauté et la souffrance ne vont pas l'une sans l'autre. J'ai alors commencé à chercher des gens comme moi sur les réseaux sociaux. Le besoin d'affirmation et de «trouver notre peuple» est universel. Bien que j'aie toujours observé que la vie en tant que grand homme semblait différente de la vie des grandes femmes, j'ai été frappé à un nouveau niveau à quel point ces mondes sont différents. L'érosion de ma personnalité ne faisait que commencer.

Les femmes et les hommes ont des définitions différentes d'un corps gras, j'observe. Les femmes sont beaucoup plus dures envers elles-mêmes. Une femme se considère comme grosse lorsqu'elle porte dix ou même cinq livres supplémentaires. Un homme avec ces mêmes kilos en trop (et plus) le voit comme du muscle ou du muscle sur leur corps.

Les grandes femmes parlent et se battent pour l'acceptation de la taille, pour leur place à la table, les messages de bataille qu'elles sont peu attrayantes, instables, non aimables, incontrôlées, imbattables. Ils doivent se convaincre que, malgré les messages dans presque tous les coins de la vie, ils ont l'estime de soi et leur taille ne définit rien à leur sujet.

De nombreux hommes, en revanche, semblent se percevoir comme sexys et attrayants à des poids qui affligent les femmes, tant émotionnellement que socialement. Ils tirent sur tout le monde, sans penser qu'ils n'auront plus de balles au moment de toucher la véritable bonne personne. Le message est si universel que les garçons et les hommes ont une valeur inhérente et des prouesses sexuelles, et sont souhaitables pour les femmes, que la plupart semblent grandir avec ces croyances, quelle que soit la taille. Et les femmes accordent également cette même latitude aux grands hommes. En fait, j'ai commencé à remarquer qu'un homme objectivement «gros» est désigné par les hommes et les femmes comme une bête, un ours, musclé, costaud, grand garçon, papa sexy. Leur taille peut être considérée comme un bonus, pas une source de honte, de rejet ou de haine de soi comme c'est souvent le cas pour les femmes.

C'est un nouveau monde dans lequel je me déplace. Et l'explorer me laisse encore perplexe et me pose parfois des questions. Suis-je capable de voir et d'éprouver de la joie en moi maintenant parce que je deviens extérieurement la personne que j'ai toujours été à l'intérieur? Est-ce parce que mon corps s'aligne enfin sur mon esprit et mon cœur? Ou est-ce que je peux voir et ressentir de la joie en moi-même parce que, malgré mes années à crier au contraire, j'ai intériorisé les messages de la société selon lesquels les grands hommes sont différents - mieux - que les grandes femmes? Puis-je tolérer ma graisse plus facilement en tant qu'homme parce que les gros bros sont des bêtes fortes et sexy? Vais-je trouver plus de paix avec ma taille d'homme que jamais en tant que femme? Pour dormir tranquille, il faut n'avoir jamais fait certains rêves...

Ne vous méprenez pas. Je suis le frère d'un homme cisgenre et je sais qu'il a ses vulnérabilités sociales et physiques, tout comme ses pairs masculins. Mais ils sont différents. Très différent. J'ai vécu la vie dans les deux sexes, à chaque fois en tant qu'obèse. Les mains disent ce que le masque social essaie de cacher, j'aimerais en avoir des plus masculines. A part ça, je suis moi. Le vrai moi. Et à mon humble avis, c'est plus facile d'être un gros homme, du nom de Jim, que d'être une grosse femme au nom de Gina. Car notre nom nous survit... c'est peut-être même la seule réelle chose qui nous survit.

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  Sujet: [One-Shot] Protège-moi  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 04 Mai 2018 16:01   Sujet: [One-Shot] Protège-moi
Spoiler


Protège-moi


C’était un enfant encore ; aux yeux si francs, au front si clair, aux gestes si craintifs, à la voix si mal assurée, que devant lui cédait la crainte à la curiosité, à l’intérêt et à cette irrésistible sympathie qu’éveille un être naïf et pur.

C’était un de ces êtres dont les facultés, qui dans le train-train quotidien s’engourdissent, sursautent et se bandent aussitôt devant l’imprévu. Bref, c’était moi. Avant, quand l’innocence faisait encore partie de mon être.

Avant de commencer à témoigner plus en détails, je tiens à être clair : « pute » n'est pas une insulte. Il faut une énorme force mentale pour arriver à se prostituer. C'est tout sauf de « l'argent facile ». On ne prend pas son pied, ou du moins rarement, et pour peu que vous soyez fragile, cela peut vous détruire.

Je m'appelle Odd, j'ai 21 ans et je suis gay selon certains, bi selon d'autres. L'espace d'un mois, c'est de mon propre gré que j'ai voulu entrer dans un espace social tabou dans nos sociétés : je suis devenu un prostitué homosexuel. Du 24 juillet au 19 août de cette foutue année, j'ai vendu mon corps. À raison d'un type tous les deux jours, j'ai connu, en tout, une quinzaine de clients. Après avoir foiré ma deuxième année de soins infirmiers, il ne me restait que ça à faire pour contrer ma solitude et ses rapaces grimaçants aux voix assassines qui l’encerclent sans relâche.

Tout a débuté par mon inscription sur Grindr, le plus grand réseau social gay. Je venais de sortir d'une relation compliquée qui avait détruit toute confiance en moi, et avec le recul je désirais sans doute me prouver que je pouvais encore être désirable. En un mot : j'étais au fond du trou. Au départ, j'ai commencé par rencontrer des types qui m'intéressaient plus ou moins (plutôt moins que plus), mais très vite – dès les premiers jours – j'ai reçu plusieurs propositions pour des « plans payés ».

Je me suis dit : mais puisque tu t'en fous, pourquoi ne pas essayer de te faire un peu de thune ?
Je n'avais aucun besoin de cet argent, c'était une sorte de jeu. Un wicked game pimenté, qui ne devait pas porter à conséquence. Un corps est un corps, le mien comme un autre, et j'ai les traits plutôt fins. Grindr ou Hornet sont de parfaites plateformes pour les réseaux de prostitutions privés. J'avais donc décidé de me lancer, assigner une valeur à mon corps ; tout cela relevait d’un certain désir de dépasser mes limites, de me faire violence mentalement. Il me fallut encore une semaine pour rencontrer un gars qui voulait un « plan soft » – traduction : sans sodomie. J'avais fixé mon prix à 150 euros. L'avantage d'être un prostitué mâle, c'est que nous sommes plutôt rares, et donc plutôt chers par rapport à nos homologues féminins. Parmi toutes les propositions que l'on me faisait sur l'appli, je me suis mis à choisir mes clients. Le premier que j'avais sélectionné était un gars plutôt mignon, 28 ans, l'air gentil comme un cocker, un voile rêveur semblait posé sur ses pupilles. Dans l'ombre où les regards se nouent, il était donc écrit que nous allions nous rencontrer. L'artiste et le mec qui l'était autrefois.

Je lui ai dit de venir chez moi. Lorsque je l'ai vu, je me rappelle que la première chose que je me suis dite c'est : mais pourquoi il fait ça ? Pourquoi il veut me payer ?

Je le trouvais réellement mignon, et je ne comprenais pas : un pseudo-hétéro qui se cache pour se soulager de ses pulsions ? Un gars qui n'avait aucune confiance en lui ? Mais bien vite, je me suis interrogé, avec cette horde de pensées qui s'accrochaient à moi comme une tique désagréable : Pourquoi est-ce que je veux qu'il me paye ? Je n'avais aucun besoin de cet argent. Et lui n'avait aucun besoin de me le donner. Il avait sûrement mérité le fric qui se trouvait dans sa poche, pas vrai ?
— Tu es encore plus beau qu'en photo, minauda mon client en repoussant de l'index son chapeau vers l'arrière tout en levant les yeux vers les petits nuages qui, tels des écheveaux d'une soie blanche et lustrée, glissaient dans le vide turquoise du ciel d'été.
Avant de le laisser entrer, je lui ai dit sèchement :
— Pose l'argent dans ma paume, 150 € net.

Il a obtempéré et comme promis je l'ai laissé entrer, nous sommes allés dans la chambre, lieu de prédilection pour ce qui s'apprêtait à suivre. Je ne savais pas comment me comporter, et je tremblais comme une feuille. Depuis quelque temps j'étais devenu quelqu'un d'assez angoissé, et voulant me calmer, j'avais bu un ou deux verres avant qu'il n’arrive. Je lui ai proposé, mais lui ne buvait pas. Alors j'ai fait ça tout de suite ; je l'ai sucé et il m'a sucé.

Après avoir touché son corps, après « m'être lancé » si l'on veut, quelque chose s'est débranché en moi. C'était la sensation, l'état d'esprit que nous recherchons tous lorsqu'on va en club se mettre une race à base d'alcool et de MDMA ; ce moment où votre esprit vous quitte pour enfin être « à côté de vos pompes ». Je n'étais plus là tout le temps qu'a duré le rapport, et quand il est parti, l'argent lui, était là, sur la table. Cette disparition intérieure, ce truc qui envahit tout votre esprit, perdura une demi-heure après son départ. Ensuite, je me retrouvais dans les chiottes, le corps saisi de tremblements, à vomir dans la cuvette.

Après cette première expérience, je recommençais trois jours plus tard. Je voulais voir jusqu'où je pouvais pousser mes recherches intérieures. Je prenais le moins de risques possibles, en sélectionnant les clients les plus mignons et les moins louches – mais bien sûr, j'avais toujours une chance de tomber sur un psychopathe. Je repoussais mes barrières psychiques en me confrontant à des situations déstabilisantes et dangereuses pour moi, un peu comme celles que j’avais connues en étant ado, le sexe en plus. L’adrénaline qui résulte de la menace d’une entité – ou personne – extérieure est une addiction dont on ne se débarrasse pas aisément.

Puis, à partir du troisième client, je ne me contentais plus de vomir lorsque celui-ci partait. D'intenses crises d'angoisses me submergeaient, mêlées de dépression, paranoïa ; il m'arrivait parfois de prendre ma douche et de me frotter la peau jusqu'à saigner. Des petites crises de démence que je tentais de maîtriser ; mais le grand huit était lancé.

Après une semaine, j'étais continuellement dans la brume. C'était une sorte de perche douillette. Il me semblait avoir trouvé une étrange paix mystique, qui se payait (car tout se paye) par la dérive post-coït de plus en plus prononcée. Maintenant que je l’ai testé, je peux l’affirmer : s'abandonner aux mains d'inconnus ne permet pas de revivre des sensations perdues. Quand vous vous retrouvez, le choc est chaque fois plus violent que le précédent.

En un mois j'ai amassé environ 2 000 euros. En un mois, j'ai rencontré une quinzaine d'hommes. Certains me laissaient parler un peu avant l'acte ; je ne sais pas si ça met d'avantage à l'aise. Pas pour moi en tout cas. Avec d'autres, ils vous baisent direct (« right now », comme ils aiment à dire). Certains vous branlent comme des sauvages et d'autres font ça avec douceur. Certains voulaient absolument que je leur mordille les tétons, un autre voulait me sucer les orteils ; tel préférait que je me taise immobile pendant qu'il m'éjaculait dessus, tel autre demeurait affalé comme Patrick l'étoile de mer et attendait que je fasse le boulot. Les clients, ce sont des relations étranges. Sous l'apparente diversité des désirs, on retrouve toujours les mêmes gestes : on ne peut pas tellement innover dans ce domaine.

Au bout du cinquième ou du sixième, je ne me souviens plus exactement, j'ai eu une panne. Celle-ci a mis le mec grave mal à l'aise pendant les premières secondes, avant de le contraindre à m'accabler de son mépris ; « Fallait le dire que t'étais une pédale qui déraille/ petite frappe/ pauvre type/ impuissant. » Les mots qui font si mal, ceux qu’on prononce at the bottom of the night. Le client envisageait mon dragon mollasson comme une faute professionnelle. J'étais abasourdi, paralysé. Il a repris sa thune et s'est cassé.

Ils étaient tous différents et pourtant ils avaient quelque chose en commun ; ils me semblaient tous terriblement jeunes – mentalement. Alors qu'ils avaient tous physiquement en moyenne une décennie de plus que moi, je les considérais instinctivement comme des enfants : j'étais beaucoup plus vieux que chacun d'entre eux. Je voyais ce qu'ils recherchaient en venant me voir, ce qui leur manquait. Moi qui ai longtemps été un gosse, là je ne l’étais plus.

En entamant cette expérience, je m'attendais à me retrouver confronté à des problématiques en lien à l'argent et au corps. Quel sens leur assigner, surtout lorsque l'un exprime l'autre ? Marchander son corps est-il un moyen de se donner une valeur, de se débarrasser de son corps en tant que sujet ? Rétrospectivement, je peux assigner un sens à mes actes, à ma « quête sexuelle ». Ma pensée voulait se débarrasser d'elle-même. Néanmoins, ce n'est pas possible. Voilà pourquoi j'ai fini par me scinder en deux.

Mais lorsque les corps se touchent, et que vous rencontrez ce type qui va payer pour vous baiser, alors tout est brouillé. Dès lors, les grandes questions d'ordre économique et moral sur la marchandisation du corps disparaissent. Tout ce qu'il reste, c'est votre confusion intérieure. Je me suis fait violence en me prostituant. Si la prostitution n'est pas nécessaire à la survie, elle ne peut être qu'un moyen de se détruire : tout ce qu'il reste dans ces moments-là c'est votre être, seul.

Pourquoi alors ai-je continué ? À cause de la brume. J'avais conscience d'être débranché, et cela me convenait. À longueur de temps (excepté les crises), j'étais devenu souriant, calme, posé, peu bavard, je fixais le vague. Du moins, avant l’arrivée du client suivant. Pendant les rapports sexuels, jusqu'à la panne, j'alternais entre une libido effrénée et des moments d'automatisme. Il me fallait entre quelques secondes et de longs instants avant que mon corps, comme engourdi, ne se réveille brusquement ; c'était très variable. Parfois, je passais en un clin d’œil du rapport jouissif à la baise par automatisme, celle qui ne mène à rien.

Prendre du plaisir en se prostituant, c'est tellement différent du sexe « classique », du moins si un systématisme peut exister dans ce vaste univers. J'éprouvais indubitablement de la jouissance à mépriser mon partenaire. C'était moi qui régnais sur lui, et non l'inverse, par le lien d'argent qui s'établissait entre nous, et surtout de demande. La plateforme internet, avec ses multiples possibilités, me donnait l'illusion d'être le maître qui décide, qui choisit ; mes clients étaient mes élus et je les dominais. Un patron, ça ne se corrige pas, ça se comprend. Je comprenais tout à coup à quel point Jérémie avait été grisé à l'époque par le pouvoir et les responsabilités que nous lui avions donnés, et à quel point cela a dû être difficile de tout perdre du jour au lendemain. Être leader de soi et des autres, ça fait bander plus que tout.

Après ma panne avec le sixième, je n'ai pu aller jusqu'au bout avec le septième. La question « et s'il m'arrivait une autre panne ? » me tournait dans la tête, j'y songeais en permanence, paniquant d'avance en imaginant la scène. Le huitième est donc arrivé chez moi, la crise d'angoisse m'a submergé et je lui ai violemment demandé de partir. Il a obtempéré sans poser de questions. Désormais, ces crises de démence coupaient court à toute tentative de prostitution de mon corps. Elles n'attendaient plus le départ du client, mais se manifestaient dès les premiers instants en sa présence

Devant ma désespérance, j'ai voulu rencontrer un autre « mec payé » sur Grindr. J'avais besoin d'échanger avec une personne qui avait de l'expérience dans le métier. J'ai mis trois jours à le trouver. Il m'a fallu vérifier qu'il s'agissait d'un gars qui faisait ça depuis plus longtemps que moi. C'est comme cela que j'ai rencontré Renaud.

Renaud a vingt-quatre ans. Il a commencé en 2014, a arrêté durant un an, et a repris la prostitution voilà quelques mois. Nous n'avons passé qu'une heure ensemble, dans un café. Comme moi, il n'est pas le numéro de foire de la cage aux folles, contrairement à l'idée que les gens se font des « tarlouzes ». Il est en école de commerce, et en galère de thunes suite à des dettes qu'il avait accumulées à ses « grands » – les personnes au-dessus de lui – en dealant des amphétamines. Il semblait un peu amer. Ce que je retiens de cette rencontre, c'est que Renaud aime s'acheter pas mal de choses, n'a pas honte de son corps, n'a plus de véritables relations sociales (des amis, notamment), et que le cul n'est apparemment qu'un outil dans sa stratégie visant à devenir riche et puissant. Ça, c'est ce que Renaud veut montrer. En ce qui me concerne, j'y ai vu un certain dégoût de soi-même.

Même si j'avais évoqué le sujet avec trois amis très proches, il m'a semblé très difficile de parler de ce que je vivais : la prostitution est un tabou. Et encore plus, la prostitution masculine. Personne ne m'aurait compris. Ils auraient cherché un moyen de « me sortir de là », alors que j'y étais volontairement. Mais rencontrer un autre qui voulait comprendre ne m'a pas aidé. Renaud m'a fait l'effet d'un être abandonné, quelqu'un qui ne se pose même plus les questions car il ne résiste pas aux réponses.

Après cette rencontre, j'ai repris mon job de vacances : pute à mi-temps.
Le même cycle a repris et avec lui la brume, suivie des moments de démence fugitifs mais quotidiens. Ce travail m'aura appris la formidable non-diversité des clients ; toujours le type normal par excellence, chiant à mourir. Mais je remplissais mon office. Je récupérais entre 150 et 250 euros la passe, sans sodomie. Si un client tentait de me reparler sur l'application, je le bloquais immédiatement.

Il n'y avait que deux règles à mon expérimentation : 1. Pas de sodomie (ça m'a toujours fait peur et jamais attiré, ne me demandez pas pourquoi, c'est comme ça, on ne décide pas). 2. Jamais deux fois un même client. Ma petite bible binaire n'a jamais été transgressée et ce, jusqu'à mon dernier client.
Celui-ci s'appelle Arthur. C'est un homme de 32 ans, qui m'a ouvert la porte quand j'ai sonné. Peu différent des autres que je sélectionnais, un gars rassurant et pas l'air psychotique. Mais cette passe-là fut la dernière (la quatorzième ? La quinzième ? La seizième ? Qu'importe.)

Pendant qu'on baisait, j'ai senti son poids, sa chaleur, tout en contemplant notre infinie distance. Contrairement aux illusions de la réalité, jamais Arthur et moi ne pourrons nous toucher. Nous sommes bien trop loin : c'est un client, je suis sa pute, et demain soit il me méprisera, soit il aura honte, soit il me désirera, mais jamais il ne m'aimera. Une atroce crise de panique m'a submergé alors que je lui taillais une pipe. Je me suis précipité dans sa salle de bains, m'y suis enfermé, et ai ressenti un impérieux désir de fuir, de disparaître. J'ai vidé méthodiquement tous les calmants que j'ai pu trouver dans sa pharmacie (et Dieu sait combien il y en avait), avant de les gober soigneusement un par un, tandis que – je crois – la voix d'Arthur me demandait si tout allait bien.

Ce geste insensé, pur produit d'une panique brute, on peut le qualifier de tentative de suicide. Évidemment, il ne fut pas lié uniquement à mon rôle de prostitué endossé volontairement. Mais durant ce temps dans la salle de bains, débranché de ma raison, il me paraissait que je m'enfuyais très loin. Je ne voulais pas la mort, juste trouver un moyen de fuir, de tout arrêter pour me reposer.

Après avoir tapé l'intégrale de sa pharmacie, je suis revenu me coucher avec Arthur, l'air de rien, et j'ai repris mon travail buccal, avant de m'évanouir pris de fièvres et de convulsions. Arthur m'a ramené à moi, et forcé à vomir, encore et encore, avant de me déposer chez moi. Mais, si Arthur n'avait pas eu la présence d'esprit de me faire vomir ? Il m'a traité de « taré », de « névrosé », de « malade mental » avec dégoût au moment où il me laissait devant chez moi. Mais il venait de me sauver la vie et il était quatre heures du matin.

Je n'ai jamais revu Arthur. Ni l'un ni l'autre ne nous sommes jamais reparlé. Ma tentative d'empoisonnement a coupé court mon expérience de la prostitution. Depuis cette nuit du 19 août, j'ai arrêté le supplice pour me confronter à moi-même et aux raisons souterraines m'ayant poussé à entamer cette expérience. Cet immense cafard qui me ronge l’organisme depuis la fin du combat, de notre amitié, des rires et pleurs... Désormais, il revient me hanter pour me rappeler que j’ai bouffé plus de glands qu'un sanglier...

Tous les êtres vivants veulent connaître leurs limites, mieux se cerner, en se confrontant à des situations nouvelles pour eux. De mon côté, l'ennui a assurément joué un rôle dans ma démarche. Un jeu qui a failli m'être fatal. Je ne fais que rapporter mon expérience personnelle sur un fait de société qui touche des domaines qui nous concernent tous : la sexualité, l'identité, le rapport à l'argent, à son image, et à son corps. J'apprends toujours à mieux me connaître, mais en essayant désormais de ne plus me faire mal. C'est un long travail, mais la solution n'est pas la violence contre soi-même, ni contre son corps, ni contre son être.


Se faire du mal ne rend pas plus fort. Loin de là.
  Sujet: [One-Shot] Aiguille grise et perle fine  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 22 Déc 2017 15:10   Sujet: [One-Shot] Aiguille grise et perle fine
Bonjour Zéphyr.

Tout d'abord, c'est gentil de m'avoir lu et d'avoir pris le temps de rédiger un avis, c'est toujours précieux pour progresser. Je n'ai pas voulu introduire ce texte car il fait partie d'un ensemble... festif, c'est sans doute un tort de ma part mais je ne voulais rien laisser transparaître jusqu'au jour J qui aurait dû être celui de Noël mais bon... je déteste tellement cette journée que je ne serai sûrement pas dans de bonnes conditions pour publier. Je dois avouer que c'était assez amusant pour ma part de lancer un pavé dans la mare sans aucune explication derrière, sans doute est-ce un poil impoli comme tu dis. Si tu n'y vois pas de conclusion, eh bien j'en suis sincèrement désolé, chacun a un procédé d'écriture différent et je présume que certains vécus ne s'accordent pas toujours avec le fameux esprit cartésien prôné. Il y a plusieurs grandes thématiques de fond derrière tout ça mais elles ne comportent qu'un seul objectif, une peinture à l'acrylique sombre qui se profile. En tout cas, du moment qu'on me laisse faire, je continuerai d'explorer cette voie qui m'intrigue car j'écris avant tout pour essayer de comprendre certains comportements et pour faire écho à ceux qui auraient pu vivre des situations similaires.

Merci encore pour ta critique, promis cette fois-ci je m'éclipse jusque 2018 Wink
  Sujet: [One-Shot] Aiguille rouge et flocon sombre  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 22 Déc 2017 15:09   Sujet: [One-Shot] Aiguille rouge et flocon sombre
Spoiler

Aiguille rouge et flocon sombre


Est-ce le rêve d'une vie de rêver sa vie ? Ou est-ce la vie de vivre son rêve ? Peut être vivre sa vie est-ce cela le rêve... Vivre avec tout ce que cela comporte comme sentiments et expériences d'être Humain par nature. Mais comment fait-on, pour poser le premier pas sur ce chemin tortueux, quand on a aucune idée de la marche à suivre ?

Une lumière. Intense. Épuisante. Psychédélique. Qui inonda la salle, relativement obscure pour l'occasion. Un corps aurait dû s'échapper du scanner, dérapant contre les parois tel un chauffeur inconscient sur la glace. L'oisillon aurait dû s'écraser sur le sol, ce que le gorille n'aurait pas manqué de remarquer. Le gorille en question était un homme d'expérience. Jim Moralès, éducateur, sportif aguerri, ancien agent secret, garde-chasse expérimenté, infirmier pour l'occasion et compagnon assidu des Lyokoguerriers, se tenait dans un coin de la pièce, sur le qui-vive, à la façon des anciens marines.

— Jérémie, ça n'a pas fonctionné. Pas encore...


Si tu siffles les filles que tu ne connais pas, si tu as la main baladeuse, si tu utilises la force pour posséder, si tes blagues mettent mal à l’aise, si tes mots outragent et humilient, si tu te sers de ton statut pour tripoter, si tu comprends oui quand on te dit non, si tu menaces pour abuser, alors tu ne seras pas un homme, mon fils, mais juste un sale con.


Les mots se perdirent dans le vide, bientôt ils seraient anéantis par l'oubli, comme les traits du Xana-guerrier qu'ils tentaient tant bien que mal de sauver. La tâche était ardue, un peu comme si Odd devait soudainement se passer de Nutella, mais ils y croyaient. Du moins, Jim y croyait. Le monte-charges se mit en branle. Un blondinet à lunettes sortit de l'appareil, un air soucieux bien visible sur son teint pâle. Jérémie Belpois était l'incarnation même d'une ruche grouillante d'âmes non mortes. Au sein de son corps bouillonnaient les esprits d'Einstein, Watt, Mister X et autres génies de ce monde. L'informaticien se pencha vers le scanner, comme pour vérifier les dires de Jim, et prononça ce mot : Vide. L'éducateur haussa les épaules, comme pour dire « je te l'avais bien dit », mais Belpois ne se laissa pas démonter. Il regarda Moralès avec un certain aplomb, faisant l'impasse sur le charisme dégagé par l'ancien garde du corps de Bette Davis, et répliqua :
— J'aide les gens à mourir, Jim, ce n'est pas dans mes habitudes de les ramener à la réalité... Je vais encore essayer. Une dernière fois. Reste-là. Et tiens-toi prêt à faire le nécessaire si notre sujet se montre un peu trop... remuant.

Jim acquiesça et écarta un pan de sa veste en cuir, dévoilant une arme de pointe qu'il gardait jusque-là dissimulée à la vue de quiconque. Belpois sourit, dévoilant un abcès dentaire que n'importe quel humain normalement constitué aurait été faire soigner depuis longtemps. Dans un monde où la liberté est un bien précieux, Jim se sentait plus que jamais enclavé par le poids de ce secret qu'il n'avait pas vraiment choisi de partager. Sincèrement, qu'est-ce qu'il foutait encore là ?


Si t'attends qu'un mec te parle de ses sentiments, t'as pas bien compris comment ils fonctionnent. Le mien a rénové une maison, m'a fait un gosse et bosse pour entretenir le tout, mais parler de ses sentiments....mdr. Un mec te montre qu'il t'aime, il ne te le dit pas, ça ne l'effleure même pas.


Le pompier de renom, du moins en Amérique si on prêtait une once d'attention à ses nombreuses déclarations, commençait à en avoir marre d'être le bras droit, chien plus fidèle et loyal encore que Benji la malice. Pour ces gamins, il avait tué. Plus d'une fois d'ailleurs. Et qu'avait-il reçu comme remerciement ? Rien. Quedal. Nada. Et le pire, c'était que Belpois semblait basculer chaque jour un peu plus dans ce doux poison qu'est la folie. Cessant enfin son rictus infâme, Belpois lui adressa à nouveau la parole.

— Dans quelque temps, ça sera mon ultime soirée en tant qu'homme. Un dîner avec les êtres qui me sont chers me paraît fort approprié pour l'occasion. Jim, je te laisse le soin de rédiger la liste des convives.
— Des êtres qui vous sont chers ? avait demandé Moralès. Mais je n'en vois... aucun.
— Aie un peu d'imagination pour une fois ! Celui qui cherche finit toujours par trouver, c'est un principe élémentaire en chimie. Bientôt Jim, je prospérerai dans un lieu que la mort ne peut atteindre. Et votre espèce...
— Mon espèce ? avait coupé Jim.
— Elle connaîtra une existence qui dépassera toutes ses espérances. Je vous ai amenés un nouveau Messie et son avènement est proche. Les créateurs de mythes avaient raison, à part en ce qui concerne la façon dont ils ont dépeint la résurrection du Messie. Dieu ne fait que promettre la vie éternelle alors que le Programme, lui, la donne.
— Et vous, qu'êtes-vous dans cette affaire ? Celui qui aura suivi les ordres ? J'ai l'impression que vous n'êtes qu'un pantin qui obéit au doigt et à l'œil.
Jérémie pinça ses lèvres desséchées et répondit avec un mépris non dissimulé :
— Je comprends. Encore une tentative maladroite, tout ça dans le but de semer le doute dans mon esprit. Le Programme m'a pourtant mis en garde contre votre entêtement, et ce, malgré la xanatification. Je vous félicite Jim, on dirait bien que vous avez du caractère malgré tout. Mais n'oubliez pas, au moindre faux pas vous serez... licencié. Et vous savez fort bien ce que cela signifie dans le jargon du Programme.

Jim baissa la tête, et proféra à nouveau ses vœux à voix haute. Pour que tout un chacun puisse l'entendre, que ce soit dans cette réalité ou dans l'autre. Il évitait de croiser le regard de son interlocuteur, qui lui faisait peur.
Il fallait récupérer William Dunbar du fin fond de ces limbes virtuelles, sinon il serait sans doute le premier à être éliminé par X.A.N.A. Le scanner s’ouvrit une nouvelle fois… était-il de retour ?


Nos parents, on les a pas choisis. Si je les avais croisés dans ma vie sans les connaître auparavant, rien n'aurait accroché. Tu crois vraiment que je voulais avoir mon père comme proviseur ? Putain, réveille-toi William, tu ne veux pas finir comme eux ! Va sous la douche, tout de suite, il est temps d’arrêter les conneries maintenant. Lâche cette merde, ça n’arrange rien et tu le sais mieux que personne en plus !


Lorsqu’une personne perd la mémoire, beaucoup de gens s’imaginent qu’elle ne connaît plus rien à la vie, qu’elle renaît telle une page blanche. Certaines de ces personnes amnésiques retrouvent une seconde mémoire, plus enfouie. Celle-ci concerne les souvenirs les plus anciens, ceux qu’on s’efforce d’oublier tout au long de sa vie et qui ressurgissent lorsqu’on s’y attend le moins. J’ai toujours eu peur d’être confronté à mes souvenirs, ne sachant pas ce qui m’attendrait. Je suis plutôt bien tombé, le souvenir qui m’est revenu en mémoire concerne le seul Noël calme de mon enfance, celui de mes dix ans. Papa était revenu à la maison depuis deux ans environ, il avait gaspillé au casino tout l'argent hérité de sa mère et était revenu la queue entre les jambes comme il savait si bien le faire… Maman n’a même pas eu la force de le repousser. De toute façon, je pense sincèrement qu’elle n’a jamais eu voix au chapitre, elle était trop faible pour cela.

Petit, j’adorais Noël. Je recevais des cadeaux assez spéciaux mais qui me faisaient rire et je pouvais en profiter toute l’année. Maman avait pour habitude de me dérober un livre de ma bibliothèque avant les fêtes et de me l’offrir le jour de Noël. « Je suis sûre que ce cadeau te plaira » me disait-elle en me tendant le petit paquet. Mes parents n’avaient pas les moyens de m’offrir les jouets dernier cris, mais je me contentais bien de ces cadeaux-là.
Chaque famille a sa tradition pendant les fêtes. Chez moi, c’était la piscine. En effet, mes parents ne pouvaient pas toujours payer les factures d’électricité donc nous nous rendions à la piscine au moins deux fois par semaine pendant l’hiver pour profiter de la douche chaude. Je prenais mon pyjama avec moi et, lorsque nous rentrions à la maison, j’étais prêt à aller au lit. Cette tradition m’a toujours parue normale, maman disait que c’était notre petit secret et que ça permettait de resserrer les liens familiaux. Elle se transformait à l’approche des fêtes, plus souriante, chaleureuse et à l’écoute. Lorsqu’on rentrait de ces escapades, j’aimais observer la buée s’échapper de ma bouche à chaque respiration dans notre appartement. Je m’imaginais au pôle nord, ou en Alaska et je m’inventais des aventures extraordinaires qui expliquaient ce froid ambiant.

J’avais une imagination débordante à cet âge-là. C’est celle que j’ai travaillée avec les spécialistes, ceux qui voulaient bien prendre les gamins qui ne seraient jamais en mesure de les payer. Eh oui, il en existe. Il faut juste savoir à quelle porte frapper… C’est le genre de créativité qui m’a poussé, déjà en primaire, à m’inventer une vie de justicier, des amis en or, un méchant terrifiant,… Mais bref, ce n’est pas le sujet ici. L’important, c’est de prouver que chaque rencontre nous détruit, peu à peu, quand il ne s’agit pas d’experts psychiatriques tout du moins.

Prenons par exemple cet homme que maman invitait souvent à la maison. Un de ses amis, qui sentait l’essence de voiture (je ne compte plus le nombre d’inconnus qu’elle a invité chez nous, leur point commun à tous était cette terrible odeur qui s’incrustait partout après leur passage). Cet homme était impressionnant. Il était gigantesque pour le gamin que j’étais. Il portait souvent un bandage autour du coude et se baladait en t-shirt dans l’appartement alors que je portais tous mes pulls pour éviter d’être malade. Pour moi, il avait un super pouvoir qui lui permettait de ne pas sentir le froid ni la douleur. Ma seconde théorie à son sujet était qu’il obtenait ses dons spéciaux grâce à une potion magique : je le soupçonnais de s’être fait attaquer par un vampire et d’avoir gardé des séquelles de l’affrontement. Je l’avais vu à plusieurs reprises s’enfoncer le contenu transparent d’une seringue dans le creux du coude avec un genre de sourire béat aux lèvres. Ensuite, il avait cette lueur qui me terrifiait dans le regard, on l’aurait dit invincible. Papa le surnommait « l’armoire à glace » et ne semblait pas trop l’apprécier, il le regardait souvent d’un air méchant.


William, arrête de bouger tes jambes. William, t’es débile, William s’il te plaît, personne ne voudra d’un type comme toi. Mec, t’es trop bizarre. T’es bien gentil, mais réfléchis un peu. William, concentre-toi. William, réveille-toi. Les exercices sont inscrits au tableau, pas dans le ciel. William, calme-toi. Je rêve ou tu t’es pissé dessus ? Gogole, imbécile, stupide, William, t’as encore de belles fringues aujourd’hui espèce d’handic’. T’es gay ? Sale tafiole va.
POURQUOI T’OUBLIES TOUT LE TEMPS TES AFFAIRES ?! MERDE, CALME-TOI !



Cet homme est venu chaque Noël jusqu’à mon dixième anniversaire. Avec lui, la journée s’annonçait toujours mouvementée. Il était parfois violent ou très gentil. Il se mettait à crier sans raison puis à pleurer comme un enfant. Son comportement me faisait peur, je ne savais jamais comment il allait réagir ni comment je devais me tenir. Lorsque j’accrochais l’étoile en haut du sapin, je faisais toujours le vœu que ce Noël soit plus calme que les précédents. Même si j’adorais cette période, elle était souvent synonyme de soirées ratées.

Cet hiver-là, maman n’était pas d’humeur joyeuse comme les autres fois. Elle tremblait beaucoup, je mettais cela sur le coup de la fraîcheur ambiante dans l’appartement : l’intérieur des fenêtres gelait certaines nuits et l’humidité s’était incrustée dans tous les tissus. Je me souviens de l’odeur de moisi qui habitait mes vêtements, on aurait dit qu’elle s’était incrustée sur ma peau tellement elle était forte. Comme ces habits qu’on oublie de mettre sécher après une machine et qui se transforment en carton. Ma garde-robe en était remplie. Papa disait que ça passerait. Que bientôt, le printemps arriverait et la chaleur avec. Je m’accrochais à cette idée, espérant que le printemps arrive un 25 décembre.

Le matin de Noël, maman s’était habillée et maquillée comme si elle partait travailler. Je n’ai jamais aimé son uniforme de travail, avec sa jupe noire en cuir et ses chaussures qui montaient jusqu’à ses cuisses. Je me souviens que je pensais qu'elle bossait dans le domaine de la Science car mon père parlait parfois dans une sorte de radio bizarre où il disait ceci : « Étant très intéressée par le cours de chimie, mon amie Ophélia cherche une grosse molécule. Si vous avez un fort pouvoir de pénétration et que les positions vous intéressent, envoyez-lui vos modèles ! »
Maman m’expliquait qu’une femme doit mettre ses atouts en valeur pour plaire aux hommes et que plus tard je comprendrai quand je rencontrerai ma future femme. Je ne voyais pas le rapport avec son métier mais je la laissais parler ; préférant ces moments de confidences à ceux où elle m’ignorait, discutant ou plutôt se disputant avec l’armoire à glace.


Me touche pas, je suis clean, putain ! T'entends, clean ! C'est pas une dose qui me fait délirer moi, il me faut plus que ça, bien plus que ça. J'ai été captif d'une entité si... oppressante qui m'a manipulé pendant des mois et des mois. Tu vivras jamais ça t'entends, tu peux pas savoir ce que ça fait ! Va pleurer près de ton Ulrich, va pleurer, qu'est-ce que je m'en bats les couilles de lui aussi !


J’étais déçu que maman parte ce matin-là, c’est elle qui m’aidait à déballer mes cadeaux habituellement. J'ai donc logiquement décidé de l’attendre avant de m’atteler à cette tâche.
Papa n’était pas encore levé donc je lui ai préparé un petit déjeuner. Fièrement, je lui ai apporté au lit, avec des dessins de dinosaures que j'avais ramenés de l'école. La chambre de mes parents ressemblait plus à un débarras qu’à une chambre : sur la table de nuit de papa traînait une bouteille de whisky vide (ce qui expliquait son réveil tardif) et sur celle de maman, un cendrier rempli et un petit tas de poussière blanche sur les livres en dessous.
Toutes les affaires de maman étaient poussiéreuses en ces temps-là.
Papa avait l'air content de voir mes petits toasts au beurre et nous déjeunâmes à deux, faisant semblant de ne pas sentir le froid nous gagner.

« Maman va bientôt rentrer ? je lui demandais, le regard plein d’espoir égaré vers les épines acérées du sapin.
- Je ne sais pas William, elle avait une course urgente à faire » me répondait-il d’un air ennuyé.
Papa n’était jamais très loquace et cet échange entre nous fut le plus long de la matinée.

Midi sonnait et maman n’était toujours pas revenue du travail. D’habitude, elle partait travailler le soir et revenait au petit matin. Je me disais qu’elle avait pris cette excuse pour aller chercher mon cadeau qui devait être trop grand pour être placé en dessous du sapin. Papa avait cet air inquiet qui ne le quittait jamais quand maman sortait. Pour moi, il devait se sentir coupable de ne pas s’être levé pour aider maman avec le cadeau. J’espérais que ce serait un équipement de policier, ou une visite du commissariat du quartier. Mon rêve à cette époque était de rentrer dans la police.
Papa se mit à ranger. C’est la première fois que je le voyais à l’œuvre, selon moi mon cadeau devait vraiment prendre beaucoup de place. Je me rends compte aujourd’hui de la naïveté qui m’habitait à ce moment-là. J’étais persuadé de recevoir le plus gros des cadeaux de Noël qui soit.
L’armoire à glace avait pour habitude d’arriver aux alentours de dix-sept heures le jour de Noël. Il me ramenait toujours une bricole puis m’ignorait royalement le reste de la soirée pour discuter avec mes parents. Papa se disputait chaque année avec cet homme et la soirée finissait souvent dans les larmes et l’alcool pour mes parents. Je partais me cacher dans ma chambre quand l’ambiance tournait au vinaigre et je me réfugiais dans le conte de Noël qui me faisait office de livre de chevet pendant cette période. C’était ma propre tradition : couché sous mon lit, armé d’une lampe de poche et de mon ours en peluche, je lisais et relisais le livre jusqu’à ce que je m’endorme. Je me réveillais le lendemain dans mon lit comme par enchantement.

Cet après-midi-là, l’appartement était comme neuf après le rangement de papa. Ni maman, ni l’armoire à glace n’arrivaient. Je m’impatientais vraiment, me demandant si c'était grave si j’ouvrais tout seul les cadeaux déjà présents sous le sapin.
Alors que j’en discutais avec mon nounours, quelqu’un frappa à la porte. Notre sonnette ne marchait plus depuis longtemps mais c’était tellement rare d'avoir de la visite que nous sursautâmes tous les trois, papa, ours et moi. Le grand homme ne frappait jamais, lui. Je me suis précipité pour ouvrir la porte. Une femme que je n’avais jamais vue se tourna vers moi. Elle était accompagnée d’un homme en uniforme de policier.
J’étais stupéfait, c’était donc ça mon cadeau ! Mes parents avaient enfin compris ce qui m’intéressait et allaient m’emmener faire un tour dans une voiture de police !
La femme me sourit d’un air contrit. J’étais excité comme une puce à l’idée que ce soit cela mon cadeau et trouvais cela génial qu’elle joue le jeu de la surprise jusqu’au bout. J’appelai mon père, tout sourire.
Lorsqu’il me rejoignit, je compris que ce n’était pas mon cadeau, son regard changea du tout au tout quand il reconnut le policier à côté de la dame. Elle se présenta comme une assistante sociale.

« Nous savons que ce n’est pas vraiment le moment idéal pour venir vous importuner mais nous devons parler monsieur Dunbar » dit-elle en le regardant comme un chien égaré.
Papa m’envoya dans ma chambre, avec une voix que je ne lui avais jamais connue : son ton était sec et froid. J'ai fait semblant de partir vers ma chambre mais je me suis arrêté derrière la porte du couloir pour suivre la conversation des adultes.
La femme tenait un dossier dans les mains, elle montra un papier qui s’y trouvait à mon père, il les fit entrer.

« Qu’avez-vous à m’annoncer ? demanda mon père, le regard inquiet tourné vers le policier.
- C’est au sujet de votre femme monsieur, nous pensons qu’elle a un lien avec une affaire en cours, répondit l’homme qui ouvrait la bouche pour la première fois depuis qu’il était entré.
- De quoi s’agit-il ? Vous savez aussi bien que moi que ma femme a quitté le milieu l’an dernier » rétorqua mon père.
Il regardait le policier avec la même expression que celle qu’il prenait lorsqu’il devait discuter avec l’armoire à glace.


Mais oui, c’est vrai William, que tu es bête… Il suffit de parler, c’est évident ! Il suffit d'écrire, c'est évident ! Pourquoi ? Encore un reproche, un reproche sur mon silence, un reproche sur ma distraction, un reproche sur mes attitudes, un reproche sur ma personnalité, un reproche sur ce que je suis. Pourquoi Sissi ? Parce que j’y arrive pas, j’y arrive plus. Je te faisais confiance tu sais… J’ai fait beaucoup d’efforts. Je suis pas comme vous, je l’serai jamais. Va-t’en, laisse-moi tranquille. Laisse-moi, j’ai fait une connerie.


Cet échange ne me plut pas, ni la journée qui suivit. J’étais loin de me douter de ce qui allait suivre. La femme m’avait demandé de la suivre pour « laisser le temps aux grandes personnes de régler quelques affaires ». J’avais dix ans, pas six. Je comprenais que quelque chose n’allait pas, je ne saisissais juste pas pourquoi maman n’était pas là pour aider papa à régler cette histoire.
Je passais le premier Noël calme loin de chez moi.
Le lendemain, au centre d’accueil, les autres étaient très gentils avec moi. Tout le monde me demandait comment j’allais et j’ai même reçu un cadeau de la part de l’assistante sociale. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de celui qu’était partie chercher ma mère la veille mais c’était un banal ballon de foot. J’ai toujours détesté le sport. Je me rabattis donc sur la gazette du matin.
Ce journal, je l’ai toujours. Il est dans le carton avec toutes les affaires de maman. L’article en première page est le dernier souvenir qu’il me reste d’elle.
Je n’ai jamais su si mon père était au courant de la situation dans laquelle était ma mère, mais je suis toujours resté avec lui, il ne s’est jamais remis de ce Noël.

Les gros titres restent, malgré tout, imprimés dans ma mémoire :
« Une femme battue à mort le jour de Noël : son dealer, un ami de la famille, avoue. »


J'ai tout mangé le chocolat
J'ai tout fumé les Craven A
Et comme t'étais toujours pas là
J'ai tout vidé le Rhum Coca
J'ai tout démonté tes tableaux
J'ai tout découpé tes rideaux
Tout déchiré tes belles photos
Que tu cachais dans ton bureau

Fallait pas m'quitter tu vois
Il est beau le résultat
Je fais rien que des bêtises
Des bêtises quand t'es pas là

J'ai tout démonté le bahut
J'ai tout bien étalé la glu
Comm' t'étais toujours pas revenu
J'ai tout haché menu menu
J'ai tout brûlé le beau tapis
J'ai tout scié les pieds du lit

Tout décousu tes beaux habits
Et mis le feu à la pend'rie

Fallait pas m'quitter tu vois
Il est beau le résultat
Je fais rien que des bêtises
Des bêtises quand t'es pas là
Fallait pas casser mon cœur
M'laisser sans baby-sitter
Je fais rien que des bêtises
Des bêtises quand mes yeux pleurent

J'ai tout renversé les poubelles
J'ai tout pillé ta belle vaisselle
Attends c'est pas tout à fait tout
J'ai aussi dépensé tous tes sous

Fallait pas me quitter tu vois
Il est beau le résultat
Je fais rien que des bêtises
Des bêtises quand t'es pas là…



À dix heures du matin, ce 24 décembre 2017, on sonna à la porte du domicile, celui où la boîte aux lettres indiquait sobrement Dunbar-Delmas.

Attendez, criai-je, je ne sais plus où j'ai déposé mes clefs ! Faites à votre aise me répond-t-on, côté rue. Une voix douce, chaude, qui contraste avec le froid du dehors : le baromètre est descendu bien au-dessous de zéro, exactement la même température, moins sept, que le jour où...
Je lui ouvre. Un type en salopette rouge se tient devant moi avec, cousu sur la poitrine, l'écusson de mon fournisseur en eau. Je viens relever votre compteur !, m'annonce-t-il avec un immense sourire, comme si sa venue devait transformer ma piètre vie (ce qui allait être le cas).

Voilà un employé zélé, me dis-je, qui travaille la veille de Noël ! Je suis prête à parier que tous les autres, alors que, de fait, le 24 n'est pas un jour férié, sont en train d'écluser des litres de Christmas Beer offerts par un PDG ravi de son bilan de fin d'année.
Après une brève hésitation, la peur de l'inconnu comme toujours, je le fais entrer. Il passe devant moi (le couloir est très étroit) en s'excusant, il fait aussi attention à ce que le sac qu'il porte en bandoulière ne me heurte pas. C'est en bas, lui dis-je, me sentant immédiatement idiote : les caves, et donc les compteurs, sont rarement à l'étage. Mais le type se retourne et, encore une fois, me sourit.

Ça ne prendra pas trop de temps, me rassure-t-il en se grattant le menton. Dommage, pensai-je, en m'installant sur les marches de l'escalier, pour le regarder faire, il a l'air sympa. Je lui proposerais bien une tasse de café mais, bien sûr, je n'ose pas.
Sois plus franche, impose-toi, arrête de t'excuser d'être en vie ! me répétait toujours mon mari qui ne l'est plus, au fait, en vie. Le 24 décembre de l'année passée, à la même heure exactement et juste devant la maison, une voiture a glissé sur le verglas et l'a percuté. Il est mort sur le coup. Il était high, comme souvent en période de fêtes. S'il ne l'avait pas été, serait-il à mes côtés aujourd’hui ? Nul ne le saura jamais. Je n'ai averti les amis que deux semaines plus tard, pour ne pas gâcher les fêtes. Enfin, « amis », c'était un bien grand mot puisque sa bande de potes ne m'avait jamais acceptée pour ce que j'étais, une fille franche et sûre d'elle. Autrefois... Avant le décès de papa, avant la dépression, avant... avant tout.

Durant ces longues journées, où je portais le deuil à moi toute seule, personne ne s'est inquiété de ne pas avoir de nos nouvelles. C'est vrai que nous avions pour habitude de faire les morts (lui, pour de vrai cette fois-là) pendant cette période. Après, je n'ai plus voulu les voir. Pas sans lui. Même les gens qu'on avait rencontrés en dehors de Kadic, c'était juste trop compliqué pour moi d'être la pauvre fille que tout le monde allait dévisager sans se gêner. Et puis, l'idée d'imposer mon veuvage à ces amis qui ont mon âge (certains sont de jeunes parents) : non. Tout simplement non.

Mais voilà, aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi, j'ai envie qu'un releveur de compteur, peut-être à cause de son costume qui fait penser à celui du père Noël, me remonte le moral. Malgré ma prise de poids, mes cernes sous les yeux, mon visage creusé,... Si seulement, j'osais lancer une conversation, peut-être qu'on pourrait... aller plus loin. Mais... je délire complètement ! Cet homme a sûrement une femme, des enfants... Peut-être loue-t-il un costume de père Noël dans l'ancien magasin de jouets de mon mari qui, pendant la période des fêtes, s'en affublait. Je crois bien qu'il y croyait toujours, au père Noël...

J'imagine mon employé des eaux pareillement déguisé, couvrant sa progéniture de cadeaux puis, les laissant à leur joie, s'éclipsant pour retrouver sa femme dans la chambre conjugale. Il l'embrasse, lui dit je t'aime, lui... Eh bien, s'exclame tout à coup mon invité impromptu, me sortant de ma rêverie, le père Noël a pensé à vous cette année : votre consommation a diminué de moitié ! D'un coup, mes yeux se remplissent de larmes, une véritable inondation, ça coule, ça coule, bien sûr que la consommation d'eau a diminué puisque ma moitié, vous entendez, MA MOITIÉ, c'est comme ça qu'on dit, non ? Mon MARI, l'amour de ma vie, n'est plus là ! Le seul qui a bien voulu de moi après l'internement, car personne nous avait cru. Les souvenirs des attaques, le Supercalculateur, quand Willy avait commencé à me raconter tout était revenu. Mais il était trop tard, bien trop tard... L'usine avait été entièrement rasée, ça arrangeait bien le groupe à Belpois !

Le premier moment de stupeur passé, je le vois qui extrait un paquet de mouchoirs de la poche de sa salopette, pour m'empêcher de me noyer tout à fait. Je pensais qu'il allait me le donner pour que j'essuie moi-même mes larmes mais non, c'est lui qui les sèche. Le papier – et surtout sa tendresse – les absorbe, plus efficacement encore qu'un buvard. Pleurez tant que vous voudrez, dit-il, cette eau-là ne coûte rien... Et là, je me mets à rire parce que... c'est exactement le genre de plaisanterie un peu facile qu'affectionnait mon mari. Pourtant, il m'en coûte de me laisser aller comme ça, ce n'est pas mon genre, ça ne l'a jamais été, sauf peut-être quand j'étais encore à Kadic, la période abrutissante de mon existence. Il faut que je me ressaisisse, je m'apprêtais d'ailleurs à me confondre en excuses mais voilà qu'il me prend dans ses bras et me serre tout contre lui. Ne vous excusez pas, chuchote-t-il dans mon oreille. Alors, à cet instant précis, j'ai su que cet employé des eaux était le cadeau de Noël que me faisait, depuis l'endroit où il se trouvait, mon toujours attentionné mari. Cet homme que je ne connaissais ni d'Ève ni d'Adam est revenu le soir même avec une bouteille de champagne. Nous avons réveillonné jusque tard dans la nuit et, en partant, il m'a demandé s'il pouvait revenir. En souriant, il a ajouté : avant l'année prochaine...

Et j'ai dit oui. J'ai osé.
  Sujet: [One-Shot] Aiguille grise et perle fine  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mer 20 Déc 2017 21:11   Sujet: [One-Shot] Aiguille grise et perle fine
Aiguille grise et perle fine


Il était six heures et William était déjà réveillé. L’enfant en sueur hurlait dans son petit lit. Ophélia ne se rappelait plus de ce qu’était une grasse matinée. Elle s’assit et fit le décompte des heures de sommeil. Une, deux, trois… Découragée, elle s’enfouit sous les couvertures. Entre le boulot, le ménage et le petit bonhomme, elle ne s’en sortait plus. Comment allait-elle tenir ? Elle releva la couverture, s’assit sur le bord du lit et observa ses pieds nus. Elle frotta le tapis avec le bout des orteils. La vie était injuste. Elle fouilla son tiroir, en sortit cette aiguille grise qu’elle affectionnait tant et la planta au creux de son coude, là où la peau avait tourné au violet, et une petite perle, fine goutte rouge, sortit de l’angle que l'aiguille avait formé avec l’épiderme. C’était si bon putain, mieux que n’importe quel baiser de pseudo-étalon, mieux que l’orgasme, mieux que la vodka et l’absinthe réunies. Pendant quelques doux instants, cette injection brisait l’inertie du morose qu’était son quotidien. Avec ce doux venin, Ophélia devenait musique, mélodie enfiévrée façon Tchaïkovski. Elle était aussi équilibriste, capable de jouer les funambules sur la rambarde métallique d’un pont du canal Saint-Martin, elle sentait le feu de la passion, grisée à tout instant par la pulsion de mort.

Les femmes sont plus libres que jamais : elles peuvent choisir qui elles épousent, entretenir une relation basée sur un lien mutuel ou sur le plaisir, travailler et jouir d'une indépendance économique et demander le divorce si elles ne sont plus heureuses. Mais elles "pèchent" plus que jamais. Cette évolution est une conséquence logique de l'émancipation des femmes. Il est clair que l'infidélité masculine a longtemps été acceptée parce qu'on ne se mariait pas par amour, mais pour des questions économiques. L'apparition de contraceptifs et d'une plus grande indépendance économique a permis aux femmes d'éprouver moins de craintes pour les conséquences de l'infidélité et de prendre conscience qu'elles aussi ont des "droits". Nous observons ce phénomène dans plusieurs domaines, par exemple au niveau de la consommation d'alcool. Les femmes boivent beaucoup plus, et souffrent donc plus de maladies cardio-vasculaires qu'autrefois.

Ophélia coupa la radio. William, lui, arrêta de hurler. Il se leva et se frotta les yeux. Son pyjama était trempé. Dans sa chambre, Ophélia soupira et se releva en poussant un petit cri de douleur. Hier, en rangeant la marchandise, elle s’était fait mal au dos. Le patron ne l’avait pas crue, elle avait été obligée de continuer la journée. En sortant du travail, elle avait pris sa voiture pour aller rechercher William à l’école maternelle, puis elle était partie chez le médecin. Là-bas, la salle d’attente était remplie. Deux heures et trente-deux minutes de patience… William n’arrêtait pas de pleurnicher, c’est qu’il n’aimait pas attendre. Maman lui avait interdit de bouger et tous ces drôles de gens n’arrêtaient pas de le fixer. Une vieille femme soupirait. Ophélia n’avait cessé de s’excuser. Un monsieur lui avait alors fait remarquer à quel point son enfant était insupportable. Profondément choquée, elle s’était levée et était sortie de la pièce. Elle s’était assise en tailleur sur le carrelage froid du couloir avec William entre les jambes pour ne plus déranger les autres patients. Une jeune femme l’avait aussitôt défendue, reprochant au monsieur de ne pas connaître les difficultés de l’éducation.

Chacun trouva le moment opportun pour donner son avis :
« Moi je pense que la dame ne sait pas trop y faire avec les enfants »,
« Elle a l’air fatiguée, trop pour s’occuper correctement de son fils »,
« Son gosse est infernal ! »,
« Voyons, laissez-la tranquille ! Ce petit est sûrement malade »,
...
Deux heures et trente-deux minutes de patience… Rien que d’y repenser, Ophélia en avait la nausée. Elle alluma la lampe de sa chambre et éblouie par la lumière, elle dut se retenir au meuble de rangement à droite de la porte. Le petit apparut pieds nus dans le couloir.

— Maman ?, dit-il en reniflant.
Ophélia esquissa un sourire. Qu’avait-il encore ? Elle pria pour qu’il ne soit pas malade.
— Maman, j’ai fait un cauchemar.
Elle eut un soupir de soulagement. Cachant sa douleur au dos, elle l’enlaça et lui déposa un baiser sur le front. Elle le prit dans ses bras et le coucha dans le grand lit vide et froid. Il se blottit contre elle et lui raconta son mauvais rêve. Une histoire banale : la nuit, un enfant et un méchant loup. Elle attendit qu’il ferme les yeux et ils partirent à la ferme. Il fallait imaginer Fernand, le fermier du coin, avec le béret marron vissé sur la tête et la clope au bec.
— Avec un tracteur ?, demanda-t-il, les yeux pétillants.

Elle acquiesça. Conduire un tracteur, c’était là son rêve d’enfant. Elle sourit devant tant d’innocence. William lui cita alors les animaux que l’on trouve à la ferme. Entre le cochon et la poule, ils se rendormirent dans les bras l’un de l’autre. Ophélia se réveilla en sursaut. William venait de faire tomber une petite cuillère sur le parquet de la chambre. Il regarda sa mère comme s’il avait été pris en faute. De fait, il avait du chocolat jusqu’aux oreilles. Il savait qu’il ne pouvait pas. Il tenait le pot entre ses petites mains. Il avait déposé deux tranches de pain sur la table de nuit pour faire plaisir à maman. Ophélia eut des difficultés à le gronder, mais il ne pouvait pas manger du chocolat à la petite cuillère, c’était la consigne à la maison. Elle le remercia tout de même pour le « délicieux petit-déjeuner ».

Aujourd’hui, c’était samedi : le jour des courses. Chouette, William imaginait déjà ce qu’il pourrait faire entre les rayons. Il fallait se dépêcher d’y aller avant midi pour éviter la file. Le magasin était à une vingtaine de minutes de Sceaux. C’était là-bas qu’on pouvait trouver les meilleures promotions, promotions indispensables à la survie de la petite famille. Depuis quelques semaines, Ophélia ne s’en sortait plus : elle n’avait plus assez d’argent pour chauffer la maison. Honteuse, elle n’avait pas osé en parler à Papou et Mamou qui étaient pourtant si généreux. Heureusement, le vieux poêle chauffait le salon. Elle avait alors déplacé la petite table de la cuisine dans la pièce chauffée afin que le petit n’ait pas à manger dans le froid.

Quant à William, il était très content de la situation. En effet, il pouvait exceptionnellement regarder la télévision en mangeant. Ophélia descendit les escaliers et demanda à William de se laver le visage. Il se mit à bouder car il ne voulait pas mettre ses mains sous l’eau froide. Ophélia fit alors chauffer de l’eau dans la petite cuisine, il se mit à bouder car il ne voulait pas mettre ses mains sous l’eau chaude. Elle l’attrapa de force et lui frotta le visage avec une serviette. Il se débattait. Elle le gronda, il courut jusqu’au salon et s’enferma dans la pièce. Il alluma la télévision et se mit à sauter sur le canapé. Comme d’habitude…

Un robot supergalactique l’attaquait, il fallait se défendre ! Il lança les coussins devenus des grenades sur les ennemis. Ophélia ne sachant que faire lui cria d’ouvrir la porte. Il ne lui répondit pas. Tant pis, il fallait profiter de la situation. Elle enfila un pantalon et une blouse à fleurs. L’enfant sautait toujours dans le divan, on entendait la structure du fauteuil s’affaisser à chaque petit saut. Elle se maquilla généreusement pour cacher les cernes qui se dessinaient sous ses yeux. Elle prépara ensuite en vitesse les vêtements de l’enfant et attendit dans le vestibule, assise sur le banc, face à la porte du salon. Elle pesta contre elle-même. Pourquoi avait-elle laissé cette clef sur la porte ? Encore une chose qu’elle devrait cacher. Au bout de quelques minutes, la télévision s’éteignit. William tourna la clef et ouvrit la porte. Il souriait.

— J’ai gagné cont’ les méchants, je suis le meilleur !
Elle leva les yeux au ciel. Cet enfant finirait par la tuer. À présent calmé, le petit se laissa faire. Elle lui enfila une petite chemise et un pull vert. Elle s’étonna en le voyant défiler dans le salon les bras croisés.
Ses petits pieds frappaient le carrelage en rythme.
— Chuis joli maman ?

Non, elle ne pouvait pas le laisser déambuler dans cette tenue. Il ressemblait trop à James, ce salaud disparu dans la nature la laissant seule avec un nouveau-né. Quelle imbécile elle avait pu être… Comment avait-elle pu croire qu’il l’aimait ? Pourquoi les avait-il abandonnés ? Ces questions, cela faisait bientôt cinq ans qu’elle les ressassait. Elle changea la tenue de William et opta pour un simple petit pull gris. Enfin prêts, elle demanda à l’enfant de l’attendre sur le pas de la porte et monta les escaliers. Il n’avait pas envie lui de rester là, sur le pas de la porte. Quand elle descendit avec son sac à main, la porte d’entrée était ouverte et William avait filé dans le jardin.
Elle le retrouva là, simplement assis sur le petit muret devant la maison, il avait le visage tourné vers le ciel et il comptait les nuages. Elle l’observa. William serrait les poings. Il avait l’air si concentré.

— Un, deux, trois, quat’… Cinq… Trois, quat’…
Elle le voyait qui commençait à protester. Pourquoi ne savait-il pas compter ? Fâché, il recommença trois fois. En vain. Elle l’appela.
— Maman, j’y arrive pas, prononça difficilement le petit garçon, consterné devant ce nouvel échec, un de plus.
Ophélia aurait tant voulu lui chuchoter à l'oreille « Tu n’y arriveras pas, jamais, tu es trop différent, trop bien pour ce monde » mais la pauvre femme n’en trouva pas la force.

William, devant les yeux vides de maman, alla s’asseoir dans la voiture et attacha sa ceinture, comme on le lui avait appris. Il était déçu et triste. Ophélia ferma la porte d’entrée et s’arrêta un instant en l’observant à nouveau. William était un garçon très intelligent, mais quelque chose la préoccupait.... Il était distrait, maladroit et colérique. Elle en était certaine, c’était une figure paternelle qui lui manquait. Mais, comment refaire confiance à un homme ? C’était inenvisageable. Le pied d’Ophélia alla s’écraser dans une flaque, éclaboussant copieusement le bas de son pantalon kaki. La malchance semblait être avec elle, encore une fois. William pouffa de rire.

— Cette journée va être une bonne journée, d’accord William ? Si tu es sage, il y aura une surprise pour toi !

C’était comme ça qu’il fallait se convaincre. Si William était heureux, alors elle était heureuse. Elle glissa un CD dans la radio et ils étaient partis. Sortis de la Rue du Paradis, ils bifurquèrent sur le Chemin de la Buissière. La voiture s’élança sur la grande chaussée si encombrée pour quitter la petite ville de Sceaux. Ophélia se mit à chanter : — When the working, when the working day is done…
Les arbres défilaient. Ils s’éloignaient peu à peu de la campagne. William dansait sur son petit siège. Que c’était beau les champs… Des kilomètres de verdure, le vent, les oiseaux. Et il partait gambader au milieu des prairies sous une chaleur étouffante.

— GIRLS JUST WANT TO HAVE FUN !

William, interrompu dans sa rêverie, se mit à taper des mains en rythme pour encourager Ophélia. Il riait, ils s’amusaient. C’était ça leurs moments à deux. Des disputes, des bêtises, des misères, mais aussi de l’amour et des instants de bonheur. C’était son fils, c’était son sang. Elle se promettait d’être pour lui créatrice de souvenirs. Fort heureusement, ses parents étaient aussi présents pour son fils qu’ils chérissaient. Ils les aidaient beaucoup. William et sa grand-mère étaient très complices. D’ailleurs, c’était ça la surprise : ce soir, elle l’emmènerait chez Mamou et Papou et elle savait pertinemment qu’il sauterait de joie quand elle le lui annoncerait. Elle se gara sur le parking bondé du magasin. C’était une première réussite, le petit était resté calme tout au long du trajet. Il fallait maintenant enclencher l’étape numéro une de la mission « faire les courses avec un enfant difficile » : les directives.

— Bon William, dit-elle en se tournant vers lui dans le véhicule, tu restes à côté de maman. On va aller au plus vite, maman va faire de son mieux. Comme tu peux le voir, il y a beaucoup de monde, alors c’est primordial que tu restes sage. Pas de bonbons, pas de jouets, pas de crises.
Pas même un signe de tête de la part du gamin, il n’avait rien écouté, il descendait déjà de la voiture et sautait d’impatience sur le bitume. William pensait déjà aux plateaux de dégustation. Ophélia tenta de se rassurer et passa à l’étape numéro deux : faire les courses. Elle entra dans le magasin, le petit à ses côtés. Elle l’assit dans le caddie et se dirigea vers le rayon des boissons. Les gens se bousculaient, les chariots étaient abandonnés ici et là, quelle idée d’aller faire les courses le samedi matin... Arrivés près des briques de lait, William demanda à descendre du chariot.

Étape numéro trois : continuer à faire les courses malgré le filou qui courait partout. La plus difficile...

Il galopa jusqu’au rayon charcuterie pour aller se servir généreusement sur le présentoir. Le boucher lui sourit et lui demanda s’il voulait une tranche de saucisson. William se demandait pourquoi ce gros monsieur lui parlait aussi gentiment, il n’avait pas vraiment l’habitude des compliments, c’est pas ce qu’on recevait quand on était un débile comme lui. Il lui tira alors la langue et s’enfuit.
Ophélia, occupée à chercher les biscuits préférés de William, le rattrapa. Il lui expliqua fièrement ce qu’il venait de faire, elle l’obligea à aller s’excuser auprès du gentil monsieur. Elle avança son chariot jusqu’au rayon des légumes. Au bout de quelques minutes, elle se rendit compte qu’il ne la suivait pas. Que faisait-il encore ? Elle rebroussa chemin pour le retrouver. William n’était pas allé s’excuser, il avait simplement trouvé sur le sol un papier de réduction qu’il trouva intéressant de transformer en avion. Ophélia fut tout à coup percutée par un groupe de femmes qui couraient vers elle.
— Ne vous excusez surtout pas !, s’exclama-t-elle en ramassant son sac de tomates.
Pas de réponse, évidemment. Pourquoi couraient-elles ? Cette question ne traversa même pas l’esprit de la jeune femme. Cherchant toujours William et choquée par ce qu’il venait de se passer, elle ne réalisa pas que tous les clients se pressaient dans le sens inverse de sa marche. Un jeune homme l’attrapa par le bras.
— Madame, dépêchez-vous, il faut vous mettre en sécurité, ordonna-t-il sévèrement.
— Je cherche mon fils, vous n’avez pas vu un petit garçon de quatre ans ? le coupa-t-elle.
L’homme ne l’avait pas écoutée et la tirait vers lui :
— Un type est armé à l’entrée du magasin, il réclame l’argent des caisses. Alors, je vous en supplie, suivez-moi, reprit-il.

Non, non, non. Ça ne pouvait pas être vrai, pas maintenant, pas dans ce magasin, c’est à la télé qu’on voit ce genre de fait divers putain. Ophélia se dégagea de l’emprise du jeune homme. Elle regarda autour d’elle, le magasin était tout à coup plongé dans le silence. On entendait plus que des chuchotements et les pas pressés des clients qui se dirigeaient vers la réserve. Ne sachant que faire, elle se mit à crier le nom de William. Désespérément, sans penser une seule seconde qu’elle se plaçait ainsi dans une situation plus que délicate. L’homme se jeta sur elle et étouffa ses cris avec son avant-bras. Il la souleva et demanda de l’aide à un employé qui partait se cacher derrière les marchandises. Elle se débattit, vigoureusement, et lui mordit même le bras. Un seul mot martelait son crâne : William, William, William, au gré des pulsations qui agitaient la grosse veine de son cou. Une première larme se mit à rouler sur sa joue, cela ne régla rien. Les deux hommes la portèrent jusque dans la réserve, là où s’étaient réfugiés le directeur du magasin et quelques autres clients. Ils fermèrent la porte à clef, pour se protéger, mais ça empêchait Ophélia de sortir. Et l’idée même que son petit garçon se retrouvait seul à errer dans les rayons avec un taré à proximité la dévorait de l’intérieur, lui rongeait les synapses, une par une.

— Qui êtes-vous pour décider de m’enfermer ? cria-t-elle à haute voix, tapant du poing sur la porte qui la séparait de son fils, de sa chair, de l’unique raison qui la poussait à se battre au quotidien.
Tous les gens autour d’elle s’accroupirent et lui demandèrent de se taire. Elle n’en revenait pas : l’égoïsme à l’état pur. Elle chuchota en découpant les syllabes :
— Laissez-moi sortir, mon fils est dehors !!

Les deux connards qui l’avaient emmenée refusèrent d’abord catégoriquement. Puis, le directeur prit le parti d’Ophélia, il refusait qu’un enfant puisse se trouver en danger dans son supermarché. Les clients se mirent à débattre pour savoir qui irait dehors, il fallait retrouver ce gamin. Elle les menaça d’hurler s’ils ne la laissaient pas partir. Pendant ce temps, William marchait les mains dans les poches. Les rayons étaient presque vides. Il en profita pour attraper un paquet de bonbons et l’ouvrir. Il croqua dans une bille bleue (faite avec de la graisse de porc, détail moins glamour) et apprécia la saveur sucrée qui se répandit peu à peu le long de sa langue, comme si un ange lui avait pissé dans la bouche l’espace d’une seconde. Alors qu’il s’apprêtait à gober un nouveau globule, vert cette fois, il entendit un monsieur s’énerver à l’entrée du magasin. Une femme pleurait. Il bifurqua dans un rayon et trouva là, à une vingtaine de mètres de lui, une dizaine de personnes couchées sur le sol et cachées derrière des caisses.
— Pourquoi vous faites dodo ici ? demanda-t-il naïvement.
— Viens petit, chuchotèrent-ils, l’angoisse dévorant leurs traits plus tirés que des draps mis à sécher.
— Mais il n’est pas l’heure de dormir !
Une jeune femme voulut l’attraper. Se sentant en danger, il courut à son tour dans le sens inverse et se cacha de la jeune femme. Elle dut se résigner à retourner dans sa cachette, le petit était introuvable.
Qu’est-ce qu’elle lui voulait cette folle ? Sûrement lui voler ses bonbons, il en était certain. Elle ne les aurait pas, nah !

Dans la réserve, Ophélia brûlait d’impatience et commençait à protester violemment.
— Madame, calmez-vous, s’agaça le directeur. Je pars le chercher. Je vous en prie, restez là.
Elle s’emporta, lui criant que c’était à elle de fouiller le magasin, qu’elle n’allait pas rester là les bras croisés pendant que son fils se trouvait peut-être nez-à-nez avec un brigand. Le directeur, un certain Armand Verbist si l'on en croyait son badge, fit abstraction des plaintes lancinantes d’Ophélia et partit aussitôt à la recherche de l’enfant. Ils étaient cinq à retenir la mère de famille dans la réserve. Quelle semaine… Quelle journée… Son fils était là dehors avec un grand malade armé. Si on touchait à un seul cheveu de William, elle se promit qu’elle tuerait tout le monde. On entendit un coup de feu et des cris. Ophélia se mit à pleurer et à donner des coups à ses ravisseurs. Puis, elle comprit qu’elle ne pourrait s’échapper et épuisée, elle cessa de se débattre. Elle se recroquevilla dans un coin de la réserve en fermant les yeux.
— Maman est là mon bébé, ne t’inquiète pas…, répétait-elle, maman est là.
Les clients se regardaient gravement, ne sachant que faire pour la réconforter. Angoissé au possible, Armand courait entre les rayons. Quand il entendit le coup de feu, il se jeta sur le sol avant de se relever aussi vite. Il devait se dépêcher de retrouver l’enfant. La situation semblait s’aggraver. William sursauta, est-ce que c’était un vrai coup de feu comme dans les films pour les grands ? Il alla voir ce qu’il se passait. Il vit un homme avec une arme tendue vers le ciel. Il était habillé en noir et portait une cagoule. Il hurlait sur les caissières et demandait de « vider les caisses ». William s’approcha. Un sac ouvert était déposé en face du voleur.
— Est-ce que ça c’est un vrai fusil ? demanda-t-il, les yeux écarquillés par une excitation certaine.
— Dégagez ce gosse ! hurla l’homme en pointant son arme sur l’enfant.

Les caissières en pleurs rampèrent jusqu’à l’enfant. Le truand s’avança vers elles et leur cria de se dépêcher. William se rapprochait petit à petit, il enjamba le sac en observant son contenu. Le braqueur tira à nouveau au plafond. Elles se couvrirent toutes la tête avec leurs bras. William, quant à lui, se cacha derrière une caisse. Il se releva après un certain temps en frappant dans ses mains comme pour féliciter l’homme. C’est que la détonation l’avait impressionné…
— Eh m’sieur, recommencez ! Il est gros votre fusil, vous l’avez eu où ? C’est un vrai ? Et ça, c’est un cartable ? dit-il en enjambant à nouveau le sac.
L’homme cagoulé s’impatientait. Il baissa son arme et le fixa.
— Pourquoi vous vous disputez tous ? reprit William, inconscient du danger qui l’encerclait de toutes parts.
— TOI !, hurla le cambrioleur à une dame en pointant son arme sur celle-ci, tu prends le gosse, tu l’éloignes, tu le fais disparaître.
La dame l’attrapa et l’emporta dans un rayon.
— Pleurez pas m’dame.
Elle ne lui répondit pas et le prit par la main, en serrant si fort les doigts de l’enfant que ses phalanges menaçaient de percer la membrane cutanée à tout moment.
— Vous êtes bizarres, vous les grands. En tout cas, le monsieur, il avait pas l’air content. Vous pouvez me lâcher la main ? J’ai oublié mon paquet de bonbons.

Armand Verbist apparut au coin du rayon, il accourut vers l’enfant, le prit dans ses bras et demanda à la dame de le suivre. Il voulut les rassurer.
— Lâchez-moi, mais lâchez-moi !
William se mit à pleurnicher en tenant son pantalon qui tombait et qui lui semblait maintenant si lourd. Quelque chose tomba de la poche de son manteau, mais personne ne le remarqua. William détestait qu’on le porte, c’était un petit garçon maintenant, plus un bébé.
— Je t’emmène près de ta maman, n’aie pas peur, c’est bientôt fini. Comment tu t’appelles ?

William dévisagea l’homme au nez rouge qui tentait de le consoler. Il devait avoir soixante-cinq ans, tout au plus, il avait une bague au doigt, sans doute était-il marié, comme sa maman l’avait été autrefois. Il avait l’air vif, une intelligence certaine dans le regard, ses enfants devaient avoir de la chance d’avoir un papa comme lui.

— Tu m’emmènes voir maman ? J’ai pas peur tu sais, jamais. C’est bizarre... y a pu personne. C’était qui le gars en noir, pas content, avec son fusil ?
Le monsieur en costume lui expliqua qu’il s’agissait d’un jeu, un exercice en cas de réel danger.
— Comme on fait avec les incendies ?
— Oui, c’est ça. Et le but, c’est d’aller se cacher sans faire de bruit pour que personne ne nous trouve.
— Je connaissais pas ce jeu, avoua le garçon en souriant de plus belle. C’est moi qui vais gagner, j’le sais.
Ils frappèrent doucement à la porte de la réserve. On leur ouvrit. Ophélia se jeta sur William et l’embrassa. Elle essuya ses larmes.
— Tu étais où ? Comment tu vas ? Il ne t’a pas fait de mal ? cria-t-elle en le serrant fort, si fort dans ses bras ankylosés par la peur.
Elle remercia cet homme, ce blond au regard perçant, et s’excusa du comportement qu’elle avait pu avoir.
— Chut maman, il faut faire chut pour pas qu’on nous trouve.

Ophélia s’étonna. En temps normal, il aurait fait une crise d’hystérie si on lui avait demandé de se taire.
— Le méchant est devant le magasin, alors on doit attendre et se cacher. C’est comme un jeu, tu comprends ? Mais moi, j’avais compris. Fin j’veux dire c’est le monsieur qui m’a expliqué, continua-t-il en faisant un clin d’œil à Armand qui n’en demandait pas tant.
Elle le berça, remerciant le seigneur pour sa grande gratitude. Sa miséricorde avait oublié la famille Dunbar de nombreuses fois mais, aujourd’hui, il avait été là pour eux.

— Maman ? T’inquiète pas. On va gagner, je le sens. Mieux, j’le sais !

Elle continuait de l’embrasser et de le serrer si fort qu’il essaya de s’écarter d’elle.
— Maman, j’ai fait une bêtise. Tu vas me punir ? chuchota-t-il, soucieux de ne pas se faire repérer, pour repartir gagnant, se sentir victorieux au moins une fois lors de sa courte vie.
Non, plus de bêtises, plus de punitions, il était en vie, son fils, son sang, entre ses bras, en vie.

— J’ai volé un paquet de bonbons, dit-il sur un ton encore plus bas, tel le pécheur qui se confesse à son curé.

Ophélia sourit, les règles qu’elle avait instaurées auparavant lui semblaient si dérisoires désormais. L’heure qui suivit fut un calvaire : il fallait faire croire à William qu’on était toujours en plein jeu, qu’on ne pouvait pas perdre, qu’il ne fallait pas sortir de la cachette. Heureusement, William finit par s’endormir sur les genoux d’Ophélia qui continuait de prier pour que cela se termine. L’attente devenait insupportable. Ce fut un soupir de soulagement quand un policier vint ouvrir la porte de la réserve pour leur annoncer que c’était terminé. Personne n’était blessé, mais l’on recherchait encore activement le voleur, il s’était enfui.

— B’jour m’sieur le policier, cria William qui s’était réveillé et avait compris que le jeu était terminé.
Les clients, en état de choc, furent tour à tour interrogés. Ophélia était tremblante, elle rangeait les courses dans des sacs réutilisables. William discutait toujours avec son nouvel ami.

— Aujourd’hui, maman m’a dit que ça allait être une bonne journée. Y a une surprise qui m’attend, elle a dit que c’était parce que j’ai été un p’tit garçon sage.

Après lui avoir tapoté la tête, le vieux monsieur au nez rouge s’éloigna et laissa l’enfant seul devant l’entrée du magasin. William souriait. Il tourna la tête à droite puis à gauche afin de vérifier que personne ne l’observait. Il glissa sa main dans son pantalon et caressa les billets qu’il avait cachés dans son caleçon, tâta les poches de son manteau, croisa les mains dans celle de son sweat. Il sourit car il pensait déjà à tous les jouets qu’il pourrait s’offrir désormais. Quelle journée… Quelle semaine…
  Sujet: [One-Shot] Porcinet ne sourit plus  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 24 Oct 2017 21:16   Sujet: [One-Shot] Porcinet ne sourit plus
Bonjour à tous, je me permets de répondre à vos commentaires, en vous remerciant d'ores et déjà pour tous les avis formulés ici.

Ce que je peux en tirer, c'est que l'opinion générale est plutôt mitigée, je n'en attendais pas moins pour un premier one-shot, surtout vu la brièveté de Porcinet ne sourit plus. J'ai écrit ce texte non pas simplement pour surfer sur la vague du moment mais plutôt en profiter pour créer un petit effet miroir par rapport à la suite de ma fic qui devrait arriver d'ici peu. C'était donc une écriture plus spontanée, prise sur l'instant, extrêmement moins « calculée » qu'un chapitre classique et je pense que ça ne pouvait que vous sauter aux yeux. Étant donné que l'atteinte à la pudeur féminine est un thème central de Numéro 3 ~ Ruth, un petit background fictif des personnages à ce sujet ne pouvait pas être de trop. C'est pour cela que j'ai gardé les Delmas, et William c'était bonus puisqu'il n’apparaîtra pas dans ma fanfic (sauf bouleversement de scénario extrême qui ne devrait pas arriver).

Donc à la base, c'était ça mon projet : mettre en scène certains événements du passé qui permettraient de mieux comprendre l'attitude présente des persos de la fic. Néanmoins, j'ai par après fait le choix de dépersonnaliser au maximum chaque petit passage pour que tout le monde puisse facilement s'y identifier. C'est bizarre, je l'avoue. Un choix très particulier, certainement. Une erreur, peut-être. Pour ceux d'entre vous qui lisent la fic, l'écho à l'affaire Weinstein et à ce one-shot sera visible dès la prochaine publication.

Icer a écrit:
Bon, la prochaine fois, essaye de voir un peu plus grand avec le clash nucléaire USA/Corée du Nord


http://zupimages.net/up/17/43/verf.jpg
C'est de ce conflit-là que tu veux parler ? Razz


Une fic CL à tendance politique est en cours d'écriture de mon côté, c'est un terrain plutôt miné sur ce forum mais qui me tentait bien et sur lequel je gratte depuis fin juillet...
On en reparle bientôt (2018 sûrement), encore merci à tous !
  Sujet: [One-Shot] Porcinet ne sourit plus  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 20 Oct 2017 20:35   Sujet: [One-Shot] Porcinet ne sourit plus
Hep ! Vu que le #metoo est le débat du moment, j'ai voulu m'y mêler moi aussi et je me suis demandé ce que nos héros pouvaient bien penser de cette polémique. Vous avez ici le côté plus féministe des choses, un autre avis plutôt radicalement opposé au texte d'aujourd'hui suivra peut-être. Pour le moment, voici déjà le coup de gueule so 2017 de William, Sissi et... Jean-Pierre bien évidemment ! Je précise que le vieux Delmas est différent de ma fic, il ressemble plus à celui de l'animé dans ce contexte. Bref, ce one-shot est... particulier, n'hésitez pas à locker si vous trouvez ma démarche incongrue !



PORCINET NE SOURIT PLUS



•William Dunbar•

Moi aussi, j’ai été un porc.
Oh, bien sûr, pas un de ces gros porcs dégueulasses qui pullulent dans les médias. Tout au plus un petit porcelet, presque mignon. Du moins, c’est ce que je préfère me dire. Je n’ai jamais commis la moindre agression sexuelle. Je n’ai jamais, et cela ne me semble pas devoir faire l’objet d’une quelconque fierté, sifflé de manière indécente une femme dans la rue ou mis une main aux fesses à une inconnue, juste sous prétexte que je la trouvais attirante. Je n’ai jamais rien fait de tout cela, je ne dois donc pas être un porc, non ?

Bah si. C’était difficile à admettre, au début. J’ai reçu une excellente éducation, pourtant. Je pense être conscientisé aux enjeux de l’égalité des sexes, et, si j’osais, je me définirais presque comme un féministe. L’égalité des salaires, l’égalité face aux tâches ménagères, l’égalité en tout et pour tout : tout cela, cela fait partie de mon système de valeur. J’ai applaudi des deux mains l’annonce de la baisse de la taxe tampon ; je suis attentif à user de l’écriture inclusive, parce que je pense que le langage structure la pensée ; je me suis efforcé, à ma petite échelle, à inculquer aux jeunes scouts dont on me confiait la responsabilité tous les dimanches qu’une fille n’est pas un bout de viande, que les mots peuvent blesser, tout comme certains actes déplacés. Bref, je ne pouvais pas être un porc.

Et pourtant, si. Il m’est arrivé de glisser, dans des conversations avec des amies, des traits d’esprits salaces, qui leur étaient destinés. Rien de bien méchant, n’est-ce pas ? C’est juste un calembour innocent. De même, certains soirs où je me sentais euphorique pour une raison ou une autre, j’ai poussé la plaisanterie jusqu’à répondre « n’oublie pas de prendre des photos » lorsqu’une amie proche m’annonçait qu’elle serait de retour après sa douche. Dans le métro, parfois, j’ai sans doute lorgné avec une insistance déplacée sur une femme que je trouvais belle. Il m’est arrivé, également, entre amis, de parler de certaines étudiantes en ne mentionnant que leurs mensurations. C’était drôle, c’était anodin…

… Mais pas tant que ça. Je suis un porcelet mignon, un porcelet plein de bonnes intentions. Et c’est avec celles-là qu’on a pu paver l’enfer que révèle aujourd’hui l'affaire Weinstein. Encore que le terme « révéler » ne soit pas adéquat : tout était là, sous nos yeux, depuis le début. Nous préférions juste ne pas regarder. « Cela ne me concerne pas », me suis-je dit lorsque ce fameux hashtag est apparu. Et puis j’ai réalisé tous ces petits gestes, tous ces petits mots que j’avais eus. Une blague, un one-shot, un truc vite oublié. Pour moi, oui. Peut-être pas pour elles.

Comment savoir si mon trait d’humour un peu gras, ce soir-là, n’avait pas résonné en elle comme une trahison, comme un coup venu d’un endroit qu’elle pensait sûr ? Comment savoir que ce n’était pas la quinzième remarque qu’on lui servait, ce jour-là ? Je ne me suis jamais senti harceleur. Mais cela ne signifie pas qu’elles n’ont pu se sentir harcelées. J’ai peut-être été, moi aussi, à mon corps défendant, un porc.
Par mes mots, et par mes silences. Quand je n’ai rien dit lorsque cette femme se faisait vulgairement interpeller dans le métro, j’ai été un porc. Quand j’ai souri à moitié, l’air gêné, face à une remarque sexiste ou un comportement inapproprié, j’ai été un porc. Quand je n’ai pas réagi, quand j’ai, par mon silence, cautionné l’agissement d’un autre porc, j’ai été un porc. Quand j’ai participé, par mes paroles, mes actes, mes silences et mes abstentions, à laisser subsister un climat qui fait de la femme l’épicentre du problème mis en lumière désormais, j’ai été un porc.

Alors oui, je l’admets : j’ai été un porc. Reste maintenant à transformer cette prise de conscience et à ne plus sombrer dans la facilité et la lâcheté d’être un porc.

Mesdames, n’ayez pas honte. Continuez à montrer que ce problème est un problème de société. N’ayez pas honte, car ce n’est pas à vous d’avoir honte. C’est à tous les porcs ; c’est à tous ceux qui n’ont pas encore pris conscience que, d’une façon ou d’une autre, ils ont été des porcs.


•Sissi Delmas•

À huit ans, des gamins de mon école m'ont encerclée pour m'obliger à en embrasser un autre.

À dix ans, un gosse d'un an de plus que moi m'a jetée au sol et m'a forcée à regarder son pénis. Le lendemain, nous allions à Disneyland Paris et il a profité des attractions pour me faire des attouchements.

À seize ans, un responsable d'une formation que je suivais m'a harcelée par messages. Encore un de ces gars qui doit se raser toutes les heures sous peine de ressembler à un putain de mammouth, la comparaison avec l'ours étant encore trop gentille vu son poids. Des perles de cruauté ont émané de sa lourdeur, du genre « Je suis sûr que t'es tellement mouillée que c'est une piste de bobsleigh en bas » ou encore « Si tu bosses bien, je te mettrais peut-être un 20/20 en suçage de bite ». Personne ne l'a jamais su.

À vingt-trois ans, un inconnu est entré dans MON lit, dans MON appartement, alors que j'y dormais complètement saoule. Viol. Mais bon, ça doit être de ma faute aux yeux du monde... C'était quoi le prétexte cette fois ? Ma robe trop courte qui virevoltait dans la soirée ? Mon regard de braise qui suinte le cul et qui aguiche n'importe qui ?

Les situations que j'ai vécues auraient pu se passer dans n’importe quelle famille, dans n'importe quelle classe. Mais si mon témoignage peut favoriser une certaine prise de conscience autour de ce fléau qu’est l'agression sexuelle, ce sera déjà ça de gagné. Il faut absolument que les parents arrêtent de fermer les yeux, de pratiquer la politique de l’autruche par rapport à ce qui se passe autour d’eux, dans la cour des collèges, au sport, dans les soirées, les lieux publics. Aujourd’hui, le sexe brutal et non consenti n’est plus aux portes de nos villes, il y est rentré et est absolument partout.

Certaines doivent "simplement" subir des réflexions désobligeantes. Des regards appuyés pour leur dire "vous êtes belles", mais ce qu'on voit et ce qu'on entend dans notre tête quand on a vécu un traumatisme c'est juste « Cours, loin, et t'as intérêt à aller vite salope. » Il ne restera pas assez de vous, en tant que substance de l'âme humaine, pour ressentir encore quelque chose de sensé après une telle agression.

Après il y a aussi le stress de rentrer seule, on met ses écouteurs, capuche sur le crâne, on avance d'un pas assuré mais à chaque personne croisée on s'imagine le pire et la psychose recommence.

Je ne dénonce personne, aucun nom (même parmi les anciens de Kadic) ne sera balancé ici et les raisons de cela m'appartiennent. Mais je pourrais être ta fille, ta sœur, ta mère, ta copine, ta meilleure amie ou la fille que tu as croisée un jour en cours. Souviens-toi en.


•Jean-Pierre Delmas•

Suite à la vague de #metoo et #balancetonporc, j'aimerais apporter ma pierre à l'édifice. Pas pour confisquer la parole - surtout, mesdames, continuez à vous exprimer, à dire ce qui se passe - mais parce qu'on a tous besoin que les mentalités évoluent.

Tous les hommes qui réagissent aux posts de mes amies sont étonnés, choqués, tristes ou dégoûtés. Mais ne devrait-on pas tous faire une petite introspection et se questionner soi-même ?

Je m'explique. Personnellement, il m'est arrivé d'être ce "porc". Ca fait des années que je m'en suis rendu compte, et je pense que je n'agis plus et n'agirai plus ainsi, mais je reste vigilant.

Quand j'avais 13 ans, j'ai mis la main aux fesses d'une fille devant moi, dans la file d'une caisse de supermarché. Et à l'époque, j'en étais content. J'en étais même tellement content que je l'ai balancé avec une pointe de fierté au milieu d'une discussion, des mois plus tard. Petit con.

Plus tard, quand j'étais avec ma première copine, par une nuit arrosée on a voulu essayer la sodomie. (Pour info, n'essayez pas par une nuit arrosée : ça n'ira pas et ça fera juste mal.) Elle m'a dit une fois non, j'ai arrêté... Mais quelques minutes plus tard, j'ai voulu réessayer. On était tous les deux partants pour du cul ; juste pas de la même façon. Ce n'est que quand elle m'a redit non, en pleurs, que j'ai arrêté. Il n'y a pas eu pénétration, mais pas loin. Bon, la situation était sur le moment un poil plus complexe que ça, mais dans l'ensemble c'est l'idée. Sur le moment, je n'ai pas compris que c'était un viol. C'était juste un désir inassouvi, un manque d'écoute de ma part, une erreur passagère aidée par l'alcool. Mais c'est bien plus. Je ne sais pas si elle l'a compris non plus, je ne sais pas si elle l'a verbalisé ainsi depuis. Personnellement, je ne l'ai fait que quand on n'était plus ensemble, après avoir été pas mal sensibilisé au combat féministe.

Si vous vous posez la question, oui je m'en veux toujours, des années plus tard. Je ne lui en ai jamais parlé de vive voix, parce qu'on ne se voit vraiment plus beaucoup d'une part, et parce que je ne sais pas comment aborder la chose d'autre part. Si tu t'es reconnue, sache qu'un jour j'aimerais te (re)demander pardon. En toute connaissance de cause, cette fois.

Je n'ai pas écrit tout ça juste pour déballer mon expérience. J'ai écrit ça parce que je ne me suis jamais considéré comme un connard en général, ni aujourd'hui ni à l'époque. J'ai toujours trouvé normal d'exiger le respect, la parité des salaires, la possibilité pour une femme de s'habiller comme elle l'entend, et si elle le veut de baiser sans être prise pour une salope. Toujours trouvé anormal qu'on commente les fringues ou la coupe de cheveux d'une présentatrice alors que ces commentaires sont quasi inexistants quand il s'agit d'hommes. Pourtant, être convaincu de tout ça, ça n'empêche finalement rien.

Le premier exemple est là pour signaler que c'est un combat de tout instant, qu'il faut parler aux enfants/ados et leur expliquer clairement ce qui n'est pas tolérable. Parce que je suis persuadé de ne pas être le seul à avoir fait ça, ou quelque chose d'approchant ("Eh, t'es mignonne !" gueulé à 2h du mat' en rentrant de soirée, c'est pas glorieux non plus). En fait, je sais, via les histoires d'amis, ou ce que j'ai pu observer, que je ne suis pas le seul.

Le deuxième exemple est plus difficile à aborder. Mais mesdames, parlez de féminisme à vos amis, à l'oral ou en partageant des articles sur Facebook. On apprend tous. Parmi vos amis, sans doute que certains réaliseront certaines choses et changeront certains comportements. Pourvu qu'ils soient de plus en plus nombreux.

Messieurs, regardez derrière vous et posez-vous sincèrement la question. Peut-être (j'espère) ne trouverez-vous pas d'expérience similaire à la deuxième... Ni même à la première oû j'agrippais "simplement" les fesses d'une fille. Peut-être que tout ça date, peut-être que vous êtes au-delà de ça, peut-être que vous vous êtes pardonnés ces écarts de votre adolescence... Mais finalement, êtes-vous sûrs que tout ça ne concerne vraiment "qu'une minorité d'hommes" ? Car peut-être aussi, qu'avec le recul, vous finirez par vous rendre compte que certains comportements, en soirées ou non, posent problème. C'est d'une prise de conscience collective dont on a besoin. À Kadic, le changement c'est maintenant.
  Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 03 Oct 2017 19:08   Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth
Spoiler



Chapitre 3 (Partie 1)
~
Trente-quatre kilos d'espoir


Un vacarme insupportable provenait d'une énorme machine placée dans le fond d'une salle plus obscure que le fond de la trompe d'un éléphant. Des jets de vapeur s'échappaient par moments d'un tuyau émettant un sifflement aigu. Un feu brûlait derrière une vitre épaisse située au centre de la machine infernale en produisant un son digne des plus grandes forges existantes à ce jour. Un jeune homme se tenait penché au-dessus d'une écuelle en verre, le front perlé de sueur. Maniaque comme il était, il ne pensait plus qu'à une chose qui l'obnibulait dans sa vie actuelle. La crasse. L'immonde crasse qui l'entourait quotidiennement, c'est sans doute cela qui lui pesait le plus. La chanson de Britney Spears, l'inoubliable Gimme more, jouée à plein tube dans la cache contribuait à la déchéance la plus totale du garçon le plus prometteur du régime... jusqu'il y a quelques semaines du moins. Aujourd'hui, le prestigieux Belpois n'était plus rien. Celui qui s'était allié auprès de la reine face à la rébellion de plus en plus oppressante se retrouvait plus bas que terre. Le visage et les membres couverts de matière fécale, il avait bien piètre allure dans la sordide cellule dépourvue de lumière qui avait spécialement été aménagée pour le recevoir. Le pauvre bougre passait son temps à gratter sans relâche les parois rocailleuses, jusqu'au sang, ce liquide fade mais néanmoins nourrissant qu'il ne se privait pas de sucer quand une goutte écarlate veinait poindre le bout de son nez.

Mais aujourd'hui, il n'avait plus la force de lutter. Il restait couché au sol, la poitrine haletante, sentant les mouches attirées par la pourriture se balader sur son corps décharné. Même elles, il n'avait plus la force de les chasser. Pour tout habit, il n'était vêtu que d'un slip kangourou qui avait viré à une teinte inquiétante depuis bien longtemps et une odeur extrêmement nauséabonde s'en dégageait. Ses doigts fripés se promenaient sur sa peau pour tenter de dégager l'épaisse couche de crasse, toutes les dix secondes et demie, comme le tic tac d'une horloge déréglée. Il commençait par le front recouvert de croûtes purulentes qui suintaient joyeusement. Puis par ses joues creusées, son menton anguleux et de plus en plus bas, vers des appendices restés invisibles pour toute personne extérieure à cette bulle de l'enfer.
Il pouvait parfois sentir l'air frais qui provenait du plafond, une caresse du vent sur son nez cassé, mais la voix de Britney l'empêchait de profiter de ces rares moments de plaisir solitaire. Les ongles usés jusqu'à l'os, il s'amusait à trouver les petits interstices qui se dissimulaient dans le sol glacial. C'était un passe-temps bien dérisoire... Mais un passe-temps tout de même, qui l'empêchait de sombrer encore un peu plus dans la folie.

Monsters don't sleep under your bed, they sleep inside your head.

Il y a autant d'atomes dans une seule molécule de notre ADN qu'il y a d'étoiles dans une galaxie ordinaire ! Et cela vaut pour tous les êtres vivants... Et à quoi ça t'avance de savoir ça mon petit Belpois ? Maintenant que ta meuf se fait sauter par un autre, que tu as laissé tomber tes amis et que tu es retenu en otage comme l'immonde cancrelat que tu es, qu'est-ce que tes brillantes connaissances scientifiques vont bien pouvoir t'apporter ? Ça va te libérer peut-être ? Pouvoir manipuler un supercalculateur, c'est bien. Pouvoir s'échapper d'une situation toxique, c'est mieux.

En un ultime relent d'énergie, il se leva et s'élança dans les airs de toutes ses forces restantes. Comme chaque jour depuis son arrivée, il tenta d'atteindre la trappe qui devait être placée à plus d'un mètre de son crâne dégarni. Les bras tendus à leur paroxysme, il s'efforça de parvenir à un résultat. Bougeant ses extrémités dans tous les sens pour parvenir à la liberté tant espérée. Au bout de quatre essais, sa jambe gauche se déroba sous son poids dérisoire. Sa tête heurta le sol de plein fouet et sa respiration fut coupée net, comme s'il s'était pris un violent coup de poing dans l'estomac. Il n'avait qu'une envie : pleurer. Que les larmes coulent enfin.

Que les larmes coulent enfin, après toutes les privations qu'il avait subies. Le manque de nourriture, de sommeil, d'eau potable,... Que les larmes coulent enfin, après toutes les images qui avaient été projetées sur cet immonde drap blanc qui occupait le mur le plus étroit de la cache. Seule source de lumière, ponctuelle, les séances cinéma sournoisement orchestrées. Des séquences dignes du meilleur film porno, avec un ancien boutonneux et une créature de rêve en acteurs principaux. Les formes d'Aelita, qu'il avait toujours secrètement rêvé de découvrir, étaient enfermées dans une pellicule qu'il ne détenait pas, mais qu'on lui projetait de temps à autre pour lui rappeler qu'elle ne lui appartiendrait jamais. La capsule vidéo insidieuse du couple avait été fragmentée en plusieurs parties, Jérémie en avait découvert trois jusqu'à présent. Il n'était pas certain de ce qu'il voulait pour la suite, en voir plus ou s'arrêter là ? De toute façon, son destin n'était pas entre ses mains, loin de là... Quelqu'un d'autre déciderait pour lui. Et ça agaçait profondément le génie, lui qui avait toujours eu l'habitude de tout contrôler.

La première fois qu'un extrait explicite de la relation Pichon-Stones lui avait été montré, Jérémie avait littéralement pété les plombs. De revoir une luminosité aussi forte après des jours de captivité obscure tout d'abord. Mais surtout de voir sa chère et tendre... dans les bras d'un autre, pour parler proprement. C'est là qu'elles étaient arrivées pour la première fois. Les larmes, ces eaux de la souffrance humaine qui noyaient inlassablement Jérémie dans des abysses aussi inédites que terrifiantes. Le blondinet avait rapidement essayé de détruire ce qu'il voyait, ce qu'il avait d'abord pris pour un écran, voire un drap blanc, avant de réaliser que l'image était juste encadrée par un fond clair et simplement projeté sur le mur qui lui faisait face. Il avait donc bêtement boxé la paroi animée d'un enchevêtrement de corps pendant une vingtaine de secondes avant de réaliser son erreur. Une fois le projecteur localisé, il avait là aussi tenté de l'éradiquer mais c'était mission impossible car l'appareil était fixé au plafond de la cache et aucun projectile n'était disponible pour jouer à Angry Birds, l'objectif étant bien évidemment de détruire la source du film cochon. Torture psychologique pour le petit Jérémie lors de cette immersion virtuelle, ratée comme toutes les premières fois de l'informaticien. Cette manipulation, si elle avait pu s'avérer efficace lors de la première minute, s'était vite retournée contre l'ex cinéaste pro. Car Belpois s'était très vite désintéressé des positions du duo au QI épatant pour mieux visualiser la cage souterraine dans laquelle il était détenu. On aurait dit une sorte de container, un peu comme le préfabriqué qui leur servait de cantine à Kadic. En plus petit, sans chaise ni table et encore moins de Rosa accueillante bien évidemment. Mais les parois grisées semblaient être les mêmes... en plus solide, surtout que celles-ci étaient entourée de terre gorgée de sang et de pisse d'anciens combattants. Comme un peu partout en Europe d'ailleurs, que celui qui trouve une parcelle vierge me jette la première pierre.

L'ancien leader des Lyoko-guerriers avait aussi réalisé à quel point son hygiène était déplorable. S'il avait au préalable prévu de réserver un coin de la pièce pour se libérer de tout ce qui pouvait s'échapper de son corps, il avait vite réalisé que c'était très difficile de s'organiser dans l'obscurité la plus totale. Et, de fait, de la merde se retrouvait un peu partout, que ce soit en traînées sur le sol ou même sur le bas de certains murs.

Mais ce qui l'inquiétait le plus dans tout ça, c'était son poids. La seule information qu'il possédait sur son état de santé. Sans rien bouffer ou presque, le peu de graisse qu'il possédait auparavant avait entièrement fondu. Une perfusion solidement accrochée à son bras droit le reliait à une machine qui affichait un tas de chiffres dont il ne comprenait rien. Mais, en haut à droite, en vert clignotant dans le noir, c'était son poids. Il en était sûr. Au début, il y a une éternité donc, ça affichait 49. C'était descendu à 34, pas la peine de préciser que tous les os de son corps ressortaient atrocement sur sa peau blème. Malgré la perfusion, il avait quand même la chance d'avoir une liberté de mouvement de quelques mètres. En effet, le tube qui le reliait à l'étrange machine était souple et long, ce qui était bien pratique dans cette situation. Il lui fallait donc déjà faire beaucoup d'efforts pour le tendre complètement.
Un bruit interrompit le cours de sa réflexion. Il mit ses pensées en veille et tendit l'oreille. Parfois, quand cette bitch de Britney voulait bien se taire, il entendait une voix douce, chaude, qui contrastait grandement avec le froid de la cache.

Dis, quand reviendras-tu ? Dis, au moins le sais-tu ?
Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère, Que tout le temps perdu ne se rattrape plus...


Tout le temps perdu ne se rattrape plus, cette phrase lui parlait tellement. C'est en se retrouvant enfermé que Jérémie réalisa qu'il était passé à côté de sa vie. Une adolescence morose, entièrement dédiée à une fille qui l'avait bien vite remplacé ! Comment Aelita pouvait-elle lui faire ça !? Après tous ces moments de complicité, de lutte acharnée, de joie, de peur mais surtout d'amour qu'il avait partagés à ses côtés. Mais plus Belpois y pensait, plus il se persuadait que le sens unique était là depuis le début. Comment une créature de rêve aux formes généreuses et aux yeux émeraudes avait-elle pu être attirée par lui ? C'était juste... illogique. Et maintenant Hervé. Était-elle condamnée à utiliser tous les mecs dotés d'un cerveau à la place de la traditionnelle bite, ce fameux pénis qui doit se retrouver au centre des priorités de ces messieurs ? Enfin, vu les images, Pichon pouvait très bien mettre ses neurones en mode off le temps d'une bonne partie de jambe en l'air. Le premier petit-ami d'Aelita, lui, en était incapable. Du moins, lors des années kadiciennes. Car désormais, Jérémie ne vivait plus que pour une seule chose. Sa seule motivation, le seul coussin confortable sur lequel il voulait s'appuyer à sa sortie, c'était Aelita. Mais là, une fois de plus, il parlait encore trop gentiment. Ce qu'il voulait vraiment dans le fond...

« La posséder, hurla Belpois d'un râle rauque à souhait, la baiser jusqu'à l'os au moins une fois dans ma vie ! »

L'informaticien se laisse retomber sur le sol. Le sursaut d'énergie était déjà parti. Fini. Disparu. Il retrouva le noir pour toute compagnie, ces ténèbres aussi enjôleuses que dévastatrices...



http://media.codelyoko.fr/download/rub/xana/mini_terre.jpg



Bonsoir chers concitoyens ! Tout le monde sait à quel point ma famille et moi-même adorons Veelox, nous sommes cloisonnés en dessous du dôme depuis que mon cadet est né ou presque et il va déjà bientôt fêter ses sept ans. Nous avons vécu des tonnes de bons moments ici, nous avons vu la cité changer, nous avons vu nos bambins devenir de grands bonhommes dans les allées du parc... Aujourd'hui était une journée classique. Une journée comme on en vit depuis sept ans que l'on vient, une visite banale pendant un jour un peu frais. Nous étions avec nos deux garçons et un de leurs copains quand mon plus grand et Monsieur décide d'enfin passer le pas en testant les poissons du docteur Yu. Je les laisse là, sa mère et lui, pour continuer avec mon cadet de six ans, Brice, et son petit-ami. Eh oui, on les oriente sexuellement dès leur plus jeune âge pour éviter la surpopulation qui menace notre bulle de verre. Désirs de la reine pour la destinée de mes enfants, et vous savez comme moi que ses volontés sont importantes pour notre monarchie. Si on n'écoute pas ses conseils (j'évite le mot ordres qui ne me semble pas approprié à la situation), le dôme s’effondrera et l'enfer extérieur deviendra une réalité. Et là, on se rendra compte que c'était mieux avant. Ce genre de certitude, on l'a une seule fois dans sa vie. Au moment de mourir.

Trève de digression, revenons à mon histoire. Nous continuons le long de la Ruelle des Archers, je les laisse jouer une minute près de la cascade – sur les grosses pierres qui permettent de faire la traversée sur l'eau – le temps pour moi d'aller voir les prix du temple des plaisirs insidieux. Une minute plus tard, j'entends pleurer et en me retournant, catastrophe : je vois Brice totalement plongé dans l'eau jusqu'au cou entre deux pierres. Je cours le sortir de là, il pleure, il a froid. Je le prends, je retourne au cabinet du docteur Yu, je me ridiculise à vider 3l d'eau dans ses bottes, j'enlève ses chaussettes pour qu'il ne meure pas de froid, je l'enveloppe de ma doudoune. Tout d'abord, la gentille madame du cabinet me propose un sac pour mettre les vêtements du petit. Ma femme sort, nous nous disons qu'il faut rentrer à la maison vu la situation, notre petit pleure parce qu'il adore le centre de Veelox, que c'est sa journée préférée de toute la semaine et qu'on venait à peine d'arriver. Encore une fois, la madame du cabinet nous sauve en nous disant de nous rendre à l'infirmerie, qu'on pourrait peut-être nous aider avec les objets perdus. Ma femme part donc avec mon petit dans les bras, en pull et jambes toutes nues, enveloppée dans la doudoune.
Sur le chemin, il arrête une voiturette du parc car le petit est frigorifié et trop lourd à porter. 26kg sur des centaines de mètres c'est horrible, moi-même je ne peux le porter de peur de me blesser, ce qui serait un drame pour notre société. Un écrivain de mon ampleur en incapacité de travail alors qu'il est sur le point d'écrire son dernier texte, celui que vous êtes en train de lire avidement, cela aurait été dramatique.

Bref, le jeune monsieur qui appartenait à une de ses bandes prétendument "affreuses" accompagne gentiment mon petit trempé jusqu'à l'infirmerie, à bord de sa voiturette qui avait plus l'allure d'un large scooter à quatre roues après réflexion. Là-bas, en plein centre de la place soi-disant "dangereuse à souhait" si l'on en croit la pétition de Delmas, une gentille madame prend directement en charge le blessé. Brice s'est ouvert le coude, rien de grave, l'entaille n'est pas profonde et aucune aiguille infectée ne traînait dans le coin... contrairement à ce qu'on a pu dire. Patiente et attentionnée, la dame qui me dit s'appeler Yolande se met à fouiller dans ce qui reste des vêtements abandonnés, elle lui trouve un t-shirt, un pull et une veste à sa taille ou presque. Pour le pantalon, rien qu'un pantalon d'adulte : monsieur "le voyou", bricoleur, attache le pantalon avec sa ceinture et le bloque dans les bottes du petit qu'il a réussit à sécher complètement.
Quand je retrouve enfin mon cadet sobrement habillé, Brice me court dans les bras, un sourire jusqu'aux oreilles. Yolande a sauvé sa petite excursion dans le centre de Veelox alors que c'était lui qui avait été maladroit tout de même. Elle aurait pu ne rien faire, elle aurait pu ne pas essayer, tout le monde aurait pu nous dire qu'il n'y avait rien à faire ou d'aller acheter des vêtements à vendre dans une boutique de luxe des grands boulevards. Mais non, on a pris le temps de l'aider avec les moyens du bord. Et pour le consoler, on lui a même offert une magnifique sucette géante avec un splendide œil gravé dessus, son nouveau trésor.

Désolé pour ce pavé. Je doute que beaucoup auront eu le courage de lire toute notre aventure mais j'avais envie de la raconter parce que c'est ça aussi Veelox. C'est une cité rempli de gens qui s'occupent bien de ses citoyens, comme de ses animaux et de ses plantes, et on trouve, particulièrement dans le centre si dénigré, une tonne de gens qui ont un cœur grand comme ça. Les arbres chevelus se confondent avec les créatures roses, voire cramées, que nous sommes et c'est sans doute ça qui fait notre force : un régime sain dans un dôme sain. « Dire », c'est transmettre des informations sur l'objet dont on parle, mais c'est aussi « faire », c'est-à-dire tenter d'agir sur son interlocuteur, voire sur le monde environnant. Si vous ignorez délibérément les paroles des rebelles, vous posez déjà un acte important. Privilégiez la vérité, comme celle de la petite histoire que je me suis permis de vous raconter aujourd'hui... et tirez-en les leçons adéquates.

Je n'ai donc qu'une chose à vous dire. Enfin, plutôt trois. Premièrement, les lieutenants de la reine excellent dans leurs responsabilités respectives. Certains qui finissent par nous reconnaître et avec qui on papote à chaque fois, certains qui se baladent dans les quatre coins de Veelox et qui vous disent bonjour juste pour être gentil, certains qui font coucou aux enfants impressionnés de leur voiturette de super-héros.. et puis d'autres qui sont de vrais super-héros, de vrais qui sauvent des petits garçons maladroits alors qu'ils auraient pu juste ne rien faire. Ça peut avoir l'air de rien comme ça mais un événement pareil dans la vie d'un petit bout d'homme c'est énorme et ça compte beaucoup. Et moi, quand on sauve mon petit rayon de soleil, j'ai envie de crier à la monarchie entière un énorme MERCI ! Merci d'être qui vous êtes et merci pour nous avoir aidés une énième fois.

Du coup, lorsque nous passerons par là à nouveau, je leur amènerai ce que j'ai comme vêtements trop petits ou en trop ou ce que je peux récupérer en allant tout droit à l'infirmerie. J'encourage aussi tous les parents à le faire. Parce que je suis sûr que je ne suis pas le seul à qui c'est déjà arrivé. Parce qu'il y a ceux qui tombent dans l'eau, ceux qui sont plus petits et qui ont des petits accidents ou je ne sais pas ce qu'ils pourraient encore inventer. Il ne doivent pas être des milliers mais ça arrive et ça serait trop bête de ne pas pouvoir sauver la journée d'un autre enfant un jour. Brice tenait vraiment à vous dire merci et nous aussi !

Deuxièmement, n'hésitez pas à encourager vos enfants à joindre la bannière, à se mettre au service de nos biens-aimés lieutenants qui préservent l'équilibre de notre belle cité. Dès douze ans, ils peuvent se former. Et je peux vous dire, une fois qu'on est briefé militairement parlant, on obtient vite des couilles de taureau radioactif. J'ai fait mon service militaire et, sincèrement, je ne le regrette pour rien au monde. C'est dans ces moments-là qu'on se sent pousser des ailes et qu'on sent monter le pouvoir dans nos veines. Le vrai pouvoir.

Bon, désolé pour ceux qui sont lassés par la longueur (c'est pourtant plus court que mon autobiographie qui vient de sortir !), mais j'ai toujours ma troisième chose à dire, la plus importante mais je terminerai sur ce point, c'est promis. J'ai décidé de quitter Veelox pour quelque temps. Ne me demandez pas comment je vais quitter le dôme, je n'en sais rien. Seule la reine en a le pouvoir et elle va me l'accorder, bien que ma mission soit périlleuse. Une fois la paroi translucide franchie, je compte bien recruter nos nouveaux Numéros, ceux qui vont combattre ces enculés de rebelles. J'irai parler à leurs familles respectives, le baratin habituel de la grande aventure à l'autre bout du monde, mais surtout n'oubliez pas cette règle essentielle. Si vous êtes amenés à rencontrer nos nouvelles recrues, ne jamais parler, en aucun cas, de leur passé.
Ça pourrait les... détraquer. Voyez, quand les Numéros arrivent dans notre cité, c'est normal pour eux de penser qu'ils ont toujours vécu ici. Qu'y ils ont passé leurs enfances mais que la vie, leur vie, a dérapé. Alors, ils se retrouvent à la rue... et nous sommes là pour les « sauver ». N'évoquez jamais les détails de Veelox avec eux, ils en connaissent juste assez, juste ce que nous avons besoin qu'ils sachent. Aucune initiative avec nos Numéros donc, contentez-vous de les dorloter, ou pas, jusqu'à ce que nous les saisissons. Et pour ce qui est des rebelles, il est de mon devoir de vous informer qu'Elisabeth Delmas a rejoint leurs rangs. Après sa piètre pétition, il est clair qu'elle n'est plus de notre côté. Si elle ose se pointer en rue à la vue de tous... Hum. Offrez-lui des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas... Non j'déconne, égorgez-la. Ou alors, violez son gosier en l'étouffant bien profond avec vos grosses queues jusqu'à ce qu'elle rote du sang, c'est tout aussi drôle...

Fin de la transmission.

Votre dévoué,
James Finson



Klotz sourit en dactylographiant les dernières lettres de ce long message. F-I-N-S-O-N. Comme si ce lourdeau allait partir en mission suicide au-delà du dôme... Il reposait plutôt les quatre fers en l'air dans la demeure des Delmas, mais ça seule la Reine le savait. Et lui. Une main squelettique se posa sur l'épaule de Hans. C'était Elle.

« Tu as bien travaillé, minauda la souveraine en lui accordant un regard étrange mêlé d'une sorte de fantaisie mal placée et d'une étincelle de folie, ton scénario est crédible. J'ai toujours su qu'un psy s'apparentait plus à un redoutable manipulateur qu'à un simple conseiller.
-Plus personne ne s'inquiètera de l'absence médiatique de Finson ma Reine. Il était temps pour lui de céder sa placer à notre nouveau grand Écrivain, renommé du nord au sud de Veelox.
-Exactement. Et moi, j'ai besoin d'un remplaçant pour mon secrétaire-scénariste préféré. Excellent ce gars, vraiment, mais il en sait beaucoup trop malheureusement. »

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Hans Klotz alla rejoindre Finson au pays de la pourriture, l'au-delà.



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« Papaaaa, je suis rentrée »

Au moment où Sissi termina sa phrase, elle réalisa qu'un « Ploc Ploc » inquiétant résonnait dans la demeure familiale. Comme si... Est-ce que son père s'était encore amusé à inonder la maison en ouvrant le fameux robinet près de son bureau ? Inquiète, elle avança d'un pas prudent. Et c'est là que l'impensable se produisit. Elisabeth s'effondra, harassée par une sérieuse douleur à la cuisse gauche. Fulgurante, intense et surtout extrêmement douloureuse. La tête de Sissi heurta le sol violemment et elle eut soudain envie de se laisser aller, de tomber dans les vapes comme la situation l'exigeait. Mais elle ne pouvait pas laisser tomber. Pas maintenant. Alors que son bras droit s'était inconfortablement retrouvé en dessous de sa poitrine, elle réussit à le dégager et pivota jusqu'à se remettre sur le dos grâce à la force de son poignet. C'est là qu'elle put observer les dégats en relevant péniblement le crâne vers la plaie béante qui venait de se former au sommet de sa cuisse gauche.

Une tache sombre commençait déjà à souiller son jeans Levis au moment où Sissi réalisa qu'une arme venait de lui transpercer la jambe. Une... flèche ?! C'est en tout cas l'objet ensanglanté qu'elle remarqua à deux pas de sa position. Prise de panique, elle tenta d'inhaler de l'air frais mais tout ce qui arriva à ses narines fut une odeur pestilentielle de renfermé, de pourriture, de... De mort. Non, elle se faisait des idées, il fallait qu'elle se reprenne. Tout d'abord, cette flèche ne l'avait sûrement pas transpercé entièrement sinon elle l'aurait senti passer plus que ça. Bien sûr, elle avait mal... mais ça aurait pu être pire, bien pire. La pointe aiguisée avait sans doute dû ricocher contre sa graisse ou un os ou... la chair tout simplement ?

« Stop, murmura-t-elle en caressant doucement la zone blessée pour essayer de visualiser tactilement l'étendue de la blessure, arrête de te prendre la tête. Concentre-toi, recentre-toi. »

Elle tenta calmement de s'asseoir en se servant du mur le plus proche, tout en étant dans un état proche de la somnolence, comme si le mal qui la rongeait l'anesthésiait totalement. Du côté le plus étroit du hall, Sissi focalisa son attention sur un petit guéridon encombré d'objets de pacotille qui se trouvait à moins de trente centimètres de sa position. Il fallait pourtant qu'elle trouve quelque chose pour se défendre. Un coupe-papier, une paire de ciseaux, n'importe quoi. Sa tête était mise à prix, elle le savait. Même ici, sous son propre toit, elle ne pouvait plus respirer en toute sécurité. Au bout d'une dizaine de secondes, elle se résigna à jeter son dévolu sur un vase d'une teinte abominable contenant des fleurs à moitié fanées. Des hortensias, les préférées de sa mère depuis toujours. Elisabeth tendit la main vers cette pseudo-arme de céramique, en vida le contenu sur le sol et camoufla le fin vase de verre dans la poche centrale de son sweat Superdry. Une tache humide se marqua instantanément sur le pull saumon mais la blessée n'y prête pas attention. L'heure était plus grave qu'une question d'eshétique. Quelqu'un venait juste d'essayer de l'assassiner. Dans la maison de son enfance.

In life you will realize there is a role for everyone to meet. Some will test you, some will use you, some will love you, and some will teach you. But the ones who are truly important are the ones who bring out the best in you. They are the rare and amazing people who remind you why it's worth it.

Ça y est, elle délirait. De larges gouttes de transpiration emplissaient son front et tout ce qu'elle savait faire c'était penser à ces stupides vidéos anglophones existant sur Internet, celles qui était censées la rassurer, elle qui vivait dans ce monde de dingue.

« Rassure-toi, aucun intrus n'est présent. »

Sissi sursauta. C'était la voix de son père. Mais il n'est pas là pourtant ! Se trouvait-il dans le salon ? Ou dans la cuisine ? L'avait-il entendue se faire agresser ? Était-il dans le coup ? Non, impossible, ça restait son père malgré tout. Et la famille c'est sacré, tout le monde sait ça !

« Tu ne rêves pas. Je suis bien là. Enfin, pas au sens propre du terme. Pour le moment, je me trouve bien au chaud dans ma petite salle de contrôle personnelle. Je suppose que tu ignorais que j'en avais une ? Eh bien voilà, ce n'est plus un secret maintenant. »

La voix grave du vieillard semblait provenir de partout et nulle part à la fois. Son ton guttural était amplifié, déformé, presque irréel. De toute façon, ça ne pouvait pas être réel. Sissi tenta de se persuader qu'elle se trouvait juste en plein rêve, dans une sombre hallucination macabre formée par son esprit. Combien de fois s'était-elle laissée avoir par ses cauchemars. Par plus tard qu'hier, elle avait cru comme une dingue à ce rêve absurde, celui où elle cherchait à tout prix à déloger le Cocopops qui s'était logé dans son oreille. Du coup, tout ça ne devait être qu'un stupide songe nocturne de plus, pas vrai ?
  Sujet: [IFSCL] Réalisation des journaux intimes!  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 03 Oct 2017 12:56   Sujet: [IFSCL] Réalisation des journaux intimes!
Citation:
Donc par exemple, si insulte il devait y avoir, ça n'irait pas plus loin que...abruti ?


Outch... Pour moi, abruti n'est même pas une insulte Mr. Green Le projet est intéressant mais ça va sans doute être compliqué de trouver des volontaires vu que le style actuel de l'ensemble du sous-forum est plutôt... mature, dans le meilleur des cas dirons-nous. En terme d'auteurs encore "actifs" qui se rapprochent vraiment du DA dans l'écriture, j'ai intuitivement pensé à ombeline mais il y doit y en avoir d'autres (peut-être inactifs depuis plus d'un an aussi). C'est toujours possible que certains auteurs décident de la jouer soft pour remplir cette mission mais dans mon cas... je pense que j'en serai incapable, disons que ça ne viendrait pas naturellement. N'hésite pas à travailler avec le Pôle qui pourra peut-être te conseiller telle plume plutôt qu'une autre pour ces journaux.

Courage pour la suite de tes programmations !
  Sujet: Symétrie lyokoïque.  
Tazz

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MessageForum: L'animé Code Lyoko   Posté le: Ven 22 Sep 2017 15:38   Sujet: Symétrie lyokoïque.
Illuminations ? Tu devrais plutôt créer une secte lyokoïque vu ton imagination débordante à souhait...
  Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 19 Sep 2017 15:24   Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth
Spoiler



Annexe 1 ~ Insidieux Poison qu'est l'Écriture



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« Copier et puis coller avant de publier à nouveau en écrivant à la fin vos noms et prénoms. Merci à la population responsable.

........PÉTITION........

Veeloxiens et toutes autres personnes fréquentant de près ou de loin notre belle monarchie.

Les citoyens de notre belle cité sont tristement spectateurs d’un trafic de drogues très actif un peu partout dans la ville ainsi que de vols depuis plusieurs temps.
Des plantations de drogues sont mises au soleil à vue de tous et toutes et se trouvent à l'arrière de bâtiments qui donnent vue sur la Ruelle des Fantassins. Les trafiquants agissent impunément à la vue de tous. Ils prennent possession dès la fin de matinée jusque dans la nuit de la belle place ainsi que de la gare ou encore de la Place du Casino. Ils sont alcoolisés et drogués du matin au soir où ils s’échauffent régulièrement et se battent souvent, quand ils n'agressent pas physiquement la population sur leur pas de porte. Et après ils se disent victimes de harcèlement. Allez comprendre... mais, plus que tout, surveillez vos proches. Tout un chacun peut être amené à basculer du côté obscur, celui des dépeceurs. Leur mission numéro un à tous ces enfoirés ? Titiller les jeunes dans leurs tréfonds odieux. Les exciter, des vrais requins qui bandent à la vue de la moindre goutte de sang. Et ces nouvelles recrues dans ces organisations criminelles, ce sont les enfants. Vos enfants ! Demandez à la famille Della Robbia, ils ne s'attendaient pas à ce que leur fils, l'unique garçon de la famille, se transforme en enculé de première. C'est sans doute bizarre de se dire que ces mêmes personnes à qui vous tenez énormément (vos frères, sœurs et amants) finiront un jour par vous faire beaucoup de mal. Mais c'est la triste réalité, les rangs des délinquants grossissent de jour en jour, au détriment d'une qualité qui était pourtant autrefois assurée.

Des vols et détériorations sont de plus en plus fréquents tandis que des biens publics et privés sont en permanence mis à mal. Le Kiwi Bleu en a déjà fait les frais, ainsi que du vol de stock pour le domaine de la métallurgie, délits de fuite après avoir percuté des véhicules, ainsi que la détérioration de devantures de maisons, heureusement qu'il n'y avait pas un de nos enfants qui vaquait là en tout bien tout honneur. Sans parler des nombreux problèmes que les groupuscules organisés provoquent dans les différentes entreprises et maisons closes réputées, tel qu'au Night and Day. Pourquoi menacer de fermeture un commerce à cause de perturbateurs ? Car le problème ne va pas s'arranger en punissant les travailleurs, mais en éradiquant ces individus nuisibles​ qui n'apportent que désordre. Les lois ne doivent pas se retourner contre les justes mais bien sur les parasites qui rongent sans relâche les fondements de notre société si triviale. Il est impératif de dénoncer tout comportement suspect qui serait amené à dériver un jour ou l'autre. Tuer dans l'œuf la moindre anomalie, la plus infime différence pour obtenir un monde uniforme au possible. La délation, c'est la promotion ! La promesse d'un avenir meilleur !

Nous ne pouvons plus passer sur ce que les voyous ont acquis comme un territoire sans subir des réflexions de type dragues lourdes, insultes sexistes voire racistes ou des invitations à la consommation de drogues. Ils vont jusqu’à occuper la devanture de la commune où ils fument, boivent, dealent, urinent et crachent un maximum pour marquer ce bout de terre qu'ils occupent jour et nuit, des vrais crevards qui s'amusent sur leur terrain de jeux favori. La rue. Qui est devenue une jungle sans foi ni loi depuis que les lieutenants de la reine s'en détournent, ils ne voient que ce qu'ils veulent bien voir ces biens-aimés fonctionnaires... Quand ce n'est pas dans le centre que les dealers se retrouvent, c'est dans un des jardins qui se trouve le long de la Ruelle des Lamentations où les malfrats crient, fument leurs joints, boivent des absinthes à répétition et violent à tour de bras. Répandant ainsi le tristement célèbre VIH-3...
C'est le pire mais il faut aussi citer tous les autres délits. Ils détériorent nos immeubles, nos places, nos cours, cela est bien plus grave que des poubelles sorties trop tôt ou des nuisances sonores dues à une fête de quartier. De plus, ils laissent le soin à nos employés municipaux ou d’immeubles de nettoyer leurs urines, déchets et autres preuves de leurs crimes malsains. Tout cela avec un plaisir sordide bien enfoui au fond de leurs torses poilus bien entendu.

Les Veeloxiens ont peur de traverser la place et de se promener tranquillement.
Nous ne savons pas qui nous trouverons sur notre chemin ou ruelle ?
Les forces de l’ordre ne contrôlent pas cette situation qui s’installe et s’agrandit. Je me demande si le conseil d'administration prend au sérieux cette situation qui se dégrade de jour en jour. Et qui malheureusement n'a toujours pas engrangé de solution à ce jour.

Nous ne pouvons pas nous laisser faire et empêcher nos enfants de grandir sans cette liberté de circulation dont nous jouissions auparavant à Veelox. Nous ne pouvons pas laisser nos grand-mères, nos parents et enfants être apeurés à l’idée de sortir de chez eux. Nous ne pouvons pas laisser l’animosité interculturelle monter.
L’ordre doit être respecté, nous ne pouvons pas accepter d’avoir peur. Si cela perdure, surviendront immanquablement d’autres drames, d'autres agressions sexuelles dont la reine nous fait part presque quotidiennement.

À tous nos responsables politiques et pouvoir en place, je tiens à vous informer de cette situation. Si vous signez cette pétition, nous espérons avoir une écoute et surtout une action de ces différentes instances pour assurer ordre et tranquillité à Veelox.
Cette pétition leur est bien cordialement adressée. Pour que les choses changent. Car il est grand temps.

Votre dévouée,
Elisabeth Delmas »


La ravissante femme au tailleur bien serré se dirigea vers la petite table où Delmas junior déballait soigneusement l'emballage plastique qui entourait son sandwich au poulet curry, agrémenté de crudités mais dépourvu de carottes rapées, chose qu'elle détestait au plus haut point. Se graisser le museau avec tant de maquillage, voilà comment définir Miss Elkies. Et, au vu de la mine de la sexagénaire, elle n'avait pas une bonne nouvelle à annoncer à son employée...

« On ne va pas pouvoir te garder Elisabeth. C'est plus possible pour nous, le conseil d'administration ne veut plus d'une telle situation si... ingérable. Je suis sincèrement désolée, tu faisais parfois du beau boulot malgré tout. Mais c'est comme ça, on ne peut rien y changer. Ni toi ni moi. »

En quelques secondes, le futur de Sissi venait de s'obscurcir. Une fois de plus. Cette fois, elle ne pleurerait pas. Ni bronchement ni rictus, aucun trait de son visage ne se plisserait pour exprimer une quelconque émotion. Pourtant, à l'intérieur, c'était un véritable feu d'artifice. Et pas du genre pétard mouillé, bien au contraire... Le doute, la haine et le stress se combinaient, de quoi former un cocktail particulièrement détonnant. Il y avait aussi une certaine joie bien enfouie en elle, l'issue terriblement excitante de quitter ce job tant envié mais tout aussi pourri à ses yeux n'était peut-être pas si terrible en fin de compte. Ici, elle était rabaissée, peu reconnue à sa juste valeur. Il était temps que cela change. Sans hésiter une seule seconde, elle balança le reste de son sandwich à la tête de son ex-employeuse. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire tandis que le poulet curry entrait en contact fracassant avec la robe rouge de Miss Elkies pour la souiller à jamais. Le dernier geste intelligent, c'était de rentrer à la maison. Auprès de son père adoré.




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« Du romanesque, c'est ça que la reine veut ! C'est une catégorie qui ne se confond pas avec un genre particulier, c’est une catégorie qui n’est pas proprement littéraire. On en trouve dans les séries, BD, au cinéma,… Ce que tu dois retenir, c'est que ça désigne un certain type de fiction, d’histoire. Pour les spécialistes, il s’agit d’histoires qui ont plusieurs caractéristiques. Tout d'abord, elles sont centrées sur les passions d’une façon particulière car ces passions jouent le premier rôle. Elles sont un moteur de l’histoire. Elles ne sont pas analysées dans l’histoire mais elles sont parfois au cœur même de l’intrigue. Comme dans les comédies romantiques... Et, sans surprise, il n'y a rien que je déteste plus au monde. En règle générale, le décor est réaliste mais les personnages qui y évoluent et leurs actions sont irréalistes. Le spectateur va se sentir en terrain connu, le monde est compréhensible mais l’action des personnages est déroutante. Dans le romanesque, il se passe toujours quelque chose, les aventures s'enchaînent. C’est pourquoi on le trouve souvent dans des formes longues : roman feuilleton, séries télévisées et fanfictions dans notre siècle. On termine souvent sur une scène forte pour donner envie de regarder ou lire la suite. Grand nombre de coups de théâtre dans ces histoires, c'est ça que le lecteur demande et redemande. Il y a aussi un univers très polarisé, toujours un camp du bien et un camp du mal : injustice et justice, excellence et médiocrité. L'exemple le plus marquant est sans doute la construction en miroir de Harry Potter et Voldemort, leurs valeurs sont entièrement inversées... Toujours dans cette logique de structure oppositionnelle très marquée qui s’incarne dans les personnages. N'oublie donc pas qu'il faut toujours un crevard de première qui va apporter du piment à l'histoire. Un simple méchant, c'est bien. Une vraie ordure, c'est mieux !
- C'est ça le problème avec mon roman, maugréa Delmas. Mon antagoniste principal ne ressent... aucun sentiment, pas la moindre émotion. Ni rage, ni peur, ni joie, ni égoïsme,...
- C'est un robot ton mec ou ça se passe comment ?
- Presque. C'est un programme multi-agent qui a un but vague, presque opaque mais qui s'apparenterait à une quelconque domination sur le monde.
- Original, cracha Finson en adressant à son interlocuteur un regard hautain au possible. Effectivement, ça doit être compliqué si tu ne cernes pas pleinement les diverses motivations de l'enculé de ton récit. Enfin, du moment que tu tues deux voire trois héros principaux à la fin de ton bouquin, ça devrait le faire... J'en ai vu des écrivains avec une histoire merdique du début à l'aube de la fin et la mort est donc la dernière carte à jouer. Soit ça passe, soit ça casse. »

Le rythme des mots, le mouvement des personnages et l'espace somptueusement complexe qui composait le décor dans lequel l'Auteur souhaitait mettre ses protagonistes en situation. Avec son autofiction Finson un peu bête... Quelle est vraiment la part de soi qui se camoufle dans ce type d'œuvre ? La part du vrai, la part de l'invention ? Est-ce que l'invention se nourrit du vrai ou est-ce l'inverse ? Est-il facile de créer une intrigue fictive à partir d'éléments vécus ? Ou peut-être est-il plus simple de se lancer pleinement dans le faux pour finalement y insérer quelques éléments réels... Le succès pour tout écrivain qui se respecte, c'est sans doute d'aller d'échec en échec sans jamais perdre son optimisme. Car Delmas sentait bien que chaque page créée dans l'ombre du crâne de l'inspiration était un échec. Cuisant. Le genre de défaite qui te prend aux tripes parce que t'as pas pu mettre les mots sur cette putain de situation que tu voulais décrire. Tu te retrouves alors là, comme un con, sur ta chaise rongée par les mites, devant ton bureau au bois décharné éclairé par une faible ampoule qui continue malgré tout de subsister. T'es devant ta machine à écrire, cette précieuse relique tellement utile depuis le ban de la plupart des ordinateurs du régime. T'essaies en vain d'appuyer sur les touches, faciles à manœuvrer mais légèrement bruyantes, toujours. La lettre Z manque, mais ce n'est pas grave. Elle n'a jamais été beaucoup utilisée en français de toute façon, exception faite de la fameuse conjugaison des verbes à la deuxième personne du pluriel.

« Je ne suis pas d'accord, répliqua finalement Jean-Pierre après deux longues minutes bien que Finson commençait à être habitué par ces absences à répétition. Pour moi, une intrigue ne va pas devenir génialissisme uniquement à cause des éventuels décès de l'ultime chapitre. Si c'est pitoyable, ça le restera jusqu'au bout. Peu m'importe qu'un protagoniste crève ou pas, une dorure calculée ne cachera jamais les mouches à merde qui ne manqueront pas de tournoyer autour de tout récit à chier.
- Si tu ne saisis pas entièrement les objectifs de ton antagoniste, est-ce que tu cernes au moins ceux de tes autres personnages ? Car, tu sais, ce ne sont pas uniquement de simples êtres de papier. Ceux que j'ai créés ont plus de consistance que n'importe quel humain de Veelox. Ils tournoient autour de moi, dansant leurs valses endiablées au sein de mon cerveau à toute heure du jour et de la nuit.
- C'est pareil pour moi. Mais j'ai d'énormes difficultés à les transposer dans ma diégèse. Comment couches-tu tout cela sur papier ? Aide-moi à comprendre... »

C'est vrai que tu n'es encore qu'un fade débutant, sans talent ni charisme, pensa l'ancien réalisateur qui avait toujours un malin plaisir à observer un homme torturé par des questions auxquelles il possédait toutes les réponses. C'était clair comme de l'eau de roche. Jean-Pierre Delmas, la future pupille de la monarchie, était tout simplement envieux de la prodigieuse carrière d'écrivain de James Finson. Ce dernier se délectait avidement du désespoir de son futur remplaçant tout en profitant amplement de ses derniers jours de gloire. Finson aurait pu magouiller pour reporter la sortie du premier grand bouquin estampillé Delmas mais l'écrivain star de Veelox n'était pas connard à ce point. James savait de toute façon qu'il était bien mieux que le vieillard aux traits pâles et tirés qui se trouvait devant lui. Néanmoins, son contrat avec la reine était clair à ce sujet. Il se devait de préparer la relève, sous peine de se retrouver banni à tout jamais. Et, en dehors du dôme qui recouvrait entièrement la cité de Veelox, seuls la misère et le chaos régnaient. Le purgatoire, pur et simple, voilà ce qui l'attendait au-delà de la paroi translucide. Pour éviter de se retrouver seul au monde vaquant entre les fissures de l'Enfer sur Terre, il se devait de former son descendant à la perfection. Si le premier bouquin du nouvel esclave de l'Écriture n'était pas une réussite, ils en payeraient tous les deux le prix. Le lion et le chiot aux destins scellés, quelle ironie...

Finson était néanmoins fier d'être devenu l'Écrivain. Il y avait tant gagné. Sur tous les points. Clarté d'esprit à toute épreuves, ne plus avoir la sensation d'être ailleurs sauf lors des phases typiques de « construction d'intrigue » où il s'émergeait totalement dans le monde imaginaire qu'il enviait autant qu'il redoutait. L'écriture lui procurait aussi un gain significatif en terme d'énergie en matière d'exercices physiques (plus d'endurance au lit !) tout en réduisant les pensées dépressives qui lui strangulaient le cerveau auparavant. Il avait aussi acquis une meilleure mémoire à court et à long terme, plus d'esprit et de pertinence lors des conversations. Interagir avec les gens n'était plus une corvée mais une activité plaisante puisque l'écrivain passe assez de temps seul pour apprécier les instants passés en bonne compagnie. Tout semblait décuplé : les sens, les envies, les regrets,... Une fois la dizaine de bouquins atteinte, James Finson, au lieu de se refermer, s'était ouvert au monde avec une curiosité et une passion méconnues jusque-là. La musique de la vie semble tout à coup plus mélodieuse, même si les coups durs sont encore là. En particulier la peur, l'angoisse extrême même de la Page Blanche. Chimère monstrueuse qui menace n'importe quel humain assez fou pour aller s'égarer et se perdre dans le dédale des sentiers mielleux formant cette grande ruche qu'est l'Écriture. Les autres hommes qu'ils soient vos amis ou non vous accordent étrangement plus d'attention quand vous leur dévoilez votre profession d'auteur à succès. Ces inconnus vous interpellent ou cherchent à rentrer en contact avec l'énergie créatrice que vous représentez. Une fois devenu ce fameux écrivain talentueux, vous êtes ou vous vous sentez plus intimidant et au-dessus des autres hommes. Le loup alpha. Qui regarde le reste de la meute du haut de sa superbe réussite. Si vous lisez des livres de développements personnels, de philosophie, de sport, ou même de grande littérature, vous décèlerez rapidement la moindre erreur de votre œil d'aigle acéré !

Le plus grand impact des mots sur votre vie reste la mémoire. Qui se développe, se muscle comme un biceps saillant. Vous pouvez désormais vous souvenir de détails curieux à long terme avec une précision étonnante. Vous êtes en fait plus absorbé par l'environnement qui vous entoure, relevant chaque faille du système pour les dénoncer d'une manière ou d'une autre à travers vos écrits. Le sentiment de se sentir « vivant », celui d'avoir un esprit fort et d'être capable de soulever des montagnes n'a jamais été aussi fort. Il n'est plus difficile de se lever le matin, ce temps-là est révolu. Parce que vous n'avez qu'une envie, anxiogène et fantasmatique à la fois. Vous voulez juste vous glisser devant votre feuille de papier, votre ordinateur, votre machine à écrire, pour coucher sur papier cet enchaînement de lettres qui vous a été dicté pendant vos songes nocturnes, qu'ils soient malsains ou pas. Vous vous souvenez en général mieux de vos rêves, de quoi connaître les moindres recoins de votre subconscient. Moins de temps de sommeil nécessaire pour plus de pages remplies mais ça n'altérera pas votre caractère, bien au contraire !
Ordonner vos pensées en utilisant votre stylo-plume vous rendra moins irascible, plus calme et surtout moins sensible à toute critique extérieure. Vous obtiendrez dès lors une capacité à juger plus facilement les personnes qui vous entoure, à voir si elles vous apprécient ou non, si elles cherchent à vous utiliser ou non. Vous prendrez aussi plus de temps pour ce que vous aimez réellement. Tout ce qui est film, livre, jeu vidéo, et toutes formes d'arts suscitent de nouveau un intérêt certain en vous. Comme un petit enfant qui est sur le point de découvrir son nouveau jouet, acheté à la sueur du front des parents qui n'avaient qu'à se protéger s'ils voulaient préserver leur thune. Si les découvertes se veulent plus marquantes, toutes les corvées seront du coup moins énervantes et génèreront moins de frustration car elles sont nécessaires à un nouvel apprentissage futur. Vous réalisez aussi que vous êtes capable de faire preuve de pertinence et de culture générale sur beaucoup de sujets avec une connaissance que vous possédiez déjà mais qui arrive assez spontanément dans votre esprit par rapport à votre vie précédente, celle où vous ignoriez le pouvoir de l'Écriture.

Ce serait une erreur de penser que le changement quand on devient l'Auteur se limite au mental. Une peau étonnamment plus belle, dépourvue d'impureté, combinée à ce fameux rire naturel, charmant, et profond. Les épaules et la poitrine s'élargissent comme par magie, comme un véritable homme, vous prenez de la masse musculaire plus vite. Les yeux s'éclaircissent, vous avez l'air présent et intelligent. Un regard vif, perçant et surtout analytique à souhait. Au revoir la graisse ! En règle générale, un gros bénéfice en terme de volonté vous sera accordé, la capacité à se dire non à la cigarette, au sucre ou à toute sorte de plaisir rapide mauvais et destructeur pour la santé. Pas de saloperie = corps de rêve ! Une fois sûr de vous, la sensation de pouvoir apprécier la beauté intérieure et extérieure est d'autant plus intense. Même chez les personnes auxquelles vous ne prêtiez pas attention auparavant. Niveau sexe, ça se ressent aussi. Une érection solide mais contrôlée vous ouvrira de nouveaux horizons, ou plutôt une toute autre dimension. C'est une virilité inédite pour vous. La voix devient plus grave et plus profonde. Un meilleur contrôle des émotions, un esprit d'intuition fou et un plaisir infini, voilà ce qui t'attend si tu reprends le prodigieux rôle de l'Écrivain attitré de la reine !

James Finson plissa les sourcils. Sa tempe martelait le haut de son crâne à l'allure d'un marteau-piqueur tandis qu'il essayait ardemment d'oublier tous ces mots qui lui avait été implanté dans la tête. Cet éloge de l'Écrivain, il avait été conditionné pour le dire. Toutes ces prétendues « vertus » de l'Écriture étaient censées guider Delmas vers la voie de la raison. Pourtant, James n'arrivait pas à les prononcer. Il était comme... bloqué, bloqué par ce discours qui n'était pas le sien.

« Aide-moi à comprendre, répéta Jean-Pierre en sanglotant doucement. Comment construire un chef d'œuvre de la littérature ? J'ai besoin de le savoir, BESOIN tu entends !
- Tout d'abord, répondit Finson en tentant tant bien que mal de reprendre totalement ses esprits, tu dois impérativement visualiser le lieu de l'action. Dans les moindres détails. Par où veux-tu commencer ?
- ...
- Voyons, démarrons avec un classique, reprit James devant le manque de réaction de son apprenti. La chambre à coucher. Moment d'intimité. Acte deux, scène trois, juste avant la grande envolée. Ou, en langage romanesque, onzième chapitre, page 138. Visualise les lieux avec moi. Maison en briques rouges, mitoyenne, les voisins sont dealers d'un côté et ouvriers de l'autre. La pièce dans laquelle se trouve nos deux héros se situe au premier étage, du côté droit du bâtiment. La chambre est carrée, petite et obscure due à l'ambiance tamisée car les rideaux sont tirés. D'ailleurs, comment sont-ils ces rideaux ?
- Euuuh, noirs ?
- Tu peux faire mieux que ça ! Les tentures striées d'anthracite et de fuchsia descendaient en cascade le long des châssis maculés de peinture fraîche, apportant ainsi aux amoureux transis l'étrange mais néanmoins réconfortant sentiment de se trouver au cœur d'un cocon douillet, une véritable bulle d'amour embuée par les relents de plaisirs interdits. C'est ça qu'il faut dire ! Continuons. Les chambre constituent les uniques pièces privatisées à louer dans le bâtiment. Les salles de bains – une par étage – sont communes, au même titre que la cuisine qui se situait elle au rez-de-chaussée. Les murs de la chambre de nos protagonistes sont de couleur taupe, c'est le garçon qui la loue qui a choisi cette teinte qu'il trouve agréable. Contrairement aux châssis, la peinture est écaillée voire carrément trouée par endroits, les parois mériteraient donc bien une nouvelle couche de couleur artificielle. Ça sent le bouc dans la chambre, odeur bien entendu dégagée par l'activité du couple. Néanmoins, on peut encore percevoir un infime parfum plutôt agréable. Celui des huiles essentielles, diffusées pendant toute la matinée, qui étaient censées lutter contre la toux acre du jeune homme. Remède mis en place par sa mère bien entendu, Robin – car c'est son prénom – n'aurait pas pris la peine de faire ça par lui-même car il est plutôt sceptique sur ce genre de "thérapie". Quelques posters sont affichés en face de la porte, c'est donc la première chose qui accroche le regard quand on pénètre dans la pièce. Plutôt classiques, ils reflètent l'éducation rock de Robin mêlée à un certain niveau de geekitude élevé. Entendez par là : "des posters de Green Day et de Seigneur des Anneaux se côtoyant joyeusement." Des figurines de personnages de comics tels que Batman et Mickey Mouse égayent un peu l'atmosphère studieuse de la tanière de l'étudiant littéraire, remplie de bouquins lus avec plus ou moins de plaisir selon les cas. Des draps en lin lavé bleu glacier reposent sur le lit, agités par les mouvements acrobatiques de nos deux compères. Seuls bruits présents : le ronronnement du chauffage et les glapissements d'animaux en rut que poussaient les deux jeunes gens. Barbara prenait son pied, plus que Robin d'ailleurs. En levrette, la position de prédilection des amants. Pour briser les clichés, c'était elle l'accro au sexe dans le duo. Et elle se fichait éperdument que les voisins puissent entendre les bruitages enjôleurs de leurs ébats. C'était Robin le pudique dans l'histoire. Faut dire que c'est lui qui vivait là aussi, pas de risque pour Barbara de se faire remonter les bretelles par le proprio suite aux plaintes des voisins. D'habitude, l'adolescent raccordait son IPhone à son baffle Bose via les ondes bien utiles de Bluetooth et mettait une chanson de sa playlist Spotify en boucle pour couvrir les bruits qui émanaient du lit double qu'il avait acquéri le mois précédent. Généralement, c'était Sweet Nothing de Calvin Harris et Florence Welch ou bien Undisclosed Desires de Muse. Allez savoir pourquoi... De vieilles chansons, ce qu'il aimait. Elle aussi d'ailleurs. Mais aujourd'hui, tout était diff... »


Jean-Pierre Delmas cligna des yeux. Une fois. Deux fois. Trois fois. Finson s'était tu. Depuis de longues minutes. Peut-être même de longues heures après tout... La gorge ouverte par un couteau de cuisine qui gisait sur la table, l'écrivain à succès qu'était James Finson n'écrirait plus jamais le moindre mot.

« Papaaaa, cria Sissi depuis le hall, je suis rentrée ! »

Le cerveau de Jean-Pierre se remit à tourner à plein régime.
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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Dim 27 Aoû 2017 12:51   Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth
Spoiler



Chapitre 2 ~ Le caniveau sans lune
(suite et fin)

Titre bis : Toujours écouter les conseils de son chat !



Après un moment d'attente à la durée indéterminée, Finson finit par revenir de la cuisine, bière à la main et sourire aux lèvres.

« Moi je te dis que le porno, c'est quand même le meilleur genre cinématographique qui existe dans notre société actuelle. Pas de meurtre mis en scène, pas de conflit ni de guerre, pas de haine, pas de racisme, pas de barrière de la langue et, surtout, une bonne coopération doublée d'une excellente coordination entre les différents intervenants. Sans oublier la bonne ambiance sur le plateau de tournage et la certitude pour le spectateur que chaque personnage aura la fin heureuse qu'il mérite. Et puis, l'avantage ultime, tu peux commencer le film à n'importe quel moment, tu finiras quand même par comprendre l'histoire ! »

Delmas resta de marbre face à cette longue tirade. Sa colère n'était pas redescendue, il arrêta donc d'écouter cet interlocuteur qui commençait à l'agacer lui aussi. Malgré la fureur de Jean-Pierre due aux souvenirs de la fermeture de Kadic, une petite voix dans sa tête lui hurlait :

NE LAISSE PAS FILER CETTE FILLE, TA FILLE ! Elle est jolie, douce, simple et son sourire est son plus beau maquillage. Elle est naturelle, drôle, aime faire la fête et a des loisirs hors du commun. De plus, elle est ouverte à tout, s'intéresse à ce que tu aimes et essaie même de te comprendre. Elle n'est pas jalouse et te laisse sortir autant que tu veux parce que elle te fait confiance même si elle ne le devrait pas. Sissi prend soin de toi quand tu es malade, quand tu as faim, quand tu es seul, quand tu es triste. Ne sois donc pas ingrat envers elle !
Elle s'intéresse à toi et pas aux autres, elle cherche sans cesse ta compagnie et a des projets avec toi, dont le magnifique ouvrage qui s'apprête à voir le jour. Elisabeth est vive mais elle aime aussi rester posée à tes côtés, à se plier en quatre pour satisfaire tes nombreux caprices. Elle a un corps de dingue, elle peut être douce autant que sauvage, une qualité à ne pas négliger. Elle te câline aussi, te fait des doudouces en te disant doucement qu'elle t'aime car tu es son papa chéri. Le seul parent qui lui reste.


La voix pouvait bien parler. Tout ça, c'était avant. Sissi était le diable en personne, l'origine du mal qui avait plongé la population dans un régime aussi totalitaire qu'effrayant. C'était décidé, Jean-Pierre vivant, jamais il ne lui accorderait son pardon pour toutes les atrocités qu'elle avait pu faire par le passé... et encore maintenant, cette torture quotidienne à pavaner devant ses yeux alors qu'il n'était pas autorisé à la toucher sous peine de subir le courroux de la souveraine.

Mais le message qu'il avait reçu pendant qu'il fulminait, seul dans le salon miteux, allait enfin tout changer. Quand Elisabeth rentrerait, elle allait prendre cher. Il avait en effet reçu il y a quelques minutes à peine un sms très explicite et méticuleux de Yolande, consignes qui venaient visiblement de la reine en personne. Il faudra bientôt mettre Finson à la porte pour qu'il puisse avoir le temps d'organiser la petite sauterie pour le retour de sa fille.

« Bon, ça ne te fait pas rire visiblement, reprit l'invité qui se sentait déjà comme chez lui dans cette lugubre demeure. Alors, dis-moi tout. Qu'est-ce qui coince avec ton bouquin ? Tu n'arrives pas à écrire la fin je présume ? C'est classique chez les débutants...
-Pas du tout, grogna Delmas avec un geste de la main qui se voulait rassurant. J'ai écrit le scénario complet avant de me lancer quand même. Débutant n'est pas synonyme de con.
-Je suis bien d'accord avec toi. Sur ce point.
-Pourquoi t'as attendu cent deux jours avant de sonner à ma porte du coup ? Je n'étais pas encore assez bien pour toi ? »

Jean-Pierre avait posé ces deux questions avec une pointe d'agressivité non négligeable dans la voix. James Finson tendit la main vers sa bière et entreprit de porter le goulot à ses lèvres avant de savourer une gorgée amère bienvenue. Il laissa descendre le liquide le long de son œsophage tout en se demandant si le compte des cent deux jours était bien exact. Vu la maniaquerie du vieux, il ne serait même pas étonné si ça s'avérait être le nombre correct.

« Quand tu as si gentiment proposé de me remplacer, déclara l'ancien cinéaste en balayant du revers de la main quelques miettes qui trainaient sur la table basse, j'étais en pleine écriture de mon ultime roman. Et il ne faut jamais déranger un homme dont la folie créatrice atteint son apogée. Du coup, j'ai attendu de coucher sur papier le dernier mot de ma nouvelle brique avant de venir à ta rencontre. Plus de fiction cette fois. Juste un bouquin du feu de Dieu relatant mes plus incroyables aventures aux quatre coins du globe.
-Ironique... vu que nous sommes coincés ici désormais.
-Ne sois pas déplaisant. Donc je disais... Ah oui, donc ce magnifique ouvrage va surtout aborder mes nombreux tournages et accidents de parcours. La meilleure autobiographie qui puisse exister en somme.
-Utiliser le terme d'autofiction serait sans doute plus exact.
-Tout est vrai dans ce que j'ai écrit, s'offusqua Finson.
-Même le fameux plan à trois avec les Kardashian ? ironisa son hôte, qui prenait un malin plaisir à titiller l'ancien réalisateur. Tout le monde sait que ce sont des chaudasses qui sautent sur tout ce qui bouge mais bon, de là à s'attaquer à... toi. Le pot de rimmel qu'elles utilisent quotidiennement leur avait sacrément gâché la vue ce jour-là.
-T'as déjà lu mon bouquin ? Mais... il n'est même pas encore sorti en librairies !
-En digne successeur de la littérature du régime que je suis, je méritais bien un petit passe-droit.
-Putain, j'aurais dû étouffer mon éditeur avec mon manuscrit au lieu de lui donner si gracieusement. Déjà qu'il a censuré les passages les plus sulfureux... Pour éviter une hausse de libido de la population, tu te rends compte ?
-C'est logique, répliqua le barbu qui avait déjà bien compris ce que l'unique auteur du régime était censé écrire. Ces troufions n'ont plus de bouquin à disposition et, pire encore, plus d'Internet pour la plupart des gens pauvres. La moindre ligne chaude ferait lâcher la sauce de n'importe quel ex porn addict puisque plus personne n'a l'occasion d'aller se palucher quotidiennement sur les sites douteux dont l'accès Internet est restreint depuis bien longtemps. Triste vie n'est-ce pas ? On peut dire merci à la censure !
-Je vois que tu as été bien briefé sur ce que la reine attend de l'artiste officiel de Veelox...
-Divertir la population pour que celle-ci oublie ses problèmes. Un grand classique.
-C'est pas si simple, avertit James. Le principal conseiller en communication de la reine, qui est aussi l'unique éditeur de Veelox bien entendu, va t'obliger à mettre tout un tas de scènes pré-écrites que tu devras arriver à caser. Parfois, ce sera juste quelques notions à distiller ici et là. D'autres fois, ça sera carrément des pages entières à implanter ! Pas top niveau cohérence.
-Bah, c'est pas comme si t'avais des concurrents sur le marché de toute façon... »

Tout avait commencé presque un an plus tôt. Le régime cherchait un nouvel auteur. Comme indiqué très clairement dans la constitution de Veelox, il ne pouvait y en avoir qu'un seul à la fois. Constitution bien éphémère puisque la reine pouvait la modifier à n'importe quel moment selon son envie. La souveraine s'entourait de ses conseillers qu'elle rassemblait sous un prétendu conseil d'administration, qui faisait semblant de gérer le gouvernement alors que toutes les décisions étaient en réalité prises par la despote. Les conseillers, qui avaient chacun un domaine de la société à se partager (santé, sécurité, finances,...), devaient rendre des comptes presque quotidiens à la reine. Elle écoutait d'une oreille relativement attentive leurs avis mais en fin de compte c'était elle qui décidait de tout, dont l'identité de la personne à qui il faudrait remettre le privilège d'écriture. C'était l'Artiste, avec un grand A, qui allait pouvoir monopoliser le champ culturel. Toutes ses idées, ses valeurs et bien entendu ses intrigues seront partagées à tous les citoyens qui se devaient de lire le nouveau tome du périple aussi attentivement que possible. Il ne fallait pas les forcer beaucoup, c'était l'unique distraction pour la classe sociale inférieure. À l'exception des parieurs qui combinaient les deux, lecture et défis périlleux. Le département en communication était particulièrement bien organisé. L'éditeur en question, un certain Lukas, avait contacté Jean-Pierre dès qu'il avait reçu sa candidature. On aurait pu croire qu'ils allaient faire sauter Finson pour le remplacer par un plus jeune mais pas du tout. Les membres du conseil d'administration de la reine étaient tombé sous le charme de Delmas. Ils avaient immédiatement décelé en lui la figure de l'auteur maudit par excellence, surtout grâce à son lien avec Elisabeth, tristement connue pour avoir déclenché l'épidémie de VIH-3. Alors que Lukas s'apprêtait à lancer la promotion du dernier round de la vache sacrée qu'était Finson, l'éditeur possédait déjà une demi-douzaine de nouvelles signées de la main de Delmas qui seraient utilisées parcimonieusement le temps que le retraité sorte son chef d'œuvre. Un best-seller donc, qui devrait vendre les mérites du régime d'une manière ou d'une autre bien entendu.

Lukas Grenson, l'éditeur intouchable, une vraie pourriture quand même ce mec... Il a l’image publique de l’homme qui vous regarde dans les yeux, vous serre la main, vous prend dans les bras et se montre attentionné à votre égard, puis il y a la personne derrière le masque, qui agit complètement différemment. Grenson avait supplié Delmas de raconter quelques détails croustillants sur sa fille, au travers de son journal intime personnel qui serait lui aussi publié. Delmas ne comptait pas le cacher à Finson. Il avait prévu de vendre – et de négocier cher ! – chaque petite information sordide de la vie de Sissi, quitte à les inventer quand ce n'était pas assez croustillant. Après tout, ce n'était qu'un juste retour des choses. Sa fille, celle qui aurait dû être si reconnaissante d'avoir été créé par un spermatozoïde appartenant à un être si fabuleux tel que lui, avait tout simplement détruit ce pour quoi il s'était toujours battu : Kadic. Ça avait été simple. Une seule aiguille. Un virus mutant. Et une tripotée de jeunes bras aux veines bien apparentes grâce au garrot utilisé lors de la prise de sang. Si Sissi avait joué avec ce qui ne lui appartenait pas, son père pouvait faire de même. Dormir seul n'est qu'un gaspillage de talent sexuel et Sissi avait visiblement compris ça depuis bien longtemps. Avec la réputation publique d'Elisabeth Delmas – notamment les accusations de zoophilie –, il y avait de quoi faire niveau écriture. Bien évidemment, l'intéressée en question n'était pas encore au courant de ce déballage médiatique. Mais bon, elle allait le découvrir dès les premiers one-shots publiés... Ce qui était un problème. Connaissant le caractère de truie de Sissi, elle quitterait définitivement le domicile et la réputation du nouveau joyau de la littérature en pâtirait. Jean-Pierre Delmas ne deviendrait plus qu'une blague aux yeux du régime si Elisabeth, alias la poule aux œufs d'or, n'était plus de la partie. Il devait donc trouver un moyen d'embobiner sa fille pour que l'histoire reste crédible et qu'elle ne dévoile pas le pot-aux-roses à la presse. Yolande l'aiderait sûrement, son petit stratagème avait l'air d'être redoutablement efficace... Pour le moment, le futur auteur renommé devait surtout profiter des conseils avisés de Finson, notamment pour débloquer la situation de son premier grand roman. Jean-Pierre rangea le cas Sissi dans un coin de son cerveau, tout en promettant de ne pas tarder à s'en occuper...

« Je répète dès lors ma première question, siffla Finson qui commençait visiblement à s'impatienter. Qu'est-ce qui coince avec ton bouquin ?
-Je ne sais pas vraiment comment l'expliquer.
-Putain, rugit l'ex-réalisateur, t'as eu trois mois et demi pour apprendre à formuler tes soucis. Arrête de jouer les pucelles et lance-toi.
-Je réfléchis...
-Bon, voyons le problème autrement. Qu'est-ce qui t'empêcherait de publier ce foutu ouvrage aujourd'hui ?
-Bah il n'est pas fini déjà, avoua Delmas à demi mot. Plus j'y pense, plus je me dis que c'est un problème de ton.
-De thon ? Mets des bonnes meufs dans ton histoire et ça sera réglé.
-Tu parles comme les jeunes, nota le plus vieux des deux. T'as sans doute trop fréquenté cette génération dépravée...
-T'es drôle quand tu t'y mets ! Ce n'est pas moi qui ai passé la moitié de ma vie à encadrer des adolescents dans un bahut ignominieux au possible. »

Le visage du père d'Elisabeth se crispa instantanément et Finson comprit qu'il avait merdé. Une fois de plus. Une nouvelle crise de Delmas était sur le point de voir le jour. On avait insulté son bébé, Kadic, et il ne laisserait pas passer ça. Comme d'habitude, le sang allait couler. C'était une certitude.



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Bonjour ou bonsoir si vous revenez seulement d'une soirée bien arrosée. Pour ceux qui ne me connaissent pas (encore), je suis Odd Della Robbia. Blogueur depuis peu et séducteur à toute heure du jour et de la nuit.
Après mon tuto drague, beaucoup de jeunes hommes à la trique facile sont venus me demander comment faire grimper aux rideaux sa partenaire d’un soir.
Donc pour vous, amis à la libido extravagante et au petit soldat au garde à vous, je vais vous donner mes trucs et astuces pour combler d’amour la future femme de vos enfants hypocondriaques !

* Tout d'abord, lorsque vous rentrez avec votre future copine, dirigez-vous directement vers votre bouteille Contrex. Et oui, comme cette fille a bu beaucoup trop (il ne faut pas s’imaginer qu’elle soit sobre car pour oser rentrer avec vous elle a dû en boire de la vodka pomme) elle risque avec ses baisers langoureux de vous rendre complètement pompette.
* Maintenant que vous êtes hydraté, il est temps de vénérer la déesse du sexe. Commencez par déshabiller votre partenaire et quand vient le moment du soutien-gorge, coupez-le dans le dos avec une pince coupante que vous aurez au préalable placée près de votre lit.
* Pour les préliminaires, éteignez la lumière et évitez que la partenaire en question ne vous touche. Comme ça elle ne vous chatouillera pas et ne constatera pas qu’il vous manque un testiboule. Après, dirigez votre main munie d’un gant vers l’endroit où vingt ans plus tôt vous êtes sortis de votre mère. Et tel Beethoven sur son piano, doigtez délicatement la zone de plaisir. Attention, n’appuyez pas trop fort sur les touches sinon un son grave et douloureux sortira. Profitez par la même occasion de faire un frottis vaginal pour vérifier si votre partenaire possède un abri adéquat pour votre petit soldat et pas trop lugubre infesté par des MST, dont le bien connu VIH-3.
* Suite à cela, il est temps de pénétrer dans le vif du sujet. Pour cette étape il est essentiel de se protéger ; trois préservatifs suffiront. Ensuite quand vous êtes dans la zone interdite ne paniquez pas, avancez lentement et n’hésitez pas à reculer pour mieux avancer.
PS : Gardez vos chaussettes antidérapantes vous aurez une meilleure adhérence.
PS bis : Une combinaison de plongée et un ciré jaune sont préconisés si elle est fontaine.
PS tris : Il y a match s’il y a gazon, mais s’il y a trop de gazon le ballon ne saura pas rentrer, munissez-vous d’une tronçonneuse.

Si vous êtes comme Bolt foudroyé par une crampe après 10 secondes, simulez l’orgasme (un cri d’ours suffira, le cri de Dora n’est pas préconisé « c’est gagné ! »). Ne vous étonnez pas si la fille ne jouit pas comme dans les films d’infirmières que vous regardiez quand vous étiez jeune avec tonton qui est maintenant en prison, la plupart des femmes sont clitoridiennes donc elles n’ont pas besoin de vous pour monter au septième ciel. Désolé.

Voili voilou, vous avez fait des cochonneries pour la première fois de votre vie et peut-être la dernière, ce que je ne vous souhaite pas. N’oubliez pas quand la scène est finie de lui glisser un délicat je t’aime avant de vous endormir.

Au nom du GHB et de la pilule du lendemain, je vous retrouve bientôt les catsfollowers xoxo.



« Comment a-t-il pu écrire ce texte alors qu'il est recherché de partout ? C'est vraiment un abruti... Là, il a dépassé les bornes. Je pense qu'il va falloir mettre notre plan à exécution. Au plus vite. »

Sur le plancher métallique d'un sous-sol de l'usine délabrée bien connu, deux jeunes adultes inquiets mais déterminés se tenaient côte à côte. Des tuyaux de diverses teintes émergeaient du plafond pour se perdre dans un enchevêtrement de plomberie qu'aucun humain n'aurait été capable d'atteindre sans l'aide d'une échelle ou d'un quelconque élévateur. L'air était étrangement frais dans la pièce, comme si une entité quelconque s'était chargée de ventiler l'endroit pour faire descendre le trouillomètre de nos deux héros. Aelita pressa la main de son petit ami dans la sienne. Son esprit divaguait, ressassant sans cesse cet Odd en état de décomposition au sourire blagueur qui se transformait en rictus immonde, aux dents déchaussées et aux lèvres écumantes de salive jaunâtre. L'étape ultime du VIH-3. Odd l'avait atteinte, et il n'y avait plus que sur le monde virtuel qu'il pouvait conserver une apparence normale et une raison plus ou moins élaborée. La jeune fille avait tenté de voir en cette créature l'adolescent qu'elle avait aimé avant que tout ça ne dégénère, avant la mort potentielle, avant le deuil qui n'allait pas tarder à arriver. Puisqu'ils allaient devoir éliminer ce foutu matou. Une bonne fois pour toutes. Les chats ont neuf vies mais espérons que celui-ci mourra dès la première...

« Tu es certaine que tu l'as vu ? »

C'était la troisième fois que Hervé Pichon posait cette question, tout en serrant les mains de sa belle Aelita au sein de sa paume épaisse comme jamais. Son esprit rationaliste au possible refusait d'admettre cette hypothèse. Ça bloquait. L'information ne passait pas. Il refusait d'y croire. Nerveux, il ne cessait de se gratter l'arrière de l'oreille gauche jusque au moment où l'ongle de son index adopta une teinte rougeâtre dont il se serait bien passé.

« Je l'ai vu comme je te vois là. »

L'informaticien fixait l'écran du puissant ordinateur qui lui faisait face, il n'avait jamais eu affaire à une telle situation. Lorsque son prédécesseur avait mis au point ce logiciel bien utile, le Superscan, il n'avait jamais pensé que le succès de ce programme l'attristerait un jour. Sur la banquise, trois tours étaient activées. Pareil pour le désert, la forêt... sans oublier la montagne. Seul Carthage, au centre de l'holomap, semblait paisible. Pour le moment. Douze tours au total. C'était du jamais vu. Ainsi donc, XANA était bel et bien de la partie. Il a dû trouver une source d'énergie considérable pour réussir à activer toutes ces tours...

« Moi qui pensais que ce genre de délire ne pouvait se produire que dans les mauvaises fictions d'Odd... »

Aelita sourit à l'évocation de ce souvenir. C'est vrai que l'excentrique artiste s'était adonné à la littérature pendant une très courte période. C'était au début de leur rencontre terrestre, ça faisait quelques semaines qu'elle avait débarqué à Kadic. Della Robbia s'était amusé à lister d'éventuelles attaques de XANA : Hiroki xanatifié enlevant Sissi après l'avoir confondue avec sa sœur, les lits de l'internat poursuivant les élèves du collège, une armée de « Paco roi du disco » déterminée à tous les entraîner dans une chorégraphie endiablée... Toutes ses prédictions s'étaient avérées fausses, à l'exception du ridicule tas de nourriture qui avait pris vie à la surprise générale, nul doute que le programme multi-agent s'était largement inspiré d'Odd pour cette attaque aussi poisseuse que ridicule. On aurait pu croire que le blondinet se serait vanté partout de cette « prédiction » mais il n'avait jamais voulu dire un mot à ce sujet à Aelita, se sentant légèrement coupable de ce raz-de-marée alimentaire. Le seul à qui il avait parlé de cet incident, c'était Hervé. Aussi bizarre que cela puisse paraître, les deux garçons étaient devenus assez proches malgré leurs caractères radicalement opposés. Mais ça, Pichon s'en était surtout rendu compte après le décès de celui qui considérait surtout comme un « emmerdeur professionnel » bien qu'il évitait de le clamer haut et fort parce que les autres avaient eu besoin de lui sur Lyoko. Après la contamination de l'être blondinet du groupe, Hervé avait réalisé que tous ces petits moments lui manquaient. La nuit où Odd était venu le trouver en pleine nuit pour lui dire qu'il avait un « super nouveau pouvoir de malade en tête » que le geek pourrait programmer aisément selon le félin virtuel.

« Des flèches explosives, rien que ça ?! »

Évidemment, l'informaticien n'avait pas voulu perdre de temps avec ce qu'il jugeait être des futilités. Avec le recul, peut-être qu'il aurait dû... Au moins essayer, tenter de fournir à Odd une autre occasion d'amuser la galerie. Au fond de lui, il était un peu jaloux de voir que le petit blagueur avait toujours le bon rôle, celui du comique qui prenait tout à la légère mais qui arrivait plus ou moins à ses fins au final, parfois de manière pas très reluisante d'ailleurs mais toujours dans la facilité. Alors que lui, le petit intello sans véritable ami, il avait toujours dû se battre pour obtenir ce qu'il voulait. Certes, il avait la chance d'être pourvu d'un QI plus développé que la moyenne mais c'était un bosseur, un vrai, l'opposé d'Odd. Une construction en miroir qui semblait avoir été programmée par des scénaristes désireux d'obtenir un cocktail détonnant de personnalités diverses et détestables contraintes au nom de l'humanité d'allier leurs forces pour ce putain de monde sans danger que tout le monde réclamait. Mais leurs vies n'étaient pas scénarisées, c'était leur quotidien et l'ancien toutou de Sissi ne le savait que trop bien. Sa mère lui répétait sans cesse : « On n'obtient rien sans rien. Si tu veux quelque chose, bouge-toi pour l'avoir avant que quelqu'un ne saisisse cette opportunité et te double au moment de passer la ligne d'arrivée. » Cette mentalité quelque peu élitiste, Hervé Pichon l'avait dans le sang.

« Il faut que j'aille sur Yloko, déclara sèchement Aelita. Le combat a commencé et je ne peux pas rater ça.
-Je savais que t'allais me dire ça, répliqua son petit ami en l'embrassant tendrement mais rapidement. Je vais te virtualiser. »

Après une brève étreinte, Aelita se dirigea vers l'élévateur. Sans un seul regard en arrière.
  Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth  
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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 22 Aoû 2017 17:50   Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth
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Chapitre 2 ~ Le caniveau sans lune


Lettre à toi, mon fils :

Et voilà, ça y est, tu es parti.
Ce voyage qu'on prépare depuis ta naissance, on y est ! TU Y ES !
Tu t'es envolé vers ce qui deviendra sans aucun doute une des plus belles expériences de ta vie.

Mon "moi" tout entier se sent bizarre, aujourd'hui. Partagé par une foultitude de sentiments qui se mélangent.
Mes yeux pleurent, mais mon coeur est plein de joie de te savoir heureux.
Mon corps tremble, un peu comme un drogué en manque de sa dose quotidienne.
Mon coeur (encore lui) bat à 100 à l'heure, mais je sais déjà que c'est la vitesse à laquelle tu vas vivre pour découvrir au maximum toutes les belles choses de cette incroyable culture qui se présenteront à toi.
Et mon orgueil fait que je ne peux m'empêcher d'être fier de toi, de ta détermination, des couilles que tu as et que j'aurais aimé avoir à ton âge pour en faire autant, partir, loin, créer quelque chose d'unique, de fantastique !

Quand tu reviendras dans un an, tu auras grandi, tu auras mûri, encore, comme si tu n'avais déjà pas assez de maturité comme cela, toi qui, malgré ton année d'avance à l'école a toujours réussi haut la main tes études "sans avoir l'air d'y toucher", rendant fous de jalousie certains de tes "amis". On se découvre un peu plus chaque jour. Si tu es très intelligent, la première chose que tu découvriras là-bas c'est que tu ne l'es pas vraiment...

Ce petit mot, j'ai dû l'écrire en plusieurs fois, tant les mots ne venaient pas toujours pour exprimer avec exactitude tout ce que je pense ou/et surtout, tant mes yeux s'embuaient, m'empêchant de voir les phrases sur mon écran !
J'y ai pensé bien souvent. Souvent la nuit. Parfois simplement le jour en te regardant travailler à ton ordinateur ou en train de faire le clown avec ton petit frère, ou de faire un câlin avec ta merveilleuse maman.
Je l'ai écrit seul, sans en parler à qui que ce soit. Comme si j'avais besoin de coucher par écrit ce que je ressens; c'est lâche, peut-être ! Mais je n'aurais pas été capable de te dire tout cela de vive voix sans te montrer mes sentiments et sûrement, te faire culpabiliser.
Et ça, il n'aurait pu en être une seule seconde question !

Quand tu comprendras enfin les raisons qui me poussent à t'écrire ce texte, tu seras sans doute arrivé au pays du soleil levant, celui où l'astre lunaire ne perce plus la couche nuageuse. Tu seras peut-être déjà installé avec tes compagnons d'aventure. J'espère que tu t'y plairas; ayant eu la chance de les rencontrer, ils ont l'air d'être des gens extraordinaires. J'espère qu'ils t'aimeront autant que nous t'aimons, mon fils.

Tu as l'intelligence nécessaire pour pouvoir t'imprégner de chaque instant, de chaque odeur, de chaque rencontre, de chaque expérience, pour t'en servir dans ta vie future.
Je suis certain que tu seras à la hauteur de la tâche qui t'a été confiée par ces merveilleuses personnes qui ont cru en toi et qui te font confiance pour les représenter; je profite ici de les remercier tous de leur aide et de tout ce temps passé pour faire en sorte que cet échange puisse avoir lieu.

Alors fonce mon fils, fonce ! Ne te retiens pas d'être heureux. Ne te retiens pas de "dévorer" cette belle culture qui t'attire tellement.
Profite à fond !

Sache enfin que si tu as vu des larmes au coin de mes yeux lorsque je t'ai déposé dans ce caniveau sordide affublé d'une tenue de clochard, c'était juste quelques larmes de tristesse (et je crois que c'est bien légitime), mais surtout un torrent de larmes de joie et de fierté.

Je t'aime Ruth, je t'aime très fort.
À très vite, j'ai hâte de t'entendre tout me raconter, absolument tout !
Et un an, dans toute une vie, crois-en mon expérience de père, c'est à la fois long et tellement court ! Que la Vigne porte ses fruits, et que d'âge en âge, se transmette le message du divin héritage sous le soleil ou sous l'ombrage....



Ruth cligna des yeux. Il n'était pas mort, pas encore en tout cas. Il entendait encore la voix grave résonner dans son esprit. Mais il n'avait pas le temps d'y songer. Une alarme stridente résonna dans l'arène, ce qui annonçait sans doute un danger imminent. Il vit alors l'instructeur s'éloigner rapidement vers le Nord avec trois petits soldats à sa suite. Les Numéros 1, 4 et 5. Alors qu'il tentait de se remettre debout, il constata qu'il se trouvait près d'une grande vasque transparente rempli d'un liquide doré qui semblait parcouru de pulsations. Ruth s'appuya sur ses avants-bras qui le faisaient encore un peu souffrir pour tenter de se relever mais quelqu'un l'en dissuada en s'agenouillant à ses côtés.

« N'essaie même pas, il ne faut pas les suivre. On a besoin de toi ici. »

Il regarda son interlocutrice et fut immédiatement frappé par son aspect. C'était une jeune fille d'une peau plus sombre que l'ivoire calciné, tout en muscles, pas un pet de graisse sur son corps remarquablement bien proportionné. Sa voix, plus imposante encore, ne faisait aucun doute. C'est bien elle qui avait crié « Jim ! » avant qu'il ne perde connaissance. Elle lui avait sans doute sauvé la vie... et il avait aussi le sentiment étrange de la connaître, bizarre. Sans pour autant la remercier de son aide, Ruth continua d'observer la jeune guerrière et réalisa que sa chevelure – sans doute courte – était masquée par le casque de combat... flanqué du Numéro 2.

« Tu peux respirer moins fort ? J'ai l'impression d'être au salon de l'agriculture là ! »

Choqué par tant d'aplomb de la part de... cette nouvelle Numéro deux, notre Numéro trois préféré tenta de reprendre ses esprits. Un millier d'interrogations, au minimum, jouait à saute-moutons dans son cerveau.

« Sandy ? bredouilla Ruth d'une voix moins confiante qu'il ne l'aurait voulu. Tu l'as... remplacée ?
-Jim l'a dévirtualisée, grogna-t-elle en affichant une mine désapprobatrice.
-Dévirtuquoi ?
-Arrête tes questions, je vais tout t'expliquer c'est promis.
-Mais... je peux au moins te demander qui tu es ?
-Oups, j'oublie les politesses les plus élémentaires. Ravie de te rencontrer Ruth, je suis Typhon.
-Typhon ? C'est... ton prénom ? Et comment sais-tu le mien ?
-Juré. Tu n'es pas le seul à être pourvu d'une identité, tu le sais ça ?
-Mais je pensais qu'on ne pouvait pas donner de telles informations, que seul notre numéro comptait...
-Je ne suis pas comme Jim, maugréa Typhon. Appelle-moi Deux si tu le préfères mais je te promets que ça n'a aucune importance.
-Où sommes-nous ?
-Sur Yloko... Tu as encore beaucoup de choses à apprendre. Et je t'ai déjà demandé d'arrêter tes questions. Encore une et je te fous KO direct, c'est compris ? Pour le moment, la seule chose qui importe est ceci : Es-tu prêt au combat ? »

Il ne savait pas ce qu'était Yloko ni même ce qu'il s'apprêtait à combattre mais Ruth répondit instinctivement « Oui ». Typhon lui donna son arme, qu'elle avait confisquée depuis son réveil, et lui adressa un regard aussi perçant que terrifiant.

« Alors prépare-toi. Parce qu'ils arrivent. »

Des déflagrations se firent entendre. Pas de doute, la bataille venait bien de commencer.

En première ligne, Numéro un s'était déjà placé là où l'instructeur l'avait assigné. Le colosse ne voyait déjà plus le reste du groupe qui s'était dispersé un peu partout autour de l'abbaye mais il s'en foutait. Brieuc Leurquin – c'était son nom – n'était pas du genre peureux. Il observait l'horizon, le fusil à la main, tout en se grattant le bas-ventre qui le démangeait quelque peu. Il commençait à faire nuit et on n'y voyait plus très clair, ce qui n'était pas rassurant. Mais Brieuc n'avait peur de rien, et surtout pas d'un éventuel assaillant. Il avait toujours été le meilleur. Dans tous les domaines. Et en particulier en lutte. Il pouvait battre n'importe qui à mains nues, personne ne lui avait encore résisté... Il pouvait être fier de toutes ces heures de sport et d'entraînement au combat rapproché, ce qui lui avait valu une carrure qui valait bien celle de Numéro trois. De fait, il savait qu'un éventuel adversaire s'y reprendrait à deux fois avant de l'attaquer. L'ennemi essayera donc d'éliminer les plus faibles – comme le petit Numéro quatre – avant de s'en prendre à lui, ça semblait plus logique. Brieuc, toujours flanqué du casque numéro un sur la tête, passa son index sur les protections grises pour vérifier qu'aucun grain de sable ne viendrait enrayer la précieuse combinaison. Il avait vu ce que cette saleté de sable volcanique avait fait à Trois et il ne voulait pas subir le même sort. Alors qu'il gardait tous ses sens en alerte, Leurquin entendit un craquement sur sa droite, presque en hauteur, et se retourna vivement. Un étrange chat violet venait d'atterrir à ses pieds et commença à se lécher le derrière, aux pieds de Brieuc. Il avait de magnifiques yeux dorés et Numéro un ne put s'empêcher de se baisser pour le caresser, les chats ayant toujours été sa première faiblesse. Mais au moment où il allait toucher l'animal, un éventail lui traversa la nuque sans qu'il n'ait le temps de voir son assaillant. Sans le vouloir, Brieuc fut le deuxième dévirtualisé d'une longue série... Tout ce qu'il entendit, au moment même où son avatar disparaissait fut un « bien joué Odd » alors même que le félin reprenait forme humaine. C'était le début de l'assaut ennemi.



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Est-il possible d’arrêter le temps juste un instant, l’instant avant le premier baiser, avant que le temps ne défile, pourquoi la vie n’est-elle pas un film ?... N’est-il pas possible de faire le tour de tout cela...
Un ensemble d’émotions que tu ne peux contrôler, qui n’a pas laissé une trace, mais rien qu’une caresse...
Elle tourne autour de toi, dans une charmante robe blanche, elle court dans ton esprit, elle est vive et proche, elle s’arrête un instant, tu captures une image, et elle finit par disparaître en tournoyant, elle danse pour oublier et sourit pour le cacher, n’est-ce pas dans ce que nous faisons le mieux que nous sommes les plus beaux ? La voilà sur le sol encore et encore regardant au fond des étoiles, un regard rempli de lumière, mais elle est filante, comme la joie qui se noie bien vite dans l'amertume du regard émeraude. Dès les premières lueurs de l'aube, tombant tel la rosée sur les douces pensées du parterre, son poing rencontrera ta porte à trois reprises, signifiant avec fracas, l'arrivée de cette muse que tu n'as eu de cesse de chercher. Quand elle aura pénétré à l'intérieur de ton domicile, ce petit "chez toi" qui t'est si précieux, un sulfureux et enivrant venin parcourra tes veines des pieds à la tête. Elle est là, juste devant toi. Prends les devants gros bêta.

Concentre-toi sur cette image, si désirée et repoussée à la fois, rappelle-toi qu’elle a tourné autour de toi et a laissé une empreinte indélébile... Elle court dans tes songes, elle court dans ton cœur, elle file au-delà de ton cœur, elle fait face à ce combat qui te ronge, elle prend peur aussitôt et pourtant elle ne fuit pas, cette fois-ci, la lumière remplace l’obscurité... Tourne et tourne encore.
Tu es paralysé et elle continue de tourner, tu fermes les yeux et tu sens sa main sur ton visage, tu aimerais faire pareil mais tu ne peux pas, tu fonds dans ses yeux, tu t’enfonces et tu vois l’éternité si profilée, elle est là tout au fond…
Tu finis par te réveiller et tu la vois tout de même encore tournoyer, mais au travers de cette vitre, il n’y a plus qu’une lueur au loin, cette étoile est devenu ton empreinte.
La caresse d’une étoile, marquant la fin d’un doux rêve, dont tu as tout oublié dès le réveil. Mais au-dessus de toi, cette lumière brille et sans que tu le saches, chaque soir, elle viendra caresser ton cœur, pour l’apaiser. Ou pour te rappeler, avec une cruelle malice dans les pupilles, que tu l'as perdue. À tout jamais.



« Honnêtement... C'est de la merde. Et encore, je pèse mes mots. Je t'avais demandé un songe nocturne et c'est ça que tu me sors ? »

Elisabeth parut désemparée quelques instants, elle ne s'attendait visiblement pas à cette réaction. Elle se tortilla nerveusement les doigts avant de remettre soigneusement derrière son oreille droite une mèche de cheveux qui s'échappait. Elle semblait mâchouiller quelque chose, un chewing-gum ou sa langue allez savoir, mais son père ne sembla pas le remarquer. Il fixait toujours la petite feuille de brouillon sur laquelle était rédigée à l'encre bleue un ensemble de lignes parfaitement alignées.

« La caresse d'une étoile, marmonna Jean-Pierre en lisant une nouvelle fois le texte écrit par sa fille, tu pouvais pas trouver plus gnangnan ? Tu n'as visiblement pas hérité de mes talents d'écrivain. »

Il ponctua sa phrase en déchirant le feuillet en deux parties totalement asymétriques. Avant de réduire le tout en une bouillie de papier quadrillé qu'il écrasa en son poing. Sissi refoula un sanglot et bredouilla un vague « je voulais juste te rendre service ». Ce qui fit exploser son géniteur.

« Parce que t'appelles ça rendre service !? Jamais rien lu d'aussi pitoyable. Tu prends peut-être mon job pour une blague mais c'est loin d'en être une ! J'ai un avenir. Moi. Contrairement à toi, qui va passer le reste de ta vie à te faire entretenir par tous les crevards du coin.
-Mon avenir sera toujours plus long que le tien. C'est toi le vieux dans l'histoire ! cracha-t-elle en réprimant un rictus malsain qui traînait dans la famille depuis bien longtemps.
-Tu me déçois énormément. Une fois de plus. »

Paroles en l'air. Enfin, Jean-Pierre le pensait vraiment mais il savait que c'était inefficace. Les reproches n'avaient jamais eu effet sur Elisabeth, elle essayait toujours de retourner la situation, faisant en sorte que l'accusateur se sente coupable. Déjà à l'époque kadicienne, elle en avait joué et abusé. Lançant des accusations en l'air quand elle se retrouvait coincée à un de ses propres pièges... Jean-Pierre se caressa la barbe tout en continuant de lorgner sa fille, effleurant un reste de sauce datant probablement du déjeuner. Son seul enfant, la chair de sa chair, devenait de plus en plus insolente. C'est toi le vieux dans l'histoire ! Sérieusement ? Si ça n'avait pas été sa fille, il se serait empressé de la baiser jusqu'à l'os pour lui apprendre le respect qu'elle aurait dû naturellement avoir envers les anciens. En particulier les mâles de sa famille.

« Tu m'as déçu, oui. Énormément déçu... Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ?
-Ça te déçoit surtout de pas être autorisé à me foutre de gifle aujourd'hui » lança Sissi avant de déguerpir, empruntant la porte de derrière comme à son habitude. Au moment où elle se retourna, son dos tressaillit et Jean-Pierre comprit qu'elle écumait véritablement de rage. Une vague notion culpabilisante vint à son esprit mais il la contra immédiatement. Il savait qu'il n'était pas en tort, oh que non... Après tout, c'est elle qu'avait proposé son aide. Elle qui voulait absolument qu'un passage de sa plume apparaisse dans le chef d'œuvre qu'il s'apprêtait à sortir. Il avait alors proposé à sa fille une simple tâche, oh oui très simple. Décrire un songe nocturne, rien de compliqué bon sang ! Mais, comme toujours, Sissi avait lamentablement échoué...

« Jean-Pierre ? »

Delmas se retourna brusquement. Il était là, juste devant lui, l'homme qu'il avait appelé il y a maintenant plus de trois mois. Le seul artiste autorisé du régime. Le grand et unique James Finson. L'unique écrivain renommé désormais, auparavant réalisateur de films plus ou moins intéressants...



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« Peut-être qu'au fond, en écrivant, on cherche tous cette phrase qui nous donnera goût à la vie à nouveau. »

Ça faisait une heure que les deux hommes parlaient. De tout, de rien. Delmas et Finson avaient en effet beaucoup de choses à se dire, puisque le premier voulait prendre la relève du deuxième.

« Tu devrais ouvrir les yeux Jean-Pierre. T'as tout pour toi : une belle retraite, une ravissante fille qui s'occupe de toi et une excellente santé pour couronner le tout.
-Je pense que ce dernier point est quelque peu discutable.
-Tu n'es pas infecté que je sache...
-Il n'y a pas que ça comme souci qu'on peut avoir, tu le sais mieux que personne d'ailleurs. T'as bien un cancer, ça n'a rien à voir avec l'infection ?
-Pour dire vrai, je n'en suis pas certain... je pense que je n'acquerrai jamais cette certitude absolue.
-Depuis quand as-tu contracté ton cancer de la prostate ?
-On contracte un virus, pas un cancer...
-Quelle est la différence ?
-Je ne suis pas médecin, répliqua l'invité. Mais le cancer n'est pas une maladie transmissible, malgré certaines croyances campagnardes qui persistent, donc ni on l'attrape ni on le contracte puisqu'il n'y a aucune contagion possible.
-Contrairement au VIH-3...
-Exactement. Pour répondre à ta question, on a repéré mon cancer cinq mois plus tôt. Quant au VIH-3, je l'ai attrapé il y a bien longtemps.
-Attraper n'est pas le terme le plus adéquat ici, répliqua Delmas qui était fier de pouvoir donner une leçon à son maître. Car "attraper" peut s'utiliser dans d'autres contextes, comme "attraper une sorcière" par exemple ... alors que le verbe "contracter" a une tournure plus tragique, c'est forcément lié à la maladie.
-Je pense qu'on peut utiliser les deux, affirma Finson avec une arrogance certaine dans le regard. De toute façon, tu ne m'as pas fait venir ici pour parler de maladie, que ce soit un virus ou un crabe aux longues pattes qui te ronge de l'intérieur. Que se passe-t-il ?
-Je suis perdu avec mon bouquin au sujet de ce foutu supercalculateur, soupira Delmas. J'ai besoin de ton aide pour continuer à avancer. J'espère que tu sauras débloquer la situation car là, je suis plus coincé que la bite du clebs dans le vagin de ma fille. »

Jean-Pierre avait délibérément placé cette phrase dans leur échange pour observer la réaction de l'intéressé. Était-il au courant ? C'était très probable, toute la cité en avait entendu parler... Pourquoi pas lui ?

« J'ai vaguement eu écho de cette affaire effectivement... mais je pense que tu vas beaucoup trop loin dans ton raisonnement. Tu as directement imaginé le pire, alors que la véritable histoire est certainement plus nuancée.
-C'est l'opinion publique qui a imaginé les plus exécrables scénarios... Mais je n'ai pas honte d'admettre que ma fille est une salope, lança Delmas sur le ton de la provocation. Après tout, on vivrait tous mieux sans elle non ?
-Tout le monde doit croire en quelque chose, conclut Finson. Moi je crois que je vais me prendre une autre bière. »

Tandis que James s'éloigna vers la cuisine, Jean-Pierre sentit une nouvelle fois sa fureur grandir à vue d’œil. Envers Elisabeth bien évidemment. À cause d'elle, Kadic avait été fermé pendant des années, toute l'équipe avait perdu son boulot et une vingtaine d'infectés avaient pu se balader à l'air libre au moment où le régime de la reine se mit en place, une autre longue histoire... Kadic rouvrit en 2013 mais Delmas ne rempila pas, à l'inverse de la plupart de ses anciens collègues. Sa fille lui avait volé sa carrière et, depuis ce jour, il lui en voulait terriblement. Il n'y avait pas que lui qui avait de la rancœur envers sa fille, Elisabeth Delmas était la personne la plus détestée du régime. Elle aurait été exécutée depuis longtemps, publiquement sur le peloton ou sordidement au fin fond d'une ruelle, si la reine n'avait pas donné la fameuse annonce officielle qui empêchait quiconque d'y toucher. Et bien sûr, tout le monde écoutait les consignes de sa majesté... Si Sissi était si haïe, c'est parce que c'est elle qui se trouvait au centre du typhon viral. Sans elle, le virus VIH-3 n'aurait probablement jamais vu le jour. Elle était à l'origine de la maladie, depuis ce fameux lundi 21 janvier 2008, jour où elle avait contaminé la quasi-entièreté de sa classe de seconde. Tout était parti d'une simple expérience, qui s'est transformée en piège mortel pour les élèves de Kadic. En effet, le corps professoral avait décidé que tous les secondes devaient rendre un TFA (Travail de Fin d'Année) en mai, qui influerait fortement lors du conseil de classe en cas de doute. Dans n'importe quelle discipline enseignée à l'école, même si le sport était quelque peu délaissé par les étudiants qui visaient les matières plus prestigieuses.

Bien sûr, tout le monde avait été prévenu dès septembre mais la fille du proviseur avait cru bon de ne commencer qu'une fois le premier semestre écoulé, alors que le conseil de classe attendait quand même un résultat d'une trentaine de pages par élève. Sissi savait que son parrain travaillait dans un laboratoire clinique et elle avait demandé à celui-ci de l'aider pour son TFA. Pour impressionner sa titulaire Madame Hertz afin de faire remonter ses notes en chute libre, Elisabeth avait décidé de récolter une petite dose de sang de chacun de ses camarades, dans le but de créer "le plus impressionnant travail scolaire que Kadic ait jamais connu". Même si l'infirmerie était à disposition, Yolande ne pouvait décemment pas déceler tous les problèmes potentiels et Sissi s'était donc portée volontaire pour une analyse sanguine de chaque membre de son année. Elle avait appris les bons gestes et s'était rendue compte que la manœuvre consistait à une simple piqûre habilement placée dans une veine appropriée. Comme elle n'était pas de nature particulièrement stressée et qu'elle n'avait pas la crainte du sang, ses mains ne tremblaient pas le moins du monde au moment d'enfoncer l'aiguille dans le bras de chaque petit volontaire courageux.

« Détends-toi Nico, ça va bien se passer ! »

Elle réquisitionna l'infirmerie pendant une journée, dérobant les clés à son père un jour que Yolande n'était pas en service. Grâce à des chantages et autres promesses qui allaient du ticket de cinéma à la promesse d'un rencard avec elle sans oublier la menace d'un scoop dévoilé aux Echos, elle attira un nombre effarant d'élèves au sein de son antre diabolique. Jim eut bien sûr vent de la manigance et alla débusquer cette visite médicale clandestine mais quand Sissi lui expliqua que c'était pour son TFA, le surveillant hésita quand même quelques minutes avant de finalement aller chercher son supérieur. Jean-Pierre se souvenait très bien du moment où il avait découvert les cachotteries de sa rejetonne. Un bref sentiment de fierté devant l'initiative avait fait place à la terreur la plus totale quand il avait réalisé que l'impensable s'était produit... Elisabeth avait utilisé la même aiguille. Pour toutes les analyses. Si elle avait à chaque fois changé le petit réservoir destiné à accueillir le sang de chaque sujet, ça ne lui était pas venu à l'idée de vider le stock d'aiguilles jetables de Yolande, qui n'en disposait de toute façon pas assez pour ce genre d'expérience malsaine.

Le proviseur aurait pu tenter d'étouffer l'affaire mais c'était bien trop grave. Sans compter qu'il y avait de nombreux témoins. Il envoya un mail à tous les parents des élèves concernés en expliquant la situation, précisant bien que chaque étudiant serait analysé par un professionnel du domaine de la santé. Le résultat tomba comme un couperet. Tous les jeunes embobinés par Sissi étaient désormais atteints du VIH. Mais pas n'importe quelle forme de celui-ci... Après le 1 et le 2, le VIH-3 venait de faire son apparition et cela n'avait rien de réjouissant. Bien au contraire. Il faut savoir que le VIH (Virus de l'Immunodéficience Humaine, communément appelé sida) est un rétrovirus infectant l'humain. Il est responsable du syndrome d'immunodéficience acquise, qui est un état affaibli du système immunitaire, rendant celui-ci vulnérable à de multiples infections opportunistes. En clair, n'importe quel infecté pouvait être emporté dans l'au-delà par une maladie plus ou moins bénigne pour le commun des mortels. Un traitement à vie attendait les contaminés, réduisant à néant l'existence de ces jeunes qui s'apprêtaient à croquer leurs destinées respectives à pleines dents. Les virus sont comme les équipes de foot. Parfois une association d'individualités performantes peut créer un groupe homogène très efficace. Et effectivement, la combinaison kadicienne avait été particulièrement championne puisque le virus avait muté. Le VIH-3 était une forme particulièrement agressive du VIH, allant même jusqu'à déformer le visage de certaines personnes atteintes. Les médias parlaient d'une "nouvelle lèpre" et des analyses plus poussées furent ordonnées sur le champ par le gouvernement français. Des scientifiques venus de l'Europe entière affluèrent pour comprendre d'où provenait ce fameux VIH-3 et de quoi il pouvait bien être constitué. Une fois encore, les résultats ne tardèrent pas à tomber. Le virus avait muté au contact de gênes canins, qui provenait d'un chien non identifié à ce jour mais qui était dans tous les cas pourvu d'une rage particulièrement redoutable. Pourtant, c'était impossible que ce même chien ait mordu l'entièreté des élèves d'une école sans que ceux-ci ne soient au courant, pas vrai ?

Du coup, les scientifiques finiront par en déduire que seule la première personne en contact avec l'aiguille était atteinte auparavant et ils remontèrent très vite la chaîne de lycéens infectés. Avant toute transfusion, Sissi avait testé ses compétences à résister à la vue du sang sur elle-même à l'aide de Ducroc, qui savait piquer où il le fallait car sa mère malade avait eu besoin plus d'une fois d'injections à domicile. Et puis bien sûr, la diva de Kadic voulait être la première à inaugurer ce projet qu'elle voyait comme révolutionnaire pour une petite école de banlieue. Du coup, Elisabeth Delmas était elle-même à la source du VIH-3. Elle dût confier tous les détails de sa vie sexuelle à tous les protagonistes du merveilleux domaine de la science qui venaient la harceler de questions et deux noms sortirent très vite : Ulrich Stern et Théo Gauthier. Les deux seuls êtres vivants avec qui elle avait pu avoir des rapports par le passé, elle le jurait haut et fort à qui voulait bien l'entendre. Le trio fut fortement incité à se rendre à l'hôpital le plus prestigieux de Paris pour un séjour constitué de fils et machineries en tous genres mais Stern mit les voiles. Il fut introuvable, on en venait presque à croire qu'il s'était tout à coup retrouvé dans une autre dimension, bien loin de la justice des hommes. La batterie de tests, combinée aux questions des spécialistes, apportèrent quelques réponses supplémentaires. Théo Gauthier était porteur du VIH depuis des mois, il était donc le "sale type" qui avait contaminé Elisabeth Delmas. La mutation du virus avait eu lieu au sein de l'organisme de cette dernière, une fois que Sissi fut mise en contact avec de l'ADN canin. À l'intérieur d'elle-même. Dans ses ovaires pour être plus précis. Une semence datant du 21 janvier, le jour même de l'expérience donc. Ce qui était plus qu'étrange puisque ce même ADN n'apparaissait pas du tout dans les analyses de Théo. Ce qui voulait donc dire... que la fille du collège-lycée le plus réputé du coin avait forcément été mise en contact avec du sperme de chien. Comment l'expliquer, si ce n'est par des relations sexuelles malsaines que la presse racoleuse s'empressa d'inventer ? Elisabeth nia en bloc, elle admettait juste avoir eu un rapport avec Stern le matin même. Mais Ulrich ne pouvait décemment pas contenir des gênes canins dans son ADN, pas vrai ?
  Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Dim 16 Juil 2017 12:46   Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth
Eh bien voilà, je suis finalement de retour. Merci beaucoup pour vos commentaires Ikorih et Icer, je ne m'attendais pas à une telle réaction pour un simple prologue. C'est encourageant en tout cas ! Du coup, je pense que la meilleure réponse que je pouvais faire était de publier le premier des cinq chapitres de cette fanfic, voilà qui est chose faite ! Petite précision : les évènements racontés ici se déroulent trois mois après le prologue, qui était vraiment là pour planter l'ambiance. Rapide mot sur la suite : le chapitre deux est en phase finale de relecture, l'étape qui me prend le plus de temps. Il sera assez rythmé et précisera un peu plus le contexte de cette dystopie. J'espère quand même avoir évité la fameuse sortie de Ruth avec ce premier épisode posté, si ce n'est pas le cas n'hésitez pas à me le faire savoir pour que je puisse rectifier le tir ! Bonne fin de week-end à tous et à bientôt...






Chapitre 1 ~ Loin d'eux



Tout a commencé avec une fille…
Un jour, dans la salle de bain, en sortant de ma première douche avec mademoiselle, après m’être essuyé et rhabillé, je m’apprêtais à quitter la pièce pour rejoindre la chambre.
« Tu ne te nettoies pas les oreilles avec un coton-tige ? », m’envoie-t-elle.
« Euuh… non… — Quoi, mais c’est sale ! Moi, je le fais tous le temps, je suis accro ! » Je lui répondis d’un hochement de tête en me munissant de l’arme en coton, avant de l’insérer dans mon orifice auriculaire, pour la première fois depuis bien longtemps.
« C’est vrai que c’est agréable », lui rétorquai-je. Malheureusement, je ne savais pas encore, à ce moment précis, dans quoi j’allais m’embarquer…
Ce geste, certes simple, mais mêlant l’utile à l’agréable, commença à se répéter désormais à chaque fois que ma dulcinée prenait possession de mes quartiers. Après la douche commune, un regard, un sourire et la boîte de cotons-tiges s’ouvrait pour nous laisser goûter à nouveau à ce petit plaisir occasionnel.
La surprise fut de taille lorsque, quelques semaines plus tard, s’exilant discrètement entre quatre yeux lors d’une soirée entre amis, elle me révéla qu’elle portait sur elle, dans son sac à main, un paquet flambant neuf de cotons-tiges.
« Tu en as même amené ici... mais… pourquoi ? »
Mon étonnement, couplé au loufoque de la situation, me laissait sans voix.
« Bah qu'est-ce que t'as ? Grâce à ça je peux rester propre en permanence, c’est important tu sais, les oreilles propres ! Tiens, prends-en un ! »
Après une hésitation de quelques secondes, je me décidais à m’armer du précieux bâtonnet.
« Haha franchement, je ne m’en lasse pas, tu as raison ! », lui répondis-je en train de me curer le pavillon.
Bien malgré moi, toute cette rigolade n’était en réalité que le début d’une atroce addiction. Le temps passait et, même sans la présence de ma concubine, cette envie qui me prenait initialement tous les quatre ou cinq jours commença à s’emparer de mon quotidien. Il m’était désormais impossible de quitter la salle de bain sans passer par la case « coton-tige ».
« Ça fait quand même tellement de bien », me répétai-je en reprenant machinalement le procédé désormais récurrent.
Aujourd’hui, je suis séparé de cette fille, mais cette addiction fait malheureusement toujours partie de ma vie. Les boîtes de cotons-tiges se vident par dizaines et, bien que mes oreilles n’aient jamais été aussi entretenues, je suis détruit par le manque à chaque fois qu’un de mes soldats de plastique manque à l’appel.
On ne le répétera jamais assez, mais la morale de l'histoire est criante de vérité : ne faites pas n’importe quoi par amour !


Sissi referma le journal intime de son père avec un brin d'inquiétude. Il délirait de plus en plus souvent et ses crises atteignaient un niveau d'intensité inquiétant. Chaque matin, il s'installait à son bureau avec une tasse de café bien noir, seul un demi-sucre venait gâcher cette parfaite composition. Le bureau était très encombré, des canettes de sodas aux babioles les plus diverses jonchaient la planche de bois de manière exponentielle. Recouverts d'une épaisse couche de poussière, on pouvait relever un petit hibou de verre, un dictionnaire des synonymes édition 82, la carte de visite d'un notaire véreux du coin, une agrafeuse vidée de toute munition, un cochon-tirelire argenté qui n'émettait pas le moindre son quand on le secouait, une mappemonde recouverte de punaises colorées et un vieux cadre au creux duquel on pouvait observer la photographie d'une élégante vieille femme vêtue d'un veston abricot et qui possédait une ressemblance frappante avec l'ancien proviseur de Kadic.

Quand elle ne travaillait pas, Elisabeth observait son paternel de loin avec sa verveine citron qu'elle absorbait couramment pour tenter de se détendre. Chaque jour, c'était quitte ou double. Certains matins, Jean-Pierre ronchonnait dans sa barbe à la recherche d'une inspiration divine, ce crâne miteux avec lequel il voulait s'unir, ongles encrassés rongés par la nervosité ambiante. Ces matins-là, on n'en tirait rien de bon. À peine quelques lignes, ponctuées de ratures ici et là. Sa fille lui proposait gentiment de réessayer plus tard dans la journée mais l'ancien proviseur de Kadic refusait catégoriquement. « Le crâne sacré de l'inspiration, il n'apparaît qu'aux aurores ! Si on s'évertue à le chercher par après, il s'effrite au fil de la journée jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un petit tas d'os souillés par l'immonde plume de l'écrivain contre-nature qui s'efforce à gratter son papier sans grande conviction, juste pour remplir les trous et se donner l'impression d'avancer ! » Depuis peu, Delmas se prenait pour un grand écrivain. Il voyait ce crâne, orné d'un bandeau violet selon ses propres dires, lui sourire et l'inviter à se plonger en lui chaque matin. Parfois, il restait inaccessible, parfois, il se tenait à portée de main. Sissi était toujours admirative devant ces moments où son père écrivait sans relâche, possédé par une force supérieure qui dirigeait la plume d'une main de maître. Aujourd'hui, il s'était levé à trois heures du matin. C'était pourtant bien avant le chant du coq, réveil naturel que son père conservait depuis longtemps, mais le crâne lui était apparu en songe. Il savait qu'il devait se mettre à coucher sur papier ce qui lui avait été enseigné pendant la nuit. De trois heures quart – une fois le café fait – à onze heures et demie, rien ne l'arrêta, même pas les besoins primordiaux de tout être humain normalement constitué. Et puis, il stoppa. Net. Avec une étrange lueur dans le regard. « Le crâne me défie de son sourire grimaçant, il s'édente au fil du temps. Bientôt, il ne lui restera plus qu'une canine, inutile si elle est seule. Quelle heure est-il ma chérie ? » C'est là que sa fille comprit qu'il n'allait pas bien. Jean-Pierre Delmas ne l'appelait plus « ma chérie » depuis des années, plus précisément depuis le jour où elle avait provoqué la fin de sa carrière.

« Onze heures et demie.
— Précisément ! Un peu de rigueur s'il te plaît.
— Onze heures et demie, répéta Elisabeth d'une voix sombre, la grande aiguille est bien arrêtée sur le trente.
— Ce n'est pas possible... Le crâne ne se manifeste jamais aussi tard, la seule fois qu'il m'a inspiré aussi tardivement il était onze heures vingt-quatre et j'en ai payé le prix par après... Revérifie, il ne peut pas être aussi tard, répéta-t-il en louchant sur la montre de sa fille.
— Tu n'as qu'à vérifier toi-même, siffla Sissi en le dévisageant d'un air glacial pour masquer son inquiétude. Je dois aller bosser, pas le temps pour tes conneries. »

Au fond d'elle, la belle brune sentait que ce n'était pas la bonne solution de laisser son père s'enfoncer chaque jour un peu plus dans les méandres de la folie. Elle ne pouvait évidemment pas savoir que l'impact destructeur de Jean-Pierre Delmas ne se limiterait pas au domicile familial, bientôt il s'en prendrait aux citoyens, innocents ou pas. Mais Sissi préférait fuir plutôt que d'avoir à revivre une scène d'agonie, celle de l'auteur qui se voit filtré peu à peu de toute son inspiration, ce précieux nectar qui relevait à la fois du fantasme et du pire cauchemar pour tout gratteur de première catégorie. Elle quitta le bureau et s'adossa à la porte, retenant ses larmes dignement. La jeune femme voulait partir, le quitter une bonne fois pour toutes afin qu'il se débrouille seul avec ses propres problèmes. Mais elle ne pouvait pas faire ça. Ça restait son père... même s'il devenait de plus en plus cinglé. Il cria. Une fois. Deux fois. Trois. Elisabeth tenta de couvrir au mieux ses oreilles alors que des petites perles humides commençaient leur longue descente sur ses joues recouvertes de taches de rousseur. Elle plaça son index gauche dans le court interstice qui séparait le bas de la porte et le sol, comme une main tendue vers un proche qui ne voulait plus d'elle. À l'intérieur du bureau, la situation ne faisait qu'empirer.

« Le crâne... le crâne, hurlait le retraité, il se fissure ! Tu as interrompu ce déferlement d'énergie créatrice, sois maudite ma fille ! Va brûler en enfer, c'est là que ta mère t'attend ! »

Jean-Pierre quitta du regard son précieux manuscrit pour se concentrer sur la porte derrière laquelle, il le savait, sa fille s'était réfugiée. Comme à chaque fois. D'habitude, il se calmait dans les vingt secondes. Mais aujourd'hui, c'était différent. Il s'empara de la chaise sur laquelle il reposait la plupart du temps et la balança virulemment à travers la pièce. Il crut entendre les protestations de sa fille mais ça ne lui suffit pas. Puisqu'il ne pouvait pas lui faire mal – elle provenait quand même de ses testicules malgré tout –, Jean-Pierre allait devoir trouver un autre moyen de canaliser cette fureur... et il ne réfléchit pas très longtemps. Sa main droite, les doigts acérés comme des griffes, s'éleva à la hauteur de son front. Il enfonça ses cinq ongles pointus dans la chair et ouvrit une poignée de petites rigoles sanguinolentes, le sang coula dans ses sourcils, sur ses paupières, de chaque côté de son nez pour arriver aux lèvres blêmes. Il se gifla alors la joue de sa main gauche, assez fort pour que le choc entre sa paume et la peau du visage se manifeste sous la forme d'un claquement assez horrible à entendre. Folle d'inquiétude, Sissi finit par entrer dans la pièce et elle trouva son père torse nu, en pleine automutilation, des griffes immondes s'étendant sur son ventre et sur le haut du dos, là où il s'amusait à enfoncer ses doigts dans la chair en vue de toucher ses omoplates.

« Papa, ça... ça suffit. Je vais te faire interner, ça ne peut plus continuer comme cela. »

Dans un accès de rage ultime, Jean-Pierre émit un grognement ignoble avant de se jeter sur sa fille qui hurla aussitôt. Mais il ne comptait pas lui faire trop de mal, pas encore, il se contenta de la pousser sans ménagement hors de la pièce. Elisabeth s'empêtra les pieds dans le tapis du corridor et sa mâchoire alla cogner violemment le mur d'en face. Elle sut qu'une de ses incisives s'était cassée avant même d'avoir eu le temps de retrouver ses esprits totalement. Une dent, ce n'est rien... Elle s'attendait à ce que son père lui saute dessus d'un moment à l'autre mais il se contenta de fermer la porte du bureau à clé, de l'intérieur bien entendu, l'isolant du reste du monde une nouvelle fois. Cette fois, elle savait qu'il ne pourrait pas s'en tirer comme si de rien n'était... mais le gros problème était qu'il le savait sûrement aussi, malgré sa folie de plus en plus marquée.

« C'est pour lui que je dois faire ça » murmura-t-elle de manière à ne pas être entendue. À vrai dire, elle ne savait pas très bien si cette phrase résonnait si fort dans sa tête qu'elle avait juste l'impression de l'entendre en vrai ou si elle était vraiment en train de la chuchoter dans le couloir au sol ravagé par l'eau... L'eau ?!

« Papa, coupe ce robinet tout de suite !!! »

Un déclic. Un bout de métal dans la serrure qui libère les dernières angoisses. La clef tourne et un Jean-Pierre souriant apparaît, le petit évier fixé au mur gauche de la pièce ne laisse plus échapper aucune molélule d'H2O. Sissi regarda droit dans les yeux son père, les nuages ont disparu, les traits sont détendus, sur le front ruisselait encore un peu de fluide corporel qui ne devrait pas se trouver là mais c'est pas grave, l'orage est passé, c'est tout ce qui compte. Elisabeth se mit à trembler mais réussit à refouler les sanglots qui s'apprêtaient à l'inonder à nouveau. Jean-Pierre l'enlaça, tout en passant ses doigts humides dans les longues mèches de sa fille, collées entre elles à la racine par un mélange de transpiration due à l'adrénaline et à la sueur froide émise. Il se colla à elle, quitte à sentir à plein nez son parfum enivrant et lui chuchota ces quelques mots à l'oreille : « On va prendre un nouveau départ ma chérie. Notre reine, dans sa plus grande miséricorde, m'a doté d'un talent inouï... et je compte bien le rentabiliser. On sera heureux, tu verras... Oh oui tu verras comme on sera heureux ma belle. »




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Quelle est la différence entre un homme et un scarabée ?

Vous ne savez pas ?

...

Le scarabée tient parce qu'il a une carapace qui empêche tous ses organes de s'éparpiller. Ce qui le structure, ce qui le définit, ce qui le délimite, ce sont ses élytres. Pelez un scarabée, il s'épanchera en une grosse masse informe et répugnante. Cela ne lui fera pas du bien et ça servira tout juste à apaiser votre appétit de psychopathe en devenir.

Contrairement à ce coléoptère, l'homme tient parce qu'il a un squelette autour qui le fait tenir debout et avancer. Celui-ci ne limite en rien l'homme, il lui permet de se mouvoir, d'agir, de poser un acte qu'il finira peut-être par bénir pour le restant de ses jours.

Ainsi en va-t-il des valeurs. Conditionnez quelqu'un, imposez-lui des valeurs de l'extérieur et il deviendra un scarabée et, à la première remise en question, il n'en restera rien. Allumez la flamme qui lui sert de conscience, aidez-le à réfléchir au sens de l'existence humaine et il se construira petit à petit un squelette autour duquel il s'édifiera. L'homme fera tellement de grandes choses, si on lui en donne les moyens, si on ne le cloisonne pas en misérable scarabée, si on le laisse épancher ce subconscient intérieur qui finira un jour ou l'autre par éclabousser son quotidien.

N'oubliez jamais que, au cœur de la colonne vertébrale, la moelle épinière tellement cruciale est fragile comme la flamme d'une bougie qu'un rien peut souffler... C'est cette épine de vie que vous devez impérativement entretenir au quotidien, laissez-la germer et elle contaminera vos proches de ses valeurs essentielles au bon fonctionnement de notre société.

N'oubliez jamais de me vénérer, moi, votre reine, ainsi que mes fidèles lieutenants qui ont activement participé à la dynamisation de la cité. Priez, écoutez et implorez, seul cela pourra vous sauver une fois la nuit tombée... À demain, si vous êtes encore parmi nous, ce que je vous souhaite du plus profond de mon âme.


Ruth attendit, tout seul dans son caisson, les tubes au nez et aux creux des bras. Il savait que l'avis de recherche allait suivre, une voix masquée par la promesse d'anonymat allait bientôt retentir dans sa tête. Depuis que la première fille s'était fait violer, le message quotidien de la reine était accompagné du témoignage d'une nouvelle victime. Chaque jour, on n'y manquait pas. Un discours, un témoignage. Cela faisait exactement deux semaines et demie qu'il était retenu contre son gré et que sa seule distraction quotidienne se résumait à écouter attentivement ces mots précieux avant qu'ils ne se délabrent sous l'effet du temps.

« À toi, sombre connard n°1 qui a gâché ma vie, commença la jeune fille de son timbre caractéristique. Tu n'es certainement plus étudiant en première année vu ton âge, à moins que tu ne sois carrément débile, et là j'exclus chaque senior de la fac ayant simplement repris des études pour leur soif de connaissances, mais j'ai besoin de te hurler que, enfin, je t'ai dénoncé. Enfin, après tout ce temps, mon entourage sait ce que tu m'as fait subir cette fin d'après-midi de novembre alors que je retournais tranquillement rejoindre l'homme que j'aime à notre appartement. Tu m'as détruite, tu m'as fait avoir honte de moi, je me suis sentie sale, misérable, gênée. Je n'ai jamais osé dire à qui que ce soit tout ce que tu m'as fait subir. J'ai menti à tout mon entourage, j'ai repoussé l'homme que j'aime parce que le souvenir de tes mains sur mon corps me rendait malade.

Aujourd'hui, j'ai parlé. Trop tard, j'ai perdu celui que j'aime et j'en souffre presque autant que tout ce que tu m'as fait. Mais je te promets une chose : tout ce que j'ai perdu ne sera rien face à tout ce qui t'attend. J'ai enfin retrouvé la force de me battre et j'ai foi en la milice : on va te retrouver et tu regretteras tout ce que tu m'as fait subir et peut être aussi à d'autres.

À vous mesdemoiselles qui avez rencontré un homme dans la vingtaine et mesurant approximativement un mètre quatre-vingt, de corpulence mince mais relativement musclé néanmoins. Il a le visage fin, quelques cicatrices sur les joues ainsi que sur l'arcade sourcilière gauche et des cheveux blonds coiffés en pointe avec une hideuse mèche mauve qui se situe juste au-dessus du front. Cet individu est dangereux, il est connu des services de l'ordre pour avoir déjà manifesté par le passé son mépris face au régime mis en place par notre reine. Manifestez-vous s'il vous a infligé le même traitement que ce qu'il m'a fait subir. Ne vous taisez plus, ne vous sentez plus sale et battez-vous.

Et à toi, sombre connasse n°2, j'ai presque envie de te dire merci. Merci à toi, salope sans cœur, de m'avoir droguée et de m'empêcher de me souvenir de tout ce que tu as pu me faire avec ce malade mental. Mais le vrai merci, c'est de m'avoir donné le courage d'enfin parler.

On peut, mais on ne devrait pas, se taire une fois. Mais pas deux. Les filles, pitié, même sous le choc, même sans aucun souvenir... ne vous taisez pas. Ne vous lavez pas, allez a l'hôpital et portez plainte tout de suite.

Et si vous n'avez pas eu le courage sur le moment même, pitié, il n'est jamais trop tard. Sachez dès à présent, chers Della Robbia et Ishiyama, que vous êtes activement recherchés. Pour cette dernière, pas besoin de description. Nous avons une photo de cette étrangère et elle sera affichée partout dès demain avec ses différentes mensurations et caractéristiques. Je n'ai qu'une hâte : me délecter du spectacle que sera votre supplice lorsque notre reine aura votre destin entre ses mains. Œil pour œil, dent pour dent, j'ai hâte d'appliquer la procédure pour me venger de l'abjecte agression que vous m'avez imposée. Retiens bien ça mon petit Odd : Les femmes sont capables du meilleur comme du pire... mais c'est dans le pire qu'elles sont les meilleures. À très bientôt j'espère ! »



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Déjà, les nuages roses s'estompaient pour laisser place à une noirceur bienvenue. L'abbaye en ruines l'encerclait de ses murailles délabrées. Il était seul, se tenant au gré du vent glacial au centre de la bâtisse, des rafales s'insinuant aisément au travers les murs qui peinaient à tenir debout. Ses jambes tremblaient légèrement, le froid... ou la peur ? Il se résumait en ce moment même à ce qu'il avait toujours été. Un camé. Un camé qui tenait à peine debout mais qui sentait pourtant une énergie bienvenue lui parcourir les veines. Il avait eu sa dose. Comme le vieillard qui s'accroche désespérément à sa morphine pour profiter pleinement de la douce brume de cette réalité qu'il voyait déjà s'enfuir au loin, ce misérable petit tas de sable glissant entre les doigts et qui finit inéluctablement au sol. Comme le nymphomane qui sait qu'il va vider ses couilles à nouveau, salivant devant la chair si tendre qu'il s'apprête à posséder. Comme le toxico prêt à s'enfoncer une nouvelle fois cette seringue délicieusement terrifiante qui le faisait tant bander, mais une fois à l'intérieur, l'aiguille va se briser et le pauvre camé restera avec un affreux bout de métal dans le bras. Mais peu lui importait ce détail, du moment que le liquide céleste se mélangeait à sa source de vie, s'insinuant dans le creux de son bras pour échouer dans un recoin sordide du corps, là où la déflagration de sensations colorées allait pouvoir naître.

Ruth Portland examina ses bras et vit, dans le creux de ses coudes, des taches violettes et ocre qui se superposaient, avec un trou rempli de sang noir au milieu de chacune. Il ne savait pas ce qui lui était arrivé. Il se souvenait vaguement de son dernier emplacement, au croisement de la rue des souffre-douleurs et de l'avenue Belpois, mais rien d'autre. Enfin, si. La faim, la soif, la crasse, la préciosité qui s'échappe peu à peu de ses entrailles sous forme de longs filets rouges s'évadant poussivement de tous les orifices possibles. Les marques sur ses poignets, d'un orange pâle, ne laissaient pas place à une multitude de scénarios. Il avait été ramassé par les Déchiqueteurs, ces ombres somptueusement flottantes mais pour le moins inquiétantes qui vadrouillent sans relâche dans les divers sentiers de la cité, ramassant au passage les plus faibles de ce monde. Peut-être qu'ils l'avaient cru mort. Peut-être qu'ils avaient vu en lui un esclave qui pourrait s'avérer utile au vu de sa taille impressionnante. Ruth ignorait pourquoi les Déchiqueteurs l'avaient attrapé, aux portes de la mort, pour le foutre dans un caisson suintant mais pour le moins revigorant. Et maintenant, il se retrouvait là, dans cette vieille abbaye, avec ces sempiternelles interrogations qui valsaient dans son esprit.

Peu de temps avant qu'on ne vienne placer Ruth ici, un duo de... stylistes – il ne savait pas comment les nommer autrement – l'avait équipé d'une sorte de costume bleu marine, moulant à souhait, parfaitement uniforme et descendant jusqu'aux chevilles. La disparité de cet ensemble impeccable se situait au niveau des coudes et des rotules, protégés par une sorte de caoutchouc pourpre qui contrastait avec le bleu marine uniforme. De ses affaires personnelles, il n'avait gardé que son caleçon, sale et usé par le temps. On l'avait affublé d'un casque kaki portant le numéro trois, son chiffre préféré gravé en blanc. Ça ressemblait un peu à un casque de moto car ça lui recouvrait l'entièreté du visage, à l'exception qu'il n'y avait pas de visière. Seul un renfoncement pour les yeux était disposé sur le... masque de Dark Vador car c'est plus à cela que ça ressemblait après réflexion, quoi qu'il soupçonnait un peu son imagination de s'emballer un poil trop rapidement. On lui avait aussi fourni une sorte de fusil à pompe, inoffensif tant qu'on laissait le petit loquet de sécurité bien en place. La paire de chaussures qu'ils lui avaient imposée n'était pas à sa pointure, son gros orteil droit souffrait le martyre tandis que le gauche était tout aussi à l'étroit. Ruth aurait volontiers échangé ses baskets blanches inconfortables contre la paire de vieilles bottines endommagées jusqu'aux semelles qu'il avait l'habitude de porter. Dernière chose notable, il avait aussi été équipé d'un petit talkie-walkie bien épinglé au niveau de sa poitrine, on lui avait assuré qu'il n'était pas nécessaire de le sortir de là pour communiquer avec tel ou tel interlocuteur. Néanmoins, Ruth n'aimait pas ça. Ce manque de contrôle ne lui plaisait guère car il aimait être le seul maître et il lui semblait évident qu'un bon talkie-walkie devait être plus facilement manipulable au sein de ses paumes crasseuses plutôt que suspendu dans les airs à un bon mètre et demi du sol.

Alors que notre numéro trois examinait toujours sa tenue du jour, un autre personnage fit son apparition. Tellement obnubilé par la petite tache qu'il venait de découvrir sur son uniforme à hauteur de sa côte gauche, Ruth ne remarqua pas tout de suite l'arrivée de cet intrus. Ce n'est qu'au moment où le nouvel arrivant se racla la gorge que le roux constata qu'il avait un partenaire de jeu. Quand il le vit affublé des mêmes protections que lui, Ruth comprit qu'ils étaient sans doute dans la même... équipe, à moins que cette ressemblance était justement destinée à les tromper. Le pseudo-partenaire était plutôt trapu, plus petit que Ruth donc mais il semblait tout de même assez costaud. Il se déplaçait de manière féline et semblait se mouvoir sans difficulté malgré le poids de la tenue moulante. Il pouvait lire l'avertissement dans ses yeux dorés, message aussi clair que l'eau de roche : « J'fais peut-être 1m53 mais j'casse des gueules. En vrai, je suis la réincarnation de Satan. Si j'suis si petit c'pour être plus proche de l'enfer. »

« Salut. »

Les cordes vocales de Portland avait finalement laissé un mot s'échapper mais le ton que prit cette salutation était complètement différent de d'habitude. À la place de son expression nasillarde habituelle, Ruth constata avec surprise qu'il parlait désormais comme un robot ! Sûrement le casque...

« Yo » répondit l'autre... motard sur un ton tout aussi dénué d'émotion. « J'te flinguerais pas la gueule si tu joues pas au leader, c'est pas paske que tu portes un chiffre plus élevé que tu dois te sentir pousser des ailes gros. » Surpris par cette menace, Ruth Portland constata bien assez vite que son acolyte était le numéro quatre, à en croire la trace blanche peinte sur le haut de son casque. « C'est bizarre, j'aurais juré que mon chiffre avait été gravé à même le casque depuis belle lurette et on dirait que le tien... vient d'être fait à la va-vite avec un pot de peinture et un pinceau tenu par un gosse de cinq ans. » Numéro quatre rit, hennissement saccadé et dément qui semblait non pas venir de ce visage robotique mais plutôt d'un ventriloque qui était en train de lui faire la blague de l'année. « Ça y est, tu prends déjà la grosse tête wesh. T'es sûrement en train de penser que je n'étais pas prévu au scénario. Mais écoute-moi bien ptit merdeux, j'ai pas besoin d'une gravure pour me sentir important moi. » Décidément, Numéro quatre avait du tempérament malgré sa petite taille. Ça amusa beaucoup Ruth qui n'était pas habitué à ce que quelqu'un réagisse à ce qu'il pouvait bien exprimer en tant que clodo de la cité. D'habitude, ce qu'il pensait n'avait aucune importance et personne ne l'écoutait. Portland se fit donc la réflexion qu'il allait plutôt la jouer franc jeu avec Mister 4, même s'il allait tout de même tenter de le surveiller de près et de s'assurer qu'ils jouaient bien dans le même camp. Enfin, à supposer que la fameuse mission qu'ils avaient été chargée d'accomplir se faisait bien en équipe et non pas en individuel...

« Salut les mecs, ça gaze ? » fut prononcé par une splendide jeune fille élancée, même si les « mecs » en question n'étaient pas en mesure de mater la nouvelle arrivante aussi bien qu'ils l'auraient voulu. De toute façon, pour ce qu'ils en savaient, elle pouvait être moche comme un pou en dessous de son costume. Mais rien que l'intonation, moins robotique que les deux autres, promettait déjà du lourd. Sans oublier sa tresse aux mèches foncées qui émergeait de son casque et son arrière-train moulé de façon à attirer tous les mâles des environs. À côté de Miss numéro deux, qui portait des protections roses sur le tissu bleu marine désormais traditionnel, se trouvait un autre individu armé, cette fois pourvu de protections grises et flanqué du numéro un. Ruth fut immédiatement surpris face à la stature du nouvel arrivant car il était aussi grand que lui, chose rare pour le colosse roux qui trouvait peu de rivaux à sa taille. Subitement, il espéra que son intuition de base se confirmerait et qu'ils seraient tous dans la même team... Comme avec le casque de Numéro quatre, il était possible de distinguer les yeux du colosse en question, de teinte noisette et un regard de fouine, deux iris aux aguets trahissant un tempérament nerveux sans pour autant pouvoir être considéré comme agressif. C'est là que Ruth eut un doute. Jusque-là, il ne s'était même pas posé la question : un tel colosse ne pouvait être qu'un garçon. Mais pourtant, il y avait quelque chose d'étrangement féminin dans ce regard. À moins qu'il était tout simplement en train de se faire des idées, une fois de plus...

« On devrait faire un tour des prénoms, proposa Numéro deux. Moi c'est Sandy et v...
— ¡Hola! ¿Qué tal? »

Le discussion entamée tourna court. Ils venaient d'être rejoints par deux numéros supplémentaires : Numéro cinq qui ne parlait visiblement pas français et... Zéro, le vrai chef. Double fusil, uniforme noir orné de différents décorations, on voyait directement qu'il était le vrai leader. Lui. Et personne d'autre. Contrairement au reste du groupe, il ne portait pas de masque. Une différence de plus pour un être d'exception. Ses cheveux commençaient à grisonner mais il était toujours en forme, il avait l'allure de quelqu'un qui avait perdu pas mal de poids en très peu de temps. Dentition très blanche encadrée par de grandes gencives, sourcils broussailleux, nez bien dessiné et menton anguleux. Sandy eut l'étrange impression que leur leader sortait tout droit d'un dessin animé à tendance asiatique alors qu'il était visiblement d'origine européenne, à en croire sa couleur de peau en tout cas. Un bandeau blanc aux bords rouges enserrait sa chevelure qui tirait légèrement vers le haut, plus ébouriffée que réellement en pointe mais cela lui attribuait un résultat capillaire un peu similaire aux personnages de mangas. Un pansement beige était soigneusement appliqué sur une courte zone de peau, juste en dessous de son œil gauche. Sur son col se dégageaient aisément deux signes : une bulle verdâtre qui représentait le chiffre zéro – ça tout le monde l'avait bien compris – et ce qui semblait être des initiales JM, dans la même teinte que le premier symbole.

« Bonjour à tous. J'espère que vous êtes prêts à faire de votre mieux pour sortir sains et saufs de cette nouvelle arène. Pour les nouveaux, voici vos instructions. »

Ruth s'efforca d'écouter. Mais très vite, son attention diminua. Comme toujours. Il lui était impossible d'écouter un interlocuteur pendant plus de trente secondes. Passé ce délai, son cerveau lui disait stop et se cassait bien loin avec son amie l'ouïe, le laissant seul avec son meilleur atout : l'observation visuelle. Il voyait bien que les lèvres de Zéro allaient et venaient dans le vide mais il refusa d'y concentrer son attention. À la place, il reporta le peu de concentration qu'il lui restait sur ses étranges camarades. Il y avait quelque chose de singulier qui se détachait de ce petit groupe. Sans oublier l'étrange composition : les deux colosses rivaux, la fille sexy, l'hispanique qui ne comprend rien à sa vie et le trapu un peu wesh wesh. Ça semblait presque... programmé. Surtout que, pour la première fois depuis longtemps, Ruth se sentait plutôt bien entouré. Il avait l'étrange impression que ces six minuscules minutes ne pouvaient résumer la fusion qui émanait déjà de la petite bande, comme s'ils se connaissaient depuis bien plus longtemps que ces ridicules trois cent soixante-deux secondes qu'on avait bien voulu leur laisser. Il avait compté dans sa tête. C'était un tic, ou une petite manie selon les cas. Il en avait plein. Inscrire dans un livre, juste en dessous du titre, les dates de lecture de la première et dernière pages d'un ouvrage était une des nombreuses habitudes qu'il avait prises avec le temps. De cette manière, il savait exactement que tel bouquin avait accompagné telle période de sa vie. Dans les bons moments, il y avait toujours une œuvre de fiction... fantastique. Ruth avait essayé d'autres genres mais tous s'étaient accompagnés d'une saloperie au quotidien : infection avec la romance, mauvaise rencontre avec le réalisme et même un bain forcé lorsqu'il cachait un grand drame historique de Hugo dans sa besace. Mais quand il lisait du fantastique, tout lui semblait un peu plus merveilleux, une plume d'oie blanche recouvrant la morosité ambiante de son manteau soyeux. Et, même s'il était à la rue, il trouvait toujours de quoi occuper ses rétines, trésors qu'il conservait précieusement dans une cache aménagée en dessous du deuxième plus grand pont de la ville. C'est difficile de demander aux gens des denrées alimentaires ou financières, qu'elles qu'en soient la nature, mais des livres, ça, c'était encore relativement facile. Faut dire que le quidam est rassuré, il est certain d'avoir accompli sa BA du jour en donnant un bouquin à un clochard pour l'éduquer. Celui qui lit s'instruit. Et celui qui esquive les lignes dactylographiées est à la tête d'un palace car trop occupé pour se vider la tête avec un « ouvrage inutile » telle qu'une fiction. Triste réalité.

« Numéro trois, tu m'écoutes ? »

Numéro trois... Il dépendait totalement de cette appellation désormais. Plus d'insulte pour l'interpeller, plus de surnom débile et, encore mieux, plus d'emploi du ridicule prénom que ses abrutis de parents lui avaient attribué.

« Comme je le disais, reprit l'instructeur d'une voix neutre au possible tout en laissant apparaître un masque d'autorité sur ses traits disgracieux, il va être temps de faire vos preuves. Comme vous le savez... à peu près tous, vous êtes en période de test. Sauf qu'ici, il n'y aura pas forcément de ticket gagnant. Pour ce que j'en sais, vous êtes tous perdants avant même de commencer cet exercice. Ici, nous ne gardons pas le moins mauvais parce qu'il est le seul à sortir du lot. Non. Nous testons vos capacités et si l'un de vous se révèle être bon, tant mieux pour lui. On gravera ça sur sa tombe. Car nous ne gardons pas non plus les bons éléments, ni même les meilleurs. Ce qui intéresse mon employeur, c'est les balls. Prouvez que vous en avez... et vous serez présent au prochain round.
— Ça risque d'être compliqué pour moi, plaisanta Sandy en ricanant entre ses dents. Je ne sais pas si votre employeur est gay mais... »

La puissante détonation empêcha Ruth d'entendre le reste de la dernière phrase de Sandy. Elle ne prononcerait plus le moindre mot, même pas la moindre syllabe pour donner son avis sur ceci ou cela. De la fumée grisâtre s'échappait du canon de l'arme de l'instructeur et Sandy était déjà à terre, prête pour une dernière sieste prolongée, tandis que les premières fourmis géantes aux alentours se claquaient déjà les mandibules par pure délectation. La chair humaine, c'était comme du porc en fin de compte, gras à souhait en fonction de la zone désirée. Le projectile l'avait atteinte au front, en plein entre les deux yeux, et aucune goutte rougeâtre n'émergeait du masque. C'était propre comme travail, fallait bien le reconnaître. S'il avait s'agit d'un vrai casque de moto comme Ruth le pensait au début, la visière se serait inévitablement recouverte d'une marmelade peu ragoûtante qui aurait renforcé le côté dramatique de la scène. Mais là, non, c'était juste... impeccablement bien foutu, comme si Sandy venait délibérément de s'allonger après s'être fait piquer par une légère bestiole au gré du crépuscule.

« Mais c'est... c'est... » articula péniblement Numéro quatre, ses cordes vocales s'étant transformées en papiers de verre qui s'entrechoquaient fébrilement sans pour autant parvenir à prononcer un son assez continu pour établir une phrase complète. L'instructeur le fit taire immédiatement grâce à un fameux éclair lancé dans sa direction. Au sens figuré. Son regard, aussi intense que celui du plus puissant hypnotiseur et aussi sombre que l'âme de son employeur, cloua Numéro quatre sur place. Il y avait tellement de haine, de fureur, une légère démence qui transpirait à grosses gouttes sur les pupilles de Zéro que personne n'osa plus faire le moindre bruit. Même lorsque Ruth constata que l'instructeur possédait une tenue légèrement souillée par les taches du dentifrice matinal, il garda le silence alors qu'il n'aurait pas manqué de faire la remarque en temps normal. Numéro un, l'autre colosse, ferma les yeux. Son cerveau s'activait à plein régime, des petits bonhommes de l'esprit lui criant tout et son contraire. « Quel connard ! » hurlait Neurone Conscience, « Butons-le ce bâtard ! » vociférait Neurone Revanchard mais, au fond de lui, il ne pouvait ignorer Neurone Opportuniste qui murmurait : « Plus que trois... » Et c'était vrai. À ses côtés, un trio d'aventuriers, comme lui. Mais ça ne voulait pas dire qu'il y aurait un vainqueur, l'instructeur l'avait bien précisé...

Numéro cinq, le prétendu latino, réfléchissait aussi bien en français que vous et moi. Il avait prétendu parler une autre langue et il ne savait toujours pas vraiment pourquoi d'ailleurs. Sans aucun doute une certaine forme de stratégie se cachait derrière cette tromperie... mais serait-elle payante ? Soudain conscient de son geste prolongé, il réalisa qu'il avait porté la main à son cœur au moment même où la collision entre la balle et le front acnéeux de Numéro deux s'était réalisée. Faut dire qu'il s'était passé quelque chose, quelque chose de pas si anodin en apparence. Au moment où Sandy avait rendu l'âme – puisqu'il estimait qu'elle était morte sur le coup, pfiout comme une bougie qu'on souffle un peu trop tôt – il avait ressenti une pulsation étrange au niveau de sa poitrine. À l'instant précis où le dernier souffle s'échappa de l'interstice buccal que l'on appelait couramment lèvres, Numéro cinq avait eu cette étrange sensation de perdre une partie de lui-même... ou d'en gagner une. Ghinzu – le prénom de Numéro cinq qui était aussi hispanique que son propriétaire – s'était soudain senti différent. C'est comme s'il avait pu tracer une ligne bien rectiligne depuis sa naissance, représentant son existence, et que la trajectoire avait subitement basculé. Itinéraire modifié à cause de ce point x donné, que l'on pourrait nommer « L'immense tragédie qu'est la perte de Sandy » ou pour les moins romantiques « Mort 1 : celle de la pétasse de la bande ». Ligne droite. Point x. Impact. Ligne incurvée. C'était aussi simple que cela... bien que Ghinzu ne comprenait absolument rien à la situation actuelle. Pour le reste de la mission, il n'aurait donc aucun mal à maintenir son rôle d'ahuri qui ne pète pas un mot de français.

« Elle avait dit son nom. »

Cinq mots. Pour justifier un tel acte. L'instructeur avait prononcé cette phrase sur le même rythme morne que « Sortez vos crayons, on va commencer la leçon. Aujourd'hui, cette question : pourquoi Sandy a été butée comme une merde avant même de pouvoir faire ses preuves ? » Il leur avait pourtant affirmer qu'ils auraient tous l'occasion de lui montrer l'étendue de leurs talents...

« Elle vous avait confié son prénom » répéta Zéro, du même ton que l'institutrice qui tente d'expliquer au reste de la classe pourquoi Toto a été puni. Les punitions sont mortelles ici, car les parents de Toto ne sont pas en mesure de contacter le directeur pour se plaindre d'une quelconque maltraitance subie. « Chaque douleur mentale est une veine qu'il est riche de remonter, jusqu'à ce que la sensation disparaisse dans le processus. Pour vous, l'élimination de Sandy ne doit être qu'un... travail de vacances, pour vous apprendre à localiser cette faiblesse qu'est la tristesse. Une fois que vous savez où elle se trouve, il ne vous reste plus qu'à appuyer sur ce putain d'interrupteur pour l'éteindre à jamais. Plus de larmes, plus de problèmes. Purger les pleurs, c'est restaurer en chacun sa dignité humaine... »

Ruth eut soudain l'envie de jouer lui aussi au professeur, d'expliquer à cet instructeur que l'exécution de Numéro deux n'était pas vraiment utile pour le pseudo-enseignement qu'il essayait de transmettre. S'il essayait de les endurcir, de leur faire oublier définitivement leur tristesse, c'était inutile de tuer un des leurs aussi tôt. En effet, aucun d'entre eux n'avait eu le temps de s'attacher à cette pauvre Sandy. Ils n'étaient donc pas attristés par sa mort mais plutôt... abasourdis. Et craintifs, face à la tournure des évènements, le début d'un maelström bien dégueulasse qui s'annonçait à l'horizon.

« Arrête de braire, rugit Zéro en salivant d'une rage aussi soudaine que préméditée. Sinon tu recevras la deuxième balle en pleine poire. Et j'en ai encore trois en réserve... En plus, cette salope ne s'appelle pas Sandy mais Cindy. Elle vous a tous trompés, dès le début. Définitivement pas une grande perte.
— C'est mes allergies, bredouilla Numéro un tout en continuant à renifler comme un porcelet souillé. Cette saloperie de pollen, ça a dû s'introduire dans mon casque par les trous d'aération. »

Ruth observa à nouveau les visages masqués de ses camarades. Il y avait bien des trous d'aération dans les différents casques, détail plutôt logique qu'il n'avait pourtant pas remarqué auparavant. Mais, chose étrange, ceux-ci n'étaient pas situés au niveau de la bouche – qui était emplie par cette sorte de modulateur de voix électronique – ni au niveau du nez, la surface du masque restant parfaitement lisse à cette hauteur. Chaque personne semblait respirer... via le bas des joues, du moins c'est là que l'air semblait rentrer si l'on se fiait aux nombreux petits trous qui se trouvaient à cet endroit. À moins que Ruth n'ait absolument rien compris au fonctionnement de ce masque et que cette « grille d'aération » possédait en réalité une toute autre utilité, peut-être qu'il se fourvoyait donc totalement...

« Hum, c'est bon pour cette fois » concéda Zéro, à la grande surprise de ses petits soldats en herbe. Numéro un parut soupirer de soulagement mais son regard restait toujours autant aux aguets, iris bruns voletant d'un numéro à l'autre, un brin plus agressif qu'auparavant. Ruth se fit la réflexion qu'il l'avait sans doute sous-estimé. La peur qu'il pensait voir dans les yeux de Numéro un était sûrement le reflet de ses propres craintes, du coup il s'efforçait de penser que ses adversaires subissaient les mêmes tourments. Eh oui, il les considérait maintenant tous comme des « adversaires » alors qu'il avait préalablement pensé qu'ils formeraient ensemble une équipe forte et soudée. Pensée candide, naïve, étonnamment naïve d'ailleurs pour un gars qui avait passé sa vie à se méfier des autres.

« Je suppose que vous mourrez d'envie de savoir ce qu'on fout tous ici » déclara ironiquement Zéro en jetant un bref regard à la dépouille de Sandy qui n'avait toujours pas été évacuée par une quelconque seconde main planquée dans le décor. Ce qui renforça Ruth dans son idée qu'ils étaient vraiment seuls dans cet endroit effrayant, où les ombres des ruines s'allongeaient plus que nécessaire. Seuls, face à un sacré psychopathe qui était prêt à les éliminer un par un ou tous ensemble selon son envie. C'est un geste subtil de Numéro quatre, le premier co-adversaire que Ruth avait rencontré, qui lui fit penser un bref instant qu'une alliance était possible. Une alliance, c'est bien. Mais contre qui ? Zéro bien sûr. Ils étaient quatre échantillons humains encore debout, si l'un d'entre eux dégainait son arme et la pointait vers l'instructeur, les autres suivraient. Zéro ne pourrait pas se défendre contre quatre tirs simultanés, c'était impossible. Mais un problème de taille subsistait : personne ne savait comment fonctionnaient ces fusils, ni même s'ils étaient chargés.

« Tu m'écoutes enculé ? » Cette injonction était clairement adressée à Ruth, d'ailleurs celui-ci le ressentit immédiatement. Sa rotule gauche se déplaça dans un craquement atroce, sa jambe s'effondra... ainsi que le reste de son corps. Il venait de se faire déboîter le genou, comme ça, d'un claquement de doigt... même pas puisque Zéro n'avait pas accompli le moindre geste. C'était juste sa volonté qui l'avait poussé à... La tenue moulante qu'il portait. C'était ça qui l'avait brisé de l'intérieur, son instinct lui hurlait de se déshabiller au plus vite, de se débarrasser de cet amas de pièges diaboliques mais la douleur lancinante musela le cri alarmant qui s'apprêtait à sortir. Il mordit la poussière, concrètement, face contre terre, il pouvait presque sentir sur son palais le goût volcanique de cet épais sable foncé qui recouvrait l'entièreté du sol. Pourtant, cette surface sablonneuse ne pouvait pas envahir son masque, impossible vu l'épaisse paroi du casque et le modulateur de voix. Mais, peu à peu, du sable parvient à s'insinuer entre la paroi collée du masque et le bas de son cou, puis remonta, lentement, très lentement, jusqu'à son menton rongé par la gale. Le contact du sable noir avec cette saloperie qui lui dévorait la peau jour après jour provoqua l'effet d'une bombe au sein de son organisme. Il voulut laisser échapper sa douleur via les décibels d'un long cri lugubre... mais aucun son ne sortit. Pour cause, des grains de sable commençaient déjà à s'insinuer dans le fond de sa gorge, dans le creux de ses narines, irritant ses paupières tout en s'approchant dangereusement des tympans. Des spasmes irréguliers s'emparèrent rapidement de ses longs doigts sinueux, tous les tendons de son corps se contractèrent et il eut soudain l'impression qu'une centaine d'aiguilles crevaient simultanément la peau qui entourait ses avant-bras. Alors, à cet instant précis, le hurlement s'évada des cordes vocales endommagées de Ruth.

« Jim ! »

C'est le dernier mot que Numéro trois entendit avant de sombrer dans l'inconscience la plus totale. Avec ou sans lui, la grande bataille allait avoir lieu... et l'assaut ennemi était sur le point de commencer.
  Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth  
Tazz

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 19 Mai 2017 12:36   Sujet: [Fanfic] Numéro 3 ~ Ruth
Spoiler


Prologue
La fille qui rêvait d'horizon


Ses dernières certitudes se lézardaient aussi vite que les regards fuyants des passants qui ne lui accordaient définitivement pas la moindre once d'attention, la plus misérable molécule en suspension dans l'atmosphère écharpant un bref instant la rétine humide de ces orbites peu compatissantes leur aurait fait plus d'effet que ce pauvre bougre assis à même le sol et se tortillant sur place pour ne pas laisser échapper la préciosité contenue au sein de ses entrailles. Il est vrai qu'il n'était pas doté d'un physique attrayant, ce qui renforçait l'aveuglement des quidams face à ce spécimen du « parfait exemple de l'épave sociale » ou encore du « clochard qui mérite amplement ce qui lui arrive ». Le jeune homme en question se prénommait Ruth, un prénom somme toute assez courant dans le coin mais généralement attribué à la gente féminine. Or, l'individu qui regardait d'un œil vide le tourbillon de piétons désireux de gagner un point ou l'autre de la ville était bien un garçon, même s'il ne portait plus d'être humain que le nom. C'était un écorché de la vie, un vrai, et on lui aurait donné facilement la trentaine alors qu'il n'avait même pas encore atteint la majorité. Ce décalage entre l'âge réel et l'âge apparent s'expliquait par la corpulence de Ruth, un colosse, sans abus de graisses ni de muscles pourtant. Il était juste une de ces curiosités de la nature, de ceux qui grandissent très vite à partir de la puberté. Non seulement le gain de centimètres avait été fulgurant mais il s'était aussi prolongé pendant une bonne partie de son adolescence, avec un bon mètre quatre-vingt-dix comme résultat final, à quelques millimètres du deux mètres en réalité... Ce qui le vieillissait aussi, c'était sa barbe qui recouvrait entièrement son menton, l'avant de son cou et une grande partie de ses joues. Plusieurs qualificatifs pouvant être utilisés pour décrire cette pilosité impressionnante pour un gamin de dix-sept ans. Cette barbe était vraiment... foisonnante, rêche et mal entretenue, ce dernier point étant d'ailleurs valable pour l'entièreté des parties externes – ou même internes – du corps de Ruth. Ça fonctionnait avec tout : pilosité mal entretenue, habits mal entretenus, foie mal entretenu, et la liste pourrait continuer de cette manière pendant de longues minutes. Seuls ses cheveux roux, coupés très courts, paraissaient propres mais ce n'était qu'une illusion de plus. S'ils avaient été longs, les gens n'auraient pas manqué de remarquer que Ruth n'avait plus vu le moindre shampoing depuis longtemps. Les lèvres gercées par le froid, le menton rongé par la gale et le nez brûlé par le soleil, il avait le corps d'un rescapé, celui qui avait dû affronter les aléas de la vie, de la vraie vie, pas celle que certains menaient dans leurs appartements luxueux, coupés de la réalité du peuple qui suait chaque jour pour leur apporter les quotas exigeants de denrées qu'ils réclamaient sans cesse.

C'est vrai qu'il fallait faire tourner la ville, cette capitale du vice qui accueillait chaque jour des milliers de parieurs, prêts à mettre en danger leur fragile existence pour connaître à leur tour le grand frisson. Tout être vivant savait qu'il allait frôler la mort ici-même, dans ce lieu aussi maudit que sacré, concrétisé par un nom ridiculement simple : Veelox. C'était tout, un mot pour résumer des siècles d'existences fragmentées, abstraites, dissoutes par l'haleine charbonneuse des bouffeurs de minerais et par la sueur perlant sur le front des gamines employées dès leurs plus jeunes âges dans toutes sortes d'établissements plus ou moins fréquentables. Alors qu'il s'apprêtait à se lever, à changer de pavé nauséeux, les oreilles de Ruth sifflèrent, ses tympans vrillèrent d'une intensité rare pendant une fraction de seconde avant qu'il ne soit capable de percevoir le message transmis à l'intégralité des petites fourmis qui grouillaient au sein de la scandaleuse cité. Car c'est ça qu'ils étaient après tout, de misérables insectes destinés à attendre les ordres de leur reine pour qu'enfin elle donne un sens à ces milliers de destins qui n'attendaient qu'une chose : la consigne ultime, celle qui était censée faire basculer ce foutu château de cartes fait de manipulations et diverses stratégies militaires, tout ce qui a pu être construit peu à peu par les conseillers démoniaques de la souveraine elle-même.

Chers citoyens de Veelox, bonjour.

Cette voix. Apaisante. Reposante. Cristalline. Si douce et grave à la fois...

Je voudrais dire à toutes les filles de faire attention à elles mais surtout à certains dangers publics dont un en particulier. Hier soir, Elsa, nom d'emprunt pour le témoignage anonyme que nous allons diffuser publiquement pour le bien de la communauté, a été victime d'une agression... ce qui est intolérable dans une société comme la nôtre, celle qui promulgue avant tout des valeurs comme l'entraide, la fraternité ou encore la supériorité des Insoumis sur les autres habitants de la cité. Je vous laisse écouter son témoignage.

« Je suis sortie dans les quartiers secondaires, déclara une voix aussi tremblante que fluette malgré la robotisation programmée pour conserver l’anonymat promis, alors que de base ce n'est pas vraiment dans mes habitudes mais mes amies ont insisté et j'y suis allée pour leur faire plaisir. L'odeur, les gens, l'architecture, tout est si différent, c'est ce qu'on m'avait toujours dit. Je n'ai vraiment pas mis longtemps à m'en rendre compte par moi-même. Une fois là-bas, je ne me suis plus sentie à ma place et j'ai donc bu pour oublier... ou plutôt pour faire taire toutes ces pensées qui parcouraient allègrement mon esprit, dévorant tout sur leur passage jusqu'à la moelle, comme un chien qui ronge avec tant de férocité un os que son maître n'est pas capable de récupérer. Après quelques verres et me pensant en sécurité entourée de toutes ces copines de longue date, j'ai commencé à réellement apprécier la soirée. Ces néons colorés, cette piste endiablée, la mélodie entraînante qui fait tomber les dernières barrières de pudeur qui subsistent en chacun de nous et ces cris de joie qui font oublier tous les soucis du quotidien... Entre deux shots de liquide orangé, sucré, mais fortement alcoolisé, une amie, fraîchement gradée, me présente un de ses potes « du quartier », un de ceux qu'elle avait l'habitude de fréquenter avant de rejoindre les quartiers prioritaires. Il est comique ce gars, on rigole un peu et on se croise deux-trois fois dans la soirée mais rien de plus. Après, la dernière chose dont je me souviens c'est mon amie en train de demander à son pote de me raccompagner pour que je ne fasse pas le trajet seule en étant saoule comme je l'étais. Je me réveille le lendemain nue dans un lit que je ne connais pas, seule, vraiment toute seule. Je me sens mal. Vraiment mal. Douleurs au bas-ventre... et ailleurs. Je vomis. Une fois. Deux fois. De la bile, brune, ainsi que la fameuse mixture orangée agrémentée des grains de maïs picorés au souper. J'ai des flashs qui me reviennent, lentement d'abord mais tout s'assemble rapidement, le mec d'hier en train d'essayer de me garder éveillée pour qu'il puisse tirer son coup, j'essaie vainement de résister mais il est trop fort et moi trop saoule pour faire quelque chose... Je tombe inconsciente, avant d'émerger une seconde fois. Mains entravées par des courroies en cuir de cerf, il m'a carrément attachée avec ce que je fabrique tous les jours ce salaud. Un liquide visqueux dégouline de sa bouche, je hurle mais personne ne m'entend. Un coup au visage, puis deux. Je m'accroche aux courroies et serre les dents, en espérant ne pas rester attachée ici jusqu'à ce que la faucheuse daigne pointer le bout de son nez. Ses hanches sont lourdes, elles cognent contre les miennes avec une violence inouïe. Mais plus rien au matin, je suis libre de mes mouvements, les lanières de cuir ont disparu... tout comme le reste, seul le mal-être persiste, ainsi que tous ces signaux envoyés à mon cerveau pour signaler que mon corps ne va pas bien, qu'il va bientôt lâcher si je ne fais pas le nécessaire. Heureusement, j'ai les seringues avec moi, comme toujours, cinq doses dans mon sac à main.

Je fais un piètre garrot avec ce qu'il reste du drap déchiré pour faire ressortir mes veines et, sans plus tarder, m'injecte le contenu des petits tubes plastifiés. Je n'avais jamais fait ça toute seule, c'était toujours ma mère, j'essaie de me souvenir des gestes pour ne pas commettre un impair. Mes doigts tremblent, l'aiguille aussi et en particulier au moment où elle doit s'enfoncer sous ma peau. Je revois les quelques images que j'ai comme "souvenirs" de cette soirée... Je suis dégoûtée, je ne sais pas combien de fois je me suis lavée après ça, sans jamais me sentir mieux. Quand je me suis vue dans ce miroir crasseux, la morsure au cou m'a directement sautée aux yeux, j'étais donc bien tombée sur un dépeceur. Et ce n'était pas un rêve. Les songes, aussi réalistes soient-ils, ne laissent pas de marques. Très vite, un nouveau constat : quelques millilitres de sang, je sais que ce n'est pas assez, j'ai besoin de plus, beaucoup plus. Sur le rebord de la fenêtre entrouverte, un chat somnole. Je n'ai pas eu le choix... c'était ça ou une mort certaine. J'ai donc bafoué une des règles sacrées : ne jamais ingérer de sang. Je suis rentrée dans les beaux quartiers, j'ai passé tous les contrôles avec le pass nominatif que mon agresseur n'a pas jugé utile de ramasser et je suis restée en position fœtale dans ma chambre pendant une durée indéterminée. Je n'osais en parler à personne, j'avais tellement honte. Il n'a jamais essayé de me contacter par après, ne s'est jamais excusé sachant que lui n'était pas saoul au moment des faits, je ne l'ai pas vu boire un seul verre de la soirée et, pour cause, il est fiché comme alcoolique récidiviste et n'a plus accès aux bars. Je l'ai croisé une fois dans la rue, le jour où je suis retournée sur place pour tenter de retrouver une boucle d'oreille égarée – prétexte pour revoir les lieux, me mutiler intérieurement une nouvelle fois – et il était trop tard pour changer de trottoir au moment où je l'ai aperçu. Il est venu me dire bonjour comme si de rien n'était avec un petit sourire malsain aux lèvres alors que moi, je n'ai même pas trouvé le courage de le regarder dans les yeux. Comme presque tous les garçons maintenant. Il a ruiné ma vie : je ne dors plus, je ne vais plus travailler, je m'éloigne de mes proches qui ne comprennent pas ce qui se passe et je n'ose pas en parler à mes parents parce que j'ai honte, du mal que j'ai pu faire. Je fais semblant d'aller bien, de sourire à la vie à pleines dents pour ne pas qu'ils s'inquiètent. Le pire, c'est de ne pouvoir en parler à personne tellement la culpabilité me ronge alors que c'est lui qui devrait être mal. Merci à toi, profiteur sans scrupule, d'avoir ruiné le peu de confiance que j'avais en moi, j'ai fait un test aujourd'hui et il était positif : mon hémoglobine est définitivement contaminée, tout ça à cause d'un stupide chat qui avait probablement bouffé un de ces rats pourris qui transportent la maladie, celle qui nous fauche tous les uns après les autres. Alors, aujourd'hui, j'espère qu'on te reconnaîtra et que tu seras exécuté très vite. Tous les jours je me demande si c'était la première fois ou si tu te rendais compte de ce que tu faisais. Est-ce que tu vas à des soirées et que tu les repères ? Est-ce que tu as une copine après ça ? Alors les filles, s'il vous plaît, faites attention, même les mecs que vous connaissez peuvent vouloir en profiter. Et vous les garçons, une fille bourrée qui ne tient plus debout n'est jamais consentante, elle n'est plus en état de penser "normalement". Pour tous ceux qui seraient en mesure de m'aider, voici le signalement de ce détraqué : âgé d'environ 25 ans et mesurant approximativement un mètre quatre-vingt, de corpulence mince mais relativement musclé néanmoins. Il a le visage fin, quelques cicatrices sur les joues ainsi que sur l'arcade sourcilière gauche et des cheveux blonds coiffés en pointe avec une hideuse mèche mauve qui se situe juste au-dessus du front. Cet individu est dangereux, il est connu des services de l'ordre pour avoir déjà manifesté par le passé son mépris face au régime mis en place par notre reine. »

Merci Elsa... Quant à toi, humain, sois vigilant et dénonce tout acte suspect à l'agent de quartier. Tourne et retourne la parole de tes leaders en tous sens car tout y est renfermé, elle seule te donnera la vraie science. Il y a un moment pour tout et un moment pour chaque chose dans le ciel : un temps pour engendrer et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour arracher. Un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour gémir et un temps pour danser. Un temps pour lancer des pierres et un temps pour les ramasser, un temps pour s'embrasser et un temps pour s'abstenir. Vieillis dans cette optique, crois en ces déclarations et ne les abandonne jamais. Grandis. Apprends. Obéis. Mais surtout, n'oublie pas : Hell is empty and all the devils are here...

Ruth soupira. Cette annonce n'était pas encore pour lui, il serait donc inutile... une nouvelle fois. Il n'avait malheureusement pas conscience de son identité au sein de ce monde plus que jamais mis en péril par cette puissance que tous s'appliquaient à décrire sans pour autant y parvenir. Sournoisement glaciale disaient certains, alors que d'autres se la jouaient dramatiques avec des tournures plus alambiquées telles que un vrai maelström d'angoisse aspirant toute humanité sur son passage ou encore ce gaz vicieux émanant des braises incandescentes qui s'insinue dans les narines des plus talentueux scientifiques pour éteindre cette ultime lueur de lucidité persistant dans l'un ou l'autre recoin des méandres cérébraux si chers à ces messieurs.



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Par les vitres de la petite remise, qu'aucun regard n'avait plus traversées depuis une quinzaine années, le sexagénaire eut une vision apocalyptique de son jardin, mauvaises herbes à profusion et mares de boue dans lesquelles s'amusaient les petits vandales du quartier. D'ailleurs, il y en avait encore un en ce moment même, empiétant sur cette propriété privée avec son petit ciré jaune et ses bottes Mickey qui s'embourbaient au fur et à mesure de ses sauts de lapin, à pieds joints dans chaque flaque pour saloper un maximum ce pantalon tout neuf que sa mère avait économisé pour acheter. Mais c'est pas grave, on le laverait et il sera à nouveau comme neuf, oui, comme neuf car toute saleté part au nettoyage... sauf les souvenirs, aussi crasseux soient-ils, qui s'entassent, s'accumulent, débordent. Le vieil homme regarda une nouvelle fois les murs de la remise, celle de sa femme, cette pièce interdite d'accès depuis son départ. Il tendit les doigts vers les nombreuses photographies accrochées sur le papier peint fleuri et représentant toutes la même personne : cette belle brune, au sourire ravageur et à l'air aguicheur, de la plus petite enfance à l'adolescence. Un cliché en noir et blanc la représentait de profil, à l'âge de quatre ans, sur le dos d'un poney qui n'était sans doute pas beaucoup plus âgé que la fillette. Elle tirait la langue, grimaçant face à ce photographe qui tentait de capturer cet instant pour le placarder à ce fameux mur, celui qui lui est dédiée. Son premier poisson attrapé, sa première dent tombée, ses victoires au foot et les balades en tricycle le dimanche, tout y est passé. Au début, elle était seule sur tous ces clichés. Mais très vite, un jeune homme apparut. Un jeune sportif aux cheveux bruns et à la mine songeuse, presque bougonne, qui peinait à prétendre d'être heureux sur les photos. En y repensant, le maître des lieux se dit que le jeune garçon n'était sans doute pas très réjoui de poser à côté de la fillette... qui l'invitait pourtant partout, du cinéma au zoo sans oublier le stade qui était sans hésiter son endroit préféré. La famille du petit athlète n'étant pas spécialement ouverte aux loisirs, le jeune garçon ne refusait aucune proposition de sa camarade et en particulier quand ça touchait leur passion commune : le football. Quelques médailles, vestiges de cette période, étaient abandonnées sur l'étagère à la peinture écaillée. Rouillées par le temps, elles témoignaient de la piètre qualité des matériaux qui avaient été utilisés lors de la conception de ces « joyaux », ces gemmes inestimables pour l'enfant qui voulait être au centre de l'attention de tous. Le papa de la gamine se rappela avec tristesse que la date gravée sur la médaille d'or marquait un tournant pour la petite tribu. L'année 1998 ne les avait pas épargnés, perte d'emploi en janvier et la mère de la petite évaporée en février. Après ça, plus rien n'avait jamais été comme avant. Elisabeth arrêta la compétition dans un premier temps, plus de match le dimanche matin. Bientôt, ce fut au tour des entraînements de passer à la trappe. Elle arrêta le sport mais le père aimant continua la photographie. Elle voulait être belle et il voulait juste qu'elle ait des souvenirs, des morceaux de papier colorés à afficher sur ses classeurs, dans des albums, sur sa table de nuit le jour de son accouchement... mais il n'était pas à la hauteur, il le sentait. Sa fille était trop belle pour un simple amateur, elle était faite pour luire sous les flashs crépitants des grands de ce monde. Il l'imaginait déjà poser pour les marques les plus prestigieuses, rapporter beaucoup d'argent, de quoi lui assurer une retraite confortable et, à force de courir les castings, la chance lui sourit.

« Regardez-moi ces magnifiques éphélides sur les ailes du nez, s'enthousiasma Romero, l'artiste parisien le plus en vogue du moment et ami de la famille depuis peu, les taches de rousseur sont tellement à la mode en ce moment ! Et ce teint de porcelaine, c'est vraiment ce qu'il me faut. Je signe mon cher Jean-Pierre, votre fille est un vrai bijou. »

À quatorze ans, Elisabeth Delmas se réveillait chaque jour de la même manière, les rayons du soleil printanier – estival, hivernal ou automnal selon la saison – venant lécher ses traits gracieux dès l'aurore à travers la vitre ébréchée de sa chambre... ou son cocon comme elle se plaisait à l'appeler. Cet endroit où elle n'avait pas à prétendre à une quelconque popularité et où elle n'avait pas à essuyer les critiques acérées de ses camarades sur son QI, son caractère bien trempé ou encore son physique qui ne laissait personne indifférent... que ce soit dans un sens ou dans l'autre d'ailleurs. La plupart des garçons appréciaient ses yeux noisette et ses joues légèrement rebondies qui lui donnaient un air de... chipmunk à en croire le dernier inconnu qui avait tenté de la séduire. En revanche, la majorité des filles ne se privaient pas quand il était question de critiquer son cou de poulet, ses bras trop maigres ou ses cuisses pas assez fermes. Du coup, elle exposait ses pseudo-défauts dès qu'elle le pouvait pour prouver qu'elle n'en avait cure de ces remarques incessantes, même si évidemment ça la blessait, mais ça personne ne le savait. Elle avait alors décidé de porter toujours la même tenue alors qu'elle en avait une bonne trentaine dans son dressing. Avec ce top rose pourvu de manches très courtes, ses camarades pouvaient critiquer autant qu'ils voulaient ses coudes peu élégants ou ses veinules qui ressortaient légèrement sur le biceps, trait que certains mecs jalousaient secrètement tout en se moquant allègrement. Au moins, elle prétendait d'être à l'aise avec l'entièreté de son corps... et à force de prétendre, on finit par adhérer à son propre mensonge. Le deuxième avantage considérable de ce court T-shirt, c'est qu'il lui permettait de mettre en avant son ventre... qu'elle détestait tout autant pour la petite cicatrice qui se présentait dans la continuité du nombril, encore une trace du passé qu'elle aurait préféré faire disparaître à jamais. Mais elle ne pouvait pas, personne ne le pouvait... excepté une poignée de chirurgiens spécialistes mais elle n'était pas sûre d'avoir 100% envie de franchir ce cap parce que l'effacement, c'est aussi le premier pas vers l'oubli... et elle tenait à conserver certains souvenirs, comme cette séance photo qui avait forgé son caractère. Ce fameux shooting où Romero lui proposa une bonne dizaine de fois de « se mettre à l'aise parce qu'il fait tellement chaud dans cet atelier » et qu'elle refusa de se laisser traiter comme du vulgaire bétail.

Son père savait tout cela. Il avait beau se cogner le petit orteil contre le clou déchaussé de l'embrasure de la porte de la remise, les regrets n'arrivaient pas. Quand sa fille avait été trouver la police, toute seule comme une grande, il savait qu'elle n'avait déjà plus besoin de lui. À partir de ce jour, son comportement changea du tout au tout. Et, encore une fois, c'était visible sur ces souvenirs accrochés au papier peint fleuri, décrépi, à la limite de la faute de goût, de cette remise qui s'était transformée en un sanctuaire à la gloire de Delmas junior. Sur un autre pan du mur s'étendaient des clichés la représentant à l'adolescence, maquillée comme une traînée et ayant abandonné le foot depuis longtemps. C'est à cette période-là que Jean-Pierre avait réalisé qu'il ne pourrait jamais vraiment l'aimer, elle commençait à trop ressembler à sa mère, ce qui n'était pas un compliment, bien au contraire.

Fébrile, il détourna le regard pour s'attarder sur ces carreaux, sales et ébréchés, qui lui offraient une vision restreinte sur ce jardin affadi qui n'en portait plus que le nom. Les parterres de fleurs n'étaient plus entretenus depuis le début de sa « maladie » qui le vidait jour après jour... mais ça c'était avant. Aujourd'hui, il se sentait mieux. Depuis qu'il tenait entre ses doigts osseux le nom du responsable de cette déchéance corporelle, il savait qu'il mourrait en paix. Car il aurait sa vengeance avant de s'abandonner à ce plaisir dispersé mais sensuel du dernier jour sur Terre. Il aperçut un bref instant son reflet dans la vitre légèrement embuée mais il laissa aussitôt tomber ses paupières pour retrouver le doux voile obscur qu'il chérissait tant, cette délicieuse couleur noire qui l'empêchait de voir le monde tel qu'il était. En réalité, il ressemblait tellement à son père défunt qu'il ne pouvait plus se voir dans une glace sans pleurer, c'était au-dessus de ses forces. À cet instant, il comprit que la folie n'avait eu de cesse de le dévorer depuis la visite du petit blondinet. Cet ancien élève qu'il n'avait jamais espéré revoir et qui lui avait fait la surprise de s'introduire dans la vieille demeure, un soir d'orage où Sissi s'était absentée pour une sortie entre copines, prétexte bidon pour ne pas avoir à avouer à son père qu'elle passait une nuit sur trois à faire des heures supplémentaires pour subvenir aux besoins des gosses qu'elle avait engendrés ici et là. Belpois l'avait pris de vitesse avec cette visite impromptue et il fallait impérativement agir, il avait peu de temps devant lui. Sans trembler, il dégaina son cellulaire et composa un numéro qu'il n'avait jamais réussi à effacer de sa mémoire. Une sonnerie, deux, trois, une voix rauque se fit entendre au bout de la quatrième tonalité électronique.

« Allô ? »

L'ancien proviseur de Kadic se frotta la barbe du bout de ses phalanges crasseuses tout en arborant un petit sourire satisfait que son interlocuteur n'était pas en mesure de voir. Ainsi donc, après toutes ces années, les ténèbres n'avaient toujours pas englouti le cœur de ce vieux briscard...
 

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