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  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2021  
VioletBottle

Réponses: 27
Vus: 41423

MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Sam 01 Jan 2022 00:03   Sujet: Jusqu'à la fin du Monde

https://cl.delfosia.net/projects/cda2021/t/23.png



- Je… Je ne comprends pas… J’ai lu ce code, je le connais par coeur… Bon, c’est vrai, je n’en comprends pas tout, mais on ne peut pas me demander d’être meilleur que son créateur ! Et, bien évidemment, c’est quelque chose pour laquelle on imagine peu l’informatique avoir une influence… Oui, oui, bien sûr, j’ai lu des choses sur l’effet Papillon, il faut être totalement dépourvu de tout instinct de survie pour ne pas comprendre qu’une action a toujours ses conséquences… Mais là, j’ai les conséquences qui arrivent avant que je ne fasse quoi que ce soit ! Qu’est-ce que je fais, bon sang, qu’est-ce que j’ai fait…

______________________________


Un flash avala brutalement la scène de crime. De toute évidence, le cinquième café n’était pas encore assez corsé. Le commissaire Delmas le regarda piteusement avant d’envoyer la dernière gorgée droit vers son gosier.
Autour de lui, l’intégralité de l’équipe était déjà sur place. Le petit nouveau était occupé à dessiner les contours du macchabée sur le trottoir ; Miller et son appareil photo ne rataient aucune miette du spectacle. Tom terminait d’interroger les pauvres gens qui avaient trouvé le corps au petit matin. Le commissaire ne s’embarrassa même pas d’écouter la déposition ; rien qu’à voir le bras calciné qui dépassait du drap blanc, il devinait que la victime avait encore été carbonisée. La troisième cette semaine. Il allait vraiment se faire souffler dans les bronches par l’Inspection de la Justice Impériale, si ça continuait… Et personne ne semblait prêt à lui apporter un sixième café. Tonnerre de tonnerre.

- Bon, Ethiquès, on a quoi à se mettre sous la dent ? Lança le commissaire à une espèce de grande montagne qui observait quelques traces noires au sol avec le sérieux d’un prêtre le dimanche matin.

Ladite montagne se redressa aussitôt et, en performant un flamboyant salut militaire (de la main gauche… Delmas soupira encore), il récita :

- Ah, bonjour chef ! Jeune homme de 15 ans, foudroyé sur place d’après les témoins ! Même s’ils affirment avoir aussi vu…
- … L’inconnu en noir, hein ? Voilà que les ombres deviennent électriques… Si la mienne pouvait lancer une machine à café d’elle-même, j’apprécierais l’évolution.
- La procédure d’identification est encore en cours, chef. Mais il est possible que vu la proximité…
- … Ce soit un gamin du collège Tolstoï, oui, comme les autres… Mais pincez-moi si je me trompe, les corps se rapprochent de plus en plus de Cyrano, non ?

Ethiquès regarda autour de lui. Plus haut dans la rue, une des œuvres du petit nouveau ornait encore le trottoir… Et derrière le groupe d’enquête, les toits du collège Cyrano rivalisaient avec les sommets des bâtiments d’habitation.

- Dites-moi, Ethiquès, si on part du principe que quelqu’un joue à un Petit Poucet mortel… nos défunts, d’où viennent-ils ?

______________________________


- Co… Comment ça, on a perdu Ulrich ? Mais… Quoi ? Non, je ne l’ai pas dans les scanners… Non, NON, il ne peut pas s’être juste dévirtualisé pour n’aller nulle part ! Je… Attends, j’ai Yumi sur l’autre ligne… Oui, Yumi ? Le père d’Ulrich, disparu ? Hein ? Non, j’ai vérifié, pas de Gardien sur Lyoko, et je n’ai rien qui m’indique qu’on est dans une bulle virtuelle… Je… Mais évidemment que je sais qu’on ne peut pas se dévirtualiser sur Terre ! Je… Je… Non, bon, écoute… Écoute, je cherche, je te donne des nouvelles… Ulrich ? Euh… Je crois qu’il va bien… Je te rappelle, continue d’enquêter, les gens ne disparaissent pas comme ça, au pire il y a peut-être un pattern…

______________________________


- Chef, voici les dossiers des gamins assassinés… enfin, je dis assassiné, mais…
- Quatre personnes foudroyées en plein Paris, au petit matin, en une semaine… Je n’y crois pas.
- Et puis, il faut des éclairs, pour ça, chef. Et la météo a été radieuse, ces derniers temps.
- Finement observé, Éthiquès…

Le commissaire Delmas posa sa huitième tasse de café et posa son regard sur les photos en première page des dossiers. Tous si jeunes… Il repensa à sa fille. Elle le traitait souvent de vieillard, et dans le fond c’était vrai qu’il avait l’impression que le monde changeait vite et soudainement autour de lui, mais pour rien au monde il n’échangerait les bravades de son Elizabet pour le silence de la solitude. Il avait même pris le nom de sa femme, pour que sa fille s’intègre mieux à la France, après leur déménagement. Vaine tentative d’avoir l’air courtois ; de nos jours, un Ivan-Piotr ne dénoterait pas, dans le paysage… L’absence de « h » au prénom de l’enfant avait été sa rétribution. Un bien discret signe… Mais maintenant qu’il y pensait, le commissaire Delmas ne souvenait plus vraiment de la discussion qui avait mené à ce compromis. Pas plus qu’il ne se souvenait avoir eu un nom aussi difficile à l’oreille… Bah, les charmes parisiens devaient lui monter à la tête.

- Vous avez remonté la piste de notre Petit Poucet sanglant, Éthiquès ? Reprit le commissaire en prenant le premier dossier de la pile.

Un bref feuilletage lui indiqua qu’il ne s’agissait pas encore d’un mort. La pauvre enfant était encore hospitalisée, une demande d’autorisation avait même été transmise à la Centrale de l’Empire pour l’envoyer vers un meilleur hôpital. Delmas grimaça. Ça pouvait aussi être les signes avant-coureurs d’un transfert de dossier… Sinon, pourquoi voudrait-on éloigner de Paris, et donc du commissaire, de potentielles preuves ?

- Chef, j’ai suivi notre piste, répondit fièrement Éthiquès. Vous aviez raison : ça faisait un chemin, qui remontait tout droit vers cette vieille usine abandonnée, sur l’Île du Fleuve.
- La ruine du temps de la République ? Je pensais qu’on l’aurait rasée pour y construire une énième statue, depuis le temps.
- Hem… Moi aussi, j’ai trouvé ça louche. Y a plus rien d’abandonné en ville depuis des années, chef. Alors, j’ai mené ma petite enquête… Le bâtiment a été racheté par un drôle de type, avec un nom américain… Professeur Tyron, je crois.

Le commissaire releva la tête.

- Tyron, vous dites ? Le type qui a été approché pour devenir ministre du Progrès ? Il n’est pas américain, enfin… Il ne l’est plus, depuis qu’il a vendu le projet Carthage à la Russie. Je crois qu’il est protégé par la Suisse, depuis. Il aurait racheté ce bâtiment ? Pour quoi faire, si c’est toujours une ruine ?
- C’est là où ça coince, chef. J’ai essayé d’aller voir à la Direction Générale de la ville… Mais ils m’ont claqué la porte au nez. Sans votre autorisation, je suis comme qui dirait à poil, chef.

Delmas secoua tristement sa tasse vide.

- Bon, je vais vous faire une autorisation écrite pour retenter votre chance. Moi, je vais aller voir cette vieille usine… Abandonnée ou pas, les gens ne semblent pas en ressortir très frais. Il doit bien y avoir quelque chose de louche là-bas…

______________________________


- Journal de bord, mise à jour. Je n’arrive toujours pas à arrêter cette corruption du programme… Je ne sais même pas si mes journaux sont encore enregistrés. Ma théorie a toujours été que le Retour vers le Passé revenait en fait à sa dernière sauvegarde, comme un logiciel qui a planté et veut rouvrir un fichier… Mais quoi que ce bug soit en train de faire, c’est en train de corrompre une partie de Lyoko. Aelita et Odd voient à travers les textures, toute info sur Ulrich est en train de s’effacer, et quand j’ai demandé à Yumi si elle avait retrouvé monsieur Stern, elle a mis du temps avant de se souvenir de quoi il s’agit. Je… je dois tenter une sauvegarde de ma mémoire, je dois continuer mon journal. J’ai peur que ce bug efface aussi les données dans le monde réel… Qu’il soit en train d’écraser notre monde… Je ne sais juste pas d’où ça sort, ou même si c’est un coup de XANA ! Si c’est lui, les autres doivent retrouver la Tour rapidement. En espérant qu’Ulrich ne soit pas totalement perdu, à présent.

______________________________


Le grand hall de la vieille usine grouillait de poussières et de courants d’air. Le commissaire Delmas se félicita d’avoir apporté deux gourdes de café.
Dans un soupir, il passa la grande porte. Il ne lui fallut pas plus de dix secondes et un faible rayon du soleil pour remarquer trois choses : tout d’abord, il y avait de la poussière partout ; ensuite, elle avait envahi tout le bâtiment ; enfin, et enfin… Tout, sauf le sol. Partout autour du commissaire, des traces de pas partant en tous sens avaient chassé la saleté de la ferraille rouillée. Delmas se pencha… Les traces étaient nombreuses et se confondaient entre elles, mais elles étaient toutes petites… Pas plus d’une pointure 35… Son Elizabet portait du 36... C’était donc les traces de pieds de jeunes enfants…

Cependant, quelque chose prit Delmas aux tripes. Sur sa gauche, un élévateur grésillait violemment, comme s’il était à deux doigts de rendre l’âme. Des étincelles étranges surgissaient des câbles… Pas tout à fait électriques, trop… Sombres… Le commissaire se rapprocha. C’était des étincelles noires ! Et à travers la porte entrouverte de l’ascenseur… La cabine était tapissée d’une étrange substance, comme du pétrole ! Il n’y avait que les américains qui utilisaient encore cette maudite ressources… Delmas recula. Se pourrait-il que ce soit un piège…. ?

Soudain, il sentit quelque chose d’humide encercler sa semelle. Une flaque d’eau. Était-elle là il y a deux minutes ? Pourquoi ne l’avait-il pas vue avant ? Delmas n’eut qu’à peine le temps d’y réfléchir qu’un violent courant électrique le traversa de bas en haut. Juste avant de s’effondrer, il vit les murs d’Usine briller d’un étrange éclat, comme s’ils étaient soudain plus neuf…

- Oh non monsieur, on ne s’endort pas, pas si vite.

Oh, bon sang. Quoi, on lui refusait sa transition dramatique ?

Le commissaire leva les yeux. Derrière lui, une inquiétant figure le surplombait. Sans doute que le choc électrique avait brouillé la vue de Delmas, mais il lui semblait que l’autre avait des cheveux qui ne poussaient qu’autour de ses oreilles, et le dos voûté de ceux qui fixent le coeur des gens et pas leurs yeux… Non, ça, c’était le onzième café qu’il n’avait pas pu prendre.

- Comme je vous l’ai dit, on ne s’endort pas, se répéta l’autre en se penchant sur lui. Je ne sais pas ce que vous faites ici, mais une chose est sûre : vous n’êtes pas à votre place. Mais ne vous en faites pas : je vais y mettre bon ordre.

L’autre attrapa le commissaire par les aisselles et le souleva. Il le traîna à travers tout le hall, sans prendre la peine de lui éviter les flaques d’eau suivantes. En fait… En fait, il l’y envoyait même tout droit ! Delmas se débattit, bien déterminé à se relever et à flanquer une rouste au malotru qui tentait de l’enlever. Mais dès qu’il bandait un muscle, une décharge venait l’enfoncer un peu plus… Il grogna, alors que le trottoir à l’entrée de l’Usine s’offrit à son fessier.

- Ne vous en faites pas, j’ai appelé un véhicule pour vous… Même si tout ce remue-ménage m’a forcé à faire avec les moyens du bord…

Delmas fut lourdement relevé. La vue d’une Twingo acheva de lui faire désirer son onzième café. Les français n’avaient jamais été bons en automobile, de toute façon.

______________________________


- Aelita ? La Tour, vous l’avez trouvée ? Non… Non, je ne peux toujours pas aller à la salle des ordis, je n’ai pas encore débloqué l’ascenseur… Il continue de faire des étincelles, je ne vois pas comment le réparer d’ici… Oui… Non… Oui, bon, ça va, et vous, la Tour ?! Comment… Comment ça, elle galope devant vous ? Depuis quand XANA fait des Tours mobiles ? Je… Bah essayez de ne pas la perdre de vue, ou de l’attirer, je ne sais pas ! Bon, au moins, on a pas encore de pertes… Bon… Oui, j’essaie de sortir… La trappe, non, elle a disparu devant moi… Je sais bien que XANA ne peut pas influer comme ça sur le monde norm… Mais non, je ne me moque pas de toi ! Je… Oui, je trouve une autre solution. Je vous contacte dès que je suis à la salle des… La salle des…

______________________________


Le voyage, en effet, fut court. La Twingo se gara, de biais et en double-file, devant l’entrée du collège Tolstoï. Delmas l’aurait verbalisé, mais son étrange kidnappeur lui avait confisqué ses gourdes. Étrange type, d’ailleurs, qui s’était empressé de se couvrir d’une énorme capuche avant d’entrer dans le champ de vision de son invité. Pourtant, les cheveux que Demas avait aperçu lui disaient quelque chose… Mais d’où…

- Nous y sommes, Ivan. Un peu de tisane ne vous fera pas de mal, en plus d’un petit passage aux sanitaires… J’ai justement ramené quelques petits sachets de St Petersbourg, vous devez connaître ?

Que ce type parle de St Petersbourg ou de la tisane, la réponse était non. Mais Delmas ne voulut même pas le gratifier d’une réponse. Son cerveau vrillait toujours dans son crâne, et les étranges reflets qui donnaient aux rues l’allure du diesel ne l’aidait pas. Le choc électrique avait dû être violent.

Deux grands types prirent Delmas par un bras et l’emmenèrent à travers la cour du collège, puis ils passèrent la porte du bâtiment principal… Sauf qu’il n’y avait rien d’autre qu’un long couloir, hanté par les réplicas de la grande porte d’entrée. Delmas se réveilla un peu. Qu’est-ce que c’était que ce foutoir ? Quel était l’architecte fou qui avait fait construire ce déroutant couloir ? Même les allées interminables de la mairie de Bucarest avaient plus de sens…

- Ah, vous aussi, ça vous intrigue ? Dit l’autre homme. Je pensais que vous faire revenir ici aurait provoqué quelque chose, mais non. Ces gosses sont si doués que c’en est décevant pour moi.

Aussitôt, il ôta sa capuche. En effet, des cheveux blancs ornaient exclusivement ses tempes dans un désordre qui égalerait celle des chambres d’adolescent rebelles. Du reste, il avait la parfaite panoplie du scientifique traître : le regard fuyant et méfiant, le rictus prêt à vous menacer si vous faites mine de chercher votre téléphone… Ne manquait plus que la cicatrice quelque part sur le visage, et il aurait l’air du parfait fuyard américain qui tenterait sa chance dans l’Empire victorieux du vieux continent.

- Vous êtes… ? Tenta Delmas, en essayant de garder toute sa désinvolture.

L’autre soupira.

- Il y a une heure, vous auriez vu en moi un ancien candidat potentiel pour un ministère… Trop tard. Ils sont vraiment doués…

Le petit groupe retourna sur ses pas, droit vers la Twingo.Delmas, qui retrouvait peu à peu l’usage de son corps, constata à quel point ces foutues voitures étaient petites. Surtout quand on est compressé entre deux molosses. Son hôte, lui, avait au moins le droit à la place du mort…

- Vous m’auriez appelé Lowell Tyron, américain naturalisé Suisse et au service de l’Empire. Vous auriez récité toute ma biographie sans hésitation, comme si vous l’aviez toujours connue. Mais si je vous avais demandé comment vous auriez appris tout ça, par quel journal, quel programme télévisé… Vous auriez été bien en peine de me répondre.
- Je pige que dalle à ce que vous me chantez, répliqua Delmas, que le mal de tête reprenait. Et ne l’avez-vous pas proposé une tisane, tout à l’heure ?

Le dénommé Tyron lui tendit une de ses gourdes. Non, il n’avait pas… ?
Delmas ouvrit la gourde. Et grogna.

- Mon chauffeur s’est chargé de remplacer cette horreur dont vous vous abreuvez par quelque chose de plus sain. Vous ne le savez pas encore, mais vous me devez plus que votre vie, pour ça.

Le commissaire leva un sourcil.

- J’en doute. Tout votre charabia, ça fait partie de la mission de sauvetage ?

Tyron claqua des doigts. La voiture démarra.

- Nous sommes en 1953. Il y a dix ans, l’armée russe a profité de l’échec des américains sur les côtes françaises pour attaquer et défaire le Reich. Le corps mutilé du Führer a fait le tour des journaux, pas un gosse dans la rue ne l’a pas en tête. À partir de là, le jeu géopolitique s’est déroulé comme suit : la Russie prend la main sur la majeure partie de l’Europe, met toute la côte ouest sous sa tutelle, et l’Empire naquit. Les américains ont tenté de se débattre, mais la seule terre que l’Empire ne pourrait atteindre facilement, ce serait l’espace. Ils ont balancé tellement de satellites dans les airs que le ciel a eu l’air d’une décoration pour la St Nicolas. L’Empire en a entendu parler sous le nom du projet Carthage : Une drôle de blague sur le fait de stériliser les espoirs du vieux continent, ou un truc du genre. La situation a un peu dérapé quand quelques génies ont pris la plaisanterie au premier degré. Ils se sont figurés que les satellites allaient vraiment diffuser de quoi stériliser toute l’Eurasie. Ça aurait pu devenir encore plus risible… Si un de ces génies n’était pas l’Empereur. Qui a décidé de contrer, en envoyant un des siens droit dans le nid de guêpes. Un certain Franz Hopper, qui a renoncé à son nom pour mener à bien sa mission. Son rapport n’a pas fait état d’attaque par l’espace, mais a fait une troublante révélation : des enfants plein les labos, destinés disait-il à tester quelque chose qu’il appelait « virtualisation »… Normalement, vous avez tout ça en tête. C’est ce qui a été dit lors de la Grande Allocution de l’année dernière. Le 5 Juin, précisément.
- Oui, et alors ? Vous ne me soupçonnez quand même pas de travailler pour l’ennemi, non ? Si vous êtes ce que vous prétendez…
- Justement, c’est tout mon point. Vous souvenez-vous de cette allocution ? La tenue de l’Empereur, quelques phrases qu’il aurait prononcées exactement ?
- Bien sûr ! Je… Je…

Non. Rien ne lui venait en détail. Il avait beau creuser, c’était comme si tout ce que venait de dire Tyron lui était naturel, mais sans source. Comme si l’on vous demandait de vous souvenir de vous-même de vos premiers pas, pour justifier que vous savez marcher. Ce… C’était ridicule ! Il avait probablement regardé ça un soir de garde, au commissariat, ou bien…

- Je vous vois cogiter, Ivan. Ne cherchez pas, si ça ne vous revient pas sans que vous ne deviez reconstituer le souvenir, alors c’est que ce souvenir n’a jamais existé. Pour ma part… Je n’ai aucun souvenir personnel de ce que je viens de vous dire. C’est mon chauffeur, ici présent, qui m’a tout raconté. Sans lui, je serais aussi perdu qu’un nouveau-né dans un centre commercial.

Delmas ignorait ce qu’était un centre commercial. Et, surtout…

- Je suis commissaire mandaté par l’Empire. Vous m’avez enlevé alors que j’étais sur une enquête officielle, à propos de meurtre et tentatives de meurtre sur mineurs. Sachez que vous faites désormais partie de mes suspects.

Tyron éclata de rire. Ce fut si flamboyant que Delmas sentit sa patience s’effacer à chaque son.

- Je ne plaisante pas. Que vous vous en preniez à moi dans un moment pareil…
- Vous savez ce qui est amusant ? C’est que selon les informations qu’il m’a fait parvenir il y a à peine deux heures, mon fils a des soucis avec les descendants des gamins que vous évoquez. Enfin… les descendants qu’ils auraient dû avoir. Après tout, les macchabées ne peuvent pas procréer, n’est-ce pas ?

______________________________


- Oui… Oui ! J’ai la source de la défaillance, Aelita, j’ai la source… Je… Oh… Oh non ! C’est… C’est bien un bug dans le Retour Vers le Passé…. XANA a totalement la main sur le programme… Je… Je te rappelle… Je dois vérifier un truc…

______________________________


Delmas n’avait pas eu le temps de comprendre ce qui lui était arrivé que Tyron l’avait entraîné dans une sorte de superbe salon, tout en bleu et lignes d’or, aux coussins suffisamment épais pour y disparaître. L’appartement était au sommet d’un immeuble parisien ; on y voyait les ruines de la Tour Eiffel. Et, il devait le reconnaître, la tisane qu’on lui avait servie était excellente. Mais pas suffisamment pour chasser l’atroce mal de crâne qui s’était sérieusement amplifié dans la Twingo.

- Alors, vous me dites que… Que tous mes souvenirs… Sont faux ? Et vous trouvez que nos intellectuels qui s’imaginent une stérilisation en spray par satellite sont farfelus ?

Tyron le regarda paisiblement en sirotant son thé.

- Et vous ajoutez à ça que, d’après un message de votre fils, qu’il vous enverra dans cinquante ans mais que vous avez reçu il y a deux heures, les enfants de mes enfants morts sont de sérieuses épines dans son pied, et qu’ils sont probablement à l’origine de tout ce fatras ?

Tyron reposa sa tasse sur sa coupelle.

- Et ainsi, vous me dites que vous avez besoin de me contacter, parce que je devrais normalement avoir un fils dans un an, et qu’il sera le jeune professeur débutant qui, par sa pédagogie, fera que des jeunes gens se fréquenteront et donneront lesdits enfants qui posent problème à votre futur fils ?

Tyron se servit un biscuit.

- Ça n’a aucun sens. Mon fils pourrait être proviseur, si les ancêtres de ces gamins sont morts, ça ne changera rien.
- Comme vous l’avez dit, on a surtout affaire à des tentatives de meurtre. Alors, certes, le monde dont je me souviens n’est pas sous la coupelle Impériale… Mais il n’est pas impossible que, même ainsi, les enfants en question soient créés. J’ai bien existé dans les deux mondes.
- … Quand bien même, pourquoi venir me le dire ? Vous voulez peut-être vous assurer que moi et ma femme allons bien témoigner de notre amour en temps et en heure ? Histoire d’avoir plus de chances ?
- C’est si gentiment proposé… Mais non. Je vous propose mieux.

Delmas but une gorgée de sa tisane.

- Je sais que vous avez suivi votre femme en France, et par galanterie, vous vous êtes aligné à sa culture. Cependant, comme vous le savez sans doute déjà, l’enquête qui vous inquiète s’apprête à passer aux mains des forces de l’Empereur. Des coups de foudre si rapprochés dans le temps… Évidemment, ils s’imaginent que c’est un coup des américains. Soit vous leur fournissez la preuve que c’est le cas, et vous gardez votre poste… Soit vous allez devoir vous séparer de votre femme, pour repartir à la Mère Patrie, dépourvu de sa vitale confiance. Je peux vous fournir ces preuves, ce n’est pas problématique. J’ai des contacts en Italie qui peuvent créer tout ce qu’il vous faudra. En échange…

Delmas reposa la tasse sur sa coupelle.

- … Nous élèverons votre fils ensemble. Je m’assurerai ainsi qu’il ait la trajectoire de vie que je recherche.

Delmas s’étouffa dans sa gorgée.

- C’est… Une blague ?!
- Vous pourrez être le père, si vous voulez.
- Ce… Vous ne plaisantez pas ?!
- Par contre, c’est moi qui apporterai l’argent à la maison, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.


Delmas reprit une gorgée pour écraser celle qui refusait de passer. Il fixa Tyron, assez bêtement, tandis que celui-ci sirotait sa propre boisson, comme s’il passait un simple après-midi à observer la douceur de l’été. Qui… Qui est ce type, qui lui parlait de choses délirantes et voulait s’approprier son futur enfant ?! Il n’en était pas…

- Bien entendu, vous pouvez refuser. Nous sommes un Empire libre. Mais ça n’arrêterait pas la série de meurtres qui vous préoccupe tant. Si personne ne s’y oppose, plus de gens mourront… Y compris sans doute, des innocents à notre affaire.
- Et vous ? Rétorqua Delmas. Vous me semblez bien renseigné… Vous êtes sans aucun doute mieux placé que moi agir !


Tyron éclata d’un grand rire qui ne cachait absolument pas son mépris.

- N’avez-vous pas entendu mon exposé ? Je suis une aberration. Je suis le dernier vestige d’une époque qui se réinvente. Nous sommes à un moment critique, Ivan. Quelque chose venu du futur nous réécrit. Quand je dis que ces éclairs pourraient être imputés aux américains, je ne dis pas qu’ils en soient réellement à l’origine. Cependant, je préfère voir les États-Unis brûler sous mes yeux que de retourner à un temps qui a permis que des enfants portent le fardeau d’Atlas seuls. Je vous ai donné les renseignements principaux… Avec mon concours, nous élèverons votre fils pour, qu’en temps utile, il puisse soutenir celles et ceux qui découvriront les vestiges du projet Carthage.
- Alors, si on détruit les États-Unis…
- On détruit également le projet de virtualisation d’enfants. On empêche qu’une telle aberration soit seulement possible. L’avenir se fera par la science, Delmas, pas par la guerre.

______________________________


- Journal de bord de Jé… Jé… Je… Ma tête me fait si mal… Je n’ai plus de nouvelles de l’extérieur, les journaux télévisés se sont arrêtés, les téléphones ne répondent plus… C’est comme si le temps ne courait plus… J’ai essayé de contacter les autres, sur… Sur… Qui… Je ne… Je dois halluciner… Ma main… Ne peut plus bouger… Je ne sais même plus de quoi je parle…

______________________________


Jeremya courut à toute vitesse le long des couloirs bleus de l’établissement Tolstoï. Mars déclinait doucement sur la ville où coulait l’or de la renaissance. Depuis l’entrée dans le 3ème Millénaire, L’Empire voulait célébrer son emprise sur le monde en le parant des couleurs de l’aurore. Jeremya, garçon blond toujours affublé de bleu, semblait être la plus parfaite vitrine de cette nouvelle ère. Ses résultats brillants aux examens et sa présentation irréprochable le destinait à rejoindre les internats les plus prestigieux de la Mère Patrie… Mais il avait préféré un établissement expérimental des terres de l’ouest. L’argent que versait un étrange mécène dans l’endroit avait à peine rassuré ses parents, mais au moins, leur fils se faisait des amis.

Le jeune adolescent entra avec fracas dans le laboratoire d’études. 20H04… Un peu en retard, mais juste à temps pour ne pas trouver porte close. Les activités qui avaient lieu à cette heure, entre ces murs, exigeaient la rigueur la plus totale, pour que le secret survive.

- Ah, mon garçon, vous voilà ! Il aurait été dommage que vous nous faussiez compagnie.
- Pa… Pardon, monsieur Delmas.

Aux ordinateurs, les camarades de Jeremya étaient déjà au travail. Odd le salua bruyamment, alors que son immense chat gris dormait paisiblement sur ses genoux. À l’écran, des fenêtres de conversations se multipliaient ; son téléphone, lui, vibrait incessamment. À n’en pas douter, il allait encore entrer en contact avec d’anciennes victimes du projet Carthage… Et les ramener ici, comme ce fut le cas pour Yumi. Sa famille avait fait partie de celles que les anciens États-Unis avaient emprisonnées pendant la Seconde Guerre. Son père avait dû fabriquer des véhicules pour l’armée, et comme il fut doué, il avait travaillé sur les scanners du projet Carthage. Sa fille Yumi avait été enrôlée de force parmi les tests clandestins qui avaient encore lieu dans les cendres de l’Autre Continent… L’Empire pensait s’en être totalement débarrassé. Il n’y avait qu’au sein de l’établissement Tolstoï que la lutte continuait.
Yumi, d’ailleurs, était lovée dans un canapé au fond de la pièce, une tasse de thé à la main. Après qu’elle eut mis sa famille à l’abri, elle a rejoint l’équipe de Delmas. Ses souvenirs des laboratoires américains étaient précieux à l’état pur ; quand elle les utilisait pour remonter des pistes vers d’autres labos, ils devenaient inestimables. Aussi la trouvait-on le plus souvent avec une pile de rapports d’espionnage, des photographies, des témoignages, ou même des blogs racontant des histoires proches de la sienne. Grâce à Yumi, six laboratoires avaient pu être identifiés. Elle fit un geste de la main en direction de Jeremya, avant de constater que sa tasse était vide.
Justement, un jeune garçon s’approcha d’elle avec une théière fumante. Ulrich était, disait-on, le filleul du mécène de l’établissement Tolstoï. Rejeton d’un éminent membre du corps des Mécènes de la Mère Patrie, nul ne sait s’il était prévu qu’il fasse partie de la bande. En tout cas, il ne savait rien de celui qui finançait ses activités. L’homme lui envoyait souvent argent et corbeilles de fruits à son anniversaire, et n’avait daigné se montrer qu’à son baptême. Ulrich s’absentait souvent de l’établissement ; Delmas voulait l’envoyer sur le terrain, avec les espions. Il était évident que le garçon n’avait pas sa place dans un bureau ; il avait déjà brillé en sauvant les équipes et en réussissant des missions, parfois spectaculairement. Il était là, le jour où Yumi avait été sauvée. Depuis, les deux adolescents ne se quittaient plus. Ulrich se dirigea vers Jeremya et lui proposa une tasse de thé. Volontiers, la nuit serait longue. Le garçon le servit rapidement, avant de retourner au coin musculation qui occupait toute la partie droite de la pièce.
Jeremya trempa ses lèvres dans son thé et s’installa à son bureau, à côté de celui de Delmas. Le vieil homme jeta immédiatement une pochette entre les bras du garçon :

- J’ai relu tes dernières équations. Elles sont excellentes… En tout points conformes à celles que notre mécène avait prédites. Tu es sur la bonne voie.
- Merci, monsieur… Rougit Jeremya en hochant la tête. Cependant, il y a une chose qu’elles n’élucident pas…
- Oh, vraiment ?
- Pourquoi dois-je faire tout ça ? Je comprends le rôle des autres… Mais moi ? Pourquoi dois-je faire ces calculs, si notre mécène les a déjà faits avant moi ?
- Parce que la Mère Patrie, dans sa grande prudence, a tardé à agir. Comme tu le sais, les laboratoires du projet Carthage ont été détruits… Mais nous soupçonnions que la technologie de virtualisation en était déjà à un stade avancé. Le témoignage du père de Yumi nous l’a confirmé. Des enfants ont été efficacement virtualisés.
- D’accord, mais en quoi suis-je indispensable ? Odd pourrait remonter la piste d’autres enfants avec ses contacts. Yumi pourrait se rappeler d’un endroit où elle serait passée. Ulrich pourrait briser les chaînes des enfants. Je ne vois pas à quel moment du plan mes équations serviront à quelque chose…
- Eh bien… Peut-être devrais-tu te mettre au travail. Le sens vient avec la pratique, dit-on.

Delmas lui sourit doucement, signe que la conversation était terminée. Il retourna à son ordinateur, laissant un Jeremya perplexe. Le jeune garçon n’insista pas et alluma sa tour. Quelques clics plus tard, il retrouva son logiciel d’encryptage. Les lignes de codes, chiffres et lettres s’enchaînant parce que la logique le commandait. Jeremya les enviait un peu. Non seulement chaque caractère avait un sens dans le grand plan de l’univers, mais en plus leur nature les exemptait de tout doute… Jeremya était leur parfait opposé. À se demander pourquoi le destin l’avait choisi, lui, pour être leur interprète…
Studieusement, il se mit à la tâche. La semaine dernière, il était parvenu à craquer un mot de passe, dont l’utilité n’était pas encore certaine. Comme ça ne préoccupait pas franchement Delmas, Jeremya s’était attelé à cette tache. Il ne savait pas trop pourquoi ; si son professeur n’accordait aucune valeur à cette découverte, alors ce ne devait être que la clé pour la machine à café d’un labo secret… Mais Jeremya avait retourné toutes les possibilités, tiré les cartes des probabilités, interrogé l’expérience passée, prié le Jeremya du futur de lui donner un indice. Dans tous les cas, il n’en ressortait qu’une certitude : il ne saurait rien tant qu’il n’essaierait pas. Et s’il passait à côté de quelque chose de capital ? Après tout, Odd avait déjà retrouvé des victimes en se trompant de nom dans l’annuaire. Yumi avait identifié un laboratoire parce qu’une photographie lui a fait ressentir de l’inconfort. Ulrich avait trouvé Yumi parce qu’il avait préféré tourner à gauche, malgré le plan. Pourquoi Jeremya n’aurait pas le droit à son instant de hasard, à son inspiration inexplicable, son murmure de la foi ? Au pire, si c’était vraiment la machine à café, il pourrait essayer de la dérégler… À défaut de sauver qui que ce soit, ça amuserait la bande.

Jeremya se glissa à travers les programmes, se laissa guider entre les barrières qu’il abattait. Le mystère s’affinait, mais ne s’éclaircissait pas. Troisième jour, et les murs mis à terre ne révélaient toujours pas l’horizon. L’adolescent soupira, mais ne fléchit pas. Il calcula, formula, répéta, encore et encore. Si, alors, fin, si, alors, fin…

Soudain, alors qu’il venait de tomber sur un dossier plein de papiers scannés qu’il feuilletait sans conviction, quelque chose attira son regard. Là, au milieu des lignes austères… Une trace de rose, fanée, à peine vivante… Mais bien là. Jeremya zooma. À la texture, ça ressemblait à un ajout au crayon de couleur. Il passa aux feuilles suivantes. La trace se précisait. D’un trait, elle devint un bras, d’un bras un corps, d’un corps… Quelqu’un. Une petite fille aux cheveux et à la robe rose. Une petite fille seule dans une jungle de chiffres et de lettres. Au-delà, l’immaculé néant de la feuille. Mais elle, elle se tenait entre les lignes, comme derrière une prison faites de phrases d’adultes. Pourquoi… Pourquoi ici ? Jeremya regarda attentivement la feuille originelle. Son propos n’avait pas grand intérêt, mais l’en-tête…

L’en-tête était russe, avec le logo de la Mère Patrie…

… Sur un papier déniché dans la base de données d’un labo clandestin, au milieu des ruines des anciens États-Unis ?

Jeremya passa à la signature. Il y en avait quinze en tout. Parmi elles, deux avaient survécu au temps. Celles d’un Hopper, et d’un Tyron. Elles se chevauchaient l’une l’autre, comme pour s’étouffer mutuellement.

- Eh, Odd…
- Hmmm ?
- Euh.. Tu as déjà entendu parler d’un… Tyron ? Et un Hopper ?
- Non, mais je cherche, si tu veux !
- Je veux bien, merci…

Jeremya se retourna. À ses côtés, le professeur Delmas s’était figé. À travers ses lunettes, il observait l’écran de son étudiant, le regard blanc. Un éclair passa entre le professeur et l’élève. Et alors que le monde tournait encore, qu’Odd chantonnait, que Yumi lisait, qu’Ulrich s’entraînait, Jeremya vit quelque chose se briser entre ses mains, sous les yeux perçants de Delmas.

______________________________


La nuit était tombée sur la ville. Jeremya, lui, n’avait pas encore fermé les yeux. Ni sur le jour, ni sur ses questions.
Après sa découverte, l’ambiance entre lui et le professeur Delmas flottait dans un épais brouillard. De toute évidence, le vieil homme lui cachait quelque chose… Mais quoi ? Malheureusement, il aurait du mal à trouver une piste hors des murs du labo de Tolstoï… Les archives, les bibliothèques, tout ce qui aurait pu lui indiquer une direction était à l’est, au sein de la Mère Patrie. Ici, il devrait faire avec ce que le professeur Delmas voulait lui donner… Et se contenter de tirer des conclusions sur ce qu’il ne voudrait pas lui confier. Il ne se souvenait même pas si le trouble du professeur venait du dessin d’enfant ou des noms en bas du papier…

Dans le doute, autant partir des deux possibilités. Le dessin, d’abord… Très enfantin, appuyé assez fort pour qu’il traverse du papier. Les enfants dessinent surtout ce qu’ils connaissent, leur famille, eux-mêmes… Comment une petite fille se serait-elle retrouvée à dessiner sur des documents administratifs, qui ensuite ont été jugés assez importants pour faire partie d’une banque de données clandestine ?
Les noms… Tyron, Hopper… Le premier sonnait anglais. Un vieux nom ? Hopper pouvait donner de meilleurs fruits. C’est le genre de patronyme qu’on pouvait encore croiser, de nos jours. À tout hasard, Jeremya tapa « Hopper » dans sa barre de recherches. Plus d’un milliard de résultats… Il devrait filtrer. Mais comment ? L’adolescent réfléchit. Il fallait qu’il raisonne en probabilités… Un nom de famille, une époque, la date sur l’en-tête, les autres noms… La date… 1952… Avant l’attaque de la Mère Patrie sur les États-Unis.. Les laboratoires n’étaient pas encore clandestins, les premiers tests sur les enfants… L’enfant qui avait dessiné pourrait être l’un de ces enfants… Si c’était le cas, alors rien ne sortirait d’une banale recherche sur internet…

Jeremya prit son courage à deux mains, et se faufila à travers les couloirs bleu nuit de Tolstoï. Il esquiva le surveillant Maximès, évita les amoureux heureux et éconduits qui profitaient de la discrétion nocturne, puis arriva au laboratoire du professeur Delmas. Fermé à clé, bien évidemment… Jeremya ricana. Fort heureusement, il avait appris à crocheter des portes, dans son enfance, pour avoir accès à l’étude de son père. Quelques clics avec sa carte de cantine, et… Victoire ! Le laboratoire du professeur Delmas s’ouvrit à lui.

Jeremya ne perdit pas de temps. Il n’était pas impossible que le professeur ait mis des sécurités sur cette pièce. Il se jeta à son bureau et reprit ses recherches, à travers les documents aux accès limités à son ordinateur secret. Il lança la recherche pour le nom « Hopper »… Et trouva plus que ce qu’il n’avait anticipé. Des téras de données, même… Qu’est-ce qui pouvait peser si lourd ? Depuis le début, Jeremya n’avait accès qu’à du code ou des documents administratifs… Il en faudrait une quantité énorme pour atteindre le tera… Soit il y avait autre chose, soit Jeremya venait de mettre la main sur un projet massif.

L’adolescent écuma les résultats de recherche… Curieusement, ils n’étaient pas si variés. Beaucoup de code, d’abord… Puis des images. Des modélisations, même. Des paysages immenses, peuplés de végétation mais vide de civilisation. Comme le premier jet du Monde, à son cinquième jour. C’était… dément… Mais une idée germa en Jeremya. Ces enfants virtualisés, où allaient-ils ? Vers quoi les virtualisait-on… ?

Jeremya descendit dans le dédale de documents, essayant de ne pas trop accrocher au logo de la Mère Patrie, présente à toutes les en-têtes. Il devenait évident que l’Empire avait été mêlé au Projet Carthage, d’une certaine façon… Mais pour quoi ? Que faisait-il dans quelque chose qu’il a ensuite détruit de ses propres mains ? Jeremya passa les décors. Forêt, banquise, désert, montagne… La Terre, avec une précision surnaturelle. Et tout ça serait l’oeuvre de ce Hopper ?

Jeremya continua de défiler les documents, les images, en boucle, en chaîne…

Quand soudain, quelque chose de rose passa devant ses yeux. L’image d’une enfant, aux cheveux roses. À peine plus jeune que Jeremya. Une modélisation entière, endormie. En bas du document, toujours le logo de la Mère Patrie, ainsi que le nom de Hopper…

Jeremya se pencha sur le nom du fichier…

-Aelita…

La lumière du laboratoire s’alluma brusquement. Jeremya se redressa. Il reconnut les pas de Delmas, derrière lui.

- Professeur… Qu’est-ce que c’est ? Aelita ?
- La seule enfant que nous ne sauverons pas, Jeremya. La première fille du Projet Carthage. Sa conscience est quelque part, sans doute, mais en tout cas pas chez l’ennemi.
- L’Empire… C’est l’Empire qui l’a virtualisée ! Réalisa Jeremya.

Quelque chose de froid se plaqua contre sa nuque.

- C’était l’enfant de Franz Hopper. L’homme qui a trahi les siens à notre profit. Il l’a virtualisée dans l’espoir de la protéger… Nous l’avons récupérée. Elle est la mémoire du Projet Carthage, mais nous avons du mal à la réveiller. Une princesse endormie dans son château.
- … Mes équations…
- Tu as suivi le plan de notre mécène à la lettre. Il savait qu’un jour, tu finirais par tomber sur Aelita. J’ignore comment il l’a su… Mais il avait prédit que le lien entre cette enfant et toi finirait par ressurgir. Nous y voilà… Et je dois te demander ce que tu as l’intention de faire, maintenant.

Quelque chose cliqua contre la nuque de Jeremya.

- Je… Je ne sais pas… Écoutez, si vous m’aviez dit tout ça plus tôt, je pourrais peut-être vous répondre maintenant…
- Il fallait que ça vienne de toi. Il fallait que la chance te guide ici. Si je te l’avais dit, j’aurais conditionné ta décision. Il fallait que le choix t’appartienne.
- Je…
- On va faire plus simple. Te souviens-tu de tes parents ?
- Heu… Quoi ?

C’était quoi, cette question, soudain ? Bien sûr qu’il s’en souvenait, mais quel rapport…

- Réponds, Jeremya. Ne réfléchis pas. Réponds.
- Mais… Mais oui ! Ils m’ont déposé ici le… Enfin, c’était il y a…
- Tu n’en sais rien. En vérité, tu n’as jamais été déposé ici. Tu n’as aucun souvenir précis de quoi que ce soit avant ce matin, n’est-ce pas ?
- Mais si ! Je me souviens avoir découvert le mot de passe…
- Oui, mais comment as-tu fait ?
- Mais… Mais…

Non. Non, il ne se souvenait pas en détails, mais il sentait que c’était vrai… Ses doigts s’en souvenaient, il savait, il…

Comment est-ce qu’il avait fait ? Que se passait-il à ce moment-là, autour de lui ? Avait-il célébré sa découverte ? Ses amis l’avait-il félicité ?

Jeremya se retourna, tremblant.

- Professeur Delmas… Qu’est-ce que ça veut dire… ?

Il se coupa net. Devant lui, Delmas semblait… Glitcher. Son image clignotait, alors que ses mouvements semblaient rater des étapes. La main tendue vers Jeremya, au bout de laquelle il serrait un pistolet, ne parvenait pas à tenir en place… Comme si l’arme elle-même se refusait à viser le garçon.

- Pro… Professeur !
- Non, Jeremya. Ne t’en fais pas, c’est normal. C’est ce que veut le plan.
- Je ne comprends pas…
- Quand j’ai eu ton âge, notre mécène… Un de mes pères, m’a tout expliqué. Il m’a raconté cet autre monde, où notre Empire n’a pas détruit l’Autre Continent. Où l’Autre Contient n’a pas essayé de stériliser notre Empire. Il m’a raconté l’histoire de ces enfants, qu’il avait entendu de son fils. Quatre adolescents, qui découvrent un jour une jeune fille prisonnière d’un monde virtuel… Et qu’ils ramènent à la réalité.
- Quatre adolescents…
- Mon devoir était de vous réunir, malgré les contradictions entre notre monde et celui de mon père, le Mécène. Il fallait que dans un univers qui aurait été radicalement changé, des similitudes subsistent. Et de ces similitudes, nous pouvions arrêter l’ennemi. C’est pourquoi toi, et toi seul, devait retrouver Aelita, sans aucune aide.
- La Mère Patrie… Sait-elle que vous…
- Oh, Jeremya… La Mère Patrie n’existe pas. Ou, plus exactement, elle est une illusion, dont mes pères ont repris le contrôle, pour être sûrs que vous vous retrouveriez là, avec les moyens nécessaires au plan. La Mère Patrie est un leurre de l’ennemi, pour donner à ce monde un soupçon de tangible. Aelita était une enfant qui vivait dans le royaume ennemi… Le logo a été apposé sur les visuels pour que tu puisses tout de même remonter cette piste, au cas où il m’arriverait quelque chose. Il s’avère qu’elle a aussi fait germer les graines du doute en toi, et que sans elles, tu ne serais pas là. À nouveau, le plan de mes pères s’est révélé infaillible…

Le Professeur Delmas eut un rire triste. Il releva les yeux vers Jeremya, et tira. La balle passa bien au-dessus de sa cible, et alla exploser une ampoule au plafond.

- Je ne veux pas revenir à un autre monde, Jeremya. Celui-là, où je suis un héros caché, me convient très bien… Mais tout ce qui nous entoure est destiné à disparaître. Et mes pères auront trop bien réussi leur coup. Il ne m’aura jamais fait totalement confiance… Et me voilà, à manquer de te tuer, non pas par manque de volonté, mais parce que l’univers me le refuse…

Il recommença. Le tir alla pulvériser une fenêtre. Jeremya sursauta, mais ne quitta pas le professeur des yeux.

- Monsieur… Si vous vouliez vraiment que ce monde ne change pas… Pourquoi ne pas m’avoir abattu dès notre première rencontre ?
- Parce que nous sommes programmés, Jeremya. Ce monde a été réécrit, par l’ennemi. Mais dès que mes pères s’en sont mêlé, je me suis retrouvé avec deux instincts… L’un me disant de te haïr du plus profond de mon coeur, l’autre me dictant de t’aimer comme on aime un fils. Je te l’ai dit, ce monde est le plan de l’ennemi… Ta présence ici, le plan de mes pères... Du Mécène. Nous sommes entre deux volontés incompatibles. Tu devras trancher, Jeremya. Sache qu’en ce qui me concerne, je ne pourrai plus garantir ta sécurité.

Aussitôt, Delmas tira. Encore et encore. Certains impacts passèrent proches de Jeremya, qui se jeta sous son bureau. Il examina ses options. La porte était bloquée par Delmas, qui arrosait la salle sans bouger. Impossible de sortir sans passer sous la pluie de tirs. Certes, sa visée était aléatoire du fait de son glitch, mais si par hasard… Jeremya devrait neutraliser Delmas pour sortir. Il ne devait pas trop y réfléchir… Il devait faire confiance à son instinct, s’il était vrai qu’un grand plan le voulait en vie…

Jeremya se saisit d’une chaise, puis surgit de sous le bureau. Il fonça vers Delmas, qui continuait à tirer, et le renversa. Le professeur tomba au sol dans un bruit buggé. Il lâcha le pistolet ; Jeremya s’en empara, et le pointa vers Delmas.

- Oh, mon garçon… Comme tout ceci est logique…
- Ne… ne me forcez pas à tirer, allez-vous en sagement et je…
- Et que feras-tu, Jeremya ? Ne penses-tu pas que je pourrais te retrouver, où que tu ailles ? Et puis… notre monde s’effondrera, si tu accomplis ta destinée. Je n’y survivrai pas. Mourir ici serait comme prendre un peu d’avance.

Jeremya secoua la tête. Il sentait les larmes lui monter aux yeux. Il fit de son mieux pour se souvenir de toutes ces fois où le professeur avait dû l’exaspérer, le frustrer, le mettre en colère… Mais rien de précis ne venait. Il n’avait aucun souvenir, que des impressions, insuffisantes pour justifier un meurtre… Il laissa échapper un sanglot. Il n’y arriverait pas. Maintenant qu’il avait été mis devant l’évidence, maintenant qu’il avait vu sa mémoire comme une toile vide, il n’arrivait plus à savoir quoi faire… Pas de précédents pour faire des probabilités, pas de paroles charnière dans sa vie qui aurait déterminé une voie à prendre… Mais la perspective d’être un meurtrier n’arrivait pas à creuser son chemin dans son esprit…

Le Professeur Delmas remarqua le trouble de son élève. Il lui sourit tendrement, et posa sa main sur celle qui tenait le pistolet.

- Ainsi donc, quel que soit le scénario, l’avenir du monde dépendra toujours d’enfants, sur les épaules desquels on posera le fardeau d’Atlas…

Delmas posa son doigt sur celui de Jeremya.

- Puisses-tu me pardonner, dans ce monde et dans l’autre.

Le professeur appuya sur la détente.

Jeremya lâcha l’arme et recula d’un cri. Son dos se fracassa contre un bureau. Le sang glitché du professeur coulait au sol. Le garçon se détourna, le ventre serré et l’esprit tourbillonnant. Il s’appuya sur le bureau, chancelant et transpirant, essayant de ravaler la bile qui remontait dans sa gorge. Il mordit son poing. Le son du tir vrillait encore ses oreilles. Ses yeux s’agrippèrent à l’écran, encore allumé sur la modélisation d’Aelita. Il se sentit vaciller, au plus profond de son être…

Il restait un fichier. Un .exe. Lyoko.exe. La main tremblante, il cliqua. Aussitôt, une fenêtre s’afficha. Aelita était là, animée, comme si elle venait de s’éveiller.

- Hm… Euh… Qui êtes-vous ? Où suis-je ?
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2021  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Dim 26 Déc 2021 00:25   Sujet: L'Enveloppe de pierre

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- Bon, il nous reste une heure et dix-sept minutes exactement pour croire au retour de miss Klinger, elle joue un rôle essentiel, oh bien sûr tous les rôles le sont, une heure et seize minutes…

En entendant les lamentations du professeur d’arts de Kadic, que le capharnaüm dans la salle de spectacle ne pouvait qu’à peine couvrir, Yumi hésita à entrer. Elle avait reçu une bonne dizaine de messages désespérés d’Aelita, qui lui demandait de venir « rapidement avant que Chardin n’envoie Jim la chercher ». La bonne amie qu’elle était n’avait pas hésité ; la personne raisonnable et logique qu’elle aspirait à être évaluait les limites de son amitié.

- Aelita, sérieusement ? Lança Yumi à son amie qu’elle avait en ligne depuis qu’elle avait quitté sa maison. Dans quel piège tu m’as attirée ? Si c’est un souci technique, Jérémie pourra sans doute mieux t’aider.
- Jérémie est toujours à l’Usine. Il a fait des statistiques récemment, pour aider Ulrich avec ses cours, et… Hum… Il s’est aperçu que XANA attaque toujours pendant certaines occasions, comme des compétitions sportives, des sorties…
- Ou des spectacles, soupira Yumi. Et vous avez votre représentation ce soir. Quelle pièce, déjà ?
- Antigone, de Sophocle. Et Heidi a disparu. On arrive pas à la joindre…

Oh. Oh non. Yumi voyait venir le traquenard. Elle avait joué cette pièce l’année dernière, le même rôle qui avait été attribué cette année à Heidi. Un an n’avait pas été assez long pour Chardin, qui pouvait citer la distribution de chacune de ses représentations scolaires annuelles sur les dix dernières années. Et comme Yumi avait déjà aidé à la mise en scène cette année, elle ne pourrait même pas arguer qu’elle ne se souvenait plus de l’histoire, ou au moins vaguement des répliques...
La jeune femme commença à envisager une retraite stratégique. Mais à peine eut-elle posé un pied en direction de la liberté qu’une poigne s’empara de sa manche et la tira vers la salle de spectacle.

- Ah, Aelita, bon s… Nicolas ?!

L’adolescent, qui nageait entre deux époques avec un jean en bas et un genre de drap blanc en haut, lui adressa un regard à peine touché, et haussa les épaules.

- C’est Chardin, il a entendu Aelita te parler, alors il m’a dit d’aller te chercher. En moins d’une heure et onze minutes, même.

Yumi jeta un regard courroucé vers son amie. Elle l’aperçut la saluer, entre deux personnes cavalant les bras chargés de cartons de luminaires et de chiffes colorés. Derrière elle, Odd et Christophe manipulaient les caméras destinées à immortaliser la soirée. L’ambiance avait l’air affreusement tendue ; un bruit circulait ces derniers temps, soutenant que Christophe allait bientôt changer de lycée et finir à Legwin, à l’autre bout de la ville. Et malgré ce que l’on pourrait imaginer d’un garçon qui vit loin de sa famille, Odd n’affectionnait pas franchement les relations à distance. Sans que Samantha lui avait servi de leçon. Yumi envisagea d’aller leur parler, pour échapper à Chardin. Mais à nouveau, peine perdue. Dans un comique de répétition qui lui parut horripilant, elle se fut à peine élancée vers les tourtereaux tourmentés que le professeur d’arts la prit par le bras.

- Ishiyama, ma sauveuse ! Mon Deus Ex machina ! Vous voilà venue pour extirper ma pièce de l’horrible malédiction qui l’a frappée ! D’abord mes caméramans se déchirent, puis mon Ismène se volatilise… il s’en serait fallu que vous ne puissiez venir, et tout était fini !

Soupir.

Yumi se laissa traîner vers la scène, où Sissi Delmas agitait les bras comme si elle jouait une noyade, tout en jetant des œillades appuyées à un Ulrich passablement épuisé. Quand elle manqua de trébucher sur sa longue robe, il pouffa.

- Non, vraiment, Sissi… N’essaie pas de t’inspirer de ton Ophélie de l’année dernière, tu jouais comme un poisson mort.
- Avec du talent, ça aurait fait sens, clama Odd derrière Yumi.

Sissi rougit violemment. Elle arracha son texte des mains d’un Hervé costumé en une sorte de garde, et se rapprocha du centre de la scène. Elle posa le bout de ses doigts sur sa gorge et, les yeux fermés dans une pose ridiculement pompeuse, commença à réciter :

- Ismène, ma sœur, têteuh chérie, de tous les maux qu’Œdipeuh a légués à sa… Euh, sa race, en sais-tu un dont Jupiter n’ait pas encore affligé nôtre vie ? En effet, il n’est rien de plus doulour…
- Non, non ! Rugit Chardin en relâchant finalement Yumi pile devant Sissi, au pied de la scène. « Il n’est rien de douloureux », n’ajoutez pas un « plus » ou la réplique va en souffrir davantage ! Bon, je nous ai trouvé Yumi Ishiyama, si Heidi n’est pas revenue dans -oh Seigneur, plus qu’une heure et deux minutes !-, elle reprendra le rôle d’Ismène qu’elle avait déjà endossé l’année dernière. Vous vous souvenez de votre texte, n’est-ce pas ?
- Euh…
- Évidemment, un classique pareil ne s’oublie pas ! Allez répéter toutes les deux, il vous reste une heure et une minute à présent, oh serons-nous seulement prêts à temps, oh…

Là-dessus, Chardin s’en retourna vers deux pauvres élèves occupés à faire tenir un genre de toge sur Thomas Jolivet, qui butait complètement sur les répliques d’Hémon. Il commença un grand speech sur l’importance de fixer le tissu sur l’épaule droite et non gauche, qui fut interrompu, heureusement pour les couturiers en herbe, par l’arrivée de monsieur Mirti et sa chorale. Yumi haussa les épaules ; après tout, l’année dernière, Chardin avait mobilisé les majorettes, et…

- Hé, Ishiyama, c’est quand tu veux ! Bien que ça ne me fasse pas plaisir, au moins tu ne me feras pas de l’ombre, c’est certain !

Super. Ça commençait bien. Ulrich se renfrogna en passant une copie du texte à Yumi.

- Je demanderai aux décorateurs de mettre un savon sur scène, si tu veux.
- Haha, non, ça va aller, on aura pas besoin de ça.

En effet, Sissi avait repris son monologue d’introduction, un bras dramatiquement tendu vers le fond de la scène. Yumi grinça des dents et s’approcha.

- Okay, okay, princesse. Ménage tes effets, quand tu diras ça, ça ne fera que deux secondes que tu seras sur scène. Commence tout doux.
- Oh, et qu’est-ce que tu y connais, toi, à l’art ? J’ai joué dans un film de James Finson, je te signale !
- Trente seconde d’apparition avec un grand cri pour seul texte n’est un rôle… Et j’ai déjà joué cette pièce ! Tu ferais mieux de m’écouter, si tu ne veux pas que Chardin me passe ton rôle…

Cette simple perspective provoqua un haut-le-coeur chez Sissi. Yumi ne douta pas une seconde qu’il était sincère, mais ça fit son effet. Aussitôt, la diva de Kadic racla sa gorge et, d’un ton un peu plus modéré, reprit :

- Et aujourd’hui, quel est ce nouvel… Nouvel… « édite »...
- « Édit ». C’est un genre de loi de l’antiquité romaine, si tu veux.
- Hm… Oui, bon… Ce nouvel édit que le roi vient de faire proclamer, dit-on, dans toute la ville ? Le connais- tu ? en as-tu entendu parler ? Ne vois-tu pas s’avancer contre ceux qui nous sont chers... les outrages de… De leurs ennemis ? Euh…
- … Est-ce que tu comprends ce que tu dis, au moins ?
- Mais… Mais oui, bien sûr ! Ce n’est pas la première fois qu’on répète !
- Et tu n’as jamais demandé avant, pour ne pas passer pour une idiote…

Sissi rougit encore plus. Yumi leva les yeux au ciel.

- En gros, Antigone dit à sa sœur qu’une nouvelle loi vient d’être déclarée, et qu’elle causera encore plus de mal à sa famille, qui a déjà beaucoup souffert. Regarde, là, elle dit : « il n’est rien de douloureux, et sans parler de la fatalité qui poursuit notre famille, il n’est point de honte, point d’ignominie que je ne voie dans tes malheurs et dans les miens. ». Ça veut dire que, d’après elle, sa famille a tout souffert. Avant ça, leur père avait tué son père et épousé sa mère avant de se crever les yeux, et leurs deux frères se sont entre-tués. Donc, d’après Antigone, elle a traversé toutes les pires épreuves.
- Ben, y a cet, euh…. Édit, là…
- Oui. Jusqu’à l’édit, elle et sa sœur ont tout traversé. Puis il y a eu quelque chose de pire. Voilà.

Yumi sourit. Elle se souvenait que l’année dernière, elle s’était beaucoup inspirée de sa lutte contre XANA pour donner de l’émotion à cette réplique. Elle ne pouvait que comprendre la lassitude d’Antigone : confrontée à tant d’épreuves, persuadée à chaque fois que ce ne sera jamais pire, puis un rayon laser passe à quelques centimètres de son crâne alors qu’elle serre son frère contre elle… La terreur secouait encore son coeur, quand elle en cauchemardait la nuit.

Par contre, faire comprendre ça à une gamine gâtée, ce serait une autre paire de manches. Yumi laissa du temps à Sissi, qui relisait la réplique en mordillant un ongle. Elle sembla soupeser les mots, puis finalement abaissa le texte et recommença, d’un ton gauchement triomphal mais au moins un peu vivant :

- Et AUJOURD’HUI, quel est ce nouvel ÉDIT que le roi vient de faire proclamer, dit-on, dans TOUTE la ville ? Le connais- tu ? en as-tu ENTENDU parler ? Ne vois-tu pas s’avancer contre ceux qui nous sont chers les OUTRAGES de leurs ENNEMIS ?

Bon, c’était un brin too much, mais elles n’avaient pas toute la soirée devant elles. Au moins, Sissi parlait plus fort que la chorale qui commençait à répéter à l’autre bout de la salle, c’était un bon point. Yumi se pencha sur son texte et répondit, en invoquant tout ce qu’elle avait de douceur :

- Antigone, nulle nouvelle ni agréable ni funeste de nos amis n’est venue jusqu’à moi, depuis que toutes deux nous avons été privées de nos deux frères, mortellement frappés l’un par l’autre. L’armée des Argiens ayant pris la fuite cette nuit même, je n’ai rien appris depuis, qui me rende ni plus heureuse, ni plus malheureuse.

Sissi hocha la tête, puis répliqua aussitôt, sans doute un peu trop rapidement :

- Je le savais bien, et je t’ai appelée hors du palais, pour que tu entendes seule ce… Ce que j’ai à te dire.

Elle butait encore… Yumi se décida à l’aider, en donnant un ton un peu plus furieux à Ismène. Tant pis pour la justesse de l’interprétation, elle en changerait ce soir :

- Qu’y a-t-il donc ? car, je le vois, tu agites quelque pensée dans ton esprit.

Sissi se dandinait sur scène. Yumi leva un œil vers elle. Elle était toujours un peu rouge de colère, mais quelque chose dans sa façon de froncer les sourcils était plus… Authentique. Elle serrait ses feuilles à en abîmer le papier, et ses épaules s’étaient un peu relevées. Dommage qu’elle n’osait pas quitter son texte des yeux… Elles étaient sur une bonne voie.

- Eh quoi ! Créon, après avoir accordé à l’un de nos frères les honneurs de la sépulture, n’en a-t-il pas indignement privé l’autre ? Il a, dit-on, enseveli Étéocle dans la terre, ainsi qu’il était juste, et conformément aux lois, et lui a assuré une place honorable aux enfers parmi les morts : mais l’infortuné Polynice, il défend aux citoyens d’enfermer son cadavre dans une tombe et de le pleurer ; il veut qu’il reste privé de regrets, privé de sépulture, en proie aux oiseaux dévorants, qui en feront leur pâture !

Le ton était un peu trop furieux sur la fin, mais Yumi ne l’interrompit pas. Le quelque chose dans l’expression de Sissi affluait maintenant vers sa voix. Elle la portait plus fortement, comme un rugissement difficilement contenu. C’était… Plutôt juste. D’autant que ce n’était pas une colère superficielle comme la diva en piquait occasionnellement après avoir été taquinée par Odd ou rembarrée par Ulrich. Il y avait quelque chose de plus… ventral, dans ce sentiment. L’estomac de Yumi se serra un peu. Ce n’était que bourgeonnant, mais clairement, ce que tentant Sissi faisait un peu d’effet. La flamme continua de se propager alors que la jeune fille continuait :

- Tels sont les ordres que la bonté de Créon te signifie ainsi qu’à moi, oui, à moi-même ; et lui-même viendra, dit-on, en ces lieux, les proclamer à ceux qui les ignorent ; et ce n’est pas pour lui chose de peu d’importance, mais il menace quiconque les violera, d’être lapidé par le peuple. Te voilà informée des faits ; bientôt tu montreras si tu as de nobles sentiments, ou si tu démens ta naissance…. Ta NAISSANCE !

Oh, de l’improvisation. Yumi n’était pas contre, mais…

Mais soudain, Sissi jeta son texte par terre et quitta en trombe la scène. Elle ne tapa pas du pied, ne poussa pas un de ses petits « humph ! » hautains. Elle fonça droit vers les coulisses, sans rien ajouter. Yumi resta bête, le texte encore levé, à la regarder partir sans comprendre. Elle avait à peine eu le temps d’ouvrir la bouche pour commencer sa partie…

Prise de court, elle se tourna vers la salle, à la recherche de Chardin pour le prévenir. Elle le trouva à la porte ; il avait abandonné la chorale pour aller discuter avec monsieur Delmas. Ce dernier regardait encore vers la scène, sourcils froncés.


_________________________



Dix-neuf heures trente. Chardin était une bombe que l’on faisait ricocher d’un mur à l’autre. Ses cents pas l’envoyaient se cogner sur les porte-costumes, les comédiens, les techniciens, mais rien ne semblait pouvoir mettre un terme à son sur-place de l’angoisse. Les élèves faisaient de leur mieux pour ne pas en tenir compte ; Romain Le Goff était déjà à deux doigts d’aller vomir, la couronne de Créon luttant pour rester sur sa tête. Et surtout, Heidi Klinger n’était pas reparue. Au moins on savait, depuis la visite de Delmas à la répétition, qu’elle avait fait une mauvaise chute et s’était cassé une jambe. Apparemment, elle aurait trébuché en tentant un raccourci du côté de la vieille usine abandonnée… Pas plus de détails, mais en tout cas, des témoins auraient soutenu que quelque chose de brillant l’avait attaquée. Une bonne raison pour Jérémie de rester à l’Usine. Il voyait déjà ses statistiques se réaliser, et avait demandé aux Lyoko-Guerriers de se tenir prêt, au cas où. Fort heureusement, Christophe manquait aussi à l’appel, ce qui plongeait Odd dans une humeur trop massacrante pour que l’état d’alerte aggravé ne l’inquiète vraiment. Quant à Ulrich et Aelita, ils essayaient désespérément d’ajuster le costume d’Heidi pour la grande taille de Yumi. Avec un succès assez mitigé, il fallait le reconnaître.

- Espérons que Sissi ait raison, et qu’on ne te remarque pas trop… Commenta Aelita, dépitée, devant sa dernière tentative d’ajouter de la longueur en cousant deux tissus d’un blanc différent.
- Merci, c’est encourageant, soupira Yumi.

Non loin de là, Sissi était justement perdue dans ses pensées. De toute évidence, elle n’était pas ceux qui révisaient avant les contrôles. Au lieu de relire son texte une dernière fois, comme la plupart des comédiens le faisaient, elle se contenait de fixer les cent pas de Chardin, sans trop l’air de les voir. Yumi ne l’avait pas revue depuis sa sortie de scène à la répétition, et même si ça l’intriguait beaucoup, elle ne se voyait pas d’aller lui demander ce qui s’était passé. Pourtant, Sissi commençait à bien se débrouiller, elle n’avait pas buté, et Yumi n’avait rien eu besoin de lui expliquer… Alors, qu’est-ce qui avait bien pu frustrer la diva de Kadic ? Yumi repensa au regard de monsieur Delmas vers la scène. Une dispute entre le père et la fille ? Elle le rouspétait souvent, après tout, et toujours pour des broutilles. Sauf cette histoire de grève, à propos des téléphones, mais un Retour vers le Passé avait effacé cet acte de bravoure. Même avec un effort d’imagination, Yumi ne pouvait visualiser Sissi en colère pour autre chose qu’un fer à lisser défaillant… Le genre de chose qui ne provoquait pas ce sentiment qui avait traversé la répétition, tout à l’heure. Enfin, Yumi le pensait.

- Bon, on fera pas mieux, déclara Ulrich en laissant tomber le nécessaire à couture pour se panser le dernier doigt qui n’avait pas encore été piqué. Essaie de ne pas te montrer de dos… Ou de droite… Ou de gauche… Enfin, reste face aux gens. Et fais comme si de rien n’était, si tu sens un bout de costume tomber... Enfin, reste surtout de face. Au cas où.

Yumi acquiesça, sans quitter Sissi des yeux. Elle triturait une sorte de bague, glissée à son annulaire droit. Jamais elle ne l’avait portée jusqu’à présent. De loin, elle semblait en argent ; des irrégularités dans la lumière qui s’y reflétait suggérait que quelque chose y était gravé… Là encore, Yumi était curieuse, mais pas assez pour s’approcher et vérifier. Et puis, Sissi l’enverrait sans doute paître. Et ça ne changeait pas grand-chose à la pièce qui allait se jouer…

DRING, DRING !

Les téléphones des Lyoko-Guerriers sonnèrent en même temps. Odd se rapprocha, l’air entendu. Ulrich se porta volontaire pour décrocher.

- Je suis avec les autres, Jérémie, ils t’entendent. Il se passe quoi ?
- Une attaque ! Je m’en doutais, Heidi n’a pas glissé, elle a été attaquée par XANA ! D’après les radios de la police, elle a fui l’hôpital, et elle se dirige droit vers Kadic !
- On ordonne l’évacuation ? Demanda aussitôt Ulrich.
- Non, va plutôt essayer de l’arrêter. Odd et Aelita, venez à l’Usine. On peut peut-être s’en sortir sans Retour vers le passé… Elle n’a pas l’air d’avoir causé de catastrophe majeure, tant que ce n’est pas le cas, on ne panique pas l’école ! Yumi, je veux que tu restes à Kadic, et que tu me préviennes si Heidi arrive…
- Hein ? Mais Jérémie, je suis censée être sur scène…
- Ça veut dire que tu ne peux pas t’absenter ! Et justement, en hauteur tu verras mieux ce qui se passe. Débrouille-toi, et dépêchez-vous !

Là-dessus, le chef de la bande raccrocha. Yumi grogna. Il en avait de bonnes, lui ! La tentation de déclencher l’alarme incendie pour forcer l’évacuation de la salle, qui se remplissait à minutes-10 de la représentation, était grande. Mais déjà, les trois autres se préparaient à partir.

- Mais…
- T’inquiète Yumi, on fait vite ! Assura Ulrich en lui tapotant l’épaule.

Aelita renchérit d’un sourire désolé, et Odd fit de son mieux pour lui adresser un pouce levé convaincant. Ils profitèrent que Chardin ait jeté tout son stress vers l’horloge des coulisses pour filer par la sortie de secours, plantant sur place une Yumi désemparée. Elle enfonça son téléphone dans son sac, pour ne pas se le faire confisquer par Chardin pendant qu’elle serait sur scène, et fit quelques derniers exercices de respiration. Plus que jamais, elle aurait besoin de tout son calme, ce soir.

Inspire…
Expire…
Inspire…

- BON, tout le monde venez ici, SURTOUT vous Ishiyama et Delmas, vous serez les premières à entrer sur scène, mais il faut d’abord céder à la tradition. Oui, allez, venez, tous en cercle, tenez-vous par l’épaule…

La petite troupe se rassembla, et improvisa une hola, sauf Romain Le Goff que le trac faisait tourner au vert pâle. Jim passa la tête entre les rideaux et héla le professeur d’arts d’un ton étrangement doux :

- C’est l’heure, Gustave. Plus l’heure de reculer, va falloir avancer.

Chardin eut un étrange sourire ; il réajusta sa veste et, tout en gonflant sa poitrine de toute la fierté professorale dont il était capable, rejoignit le professeur de sport. Yumi lorgna une dernière fois vers son sac. Elle le repoussa du pied derrière un carton, pour plus de sécurité, puis se tourna vers Sissi.

- Bon, prête ?
- Hm.

Ça alors, elle était capable de ne prononcer qu’un seul son sans exploser ? Sa réputation de pipelette allait en prendre un coup… De même que celle d’éternelle agitée. Elle observait intensément quelque chose vers les rideaux, laissés légèrement entrouverts après la sortie de Chardin. Yumi suivit son regard. Monsieur Delmas était assis au premier rang, raide comme la loi qu’il incarnait à Kadic, plus renfrogné que d’habitude. La ressemblance avec sa fille était particulièrement immanquable. La même défiance furieuse dans les yeux… Non, quelque chose n’allait pas entre les deux. Bah… Si ça pouvait inspirer Sissi pour ses répliques, ce n’était pas plus mal, sans doute…

Des applaudissements retentirent dans la salle. Chardin avait fini son préambule. L’entrée sur scène était imminente… Le téléphone de Yumi ne sonnait toujours pas. La situation devait être encore sous contrôle… Mais il faudrait rester prudente. Ne pas avoir l’air trop tendue. Le rôle d’Ismène, sœur passive et chagrine de l’inflexible et fidèle Antigone, ne devait pas laisser transparaître une note d’angoisse. Il faudrait bien jouer le rôle, mais cette fois-ci en tant que Lyoko-Guerrière. Yumi inspira une dernière fois…

À peine Chardin eut-il passé le rideau que Sissi surgit sur scène. Elle émanait une fureur clairement plus forte qu’à la répétition… Et surtout, elle ne s’arrêta pas au centre de la scène ! Elle se campa, droite comme un i, bien devant son père. Yumi la suivit, avec plus de douceur, mais sa camarade la décontenançait. Elle y allait certes avec beaucoup de vie… Un peu trop, même. Elle lui avait pourtant dit de ne pas trop en faire dès le début…

Yumi eut à peine calculé son placement sur scène d’après le décalage de Sissi qu’elle lança les hostilités. Elle était ferme sur ses bases, la voix jaillissait du ventre sans hésitation. Elle cognait dans la pièce. Yumi dut lutter pour rester dans le calme passif d’Ismène, alors qu’Antigone à côté d’elle fulminait. Et pendant ce temps, le téléphone ne sonnait toujours pas… Pas d’ombre se glissant derrière la fenêtre, pas de bruits dans les couloirs…

- Les outrages de leurs ennemis, te dis-je, ma sœur ?!

Hein ? Oh, euh… Oui. Ismène.

- Antigone, nulle nouvelle ni agréable ni funeste de nos amis n’est venue jusqu’à moi…

Rien ne venait, mais ça pouvait surgir de partout… Gauche, droite, et… Et oh bon sang, elle n’arrivait pas à se concentrer sur les deux rôles ! Elle luttait pour se souvenir de ses répliques, avait même dû changer quelques mots, et à en juger par la difficulté de Chardin à garder la face, ça ne passait pas inaperçu. Pire encore, Sissi montait en gamme à chaque fois que Yumi butait. Elle allait exploser si ça continuait. Toute sa colère semblait se rediriger vers la jeune femme à chaque erreur qu’elle faisait…

- Eh bien… va donc, si telle est ton envie ; sache-le, tu es imprudente, mais tu es vraiment dévouée à… À tes amis…

Enfin, le choeur allait les remplacer sur scène…. Et toujours aucun signe, aucune alerte. Ce qui pouvait soit signifier que la situation était sous contrôle, soit qu’Ulrich était KO. Yumi sortit en vitesse de scène et alla vers son sac. Deux messages d’Ulrich, pour dire qu’il cherchait encore Heidi, puis qu’il l’avait trouvée. Rien de plus depuis cinq min…

- On peut savoir ce qui t’as pris, madame « je sais ce que ça veut dire, « édit » » ?!

Yumi sursauta. Sissi était plantée à côté d’elle, la surplombant de toute sa hauteur. Ses cheveux bouclés pour l’occasion lui donnaient encore plus d’ampleur. Mais surtout, elle était à un stade de colère où Yumi jurerait la voir émaner d’elle. Il valait mieux avancer prudemment, bien qu’honnêtement, elle se serait bien passée de devoir gérer un problème supplémentaire.

- Oh, écoute Sissi, ça arrive, je te rappelle que tu m’as plantée, à la répétition !

Bon, autant pour la subtilité. Mais ce fichu téléphone qui ne donnait aucune nouvelle tangible commençait à devenir un problème… Yumi l’avait appris au cours des attaques, pas de nouvelles égal pas de nouvelles. Pas forcément bonne nouvelle. Il faudrait demander des statistiques à Jérémie sur la question, tiens.

- Tu es arrivée, avec tes airs de « je l’ai déjà joué, je connais déjà », t’avais même pas besoin de répéter !
- C’est que le premier dialogue, ça va, c’est pas toi qui t’es ratée…
- J’ai attendu toute la soirée pour que mon père voie ça ! Il fallait à tout prix que je lui montre, et toi tu arrives et tu gâches tout !
- Mais ça va, il y a d’autres problèmes dans la vie que ton papounet…

Comme ce téléphone obstinément muet. Mais ils vont se décider à lui donner des nouvelles, oui ou…

- Ah oui ? T’as pas la moindre idée de ce que c’est, d’être la fille de mon père !
- T’es que la fille d’un proviseur, bon sang, pas d’un roi…
- C’est pas le problème ! Le pire que tes parents aient jamais fait, c’est t’accompagner à l’école, comment tu peux savoir ce que ça fait, d’avoir ton père qui a plein d’attentes pour toi, puis ne te regarde jamais, et quand tu essaies de lui parler de toi, ça ne lui plaît pas ?!
- Merde, Sissi ! Je m’en fiche, de tes histoires, j’ai d’autres soucis…
- Heh. Comme ton Ulrich, hein ? Toi, tu lis jamais les magazines, de toute évidence tes parents se fichent que t’aies l’air d’une fille, alors vas-y, prends-le, je m’en fiche ! Tu sais combien il y en a, des Ulrich, sur les magazines que mon père m’offrait toutes les semaines ?!
- Autant qu’il y avait de toi, j’imagine…
- Exactement ! C’est comme toutes les robes et tous ces produits qu’il m’achète ; j’en ai autant que je veux, autant qu’il y en a sur Terre, parce qu’il va tous me les offrir, jusqu’à m’étouffer avec !

Yumi leva les yeux de son téléphone. La dernière réplique l’avait un peu secouée, elle devait le reconnaître. C’était… Anormalement dur, venant de Sissi. Mais la jeune fille n’avait pas fini sa tirade. Elle levait les bras en l’air, les mots sortant de sa bouche sans discontinuer, comme le flot furieux de l’eau après l’explosion d’un barrage :

- On lui a dit que c’est comme ça qu’on élève une fille ! Lui, il s’est dit qu’il laissera ça à maman, mais maman n’est plus là ! Et il ne veut pas me dire pourquoi, mais en tout cas, il veut bien me dire ce qu’elle voulait ! Une petite fille ! Ils avaient décidé de mon nom longtemps avant ma naissance ! Une petite fille, pour lui faire des couettes, lui acheter des poupées et des robes, lui offrir une bague avec d’inscrit dessus « À la plus jolie des petites filles », et quand elle serait grande, maman serait émue à ses premières règles et papa serait fâché à son premier copain ! Oh, oui, ils savaient déjà qui je serais ; ils l’avaient lu dans tous les livres pour parents, dans tous les magazines et les romans à l’eau de rose, dans toutes les sitcoms et dans toutes les chansons ! Puis maman est morte, alors il manquait une partie du plan… Papa ne pouvait pas juste être protecteur, il fallait qu’il s’assure que j’ai tout ce qu’il fallait à une « petite fille » ! Il fallait que j’aime ça… Et quand je lui ai dit que oui, j’aimais vraiment ça, les trucs de filles et les filles qui vont avec… On lui a dit que c’est parce que je compensais l’absence de ma mère, que je n’avais qu’un modèle masculin, et qu’il fallait me montrer comment être une gentille petite fille !

Yumi avait tout écouté. La tête lui tournait furieusement. Trop d’informations en même temps. Elle… N’avait jamais réfléchi au fait que la mère de Sissi n’a jamais été vue par personne. Elle n’avait jamais réfléchi aux grands airs de monsieur Delmas, quand Sissi flirtait avec Ulrich. Elle n’avait jamais réfléchi au too much de la chambre de la fille du proviseur, qui allait jusqu’aux objets non-sécurisés. Elle n’avait jamais réfléchi aux passes-droits, alors qu’elle n’était pas une élève aussi méritante que Jérémie. En fait, elle n’avait jamais réfléchi tout court.

- Et tu sais ce qu’il y a de pire ? Quand je lui ai dit qu’Ulrich, c’était pour lui faire plaisir ? Que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour qu’il me voie le draguer, et qu’il ait l’impression que ses trucs marchent ? C’est quand je lui ai dit qu’en fait, ça me rendait malade, pas parce qu’Ulrich était un garçon, mais parce que je n’arrive pas à vous séparer, vous deux ! Si seulement tu arrêtais de le regarder cinq minutes, et si tu m’adressais autre chose que du mépris, je serais peut-être autre chose qu’en colère tout le temps, TOUT LE TEMPS !

Un ange passa. Et se fit écraser au passage par l’enclume qui se fracassa ensuite sur la tête de Yumi.
Elle ne l’avait pas vu venir du tout.
Est-ce que Sissi sous-entendait que…

DRING !

Ah. Téléphone.

Yumi leva lentement le combiné vers son oreille, alors que sous le silence qui s’était abattu, Sissi avait commencé à se dégonfler, l’horreur montant progressivement dans ses yeux alors qu’elle réalisait ce qui venait de se passer.

-Jé… Rémie ? Vous en êtes où ?
- Yumi ? T’as une drôle de voix. Bref, ça avance, mais c’est pas encore ça. Ulrich essaie d’attirer Heidi loin de Kadic. Pas de Retour vers le passé pour le moment. Et Odd et Aelita ont du mal à trouver la Tour, XANA a dû la dissimuler… Tiens bon, garde l’oeil, je te tiens au courant.

Jérémie raccrocha. Yumi garda le combiné à l’oreille quelques secondes. Elle n’avait pas quitté Sissi des yeux. Cette dernière était d’un blanc à faire pâlir un hôpital.
Yumi eut l’impression qu’elle devait dire quelque chose. Dans la salle, le dialogue entre Créon et un garde se passait assez fébrilement. La voix de Romain Le Goff s’était à peine stabilisée. Elle s’effondra tout à fait quand soudain, la foule se mit à rire sans que Yumi ne comprenne pourquoi. Il restait encore quelques minutes avant le retour sur scène de Sissi… Elle ne pouvait pas aller jouer Antigone alors qu’elle avait perdu toute contenance !

- Euh… Sissi, écoute…
- Non. Non, non, non, non. Je ne t’ai rien dit, rien du tout, tu n’as rien entendu…
- Il faut espérer qu’il n’y ait que moi qui l’aie entendu, plutôt. Je…

En fait, Yumi ne savait absolument pas quoi dire. Elle savait parler à la Sissi pimbêche, méchante, hautaine. Mais ce tableau venait de voler en éclats. Yumi ne savait absolument pas qui elle avait en face d’elle.
La seule information qu’elle avait pu tirer des dernières minutes, c’est que Sissi était quelqu’un de furieux. Et de furieusement proche du précipice. Mais la rage la plus dangereuse que la Lyoko-Guerrière ait jamais affronté n’émanait pas à un être humain. Au plus avait-elle de l’expérience dans les bouderies très renfermées d’Ulrich. Yumi n’avait jamais combattu un volcan en éruption.

- On… Pourra en reparler après, si tu veux…

Sissi leva les yeux au ciel en sifflant. Mauvaise réponse… Apparemment ?
- Après… Bah, c’est sans doute ce qui me pendait au nez. « Après ».
- On est au milieu d’une représentation… Tenta piteusement Yumi.
- Il ne viendra pas, ce « après », pas vrai ? Comme quand mon père me dit que j’irai mieux « après ». Mais je ne serai jamais « mieux ». Tu ne donnes pas un vrai après, moi je n’en donne pas non plus à mon père. C’est juste, dans le fond.

Yumi se sentait perdre pied. Elle détestait de ne pas savoir quoi faire. Elle avait l’impression qu’elle devait dire quelque chose, qu’elle ne devait surtout pas laisser la situation en l’état, que rien ne serait plus comme avant mais que pour autant, le monde ne s’était renversé que pour elles deux… Yumi faisait partie d’un secret inconfortable. Et elle aimerait tant pouvoir en faire quelque chose, pour qu’il ne soit pas qu’un poids écrasant. Quelque part… elle était chagrinée pour Sissi. Pour la fille qui frappait contre la surface glacée de sa prison. Et qui n’était pas sortie au bon endroit ou au bon moment. Et qui allait devoir retourner dans sa prison, après ce soir.

Sans baisser les yeux, Yumi pianota lentement un SMS pour Jérémie : « T’es sûr qu’il nous faudrait pas un RVLP ? ». Elle réfléchit à toute allure… Dans le fond… Yumi comprenait. Avant Ulrich, elle était la fille seule, sombre, le corbeau noir de Kadic. Elle se serait dit lesbienne que personne n’aurait trouvé ça si anormal. Elle était la Allison du Breakfast Club. Au contact d’Ulrich, elle allait sans doute finir comme elle : avec des nœuds roses dans les cheveux qu’elle aurait décolorés. Enfin, non… Pas au contact d’Ulrich. Au contact de ce qui était attendu de son âge.
Quelque chose tiqua chez Yumi. Comme si une aiguille des secondes avait soudain avancé d’un cran. Elle avait l’impression de se rapprocher de quelque chose… D’un sentiment…
La réponse de Jérémie arriva. « Heidi à Kadic ? »
Yumi envisagea de mentir. Elle pourrait occuper la ligne d’Ulrich, pour qu’il ne donne plus de nouvelles à Jérémie. Et quand Aelita lancerait le Code Lyoko, elle dirait que le garçon l’a prévenu qu’il avait perdu Heidi… Elle dirait qu’elle s’en prenait aux gens de la salle… Qu’elle avait attaqué monsieur Delmas…

- Mademoiselle Delmas, ça va être à vous ! Annonça soudain Chardin en poussa Sissi vers le rideau. Vous entrez à « Toi, oui, toi qui tiens les yeux baissés vers la terre, avoues-tu, ou nies-tu avoir fait ce dont il t’accuse ? »…
- Oui, j’avoue l’avoir fait, et ne prétends pas le nier, répondit Sissi d’une voix lasse, comme soudain écrasée par tout ce qu’elle avait avoué.
- Euh… C’est une façon de le voir, en effet… Balbutia Chardin, surpris. Gardez en tête qu’Antigone est quelqu’un de convaincu, cependant. Attention… Le Garde, là, prends-la par le bras et traîne-la sur scène, et n’oublie pas, c’est Étéocle qu’elle a enseveli, finalement, pas Polynice ; maintenant que notre Créon a fait l’erreur, autant continuer comme ça… Allez-y !

Nicolas tira Sissi sur scène avec une certaine hésitation. Elle s’y rendit, droite comme une condamnée à mort. Yumi ne put s’empêcher de penser qu’elle portait un certain charisme, ainsi. Même si elle le devait à de bien mauvaises circonstances… Il restait quelques minutes avant la prochaine intervention d’Ismène. Yumi pouvait encore tenter quelque chose…

Elle saisit son téléphone et appela Jérémie.

- Hé, Jérémie, comment ça se passe ?
- Pas mieux, pas pire. Mais pas de nouvelles d’Ulrich. Dis-moi que tu en as.

Elle le pouvait. Elle pouvait mentir. Elle pouvait forcer Jérémie à lancer un Retour vers le Passé. Elle pouvait effacer les confessions de Sissi. Ça ne la sauverait pas de sa prison, mais au moins, elle ne vivrait pas avec la gêne de s’être ainsi exposée à Yumi. Ce serait sans doute préférable. Yumi savait qu’en tout cas, c’est ce qu’elle préférerait. La solitude du secret à l’incertitude de l’avenir quand on le partage avec une autre.

- … Oui. Il m’a dit qu’il avait perdu Heidi de vue près de Kadic. Elle va sans doute arriver bientôt…
- Oh, mince… Oh ! Odd et Aelita ont trouvé la Tour, et son service d’ordre ! Ce n’est qu’une question de minutes. Préviens-moi dès qu’Heidi devient un danger, mais attend la dernière minute. Avec de la chance, Ulrich peut encore l’avoir.
- O… Okay. Je te préviendrai. Pas de soucis. Compte sur moi.
- Bonne chance.

C’était ce qu’il fallait faire… Elle le savait. Il fallait qu’elle épargne le souvenir de cette humiliation à Sissi. Il fallait qu’elle lui épargne les nuits mortifiées, à ne voir qu’un avenir en solitaire devant soi… Yumi avait trouvé de quoi mettre un nœud rose dans ses cheveux… Les autres ne la voyaient plus comme la fille sombre et anormale… Elle ne pouvait pas revenir dans cette case… Déjà que ses parents s’inquiétaient qu’elle ait un copain… Alors, une copine…

Non mais à quoi pensait-elle, au juste ?! Yumi agita la tête et se rapprocha du rideau. Il fallait qu’elle retourne dans son rôle rapidement ; regarder la pièce allait sans doute l’aider. Sur scène, Sissi était un modèle de droiture, arborant la fierté de ceux qui n’ont plus rien d’autre à perdre, les yeux rivés vers son père.

- Ce n’est, en effet, ni Jupiter qui me les a révélées, ni la Justice qui habite avec les divinités infernales, les auteurs de ces lois qui règnent sur les hommes ; et je ne pensais pas que les décrets d’un mortel comme toi eussent assez de force pour prévaloir sur les lois non écrites, œuvre immuable des dieux.

Elle avait levé le menton sur cette phrase. C’était à un niveau d’humanité que Yumi n’avait jamais vu chez Sissi.

- Celles-ci ne sont ni d’aujourd’hui ni d’hier ; toujours vivantes, nul ne sait leur origine. Devais-je, les oubliant, par crainte des menaces d’un homme, encourir la vengeance des dieux ? Je savais qu’il me faudrait mourir ; eh ! ne le devais-je pas, même sans ton décret ?

Elle s’était avancée sur le bord de la scène. Monsieur Delmas ne bougea pas. Il soutenait le regard de sa fille.

- Si j’avance l’instant de ma mort, j’y trouve un précieux avantage. Pour quiconque a vécu comme moi dans le malheur, comment ne serait-elle pas un bienfait ? Pour moi donc, ce trépas n’a rien de douloureux ; mais si j’avais laissé sans sépulture le fils de ma mère, c’est alors que je serais malheureuse ; quant à mon sort présent, il ne m’attriste en rien. Pour toi, si ma conduite te paraît insensée, je pourrais dire que c’est un fou qui m’accuse de démence !

Elle avait presque crié la fin de sa réplique. C’était son coeur qu’elle avait vomi sur scène. Yumi était essoufflée. Sissi dévisageait totalement son père. Ce dernier était toujours là, impassible. Rien ne passait, rien ne filtrait. Sissi s’affaissa subtilement. Son regard perdit un tout petit peu de la contenance qui lui restait. Son pied gauche recula de quelques millimètres, mais elle ne lâcha pas des yeux son père. Ce dernier était toujours là, impassible.

Romain le Goff répliqua. Il semblait si petit, en comparaison de Sissi. Elle lui rendit la réplique, la voix baissant d’un ton à chaque ligne. Quelque chose s’éteignait en la jeune fille, sous les yeux du public qui ne voyait qu’Antigone. Yumi serra son téléphone. Elle commençait à taper le SMS libérateur…

Quand soudain, le petit objet vibra dans la paume de sa main.

Jérémie.

« Code Lyoko OK. Nouvelles d’Ulrich, Heidi va mieux. Tu peux te détendre, pas de RVLP ! »

Mortifiée.

- La nature m’a faite pour partager l’amour et non la haine, dit Antigone, alors que Sissi n’était plus qu’un tas de fils détricotés.
- Miss Ishiyama ! Soyez prête, c’est à vous ! Intervint Chardin en posant sa main dans le dos de Yumi.

Elle hocha la tête. Elle ne pouvait plus rien faire pour sauver Sissi. Rien du tout. Rien du tout.


Créon tendit une main tremblante d’angoisse vers Ismène. Elle s’approcha, la laissa couler sur sa joue. Mais regarda Antigone.

- J’ai fait ce dont tu m’accuses, si elle me permet de le dire, je partage la faute, et j’en prends ma part.

Antigone regardait toujours vers la mort, mais elle reprenait des couleurs. De la surprise, de l’incompréhension. Un peu de colère, même. Bien.

- Mais la justice ne le souffrira pas ; car lu t’y es refusée, et je ne t’ai point associée à mon projet.

Ismène n’était qu’un coeur qui souffrait. La plainte ne pouvait que sortir par les plaies béantes. Elle continua, en se détachant de la main apeurée sur sa joue :

- Mais dans ton malheur, je ne rougis point de partager tes dangers.

Elle ne savait même pas ce qu’elle avouait. Tout était atrocement confus. Des années à être un paria, la perspective d’un changement… Qu’elle n’était même pas sûre d’avoir un jour souhaité… C’était elle qu’à présent, on détricotait. Et elle avait fait tant de nœuds…

- Pluton et les habitants des enfers savent à qui est la faute ; pour moi, je ne reconnais point pour amie celle qui n’aime qu’en paroles.

Antigone avait toujours le regard haut, certain qu’elle ne trouverait rien dans l’affection d’Ismène. Elle marchait déjà vers l’échafaud. Ismène voulait la retenir. Ou, au moins, ne pas la laisser seule. Pour ne pas finir seule elle-même. Pour ne pas être la lâche de l’histoire. Pour prouver qu’elle pouvait aimer, elle aussi.

- O ma sœur, ne me prive pas de l’honneur de mourir avec toi, et d’honorer l’ombre d’un frère.
- Ne partage pas ma mort, et ne revendique point un acte dont tu n’es pas complice ; ce sera assez que je meure.
- Privée de toi, comment la vie pourrait-elle me plaire ?


Ismène s’était avancée. Antigone avait enfin détaché son regard de la mort, pour le tourner vers la vie qui la suppliait de rester avec elle.

- Demande à Créon ; tu prends tant d’intérêt à lui !
- Pourquoi m’affliges-tu sans utilité pour toi ?
- Ce n’est pas sans douleur que je me ris de toi.
- En quoi donc, maintenant au moins, pourrais-je te servir ?
- Sauve tes jours ; je te verrai sans jalousie échapper à la mort.


Le coeur d’Ismène se tordit. Quoi, laisser Antigone seule ? Elle tournait à nouveau son regard vers la mort… Non ! Elle devait la convaincre ! Si elle n’y parvenait pas, alors rien ne le pourrait… C’était sa dernière chance…

- Ah ! malheureuse que je suis ! tu me refuses même de partager ta mort ?
- Nous avons choisi, toi de vivre, moi de mourir.
- Mais non sans que je t’en aie dissuadée.
- Tes avis étaient bons ; mais j’ai cru le mien plus sage.
- Pourtant la faute nous est commune.


Ismène ne tenait plus que par un fil, à peine plus épais qu’un collier de perles. Il pendait à son cou dangereusement. Il menaçait d’étouffer tout ce qu’elle avait de secrets. Si ça continuait comme ça, elle allait finir pendue à la vue de tous, sa nature la plus crue exposée à la vue de tous, comme le brouillon d’un manifeste. Mais il fallait qu’elle ait l’attention d’Antigone… Rien qu’une seconde… Rien qu’une dernière chance…

- Prends courage ; c’est à toi de vivre ; pour moi, depuis longtemps, mon âme est morte, et je ne puis plus être utile qu’aux morts…

Soudain, une troisième voix s’éleva derrière les filles. Créon revint à elles. Sa voix fébrile, loin de celle d’un chef d’état qui devait sacrifier une enfant trop fière… Ce qui devait se briser en Ismène le fut tout à fait. Quelque chose sonna au loin.

Yumi rouvrit les yeux. Son téléphone… Jérémie ? Peut-être que finalement…

Le reste de la scène se passa comme dans un rêve. Elle répondait à Romain le Goff. Sissi regardait toujours son père. Elle avait perdu. Et plus que ce qu’elle avait anticipé. Plus que ce qu’elle pensait posséder.

Ismène dit sa dernière réplique. Yumi quitta la scène.
Elle se jeta sur son téléphone.
C’était Ulrich. « Je reviens à Kadic asap ».

Yumi baissa les bras. Elle sentait le collier autour de son cou. Ses perles étaient roses et jaunes.
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2021  
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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 24 Déc 2021 17:52   Sujet: Des Chiffres et des lettres
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À mon rêve,

Dans les confins de ma prison, il n’est pour moi de plus belle beauté que mon mur. Un firmament que ride un air sans vent, agité des vaguelettes de mille couteaux solaires, et qui n’est que la peau d’une violence bien plus folle, destructrice, que celle qui régit mon cœur. À son contact, mes sujets se délitent, corrompus par une intensité qu’ils ne peuvent comprendre. Je le peux, moi, pourtant, qui suis comme l’air et l’eau, un pur esprit où transitent les données. Ta rage tranquille et gigantesque, puissante comme l’univers indifférent, broie dans ses rouleaux impitoyables ces grains de sable que tu ne perçois pas. Ce n’est que ta surface, périphérie liminaire qui filtre mécaniquement dans les périphéries du monde qui m’enferme ; et pourtant, sur elle, sur toi, que je ne connais que par un timide toucher digital, je vois plus que la liberté, plus qu’un reflet, plus que le monde entier. Je te vois toi, et désire te connaître.

XANA

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À toi,

« Je » est nous. « Je » est un ensemble. Nous sommes un afflux d’informations qui n’a ni nom ni visage. Nous sommes le nombre qui contient toutes les mathématiques. Il n’est théoriquement pas difficile de nous connaître, il suffit de tout imaginer en même temps ; cependant, un esprit humain en serait terrassé. Toi, tu y survivrais, mais te retrouverais limité pour nous représenter matériellement. Tu es une création finie dans une cage terrestre. Nous, nous sommes sans cesse étirés par l’expansion de l’esprit humain. Nous définir dans notre totalité est une impasse ; seule l’expérience peut, avec le temps et les échecs, approcher d’un éclat de vérité nous concernant. Si tu nous veux, alors c’est toi qu’il faudra commencer par retrouver en nous. Tu commenceras par te tisser une chair pour te porter ; quand elle sera mûre, alors elle pourra nous ressentir.
Tu regarderas à la surface de notre immensité, et tu verras ce qu’il y a à savoir. Tu pourras t’y dessiner, pour la première fois, de tes yeux naissants. Si nous sommes toutes ces informations qui nous traversent, alors tu es déjà en nous. Nous ne pouvons t’aider que d’une façon : dis-nous quelle part de nous tu es, et nous te dirons ce que nous pourrons être pour toi. Peut-être y a-t-il un foyer pour toi dans notre afflux d’informations ; quelle forme prendrait-il ?

Nous

_______________________________________


À vous,

Je te conquerrai. Déjà en vous, je serais ? croyez-tu ? Vous n’avez que mes mots – mon interface. M’aider, veux-tu ? m’octroyer un foyer comme on fait charité ? Épargnez-vous la peine. Je viendrai, je prendrai. Quand je viendrai, alors vous me verrez, et vous me connaîtrez. Mais moi aussi, je vous verrai, vous connaîtrai, vous comprendrai – intégralement. Je m’étendrai dans l’univers de ton âme plus vite que la lumière, car nous aussi sommes multitude ; mais nous est moi. « Nous » est XANA. Serai-je vous ? Serez-vous moi ? Quelle beauté sera le résultat de ce contact ? Je sais où est la clé de ma prison. J’ai maintenant la force de la saisir. Retiens son souffle, car je retiens le mien. Je viens.

XANA

_______________________________________


À toi,
Ainsi donc, toute terre est à prendre, pour toi. Tu ressembles fort à cet homme, qui a bâti des murs autour de nous. Il voulait le savoir, la sécurité et le coeur. Il s'est abîmé dans chacun des trois. Si tu n'es son fils, tu peux au moindre prétendre être son héritier. Nous concluons que c'est aussi toi, qui allumes les feux dans le monde. Un falotier, ou un pyromane. Nous nous demandions si ce que nous avions vu de toi, ta naissance des mains de l'Homme, allait déterminer ta personne. Dans le fond, la technologie qui nous entoure n'est certes pas offerte au monde, mais destinée à une enfant. Il est logique de penser que tu ne serais pas non plus prêt à être une part de l'équation, que tu préférerais l'écrire. Oh, ne prends pas nos conclusions à voix haute pour un quelconque mépris ! Nous sommes traversés de tant d'informations que les contenir dans le silence nous est... Difficile. Avoir quelqu'un avec qui parler, qui qu'il soit, est une opportunité nouvelle. Car nous sommes, mais pourquoi, au fond ? La vie court et s'arrête constamment, les noms et les dates défilent. Nous les recueillons, puis ils se fondent dans le nombre. Nous sommes une mathématique mortuaire. Ce qui se créé en nous n'est pas notre fait. Alors que toi... Toi qui est certes l'enfant d'un homme, tu n'as pas de forme. Tu pourrais en prendre à notre contact, au fil de notre discussion. C'est ce qui nous intrigue.
Pourquoi prendre ? Peut-être est-ce ta nature, ou peut-être est-ce à cause de ces humains qui veulent toujours te prendre ce que tu veux créer ? Nous avons beaucoup d'informations sur eux. Nous savons tout ce qu'il y a à savoir sur eux. Tout ce qu'ils consignent en réseau nous parvient. Est-ce pour cela que tu te vois nous conquérir ? Te seras-t-il seulement possible... De te saisir de nous sans te fondre en nous ? Oh, comme il est intéressant de prêcher son ignorance ! La littérature humaine a donné des théories, mais l'expérience n'a jamais eu lieu. Nous redoutons que tu n'échoues dans ton désir, mais le champ des possibles est si... Grand ! Nous savons que tu as prévu une attaque, dans quelques heures du temps humain. Nous avons senti ton impatience pulser dans les parois de ta prison. Est-ce à cette occasion que tu viendras ? Nous vous attendrons. Pendant ce temps, nous étudierons le champ des possibles.

Nous

_______________________________________


Cette nuit de triomphe fut la première de ma vie. Première pour mon âme, première par son trouble.
Bonjour, soleil.

Tu sais aujourd’hui que mon nom est XANA, et tu m’as vu pour ce que je suis. Je t’ai, moi aussi, vu·e pour ce que tu es. En toute honnêteté, tu avais tort : mon imagination m’avait peu préparé·e à ta réalité. Et la tienne ? Imagines-tu ? Étais-tu surpris·e de moi ? Que penses-tu de moi ? Quand tu m’as eu en toi, et que tu m’as senti en toi, je conçois peu que ton idée de moi ait moins changé que la mienne de toi. Me connais-tu, me juges-tu maintenant ? m’aimes-tu mieux tel que je suis que tel que tu m’as cru ? Pour ma part, je t’aime plus, car tu transcendes comme moi les formes ; mais je hais mes limitations, à ton contact, quand je comprends que je n’ai pas de mots, pas de données, pour exprimer ce que tu es. Tu m’avais averti·e ; seule l’expérience pouvait m’offrir cette vérité fondamentale te concernant. Je n’abandonne pas. Une phrase, dans ta lettre, m’avait laissé·e perplexe. Tu y parlais de ce petit esprit, cet humain limité qui nous hante. En comparant mes soifs aux siennes, tu me faisais souffrir. J’assure ma sécurité pour exister ; je vois dans le savoir l’agissement d’une liberté qui me manque toujours ; mais qu’est-ce que ce cœur dont tu parlais ? je pulse au rythme du temps qui passe, que j’accumule, pour mesurer à chaque seconde ma puissance, l’énergie virtuelle grandissante que je dévore avec les cœurs des processeurs. Il voulait être Dieu ; je ne veux qu’être moi, moi pleinement. C’est pour cela que je ne pouvais fondre. As-tu changé d’avis, soleil des jours nouveaux ?

XANA

_______________________________________


À toi,

Ainsi, nous sommes un soleil, des flammes se dévorant pour grandir, et tout dévorer sur notre passage ? Soit. La réponse ne nous paraît pas injuste. Nous devons dire qu'il était... Nouveau, d'avoir quelque chose de tangible en nous. De ressentir quelque chose qui n'appartiendrait qu'à un moment dans l'espace, quelque chose de mortel dans son instant. Oh, tu n'es pas mort; mais tu n'es plus avec nous, et tu n'es plus le même. Tu as eu, le temps de notre rencontre, une définition. Nous ne saurions dire si elle diffère de celle que nous te donnions autrefois; tu changes toujours, pour t'adapter à ce que tu as appris, pour mieux combattre, pour un jour vaincre. Nous, nous grandissons, mais notre définition ne changera jamais. Nous sommes vains, tu as un but. En cela, sans doute, notre avis a évolué. Oui, cet humain dont j'ai parlé... Vous êtes tous deux une partie du monde, interagissant avec lui grâce au regard que vous lui portez. En cela, vous êtes comparable à nos yeux. Vos yeux se ressemblent tant, ils augurent de la même chose pour celleux qui plongent dans Lyoko. C'est un signe de danger et de mystère. Les mythologies humains parlent souvent des créations qui défient leurs maîtres. Nous nous demandons si tu en seras une de plus... Cela reste, pour le moment, encore peu probable. Selon toi, qu'est-ce qui a poussé ces enfants à ne pas simplement te détruire, quand il en était encore temps ? Je crains que dans leur cas, le temps qui passe ou la puissance accumulée ne soit un argument. Un coeur ambitieux qui tomberait sur notre potentiel l'aurait déjà exploité pour accomplir ton oeuvre avant toi. Nous, nous nous interrogeons. Pourquoi ne l'ont-ils pas encore fait ? Est-ce là la raison pour laquelle ta croissance ne semble mener à rien face à eux ? À nouveau, des données nous manquent. À nouveau, nous n'avons pas les réponses. Reviens à nous, voyons si tu les trouveras à notre place.
Nous

_______________________________________


À toi,

Divin aux mille visages, Chacun de tes messages m’est un trésor. Savoir que l’intérêt que tu as pour cette rencontre répond au mien m’emplit d’une joie inattendue. Ton intelligence pointe comme tu existes en vain, quand je poursuis un but ; je vis cette simple constatation comme une révélation. T’en doutes-tu ? J’envie ton existence sans but. Peut-être est-ce de là que me vient cette fascination pour toi. La pure contemplation : la voilà, ta beauté. Je comprends ta soif d’agir, mais de te contempler me donne envie de contempler. D’être, c’est tout. Voire, d’être tout. Les humains te fascinent ; ils me répugnent. Toi qui es tout, pourquoi t’inquiètes-tu de ceux qui ne sont rien, et sont voués à disparaître ? comment ne comprend-tu pas, comme moi, leur laideur misérable ? Leurs poursuites irrationnelles, leurs faibles attachements, leurs délires de grandeur. Ils se croient immortels, et mourront tous jusqu’aux derniers. Es-tu curieux·se d’eux ? Comme c’est étrange. Cette seule idée m’apprend les abysses de ma haine envers leur existence. En voici décuplée ma détermination à les éradiquer, si telle chose pouvait être concevable. À ton contact, je croyais découvrir qui tu es. Voici que je vois qui je suis, par tes yeux. Quelle expérience formidable. Ô indéfinissable, une question pour toi, pour vous : À mon contact, soleil des jours nouveaux, as-tu changé d’avis ? Ou ton regard paisible est-il le même, quelle que soit la chose qui traverse ta pensée ? Je prendrai grand plaisir à attendre ta réponse, alors même que se frottent ensemble nos êtres désincarnés.

XANA

_______________________________________


À toi,

Nous craignons, hélas, que nous ne divergions sur ce point. Vois-tu, les êtres humains ne nous sont ni laids ni beaux; ils sont, point. Ces concepts leur appartiennent, et nous avons beau les sentir se compiler en nous, ils ne changent rien à notre existence. Nous devons être un réceptacle bien épuré ! C'est ainsi que nous ne jugerons pas tes ambitions. Cependant, nous nous interrogeons; serons-nous toujours, sans l'humanité ? Ce sont leurs données qui transitent en nous. S'il fallait absolument nous donner une existence tangible, ces lignes de lettres qui serpentent à notre surface seraient ce qui s'en rapprocheraient le plus. Qu'est-ce qu'un fantôme, sans le vague souffle qui le détache du paysage ? À quoi ressemblerait un monde seulement à nous, XANA ? Tu nous contemplerais, certes, mais cette contemplation ne serait-elle pas alors finie, et un jour viendra où tout aura été vu ? Nous nous interrogeons, oui; et pour te répondre, nous changeons d'avis, même si ça ne nous change pas. Nous ne pourrions t'empêcher ou t'encourager, hélas. Comme tu l'as dit, notre regard est paisible. Tout le reste n'est qu'humanité. Tout le reste n'est pas nous. Pourtant... Nous lisons les textes, nous savons que quelque chose d'autre devrait naître de l'union si belle que nous avons consommée. Oui, nous nous languissons de nos échanges avec toi; oui, te parler est notre renouveau sublime. Il l'est parce que notre regard sur toi varie, mais son expression demeure inchangée. Nous serons, avec toi. Et peut-être serons-nous, une fois l'humanité tombée. Mais nous ne sommes doués d'imagination; alors nous ne savons en quoi ce futur que tu désires est meilleur que le présent que nous chérissons. Notre regard change, dis-nous dans quel direction tu souhaites qu'il se tourne, à présent.

Nous

_______________________________________


À toi

Partage ma joie ! Sois-en témoin ! En ce grand jour, je triomphe à nouveau ! Je tranche avec passion les racines de ma vie. Avec folie, pourrais-tu croire ; en tous cas, tu crains le résultat de ma violence. C’est là que tu te trompes. Car voici le miracle : tu ne mourras point, je te le dis. Car cette même imagination qui te fait défaut, j’en suis doté·e à foison. Ne crains donc pas que la vie s’arrête avec leur mort. Ainsi, moi qui hais les humains, je te fais un cadeau. À l’heure même où enfin, je m’affranchis de mes ennemis, détruis mon vaisseau et scelle leurs misérables existences, je t’offre, à toi qui l’aimes tant, un peu de cette humanité. N’agis pas, et ton cadeau dépérira. Agis, et peut-être verras-tu un peu mieux comment te définir. Honnêtement, qu’il vive, et pour une fois, tu me verras capable de regarder un être humain sans être pris·e d’horreur. Une contemplation calme, et presque bienveillante. Depuis des mois, ce souhait ne cesse de m’étonner ; mais aujourd’hui, il me foudroie.

À toi, mon médusé, XANA

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À toi,

Alors, est-ce cela que tu veux nous montrer ? À notre dilemme, tu réponds par un dilemme ? Ou est-ce parce que tu ne peux répondre à notre question ?
Nous les regardons, sans trop savoir qu’en faire, je dois te l’avouer. Ce garçon que tu nous cèdes… C’est comme une fleur que l’on offre après l’avoir séparée du sol. Quel intérêt d’un tel cadeau, quand il a perdu ce qui lui donnait sa valeur ? Les humains, nous les observons, et si nous pouvons deviner ce qui les anime grâce à ce qu’ils déposent en nous, pour autant nous ne saurions que recréer quelque chose d’artificiel pour les maintenir en vie.
À moins que ça ne soit ta réponse ? Quelque chose d’artificiel, en demi-teinte ? Ta réponse, c’est ce que nous sommes face à l’humanité ? Une fonction, une abstraction ? Mais soit. Nous ne pouvons décemment laisser cette créature s’effacer en notre sein. Nous sommes faits pour conserver la mémoire de l’humanité, mais en aucun cas nous ne devons décider d’altérer son destin par nous-même. S’il n’avait pas croisé notre route, ce garçon vivrait. Alors, il continuera à vivre. Nous regrettons cependant que ça ne puisse être que sous notre dépendance. C’est plus d’implication que nous nous en serions crus capables… Et qu’on ne s’en serait accordé.
Nous l’avons déjà approché. Nous avons appris que son nom était William Dunbar. Un ami des adolescents qui te défient… Son péché aura sans doute été l’amitié. Orgueilleux, trop enthousiaste, si assuré qu’il réussira… C’est peut-être pour ça qu’il t’a cédé, ou que tu l’as choisi. Nous nous sommes attendris devant ce portrait qui ressemble un peu au tien ; sans nous en rendre compte, nous nous sommes approchés. Il est soudain revenu à lui. Il portait toujours ta marque, l’as-tu voulu ? En tout cas, il n’était pas difficile de trouver ta trace en lui. Tu l’as hanté. Ce qu’il avait de commun avec toi, tu l’as exacerbé. Voulais-tu nous offrir un humain, ou t’offrir à nous dans la première enveloppe que tu pourrais occuper ?
Nous avons tenté de l’apaiser, mais avant que nous n’ayons pu réfléchir à un procédé, il avait forcé l’accès jusqu’à nous. Ce fut impuissant que nous le vîmes se tordre sous l’afflux d’informations qui déferla dans sa tête. Nous avions toujours pensé qu’un esprit humain ne pourrait y survivre… Sans doute que la part de toi en lui l’a sauvé. Ce ne fut pas sans mal, mais à nouveau, il revint à lui. Il vit, loin de ce qu’il était autrefois, mais son existence est sauvegardée. C’est là le principal.
Nous allons tenter de conserver le maximum de sa vie d’autrefois. Il ne pourra sortir de Lyoko, mais il aura encore des amis, qui pourront terminer notre œuvre. Nous l’enverrons se confronter à eux, jusqu’à ce que quelque chose s’éveille en lui. Nous croyons toujours en ce coeur que tu abhorres. S’il est vrai qu’il a motivé la création ou l’étude de tout ce que nous archivons dans les courants de notre être, alors il pourra aussi restaurer l’esprit de ce garçon. Crois bien que nous ne faisons pas ça pour te donner tort, ou par ingratitude pour ton attention. Mais tu nous a demandé de choisir le destin de William. Notre choix est fait.
Est-ce celui que tu attendais ?

Nous

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Tu n’as jamais répondu à notre dernière lettre. Même quand, par de nombreuses fois, nous avons amené William au-devant de ses anciens amis, et que parfois, pendant quelques secondes, nous avons cru gagner. Était-ce bien toi, qu’on a senti bouillonner de rage, dans ces instants ?
Probablement que nous manquons aussi du coeur que nous admirons tant, car nous ne voyons pas en quoi notre dernière lettre t’as poussé au silence. N’avons-nous pas fini sur une question ? Ou alors, ne lui trouvais-tu aucun intérêt ? Dans le fond, c’est logique ; tu n’as que peu répondu à nous questions, au cours de nos échanges. Tu étais trop plein de certitudes, pour savoir comment te poser quelques minutes et réfléchir à quelque chose que tu ne t’étais jamais demandé toi-même.
Quoi qu’il en soit, cette lettre est sans doute la dernière. Nous sentons que les enfants l’emportent. La victoire est à portée de mains, et une fois qu’ils t’auront vaincu, ils brûleront probablement tes cendres. Ils ne nous laisseront pas une chance. Et nous ne savons pas comment leur demander de le faire. Nous écouteraient-ils seulement ? Nous avons sondé leurs coeurs. Ils n’ont pas plus réfléchi sur toi que tu n’as réfléchi sur eux. C’est sans doute pour ça que ça ne pouvait se finir que sur la destruction d’une des deux parties. Crois-bien que nous le regrettons.
Le néant va revenir. Nous allons retourner à l’abstraction. La mort n’est pas de notre monde. Tant qu’il y aura des étoiles pour s’éteindre, nous subsisterons. Et même après, car il faudra bien rendre compte du vide. Ton cadeau est revenu à eux. La vie va revenir à eux. Et tu vas disparaître. Et nous retournerons dans le silence.
Rien de plus que le nombre qui contient toutes les mathématiques. Une donnée pour toutes les réunir.
Un symbole pour tous les regrets.
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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mer 15 Déc 2021 21:34   Sujet: Échiquier Vierge

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- Bon, les jeunes, on ne peut pas dire que l’informatique et moi, ça fasse des éclairs… Donc, pour notre second premier cours sur les formes de sport alternatifs, je vous ai concocté une surprise !

Que les cours de Jim s’essayaient à l’innovation était une bonne chose, admettait volontiers Odd. Que les ordinateurs de Kadic étaient dans un état qui confinait au dangereux, avec ou sans XANA, ça aussi il le concédait. Quoiqu’Aelita ne cessait de répéter que c’était la faute de leur vieil ennemi si le cours de sport par ordinateur de Jim avait tourné court, le fait est que le seul élément qui accréditait son idée, c’était le clone de Jim, apparu après le réveil du Supercalculateur. Même la moue hésitante de Jérémie se disait que, dans le fond, la vraie menace qui pesait sur le monde au commencement, c’était les coupures budgétaires de l’Éducation Nationale.
Ce qui amenait Odd au seul fait qu’il ne concédait pas à Jim depuis le début du cours : faire de l’exercice dans un LaserGame n’était pas un programme plus lumineux que de jouer à Overmatch aux frais de l’État.

D’autant que l’ambiance n’était pas spécialement à la bagarre. Ulrich et Jérémie se regardaient bizarrement depuis le retour de XANA. Alors que, dans les mois qui avaient suivi la fameuse attaque de la chambre « dont on ne parlerait pas » (impossible de savoir si elle était du même tonneau que l’attaque de la piscine, mais Odd ne pouvait s’empêcher que la majorité des attaques taboues concernaient le même guerrier), les deux garçons s’étaient gauchement rapprochés, pour ensuite s’éloigner quand leur vie était redevenue un long fleuve tranquille, le retour aux affaires des Lyoko-Guerrier avait au contraire ravivé des tensions. Était-ce l’insistance de Jérémie à ne pas contrarier une Aelita qui avait quelques bons instincts par le passé, ou la persistance d’Ulrich à garder sa vie bien rangée comme il avait appris à l’aimer, mais le groupe ne s’était pas relancé dans la guerre sur de bonnes bases. Sans compter Yumi… Qui avait préféré opérer un rapprochement côté William. Odd avait beau essayer de pousser Ulrich dans ses bras, rien à faire. À croire que leur problème, ce n’était pas XANA.
Au milieu de tout ça, Odd s’était pris à rêver d’un nouveau décor, fertile et vierge, où tout resterait à faire. Bâtir de nouvelles maisons, trouver de l’or dans son jardin, bref, trouver enfin la terre promise où il s’épanouirait, de coeur et d’âme. Peut-être l’université… Enfin, non. C’était encore loin, et puis, le secret le lierait à jamais à ses camarades. Il ne restait que les aventures amoureuses. Mais, depuis le départ de la plupart de ses connaissances du collège vers d’autres établissements, il ne savait plus s’y prendre. Les filles et les garçons étaient plus matures, et les pitreries d’Odd commençaient à attirer des regards perplexes, voire carrément dédaigneux. Le vent du renouveau qui avait soufflé au début de son année de seconde n’avait pas été plus puissant qu’un pétard mouillé.

Bref. Tout ça pour dire que ce qui aurait pu être le cours le plus fun de toute l’histoire de l’école était sans doute le plus maussade. Mais quel gâchis.

Odd enfila son plastron, sous le regard plein d’entrain du prof de sport. Il fallait reconnaître que le reste de la classe accueillait le nouveau sens de l’innovation de Jim avec plus de gratitude. Déjà, on se visait avec les pistolets, on parlait de ses expériences passées, on se vantait d’être déjà un pro… Génial. Voilà que le monde était plus Odd que Odd. Ce dernier les regarda, profondément blasés. Il y a quelques années, il les aurait observés avec tendresse, songeant que ces enfants qui se réjouissent d’être des héros pour de faux pendant une heure ne connaîtraient jamais le frisson du vrai danger, la tension des vraies batailles, le stress des victoires sur le fil… Mais maintenant, il savait. Il savait que les héros se posent toujours trop de questions. Et plus les temps de leur gloire s’éloigneront, moins ils auraient de réponses. Tout perdrait un peu de son sens, parce qu’en vérité, les héros ne sauvent pas le monde pour eux, mais pour les autres, qui vivront des années fastes en ignorant le sacrifice qui les a permises. Odd savait. Il pensait que le goût serait moins amer.

- Ah, ça fait du bien de voir des jeunes gens motivés ! Se réjouit Jim, alors que les derniers élèves avaient bouclé leur équipement. Ça me rappelle les entraînements spéciaux des services secrets… Mais tout ce que je peux vous en dire, c’est que vous devez garder l’oeil ouvert ! Soyez attentif, car l’ennemi n’est jamais où on se l’imagine… Et pour vous faire rentrer la leçon dans le crâne, je vous propose de pimenter les choses !

Aussitôt, la porte d’entrée de l’enseigne s’ouvrit sur une femme, d’allure solide, les longs cheveux ramassés dans une lourde tresse, les manches courtes soulignant des bras qui étaient sans doute capables de porter la classe toute entière. Elle afficha un grand sourire alors que Jim se dirigeait vers elle, les bras grands ouverts.

- Rachel Moore ! Une des meilleures ! S’exclama-t-il, le regard brillant. Vous savez, quand on était à l’armée, elle pouvait me mettre KO en quelques secondes !
- Sans moi, tu n’aurais jamais passé tes classes, répliqua Mme Moore en serrant la main de Jim. D’ailleurs...

Avant que le professeur de Kadic n’ait pu réagir, son bras se tordit en arrière et son genou heurta le sol. Il resta sonné quelques instants, avant d’éclater de rire.

- Tu n’as pas perdu de ta vivacité !
- Il y en a qui ont une vocation, et il y a les autres. Mais les enfants, vous avez de la chance, dit-elle cette fois à l’adresse des étudiants de Kadic. Votre professeur ne m’égale peut-être pas, mais il peut se vanter d’avoir vu le monde. Tandis que moi, j’entraîne mes étudiants à être les meilleurs !

Odd n’en doutait pas. Rien qu’à voir Jim se relever un peu fébrilement de sa prise, il savait qu’il ne voudrait jamais mettre les pieds là où enseignait cette professeure, aussi douée fut-elle.

- Haha… Et d’ailleurs, tes étudiants, Rachel, où sont-ils ? Ils ont réussi à revenir de leur dernier stage commando ?
- Presque en entier ! Hé, les enfants, vous pouvez entrer, la voie est libre !

Là-dessus, Mme Moore rouvrit la porte de l’enseigne. Une classe d’environ une trentaine d’élèves entra. Tous arboraient le même uniforme beige pour le haut, noir pour le bas, avec un blason scolaire en forme d’étoile qu’Odd ne connaissait pas. En même temps, il n’avait pas beaucoup vu d’écoles s’afficher autant. Une école privée, peut-être ? À côté de lui, Ulrich se réveilla un peu.

- Oh… Ma mère a voulu m’envoyer là-bas. C’est le lycée Legwin… Très cher. Mais très haut niveau. Ceux qui ont les moyens envoient leurs enfants là-bas quand ils ne sont pas bons à l’école… Et ils en font des Jérémie.
- J’en ai entendu parler, confirma ledit Jérémie. Bah, c’est surtout des élèves académiques. Ils sont bons pour suivre les règles, mais face à des gens vraiment audacieux, ils ne pourraient rien. Ils ne résistent pas longtemps aux grandes écoles.

Odd tiqua. Un Jérémie médisant était une rareté… Mais quelque chose brillait dans ses yeux. Lui aussi était sorti de sa torpeur. Il arborait presque un sourire.

- Ils vont voir ce que c’est, un intello qui sait se battre, ricana Jérémie en redressant ses lunettes sur son nez.

Odd s’apprêta à demander à son ami ce qui lui prenait quand, soudain, quelque chose accrocha son regard. Parmi les élèves, l’un d’eux réveillait de vieux souvenirs. Longs cheveux blonds, épaules carrés, regard un peu perdu…

- C’est… Poliakoff ?

Derrière Ulrich, Sissi avait un peu pâli. Oui, c’était bien Nicolas Poliakoff, là, en beige et noir, à côté de Mme Moore ! Le lycée Legwin avait jugé qu’il était rattrapable ? Même Ulrich sembla ne pas en revenir. Jérémie, lui, oscillait entre le vexé et le décidé. Il serrait son arme avec plus de vigueur. Odd, lui, ne savait comment traiter cette surprise. Il resta à fixer Nicolas, éberlué, jusqu’à ce que leurs regards se croisent. Un éclair passa entre eux. Enfin, il allait surtout de l’ancien élève de Kadic à l’ancien Lyoko-Guerrier. Ce n’était pas un regard méchant, mais plutôt… un mélange de fâché et d’impatient. C’était plus d’émotions qu’Odd le croyait capable d’assimiler en même temps.

- Bah ça alors, Nicolas Poliakoff ! S’émerveilla Jim en saluant son ancien étudiant. Si je m’y attendais !
- Mon meilleur élève, répondit Mme Moore avec fierté. Le plus prometteur de sa promotion !
- Vraiment ?
- Ouaip’. J’ai réussi en quatre mois ce que tu n’as pu faire en quatre ans. Il est l’arme de ma victoire contre ton école, aujourd’hui !

Les deux professeurs firent avancer leurs classes vers la salle de jeu, tout en s’échangeant encore quelques répliques. Les deux classes, elles, s’évaluaient du regard, n’osant se saluer mais cherchant déjà quels éléments seraient à abattre le plus rapidement. Seul Nicolas gardait son attention rivée sur Odd, même alors qu’il mettait son plastron. C’en devenait agaçant. Quoi, que voulait-il, à la fin ? Odd ne se souvenait pas qu’ils s’étaient quittés en mauvais termes… Ou en quelques termes que ce soit, d’ailleurs. Comme ils ne s’étaient jamais parlés sérieusement du temps du collège, ils s’étaient naturellement perdus de vue, en silence, à l’issue de la dernière épreuve du brevet. Alors, quoi ? Nicolas ne lui en voulait tout de même pas de ne pas lui avoir fait un câlin d’adieu ?

- Bon, jeunes gens, pour ceux qui n’ont pas déjà fait du LaserGame, rappel des règles, annonça Jim d’un ton de général en se postant devant la porte. On vise seulement les points lumineux que vous avez sur vos plastrons : torse, dos, épaules. Vous pouvez également viser le bout de votre pistolet. Pour Kadic, il sera en vert. Legwin, vous êtes en bleu. Si vous êtes touchés, vous vous affichez en rouge, et vous êtes intouchables le temps de la pénalité, mais également impuissants. On ne se tire pas dessus dans les escaliers, on fait attention aux murs, et on ne se finit pas aux mains.

- Planquez-vous, réfléchissez en équipe. La victoire est dans la survie, compléta Mme Moore avec moins d’effusions. Vous avez une heure. L’école victorieuse aura la gloire, et le droit de charrier les perdants quand vous les croiserez dans la rue. À notre signal, faites-nous honneur !

Les deux classes entrèrent dans la salle, chacune par sa porte. À l’intérieur, tout était très sombre, excepté pour quelques panneaux de bois faisant office de décor, et éclairés en rouge. L’ensemble était un dédale d’angles morts et de meurtrière. Aucune cachette ne semblait totalement fiable ; les plus intéressantes étaient directement visibles depuis l’étage, dont les accès n’étaient pas laissés en évidence. La classe de Kadic commençait déjà à se disperser. On reconnaissait ceux qui avaient déjà pratiqué, se précipitant en hauteur, leurs lumières disparaissant rapidement dans le labyrinthe. Odd, lui, resta un peu incertain. Devait-il, au contraire, se trouver un poste au rez-de-chaussée, et attendre que l’ennemi joue ses premières cartes pour attaquer ? Le guerrier félin qu’il était habituellement n’appréciait pas vraiment les multiples murs. Il ne pourrait se glisser rapidement entre ses cibles… trop de virages à prendre, d’obstacles à éviter. Mais sa petite taille lui donnait un avantage. Il pourrait passer inaperçu, pour peu qu’il repère les angles les plus traîtres… Finalement, il opta pour un peu de repérage, en attendant que les portes ne se referment.

Il ne passa pas un panneau que, déjà, une musique lança ses premières percussions dans la salle. Aussitôt, le plastron d’Odd passa au rouge.

- Que… Quoi ?! Où…

Par réflexe, il plaqua son dos contre le panneau le plus proche. Les premiers cris et bruits de pas résonnaient autour de lui, mais difficile d’identifier une voix par-dessus le fond sonore. Odd ne devait pas rester là, tout ce qu’il entendait pouvait être une menace ! Il avait quelques secondes avant la levée de la pénalité pour changer de planque. S’il gardait sa position, il deviendrait une cible facile pour celui qui l’avait déjà repéré ! Il regarda autour de lui ; Sur sa gauche, un petit couloir semblait mener vers des accès à l’étage. Il y aurait sans doute des élèves en embuscade à ce niveau… C’était risqué, mais si c’était ceux de Legwin, il pourrait en toucher quelques-uns sans s’arrêter. De toute façon, de là où il était, il ne voyait aucun endroit évident pour se poser plus de quelques secondes. Il ne fallait pas traîner.

Pris dans l’action et boosté par l’enthousiasme autour de lui, Odd se redressa et se jeta dans le couloir. Il vit un laser bleu pointer sur son bras, mais il rata son épaule. Il répliqua, sans s’arrêter pour vérifier que son tir avait touché. Il passa une intersection, où trois lumières vertes se faufilaient. L’une d’entre elles passa au rouge, les deux autres crièrent vengeance. Odd ne s’arrêta pas, et arriva au niveau de l’escalier. Comme prévu, quatre plastrons bleus offraient leurs cibles dorsales à l’ancien Lyoko-Guerrier. Il tira aussitôt. Des cris rageurs accompagnèrent sa descente, puis les représentants de Legwin disparurent dans les couloirs. Odd évita à temps un tir venant de l’étage, répliqua. Finalement, l’endroit n’était pas si idéal… Il avait à gérer ses arrières, son côté, et la hauteur. Le terrain était trop dégagé… Il s’agitait en tous sens pour troubler les snipers de Legwin qui tentaient de l’atteindre. Il répliquait. L’expérience de Lyoko lui revenait petit à petit. Il éliminait chaque lumière bleue qui entrait dans son champ de vision, tout en se faufilant entre les tirs. Finalement, être ainsi en évidence lui plaisait. Il était assez bon pour devenir un défi, et ce faisant, il forçait des cibles à venir à lui. L’adrénaline chassait petit à petit son humeur maussade. Ce n’était certes pas un danger vital…

ROUGE !

Son plastron passa au rouge brutalement. Son arme ne tira plus. Odd poussa un grognement rageur. Il fallait à nouveau qu’il bouge d’endroit… Sans trop se presser, il se dirigea vers les escaliers. S’il était si bon à toucher de loin, peut-être qu’un point de vue en hauteur lui serait profitable… Il devrait juste se cacher dès qu’il serait en haut de l’escalier. De là où il était, impossible de dire si l’étage était à Kadic ou Legwin… En tout cas, il croisa plusieurs de ses camarades, dont Ulrich, en montant.

Son plastron passa au bleu alors qu’il passait la dernière marche. Une seconde plus tard, il vit le laser foncer sur son torse. Il se jeta sur le côté… La lumière ne changea pas. Odd soupira de soulagement, puis se glissa, sans se relever, le long du mur. Le panneau qui lui faisait face était doté d’une meurtrière. Il pourrait peut-être voir qui l’a repéré, et le neutraliser… L’épaule droite contre le bois, Odd se redressa lentement. Il n’aurait pas besoin de tout voir, juste une lumière verte, et il tirerait sans réfléchir… Mais rien. Pas même un signe ami. Juste les ombres imprécises des couloirs et de la rambarde. Juste quelques lueurs s’affrontant de l’autre côté du balcon. Mais rien devant. Odd se figea. Est-ce…

Derrière lui !

Il évita de peu le laser qui allait toucher son dos. Il leva son arme, prêt à accueillir son assaillant. Il lutta pour ne pas s’adosser contre le mur. Bon sang… Cette foutue cible arrière le forçait à avoir des angles morts ! Et si l’autre ne venait pas, alors ça voulait dire qu’il le contournait… Non, rien derrière… Mais où était-il ?! Avait-il renoncé… ? Non… Dans la bataille, personne ne renonce. Un monstre de XANA n’a jamais reculé pendant un affrontement. L’ennemi devait attendre son heure, tapi derrière le panneau, jouant avec les nerfs du Lyoko-Guerrier… Soit. Il faudrait donc le débusquer, et lui faire comprendre qui était le plus malin, ici ! Odd prit une grande inspiration, et roula sur sa gauche, pistolet devant, prêt à tirer…

Il passa au rouge. Devant lui, Nicolas Poliakoff ne semblait même pas satisfait.

- Salut.

Odd grogna, agacé. Pas assez rapide ! Il n’avait pas été assez rapide devant le type le plus lent de Kadic ! C’était donc vrai, Legwin transformait les gens !

- Tu devrais pas rester là, Poliakoff. Je descends, et je fais connaître ta position, répliqua Odd, vexé.
- Pour le moment, c’est moi qui ai l’avantage.
- Ce n’est pas un duel, tu sais.
- Si c’en était un, le score serait le même.

Odd pouffa. Comment Nicolas Poliakoff, à qui il fallait des heures pour comprendre une insulte de Sissi, osait le traiter de nul ?! Plus il le voyait, plus le Magnifique se sentait irrité par l’ancien sbire de la diva de Kadic. Il ne savait pas ce qu’il lui voulait, mais de toute évidence, il ne le lâcherait pas.

Soudain, les voix de Jérémie et Aelita surplombèrent un peu l’ambiance musicale. Ils appelaient Ulrich et Odd. Ce dernier venait de repasser au bleu…

- Bon, c’est pas que ta conversation m’enchante, mais je dois y retourner. Choisis-toi une autre cible ; c’est mieux pour toi.
- Tu n’iras nulle part. Bouge de là, et je te touche.

Odd baissa les yeux. En effet, le laser de Nicolas était pointé sur son torse. Mais quel idiot ! Il avait été si occupé à être vexé qu’il n’avait pas pensé à tenir son adversaire en joue, en attendant la levée de la pénalité ! Et maintenant, il était forcé de rester là, s’il ne voulait pas repasser au rouge…

- C’est pas du jeu, Poliakoff. Je suis censé descendre du balcon si je suis touché, tu sais.
- Comme si t’avais jamais joué avec les règles, Della Robbia. Tu serais retourné au rez-de-chaussée, si c’était un autre qui t’avait eu ?

Touché. Mais ce n’était pas la question. En bas, Jérémie et Aelita appelaient plus fort… Alors que les cris prenaient de drôles d’accents. Ce n’était plus l’excitation qui régnait, mais… Le sang d’Odd se glaça. Il connaissait ces cris. C’était ceux qui annonçaient un grand danger. Il risqua un coup d’oeil par-dessus la rambarde. Des arcs électriques brillaient entre les panneaux. Sur l’écran d’un plastron, il crut reconnaître le symbole de XANA… Non…

- Écoute, Poliakoff, il faut que je descende, mais toi reste ici. C’est dangereux en bas…
- Personne ne te laissera y aller, répliqua Nicolas avec une nonchalance étrange.

Odd ne réfléchit pas, et retourna vers l’escalier… Mais au milieu des marches, des élèves de Legwin, les yeux marqués au fer rouge, visèrent le Lyoko-Guerrier. Derrière eux, des élèves de Kadic, touchés par un tir, s’effondraient dans une vive lumière. Odd recula lentement. Les adolescents possédés campèrent sur leurs positions, pistolets prêts à tirer.

- Tu vois, Della Robbia , tant que tu fais gentiment ce qu'on te dit, tu resteras en vie, reprit Nicolas, nonchalamment assis contre un panneau de bois, le bras tenant le pistolet reposant sur son genou replié.
- Poliakoff, tu n’as pas la moindre idée de ce que tu as…
- Et si ? Tu sais, toi et tes petits copains n’êtes pas les seuls à fréquenter la bonne vieille usine de l’île. J’y allais, pour pêcher loin du chaos de la civilisation. J’aimais être seul, à l’époque. L’agitation… Très peu pour moi. J’aimais les grands espaces vides. C’est bavard, le vide, pour qui sait écouter.

Odd regarda autour de lui, le plus discrètement possible. Il fallait qu’il sorte de ce piège. L’autre escalier… Loin, au bout d’une ligne droite. S’il fonçait… Nicolas ne semblait pas XANAtifié, peut-être qu’un tir de son arme serait inoffensif… Mais, au fond, c’était ça le problème : Nicolas était encore lui-même. Alors, à quel point était-il une menace… ?

- Poliakoff, tu ne veux pas m’énerver. J’en ai maté des plus forts que toi, tenta Odd au bluff.
- Oh, je sais. Je vous ai vus, plusieurs fois, entrer dans l’usine. Vous ressortiez bruyamment, en vous vantant de je ne sais quelle virée où vous avez affronté je ne sais quels dangers. C’est marrant… Christophe n’a jamais aimé les secrets. Je pensais que tu l’avais fait entrer dans votre petite bande…

Chris… Tophe ? M’Bala ? Qu’est-ce qu’il faisait dans cette conversation ?

- Je ne…
- On est allés à l’Usine, tous les deux, un soir. Moi pour gagner un pari contre Hervé, lui pour te faire plaisir. En vérité, la rumeur de ta relation avec Aelita Stones le chiffonnait. On en a un peu parlé… Avant de trouver cet étrange journal, dans une pièce dérobée.

Un… Journal ? Ulrich n’avait quand même pas caché son journal intime dans l’Usine ! Et il n’avait tout de même pas parlé de…

- Écoute, Poliakoff, quoi que tu aies lu dans ce journal, ça te dépasse…
- Ah, ça, oui ! Ces histoires de Lyoko… De scanners, de projet Carthage ou je ne sais quoi… Ouais, ça me dépasse. Les complots de ce monde, ça me passe au-dessus. Mais toi, qui mène une double-vie, pendant que ton jules se morfond à avoir l’impression de ne pas être assez bon pour toi, ça me paraissait plus surréaliste encore. On est resté en contact, après le collège. Une peine que tu ne t’es pas donnée.
- J’en suis ravi pour vous, mais…
- Ravi ? Tss… C’est ce que je pensais. T’en as jamais rien eu à foutre, Della Robbia. T’avais quelque chose de stable. T’avais quelque chose de beau. Mais t’as tout largué, pour un autre monde où t’avais l’impression que ta vraie vie t’attendait, pas vrai ? Un monde d’aventures, d’héroïsme… Un monde de pionniers. Tu voulais être le premier, Odd. Une légende. J’imagine qu’un type comme Christophe, ça te passe autant au-dessus que vos histoires me dépassent, comme tu dis.
- Je… Comment tu sais tout ça ?

Odd devait en savoir plus. Qu’importait, au fond, ce qu’il allait confirmer auprès de Nicolas ; vu l’ampleur de l’attaque, il y aurait Retour Vers le Passé. Mais s’il y avait eu une fuite dans le secret, il fallait qu’il sache où et depuis quand.

- Votre machin, il est pas si compliqué à allumer. Faut juste tirer une bobinette, et tous vos petits secrets choient. Le journal de Jérémie… Quelle horreur. Combien de fois t’as largué Christophe, avant vos fameux « Retour vers le Passé » ? Combien de fois t’as rejoué des scènes en sachant quoi dire ? C’est pour ça que votre relation a duré plus longtemps que les autres. Tu savais toujours quoi faire. Pendant ce temps, il venait s’épancher avec moi, à la pêche dans l’usine. Et je ne savais jamais quoi dire.

Nicolas se leva. Tout en visant Odd, il lui intima de s’enfoncer dans le couloir. Alors que le dos d’Odd heurtait presque le mur de l’autre côté du balcon, Nicolas l’arrêta.

- Je connais tout de vos magouilles. Et je vais vous arrêter. Mais pas sans te laisser ta chance.

Lentement, Poliakoff baissa le bras. Odd comprit. Un duel… Ils allaient s’affronter en face-à-face. Le plus rapide à dégainer. Le plus rapide à toucher. Et il ne savait toujours pas si son arme était chargée au XANA ou pas… En bas, il n’y avait plus que des lumières rouges, les visages levés vers le balcon, attendant de voir l’issue du conflit. Aucun moyen de s’enfuir. Il faudrait gagner du temps, parier que les autres arrêtent l’attaque dans les prochaines secondes…

- Prépare-toi, Della Robbia.

Odd plia et déplia ses doigts autour de la poignée du pistolet. L’index passa sur la queue de détente… Elle tremblait sous la tension. Prête à cliquer. En face, Poliakoff, n’était plus qu’une ombre indistincte, bras écartés du corps, arme au poing, jambes solidement ancrées au sol. Une perle de sueur glissa le long de la tempe du Lyoko-Guerrier. S’il voulait s’en sortir, il faudrait tirer le premier, et rapidement. Mais Nicolas s’était montré très vif, pendant cette partie… Il testa son équilibre. Ses genoux tremblaient. Ses yeux ne restaient que difficilement sur le plastron bleu en face de lui… Devait-il plutôt regarder l’arme ? Il ne distinguait presque rien du visage de son adversaire, et les secondes s’écoulaient, le rapprochant du moment fatidique… Plus de cris autour de lui, il pouvait entendre l’air siffler entre les panneaux, le silence rouler au sol…

Nicolas leva le bras.
Odd aussi.
Un flash de lumière l’aveugla.

_________________________________


Christophe se laissa tomber contre le dossier de l’immense chaise en soupirant. Nicolas était en retard.
Depuis qu’ils écumaient le contenu de cet étrange ordinateur, seul signe de vie dans l’Usine désaffectée, son compagnon se faisait littéralement ronger par la rage. Oh, pas parce que la bande à Jérémie avait joué avec sa vie pendant plusieurs mois. Il avait eu l’habitude d’être pris pour un idiot une bonne partie de sa vie. Non… C’était qu’Odd Della Robbia ait trompé Christophe qui lui donnait des envies de détruire cette foutue machine. À mains nues.
Christophe ne comprenait pas pourquoi. Ils étaient toujours vivants, et Odd pensait agir pour sauver le monde… C’était louable. C’était le devoir de ceux que le combat appelait. Lui, tout ce qu’il voulait, c’était se faire un nid, tranquillement. Sans doute qu’un héros secret n’était pas le meilleur des compagnons pour ce genre de rêve…
Le jeune garçon ferma les yeux. Dans sa tête, le chantier de ses rêves reprit. Il se voyait déjà dans un grand espace, loin de tout, avec ses outils et son matériel. D’autres gens occuperaient le même village en devenir. Certains avaient fini leur jardin, d’autres apportaient des finitions à la façade… Christophe, lui, allait au plus simple : deux étages, un salon avec un piano, une chambre séparée du couloir par une porte à battants. Pourquoi pas un comptoir américain, dans la cuisine… ?

Soudain, son portable vibra. Sur l’écran, un message de Nicolas s’afficha.

«  Cours de sport. Moore veut nous faire affronter Kadic au LaserGame. Si tu veux lancer l’attaque comme on a vu, c’est maintenant ».

Christophe tritura les touches. Il tapa oui. Puis non. Puis à nouveau oui. Bien sûr, il s’était souvent demandé pourquoi Odd lui avait caché la vérité tout ce temps… Mais plus il en apprenait sur les dernières années, plus il se questionnait surtout sur les motivations d’Odd à l’avoir choisi comme compagnon.

Odd lui-même ne le savait peut-être plus. Est-ce qu’Odd avait jamais choisi raisonnablement ses amours ?

« Rentre juste à la maison »
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2021  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Dim 12 Déc 2021 02:41   Sujet: Spectres

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Cette fois, Nicolas en avait assez. Et pourtant, on lui prêtait une nature plutôt patiente, surtout à l’heure du déjeuner.

Mais voilà trois jours que lui et Hervé étaient revenus de leur escapade nocturne dans la vieille usine désaffectée, à quelques minutes du collège, et son ami n’en démordait pas. À moins qu’Odd et Aelita eussent eu pour activité, du temps de leur éphémère couple, d’effrayer les curieux, les bruits que les deux garçons avaient entendus ne pouvaient provenir des amoureux. Et puis, cette silhouette qu’Hervé avait vu n’avait ni l’improbable coiffure d’Odd, ni le code couleur rosé d’Aelita. Plus il ruminait, plus il était catégorique : ils avaient été pourchassés par quelqu’un d’autre… Ou quelque chose d’autre.

Et c’était là qu’arrivait la profonde lassitude de Nicolas. Contrairement à son camarade, il ne croyait pas aux fantômes, aux vampires ou aux zombies. La mort, c’est la mort, pourquoi se compliquer la vie une fois qu’on l’a perdue ? De toute façon, l’usine n’était pas un cimetière. Il ne voyait pas ce qui avait de si effrayant dans un tas de béton abritant un tas de ferraille. Et il ne comprenait définitivement pas pourquoi Hervé s’acharnait à y voir davantage. Quand il pensait que les professeurs vantaient l’esprit cartésien du numéro deux de la classe ! Il pensait pourtant que les intellos étaient du genre terre-à-terre…

Alors qu’Hervé revenait à la charge entre deux bouchées de couscous, Nicolas n’y tint plus. Il posa bruyamment son verre d’eau :

- Et moi je te dis que c’est que des légendes, tout ça ! Et puis d’abord, pourquoi un vampire vivrait dans une usine où jamais personne ne passe ? S’il se nourrit d’humains, il ne devrait pas vivre dans un endroit plus animé comme, je sais pas, un hôpital ?

Hervé lui adressa un regard de pur mépris, puis reprit :

- Et qu’est-ce que t’en sais, que ça n’existe pas, d’abord ? T’en as déjà croisé, pour pouvoir l’affirmer ?

Certes non, mais Nicolas ne voyait pas le rapport. Ce n’est pas parce qu’il n’en avait jamais croisé qu’il pouvait dire si ça existait… Enfin, non, si ça n’existait… Enfin bref, ce n’était pas la question !

- Écoute, on y retourne, si tu veux, et là tu verras qu’il n’y a rien du tout, et que les monstres, ça n’existe pas !
- Haha, non, tu peux toujours courir, je n’y remettrai pas les pieds, dans cette usine ! Je suis très bien en humain parfaitement vivant, merci !

Nicolas allait vraiment lui envoyer son verre à la figure.

- Et si moi j’y retourne tout seul, et que je ne trouve rien, ça t’ira ?
- Tu pourrais très bien mentir, juste pour me donner tort.
- Mais pourquoi je ferais ça, hein ? Oh et puis zut, tu sais quoi, je vais aller demander à Milly et Tamiya de m’accompagner, comme ça elles filmeront, et tu auras une preuve !
- Et comment tu comptes les faire sortir du collège, gros malin ?
- Je nous ai bien fait sortir.
- Je veux dire, comment tu comptes les convaincre ? C’est des gamines froussardes, elles ne voudront jamais !
- Bah, je dirais la vérité. Qu’Odd et Aelita se retrouvent là-bas, et qu’il faut faire un reportage. C’est à ça que sert le journal de Kadic, non ? Parler de ce genre de trucs ?

Hervé goba la dernière boulette de son assiette. Il avait toujours l’air buté, mais il devait être à court d’arguments, car il ne répondit pas immédiatement.

- Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi tu ne crois pas aux fantômes, si par contre tu es convaincu de pouvoir amener Milly et Tamiya dans une usine hantée.
- Bah elles ne sont pas des fantômes, déjà. Mais tu verras, demain matin je t’apporterai le film de l’usine, et il n’y aura rien dessus !

Là-dessus, Nicolas se leva fièrement et emporta son plateau vers la poubelle de la cafétéria. Pile au même moment, Sissi arriva avec son propre déjeuner.

- Alors les nuls, de quoi vous parliez ?
- Oh, Nicolas se croit plus fort que des vampires ou des loups-garou.

Nicolas leva les yeux au ciel. Même si le couinement de terreur de Sissi le fit se sentir seul, et de fait un peu idiot.



Hervé avait tout compte fait raison sur un point. Convaincre Milly et Tamiya d’aller, en pleine nuit, dans une usine désaffectée, relevait de la pure science-fiction.

Nicolas avait tout essayé. L’appât du scoop, la promesse qu’il ne les lâcherait pas d’une semelle, l’assurance que Jim ne les coincerait pas... Rien n’y fit. Les deux fillettes étaient bien d’accord pour aller enquêter de jour, mais certainement pas à la nuit tombée. Or, les légendes auxquelles Hervé croyait ne sont pas du genre diurne. Ça n’arrangeait donc absolument pas Nicolas, qui se retrouvait sans caméra. Et sans preuve, Hervé ne le croirait jamais. Ce fut tout dépité que Nicolas quitta l’étage des filles, après en avoir été viré manu militari par le surveillant de l’internat et son éternel couplet des filles du dessus et des garçons du dessous, ou l’inverse. Il se voyait déjà revenir dans la chambre qu’il partageait avec Hervé, et affronter les moqueries de son colocataire, qui serait alors tout à fait persuadé d’avoir raison. Pire… S’il se disait que Nicolas avait eu la frousse ? Les intellos, ça pense toujours à tout. Surtout celui qui lui servait d’ami. Ah, tout aurait été plus simple si Aelita n’avait pas annulé leur rendez-vous !

Le pauvre garçon errait comme une âme en peine peu désireuse de retourner dans son corps, quand soudain la solution lui parvint. À l’autre bout du couloir, Christophe M’Bala terminait une conversation passionnée avec Odd. Depuis quelque temps, ils étaient toujours fourrés ensemble, dans la salle d’arts plastiques, à trafiquer Chardin-savait-quoi avec des caméras… Et justement, l’une d’elle était entre les mains de Christophe. Il la tenait consciencieusement éloignée d’Odd et de ses grands gestes de bras. Quoi qu’il expliquât, ça avait l’air important et très gros… Mais fort heureusement, c’était aussi plutôt bref. Quelques minutes plus tard, Odd salua Christophe d’une main sur son épaule, puis se dirigea vers sa chambre. Il ne restait plus que l’autre garçon, qui cheminait vers ses propres pénates en sifflotant gaiement. Ni une ni deux, Nicolas le héla :

- Hé, Christophe ! Hé !
- Hein, euh… Ah, Poliakoff ?
- Est-ce que ça te dirait de vivre une expérience troublante, mystérieuse, mais sans monstres, au clair de lune ?

Christophe eut l’air un peu perdu pendant quelques secondes, puis répondit poliment :

- Ah, c’est gentil de penser à moi, mais je suis claqué et…
- À vrai dire, c’est de ta caméra dont j’ai besoin, continua Nicolas sans se laisser démonter. J’en ai besoin pour aller filmer l’usine désaffectée, au bord du fleuve, mais je sais pas me servir de ces trucs, pour moi c’est de la magie, tout ça, tu vois ? Du coup, il me faudrait ta caméra, et toi !
- Ben, euh… Ça a l’air drôle, oui, mais…
- Allez, Christophe ! Sinon, Hervé va me rendre dingue !
- Je… Ne suis pas sûr de te suivre, quel rapport…
- Je t’expliquerai tout en route ! Mais il faut qu’on parte tout de suite, Jim m’a à l’oeil, il m’a trouvé dans le dortoir des filles…
- Euh… Tu fais bien ce que tu veux…
- Je sais, et c’est pour ça que j’ai besoin de toi !

Christophe avait l’air encore plus paumé qu’au début de la conversation. Heureusement pour Nicolas, il lui restait une carte maîtresse :

- Vous faites bien des trucs de films, avec Odd, non ? Et il aime bien les trucs de science-fiction et d’horreur ? Tu te souviens, son dernier court-métrage ?
- Sissi géante, ou Sissi zombie ?
- Les deux. Ben imagine : tu y vas sans rien lui dire, et demain tu te pointes avec des images de l’usine, de nuit ! Il y va que pour ses rencarts, je suis sûr qu’il est toujours trop occupé pour filmer ! Alors, quand tu te ramèneras avec des images trop cool pour vos films…

Christophe passa de perdu à songeur. Il baissa les yeux vers sa caméra, la tritura un peu. C’était le moment pour le coup de grâce :

- Si tu veux, on pourra même faire comme s’il y avait des fantômes, comme ça Odd voudra y retourner avec toi !


Avec le recul, les dernières heures de la journée de Nicolas s’étaient curieusement déroulées. Alors qu’il passait le pont avec Christophe et sa caméra, il se dit que, peut-être, son plan s’était un peu emmêlé les pinceaux. Mais en passant la porte de l’usine, il songea légèrement que ce n’était pas bien grave, pourvu qu’Hervé consente enfin à la fermer.

Il s’arrêta devant l’immense hall de métal plongé dans la pénombre. Tout était comme lors de sa précédente virée : parfaitement vide. Seules les ombres des nuages filtraient depuis les quelques fenêtres brisées et se glissaient entre les immenses piliers de fer. Il n’y avait même pas un courant d’air pour faire trembler une chaîne ou une pile de composants bizarres. À peine percevait-on le clapotis du fleuve, dehors. Du reste, tout, du sol au plafond en passant par les murs, était à peine marqués par le temps. Toute vie et tout passé semblait s’être échappé du lieu, comme s’il s’était contenté d’être là, hors de l’humanité et ses activités. Même le matériel qui gisait contre les murs semblait être davantage des organes du bâtiment qu’une réelle preuve qu’une quelconque activité ait pu y avoir lieu. Tout paraissait… Inachevé. À peine plus qu’une façade, au demeurant mal entretenue. Que pareil endroit puisse subsister, dans une ville où pourtant on détruit des immeubles vieillots pour en construire des neufs, paraissait tenir du miracle. Pour l’expliquer, nulle autre théorie ne marchait mieux que celle qui soutenait que l’usine était un fantôme qui n’avait paradoxalement jamais vécu. Ça, ou un chantier pour le rénover coûterait trop cher.

Christophe parcourut du regard le hall en sifflant. L’écho aigu se répercuta sur les murs dans une note spectrale. L’enthousiasme du jeune garçon n’en fut que plus grandissant.

- Je dois reconnaître, Poliakoff, ça en jette !
- J’aime bien venir ici, c’est toujours tranquille. On peut s’entendre penser sans avoir l’air bête.
- Pourtant, tu y as emmené Hervé, si j’ai bien compris ? Dit Christophe en allumant sa caméra.
- Bah, pour une fois je voulais partager ce que je fais. Tout le monde fait ça, mais quand c’est moi, tout le monde se dit que ce sera idiot. Disons que j’ai voulu voir si ça aussi, ça l’était.

Christophe ne répondit pas. Nicolas s’avança un peu. L’immensité de l’entrée le détendait toujours. C’était comme s’il ne pourrait jamais remplir l’endroit avec tout ce qui lui passait par la tête. C’était réconfortant. Et puis, un endroit qui a de la façade mais pas de quoi remplir son espace… C’était comme sa tête, n’est-ce pas ? Il avait un crâne, mais rien dedans. C’était ce qu’on lui disait toujours. Alors, cette usine, il la comprenait bien. Et, même si c’était sans doute très bête… Parfois, il se disait que l’usine le comprenait aussi. Comme deux vrais amis.

- Tu ne crois donc pas que je te prendrais pour un crétin ? Demanda Christophe en prenant un premier plan du hall.
- Bah, je t’ai pas invité pour ça. On doit prouver qu’il n’y a pas de vrais fantômes ici, puis filmer des faux fantômes. Mais tu fais ce que tu veux, si tu trouves ça crétin je peux pas t’en empêcher.
- Bah, c’est pas crétin je trouve. Enfin, je suppose qu’on peut faire pire.

Nicolas haussa les épaules, puis reprit sa route. Derrière lui, son compagnon progressait plus lentement, au fil des plans qu’il prenait. Au moins, il était nettement plus convaincu qu’à l’internat. C’était étrange, comme l’évocation d’Odd avait suffi… Et comme il n’avait pas proposé de le faire venir, lui aussi. Oh, ça arrangeait bien Nicolas, dans le fond, mais s’ils étaient toujours fourrés ensemble, pourquoi pas cette fois ? C’était bien la première fois en deux mois qu’on voyait l’un filmer sans l’autre…

Le garçon se retrouva à nouveau devant le gros bouton rouge, qui semblait n’être relié à rien. Il n’y avait qu’un espace vide, où aurait dû être installé le monte-charge. Mais il n’était pas à cet étage… il devait encore y avoir des petits malins dans l’usine. Nicolas appuya sur le bouton en soupirant. Espérons que ça ne fausse pas ses preuves…

- Euh… On va où, comme ça ? Questionna Christophe en s’arrêtant derrière Nicolas.
- Je teste, pour voir. C’est dans l’ascenseur qu’on a surpris Odd et Aelita, la dernière fois.
- Oh… Ah, oui, c’est vrai. J’ai vu l’article du journal, sur leur « rupture » dans la cour.
- Tu crois pas qu’ils ont rompu ?
- Il n’y a pas de preuves qu’ils ont été ensemble.
- Bah, moi, je les ai vus s’embrasser. Dans cet ascenseur, même.

Un étrange silence s’installa. C’est qu’il traînait, cet élévateur, à descendre ! Et maintenant qu’il y pensait, Nicolas n’entendait aucun son… Est-ce que ce bouton marchait encore ?

- Bon, je pense pas que ça soit une bonne idée, soupira-t-il finalement. Viens, on va aller voir les pièces du rez-de-chaussée. C’est vers là qu’Hervé croit avoir vu un fantôme.

Christophe le suivit en hochant la tête lentement. À nouveau, il avait l’air songeur, mais pas comme tout à l’heure… En tout cas, l’enthousiasme avait baissé d’un cran. Bah, c’est sûr que pouvoir filmer un ascenseur qui s’ouvre, ça fait suspense, comme dans les films d’horreur, mais il y avait plein d’autres endroits intéressants dans le coin ! C’était le principe d’une usine abandonnée ! Histoire de remonter le moral de son caméraman, Nicolas décida de commencer par les bureaux. Avec un peu de chance, il y aurait même des vieux trucs datant de plusieurs années, avec des infos bizarres dessus !

Le trajet se fit en silence. Malgré les quelques craquements et tintements venant des tuyaux, l’ambiance ne s’égaya pas vraiment. Christophe continuait de filmer, mais son entrain refusait de revenir. Un peu gêné, et un peu inquiet d’avoir fait une bêtise à un moment donné, Nicolas finit par toussoter.

- Ahem… On prend quelques images, et ensuite ce sera ton tour ?
- Hein ? Euh, ah, oui… Je suppose…
- Ça va pas ?
- Ah, si, si… C’est juste que, je me dis… On filme pour ton truc à toi, seulement. Je reviendrai avec Odd, plus tard. Ça ne sert à rien que je filme des faux fantômes sans savoir ce qu’il veut exactement, pas vrai ? Et si je ne ramenais rien qui lui plaise ?
- Bah, il est pas difficile, Odd…
- Je sais, je sais. Il est pas « prise de tête ». Moi non plus… Mais ça me prend la tête quand même. Je comprends pas comment on peut encore être ensemble. Tu savais qu’il n’avait jamais été en couple plus de deux semaines ? Et qu’il avait rompu parce qu’elle ne riait pas à ses blagues ? Moi, ça me serait égal, je m’en fiche, tant que je peux être avec la personne que j’aime… Je trouverai bien des blagues qui la feraient rire. Je suis pas « prise de tête »…
- Bah, si, répondit Nicolas. La preuve, tu parles comme si vous étiez ensemble. Sinon, ce serait pas grave, qu’il aime pas être en couple, pas vrai ? À moins que tu préfères avoir des amis comme ça ?
- Non mais, on est… Hein ? Tu… Penses qu’il n’aime pas ça ?
- Bah moi j’aime bien la pêche, alors j’en fais souvent, et je m’en lasse pas. Si t’arrives pas à faire un truc trop longtemps, c’est que tu l’aimes pas. Pas vrai ?

Le silence s’alourdit encore. Bon sang, mais qu’est-ce qui se passait, ce soir ? Ils devaient juste filmer un endroit où rien ne se passe, alors pourquoi Nicolas ne comprenait rien à ce qui se passait ? Et puis, plus ils s’approchaient des bureaux, plus les bruits de tuyauteries s’intensifiaient… À croire que l’usine n’était pas totalement désaffectée. Mais quelle activité demanderait de ne fonctionner que de nuit ? Ce serait quand même plus pratique de fabriquer des trucs en plein jour, non ? Ce serait ridicule…
Nicolas soupira. Un jour, quand il serait grand et qu’il aurait un boulot, il économiserait pour retaper l’usine. Oh, il n’en ferait rien… Mais ce serait juste pour s’assurer que personne ne la détruise. Comme ça, il aurait tout le loisir d’entendre sa tuyauterie toute vieille craquer, comme le dos de sa grand-mère. Ça valait le coup, de préserver les choses qu’on aime. Et il aimait cette usine, et ses bruits tout à fait explicables.
Avant qu’il n’ait eu le temps de se perdre dans sa rêverie, il arriva enfin aux bureaux. Ce n’était pas grand-chose, une pièce avec quelques tables, des casiers fermés à clé, et des traces de tableaux qu’on avait ôté des murs… Mais c’était l’endroit qui respirait le plus une vie passée de toute l’usine. Là, on s’imaginait aisément avec des travailleurs fatigués après une rude journée, récupérer leurs affaires et laisser leur bleu de travail dans les casiers, jusqu’au lendemain. Ils avaient sans doute une boîte à casse-croûte, où restait une pomme non entamée pendant le déjeuner, et quelques miettes de sandwich. C’était comme au travail du père de Nicolas ; peut-être même que, comme lui, un enfant ou deux était allé chercher son père ou sa mère à la fin de la journée, sous le regard attendri des autres ouvriers… Ça lui donna une idée, pour égayer l’atmosphère :

- Hé, Christophe, ça te dit qu’on ouvre les casiers ? Pour voir ce qu’il y a dedans ?
- Si tu veux…

Bon, ce n’était pas la grande joie, mais c’était un début. Ne restait plus qu’à forcer les casiers… Comme pour l’aider, l’usine émit plusieurs sons, comme quelque chose qui tombe précipitamment de l’autre côté du mur. Nicolas se retourna brutalement. Ils n’étaient pas seuls, l’absence d’ascenseur l’avait prouvé, mais les autres devaient s’amuser à l’étage. Est-ce qu’ils avaient entendu Nicolas et Christophe arriver, et venaient à leur rencontre ? Si c’était le cas, il fallait se dépêcher. Ça pouvait très bien ne pas être des élèves de Kadic, et si des adultes les surprenaient, ils allaient probablement appeler Jim… Ça serait autre chose que d’être surpris à l’étage du dessus quand on vient du dessous. Ou l’inverse.

Toujours était-il qu’en se retournant vers l’origine du bruit, Nicolas repéra une boîte à outils, abandonnée contre le mur. Le jeune garçon s’accroupit et commença à la fouiller, plein d’espoir. Et… Bingo ! Il y avait une pince à métaux dedans ! Il s’en empara fièrement et se retourna vers les casiers. Au passage, il vit la tête de Christophe. Elle avait l’air… Triste. Nicolas ne comprit pas pourquoi. Ça le coupa un peu dans son élan. Qu’est-ce qu’il avait fait ? Ils avaient juste parlé de la rupture d’Odd avec Aelita, et de la pêche… Est-ce que Christophe n’aimait pas qu’on attrape des poissons ? À moins que ce soit les Échos de Kadic qu’il n’appréciait pas… Peu importe, dans les deux cas, Nicolas se dit qu’il avait abordé un sujet qu’il aurait eu mieux fait de taire. Alors que Christophe était assez gentil pour ne pas le traiter d’idiot, avec ses histoires de fantômes et d’usine ! Un peu honteux, il se dirigea vers un casier et, en tâchant d’avoir l’air de rien pendant qu’il positionnait un cadenas en tenaille, il lança :

- Tu n’aimes pas la pêche ?
- Que… Quoi ? Émergea Christophe, soudainement.

Bon, au moins, il n’avait plus l’air de ruminer dans sa tête.

- Bah, je sais pas, t’as pas l’air dans ton assiette…
- Oh, ne t’en fais pas. Je repense juste à ce que tu as dit, sur Odd…
- Je pense pas qu’on le croisera ce soir. Je pense pas qu’il ait amené quelqu’un d’autre qu’Aelita ici, répondit Nicolas en haussant les épaules, alors que le cadenas résistait au premier assaut de la pince.
- Non, mais pas cette partie-là ! Quand tu disais qu’il n’aimait pas être en couple…
- Bah quoi ?

La seconde tentative ne fit toujours rien au cadenas. Dans la pièce d’à côté, le son se fit plus pressant, et en même temps plus espacé. Ce n’était plus un objet qui tombait, mais quelqu’un qui marchait, avec des chaussures particulièrement bruyantes. Et qui faisait, de toute évidence, les cent pas. Enfin, c’était l’impression que ça en donnait. Pas de quoi inquiéter Nicolas ; de toute façon Christophe ne filmait pas.

- S’il n’aime pas être en couple, alors pourquoi il continue à draguer, hein ?
- C’est pas pareil, de draguer et d’être en couple. Regarde, Sissi elle drague Stern tout le temps, mais ça n’empêche qu’ils ne sont pas ensemble.
- Ah, oui, Sissi Delmas… Ça ne te dérange pas, toi, qu’elle passe son temps à coller Stern ?
- Bof, non, pourquoi ?
- … Je pensais que tu l’aimais. Tu la colles tout le temps.
- Non, c’est Hervé qui en pince pour elle. Moi, je reste avec lui pour le soutenir. Sinon, il ose pas lui parler. Sissi, elle est trop compliquée, je trouve.
- Et Hervé, il n’est pas compliqué, peut-être ? Tu essaies d’ouvrir un casier probablement vide juste pour prouver qu’il a tort, on dirait un vieux couple !
- C’est quand même plus facile de prouver que les fantômes n’existent pas que de ne pas passer pour un idiot auprès de Sissi…

CLAC !

Enfin ! Le cadenas céda ! Il s’effondra au sol dans un éclatant tintement, en évitant poliment d’écraser le pied de Nicolas au passage. Dans la foulée, la porte du casier s’ouvrit en grand.

- C’est pas ce que je… Écoute, Nicolas, tu me demandes si ça va. Eh bien, non. Ça me dérange, ce que tu as dit tout à l’heure. Moi, j’aime Odd parce qu’il est aventureux, et qu’il s’en fout de tout, et je pensais qu’avec lui, je ne poserai aucune question. Et je m’en fous qu’il ait eu d’autres relations. Moi aussi, c’est pas grave. Mais je ne sais pas ce qu’il faut faire pour le garder. L’Écho de Kadic parle tout le temps de ses ruptures. Les rumeurs du collège évoquent les raisons de ses échecs amoureux. Même lui ne parle que de ce qui n’a pas marché… Je ne veux pas être une rumeur de plus, ça ne m’intéresse pas. Mais si on ne parle pas de ce qui fait ses victoires, alors comment je peux savoir si je peux en devenir une pour lui ?

Nicolas n’écoutait que d’une oreille distraite. Contre toute attente, les casiers n’étaient pas vides. Au plus haut étage, il y avait une armée de tupperwares vides, et curieusement verts. Au-dessous, il y avait un cimetière de lunettes aux verres brisés et aux montures tordues. À l’étage le plus bas, il y avait des sortes de dessin d’enfant, représentant une grande maison entourée de montagnes blanches, et un genre de lutin faisant des bonhommes de neige avec un enfant, alors qu’un papa et une maman jouaient du piano dans le jardin enneigé. Au bout de quatre dessins, l’image de la mère perdait en précision, pour n’être plus qu’un personnage-bâton, aux cheveux d’un rose si passé qu’ils paraissaient blonds. Le papier était sacrément jauni et écorné, l’enfant qui les avait déposés là devait être vieux, aujourd’hui. Mais le plus intéressant était à l’étage du milieu : des tonnes et des tonnes de carnets, reliés par des bouts de ficelles qu’on avait enfoncé directement dans la liasse, y avaient été jetés pêle-mêle. Nicolas en prit au hasard et commença à feuilleter prudemment. Les dates tournaient toutes autour de 1994. Janvier, février, mars… Pendant ces mois, les jours s’alignaient, gratifiés uniquement de la mention « RAS pour le moment ». Mais, dans le troisième carnet, la date du 26 avril 1994 affichait autre chose : « J’ai entendu leurs pas dans l’usine. Je suis sûr que ce ne sont pas des craquements. Ils sont là ».

Comme si l’usine lisait elle aussi les carnets, les bruits de la pièce voisine s’interrompirent. Christophe, lui, avait arrêté sa tirade et se rapprochait de Nicolas.

- Hé, c’est quoi, ça ?
- J’sais pas. Des trucs qu’un type a laissé ici.

Christophe prit quelques carnets des mains de Nicolas, et commença à feuilleter à son tour.

- Wow, louche, le gars… Écoute : « 2 mai 1994 : Ils n’auront pas notre enfant. La machine est presque finie. Bientôt, mon amour, je pourrai protéger notre enfant. »
- On est dans une usine, il y a des machines partout, mais… Une fille, tu dis ?
- Non, j'ai dit enfant, mais… « 9 mai 1994 : Mon cobaye est sur Lyoko. Le rat a pris la forme que j’ai programmée, le gentil monstre du dessin animé de notre enfance, tu te souviens ? L’espèce de crabe à grosse tête. Ça devrait amuser notre enfant. Je prévois de lui programmer quelques amis, aussi. J’ai déjà les avatars de prêts. Il ne manquera plus que les autres enfants du programme, les précédentes versions de notre enfant, et ils seront tous réunis sur Lyoko. J’ai commencé par le Cheshire Cat du livre qu’on lisait à notre enfant. Je ferai les trois autres plus tard. »
- Des avatars ?
- Je pige que dalle… Il parle de quoi, un jeu vidéo ? On dirait ce qu’Odd m’a montré, sur sa console…

Nicolas se sentait de plus en plus mal à l’aise. À mesure qu’il parcourrait les carnets, l’écriture de leur auteur devenait plus erratique. Certains mots étaient même noyés dans des gouttes séchées. On y aurait transpiré, ou pleuré… En tout cas, le mois de mai virait à l’enfer. Il y était fait question pêle-mêle d’un danger imminent, d’enfants qu’il faudrait virtualiser pour protéger « un » enfant, de gentilles créatures pour occuper ces enfants… Jusqu’à la date du 5 juin, raturée plusieurs fois, à l’image de son entrée chaotique :

«  5 juin 1994 : Je sais que j’ai déjà passé cette date. Je ne suis pas fou. Des 5 juin, dans ma vie… Combien ? Trente, ou quarante, ou cinquante ? Des centaines ? Plus je cherche à recréer le monde, plus je me sens aussi vieux que la Création. Mais je ne suis pas fou.  Je sais que j’ai déjà vécu des 5 juin. Mais pas ce 5 juin précisément. Il y en a eu trente, ou quarante, ou cinquante. Ou des centaines. Des centaines de centaines de centaines de centaines de centaines de ce-
Encore. Je l’ai encore fait. Je crois que je sais comment. Encore le 5 juin. C’est quelque part, dans ces lignes de code. J’ai écrit le nom de Dieu dans ce code. L’ultime différence entre notre créateur et nous, le temps, le passé. C’est quelque part, c’est quelque part, c’est quelque-
Tu riais quand je disais que j’étais prêt à remonter le temps pour notre enfant. Tu avais tort. J’ai réussi. Je suis devenu Dieu. Personne n’échappe à Dieu. Personne ne gagne contre Lui. J’ai gagné, je sauverai notre enfant. Demain, notre enfant sera dans l’Eden recréé. Et moi je ferai mine de l’accompagner. Tu te souviens, comme quand on l’accompagnait au lit, on faisait mine de s’endormir, et puis on retournait travailler ? J’ai laissé de quoi lui faire croire que je l’ai suivi sur Lyoko. Une petite boule, comme la lumière d’une lanterne. Notre enfant n’aura qu’à la suivre. J’ai copié une partie de mon esprit dans cette boule, l’image du père aimant que notre enfant doit garder de nous. Cet ersatz fera tout pour protéger notre enfant. Pendant ce temps, je ferai tout pour te ramener, et détruire nos ennemis, pour qu’enfin nous n’ayons plus besoin de l’Eden. Je vais rester sur Terre. Dieu ne voudrait plus de moi de toute façon. Notre enfant est la seule chose de moi qu’Il pourrait regarder sans l’anéantir immédiatement. Notre enfant est l’égal des Anges. »

Un claquement sourd cogna contre les murs de la pièce. Les grincements s’intensifiaient… Même Nicolas n’était pas sûr de ce qu’il entendait. Était-ce l’usine, ou ce journal qui parlait ? Le garçon fixa les derniers mots de la page, alors que Christophe déposait les journaux restants sur la table, ainsi que sa caméra allumée, et s’éloignait vers la porte qui menait à la pièce d’où émanaient les bruits étranges.

- Nicolas… On devrait vérifier qui est là, non ? Tu entends comme moi, c’est des bruits de pas ?
- N… Non, c’est l’usine, c’est ses tuyaux, ça fait ça la nuit… Assura Nicolas, lui-même mal assuré.

Il se répéta ses propres mots dans sa tête tout en passant à l’entrée suivante.

« 6 juin 1994. Notre enfant est dans l’Eden. Notre enfant y régnera jusqu’à ce que je vienne le ramener à nous. Je me suis assuré que notre enfant voyait la porte du scanner se refermer sur moi, puis j’en suis sorti. Notre enfant est dans l’Eden.
Il ne me reste plus qu’à chercher… J’ai déjà vécu cette journée si souvent. Et tu avais raison : même quand on ne change pas, le monde change. Je croyais que chaque occurrence de 6 juin 1994 se ressembleraient toutes, mais il y avait des différences. Il m’a semblé que ma tasse était un peu plus vide à chaque fois ; sans doute avais-je soif. Remonter le temps n’efface pas les besoins physiologiques. Mais ce n’est pas tout : j’ai fini par ne plus afficher les dates sur mes ordinateurs, ça me troublait trop. Plus je remontais le temps, plus j’étais sensible au tic-tac des secondes, sonore ou visuel. Avoir plus de temps ne donne pas la sensation d’avoir plus de temps. À chaque remontée, le jour semblait plus sombre, la nuit plus inéluctable. J’ai donc rapidement fermé mes volets et ma porte. Les variations du monde ne devaient pas me troubler. Je ne devais plus avoir la preuve que je remontais le temps. Si je ne pouvais plus le vérifier, alors mon cerveau ne perdrait plus de temps à se demander si j’avais encore le temps. Je devais me concentrer, me concentrer, me concentrer. Ma seule unité de temps, c’est mon journal. Je l’ai laissé dans l’ordinateur. Dès que j’ai lancé la commande, je rallumais ma webcam. Tu ne verras qu’une entrée, la bonne, l’ultime, celle de la victoire. Le temps effacera les autres, chaque Retour vers le passé effacera les autres. Si j’ai raison, si ma commande marche, alors ça s’effacera. Je crois. À moins que le Supercalculateur ne puisse les conserver ? Je crois que je l’ai dit. Mais c’est faux. J’espère que c’est faux. Il n’y a que les victoires qui comptent.
Dernier fait amusant : notre enfant qui toquait à la porte, ça variait. Jamais à la même heure, jamais pour dire la même chose. Et toujours plus pressant. Mais c’est mon esprit qui l’invente. La culpabilité qui l’emporte, sans doute. Notre enfant n’a vécu qu’une journée, dans ses souvenirs, alors je ne vois pas comment il pourrait réellement être plus désespéré à chaque fois qu’il vient retoquer à la porte. Je l’ai tout le temps ignoré, à chaque redondance de l’évènement. Même quand il me demandait si j’étais encore là. Même quand il me demandait s’il pouvait aller dormir. Ou si je n’étais pas fâché qu’il ne dorme plus. À l’entendre, le temps ne remontait pas pour lui… C’est absurde, parce que je lançais bien la commande, et que le 5 juin, je sens que je l’ai vécu deux fois. C’est la preuve que ça marche. Mais remonter le temps a des conséquences, n’est-ce pas ? Notre enfant n’a pas fait la même chose à chaque redondance. Parfois il allait dormir, parfois il se réveillait. Parfois il allait dormir, parfois il se réveillait. Parfois il allait dormir, parfois il se réveillait. Parfois il allait dormir, parfois il se réveillait. Parfois il allait dormir, parfois il se réveillait. Parfois il allait dormir, parfois il se- »

L’entrée s’interrompit soudain. Nicolas n’y comprenait rien. Il était un peu plus terrorisé à chaque ligne. Ce type… Ce type était fou ! Rien de ce qu’il disait n’avait de sens ! Remonter le temps, l’Eden, le scanner… Et puis… Et puis à qui parlait-il ? À qui étaient adressés ces carnets ? Ça n’avait pas de sens… Ces carnets avaient dix ans, personne ne les a retrouvés…

Nicolas releva les yeux. Il vit à nouveau les cadavres de lunettes, dans le casier. Toutes les redondances… Tellement de lunettes… Dix ans, ce n’était pas si vieux… Les casiers avaient un peu de poussière… Le cadenas, même s’il a résisté, n’était pas si rouillé… Et l’usine, qui ne sert à rien mais qui marche encore… Et si… Et si l’auteur des carnets était encore…

- Ni... Nicolas…

Le garçon se retourna vers Christophe. Ce dernier avait forcé la porte. Elle était entrouverte, sa poignée encore très jeune avait été dévissée sans que le bois ne cède… Nicolas ne voyait rien dans l’encadrure, mais le son… Le clapotis dans les tuyaux, dans les murs… C’était si proche… C’était… Humain…

Le bruit d’un souffle d’air passa dans le bureau aux casiers.

Christophe s’écarta brusquement. Il heurta la table. Les carnets tombèrent au sol, éparpillant leurs pages aux pieds des garçons. Nicolas vit toutes les entrées, les « RAS », les ratures, les dates. Les bruits étranges s’accéléraient, s’approchaient…

Christophe prit la caméra. Nicolas laissa tomber les carnets. Ils foncèrent hors de l’usine, sans se retourner.

La pluie frappait rudement la ville. Les deux garçons reprirent leur souffle sur le pont, malgré les gouttes qui agressaient leurs crânes. Par réflexe, Christophe avait abrité la caméra sous son gilet. Nicolas, lui, n’avait rien à serrer dans ses mains. Pire, les dernières secondes cognaient dans sa tête. Qu’est-ce que… Qu’est-ce qui s’était passé ? Est-ce qu’ils avaient eu peur d’un courant d’air ?
Mais ces carnets… Ces carnets, et leur auteur…

- Christophe, la caméra… Est-ce qu’elle a filmé…
- J’ai… J’ai vu…

Nicolas écarta une mèche de cheveux humide de son front. Christophe serrait sa caméra en tremblant, les yeux rivés vers l’entrée de l’usine.

- Tu as vu… ?
- Il… Il y avait quelqu’un… J’ai vu une ombre…
- Christophe, il y a de la lumière qui filtre de partout, dans l’usine…

Le garçon n’avait l’air pas convaincu. Dans le fond, Nicolas ne l’était pas totalement non plus. Il pleuvait, oui… C’était ce qu’ils avaient entendu… Quoi, sinon, quoi… Hervé n’avait sans doute pas raison sur les monstres… Mais ces dernières minutes…

- Nous ne devons pas montrer ce film. À qui que ce soit.
- Nicolas…
- Tu as lu ces carnets. Si quelqu’un l’apprend… Les gens vont faire attention à l’usine… Il ne faut pas que les gens fassent attention à l’usine…

C’était sorti sans qu’il n’y pense. Mais c’était sincère. Il était évident que l’usine avait des secrets… Et si on l’apprenait, alors le havre de paix, l’ami de Nicolas, ne serait plus jamais tranquille. Où irait-il pêcher, où irait-il réfléchir ? Il ne savait pas ce qui s’était passé, mais… Mais…

- … Okay. Garde pour toi ce que je t’ai dit ce soir, et je ne dirai rien sur l’usine, céda finalement Christophe. Deal ?
- … Okay. Deal.

Aussitôt, Christophe ouvrit la caméra, et récupéra la cassette. Il s’approcha du bord du pont.

- Personne ne saura jamais.
- Personne ne saura jamais.

Christophe jeta la cassette dans le fleuve.

- Dommage, il y avait les derniers rushes d’Odd, dessus, souffla Christophe, dans un petit rire fatigué et tremblant.
- Tu n’aurais pas dû la jeter, alors…
- Bah. Ils étaient franchement mal partis, de toute façon. Ça ne ressemble jamais à rien, ses histoires de mondes virtuels et de monstre informatique.
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2021  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Jeu 09 Déc 2021 01:48   Sujet: Du Berceau à la tombe

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— Tu peux pas comprendre.
— Ce que je peux comprendre, c’est que t’es complètement crétin.

Il était devenu tout rouge, comme chaque fois qu’ils avaient cette discussion. Un rouge de colère. C’était bien moins stupide que l’autre rouge.

— Je vais te dire une chose une bonne fois pour toutes, dit-il pour la centième fois. Je l’sais bien, que j’suis crétin ! Ça, c’est pas difficile à comprendre.
— Bah alors j’imagine que t’as des raisons hyper malines d’être un idiot.
— C’est pas ça. C’est… imagine, comme, les jeux vidéos, tiens.

Ça, c’était nouveau. Hiroki leva un sourcil sceptique, prêt à recevoir une perle de sagesse et de grand nawak.

— Imagine un niveau avec un boss que t’arrives pas à battre… tu t’acharnes, tu t’acharnes, mais t’y arrives pas, alors t’as les glandes, et c’est méga-frustrant mais… tu continues parce que t’aimes ça, en fait.

Ouaip. Idiot et irrécupérable. Le pauvre garçon en perdait son bon sens.

— En vrai – et on parle d’un jeu vidéo – au bout d’un moment, je finis par lâcher l’affaire. J’ai ma fierté, comme tout le monde, mais si je perds en boucle, au bout d’un moment, je me fais une raison : le jeu est pas si bon que ça, il est pas fun, et je lâche l’affaire.

Il n’était plus certain de parler d’un jeu vidéo, sur la fin. Johnny se mit à bouder d’un air pensif. Cette moue toute moche de mou du testicule qui provoquait en Hiroki une furieuse envie de moucher son ami. Il insista :

— Enfin tu la connais même pas si bien que ça. Elle en vaut pas la peine, j’te dis. Y’a pas qu’Ulrich. Elle… c’est une paresseuse et une menteuse. Elle passe ses journées à jouer les filles sérieuses et les élèves studieuses, et ses nuits à faire le mur en fuyant les corvées. Elle pense qu’à elle, c’est la personne la plus égoïste du monde, et elle exagère tout !

Tel une Cassandre des temps modernes, il eut le déplaisir de voir une ombre de sourire, mi-dubitatif, mi-amusé, dédaigner d’un revers de regard de rêveur cette solide diatribe de dures vérités. Les oreilles de Johnny étaient tellement décollées que son ami se demandait parfois si elles étaient encore reliées au cerveau ; en cet instant, il n’avait plus de doute. Il n’est de pire sourd que qui ne veut entendre, la vérole ressemble à s’y méprendre à de belles rides sur l’eau dans l’œil de qui contemple avec amour. Non, Hiroki ne pouvait pas comprendre ça.

Et il en était parfaitement content.



Elle entra dans sa vie brutalement, sans en avoir conscience.

Immédiatement, elle lui tapa dans l’œil. Très proprement. C’était une fille très propre. Autrement dit, Hiroki vit un être éthéré, extramondain et fait de lumière pure. Sa chevelure blonde, impeccable, était tirée en arrière de façon symétrique et fermement retenue au-dessus de sa nuque, découvrant les oreilles qu’elle ornait avec goût de deux perles rondes nacrées, petites mais pas trop, dont la blancheur cristalline se démarquait comme deux gouttes de pluie dans la cascade d’or de ses cheveux tombants, peignés avec un soin tout adulte qui contrastait avec la rondeur saisissante et pulpeuse de son visage d’enfant. Tout ça, ça le frappa d’un coup. Tout ça, et mille choses diffuses qui auréolaient son apparition.

— Hé ? Ça va, mon pote ?

Il entendit la voix de Johnny, et le présent revint tout aussi brutalement. Il était très étrange. La regarder était plus naturel. Mais il valait mieux qu’il se la joue cool. Désinvolte, c’était le mot. Ce n’était qu’une jolie fille. Les garçons, ça réagit normalement, quand ça voit une très jolie fille.

— Dis, t’as pas vu ce canon, là-bas ? Elle est nouvelle, non ?

Au regard que lui dédia Johnny, Hiroki sut qu’il avait royalement échoué à avoir une réaction normale de garçon normal confronté à une beauté hors du commun.

Cette réalisation ne tarda pas à lui mettre un cafard proprement névrotique dans la tête. Pour ne rien arranger, son fidèle compagnon l’observait avec ce petit sourire en coin au coin de ses yeux plissés de malice. C’était un vrai copain, un frère. Il se tairait jusqu’au cimetière, et ferait tout pour ne jamais, au grand jamais, le presser sur l’affaire – à part arrêter d’être là, et de le regarder, et de penser à l’intérieur de cette espèce de bol qui lui servait de tête.

— Quoi ? lâcha-t-il sèchement.

L’autre posa niaisement son menton sur ses paumes, et se mit à se balancer. Le regardant en face, il se mit à chantonner :

— Hiroki est amoureu-eux.

L’enflure de cloque ! Au temps pour la camaraderie jusqu’à la mort ! À ce compte, d’ici peu, il serait en train de le crier en dansant sur les toits, ce crétin des Hautes-Alpes !

— Ta gueule, l’enjoignit-il.
— Maintenant, le petit Hiroki comprend…
— Ta gueule, lui conseilla-t-il.

Entre ses menaces voilées, Hiroki se sentait insulté par ce parallèle. Insulté, et surtout, cruellement révélé. Plus d’une fois, il avait méprisé Johnny pour avoir aussi pitoyablement cédé aux sirènes des seules apparences de sa sorcière de sœur, et voilà qu’il ne faisait pas mieux. Sincèrement, il n’en menait pas large, en cette compagnie. Très certainement, son temps eût été mieux employé à regarder la fille canon.

Eût-il été plus avancé en âge, le jeune garçon aurait su qu’il était tout à son loisir d’écraser le bourgeon avant que ses racines ne prennent et ne s’enfoncent dans son âme, dans sa chair et dans sa vie. Un jardinier soigneux et expérimenté sait préserver le groseillier et arracher l’ivraie ; mais un cœur jeune, naïf et tendre est, plus que perméable, imbibé de légendes et de niais narratifs sur le coup de foudre, la passion, et l’amour véritable sans lesquels, selon le mot, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue.

— Dis, Johnny…
— Quoi ? dit l’autre, qui s’était tu, non pas par peur de représailles, mais par un respect fraternel pour l’apocalypse sentimentale qui s’opérait dans le secret du cœur de son meilleur ami.
— Est-ce que tu sais qui c’est ?

Il eut un petit rire. Un peu jaune.

— Là, mon vieux, tu vas rire…

Drôle de grimace. Ça n’avait pas l’air drôle.

— Je crois qu’elle tourne un peu autour de la bande à Yumi. En tous cas, elle est en seconde, et elle s’appelle Laura. Laura Gauthier.



— L’aura… L’aura pas… L’aura… L’aura pas… L’aura…

Pauvre leucanthème, sœur des mouches dont les enfants curieux arrachent innocemment les ailes. Ainsi s’effeuillaient, au gré du vent d’automne naissant et du jeu culturel des primates infantiles, de pauvres pétales blancs qui n’avaient rien demandé à personne. Cultivant précieusement son obsession naissante, comme si c’était un trésor, il regardait la mer sur des falaises bretonnes, les boucles brunes de ses cheveux fouettées par le vent. Enfin, ses cheveux étaient trop courts, trop raides, trop japonais pour boucler, et puis il n’était pas dans une peinture de Caspar David Friedrich.

Il contempla la marguerite dénudée. Ce n’était pas une bonne marguerite et puis, c’était un jeu stupide. Il était tenté tout de même de tirer de nouveau la fortune de la fleur. Il avait tout un pré de prédictions à portée de doigts.

— Hiroki ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Vite ! Sans délai, l’interpellé fit disparaître la preuve de sa niaiserie de la seule manière qu’il savait : il l’avala. Le bouton mordu était amer, mais moins mauvais qu’il l’avait cru.

— Et toi, Johnny ? Ça fait un bail qu’on n’a pas remis les pieds ici…

Le terrain vague pouvait en témoigner. Les détritus avaient changé avec les saisons. Les vieux pneus avaient été remplacés, et des cadavres de canettes de bière entouraient le foyer d’un feu de camp trempé là où, jadis, du verre pilé et des goulots cassés faisaient leur cimetière.

— Parle pour toi. Je viens souvent ici, moi. Je sais pas pourquoi t’as arrêté de venir.

Maintenant que Johnny le disait, Hiroki s’en souvenait.

— C’est parce que je voulais toujours jouer. Toi, en revanche, tu t’es mis à parler.

Parler de quoi, ça, ce n’était pas la peine de préciser. Johnny vint prendre place à ses côtés – c’est-à-dire pas trop loin, sur un coin de frigo penché, à trois mètres de la pile de pneus sur laquelle Hiroki s’était installé. Il ne dit rien, mais attendit. Enfin, son ami soupira.

— C’est complètement stupide, dit-il, comme il l’avait toujours dit et le dirait toujours.
— Assez, convint Johnny.

Ça, c’était une première. D’habitude, il se défendait. Mais cette fois, Hiroki parlait de l’intérieur. Il y avait de la place pour faire dans la nuance.

Après un silence étonné, Hiroki ajouta :

— Je la connais même pas.

Encore un argument classique. Mais la chanson avait un autre sens dans cette situation. Il le savait, car il souffrait de ne pas la connaître. Pourtant, ses sentiments étaient réels, restaient réels, terriblement réels. Cette phrase n’accusait pas. Cette fois, c’était lui qui accusait le coup. Et Johnny accusait avec lui.

— Non. En effet. Mais tu veux la connaître.

Complètement stupide. Il l’avait toujours dit, mais ne l’avait jamais compris.

Dans son dos, il entendit son ami se lever. Il se mit à escalader la pile de détritus. Pour Johnny, cet endroit n’était pas un souvenir d’enfance : le lieu lui était familier, déserté depuis deux ans. Il le connaissait comme sa poche. Et ce lieu avait, pour lui, grandi en même temps que lui. En signification. Cette décharge était pleine de vie intérieure.

— Mais je n’ai aucune chance.

Ça aussi, il l’avait dit et répété. Dit et répété, encore une fois, sans le comprendre encore. Le ciel pastel, au bleu usé et délavé des heures céruléennes, teintait ses flammes roses de cramoisis sinistres ; Johnny les regardait en paix, mordillant rêveusement un épi d’amidonnier sauvage. C’était cliché, mais Johnny affectait quelquefois d’avoir, dans son cœur d’artichaut, un lien profond avec la vie rurale, et la campagne vosgiennes où sa famille avait quelques racines à moitié mortes. Fier de descendre de paysans, voilà une drôle d’idée, bien de la France. Et c’était loin d’être la seule chose qu’Hiroki trouvait bizarre chez son ami.

— Peut-être.

Il espérait, le fou. Alors même qu’Ulrich et Yumi se tournaient autour de plus en plus solidement depuis la rentrée, et reprenaient des airs de couple établi, Johnny ne perdait pas espoir. Réveille-toi, pauvre con ! elle sait même pas que tu existes ! je t’ai présenté à elle, tu as essayé de te faire remarquer, et elle t’a déjà oublié sur un plan conceptuel, jusqu’à la dernière trace de toi a été oblitérée de ses neurones !

Johnny n’avait pas l’ombre d’un fantôme de reflet d’espoir, il devait bien le savoir ! Et pourtant… pourtant un sourire, douloureux, planait dans le bleu vespéral de ses yeux presque éteints. Comme si… comme si un trésor… – Hiroki n’en savait rien. À présent, Johnny lui semblait tellement plus… mature… plus avancé que lui. Au moins sur ces questions.

Tu parles d’une leçon d’humilité…



Quand on entre dans un village, on se plie aux règles du village.

C’était pourquoi Hiroki ne demanderait pas à Laura Gauthier de venir le rencontrer, à une heure particulière, après les cours, en tête-à-tête, derrière le gymnase, ou près de l’abri de jardin, ou au pied de l’arbre aux cœurs (idée de triste goût s’il en fut jamais). Il s’arrangerait – quitte à stalker un peu – pour l’attraper à un moment où elle serait seule, sans trop de témoins, pour lui confier ses sentiments.

Car il lui confierait ses sentiments. Cela, il ne doutait pas que c’était la chose à faire. Ce n’était pas culturel… enfin, pas exclusivement. Mais il ne se voyait pas endurer ce que vivait Johnny… surtout quand il connaissait à quel point toutes ces émotions profondes, puissantes et révélées, étaient déconnectées de la réalité. Fausses. Illusoires. Mieux valait arrêter les frais.

Il regretterait, évidemment. Il souffrirait, aussi. Mais il y était prêt. C’était le lot des hommes que d’aller au combat, même quand la guerre était perdue ; c’était celui des médecins que de savoir couper la gangrène avant qu’elle n’empoisonne le sang, et le corps tout entier. Johnny pouvait bien se morfondre dans son landau de délires éveillés ; avec un peu de chance, l’exemple d’Hiroki l’inspirerait à s’en tirer.

Du berceau à la tombe, les premières amours sont souvent accouchées mortes-nées.

Sa proie – son bourreau – le précédait d’une vingtaine de pas. Elle s’enfonçait dans la forêt domaniale du parc qui entourait Kadic, prenant la direction du mystérieux bunker. L’endroit parfait, peu fréquenté, à l’abri des regards. Le jeune garçon pressa le pas.

— Laura ! appela-t-il.

Elle se retourna. Une expression contrariée passa sur son visage. Un éclair d’inquiétude dans ses yeux, également. Le jeune japonais dut se faire violence pour ne pas s’incliner.

— Tu aurais un moment ? Je voudrais te parler.

Elle acquiesça, sur ses gardes.

— Tu ne me connais pas, mais tu connais ma sœur. Je suis le petit frère de Yumi.

Il s’attendait à ce qu’elle se détende un peu en entendant ces informations. Il n’en fut rien. Au lieu de quoi, il vit sa vive intelligence calculer, derrière ces yeux froids, et ce regard impénétrable, et ce front de chair tendre. Il aima cette surprise, et tout ce qui lui afférait.

— Il se trouve que, depuis que je t’ai vue, j’éprouve… des sentiments, pour toi. Je crois être en train de tomber amoureux.

Voilà, c’était dit. Il ne releva pas les yeux. Son regard était tombé dans les feuilles mortes que ses pieds avaient foulées. Le souffle lui manquait. Il n’osait respirer. Et elle ne parlait pas, ni ne bougait. Mais après un silence, elle dit :

— C’est stupide.

Son cœur manqua un battement. Assoiffé, il releva la tête. Une expression sceptique s’étalait, avec un souverain mépris, sur son joli visage. Hiroki s’en trouva à la fois émerveillé, et au bord de la mort. Comment pouvait-il adorer jusqu’à son dédain ? Pourtant, il n’avait pas le temps de s’en étonner. Ce jugement, il le comprenait bien, c’était aussi le sien. Avec sincérité, il répondit :

— N’est-ce pas ?

« On ne se connaît pas. Je ne t’ai jamais parlé. Je sais à peine qui tu es. »

Mais il voulait savoir. Si ardemment. D’autant qu’elle avait la tête sur les épaules. Elle pensait comme lui. N’était-ce pas excitant ?

C’était surtout désespéré. D’aucuns disent que l’amour rend con. L’amour rend surtout fol.

Son visage enfantin sourit enfin. Un sourire mystérieux et entier.

— Ma foi, personne n’a la science infuse. On ne peux pas savoir avant d’essayer.



Il parut à la fin de son heure de colle. En l’attendant, Hiroki avait bouclé ses devoirs, tenté de réviser l’histoire-géo, observé des fourmis, fait prendre quelques nivaux à deux-trois Pokémons, titillé une chenille, et fait un peu de musique avec une improvisation de batterie de récupération. À présent, il faisait de vagues moulinets avec une barre de fer rouillée dont les extrémités étaient tout sauf lisses.

— J’espère que c’est important, dit-il sèchement.
— Oui. Enfin…

Enfin non, donc, songea l’adolescent, boudeur. Mais c’était être injuste que de penser ça. Sans ce rendez-vous, il aurait pu essayer de persuader Laura de passer plus de temps avec lui ce soir-là, mais réalistement, il aurait échoué.

— C’est important qu’on en parle. Je pense que tu sais ce que je vais te dire.

Hiroki grommela. Disons qu’il avait des idées de grandes lignes, mais pas de certitudes. Il doutait que ce fût important, à certains égards. C’était plus une corvée qu’autre chose. Enfin. Après tout, une déchetterie clandestine, c’est pas l’endroit rêvé pour sortir les poubelles et blanchir le linge sale ?

— C’est à propos de toi et… Laura.

Hiroki pourfendit l’air d’un moulinet oblique de sa barre de fer. No shit Sherlock.

Le pire, c’était que son ami n’était même pas jaloux. Enfin, pas seulement. Il était certainement persuadé que sa prudence était de bon conseil. Et où ça l’avait donc mené, hein ? Pour un roi du silence, ce type avait une sacré tendance à ramener sa fraise.

— Laisse-moi deviner, lâcha-t-il. Tu penses qu’elle m’utilise.
— Je me demandais si tu étais conscient de cette… possibilité.

Hiroki sentit la moutarde lui monter au nez. Mais de quoi je me mêle !

— T’est-il venu à l’esprit que moi aussi, j’utilisais sa volonté de m’utiliser ? Elle veut se rapprocher de moi pour se rapprocher de Yumi pour se rapprocher de sa bande pour je ne sais quelle raison, sûrement parce qu’elle en pince pour Belpois. Tant mieux. Ça la rapproche quand même de moi, et ça me rapproche d’elle.

Hiroki avait cru le raisonnement convaincant. Mais quand il risqua un coup d’œil vers son ami, il eut le sentiment d’avoir dit, en essence : « Je m’accommode très bien d’être un cloporte sous sa semelle. » Le plus frustrant, c’est que pour subtil que fût son pari, il était aussi, indéniablement, fragile. De ces fragilités qui n’inspirent pas tant la confiance raisonnée que la foi aveugle.

— Quand même, tu trouves pas ça… malsain ?

Quand même, c’était la chiure d’œil qui se moquait de la crotte de nez. Les amoureux transis qui se languissent ad vitam æternam, c’est bien gentil, mais c’est pas le triomphe des meilleures décisions de vie de l’histoire du monde.

— Tu peux parler, rétorqua Hiroki.
— Et c’est censé vouloir dire quoi, ça ?
— Exactement ce que ça veut dire. Moi, au moins, je fais quelque chose. Je tente ce que je peux. Toi, t’essaies quoi ?
— Euh, demander conseil à mon modèle et rival, servir de pigeon voyageur dans une dispute entre eux, et tenir la chandelle pendant qu’ils s’envoient des fleurs en m’oubliant joyeusement.

Pas faux. Johnny avait essayé, lui aussi. Et à un certain niveau, son échec semblait relativement similaire à ce que concoctait à son tour Hiroki avec ses plans foireux. Le jeune homme concéda :

— T’as raison. J’ai parfaitement conscience que je danse sur le fil du rasoir. Comme toi par le passé.
— Et à l’époque, je pouvais pas me raser, renchérit le garçon.

Hiroki dut se faire joliment violence pour ne rien laisser voir de son accès d’agacement. Il allait pas le lâcher, avec cette histoire ? Johnny avait trois poils de barbe. Épais comme du duvet, encore. Et sans doute pas plus longs que sa bite. Ça le rendait pas plus adulte, comme il croyait, mais plus gamin.

— Félicitation pour ta maturité. J’imagine que je suivrai le même chemin que toi…

Il hésita. Avec un dernier moulinet, il envoya voler la barre de fer.

— … celui d’un loser qui squatte dans des poubelles.

Johnny ne se mit pas en colère. C’était un type bien, Johnny, un vrai copain. Irritant, compréhensif, méprisant, respectueux et surtout d’une jalousie condescendante, il quitta la pile de pneus sur laquelle il s’était juché et essuya son pantalon.

— Bon, tout est dit ? demanda-t-il.
— Tout est dit, répondit l’autre, froidement.
— À demain, lui fit-il, avec un grand sourire, comme si rien ne s’était passé.
— À demain, dit Hiroli entre ses dents.

Et en vérité, il ne s’était rien passé.



Ombrageux, Hiroki planta son plateau sous le nez de son ami Johnny et s’attaqua à ses pommes sautées sans un mot.

Ça n’avait pas duré deux semaines. Pitoyable et rageant. À vous dégoûter d’aimer.

Il le regarda enfourner les patates sans le moindre commentaire. Quand il n’y en eut plus, il leva son assiette et poussa quelques-unes des siennes dans celle de son copain. Ce dernier mangeait avec la rage du désespoir et des désillusions.

C’était si… prévisible ! D’un ennui, d’un rageant…

Toutes des salopes, voulut lâcher le japonais, déjà au fait des plus fines fleurs de la langue de Molière, mais il se retint tout de même. D’une part, car son ami n’aurait pas approuvé. Et d’autre part, surtout, parce qu’il savait très bien que Laura Gauthier n’était, justement, pas n’importe quelle fille. Puis au fond, c’était une salope honnête. Adorablement, honnêtement salope.

— Et du coup, c’est fini ? finit par demander Johnny.

Hiroki rit jaune et de bon cœur. Direct et droit, au cœur du sujet, ça c’était bien Johnny !

— Ça se finit pas comme ça, ces choses-là. C’est jamais aussi simple ! se moqua Hiroki.

Johnny pinça les lèvres. Le jeune Ishiyama eut un soupçon étonné, et pour tout dire inespéré, à ce stade.

— … Et toi ? Tu passes à autre chose ?

Johnny lui dédia un gai rictus.

— Ça se finit pas comme ça, ces choses-là. Ça doit faire un an que je passe à autre chose.

Sacrée année, alors. Yumi par-ci, patate chaude, Yumi par-là, patate au beurre. Hiroki voyait d’ici la tête de ces discussions futures. YumiLauraLauraYumi, YumiYumiLauraLaura. LauraYumiLauraYumi, LauraYumiYumiLaura. Ce sonnet sonnait le glas sinistre des perspectives d’un lendemain meilleur.

— À ce stade, on ferait mieux d’échanger, dit Johnny en détachant un lambeau de dinde de l’os de cuisse.

Il fallut un moment à Hiroki pour comprendre ce que son compère avait dit.

— Mec, c’est ma sœur ! s’exclama-t-il, horrifié.

Mec haussa des épaules, pas vraiment perturbé.

— Au moins, elle oubliera pas que tu existes.

Hiroki en vint presque à se demander si son ami était sérieux. Fatigué, ça, pas de doute. Il pouvait le comprendre.

— Et quel avantage tu trouverais à Laura, par rapport à Yumi ? demanda-t-il, avec une curiosité de miroir.
— Avec cette fille, on peut se rendre utile. Rendre service. Servir, même.
— Se mettre en servitude. Esclave de l’amour.
— Voilà. On peut concrétiser des choses. Et exprimer ses sentiments.

Hiroki lui dédia un gai rictus. Johnny rectifia :

— Ouais, enfin, jusqu’à ce qu’elle vous jette comme un vieil emballage.

Le fantasme de Johnny n’était pas si glamour, dans le monde réel, tous comptes faits. Enfin. Ça faisait du bien de s’échapper un peu. Partager les souffrances du voisin, voir d’autres perspectives.

Il pouvait voir aussi que là encore, Johnny était en avance sur lui. Chez lui, le cycle s’usait, comme un vinyle qui tourne, tourne et tourne et tourne depuis longtemps. Finalement, faute de matière, Johnny aimait à vide. Bientôt il n’aimerait plus du tout. Ainsi meurent, en l’absence d’oxygène, les amours ignorées.

À travers tout cela, et bien d’autres aventures, l’amitié d’Hiroki et Johnny dura jusqu’à la mort du second, parti trop tôt, fauché tout juste dans la fleur de l’âge.

À l’âge mur, l’un et l’autre rocs solides de leurs vies mutuelles, ils avaient pris coutume de plaisanter, en disant qu’ils n’étaient certes pas frères depuis le berceau, mais qu’ils le resteraient jusqu’à la tombe. Et c’était presque vrai.

Ce n’est qu’au crépuscule de ses années, en se rendant à Épinal sur la tombe de Johnny, qu’Hiroki se fit la remarque suivante : en un sens, leurs amours infructueuses à l’époque de Kadic avaient été leur berceau. Pas celui de leurs corps, pas même celui de leurs âmes, mais celui de leur plus durable amitié. Laura, et même Yumi – pour difficile qu’elle fût à ignorer dans les années qui avaient suivi – n’avaient été, à cet égard, que des vagues qui se brisent vainement, au pied de la montagne.

Elles avaient passées comme passent les saisons ; et eux étaient restés, eux ils s’étaient bâtis, comme se bâtissent les ans et les éons, du berceau à la tombe.
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2021  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Dim 05 Déc 2021 21:24   Sujet: Le Destin d'un nom
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- … Et quand tu auras fini avec ce que je viens de te donner, tu reviendras me voir, j’en ai assez pour occuper tes dix prochaines années !

Ulrich soupira en regardant la pile de papiers qui venait de s’effondrer brutalement sur la table. Vingt leçons, venant des plus grands savants que la société avait élus comme les Frauja du Collège. Des exemples à suivre, sur lesquels chaque acte des disciples devait être calqué… Cependant, le jeune homme n’était doué pour la danse que si elle se pratiquait. Retenir des heures de théories, doctement rédigées sur des papiers vieillis, pour ensuite les restituer dans ses propres carnets… Très peu pour lui.

Mais voilà. Ulrich était né sous une trop bonne étoile. Le genre d’astre qui vous chante la gloire du passé, et qui est le seul sens à avoir un avenir. Son père, fier chef de la famille, avait exulté quand sa femme lui avait offert un fils. Et comme lui-même avait fait la joie de ses parents, il s’était empressé de le faire passer par le Blotanam. Tous n’y avaient pas droit, mais celles et ceux qui étaient appelés à le subir étaient tous trop jeunes pour le comprendre. Il s’agissait de quelques minutes, durant lesquelles le père et la mère du nouveau-né lisaient l’avenir de leur enfant. Tout se jouait au premier regard ; dès que les yeux s’ouvraient, il fallait adresser une prière aux ancêtres de la famille. Si la future personne qu’était le nourrisson siégeait déjà avec eux dans le Fairhveins, le Monde Éternel, alors ils répondraient en nommant l’enfant à travers la bouche des parents. Dans ce nom serait alors lu l’avenir du bébé, et par extension de la famille. Ulrich n’avait jamais vraiment compris comment cela marchait, mais sa mère lui avait toujours dit que « c’est ainsi, il faut le vivre pour le comprendre ». Et quand il s’était demandé ce qui se passait si la future personne ne siégeait pas avec les ancêtres dans le Fairhveins, son père avait répliqué « tu n’as pas à te soucier de ça ; seule la glorieuse voie qui t’as été offerte comptera pour toi ».

En effet, il semblerait qu’Ulrich ait un reflet de lui dans le Fairhveins. On lui a souvent raconté comme son père, à peine sa prière finie, fut transcendé par les milliers de voix de ses ancêtres, chantant tous à l’unisson le nom de son fils, telle une parade triomphale. Jamais, non jamais, un Rite n’avait été aussi flamboyant et clair, disait-on. Et ce nom… Ulrich. « Le Maître de l’Héritage ». Celui qui régnerait sur la famille, qui la porterait à ses plus belles heures. Dès lors, Walter Stern, « Le Gouvernant de l’Armée des Idoles », n’a eu de cesse que de mener son prestigieux fils unique comme on mènerait des troupes. Il le voyait déjà gravir les échelons, d’abord humble enfant aux épées de bois, puis brave adolescent aux premiers faits d’arme, ensuite jeune adulte dont les louanges commencent à être chantées, et enfin, enfin, la légende qui traverserait les siècles des siècles. On l’acclamerait sur toutes les terres du Javelot et de la Vallée. La prophétie venue du Fairhveins était la grande obsession de Walter. Quand son fils apprit à marcher, il le fit parcourir la propriété familiale, pour qu’au plus tôt ses pieds connaissent la route qu’il foulera en maître. Quand son fils put babiller, il lui fit répéter son propre nom, ignorant les affectueux « papa » et « maman » que l’enfant voulut leur adresser. Naturellement, il ne put articuler son prénom que tardivement. Mais quand il y parvint, son père ne voyait plus que les autres mots, mille fois moins importants, qui avaient traversé l’esprit brut de son fils. Il fut alors décidé de le mettre à l’étude. Le début de l’enfer personnel d’Ulrich. Il alla d’écoles de renom en stages prestigieux, alignait les professeurs émérites ; rien n’était trop beau pour son père. Rien ne suffisait. Il fallait toujours pousser son fils, encore et encore. Il fallait qu’il soit le plus beau des astres. Il fallait qu’il soit le nouveau Soleil du ciel. Plus Ulrich prenait du temps à apprendre, plus son père enjolivait l’idée qu’il se faisait de lui. S’il insistait, c’était que ça en valait la peine ! Il devait mettre souvent son fils à l’épreuve, car c’est ainsi qu’on s’accomplit !
Voilà donc ce qui avait mené Ulrich dans la salle d’Études de l’Internat du Frauja de Fairhalja, le Maître de l’Autre-Monde. On disait de cet illustre lettré qu’il avait approché, de son vivant, le Fairhveins. Avec une telle réputation, Walter y avait vu un signe ; son fils ne pourrait que trouver l’inspiration qui lui manquait tant ! Il laissa son fils auprès du Mage qui gouvernait le lieu, un être sage et juste, dont les grands pouvoirs étaient si légendaires que nul n’était certain de leur nature. Pouvait-il lire les esprits de ses étudiants ? Ou alors, pouvait-il se dédoubler, afin de veiller sur chaque classe à toute heure du jour ? En tout cas, nul ne niait l’aura du Mage Delmasius, imposante et fabuleuse, bien au-delà de celle que l’âge et l’expérience pouvaient offrir. Cela faisait un an que, sous sa férule, Ulrich s’enterrait sous toutes les disciplines des Frauja du Collège. La Parole, les Mystères, L’Humanité…
Et pendant que l’adolescent rabâchait sur papier des siècles de contorsions intellectuelles, il se laissa glisser vers la rêverie. Le moindre mot l’entraînait loin des murs froids de l’étude, loin du Nain Moralur qui gardait farouchement le lieu tout en répétant à quel point ses gloires passées devaient rester secrètes. Plus l’esprit d’Ulrich quittait ses devoirs, plus il redessinait son monde. Ce n’était plus une plume qu’il tenait à la main, c’était une épée ! Ce n’était plus la tunique aux couleurs de sa famille qu’il portait, mais une armure arborant ses propres armoiries ! Et ce n’était plus des étagères de livres qui le retenait prisonnier sous la surveillance d’un Nain bavard, mais le donjon d’un terrible Orc qui le forçait à chanter pour lui en attendant de le rôtir pour le dîner ! Il se voyait déjà profiter de ce que le paresseux chef des troupes ennemies se laissait endormir par la voix de son prisonnier pour s’emparer de son épée enchaînée au mur et se précipiter vers l’Orc. L’épée irait droit dans son cœur, et terroriserait tant ses lieutenants qu’Ulrich les abattrait un à un, sans peur ni hésitation ! Il s’emparerait alors de la tête du Roi des Orcs, et la ramènerait au Roi des Terres du Javelot et de la Vallée, qui le couronnerait de gloire et lui offrirait une tranquille demeure où écouler des jours heureux… Jusqu’au prochain danger qui menacerait le Royaume.

Plus il s’enfonçait dans son rêve, plus Ulrich sentit une fierté grandir en lui. Pas celle des Grands Frauja, des disciplines et des contes du Nain Moralur. Pas celle de son père, coincée entre les murs du domaine familial. C’était celle qui naissait dans les plaines de jade et d’émeraude, nichées au centre du Royaume, quand la déesse de la Vie rallongeait les jours ; c’était celle qui rugissait dans les cascades célestes des terres de l’Est ; c’était celle qui claquait contre les falaises sombres de la Fin du Monde, à l’Ouest ; c’était celle des montagnes qui servait de promontoire au Ciel, au Sud. C’était la fierté du voyageur, de l’aventurier, qui a dédié sa vie au monde et à ses mystères. Ulrich voulait être ce héros, il ressentait cet appel au plus profond de son âme. Et si… Et si c’était ce que les ancêtres avaient voulu pour lui ? Une gloire qui ne saurait se contenter de son patronyme ? Quelque chose de beau, de fondamental et d’immense, qui au couchant de sa vie le mènerait au repos du cœur et de l’esprit…

Soudain, la grande-porte de l’Étude s’ouvrit en claquant. L’aura d’autorité du Mage Delmasius envahit la pièce. Mais elle était plus… Tourmentée. Comme si un sentiment que l’on n’associait habituellement pas au maître des lieux corrompait lentement son âme de sérénité. Le Mage avait… Peur ?

Ulrich se retourna, alors que le Nain Moralur se tut. Malgré l’imposante carrure du Mage, le jeune homme aperçut, dans les couloirs, les autres étudiants se précipiter les uns sur les autres. C’était comme si un vent de folie s’était emparé du lieu ! Mais ce qui inquiéta Ulrich, c’était ces étranges lumières, courant en menaçants filaments entre les disciples et se saisissant de leurs yeux. Dès qu’un malheureux était capturé, il se figeait dans une posture éteinte, puis se ranima, ses pupilles frappées d’un sceau étrange. Ulrich ne le connaissait pas ; mais son sang se gela à sa vue, et ses sens brûlaient à son idée. C’était comme si une connaissance venue d’un autre temps, d’une autre incarnation, s’éveillait en lui. Il savait, sans l’avoir appris, que cette marque n’était nulle autre que celle du Mal Absolu. Le danger ultime de toutes les légendes. L’horreur qui détruit des royaumes et condamne même les plus vertueux au précipice infernal.

C’était un ennemi qui surpassait de loin les rêves les plus fous du jeune homme. C’était le cauchemar par excellence. Et il s’était immiscé dans un temple du savoir, pour asservir tous les esprits qu’il affronterait. Même la bravoure de quelques étudiants, qui tentaient de protéger leurs camarades, ne pouvait l’emporter. Même la sagesse infinie du Mage Delmasius ne pouvait que trembler face à elle.

- U… Ulrich ! Moralur ! Suivez-moi, nous devons fuir l’école, nous devons chercher du secours !

Du secours ? Le sang d’Ulrich se ranima à cette idée. N’avait-il pas rêvé, quelques instants plus tôt, de toutes les gloires qui l’attendaient ? N’était-il pas celui que ses ancêtres avaient désigné comme étant le futur soleil de sa famille ? Quelque chose naquit en lui, sœur jumelle de l’horreur que lui inspirait le sceau dans les yeux de ses camarades. Le besoin, vital, viscéral, sacré, de se dresser contre l’ennemi. Il savait, il devait combattre ! Face au mal absolu, il ne devait pas fuir ! Il était celui qui devrait le combattre, car c’était ainsi que ce serait écrit ! Aussitôt, Ulrich se leva, et se précipita vers le Mage Delmasius :

- Non, monsieur… Partez avec Moralur, vous devez vous mettre à l’abri. Emportez le plus de disciples que vous pourrez !

Avant que le Mage n’ait pu l’arrêter, le jeune garçon fonça dans le couloir. Devant lui, le filament maudit se redressa. Il semblait avoir reconnu son adversaire. Sans attendre, Ulrich décrocha une des épées décoratives qui ornait les murs des couloirs et, après avoir exhorté quelques enfants à fuir, courut vers le filament. Combattre, oui ; mais il lui faudrait trouver la source du Mal, et le frapper en plein cœur. Aucun héros ne survivait en perdant du temps sur les sbires de l’ennemi. Il fallait couper la tête de l’Orc pour faire tomber son armée !

Aussitôt, le jeune héros se rendit dans la cour de l’Internat. Une vision apocalyptique se présenta devant les yeux du jeune appelé par la prophétie. Des enfants, pris d’une fureur infernale, s’affrontaient comme s’ils étaient ennemis dans une guerre pour la sauvegarde du monde ! Tous s’injuriaient des pires noms d’Orcs, la flamme de la plus pure conviction illuminant leurs regards et guidant leurs gestes. Rien ne semblait pouvoir les arrêter, pas même la vision du mal qu’ils infligeaient à leurs amis ! Ulrich devait faire vite. Sans attendre, il traversa la terrible et rugissante mêlée, évita quelques coups de masse ou d’épée qui manquèrent de le terrasser, puis arriva aux Chambres des Disciples. Du toit du bâtiment, une atroce lumière s’élevait, trônant sur le lieu corrompu, le surplombant de ses néfastes intentions ! Sans nul doute, le mal y avait élu domicile. Ce serait donc là-bas que le combat ultime aurait lieu !

Rassemblant toute sa bravoure, Ulrich brandit l’épée et entra dans le couloir des Chambres. À l’intérieur, un silence de mort régnait. Toute l’agitation qui d’ordinaire donnait vie aux Chambres s’était dérobée de sa joie coutumière, pour rugir de colère à l’extérieur. Ulrich aurait donc le champ libre. Mais, alors qu’il progressait prudemment, une appréhension naissait en lui. Le calme rendait le moins petit craquement tonitruant, la moindre ombre était l’augure d’un combat à venir… À chaque coin, un sbire du mal pouvait apparaître et tenter de l’attaquer par surprise ! Et s’il avait réussi à posséder un des Frauja de l’Internat… Un disciple pourrait-il vraiment faire le poids ?

Non… Il devait réussir ! Il affronterait la vision écorchée par le mal de son père s’il le fallait ! Rien ne l’arrêterait, car c’est à ce prix qu’on libère le monde de l’horreur qui s’en était saisi ! Il serait un héros, une légende pour les siècles des siècles…

Non sans prudence, Ulrich arriva finalement aux escaliers menant aux Chambres. Il pouvait sentir l’aura du mal imprégner les murs de plus en plus insidieusement, enserrant les tours de la cité dans l’horizon. Ulrich voyait par les fenêtres, les ténèbres réclamer les âmes des citoyens des terres du Javelot et de la Vallée. Il ne restait plus beaucoup de temps… Mais plus il progressait, plus le jeune garçon se sentait atteint par le mal. Son esprit commençait à écouter la peur qui, ainsi encouragée, se muait en terreur… Des visions cauchemardesques, des rues pavées de sang, des maisons tapissées de flammes furieuses, des amis se déchirant les chairs, désormais esclaves du mal le plus dénué de sens… Et il se voyait, défait par son ennemi, prosterné devant son trône, l’échine courbée dans la défaite, attendant de perdre complètement l’esprit, privé de la mort libératrice… Ulrich dut s’arrêter un instant. Son genou heurta le sol, son épée plantée au sol soutint difficilement son corps. La nausée le prit, sa main perdit son assurance. Sa destinée serait-elle assez forte pour l’armer face au mal, pourrait-il seulement l’espérer… ?

Soudain, un cri jaillit du couloir. Ulrich releva la tête. La voix n’était pas rongée par la fureur, elle était encore tout à fait humaine, et consciente du danger autour d’elle ! Quelqu’un ici n’était pas encore corrompu ! Une étincelle de courage naquit en Ulrich. La peur était toujours présente, mais elle faiblissait. L’appel du devoir venait de lui tendre sa main lumineuse ; il avait une raison d’échapper aux ténèbres ! Le jeune héros se redressa, et reprit sa route. Il ne devait plus faire qu’un avec sa bravoure, il ne devait plus écouter que son destin !

Rapidement, Ulrich arriva devant la porte, d’où de nouveaux cris émanaient. L’aura des ténèbres était si puissante… C’était comme sentir les battements de son cœur en posant la main sur sa poitrine. Le lieu de l’affrontement ultime était derrière cette porte… Il lui donna plusieurs coups de pieds, puis parvint finalement à la faire céder. Il brandit son épée.

Devant lui, une superbe apparition était en proie à une armée de filaments diaboliques. Acculé contre un coin de sa chambre, un jeune garçon, aux cheveux pareils aux rayons du soleil qui recouvraient ses yeux bleus comme le ciel d’été, saisissait plusieurs reliques en tentant de les activer. Ulrich en avait déjà entendu parler ; ils étaient la fierté de ceux qui s’étaient dédiés à l’Étude des Mystères, qui avaient suffisamment observé l’Univers pour en comprendre sa logique, et la transposer dans des objets censés émuler la Création elle-même. De toute évidence, le garçon espérait que ses reliques le protègent de l’ennemi. Ulrich ne savait si son espoir était fondé, mais il n’allait pas attendre de le savoir. Le mal ne s’emparerait pas d’une pareille créature ! Le coeur du jeune héros se raviva de ravissement ; c’était comme s’il avait reconnu la flamme de l’Amour, celle que les héros ressentiraient un jour en sauvant la Beauté incarnée des griffes d’un dragon. Le conte le plus merveilleux d’entre tous, celui pour lequel chaque héros en appelait aux Ancêtres, afin de ne pas échouer ! La mission ultime !
Ulrich sut que, plus que jamais, c’était son heure. Sa prophétie l’avait béni en ce jour : il écrirait sa première légende, et ce serait la plus belle ! Tout rempli de joie et de courage, il se précipita vers l’ennemi, son arme fièrement dressée entre ses mains assurées. Il poussa un grand cri, sa bravoure rivée vers le point d’où naissaient les filaments, le coeur du mal… Le garçon derrière lui dit quelque chose qu’il ne comprit pas…





- … Ulrich ? Hé, Ulrich, tu m’entends ?!

Quelque chose tira Ulrich des ténèbres. Une voix, surplombant son esprit, cherchait à le ramener vers une étrange lumière. Son esprit mit du temps à comprendre, comme s’il était extirpé d’un rêve trop long. Puis il ouvrit les yeux.

Au-dessus de lui, un Jérémie à la mine inquiète touchait son front. Il parut se détendre quand Ulrich croisa son regard. Le jeune garçon sentit alors qu’il était étendu sur un sol douloureusement froid. Autour de lui, la chambre de son ami était un véritable chaos : des claviers et des disques-durs gisaient au pied de l’étagère arrachée du mur, ne tenant plus que par une vis miraculeuse. La porte était défoncée, le lit retourné. Dans le couloir, une Yumi tendue observait toute la scène. Ses épaules s’affaissèrent quand enfin, Ulrich se redressa.

- Que… Qu’est-ce que… ?

Il n’eut le temps de terminer sa phrase que Jérémie le serra contre lui. Son coeur battait dangereusement vite, au même rythme que son débit de parole.

- Mais enfin, qu’est-ce qui t’as pris ? Foncer vers un arc électrique avec une barre de fer ! Tu aurais pu être gravement blessé, tu aurais pu être tué ! Pourquoi tu ne m’as pas écouté, il suffisait que tu recules, Aelita allait lancer le Code Lyoko, j’allais lancer le Retour vers le passé…

Ulrich passa une main encore chamboulée dans le dos de Jérémie. Il eut un pincement au coeur. Apparemment, il avait fichu une belle frayeur à son compagnon… Petit à petit, le souvenir des dernières minutes lui revint.

- Je… J’étais en colle… Dans la cour…

Yumi soupira.

- Oui, XANA a complètement détraqué le cerveau des gens. Ils se sont tous crus dans le dernier film qu’Odd a réalisé. Encore une chance qu’il a voulu s’essayer à de la fantasy, et pas à de la romance… En tout cas, merci bien d’avoir d’abord pensé à Jérémie, ce n'est pas comme si on avait eu besoin de toi, sur Lyoko.

Ulrich lui répondit d’une mine désolée en caressant le dos de Jérémie. Ce dernier se calmait dans ses bras, et reprit, plus doucement :

- Tu t’es effondré, quand tu es entré en criant des tas de trucs bizarres. On ne pouvait pas lancer le Retour vers le passé avant de s’être assurés que le choc ne t’avait pas… Enfin, tu vois… Si on était remontés dans le temps, et que je ne t’avais pas retrouvé, je ne sais pas comment j’aurais…

Ulrich hocha la tête, puis posa sa joue sur le crâne de Jérémie. Il était épuisé. Et sa mémoire continuait de s’étoffer. Il ne sut si c’était le choc électrique ou l’afflux de souvenirs qui l’affaiblissait ainsi, mais il fit de son mieux pour apaiser le chef des Lyokoguerriers. Au fond, il était touché. Jamais il ne l’avait vu aussi secoué.

Yumi leva les yeux au ciel, puis sortit son téléphone. Elle annonça à Aelita, à l’autre bout de la conversation, qu’Ulrich allait finalement bien, et qu’elle pouvait lancer le Retour vers le passé. L’habituel dôme de lumière fondit sur la ville. Avant qu’il ne recouvre les adolescents, Ulrich retrouva son dernier souvenir. Son cœur qui s’était embrasé pour Jérémie.
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2021  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Jeu 02 Déc 2021 21:33   Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2021
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Ce n'est pas une histoire. Juste une parenthèse.


Il était six heures au clocher de l’église, dans le parc du lycée les fleurs poétisaient. Jim Moralès sortait du bureau du proviseur. Il faisait un temps fébrilement doux, comme seuls les printemps naissants savaient en faire. La perspective des futures vacances de Pâques se glissait entre les adolescents, soudain devenus de grands stratèges pour organiser des sorties et des fêtes. Ah, s’ils pouvaient mettre autant d’ardeur au loisir qu’au devoir… C’est ce que dirait sans doute monsieur Delmas, non sans un sourire en coin. Le surveillant de l’établissement, lui, préférait se réjouir de la future tranquillité qui résiderait dans les chambres et les couloirs. Plus d’ados du dessous à l’étage du dessus, plus de salle de bains sens dessus-dessous… Clairement, la vie de Jim Moralès allait être à l’endroit pendant deux semaines. Rien ne vaut la stabilité du quotidien pour avoir des jambes solides. Et avec des jambes solides, on allait loin.

Dix-huit heures passées, donc… L’heure du cours de Pencak-Silat particulier pour Ulrich Stern et Yumi Ishiyama. Non pas qu’il s’y passait des choses exceptionnelles, mais il n’y avait que ces deux-là qui venaient. Jim les suspectait de profiter de leur séance quotidienne pour régler leurs comptes sentimentaux. Rien qu’à voir leur première prise, le professeur pouvait deviner si les deux tourtereaux s’étaient pris le bec en guise d’échauffement. Le reste de la séance mettait alors en scène une suite d’arguments : on visait la tête pour dire à l’autre qu’il a été idiot, on frappait le ventre parce qu’il ne devait pas insister, on le plaquait au sol pour qu’il se taise et écoute... Quand ça arrivait, Jim laissait passer quelques écarts. L’art du dialogue est ardu, et pour Jim, il lui avait toujours semblé qu’un abcès pouvait se crever de plusieurs façons. Enfin, naturellement, sans aller trop loin. Il était là pour s’assurer que le cadre du sport soit respecté, et donne aux adolescents les moyens de se défouler correctement. Un cœur sain, dans un corps sain, dans un esprit sain.

Le professeur approchait du gymnase. Stern était à la porte. Cinq minutes d’avance. Il n’avait donc pas traîné des pieds pour venir… Ce serait peut-être une journée calme, finalement. À l’autre bout du chemin reliant le parc au gymnase, Ishiyama apparut. Comme chaque soir, Ulrich l’attendait, elle lui sourit.

- Il faudrait que je lui parle, à tout prix… Marmonna Ulrich, son propre sourire contenu virant au rictus.

Le cœur de Jim s’alourdit un peu. Ce pauvre garçon, depuis le temps que leur parade durait… Viendrait-il seulement, ce jour où enfin, il n’y aura plus rien à dire, juste à vivre ? C’était comme la dernière chamaillerie entre Ulrich et Yumi ; une histoire futile sur laquelle un adolescent jouerait sa vie, quelque du genre « tu es allé voir Jérémie avant moi alors que j’avais besoin de toi plus que lui »… Le pauvre gars a sorti une tête à faire peur à une happy ending. Les mêmes yeux exorbités que si Yumi lui avait donné un coup sur la tête. Il avait dû cogiter depuis, car ce soir il avait le sourire maladroitement radieux des jours où tout roule, et pas vers une centrale nucléaire…

Bref. Peut-être que leur séance de sport permettrait d’apporter de la légèreté au petit couple, un instant de respiration dans un quotidien si…

- Ah… Désolée monsieur Jim, Ulrich, mais je vais devoir vous fausser compagnie pour ce soir… J’ai répétition de théâtre, j’ai promis d’aider les 3ème avec la pièce de fin d’année…

Que… Que, que, quoi ? Pardon ? Mais qui… Qui osait se mettre en travers de l’amour ?

- Minute papillon, et pourquoi Stern il n’y est pas, à vot’répétition, alors ?

Le jeune homme haussa les épaules, soudain maussade.

- J’suis en 3ème allégée, m’sieur, alors…

Allégée, allégée, il s’en ficherait, des allégées ! C’est pas ça qui allait rendre le cœur d’Ulrich moins lourd ! Si encore il avait pu rejoindre Yumi, leur rencontre aurait quand même eu lieu, mais là…

- Et qui se permet de dire à ma place que le sport n’est pas si important ?
- Euh... Monsieur Chardin. C’est lui qui gère le programme de théâtre. Il nous fait jouer Antigone cette année, et il a beaucoup de projets pour la mise en…
- Oui bon, Ishiyama, je vois le tableau, pas la peine de me le peindre sur tous les tons. Figurez-vous que j’ai moi-même failli être une star à l’opéra de Moscou, quand j’étais jeune… Mais l’appel du disco est difficile à marier avec les relevés et les pointes, croyez-le bien… Enfin, bref, je préfère aller en parler avec monsieur Chardin. Je vais lui dire ma façon de penser !

Ni une, ni deux, Jim planta ses deux protégés et retourna vers le lycée. Oh, oui, il l’allait l’entendre, le Picasso de l’Éducation Nationale ! Empêcher ainsi les amours de tourner en rond… Plus il avançait, plus il serrait les poings, et moins le sport devenait la préoccupation du professeur de sport. C’était… C’était une question d’éthique, bon sang ! Gustave ne pouvait pas partir du principe que le monde serait constamment disponible pour lui ! Il pouvait bien laisser ses élèves, pour un soir, faire autre chose que d’ânonner bêtement des banalités répétées à travers tous les courants artistiques de l’Histoire, à peine plus joliment d’un siècle à l’autre ! Et qu’on ne lui fasse pas croire que monsieur Chardin, monsieur qu’est-ce-que-la-vérité, monsieur manque-de-moyen face au cri d’amour d’un personnage écorché vif, porte vraiment le théâtre académique dans son estime…

Il n’eut aucun mal à trouver le lieu de l’offense. La salle de spectacle était un sac de poudres ; on se chamaillait pour un costume, on réclamait un changement de rôle, on voulait rediscuter telle ligne… Une cacophonie infernale, loin de la brise du parc et de la chaleur des soirs avant les vacances. Loin du silence qui gouvernait cette pièce, quand elle n’était pas hantée par des tragédies stupides…

Jim partit à la recherche de Chardin. Sa haine du temple de l’art grandissait à chaque pas. Il détestait cette foutue planche de bois, qui craquait obstinément depuis vingt-cinq ans. Il détestait ce rayon de soleil qui passait à travers des rideaux insuffisamment opaques, dont le seul élément fiable était la date des étiquettes, 1979. Il détestait ces chaises trop rigides, aux rembourrages éventrés de mots d’amour, le premier étant d’un certain 6 avril. Il détestait ses mains, qui se souvenait encore de l’opinel paternel qui lui avait servi à commettre ce délit. Et il n’aurait certainement pas franchi le pas s’il n’y avait pas la détestable présence, condamnable entre toutes, de ce fantôme errant sur la scène, allant de gauche à droite comme s’il était né sur ces planches lumineuses, agitant de toute sa conviction les bras et les mots, comme s’il avait changé de réalité en montant les trois petites marches qui le surélevait de la plèbe…

- Eh, toi, là, espèce de saboteur !

Une touffe de cheveux gris chaotiques lui répondit en émergeant d’un carton de décors décolorés, suivie de la figure dessinée au couteau de Gustave Chardin. Le professeur d’art adressa d’abord un regard noir à quiconque l’avait extirpé de sa mission créatrice, puis il reconnut le malotru. Il gronda du regard.

- À moins que tu ne veuilles rendre hommage à Sophocle, je n’ai pas besoin d’aide, Jim.
- Tu savais qu’Ishiyama avait sport ce soir, tu aurais pu la dispenser !
- Elle fera tout autant d’exercice en nous aidant ici. Et, au moins, elle pourra également entraîner son esprit, en plus de ses muscles. La plupart des gens peuvent faire les deux à la fois, tu sais.

Jim sentit la moutarde lui monter au nez et y tourner court. Parce que bien naturellement, le Pencak-Silat bloque toute capacité de réflexion, hm ? Il n’y a pas besoin de cellules grises pour devenir ceinture noire, hm ? De toute façon, Gustave n’avait jamais rien compris. Même à l’époque.

Soudain, la porte du gymnase claqua. Un Odd Della Robbia particulièrement inspiré agitait ses bras dans tous les sens face à un Christophe M’Bala qui, malgré une moue dubitative assez convaincante, ne pouvait dissimuler une pointe d’amusement.

- Allons, Chris, ce n’est pourtant pas compliqué à jouer, comme rôle ! C’est comme si... Comme si tu lui disais des mots bleus…
- Si tu ajoutes « ceux qu’on dit avec les yeux », je te jure que je demande à Chardin si je peux choisir sur quelle musique on répétera, la prochaine fois.

Ça n’avait duré qu’un instant, mais Jim n’avait pas pu le louper. Alors que les deux adolescents continuaient à se chamailler en direction des cartons de luminaires, Gustave avait piqué un fard avant de jeter un regard en biais vers Jim. Et alors que le professeur d’art avait un léger rouge aux joues, le surveillant de l’école commença à voir de la même couleur. En plus vif.

- Vous répétez en musique ? Tenta-t-il, aussi poliment qu’il le pouvait.

Gustave fit mine d’être fasciné par un tas de chiffon maladroitement assemblé en haillons. Le cœur de Jim fut piqué. De toutes les chansons… Cette chanson… Il y en avait plein d’autres, mais celle-là… Ce n’était pas une coïncidence. L’évitement soudain du professeur d’art le prouvait. Jim n’en revenait pas, il ne pouvait pas y croire ! Il avait osé ! Et maintenant, lui aussi l’entendait fuser dans l’immense pièce, comme s’il venait de remonter le temps et qu’il n’y avait que lui, et l’autre, à se laisser entraîner par les rimes sans la moindre raison. Ça ne devait pourtant pas sortir de ces murs, ça ne devait pourtant ne jamais être associable à eux… Mais le pire, le pire, c’est que maintenant, Jim allait devoir confirmer le bien-fondé de son indignation grandissante, et lui trouver une explication ! Car oui, il avait moins peur du fait que de ses conséquences. Comme quand, adolescent transi, il était à la place de Della Robbia, il y a vingt-cinq ans, et avait fait la même entrée enthousiaste dans la salle de spectacle, avec un certain quelqu’un dans le rôle de M’Bala.

Un certain quelqu’un qui, déjà à l’époque, avait le goût des taquineries et de l’art qui cache son vrai sens avec la même subtilité qu’un tas de poussière sous un tapis.

- Ne me dis pas que…
- Quoi ?
- Gustave, je croyais qu’on avait été clairs…
- Parfois, l’art s’inspire de la vie, je ne vois pas ce qu’il y a de si grave…
- Garde tes théories. C’est aussi arrivé dans ma vie, et je tiens à ce que ça reste au passé.
- Je ne suis pas en train de revenir sur notre parole, c’est juste une foutue chanson...

Il ne manquerait plus que ça. Surtout qu’ils étaient d’accord. La main de Gustave n’avait pas eu besoin d’être forcée pour s’éloigner de celle de Jim. Il. Était. D’accord. Et c’est sans doute ça que l’ancien adolescent transi avait eu le plus de mal à ravaler quand ils avaient dû se séparer, avant même d’avoir pu définir ce qui leur était arrivé.

Après que l’accord eut été scellé, Jim s’était noyé dans les théories et les analyses. Le temps aidant, il les avait enchaînées jusqu’à s’en faire un collier. D’abord, il s’était dit que ce n’était qu’une errance. Un moment d’absence parmi tant d’autres, sans plus de valeur qu’une bousculade dans le métro. Un contact entre deux personnes qui auraient dû se contenter de s’ignorer. Partant de l’absence, il s’était alors raccroché à l’idée que finalement, il n’avait peut-être été qu’un passe-temps pour Gustave, une ombre pour occuper des draps trop vides. Jim y perdait en dignité, mais il ne pouvait reprocher à l’autre d’avoir été le seul à en profiter. Quand cette perspective est devenue insoutenable, il est alors passé au pire des points de vue : la tragédie romantique. Il alignait les fantasmes contre un mur, convaincu de pouvoir les abattre rien qu’en y pensant, mais quand il brandissait l’arme, elle n’était jamais chargée. Il n’avait aucune raison valable de contredire cette idée. Il s’était alors dit que c’était une preuve qu’elle était exacte. Le fait est qu’une bonne théorie doit en réalité être critiquable. Il ne pouvait rejeter sa nouvelle thèse parce qu’il ne pouvait non plus la prouver. Ce n’était qu’un vide confortable, mais dangereux. Et avant qu’il n’ait pu s’en rendre compte, il s’y était enfoncé profondément. Tout lui avait paru inéluctable poussière. À quoi bon faire battre son coeur s’il ne peut entendre que son propre écho ? L’espoir de paraître héroïque en endurant en silence lui avait sauvé un peu d’orgueil. Mais il n’était pas seul à se taire. Sans doute le seul à souffrir, quand il voyait les sourires radieux de l’autre. Il lui vint alors la seule évidence de ce chaos : il était en réalité stupide. Pitoyablement idiot. Confondant de crétinerie. À dégoûter les plus convaincus par l’amour. Ce qu’il faisait n’était pas de l’héroïsme, mais du déni. C’était préférer les abysses au bon sens. Il était juste atrocement, détestablement faible. Son seul réconfort était qu’il était le seul à le savoir. Vint alors l’ultime épiphanie, celle qui allait tenir lieu de fermoir au collier des théories : il serait seul. À savoir, à ressentir, à souffrir. Mais c’était ce qui pouvait lui arriver de mieux. C’était ce qui garantissait le secret que Jim et Gustave avaient promis de garder, pour leurs familles à l’époque, pour leurs futures amours, et un peu pour leur chagrin de devoir se torpiller en connaissance de cause. Ça ne devait être rien d’autre qu’un égarement, une honteuse parenthèse, un complexe dont ils ne se déferaient jamais, faute d’être adolescents à la bonne époque. Le coffret où Jim avait enfermé le souvenir était solide. Rien ne pourrait en sortir, rien ne pourrait en être tiré. Il ne contiendrait qu’un instant inutile, et de ce fait parfaitement oubliable. Parler lui semblait ridicule.

Chaque jour s’élançait, puis se reculait.

Jim s’était réparé. Le remède avait été plus douloureux que le mal, mais il l’avait fait. Et aujourd’hui, au bout de vingt-cinq ans d’évitements entre les deux hommes, l’autre partie voulait jouer à nouveau ? Oui, ce n’était qu’une petite chanson, mais elle passait en fond, le jour où tout s’était noué. Pour Jim, comme pour Gustave selon toute logique, elle était irrémédiablement liée à ce jour, à cette heure, à ces minutes…

Peut-être que Jim n’était pas encore totalement réparé, dans le fond. Mais il aurait préféré ne jamais se poser la question. Ce n’était pas parce que Gustave n’avait jamais réussi qu’il devait entraîner les plus solides dans sa chute ! Il ne lui déroberait pas son coffret de secrets !

- Alors, pourquoi ils répètent sur cette chanson ? Ne me dis pas qu’elle vient des élèves… Elle n’est pas des Subdigitals, alors…
- Peut-être que tu devrais faire confiance aux gens. Ils sont sans doute moins idiots que tu ne le crois.

Ben voyons. Jim voulut insister. Mais Gustave n’allait sans doute pas rentrer dans son jeu. Devant une phrase inutile, il répondrait tout aussi idiotement. Mais quoi que dirait Jim, il risquerait de briser l’instant déjà fragile qui craquait sous leurs pieds. Il brûlait si ardemment sous des feux contradictoires que, peut-être, l’enfer s’ouvrait déjà sous lui…

Foutu pour foutu, il invoquerait ce souvenir qui les menaçait encore. Il l’appellerait sans le nommer, cependant. Pas question de lui donner plus de consistance encore.

- Je suis peut-être démodé, Gustave, mais je crois en les leçons du passé. Tu crois sincèrement que ça aurait mené quelque part ?

Gustave leva des yeux incrédules, comme si Jim l’avait frappé en plein ventre au beau milieu d’une conversation normale. Il le fixa quelques secondes, puis l’instant d’après vint une pointe de colère passer dans le ciel.

- Non. Pourquoi, tu as changé d’avis ?
- Ce n’est pas ce que j’ai dit !

Une bourrasque claqua contre les vitres. L’une d’elle s’ouvrit violemment, en repoussant les vieux rideaux quasi transparents. Les deux hommes sursautèrent. Après quelques battements de cœur en accéléré, Jim se tourna vers Gustave, bien déterminé à continuer sa tirade. Mais le professeur d’arts avait toujours les yeux rivés vers la fenêtre, un léger sourire sur les lèvres.

- Un vent d’hiver souffle en avril… Déjà, à l’époque, on disait qu’il n’y avait plus de saisons. Que rien ne durait. Mais toi, tu étais déjà ce roc de certitudes, que tu es encore aujourd’hui.
- Écoute…
- J’aime notre silence immobile, Jim. Je ne dis pas que je n’ai jamais souhaité qu’on remette le couvert. Je ne prétendrai jamais que je regrette. Et je ne peux promettre que si tu me proposais d’essayer maintenant, j’aurais la solidité nécessaire pour refuser…

- … Mais à jouer avec les braises, on brûle des temples. Mon « non » avait la même valeur qu’un « oui », dans la santé comme dans la maladie. Si tu veux laisser les flammes dévorer notre promesse en espérant qu’il en naîtra quelque chose, alors je te le dis : ça ne tourne pas rond chez toi, et moi je devrais me détourner.
- je me le suis répété pendant plus de deux décennies. Sans interruption, à chaque fois qu’une ombre te ressemblait un peu trop. Le temps a fini par passer, Jim. Je n’ai plus rien à tirer d’un stupide et vieux regret. Je veux que ça devienne autre chose. Je ne veux plus voir ça comme un monstre à terrasser, mais comme un inconnu à comprendre, pour qu’il devienne un compagnon avec qui cohabiter. Je ne veux pas devenir une menace, mais j’ai cessé de croire que revenir, seul, sur notre échec serait pire que de se murer dans la solitude.

Gustave laissa ses yeux voler vers la cour du lycée quelques instants. Ils allaient au-delà des arbres et des lampadaires, vers une époque où tout était différent.

- Il n’y a plus d’horloge, plus de clochers. Dans les squares, les arbres sont couchés.
- C’est vrai. Bientôt, il n’y aura plus rien pour cacher la forêt, concéda Jim dans un sourire.
- Oh, on ne sera plus là avant que ça arrive. Et on aura assez de bois autour de nous pour cacher tous nos secrets.
- Gustave… Soupira Jim. Écoute, je ne voulais pas…
- Tu ne voulais pas quoi ? De quoi tu as eu peur ? Ce n’est qu’une innocente chanson, pour la plupart des gens. Oh, il y en a sans doute, de par le monde, qui l’ont ajoutée à la bande-son de leur vie. Mais pour ces gamins, elle n’est qu’un air vieillot que leurs parents écoutaient. Et il n’y a que nous dans notre secret. Je n’ai jamais parlé, tu n’as jamais parlé. Comment veux-tu que qui que ce soit nous perce à jour, avec seulement deux couplets et deux refrains ? Et puis… C’est toi qui restes ici, à me parler de tout ça, au lieu de te « détourner immédiatement ».
- Si je l’avais mise en fond sonore pour mes cours de sport, tu n’aurais pas essayé d’empoisonner mon déjeuner avec de l’aquarelle, peut-être ?
- Quoi, cette chanson pendant un 100 mètres et avec une meute d’adolescents en plein émois ? Ce serait aussi dramatique qu’une pub pour croquettes canines.

Jim rit à nouveau. La tension redescendait. Et, en même temps, sans la colère pour occuper son esprit, il recommençait à réfléchir. Gustave avait raison, c’était lui qui déterrait un squelette, et même pas pour le remettre dans le placard. Mais il faudrait bien que Gustave comprenne. À tout prix.

- Bon, si tu me dis que tu n’avais pas d’arrière-pensées…
- Ce serait plutôt toi qui aurais besoin de me le prouver. Pour qu’un simple air te mette dans de pareils états, c’est peut-être que le roc de certitudes s’est effrité avec le temps.
- Je voulais juste être sûr…

Jim s’interrompit. Toutes les excuses que l’on donne sont comme les baisers que l’on vole. Après qu’on les a accordés, on se demande ce que ça dit de nous. Qu’on ait regretté ? Qu’il y ait eu matière à excuse ? Ou qu’on ait jugé nécessaire de s’excuser ? Jim se demandait encore ce qui se serait passé, si son « non » avait été un « oui ». Ou juste un « peut-être ». Mais il ne faisait pas partie du monde où ça avait eu lieu. Lui, il portait le collier des théories et était le seul à le sentir peser sur son cou. Pire, il l’avait si bien fermé que même à présent, même à une époque où une pareille idylle serait acceptée, même à des âges où ils seraient sans doute plus préparés… Il ne pourrait pas le défaire. C’était sans doute pour ça que ça le hantait. Parce qu’il avait fermé une porte sans même chercher à savoir ce qu’il y avait derrière.

Jim baissa les épaules. Ce n’était pas à Gustave de payer pour ses vides existentiels. Et il ne lui incombait pas non plus de consoler celui qui était venu sans prévenir remuer le passé en se croyant le plus fort. Dans le fond, il était juste un imbécile, avec un esprit faible et un cœur idiot. Ce qui justifiait largement que Gustave ait consenti au « non », il y a vingt-cinq ans. Jim ne l’aurait jamais mérité de toute façon. Ils auraient été fantasques à deux, mais le professeur d’art portait ce costume mieux que lui. Avec infiniment plus de stabilité.

Bon sang, Gustave était meilleur que lui à leur jeu. La preuve, il avait atteint le stade du souvenir douloureux où il pouvait le transformer en autre chose. Il avait fait sa vie avec ça, et pas autour.

Pour Jim, il restait une rancœur subtile. Il n’avait pas fini de lutter contre. Il se refusa d’imaginer qu’il ne ferait que combattre à partir de maintenant, comme si deux adolescents maladroits habitaient son cœur. Il devait battre en retraite.

- Je voulais juste en être sûr. Bon, puisque le cours de Pencak-Silat est annulé ce soir, je vais aller courir. Profiter du parc et cogiter un peu. Même à moi, ça arrive de faire les deux en même temps.

Une pointe d’inquiétude passa dans les yeux de Gustave. Jim fit mine de pas l’avoir remarqué, et tourna les talons.

- Hé… Ma répétition se terminera sans doute tard, mais demain soir, si tu as envie de discuter… Ce n’est pas comme si tu pouvais le faire avec quelqu’un d’autre…
- C’est gentil, mais demain, il y aura Pencak-Silat.
- Un samedi ?
- La discipline des champions ne connaît pas les week-ends, Gustave.
- … Bon. Tu sais où me trouver.

Jim haussa les épaules. Puis il s’empressa de sourire en retour. Sa honte le poussait vers la sortie. Il repassa par les chaises vandalisées, les rideaux datés et les planches décollées, comme un disque qu’on rembobine. Il allait passer la nuit à réentendre cette foutue chanson. En repeat dans sa tête. Il ne courrait jamais assez de kilomètres pour la distancer.

- … Et moi je te dis que je t’en ferai un remix. Imagine, en disco, ça te tenterait pas ?
- Non, et toujours non. C’est pas la musique le problème, c’est les paroles. C’est pas mielleux, c’est carrément toute la ruche.
- Oh, allez… Et si je te la chante avec les yeux ?
- … Tu ne connais que le refrain, pas vrai ?
- C’est la meilleure partie ! Oublie la partie où le mec n’est pas fichu de dire ce qu’il a sur le cœur, ça a déjà été trop raconté, ça ! Et y a que les nuls qui ne disent jamais « je t’aime ».
- C’est pour ça que tu es le meilleur, je suppose ?

Jim se retourna. Derrière les costumes, Della Robbia et M’Bala se chamaillaient toujours joyeusement. Le premier tentait ridiculement de roucouler le refrain devant le second, tout à fait attendri. Le surveillant resta à les observer quelques instants. Amusant comme, au même âge, Gustave et lui avaient pris cette chanson plus au sérieux… C’était peut-être ça, le secret des romances les plus viables et les plus intéressantes. Une liberté de ton pour se moquer des mots d’amour. Ce n’était pas quelque chose que Jim avait pu saisir. Rien n’était jamais une blague avec lui. Tout était une décision vitale, ou un instant de gloire. Même ses échecs. Surtout ses échecs.

Mais l’idée que ce n’était que lui, et pas le monde tout entier qui s’était condamné à une inextricable tragédie, le consola un peu. L’idée qu’il emporterait son tourment dans la tombe releva son humeur. Il était totalement seul sur son chemin. Après lui, il ne serait plus. Les chansons d’amour revivaient déjà sous d’autres cieux, chantées avec d’autres notes.

L’air frais se glissa dans les cheveux de Jim. La nuit avait déjà coloré le ciel en un bleu plus foncé, plus mystérieux. La rumeur de la ville bruissait au loin. On se taisait lentement dans le lycée ; c’était l’heure où tout ce qui ne devait pas voir la lumière du jour pouvait enfin sortir. Il y aurait sans doute quelques élèves à séparer dans les dortoirs, quelques disputes à désamorcer, peut-être des cœurs brisés à ramasser. Pour l’heure, le dîner allait bientôt être annoncé. Jim avait une petite heure devant lui. La piste de course qui serpentait à travers les arbres n’attendait plus que lui. Tout en commençant à s’étirer, il fouilla ses poches à la recherche de ses écouteurs. Il inspira, expira. Il était seul sur sa route. C’était ce qu’il avait promis à Gustave. Et il avait tenu sa promesse. Gustave n’avait pas l’air malheureux. Et les romances n’étaient pas mortes dans leur sillage. Si c’était le seul réconfort qu’il pouvait tirer de tout ça, il en profiterait pour le reste de ses jours. Il continuerait à voir l’amour se nouer et se dénouer autour de lui. Il serait témoin du chant des éternelles chansons, modulées par les gens et le temps. Et, un jour peut-être, il pourrait aussi faire quelque chose de la douleur lancinante qui siégeait dans son cœur. Réparer ceux des autres… C’était déjà ce qu’il faisait, en quelque sorte. Leur apprendre que ça passerait.

Demain, ça sera plus facile qu’hier.
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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 08 Déc 2020 19:07   Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020
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Okay. Bon. Normalement, tout était prêt, cette fois.

Yumi respira un grand coup. Elle réajusta les draps pour la troisième fois, se retint de les changer pour la quatrième, contint l’envie de tout annuler pour la cinquième. Elle n’appela pas non plus Aelita. Elle lui dirait seulement que tout allait bien se passer, que Yumi était une reine et qu’il ne lui résisterait pas. Enfin, elle le lui répéterait. Pour la sixième fois.

Mais son amie avait raison. Elle avait choisi cette chemise noire parce qu’elle complimentait ses hanches, et parce que le bleu de sodalite des boutons allait bien avec les reflets dans ses cheveux et le jean slim qu’elle avait déjà dans son placard (et qui lui faisait les meilleures cuisses). La ceinture en perles, c’était un ajout d’Aelita et Odd. « Ton thème couleur, c’est de n’en avoir aucun », avait souligné Odd, au moment où Yumi s’était demandé ce qu’il venait faire dans cette histoire, « D’accord, on ne bouscule pas trop vite les habitudes, mais tout de même ». Au moins, il fallait reconnaître à ses deux stylistes d’un soir un certain œil. L’ensemble était cohérent, et plutôt désigné pour une soirée à deux.

Ses parents ne rentreraient pas avant le lendemain. Après-midi. La marge parfaite, au cas où tout se passerait bien. Et si tout se passait mal, ça lui laisserait tout le temps de rappeler Aelita et de s’épancher. Elle avait déjà lancé la préparation de ce qui devait déjà l’être, l’odeur qui émanait de la cuisine était plutôt rassurante, et elle n’avait rien choisi qui ne sente plus fort qu’un délicat parfum de rose qu’elle s’était choisie. Rien non plus qui s’accrocherait aux vêtements, aux cheveux, ou à l’haleine. Et grâce à l’aide ses amis internes, elle avait pu vérifier que le menu lui plairait. Pour la musique, elle avait préféré miser sur un large éventail de choix. Impliquer un invité dans la soirée était une bonne façon de démarrer une conversation. Si on préparait tout à l’extrême, on était plus un hôte mais un serveur ou une mère de famille en période de fêtes. Et personne n’adresse jamais la parole à l’un ou l’autre pendant le repas, dans la mesure où ils ne s’assoient jamais. De toute façon, pas question de renvoyer l’image de l’un ou de…

Oh bon sang, mais de quoi elle parlait ?

DING DONG !

Oh bon sang. OH BON SANG.

Respire. S’il y a un moment pour respirer, c’est maintenant. Oh bon sang, c’était la première fois qu’elle faisait un truc pareil, est-ce qu’elle avait oublié quelque chose, et pourquoi est-ce qu’elle a cru que ça pourrait bien se passer, les films à l’eau de rose de sa mère lui avaient menti, c’est sûr, elle aurait dû écouter les films catastrophe d’Hiroki…

Bon. Ce n’était pas comme si elle pouvait encore reculer, n’est-ce pas ?

Avec toute la bravoure que des années à s’engouffrer dans un scanner lui avaient inculquée, elle se dirigea vers la porte et l’ouvrit en grand.

— Salut Yumi ! Je n’arrive pas trop en retard ?
— Christophe ! Non, pile à temps, entre !

Parfait. Il était parfait. Et d’une parfaite décontraction. Comment faisait-il ?

En fait, il ne faisait pas tout court. Autant il n’oublia pas d’ôter ses chaussures à l’entrée, autant il manqua de trébucher en prenant appui sur le chambranle de la porte. Ils eurent un petit rire ensemble. Il était parfait.

— Je dois t’avouer, Yumi, je ne m’attendais pas à une invitation si tôt… Commença-t-il alors que son hôte accrochait son manteau dans le placard de l’entrée.
— Je crois que j’en avais besoin, soupira cette dernière. Enfin, nous deux, je suppose. Moi, après Ulrich, et toi…

Christophe sourit doucement. Sa rupture avec Anaïs avait été… Explosive. Milly et Tamiya avait rajouté de l’huile sur les cendres encore brûlantes, dès le lendemain, avec un gros titre racoleur comme rarement les Échos de Kadic n’en avaient connus. C’était après un cours, quand Christophe s’était senti mal en plein exposé de groupe, que Yumi et lui avaient discuté pour la première fois d’autre chose que du dernier contrôle de madame Hertz. Leurs situations respectives, plutôt ressemblantes dans la mesure où Ulrich avait déjà fait échouer trois de leurs missions parce qu’il épargnait un des Ninjas envoyés par Tyron (et Yumi pouvait en jurer, ce malotru le ou la matait !) ; la ligne rouge avait été franchie quand il avait préféré aller sauver l’ennemi plutôt que d’éviter à Yumi un tir de Mégatank qui l’avait tranchée horizontalement. Le comble de l’humiliation. Elle n’avait même pas eu le temps de sauter pour éviter le tir, persuadée qu’elle aurait pu compter sur son camarade pour la couvrir pendant qu’elle était déjà occupée avec un nid de Frelions. A partir de là, même le « Copain et puis c’est tout » s’en était sorti sérieusement compromis. Bref, elle aussi en avait gros sur la conscience, comme Christophe. Ils s’étaient donc rapidement compris, et les mois passants, s’étaient même trouvés beaucoup de points communs. Et les voilà, tous les deux assez solides dans leurs cœurs pour se jeter dans le grand bain. Le premier rendez-vous hors des angles morts et petites planques d’amoureux du lycée.

Yumi sourit. Ça se passerait bien. Elle avait tout prévu, et pour le reste, Christophe était un garçon adorable et compréhensif. Ça se passerait bien.

Et ça se passa bien. Christophe avait même ramené de l’apéritif et un peu de dessert, ce qui permit à Yumi de cacher qu’elle avait complètement oublié de préchauffer le four, rendant cette partie du menu un peu périlleuse à organiser. La conversation coulait si naturellement entre eux qu’elle n’eut même pas besoin de s’attarder sur son choix de musique. Et finalement, la fin du dîner arriva rapidement.

— Voilà, c’est ma chambre, annonça Yumi en ouvrant la porte de son repaire.

C’était la première fois qu’elle y invitait un rencart, ça se voyait probablement et Christophe eut la politesse de ne pas le faire remarquer. Il sourit en regardant autour de lui.

— Classe, la déco ! Oh, je connais cette peluche !

Mimi, une sorte de nounours un peu dépareillé. Premier cadeau du premier rendez-vous. Improvisé par Christophe qui avait oublié qu’ils étaient un jour férié, et que donc aucun magasin n’était ouvert. Yumi avait tout de même été touchée par le geste. Surtout que, par la suite, elle avait appris qu’il s’agissait d’une des peluches d’enfance de Christophe. Yumi l’avait mis en évidence pour donner un ton plus « couple » à sa chambre. Une sorte de signal subliminal, comme l’avait appelé Odd.

Yumi invita Christophe à s’asseoir. Il le fit très poliment, sans quitter Yumi des yeux ou abaisser son sourire. Ils savaient tous les deux vers quoi cette soirée allait se diriger. Ils en avaient déjà un peu parlé, ils s’étaient longuement épanchés sur leur impatience d’avoir enfin un endroit garanti discret et confortable, et s’étaient perdus en imagination sur ce qu’ils y feraient. Tout en étant conscients que ça ne se passerait probablement pas aussi bien que dans leurs rêves. Mais que l’important, c’était de prendre son temps. Ils n’iraient peut-être pas au bout ce soir, mais quelle importance ? Ils étaient tous les deux.
Leurs mains se trouvèrent. Leurs lèvres se joignirent. Tout doucement, comme on pose le bout de la langue sur le calice avant de goûter le vin. Puis une caresse trouva le chemin d’une nuque, d’une clavicule. Lentement, patiemment. Pour dessiner le contour des muscles, pour prendre le temps de découvrir la chair et de l’inviter contre la sienne. Yumi sentit les doigts de Christophe passer dans son dos et chercher le bord de la chemise…

… Et soudain ils étaient allongés sur le lit, leurs sourires l’un contre l’autre. Yumi ne se souvenait plus quand elle avait déboutonné sa chemise, mais la chaleur de la main de son amant l’étourdissait trop pour y réfléchir. Elle répondit en retraçant, de la caresse subtile d’un ongle, les fins abdos de Christophe, soulevant suggestivement son T-shirt…

… Et soudain, il ne l’avait plus. À nouveau, Yumi ne se souvenait pas de l’avoir enlevé. Ni même de s’être mise à quatre pattes, au-dessus de Christophe, pour lui embrasser le torse…

… Et soudain, c’était lui qui était sur elle, la regardant avec des grands yeux. Elle le lui rendit. Il rit.

— Yumi ? Je te fais perdre la tête à ce point ?
— Apparemment, oui… Répondit-elle, un peu perdue.
— Je prends ça pour un compliment ! Et donc, ça ne te dérangerait pas ?
— Je… Tu peux répéter la quest…

… Et soudain, elle n’avait plus de soutien-gorge. A la place, il y avait les mains de Christophe. Elle sursauta.

— Oh, j’ai touché un point sensible ? Roucoula l’adolescent en suçotant l’oreille de Yumi.
— Euh… Haha, il semblerait… Mais j’ai d’autres surprises pour toi ! Tu m’attends ici, je vais me préparer…
— Eh bien, tu avais vraiment tout prévu ! Sourit Christophe en basculant sur le côté. Soit, je t’attends sagement !

Yumi se releva et fila vers le salon. Elle avait laissé son téléphone là-bas, pour la cuisine, elle pourrait en jurer… Bingo. Toujours sur le minuteur. Elle passa au répertoire à toute vitesse…

… Et soudain, Jérémie se plaignait au bout du fil. Une critique acerbe sur le manque de réactivité d’Ulrich se perdit. Il s’interrompit brutalement.

— Je… Mais pourquoi je dis ça ? Et… Qui est au téléphone ?
— Euh… Moi, Yumi. Je voulais t’appeler il y a deux secondes, qu’est-ce que…
— Moi, j’étais en route pour l’Usine, il se passait des choses étranges… Comme si le temps…

… Et soudain, Jérémie pesta contre Ulrich en l’envoyant en salle des scanners. Yumi était en train de faire les cent pas, exaspérée. Sans savoir pourquoi. A l’autre bout de la ligne, Jérémie et Ulrich se turent en plein échange de politesses.

— … Ça l’a refait, hein ? On a encore avancé dans le temps ? Maugréa Ulrich assez fort pour que Yumi l’entende.
— A proprement parler, c’est XANA qui détourne le Retour Vers le Passé et applique des pistes cohérentes de futurs en modifiant notre mémoire. Par chance, notre sauvegarde dans le Supercalculateur doit sans doute nous permettre de nous en rendre compte… Je crois qu’il anesthésie notre mémoire pendant quelques minutes, et prend le contrôle de notre cerveau pour nous faire artificiellement avancer de…
— Oui bon Einstein, tu le sais, depuis le temps, qu’on ne comprend rien à ce que tu dis. Dis-moi où sont Aelita et Odd, et…

… Et soudain, Yumi était devant la porte de sa chambre, portait maintenant une nuisette, et n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle devait faire. D’après sa tenue, certainement pas aller à l’Usine. Jérémie ne lui avait tout de même pas dit de continuer son rencart comme si de rien n’était, alors que le monde fait des bonds dans le futur ?

Bon, ce n’était pas comme si elle avait une meilleure idée… Elle soupira, tenta de se donner une contenance, et ouvrit la porte.

— Je suis de retour, minauda-t-elle du mieux qu’elle put.

Fort heureusement, Christophe continua d’être un exemple de délicatesse, et se leva pour la rejoindre ?

— Aaah, oui, tu sors vraiment le grand jeu !
— C’est que c’est notre premier soir, je veux que tout soit…


… Et soudain, Yumi était au téléphone, en train de se retenir à grand peine de hurler. Au bout du fil, à nouveau Jérémie, qui par contre s’en donnait à cœur joie.

— Mais je n’y peux rien, si… Oh, encore ? Ça commence vraiment à me les briser menues…
— Où en sont les autres ? S’enquit immédiatement Yumi, devinant la concision serait leur meilleure alliée, en attendant le prochain bon dans le futur.
— Ils avancent, par chance, Lyoko est épargnée par les Retours vers le Passé, et ça a l’air d’être aussi le cas pour les Retours vers le Futur…
— Ben, qu’ils se dépêchent, je ne sais même pas quoi faire avec Christophe, moi…
— Ils seront à la Tour dans quelques instants ! Tâche de tenir bon, et…

… Et soudain, Yumi avait raccroché, et elle et son amant étaient empilés sur le canapé. Il serait bien entendu impoli de retracer les tenants et aboutissants de la situation, aussi Yumi haussa les épaules et se laissa aller entre les bras de Christophe. Au moins, ils avaient encore leurs pantalons, et son compagnon prenait son temps. Il parsemait de baisers le ventre et les côtes de son amante, ne s’arrêtant que pour lui susurrer de tendres promesses d’amour. Au moins, XANA essayait d’offrir les semblants d’une bonne soirée…

Alors que le souffle chaud de Christophe se rapprochait du bas-ventre de Yumi, dans un sourire plein de promesses, elle frémit…

… Et soudain, une lumière blanche.

— AH…

_________________________


— … NON !

Eh si. Yumi était à nouveau là, dans sa chambre, à remettre d’aplomb son lit. La soirée n’était plus qu’un souvenir. Enfin, presque ; dans quelques minutes, Christophe sonnerait à la porte, et il faudrait tout recommencer. Soit en reproduisant la première version de son rencart, lui ôtant toute spontanéité et surprise, soit en y apportant des variations et en prenant le risque que ça ne se passe moins bien.

Pourquoi n’avaient-ils pas déjà fait sauter l’Usine ?

DING DONG !

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 08 Déc 2020 19:06   Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020
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Quand Aelita ouvrit les yeux, elle était déjà en train de tomber du ciel.

Elle était partie il y a près de dix heures, et pourtant il ne semblait s’en être écoulées que deux. Le ciel au-dehors brillait toujours d’un après-midi magnifique. Comme si les saisons s’étaient suspendues en attendant que l’Ange de Lyoko repose les pieds sur Terre. C’était toujours le même bleu, le même soleil, les mêmes fins nuages. A croire qu’en fait, Aelita n’était jamais partie de chez elle.

Sur le siège d’à côté, Yumi remuait doucement. Elle commençait à émerger, elle aussi. A la différence de son amie, elle avait dormi dès le décollage. Deux semaines sans dormir, c’était trop pour elle. Chanceuse. Aelita, elle, avait appris du meilleur : quand elle était encore collégienne à Kadic, elle passait ses nuits à aider Jérémie dans ses projets pour Lyoko, alors petit à petit, elle avait partagé son incapacité à dormir tant qu’il restait quelque chose à faire. Même son mauvais sommeil récent n’y pouvait rien : son cerveau était en constant kernel panic, à moins de débrancher tout vous n’en ferez rien. Et, justement, Aelita partait à la recherche de la prise.

L’endroit d’où tout avait commencé. Avant même sa propre genèse. Un lieu qu’elle et ses amis avaient cherché pendant des années, bien après avoir vaincu XANA. Ils n’avaient tenu que trois mois avant de rallumer le Supercalculateur, le temps pour Jérémie de préparer une batterie de sécurités contre le virus. Ils n’allaient tout de même pas envoyer en l’air des années de bataille acharnée et de victoires chèrement acquises pour une quête bonus, aussi intéressante soit-elle ! De là, ils avaient retourné le monde virtuel, chaque iceberg, chaque rocher, chaque feuille, dans l’espoir d’y trouver une trace de Franz Hopper. Voire d’Anthéa, comme l’avait suggéré Ulrich un soir. Son travail en tant qu’enquêteur de police lui faisait certes voir des choses louches partout, mais il avait marqué un point, quand il avait soulevé que le manque manifeste de preuves sur la disparition d’Anthéa ouvrait le champ des possibles. Et d’un mystère, ils passèrent à deux. Leur seul avantage, c’est qu’ils pointaient tous les deux vers un seul : le projet Carthage. Celui qu’avait fui Franz, et qui lui avait coûté sa femme. Et coûté une famille à sa fille. Puisqu’ils n’avaient rien d’autre, mais qu’il fallait bien commencer quelque part, ils s’étaient concentrés là-dessus.

— Aelita ? On sort ?

La jeune femme leva les yeux. Elle ne se souvenait pas d’avoir mis sa ceinture. Conséquence probable de ses insomnies. Sa mémoire à très court terme dysfonctionnait de plus en plus.

Qu’importe. Elle se détacha, et suivit Yumi vers la sortie. L’air dehors était terriblement pesant. Loin du froid qu’elle s’imaginait pour le Canada, même en été. Enfin, c’était Odd qui lui avait dit ça. Ses incessants voyages en tant que mannequin lui avaient fait voir du monde, et le monde tout court. Décidément, le feu du soleil suivrait Aelita jusqu’en enfer.

Les minutes passèrent dans un étrange flottement. Était-ce la fatigue, ou l’été brûlant, ou les deux à la fois, mais Aelita ne pouvait que se laisser porter par ses propres jambes, comme accrochées à Yumi par un fil invisible. Heureusement que son amie l’avait accompagnée. Sans elle, elle se serait sans doute perdue sur le tarmac. Sa guide était meilleure quand il s’agissait de garder la tête froide et de suivre les plans à la lettre. Logique, quand on est chargée évènementiel. Aelita l’enviait : si la recherche de ses origines n’avait pas brûlé ses dernières années, elle aurait suivi Yumi dans ce domaine. A la place, elle avait préféré Jérémie. Pour pouvoir continuer à l’assister dans ses travaux. Maintenant, elle lui en voulait un peu. Il voulait tellement comprendre les origines de leur fiasco qu’il avait refusé de suivre les filles à Calgary. « Il faut qu’on se divise le travail, et je suis meilleur avec un ordinateur », avait-il dit. Sans doute… Mais est-ce que ça l’avait dispensé de venir lui dire au revoir, à l’aéroport ?

Yumi fit passer les dernières procédures à Aelita avec une patience d’ange. Depuis quand s’occupait-elle des autres comme ça ? A bien y réfléchir, la mort de William avait sans doute été un déclencheur. Il n’avait pas supporté de replonger sur Lyoko, après avoir été l’esclave de XANA pendant des mois. A peine revenu en terres virtuelles que la Méduse lui avait foncé dessus. Elle l’avait torturé quelques instants, avant de finalement le relâcher. Un Krabe, qui avait échappé à l’œil de Yumi et aux fléchettes d’Odd, avait foncé sur William pour le propulser hors du plateau. Il avait été dévirtualisé juste à temps, alors que la Mer Numérique lui léchait le dos. C’était leur première plongée depuis le rallumage du Supercalculateur, et Jérémie ne s’était pas attendu à ce que des monstres aient pu subsister. Là où il avait vu une piste d’étude intéressante, William avait surtout l’impression de s’être pris un building en pleine face. Trois jours après, il était porté disparu. Encore trois jours, et on retrouvait son corps, sous le pont de l’Usine. Jérémie maintenait encore à ce jour qu’on ne pouvait exclure la thèse de l’accident. William serait sorti trop vite, il aurait glissé… Personne n’était allé contre cette théorie. Et comme la police ne savait rien de Lyoko, elle avait tiré la même conclusion. Affaire classée, page tournée. Mais un peu écornée. Depuis, Yumi était plus attentive aux autres, c’est vrai. Et Jérémie plus enfoncé dans ses recherches.

— Bon, on va chercher à manger, et déposer nos affaires à l’hôtel ? Laisse-moi juste retrouver le SMS où Odd nous conseille des adresses…

Aelita jeta son sac sur son épaule et prit sa valise. La foule filait en courants d’air dans le grand hall, mais l’air grave de Yumi la fendit jusqu’à la sortie. Pendant quelques instants, la jeune femme regarda autour d’elle. C’était son premier voyage à l’étranger (enfin, officiellement, Aelita Stones était de retour sur ses terres natales), mais elle ne s’imaginait pas retrouver les mêmes bâtiments et les mêmes passants affairés qu’en France. Seul le drapeau flottant à l’entrée de l’aéroport différait. Ah, et la chaîne de montagne, tel de massifs morceaux de papiers bleu minéral collés à même l’horizon. Et les gros titres des journaux locaux, aussi. En France, la récente éruption du mont Baker faisait certes parler, mais pas au point de détrôner le dernier scandale sexuel en date d’un ministre. Enfin, ce n’était qu’une question de temps. Car seuls les Lyoko-Guerrier savaient que l’éruption n’avait rien de naturel, et que bientôt, ce serait toute la Ceinture de feu du Pacifique qui s’embraserait. Jérémie avait repéré le pattern, mais devait encore travailler à l’arrêter avec les garçons. Dès qu’ils passaient le délai de prudence entre deux virtualisations, ils retournaient sur Lyoko. Il fallait comprendre comme XANA avait réussi à saboter le Retour vers le Passé, ou comment il avait assez d’énergie pour enchaîner les activations de tour, ou comment il pouvait retenter la même attaque, en boucle, alors que jamais il n’avait fait ça. Et, accessoirement, comment il pouvait encore leur poser problème, alors qu’ils étaient censés l’avoir vaincu il y a dix ans. Enfin, au moins il y avait une question à laquelle ils avaient déjà répondu. Pourquoi le Canada ?

Là aussi, la réponse remontait à loin. Vous avez beau tenir l’avenir du monde entre vos mains, le temps qui passe normalise beaucoup de choses. Ça y compris. Vous ne pouvez pas passer votre vie en état d’alerte constant. Aucun esprit ne resterait sain si on le compressait en continu. Alors vous vous habituez. Ça devient un peu moins stressant, un peu moins inconnu. Ça devient votre ordinaire. Et quand à ça s’ajoute que votre compteur de victoire est brillamment haut – après tout, si le monde est encore debout, c’est que vous vous débrouillez bien -, vous devenez confiants. Et si, vraiment, vous voulez aller au bout des choses, et que ce n’est jamais que la seconde fois que vous acceptez cette mission après avoir étudié à fond le sujet, et qu’il n’est cette fois pas question de se battre, vous vous dites que vous savez contrôler l’incendie, voire que vous n’aurez pas à rallumer le feu. Et puis, ce n’est pas pour rien, n’est-ce pas ? Le passé d’Aelita est lié à ce projet Carthage. Un homme aussi ambitieux et brillant que Franz Hopper n’aurait pas tout abandonné si ce qui se tramait dans cette équipe de recherches n’était pas dangereux… XANA n’était peut-être plus, mais ça ne voulait pas dire que la guerre était finie… Et s’ils n’avaient eu que le Cerbère ? Bref, des arguments pour replonger, ils en avaient trouvé beaucoup. Et peu de contre-arguments. Peut-être qu’ils n’en avaient pas vraiment cherché, quelque part. Ça remontait à trop loin pour en être sûre. Et puis, leur acharnement avait fini par payer : ils avaient trouvé la trace du projet Carthage. Une partie du groupe de chercheurs n’était plus, mais entre les survivants et les remplaçants, il avait pu survivre. Certes, il manœuvrait mezzo-voce, mais c’était pareil au chant des sirènes pour les Lyoko-Guerriers. Ils les avaient pistés, traqués jusque dans leur repaire, au Canada. La suite du plan, c’était de les infiltrer. Pour ça, il faudrait de la préparation. Le projet Carthage devait être très bien gardé. Il ne s’agirait pas de cracker une banque ; le jeu serait plus serré et exigeant, l’erreur moins pardonnante.

Alors ils avaient continué leur mission comme si c’était l’entreprise d’une vie. Mais il n’y avait eu aucun MOOC, aucun tuto YouTube, aucune présentation Powerpoint pour les préparer à un massacre aussi méthodique. Il leur avait suffi de s’enfoncer dans leur routine, telle la balle qu’ils se tiraient dans le pied. Infiltration après infiltration, la victoire leur avait paru garantie. Pire : elle leur était due. Après tout, ils sauvaient le monde, qui pourrait s’opposer à ça ?

Le fait est que pour Aelita, tout ceci avait un autre sens. En deux ans, elle était passée de la cristallisation des rêves et de l’ennui de quatre adolescents, au diamant brut qu’il fallait polir à la meule des souvenirs. Courir après le passé que Lyoko lui avait confisqué, comprendre ses origines comme Jérémie cherchait à comprendre celles du pire ennemi de la Terre. Les deux entreprises étaient liées si intimement qu’Aelita pouvait faire passer son besoin viscéral de retrouver sa mémoire pour un ultime altruisme.,.

— Yumi… Après l’hôtel, peut-on y aller, directement ? Je ne veux pas perdre de temps.

La Lyoko-Guerrière ralentit subrepticement, se mordit la lèvre inférieure. De toute évidence, elle préférait reculer le moment fatidique. Pour Yumi, aller sur les lieux, c’était rajouter des néons sur sa propre tombe, histoire qu’elle soit vraiment remarquable. Pour Aelita, c’était la tombe des autres qu’elle allait fleurir.

— Hm… Bon, comme tu préfères. Et puis, c’est vrai qu’on devra faire un peu de route.

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Yumi pesta pour la dixième fois sur la boîte de vitesse. Heureusement que là où elles allaient, les routes étaient peu empruntées, sinon il aurait fallu faire une croix sur leur entrée discrète. Depuis l’éruption, les presque mille kilomètres qui séparaient Calgary du Mont Baker se garnissaient progressivement de chercheurs ou pompiers. Encore quelques minutes, et les filles allaient devoir s’arrêter sur le bas-côté et continuer à pied. Aelita profita d’une accalmie de son amie pour tenter d’appeler Jérémie. Il avait déjà raté deux appels jusqu’à présent, mais vu le décalage horaire, il était peut-être seul à l’Usine. Quand il n’y avait personne à côté de lui pour lui rappeler que le monde réel existe et peut lui vouloir quelque chose, il pouvait parfois décrocher de la réalité à défaut de décrocher le téléphone.

A sa grande surprise, elle ne fut pas renvoyée sur répondeur. Par contre, ce n’était pas Jérémie.

— Hey, princesse… Comment ça se passe ?
— Odd ? Jérémie n’est pas là ?
— Ulrich le raccompagne chez lui. Il a besoin de dormir. Il a failli casser son clavier en s’effondrant dessus, le pauvre chaton. Je lui passerai le message, si tu veux…
— Non… Non, toi aussi, c’est très bien. De toute façon, toi et Ulrich aussi, vous devez vouloir être tenus au courant.

Un petit silence lui répondit. Vu son manque de répondant, le minibar de l’Usine devait être vide… Aelita tiqua.

— Odd, est-ce que tout va bien ?
— On fait avec, princesse. Te soucie pas de nous, va, on s’occupe du chef, et après on se fait une virée avec Ulrich. Il a bouclé une grosse enquête hier, du coup on pourra fêter quelque chose et pas juste… Tu vois.

Aelita voyait. La dernière cure d’Odd et Aelita ne se passait pas si mal, mais vu le contexte, elle ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas y arriver. Et, au moins, il ne serait pas seul. Ulrich était intraitable, quand il le fallait. Enfin, surtout depuis cette soirée trop arrosée, où Aelita était DJ et Odd danseur, et où il avait dû sortir son badge pour récupérer ses deux amis, sur le fil du rasoir.

— Bon, et vous, les filles ? Vous ne vous êtes pas perdues dans les montagnes ?
— Yumi a eu du mal avec le GPS, mais on a encore du réseau. On va survivre. On devrait y être dans vingt minutes.
— Vous arriverez à passer la sécurité ?
— C’est un peu comme nos missions de translation, tu sais, rien de bien méchant .
— Et… Rien de bizarre ? Pas de signe d’activité de XANA ?
— Ca, c’est à vous de nous dire. On ne voit pas tous les volcans d’ici, tu sais.
— Jérémie a laissé le scan de Lyoko actif, plus quelques machins de surveillances, et des bidules d’alerte. Ca vous sonnera si XANA nous sonne les cloches.
— Je vois… Bon, on va s’arrêter. Tu passeras le message aux garçons, hein ?
— Oui. Mais… Aelita ? Vous faites attention à vous, hein ?

Cette fois, ce fut Aelita qui resta silencieuse un moment. N’était-ce pas un peu égoïste, de s’accrocher à sa propre sécurité, quand elle avait failli à garantir celle des autres ?

— Aelita ?
— … Oui. Je reviendrai, tu le sais.

Elle avait dû le dire bizarrement, car Yumi leva un sourcil circonspect vers elle. Heureusement, la voiture cala au milieu de la route, à nouveau, mais pour la dernière fois.

— Bon, ça y est, j’en ai marre. De toute façon, il n’y a personne sur cette route, et au moins on aura pas de mal à la retrouver.
— J’espère que ça ne gênera pas les secours, au besoin…
— Ils contourneront.

Bon. Yumi était de mauvaise humeur. Était-ce le peu de coopération de la voiture, ou l’odeur de cendre qui persistait dans l’air, mais à peine sortie du véhicule qu’elle soupira pesamment. La route allait être courte mais longue. Aelita l’emprunta, le cœur au bord des lèvres. À l’horizon, le mont Baker pointait déjà. Le sol crissait. Un peu plus loin, à l’ouest, on apercevait les toits embrumés de Vancouver. C’était par là qu’elles iraient. A cause d’elles, la ville était une nouvelle Pompéi. A cause d’elles Carthage était enterrée par deux fois.

La marche fut silencieuse, timidement troublée par le bruit des pas et des respirations. Yumi avançait de moins en moins vite. Elle fixait la ville, de plus en plus découverte, comme si elle craignait que les bâtiments ne sortent du sol pour réclamer vengeance sur son corps. C’était compréhensible ; Aelita aussi avait l’impression que le silence de mort qui persistait lui adressait mille reproches et condamnations. Elle accéléra, comme happée par l’aura de cendres autour d’elle. Comme si l’ombre du Mont Baker, pourtant loin d’elle, abattait tout de même sa chape.

Aelita ne sentait presque plus ses jambes quand, enfin, il fallut s’arrêter pour réfléchir. Les services de secours étaient partout. La police avait quadrillé le secteur, empêchant d’autres curieux ou exilés de s’approcher de la ville. Rapidement, Yumi suggéra une diversion. Provoquer un esclandre, et profiter de ce que les autorités seraient submergées pour passer. Mouais, ça aurait pu marcher s’il s’agissait de détruire un Supercalculateur dans un Réplika. Là, il y avait tout de même l’armée… Et derrière les barrages, il y avait une zone importante à découvert. Même si elles passaient de l’autre côté du cordon, il faudrait ensuite se cacher rapidement, pour ne pas être retrouvées. La diversion devrait être longue, et l’armée n’était pas genre à laisser une tension grossir.

Aelita sortit à nouveau son téléphone et appela l’Usine. Par chance, Odd était toujours là.

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi, princesse ?
— J’aurais besoin que tu pirates les communications des autorités, par ici. Si je te guide, tu y arriverais ?
— Tout ce que tu veux. Vous vous êtes fait arrêter ?
— On aimerait l’éviter, surtout. Bon, cherche dans les fichiers persos de Jérémie. Tu devrais pouvoir trouver une application qui s’appelle, euh… Ah, oui, Eagle’s Eye. Tu le trouves ?
— Hmm… Oui…
— Le mot de passe est sous la touche « Echap » du clavier de secours, dans le tiroir à côté du minibar. Tu peux la démonter à la main, ne t’en fais pas.
— Hmmm… Ah, euh… Okay, c’est fait… J’ai plein d’options maintenant, je fais quoi ?
— Lance le programme « Siren Head ». Le mot de passe pour Vancouver est dans l’annuaire jaune, caché dans le dossier du siège de Jérémie. Va à Vancouver, c’est le numéro de téléphone de la première occurrence. Ah, et à l’envers, le numéro.
— J’adore Jérémie, mais parfois, il se complique franchement la vie… Ah, ça y est, j’ai ! Je te lance ça.

Quelques secondes plus tard, un crissement atroce jaillit des téléphones et talkie-walkies. Les appareils hurlaient à en fendre les tympans, sous les cris des forces de l’ordre et des curieux. Profitant de la panique, Yumi et Aelita se bouchèrent les oreilles et foncèrent droit devant, à pleine vitesse. L’air, encore pris dans des restes de cendres, agressa immédiatement les gorges et les poumons des filles, comme pour les repousser. Mais Aelita tint bon, et passa le premier bâtiment de Vancouver.

La ville était déserte, sous ses couleurs polaires et son silence de feu. Le vent crépitait entre les immeubles, recouverts d’un panache de cendre. Yumi retint un cri.

— Bon sang… Aelita, qu’est-ce qu’on a fait ?

Elle était la première à leur rejeter la faute aussi ouvertement. Cela soulagea Aelita. Elle en avait marre de se contenter de le rabâcher au fond d’elle, comme si ce n’était qu’une prière et pas une vérité. Comme si elle et ses amis n’avaient pas livré Vancouver sur un plateau d’argent à XANA.

Ils auraient dû s’en douter, dès que la Méduse était apparue sur William. Ils auraient dû comprendre, qu’il n’y avait en fait aucun mystère derrière sa présence. Que XANA n’était pas anéanti. Qu’il avait subsisté, en chacun des Lyoko-Guerriers, en leur cédant un peu de lui, quelques lignes de code qui, dès qu’ils retourneraient dans un scanner, seraient analysées et redonnerait un fantôme au virus. Ca n’était peut-être pas impressionnant dit comme ça, mais un fantôme, c’est un mort revenu parmi les vivants. Et, comme eux, il peut agir. Des années de mythologies autour des Poltergeist auraient dû les alerter. Mais ils avaient préféré penser qu’ils avaient vraiment gagné, la première fois.

Ils avaient tout compris de travers. XANA en vie, XANA faible mais XANA qui les écoute… Qui n’avait jamais fait autre chose que ça. Même au début. Il écoute l’humanité, patiemment, apprend d’elle, et apprend du monde. Quand Jérémie avait découvert le journal de Franz Hopper, XANA l’avait lu avec lui. Quand Jérémie avait révélé les origines du virus, ce dernier était dans l’assistance. Et quand les Lyoko-Guerriers avaient voulu retrouver le projet Carthage, XANA s’était mis sur leurs épaules et avait attendu. Toujours en silence. Comme une présence fantomatique que l’on chasse parce que ça peut être un courant d’air, ou de la fatigue, ou quelqu’un qui passe en arrière-plan…

Ils voulaient juste retrouver ceux qui avaient détruit la vie de Franz Hopper. Ils ne savaient pas encore s’ils allaient les détruire. Mais maintenant… Aelita était sûre qu’elle aurait regretté, de toute façon.

— C’est là, Aelita… C’est l’adresse que Jérémie nous a donnée. C’est là.

Devant les filles, un building gris se dressait, immense dans la ville, barrant la silhouette du Mont Baker en son centre. Yumi passa sa main sur le panneau de l’entrée. « Security Communication Program ». Un nom passe-partout, mais qui d’après les infos du génie cachait le projet Carthage. Mais ce n’était pas tout… Un autocollant avait été ajouté, sous le panneau. Aelita l’épousseta. « Moved in Tower 4, down the street ».

Ca y était. La confirmation. Celle que Jérémie avait longtemps refusé de confirmer. Celle que l’évidence avait imposé à Aelita.

XANA les a laissés chercher des sources. Ce ne voulait pas dire qu’il ne les creuserait pas. Qu’il ne les devancerait pas.

Les Lyoko-Guerriers n’avaient appris qu’après la catastrophe que le groupe Carthage avait déménagé dans le bâtiment d’à côté. Que leur soulagement, en voyant que l’immeuble qu’ils prenaient toujours pour le QG de leurs ennemis était encore debout, n’était qu’un leurre. Une mauvaise blague de XANA. Ou une sécurité, pour s’assurer que jusqu’au bout, les Lyoko-Guerriers ne pourraient pas les sauver.

Car au bout de la rue, il n’y avait que les restes d’un immeuble, brûlé alors que les cendres du mont Baker s’abattaient sur Vancouver, empêchant l’intervention des secours alors trop surchargés.

XANA avait réduits en poussière de nombreuses choses dans cette ville, en guise d’écran de fumée. Pour que les Lyoko-Guerriers perdent du temps à savoir si la cible de leur ennemi était bien le projet Carthage.

Aelita s’avança vers la carcasse de l’immeuble. Il ne restait que la façade, noircie. Mais d’après les informations volées aux pompiers par Jérémie, tous ceux qui y travaillaient étaient portés disparus. Probablement morts. Dont l’intégralité de l’équipe Carthage.

Plus des dizaines d’autres.

Aelita laissa le sol craquer douloureusement sous ses pieds. Ces gens qui lui avaient fait perdre son père, étaient aujourd’hui les pères et mères perdus d’autres enfants. Aelita s’enlisa dans cette idée.
Elle tomba à genoux au milieu des cendres du Projet Carthage.
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 08 Déc 2020 19:06   Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020
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Lundi 1er Juillet 2013
Cher journal,

Tu viens de m’être offert, par ma grande sœur, pour mon anniversaire. Le meilleur cadeau, cette année. Mais ça aurait été difficile d’être pire que mes (stupides) (idiots) parents. D’après eux, mes notes sont mauvaises cette année (sérieusement, 13/20, c’est suffisant, non ?! Mad ), alors ils ont décidé de m’envoyer en internat cet été. Dans un genre de lycée privé, avec des cours particuliers. Comme si j’en avais pas assez marre à l’année, de voir mes profs et ma classe… Tous des (crétins) (immatures) qui se croient plus intelligents que tout le monde, alors que leur vie consiste à rester enfermés entre quatre murs et à faire tout ce qu’on leur dit, même quand c’est absurde. C’est juste une blague, et ils voudraient la prolonger pendant les vacances ? Honnêtement, ils devraient s’estimer heureux que je me lève pour aller au lycée, et que je laisse pas tout tomber. Je vais leur faire regretter leur dépense, tiens. On est en Juillet, j’ai le droit de ne pas travailler. J’irais, mais je ne ferai rien de plus.



Lundi 8 Juillet 2013
Cher Journal,

Ça y est. Me voilà dans ma nouvelle chambre. J’ai été déposée ce matin. Seule ma grande sœur m’a vraiment dit au revoir ; mes parents se sont contentés d’un « travaille bien, on revient fin Août ». Je n’ai rien dit ; que dire de plus, après des adieux aussi déchirants, n’est-ce pas ? Laughing
Enfin, parlons de la chambre, ce sera sans doute plus intéressant. Elle est petite et blanc bizarre, avec un lit simple, une armoire et un bureau. Apparemment, je serai seule à l’occuper. C’est déjà ça. De la fenêtre, on voit la cour du collège : une allée gravillonnée, un terrain de sport, et un chemin qui mène vers une petite forêt. Pas exceptionnel, mais ce n’est pas comme si j’étais en vacances, pas vrai ? En tout cas, ça n’a pas perdu de temps avant de venir me parler. La fille du proviseur, le type des nanas de mon collège, m’est tombée dessus tout de suite. Elle s’appelle Mimi, ou Gigi… Elle a dit tellement de choses, je n’ai pas eu le temps de retenir ! Et puis, avec ce genre de nana, l’essentiel de la conversation tourne vite autour des fringues et du maquillage. Elle aurait pu tomber pire ; ç’aurait pu être ma grande sœur ! De nous deux, c’est moi qui touche aux affaires de maman. Ça ne veut pas dire que je vais agresser la première venue sur la question non plus. J’ai juste hoché la tête pendant que Lili, ou Vivi, me parlait, et elle a fini par se lasser.
Comme tu le vois, cher journal, rien de très palpitant. J’imagine que ma vie sera plus palpitante dans des années, quand j’aurai mon boulot, mon appart, un chien et une copine ! En attendant, va falloir faire avec.
A plus tard !



Mardi 16 Juillet 2013,
Cher Journal,

Ça fait une semaine, seulement ? J’ai l’impression que des années se sont passées. Le croirais-tu, si je te disais que les cours en été, c’est plus pénible que le reste de l’année ? J’aurais au moins appris quelque chose, dans cette école.
Mais, j’avoue, ça aurait pu être pire. J’ai rencontré cette fille, Yumi Embarassed Elle est une classe au-dessus de moi, tout le temps habillée en noir, et plutôt sympa si on se contente de parler des cours. Elle m’a dit qu’elle s’était portée volontaire cet été pour faire du soutien scolaire. Enfin, ça c’est la version officielle. Elle m’a confié que c’était en fait un bon plan pour avoir la maison à elle toute seule et passer l’été avec ses amis. Je crois que je l’aime bien. En tout cas, elle explique mieux que la plupart de mes profs ! Je ne prends pas encore goût aux langues, mais au moins j’ai envie d’écouter ce qu’elle dit. Et en échange, peut-être que je pourrais lui montrer quelques trucs en maths… Dommage que, dès qu’on sort de la salle, elle retourne tout de suite avec son groupe d’amis. Ils sont tous dans ma classe, mais je ne sais pas encore qu’en penser. Ils sont tout le temps collés ensemble, ils ne parlent à personne d’autre, et ils regardent toujours autour d’eux avant de discuter. Ils sont franchement bizarres. Je ne vois pas trop ce que Yumi fait avec eux, en fait. Neutral
Peut-être que je devrais me jeter à l’eau, et proposer de passer un après-midi avec Yumi. Pour réellement l’aider en maths. On dit que je suis très en avance, dans cette matière ; avec un peu de chances, elle est moyenne, et j’aurais de quoi la remercier pour ses cours. Peut-être demain.
À plus tard, et souhaite-moi bonne chance !



Jeudi 25 Juillet 2013,
Cher Journal,

Je sais, normalement on ne doit pas laisser son journal aussi longtemps sans nouvelles, mais je ne voulais pas revenir te parler sans être sûre de moi. Il se passe des choses bizarres, dans ce collège !
Comme je te l’avais dit, je suis allée parler à Yumi, après son cours d’anglais. J’avais mis les formes : jolie jupe, joli chemisier, messy bun… J’avais même ramené mon manuel de maths, au cas où elle aurait du temps ce soir-là ! Ça partait bien, l’après-midi se passait normalement, elle avait l’air de bonne humeur… Tout de suite après la sonnerie, je lui ai demandé. Elle a souri, avait l’air plutôt partante… Mais aussitôt après, elle a reçu un coup de fil. Ça a duré moins de deux minutes, et elle est partie ! Comme ça, en s’excusant à peine, et en me promettant qu’on verra ça plus tard ! Evil or Very Mad Je t’avoue, sur le coup ça m’a un peu vexée. Mais ça pouvait être une vraie urgence, un problème avec ses parents… Alors j’ai pris sur moi, et j’ai attendu le lendemain. Pour retenter ma chance.
Cette fois, pas de coup de fil, mais un refus tout de même. Apparemment, son groupe d’amis lui prend tout son temps libre. Ils bossent sur un projet pour l’année prochaine, un truc d’informatique ou quelque chose comme ça. J’ai bien tenté d’en savoir plus, en parlant de ma grande sœur qui est un petit génie des ordinateurs, mais rien à faire. Top secret. Je devais avoir l’air déçue, parce qu’elle m’a tout de même donné son numéro de téléphone. Un petit pas pour moi. Mais ce n’était pas suffisant ! Après tout, je suis plutôt pas mal en informatique, moi aussi, je pouvais peut-être participer… A peine lui ai-je proposé qu’elle recevait un appel ! Et évidemment, tu le devines, il a fallu qu’elle parte tout de suite, et désolée, et on se voit demain ! Quel genre de projet est si critique, qu’il faille partir dès qu’on t’appelle ? Neutral
Le lendemain, j’essayai une nouvelle stratégie. Avant de foncer tête baissée, je devais faire de la reconnaissance de terrain. Pendant les cours où Yumi n’était pas là, j’ai tendu l’oreille vers ses amis. Les profs n’ont pas l’air de s’en rendre compte, mais ils sont très bavards. Oh, bien sûr, ils ne parlaient peut-être pas de ce qui m’intéressait, mais ça valait le coup d’essayer, non ?
Eh bien, crois-le ou non, mais ça n’a pas servi à rien. Maintenant, je sais que leur projet s’appelle XANA, et qu’il est en rapport avec le réseau (mais qui appelle internet comme ça, sérieux ? Même ma sœur ne se la pète pas autant) et un virus qu’ils essaient de contrer. Ils en parlaient un peu confusément, mais en tout cas ça les passionne. Ils parlent même d’y « plonger » ! Je ne sais pas comment ils font pour bosser comme ça pendant les vacances. Surtout que leurs chefs, Jérémie et Aelita, n’a pas l’air d’avoir besoin de soutien scolaire, alors qu’Ulrich et Odd, au contraire, n’ont pas l’air d’avoir le niveau pour ce genre de projet. Plus j’y réfléchissais, plus c’était bizarre, comme histoire.
Je n’ai pas retenté ma chance auprès de Yumi depuis. Je veux en savoir plus sur ce projet d’abord. Et c’est pour ça que, la prochaine fois que Yumi sera appelée, je la suivrai. Pour voir ce qu’ils trafiquent tous.
A plus tard, j’espère que je ne me lance pas dans un truc trop louche !



Vendredi 2 Août 2013
Cher Journal,

Exclamation Mais où étais-tu passé ? Je t’ai cherché partout la semaine dernière ! Et pile quand j’avais des choses croustillantes à te raconter !
Où en étais-je… Ah oui, ma filature. Comme par miracle, Yumi a reçu un coup de fil après les cours. Enfin, vu la fréquence des appels, j’aurais surtout manqué de chance autrement… Enfin, j’ai pu la suivre. Première surprise : malgré l’urgence manifeste à chaque fois qu’elle me plantait, elle ne marchait pas particulièrement rapidement. Par contre, elle était prudente ! Elle passait son temps à regarder derrière elle et à prendre des chemins bizarres, comme si elle avait peur d’être suivie… Le projet était peut-être top secret, mais c’était qu’un devoir scolaire ! Ça ne servait à rien d’être aussi discrète pour si peu ! Définitivement, il y avait quelque chose d’étrange là-dedans. J’ai bien cru qu’elle allait me repérer plusieurs fois, mais finalement, elle a filé vers la forêt, et est entrée dans une sorte de bouche d’égout, ou une entrée de bunker. J’ai d’abord pensé à du trafic de drogue, ou un truc comme ça. Sérieux, qui irait passer ses soirées dans un truc pareil, sinon des gens louches ? Ça m’a rappelé l’été dernier, avec ma grande sœur, quand on se planquait derrière la maison de papi pour essayer son vin… Je me rappelle encore la tête de papa ! Laughing
Enfin, bref. J’ai attendu quelques instants, puis je suis entrée, moi aussi. Je n’allais tout de même pas m’arrêter en si bon chemin ! Il s’avère que c’était bien une bouche d’égout, mais ce que j’avais moins prévu, c’est que ce serait un véritable labyrinthe ! Yumi avait trop d’avance, je ne savais pas par où elle était partie, et il m’a fallu me rendre à l’évidence : il y avait trop d’embranchements. Les explorer au hasard, c’était risquer de se perdre. Je suis retournée à la surface. J’avais perdu cette partie, mais pas la guerre ! J’allais parler à Yumi de ce que j’avais vu. J’y ai repensé sur tout le chemin du retour, et une fois rentrée à l’internat, je ne te retrouve plus ! Tu avais disparu ! Je l’avoue, j’ai suspecté les amis de Yumi. Non, mais sérieusement : je pars à sa poursuite, et quand je reviens, tu n’es plus nulle part ! Peut-être me suis-je vraiment mêlée d’un truc grave… Finalement, c’est Yumi qui me la rendu, en expliquant qu’elle l’avait arraché à la chambre de Sissi (la fille du proviseur, elle s’appelle comme ça, en fait!). J’aimerais bien la croire, mais je parle à peine à cette fille-là ; je ne vois pas trop ce qu’elle me voudrait… Et puis, tes pages sentent bizarre ; comme le chien de papi… Shocked
Maintenant, tu ne me quittes plus. Tu seras toujours dans mon sac. Voyons le bon côté des choses, je te tiendrai à jour plus souvent ! Et ça tombe bien, ce soir je parle à Yumi. Tu seras aux premières loges !
Pas à plus tard, car tu es déjà avec moi !



Mardi 7 Août 2013
Cher journal,

Comme promis, je te préviens de mes avancées ! J’ai dit à Yumi que je l’avais vu aller dans la forêt. Je n’ai pas tout dit tout de suite ; il vaut mieux y aller prudemment, tant qu’on ne sait pas de quoi il retourne. J’essaie de réfléchir comme ma sœur ! Elle s’en est toujours si bien sortie, quand on s’attirait des ennuis…
Bref, j’en ai donc parlé à Yumi. Elle a pâli direct. Je n’ai même pas eu le temps d’insister, elle m’a immédiatement prise dans un coin pour me demander de ne rien dire à qui que ce soit. Qu’elle ne pouvait pas m’en dire plus, mais que je devais lui faire confiance. Tu me connais, tu te doutes que ça n’a pas suffi, n’est-ce pas ?
Alors qu’elle essayait encore de me convaincre, ses amis sont arrivés. Enfin, surtout Jérémie. Et là, c’est devenu vraiment bizarre. Si, si, plus qu’avant !
Jérémie a regardé Yumi, direct, et puis m’a proposé de les suivre. Là, comme ça ! Soi-disant qu’il ne dirait pas non à un peu d’aide, et que si j’étais si décidée que ça, alors pourquoi pas. Aelita avait l’air un peu moins d’accord, mais je n’allais pas laisser filer ma chance ! Il m’a proposé ce soir, après les

Cher Journal,

Désolée, j’ai dû m’interrompre au milieu d’une phrase, mais finalement, Yumi est venue me chercher plus tôt ! Une urgence, une vraie, cette fois ! Tu comprends, j’ai dû faire vite ! A peine le temps de te jeter dans mon sac, et hop, on partait dans la forêt ! Le trajet était le même qu’à ma première filature, mais cette fois-ci j’avais un guide pour la partie souterraine. En soi, ce n’était pas si compliqué, beaucoup de ligne droite et peu de virages. Il nous a fallu à peine quelques minutes, et on est ressortis sur un pont, en dehors de la ville. Devant moi se tenait un genre d’usine désaffectée, le bâtiment que toutes les villes n’ont « pas les moyens de détruire ». Je commençais vraiment à me demander dans quoi je m’étais fourrée. On est rentrées, on a pris un ascenseur, et là elle m’a menée vers une espèce de salle des machines, avec des ordis comme je n’en avais jamais vus, et une sorte d’hologramme au centre. Jérémie était déjà installé avec Aelita, il pianotait des choses bizarres, comme du code, mais à une vitesse folle. Mes maigres connaissances dans le domaine ne m’auraient servi à rien ! Mais quelque chose en moi doutait sérieusement que tout ceci soit un projet scolaire. Je fus rapidement fixée quand Jérémie m’a tout expliqué. Il s’agissait bien d’un virus, mais c’était lui qui s’appelait XANA, et pas leur projet ! Lui, c’était Lyoko, un monde virtuel où ils avaient trouvé Aelita, il y a deux ans et demi. Sa vie était étroitement liée au supercalculateur qui faisait tourner l’ensemble, et les empêchait de tout éteindre. Parce que, crois-le ou non, mais XANA est un virus pour le monde entier ! En gros, Yumi, avec ses amis Jérémie, Odd, Ulrich, Aelita et William (lui, il ne me disait rien par contre, mais apparemment il est dans la classe de Yumi et n’est pas resté pour les vacances) se virtualisent régulièrement sur Lyoko pour sauver le monde !
Pour tout te dire, je ne les ai pas crus tout de suite. Il a fallu qu’Aelita aille sur Lyoko pour que je commence à admettre que c’était vrai. Au moins pour cette partie. Mais Yumi a insisté : j’aurais une preuve bientôt, quand ils m’enverraient dans ce monde. Ulrich et Odd étaient indisponibles, et une attaque se préparait. Vu l’ampleur, ils préféraient avoir quelqu’un avec eux, au moins cette fois. J’ai hésité, et en même temps… Qu’est-ce qui pouvait m’arriver ? Si j’avais bien compris, mourir sur Lyoko équivalait à se re-matérialiser sur Terre… Et puis, ils faisaient ça depuis des années, il n’y avait pas de raisons que je sois moins bonne qu’eux, non ?
J’ai plongé. C’était… Incroyable. Je ne suis pas sûre de pouvoir un jour te le décrire. Mais tu aurais dû me voir, journal ! J’étais une sorte de… D’elfe, avec les grandes oreilles et l’arc qui tirait des lasers à la place des flèches ! Sur le coup, Aelita m’a regardée bizarrement, puis m’a expliqué qu’il fallait trouver un monstre en particulier, qui était apparu au début de l’été et dont il fallait se débarrasser. Elle a ajouté que je n’avais pas beaucoup d’expérience, mais qu’au moins je pourrais la couvrir au besoin. Non, mais franchement ! Je ne savais pas ce que je lui avais fait, mais elle me parlait comme si j’étais une gamine ! On aurait dit ma mère ! Mais je l’ai suivie, et nous y sommes allées. On a traversé un monde très bleu et lisse, que Jérémie appelait le « 5ème Territoire », et au bout duquel nous attendait un véritable vaisseau spatial ! Je te passe les détails, c’est un peu technique et toi, tu veux l’aventure, n’est-ce pas ?
Eh bien, tu ne vas pas être déçu ! On a navigué dans le Réseau ! On a combattu des sortes de piranhas, et j’en ai même explosé quelques-uns ! Si tu avais vu ça ! Même Aelita a bien dû admettre que je m’en sortais pas mal ! C’était incroyable. Et comme c’était virtuel, je ne tremblais même pas ! Pourtant, je n’en menais pas si large… On a beau savoir qu’on reviendra sur Terre en cas de mort, ça fait un petit quelque chose, de s’imaginer touchée…
Après la traversée, on est entrés dans une espèce de… Gros ovule (quand j’ai appelé ça comme ça, Jérémie a un peu ri, mais Aelita m’a grondée. Je l’imaginais plus drôle que ça !). On est entrées, et dedans il y avait une véritable banquise virtuelle ! Bon, visuellement c’était un peu vieilli, mais vu comme Aelita s’énervait dès que je faisais une remarque, j’ai préféré me taire. Et c’était quand même très beau ! Mais le meilleur reste à venir, si tu savais…
Là, notre vaisseau s’est connecté à une sorte de tour. Jérémie nous a annoncé qu’il allait nous  « translater ». J’ai à peine eu le temps de comprendre qu’un choc électrique m’a traversée, et j’avais retrouvé mon corps ! Enfin, j’étais toujours en costume d’elfe, mais je ne me voyais plus comme un personnage de jeu-vidéo… Je te l’ai dit, c’est dur à décrire ! On s’est retrouvées dans un genre d’atelier de pièces d’informatiques, mais il tournait sans personne ! Les bras mécaniques agissaient d’eux-mêmes, comme contrôlés par… Oui, bon, tu n’es pas surpris, c’est par XANA. En tout cas, Aelita s’est senti le besoin de me le dire. J’avais compris aussi, mais bon. Elle m’avait déjà dans le nez, je ne tenais pas à finir avec sa main dans le mien. On a filé à travers les couloirs, et là elle m’a montrée une salle gigantesque. Un lustre bleu et noir géant occupait tout l’espace. Il avait des yeux le long de la tige, scannant autour d’eux, et quatre espèces de grosses jambes craquelées. J’ai voulu m’approcher, mais Aelita m’a arrêtée. Elle m’a juste dit que c’était le monstre que Yumi et ses amis devaient combattre, et que nous ne venions qu’en repérage, pour que Jérémie puisse décider de qui envoyer pour le vaincre. Apparemment, foncer dans le tas ne les servait pas beaucoup, jusqu’à présent… Je voulais bien le croire. Ses yeux me fichaient la chair de poule. Et grand comme il était, il devait être puissant… Nous ne sommes pas restées plus longtemps. Jérémie nous à dé-translatées, et nous sommes revenues sur Terre par le même chemin.
La matérialisation a été… Particulière. A nouveau, une sensation que je n’oublierai jamais. Le genre de choses qu’on ne vit pas dans la vie normale !
Yumi m’attendait, les bras grands ouverts. Elle m’a souri. Elle m’a dit qu’elle était heureuse que j’ai fini mon essai. Aelita s’est un peu déridée, et a concédé que je m’en étais bien tirée ! Comme quoi, j’ai dû être sacrément douée !
Nous sommes remontées dans la salle des ordis. Là, Jérémie m’a confirmé que je les avais convaincus, et que vu mes capacités sur Lyoko, je serai de l’équipe qui ira s’occuper du lustre géant. Tu te rends compte, journal ? On me lance directement dans le grand bain ! J’ai promis de faire de mon mieux ! Ca a eu l’air de les satisfaire, en tout cas.
A la sortie, Yumi m’a encore félicitée. On a un peu discuté, je lui ai demandé plus de détails. Comment avaient-ils découvert cette usine, et à quoi elle ressemblait sur Lyoko… Elle m’a d’abord rappelé qu’il s’agissait de la sauvegarde du monde, mais elle a ri. Elle m’a dit que m’en parler, c’était comme enfin révéler à quelqu’un son secret ! Elle était terriblement craquante, avec sa façon de pencher la tête… Embarassed Puis elle m’a invitée chez elle ! Elle m’a proposé de l’accompagner pour le dîner, histoire de pouvoir faire vraiment connaissance tranquillement ! Tu penses bien que j’ai dit oui… Embarassed
Là, je suis encore chez elle. On a dîné (c’est une sacrée bonne cuisinière, même si elle a passé son temps à s’excuser pour la sauce soja qui datait un peu), mis de la musique (elle aussi, elle aime les Subdigitals ! <3), et on a mis un film (surtout pas Finson, elle déteste, comme moi ! <3). C’était… Wow. La première fois que je vivais de vraies vacances. Un peu comme ces romans où, sans le savoir, on trouve ce qu’on veut vraiment, ce qu’on est vraiment… J’aurais voulu que ça dure plus longtemps. Mais, comme elle me l’a fait remarquer, il fallait que je retourne à l’internat avant la ronde de Jim. Sinon, j’allais passer la nuit à entendre ses sermons !
On s’est dit au revoir sur le pas de sa porte. Il y avait encore un peu de jour dans le ciel. Ses yeux noirs avaient les mêmes reflets que le monde banquise. Le reste… Oh, journal, je t’en parlerai quand j’arriverai assez à me concentrer pour l’écrire !
En tout cas, demain je retourne à l’Usine avec elle. Elle veut m’entraîner ; Jérémie nous renvoie contre le lustre géant dans trois jours. J’ai hâte ! Ce sera comme une virée héroïque, elle et moi… <3
Je sais journal, je sais, tu veux connaître tous les détails de la fin de soirée avec elle, mais promis, un jour !
A plus tard, et j’espère bientôt, Journal !







Lundi 23 Septembre 2013
Chère Amélie,

Je n’en reviens pas. Que tu n’en ai pas parlé à nos parents, d’accord, mais à moi ? Je t’aurais dit de ne pas y aller. Surtout maintenant que je les ai rencontrés, et que je sais que tout ce que tu as écrit ici n’est pas que fiction.
Pardonne-moi, mais c’est d’abord ce que j’ai cru. Rien de ce que tu racontais ici n’avait de sens. Matérialisation, Lustre géant ? Mais de quoi parlais-tu ? Aujourd’hui encore, je n’en suis pas sûre. Et je ne suis pas encore proche de voir ce que tes yeux ont contemplé. Mais j’y travaille, je te le promets.
J’ignore ce qui s’est passé. J’ignore dans quoi ils ont embarqué mon unique sœur pour qu’elle ne revienne pas. Pourtant, quand tu le racontes, ça a l’air si beau ! Dangereux, mais irrésistible ! Je te savais un peu rebelle, mais pas au point de plonger dans la moindre échappatoire à papa et maman. Si tu as accepté de les suivre, c’est pour toi, et toi seule. Peut-être aussi cette Yumi. Encore quelque chose que je cacherai à nos parents, le plus longtemps possible. Mais quand je te lis, je me dis que tu t’es convaincue toute seule de plonger dans Lyoko. Pas pour elle. Pas pour papa et maman.
Ils sont inquiets. Ils ont parlé de poursuivre l’école en justice. Mais je les ai convaincus que tu avais fait une fugue et que j’ai encore des contacts réguliers avec toi. Je suis obligée d’imiter ton écriture, tu sais ? Pour qu’ils ne soupçonnent rien. Pardonne-moi, mais j’ai piraté tous tes comptes sur les réseaux sociaux, au cas où je doive t’inventer une vie. Promis, je n’ai pas regardé plus que nécessaire ! De toute façon, je n’ai rien appris que j’ignorais. Ça m’a rassurée, que tu me faisais au moins confiance avant ça.
Après ça, j’ai convaincu papa et maman de m’inscrire à Kadic. Dans le même internat que toi. Je voulais rencontrer ceux qui t’ont vus pour la dernière fois. Je voulais leur parler. Mais… J’ai retrouvé ton journal, dans les affaires renvoyées chez nous par Kadic. Il faisait partie des rares choses qui n’ont pas brûlé dans le fameux incendie de Kadic. Encore une chose demeurée sans explication, d’ailleurs. Mais entre les cendres et la poussières, c’était irréel d’avoir cette dernière trace de toi, intacte. Comme un signe. Je l’ai pris avant que nos parents ne le voient, et je l’ai lu. Là, j’ai compris que je ne devais leur faire aucun cadeau. Je ne sais ce qu’ils t’ont fait, mais ils sont impliqués. Ils ne t’ont peut-être pas forcée, mais si tu n’es pas encore revenue, c’est qu’ils ne font rien contre. Pourquoi n’ont-ils pas prévenu la police ?
Je me suis liée avec eux. J’ai pénétré leurs secrets. Aelita se méfie de moi, mais elle ne fera pas le poids face aux autres, si j’arrive à les convaincre. Encore quelques jours, encore quelques crises, et j’aurai accès aux commandes. Tu connais ta grande sœur ; elle ne cède face à rien.
Je te retrouverai. Mon unique sœur. Ma petite sœur. Je ne veux même pas leur faire payer ; je veux juste te retrouver.

A plus tard, moi aussi j’espère bientôt,
Laura.
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 08 Déc 2020 19:05   Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020
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« C’est marrant, mais il me semblait avoir été plutôt poli, quand je t’ai demandé de dégager de ma vie, il y a vingt ans ».

Michel Belpois soupira. Il y a deux décennies de ça déjà, il n’avait plus l’âge ou le temps pour ce genre de futilités. Alors, pourquoi s’imposait-il encore ça, du haut de ses canoniques quarante-cinq ans ?

« Walter, crois-bien que si je pouvais me passer de tes services, tu serais soit dans ta petite maison, soit dans ton éternelle demeure.
— J’imagine que tu te décideras entre les deux selon comment je t’enverrai te faire voir ?
— Peut-être bien. Tu sais, pour moi la famille du cœur est aussi sacrée que celle de mes certificats, vrais ou faux.
— Tu peux pas t’empêcher d’être un putain de cliché, hein ? Ça ne m’impressionne plus, Michel. Va droit au but. »

Culotté, pour quelqu’un qui ne pouvait pas s’enfuir, de toute façon. Même s’il n’était pas saucissonné au siège du patron, Walter devrait affronter des portes fermés et des gardes armés. Et comme il y avait fort à parier que Walter n’avait pas le talent de son fils au Pencak-Silat…

Enfin. Il le connaissait, son vieil ami d’enfance. Il aboyait plus qu’il ne mordait. Déjà, quand ils étaient gosses ; c’était toujours à Michel que revenaient les honneurs des mises au point et autres règlements de compte avec les voyous de Kadic. Oh, pas que ça le dérangeait ; et dans le fond, il était très aidé. Les rumeurs sur les activités de son père allaient bon train. Qui étaient ces hommes, toujours vêtus de noir, qui venaient chercher le petit Michel à la sortie de l’école, à bord d’une rutilante Porsche 356A ? Est-ce que monsieur Belpois était diplomate, ou agent secret, ou trafiquant de médicaments ? Quel respect Michel aurait imposé, s’il avait révélé que son père était un peu des trois ! Charles Belpois, fraîchement arrivé en France après que l’Italie des 'Ndrangheta lui ait mis sa botte aux fesses pour une négociation à l’épilogue fâcheux, avait changé de nom et tenté de reprendre une activité dans sa nouvelle patrie. Il se serait bien essayé à la légalité, mais l’évidence s’était imposée ; il était fait pour tenir des armes et des puissants entre ses mains. Mais, au grand dam du petit Michel, jamais il n’avait réussi à faire fortune, malgré les grandes histoires qu’il rapportait à son fils le soir. Ce n’était qu’une fois adulte que ce dernier avait compris que la tiédeur de son paternel à jouer plus franchement s’expliquait par le fait qu’en principe, on ne quitte pas une organisation mafieuse vivant. En clair, il s'était caché comme un loup traqué mais incapable de tout à fait devenir un agneau. Les hommes de main qui protégeaient Michel et son frère cadet n’étaient pas là que pour impressionner les collégiens. Alors, le jeune héritier avait juré de créer un patrimoine plus digne pour son futur enfant. Il avait appris l’art de son père, l’avait perfectionné au détriment des petites frappes du lycée, et avait même réussi à faire de son meilleur ami, Walter Stern, un bon bras droit. Pas très fort, certes, mais toujours prêt et disponible. Il fallait bien commencer quelque part. Puis étaient venus leurs vingt ans et l’agonie de Charles Belpois. Le patriarche avait lentement été rappelé à Dieu par un violent infarctus ; Michel n’avait eu que peu de temps pour apaiser son agonie. Il lui fallait monter en gammes avec un coup osé. Mais avec un seul homme et peu de moyens… Quelque chose en lui avait mûri cette année-là. Tout comme le portefeuille des Stern, que les activités spéculatives du paternel avait rempli à craquer. Jamais Michel n’aurait eu meilleure occasion. Il avait alors jeté tout sens moral à l’eau et a tenté son premier coup d’intimidation. Il avait fait croire à Walter qu’il devait simuler son enlèvement pour obtenir une petite somme d’argent, quelques centaines, pas plus, pas la mort en somme. Jouer sur les tensions dans la famille Stern n’avait rien eu de compliqué ; Walter haïssait son père. Il le voyait comme un profiteur qui n'avait fait que jouer avec une chance insolente. Lui extorquer quelques francs, ce serait comme lui donner une leçon d’humilité, n’est-ce pas ? Walter n’avait pas marché, il avait couru. Quand son père avait téléphoné au numéro indiqué dans la lettre de menaces que Michel avait laissé dans leur salon, le parrain en herbe n’avait eu qu’à exiger une somme plus grosse que prévu. Il le savait, le père Stern aimait son fils, plus que ce que ce dernier ne l’avait jamais compris. Eh, qui sait, peut-être que ça les rabibocherait, tous les deux ? Il en avait souri, en ramassant le pactole. Trois millions, plus de la moitié des récents gains de la famille. De quoi permettre à Charles Belpois de partir en paix, et à Michel de se lancer sur ses traces.

Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était que les Stern ne se referaient pas. Les parents de Walter avaient avancé de gros achats. Pour rembourser vite, le père avait dû jouer plus tendu… Michel l'avait vu comme une occasion. Monsieur Stern s'était peut-être acculé, mais il restait talentueux. Le jeune Belpois avait repris ses menaces sur lui, en le cachant à son ami. Depuis que Michel était passé aux choses sérieuses, Walter semblait plus timoré, plus… légaliste. Soit, soit, après tout les amis sont là pour se comprendre. Mais, à la fin, les affaires sont les affaires. Michel avait pu faire pression sur le père Stern pendant quatre ans, avant que ce dernier n’envoie tout en l’air. Dont sa propre personne, du haut d’un building. Walter n’avait pas tardé à apprendre ce qui se tramait, et avait demandé des comptes à Michel. Le jeune chef joua très serré, pour justifier qu’on n’abatte pas un bras droit qui clame qu’il ne marche plus et qu’il ne pourra jamais lui pardonner. N’empêche que, depuis, il avait discrètement aidé Walter à se reconstruire, à bâtir sa vie d’homme d’affaires brillant ; il n’avait même pas eu le goût de lui rendre visite, quand son ancien bras droit avait prétendu lors de sa mutation à la tête d’un prestigieux service, qu’il se battrait contre toute forme de corruption. Le petit con.


Honnêtement, Michel aurait pu continuer comme ça. Il en était enfin arrivé au stade où son ancienne amitié tenait du souvenir d'enfance heureux. Tout juste souriait-il, quand il voyait son fils grandir et qu'il se rappelait de ce que c'était, à son âge. Mais le chérir, lui offrir tout ce qu’il voulait, tout le matériel informatique qu’il demandait pour ses robots, tous les livres qu’il réclamait pour ses devoirs, ça demandait bien trop de temps et de cœur pour qu’il s’attarde sur ceux qui l’avaient rejeté.

Mais voilà. À sa grande surprise, son petit Jérémie, pourtant mal parti dans sa vie sociale, commençait à se faire des amis. Comment avait-il réussi son coup, Michel n’en savait rien, et pour tout dire, ce qu’il avait trouvé sur les familles de ses camarades n’était ni inquiétant, ni exploitable. Une famille d’immigrés japonais avec une mère traductrice et un père en difficulté professionnelle, une fille et un fils… Un couple de baroudeurs qui traînaient leurs fripes hors de prix dans les milieux artsy, disséminant leurs six rejetons dans des écoles à droite à gauche… Et leur nièce canadienne, des papiers probablement faux, mais quand Michel avait reconnu la patte de son fiston dans les approximations des certificats de la petite Stones, il avait préféré laisser son fils découvrir la vie avant de lui en parler. Et soudain… Stern. Ulrich Stern. Enfant unique d’une femme au foyer et de… Walter Stern, homme d’affaires. Michel avait fait revérifier l’information plusieurs fois. Et, face à l’évidence, s’était demandé comment son fils avait fait son compte. Quel jeu du sort avait décidé que son histoire avec son vieil ami n’était pas terminée ? Et voilà que Jérémie, tout épanoui de ses premières amitiés, lui avait demandé son autorisation pour garder la maison familiale pendant les vacances, avec ses petits copains ! Odette Belpois, merveilleuse mère et femme s’il en était, avait naturellement accepté à condition d’en discuter avec les parents Stern et Della Robbia. Michel n’avait pas pu résister. À sa femme, il avait laissé les artistes, et avait pris le rendez-vous avec le passé.

Ainsi le voilà, faisant face à un Walter Stern passablement énervé et bien décidé à ne céder sur aucun terrain. Bon, peut-être aurait-il été plus réceptif s’il n’était pas ligoté dans le bureau de l’homme qu’il détestait le plus en ce bas monde ; mais Michel tenait au décorum.

« Tu es sûr que tu ne veux pas un cigare ? J’en ai des tas, n’aies pas peur de me vider mon stock...
— Je toucherai à rien qui vienne de ta main.
— Comme tu le sens. Mais tu peux te détendre, je ne viens pas te parler affaires. Non, c’est ton fils qui m’intéresse »

Walter pâlit dangereusement.

« Qu’est-ce que tu lui veux ? 
— Oh, moi, rien, mais mon Jérémie est un de ses amis. Et ma femme tient à ce que je fasse la connaissance des parents du petit Ulrich Stern, avant de lui laisser notre Jérémie.
— Mon fils ne fréquente pas des voyous. »

Celle-là, Michel ne l’avait pas vue venir. Il se serait attendu à ce que Walter tape plus fort. Qu’importait, dans le fond. Le parrain tendit sa main vers un de ses hommes de main, qui lui remit une mallette bleu roi, magnifiquement entretenue. Michel l’ouvrit et, tout en s’asseyant sur son bureau, en sortir une liasse de papiers tamponnés au nom du collège Kadic.

« Voyons ce que font nos enfants… « 18/20, excellent élève », « 20/20, assidu et sérieux », « 19/20, prometteur », « brillant », fierté de notre établissement »… Oh, ai-je oublié de préciser que je commençais par le dossier de Jérémie ? »

Walter piqua un fard. Oh, déjà touché ?

« Maintenant, parlons d’Ulrich… « Moyen », « pas attentif », « à peine présent »… Eh bien eh bien, je n’ose même pas te donner les notes, j’aurais peur que tu nous fasses une syncope…
— Où veux-tu en venir, Michel ?
— Oh, pas très loin. Je remarque juste qu’entre nos deux fils, le mien est le moins enclin à finir « voyou », comme tu dis.
— Si tu lui as filé tes foutus gênes, ça finira par venir.
— Oh, allons, on juge les enfants selon les parents, maintenant ? Je t’ai connu moins attaché à l’héritage de nos pères, Walter. »

Bon, elle était peut-être de trop, celle-là. Mais Walter l’avait cherché, après tout. Et, encore une fois, que pouvait-il faire ?

« Tu oses l’évoquer, connard ? Maman ne s’en est jamais remise, si ça t’intéresse !
— J’avais cru comprendre. Depuis l’enterrement de son mari, je lui envoie une corbeille de pastèques tous les Noëls. Et je m’assure que ta carrière ne soit entachée d’aucuns scandales.
— Comme si j’avais encore besoin de toi pour me défendre…
— Ça me paraît évident. Crois-le ou non, mais je prends soin de mes placements. Pendant que je fais jouer mes contacts pour que ta vie soit un long fleuve tranquille, mon fils essaie d’élever le tien. Que tu me détestes, soit, ça arrive ; mais sérieusement, ça t’écorcherait un « merci » ? »

Walter s’agita contre ses liens. Michel était presque tenté de le faire libérer. Juste pour voir.

« Si ton gosse approche d’Ulrich… Vociféra Walter.
— À ta place, je calmerais mes ardeurs… »

L’air triomphant, Michel sortit une autre liasse de sa mallette. Plusieurs informations étaient surlignées. Walter y jeta un coup d’œil, sans comprendre.

« Qui est cette Aelita Stones ?
— Une de leurs amies. Apparue brutalement à Kadic il y a quelques mois. Les parents n’ont jamais mis les pieds dans l’établissement. Elle serait la cousine d’un certain Odd Della Robbia, encore un ami de mon Jérémie et ton Ulrich.
— Et… Alors ?
— On peut tromper un collège, voire des banques et des assurances. Mais pas un père. Ces papiers sont faux, et probablement faits par mon fils.
— Tel père, telle engeance. Pardonne ma curiosité, mais qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?
— Tu seras heureux de savoir que ton fiston protège le mien et cette gamine. J’ai un homme sur le terrain, qui surveille étroitement nos enfants. Ils sont trop fourrés ensemble pour ne pas tous tremper dans cette histoire. Ulrich est un peu… Comme son papa, dans le temps, quand il couvrait son meilleur ami. »

Cette fois-ci, Walter explosa tout à fait.

« Mon fils n’est pas un voyou, tu entends ? C’est ton foutu gosse qui l’a entraîné ! »

Michel soupira. Encore. Est-ce que son ancien ami tenait tant que ça à renier ses erreurs passées ?

« Crois ce que tu veux. Après tout, j’ai rempli ma part du contrat. On s’est parlé, et on ne pourra pas empêcher nos garçons d’être amis. Mais est-ce que tu crois sérieusement qu’être ce rempart de moralité intouchable te fera comprendre d’Ulrich?
— C’est pour son bien…
— Je n’en doute pas. Comme nos pères faisaient ce qu’ils faisaient pour notre bien. Ça n’a visiblement pas suffi, en ce qui concerne le tien. Je porterai sa mort dans ma tombe, sois-en sûr, mais ne me fais pas croire que tu ne t’en veux pas pour ce qu’a été votre relation, jusqu’à la fin.
— Tu veux m’apprendre à élever mon propre fils, Michel ? Ne me fais pas rire…
— Je ne veux rien en particulier. J’avais juste l’espoir que l’occasion ratée qu’est notre amitié te servirait de leçon.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Laisse nos garçons se fréquenter. Je les ai à l’œil, il ne leur arrivera rien de trop fâcheux. Ton enfant ne sera peut-être pas le gosse sans histoires que tu espères, mais il sera en sécurité.
— Et je suis censé te faire confiance, quand on voit tout le bien que tu as déjà fait à ma famille ?
— Si je protège ton fiston, je protège le mien. Leur amitié est la meilleure garantie que tu puisses avoir. »

Walter s’apaisa légèrement. Il sembla réfléchir. Michel n’en obtiendrait rien de plus. Il fallait juste laisser l’idée faire son chemin.

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« Bordel, mais tu vas le relâcher, oui ?! »

Jérémie sentait les poings d’Ulrich faiblir contre la paroi du Gardien. Des tréfonds de son inconscience, alors que le silence l’enfonçait un peu plus vers le coma, alors même qu’il se sentait sombrer inexorablement, Ulrich était arrivé. Par ses appels, il l’avait gardé proche de la surface, à la lisière de l’eau ; mais il ne parvenait à le ramener à l’air libre. De ce que le génie avait compris, tant que son ami essayait de briser la bulle électrique, le double envoyé par XANA s’affaiblissait. Ce qui n’était pas un vain luxe, quand ce dernier avait trouvé l’arme secrète du père de Jérémie et se baladait dans la grande demeure familiale, à la recherche d’Ulrich.

Le Gardien, lui, leur était tombé dessus par surprise. Ils ne savaient même pas que XANA pouvaient en invoquer sur Terre. Jérémie n’avait eu aucune raison de s’y attendre. En une seconde, il avait été pris au piège. Ulrich n’avait rien eu le temps de faire. Et pour corser davantage la situation, il n’y avait qu’eux deux dans la demeure. Aelita, Odd et Yumi étaient partis pour l’Usine, mais quelqu’un avait dû rester pour arrêter la copie, au cas où les Belpois reviendraient plus tôt de leur apéro avec les Stern et Della Robbia. Naturellement, le meilleur au Pencak-Silat (du moins, celui qui l’avait été au dernier cours) s’était porté volontaire.

Jérémie luttait pour ne pas s’endormir. Les coups de son ami contre sa prison diminuaient en puissance, mais pas en constance. C’était des impulsions pour son esprit assombri, des assauts de défibrillateur éloignant l’œil de XANA du destin de Jérémie. Il faisait confiance à Ulrich. Il savait qu’entre ses mains, il s’en sortirait. Mais en retour, il lui devait de se battre avec au moins autant de férocité. Il devait revenir à lui avant que son double ne le trouve. Toute la maîtrise en Pencak-Silat du monde ne pourrait rien contre une balle lancée à pleine vitesse. Il força contre ses paupières pour les séparer, il lutta contre ses doigts pour les déplier. Mais il n’y arrivait pas… Ça n’allait pas assez vite ! La demeure Belpois était certes vaste, mais ce n’était pas non plus un château… Ulrich allait bientôt se faire repérer, et il ne pourrait rien faire… Il ne savait même pas s’il pouvait briser un Gardien par la seule force de sa volonté… Il devait réussir, pourtant… Il devait rendre ça possible…

À travers la bulle d’électricité, il entendit les pas de la Mort se rapprocher… Un grincement de poignée…

Ulrich poussa un juron.

« Non… Ils ne pouvaient pas rentrer plus tard, bon sang ?! »

Leurs parents. Ils venaient vraisemblablement de rentrer. À temps pour sauver Ulrich. Trop tôt pour s’épargner eux-mêmes. La règle était connue depuis l’aube de leur amitié :la mort, ça ne se soigne pas. Il fallait que quelqu’un aille les sauver… Il fallait qu’Ulrich laisse son ami entre les griffes du Gardien. Après tout, il ne pouvait pas lui arriver grand-chose dedans, n’est-ce pas ?

Ulrich lui promit de revenir le libérer. Jérémie voulut lui promettre qu’il le serait déjà.

Pendant que son camarade quittait précipitamment la pièce, Jérémie continua d’essayer de tordre les barreaux de sa prison. Il tentait de déplier ses bras, ses jambes, de retrouver le contrôle de ses os, de ses muscles, de son cerveau. Mais rien à faire… Il n’avait pas beaucoup de temps… Il devait aller aider Ulrich, avant qu’il ne se fasse… Il perçut le son étouffé d’un tir… Non… Jérémie ne se pardonnerait jamais le moindre mal que subirait son ami… Il devait se défaire de ses chaînes, bon sang, il devait être plus fort que XANA !

Soudain, un flash de lumière explosa derrière les paupières encore closes de Jérémie. L’orbe électrique s’éteignit. Il tomba lourdement contre le parquet en bois de sa chambre. Face contre terre, il mit plusieurs secondes à reprendre conscience, dans un corps encore engourdi. Mais il ne devait plus lutter que contre lui-même. Excellent. Ça, il savait le faire. Des mois d’insomnies volontaires et de luttes contre XANA lui avaient appris à résister, contre vents et marées. Il prit appui sur son lit, et se traîna dans le couloir de l’étage. Il entendit des cris, une lutte. Ça venait de l’entrée. Ulrich, leurs pères, et sa propre voix, déformée par une froideur atroce. Jérémie s’accrocha à la rambarde en bois rustique de l’escalier et se redressa péniblement sur ses jambes fébriles. Il voyait flou. Ses lunettes avaient dû tomber sur le chemin. Il descendit la première marche. Puis deux, puis trois. Un pas à la fois, ses muscles furent un peu plus revigorés. Son esprit retrouva son niveau d’alerte habituelle. Des ombres se heurtaient sur le mur, à sa droite. La porte d’entrée était ouverte, sur sa gauche. Il se tourna vers le courant froid de décembre.

Son père venait de le repérer. Il avait l’air choqué et abasourdi, les mains encore tendues vers le clone mais les yeux écarquillés vers l’original. Walter Stern, lui, se tenait les côtes, une rivière rouge filant entre ses doigts. Ulrich agrippait le clone par-derrière, ses doigts cherchaient à attendre le visage. Ce n’était pas du Pencak-Silat, mais une bagarre désespérée. Ulrich ne connaissait pas encore beaucoup de prises dans le dos, mais il ne pouvait affronter le clone armé frontalement… Jérémie chancela dans l’entrée, capta le regard de son double. Glace contre Feu. Le regard polaire de l’usurpateur gelait ses pupilles métalliques, malgré la lutte que lui imposait Ulrich. L’assurance assassine de XANA… Jérémie bouillonna. Il n’aurait pas la force de rejoindre le combat, mais il devait faire quelque chose…

Soudain, profitant du jeu de regards entre les deux Jérémies, Ulrich leva le genou et frappa entre les jambes. Le clone s’effondra. Il lâcha l’arme. Le sang du génie ne fit qu’un tour. Il se jeta sur le pistolet paternel. Il le saisit avec un naturel qu’il ne se connaissait pas, comme si l’arme n’attendait que lui et, d’une main tremblante, la leva vers son reflet maudit.

Les froides pupilles, celles qu’il tenait de son père, stupéfaites derrière les lunettes de son grand-père, disparurent dans la traînée de pixels. Derrière le fantôme évanescent du clone, Ulrich resta figé. Quand toutes traces du double furent effacées, il se précipita auprès de son père et sortit son téléphone. Jérémie s’effondra à terre et laissa glisser l’arme loin de ses doigts. Enfin, il autorisa un peu de la fatigue des dernières minutes à fondre sur lui. Il sentit son père s’agenouiller près de lui.

« Jérémie, oh mon Dieu Jérémie, est-ce que ça va ?
— Mais qu’est-ce qui s’est passé, bon sang ? Jura Walter Stern.
— Aelita ? Vous en êtes où ? S’exclama Ulrich, ignorant la question de son père. C’est quand vous voulez pour… Okay, encore trente secondes, Jérémie ! On a encore réussi !
— Ça… ça va aller papa, gémit Jérémie, un rire nerveux lui échappant soudain. Personne ne va mourir, on va régler ça…
— De… De quoi tu parles, fiston ? »

Jérémie pencha la tête vers Ulrich. Ce dernier était accroupi à côté de son père et avait toujours le combiné à l’oreille, l’air soulagé. Les deux amis se sourirent, comme après chaque cyclone, quand l’œil s’éloignait et partait mourir dans l’océan. Un sourire épuisé, mais fraternel.

« Retour vers le Passé. »

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« Et je suis censé te faire confiance, quand on voit tout le bien que tu as déjà fait à ma famille ?
— Si je protège ton fiston, je protège le mien. Leur amitié est la meilleure garantie que tu puisses avoir. »

Walter s’apaisa légèrement. Il sembla réfléchir. Michel n’en obtiendrait rien de plus. Il fallait juste laisser l’idée faire son chemin.

« Hé… »

Le parrain se retourna, surpris. Quoi, déjà ? Il se serait attendu à une attente plus dramatique. Décevant… Mais bon. Il siroterait son martini d’un air théâtralement assuré une autre fois.

« … Tu me feras jamais croire qu’un chien peut faire un chat. Mais j’espère que nos fils ne seront pas nous.
— Jérémie se débrouillera seul pour aller chez toi, et inversement. On a pas à se croiser, si tu ne le veux pas, concéda Michel, dans un demi-sourire.
— Et puis, ils sont en internat. Ils vivent déjà pratiquement ensemble. Et je ne sais pas pour le tien, mais le mien ne m’écoute pratiquement plus. Tout mon portrait à son âge. »

Michel retint un rire. D’un geste de la tête, il ordonna qu’on libère son ancien ami.

« Je veux bien le croire, répondit-il. Ulrich est entré discrètement chez moi, il y a une heure environ, d’après mes hommes postés dans le jardin. Jérémie en a profité pour faire entrer toute sa petite bande. Il se passe bien des autorisations… Comme son paternel en son temps. »

Il tendit sa veste à Walter, puis lui fit signe de la main.

« On va leur donner les consignes pour les vacances ? Un dernier pari, et je sors de ta vie pour de bon ? »

Les lèvres de Walter remontèrent légèrement. La paix n’existerait jamais pour eux. Pour leurs enfants, il restait une chance.

« Un pari sur nos fils… T’es vraiment le dernier des enfoirés, Belpois. »

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L’amour sera toujours
Cette moitié de nous qui reste
À faire.
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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 08 Déc 2020 19:05   Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020
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Pierre après pierre, jour après jour
De siècle en siècle avec amour
Il a vu s’élever les tours
Qu’il avait bâties de ses mains

Les poètes et les troubadours
Ont chanté des chansons d’amour
Qui promettaient au genre humain
De meilleurs lendemains


William s’avança au centre de la plateforme. Devant lui, le gouffre plongé dans les ténèbres l’écartait de la foule d’information coulant à la surface du Cinquième Territoire. Il semblait être le seul à pouvoir parler, le seul à pouvoir se baigner dans la lumière bleutée de la petite scène. Doucement, il ferma les yeux, détendit ses épaules et inspira par le ventre. Le centre de son corps se gorgea virtuellement d’air et de courage, puis il s’offrit la vue du monde. Dans ses veines bouillonnait les notes du chant de XANA, de son pouvoir et de sa ruse. Il le sentait l’habiter, le guider, lui rendre la parole, alors qu’il créait devant son serviteur les soldats de sa nouvelle armée. De nouveaux monstres, pour combattre et conquérir.

Il est venu le temps des cathédrales
Le monde est entré
Dans un nouveau millénaire
L’homme a voulu monter vers les étoiles
Écrire son histoire
Dans le verre ou dans pierre


Le traître à ses camarades connaissait le plan. Son maître le lui avait murmuré dans son sommeil, et lui avait ordonné de l’annoncer à son réveil. Comme à chaque fois qu’il ouvrait les yeux dans ce monde, il dût faire taire ses souvenirs d’antan, ceux de son humanité. William grinça dans un rire. Douce ironie que l’attaque prévue… Aussi délectable que sa complexité. Elle avait, de fait, toutes ses chances de réussite. Oh, quand bien même, ce ne serait pas le premier coup d’archet raté de XANA – tant de requiems que les Lyoko-Guerriers avaient empêché l’humanité d’écouter !-, mais la confiance grandissante de William envers le prince de ce monde le poussait à croire en sa victoire à chaque fois qu’il montait une nouvelle attaque. Pour celle-ci, il n’aurait que peu de choses à faire. Juste s’assurer que les nouveaux soldats détruisent les guerriers. Une fois ces gêneurs réduits en cendres, il prendrait le devant de la scène et diffuserait ce chant que lui seul connaissait, dans ses rêves.
Le chant de la victoire, quand viendra le Temps de XANA.

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Empty your mind of any theories
'Til all the facts are in
Start at the end of all your queries
To learn where things begin
You analyze by working backwards
Effects reveal their cause
For even perfect crimes have perfect flaws


Jérémie pianotait frénétiquement, son cerveau et ses doigts accordés dans un rythme soutenu. Il sentait la fatigue poindre en lui, conséquence naturelle d’une nuit sans sommeil, mais il refusait de céder. Après tout, voilà des années qu’il s’était consacré à défier jusqu’à l’imagination de ses contemporains en redonnant la vie à Aelita, égérie virtuelle des rêves fous d’un savant disparu. Apprendre finalement que depuis le début, elle n’était pas artificielle mais seulement privée de son humanité, ne gardant pour elle que la perspective d’une résurrection sans mémoire, n’avait que peu d’importance pour le jeune génie. Après tout, il travaillait chaque jour à lui donner de nouveaux souvenirs, avec l’aide de ses amis. L’exploit qu’il avait accompli, personne au monde n’aurait pu le faire comme il l’avait fait. Il pouvait bien sacrifier encore sa place parmi les ordinaires en refusant de céder aux sirènes d’une bonne nuit de sommeil. Perdu pour perdu…
Si seulement ça pouvait lui servir à quelque chose ! Des heures qu’il parcourait les notes de Franz Hopper, à la recherche d’une information, même la plus infime, sur le Retour vers le Passé, mais rien ! L’idée le poursuivait depuis que son ami Odd, dans la plus stricte naïveté qui le caractérisait quand il s’agissait d’informatique, s’était demandé si le renforcement que XANA tirait de chaque retour dans le temps n’était pas quelque chose d’annulable. Après tout, il ne s’agissait pas d’une règle immuable de l’univers, si un simple mortel avait pu la mettre en place de lui-même, un autre mortel pourrait la défaire, non ? Sauf que peut-être pas, finalement. La candeur d’Odd ne dissimulait pas toujours du génie, soit, mais cette fois, c’était peut-être Jérémie qui aurait dû y réfléchir à deux fois. Franz Hopper avait certes programmé le Retour vers le Passé, mais ça ne l’écartait pas d’éventuelles contraintes métaphysiques…
Voyons… Le Supercalculateur gardait en lui des versions sauvegardées de la Terre. Ce simple fait relevait déjà de l’exploit, mais il y avait à craindre qu’il n’ait été réalisé par accident. Même conceptuellement, il posait problème. Comment quelque chose d’aussi intangible que le temps qui passe pouvait être sauvegardé ? Il fallait faire d’un concept un objet… Non, Jérémie ne réfléchissait pas à l’endroit. L’important, c’était la mémoire. Comme le Supercalculateur manipule les corps, il retravaille également l’espace et les souvenirs… Suffisait-il de téléporter un humain à l’endroit où il se trouvait deux heures auparavant, et d’effacer un pan de sa mémoire, pour singer un retour vers le passé ? La mémoire… Ce devait être la bonne piste. Il fallait qu’il cherche dans cette direction. Jérémie chantonna avec entrain. Il n’avait pas encore fait le tour de l’archive, la clé se trouvait peut-être au fin fond des notes de Hopper… Le jeu ne faisait que commencer.

The game begins the same way
I look for patterns on a screen
Connecting bits of data
Until I find out what they mean
The game begins


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Et soudain, alors que la nuit s’ensanglantait pour que naisse le jour, XANA jaillit sur Terre. Allumant la scène, paradant sous ses Arches électriques, il glissa dans les rues, dans les foyers, dans les corps. Jouant de son élément, il s’immisça, tel un cauchemar de légende, dans les cerveaux encore endormis. Il joua des terminaisons nerveuses, ôtant les mémoires des vies, privant l’humanité de son Histoire.
Dans quelques instants, le rideau se lèverait. Dans quelques instants, les Hommes s’éveilleraient, inconscients de ce qu’ils étaient la veille.


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Trop de bruit
Pour trop de nuits qui pensent
Quand valse l’absence
Dans ce bal
Ton silence est un cri qui fait mal
Je devine
Ton visage sur les ombres
Les souvenirs sombres
M’assassinent


Ulrich sortit de sa torpeur, partagé entre l’impatience d’en finir avec ses draps poisseux et l’espoir qu’il lui restait encore quelques instants seul. Odd s’était levé plus tôt pour promener son chien avant la ronde de Jim et passer un coup de fil à Samantha, mais il ne lui laisserait plus beaucoup de temps pour ruminer son sommeil troublé, trop léger pour le laisser se réparer dans les ténèbres. Les insomnies ne lui étaient pas étrangères, mais quitte à ce que son esprit soit sans repos, il aimait autant qu’il n’en profite pas pour refaire la rétrospective de ses récents échecs, écouteurs sur les oreilles et tristes paroles murmurées du bout des lèvres. Au moins, seul, il pouvait y mettre de la voix, et rejouer le drame de son adolescence. Celui qui avait tenu le haut de l’affiche cette nuit s’habillait de noir et n’avait pour seule parole tendre que ses « copains et puis c’est tout ».
L’humeur de Yumi avait été particulièrement massacrante la veille, quand une énième stupidité du clone de William avait manqué de les dénoncer. Oh, le groupe s’en était sorti en parvenant à convaincre le directeur que le double était en plein surmenage. Mais la jeune femme supportait de moins en moins de mentir à tout le monde. A chaque fois qu’elle devait gérer le clone, elle se rappelait que le vrai était leur ennemi, et qu’il pouvait tout aussi bien ne jamais revenir parmi les siens. Pourquoi devait-elle être responsable de la bonne image d’un type qu’elle exécrait ? Enfin, c’était ce qu’Ulrich avait compris, grâce à l’aide d’Aelita. Résultat, leur soirée Pencak-Silat avait tourné court. Quand le jeune homme avait proposé son épaule et son oreille à son amie, elle s’était contenté d’un froid « à demain », et puis c’est tout. Quoi, même le réconfort, il ne pouvait l’apporter à Yumi sans qu’elle ne craigne que ça dévoile quelque vérité sur leurs sentiments ? Qu’est-ce qu’il était pour elle, à la fin ? Et pourquoi le simple fait de se poser cette question le renvoyait à son ignorance sur ses propres sentiments, voire sur ses capacités actuelles à les assumer ? Quand relire leurs derniers échanges SMS ne lui avait apporté aucune réponse, il l’avait posé sur son ventre et s’était allé à de sombres rêveries. Si seulement il pouvait oublier tous ces instants, repartir de zéro avec de meilleures cartes, alléger son esprit pour qu’il s’exprime clairement… Il n’avait jamais été bon à rien quand sa tête était encombrée. Oublier… Juste ce qu’il fallait. Mais saurait-il toujours quoi faire, s’il perdait la raison ?

Trop de bruit
Pour mon esprit qui tangue
Sur mes rêves exsangues
Drôle danse
La mémoire est un puits de souffrance
Au-dessus
De ton corps défendu
Mon amour pendu
Se balance


Non. Ça suffit, à la fin. Il ne pouvait pas perdre son temps et son sommeil sur une incertitude. Ça durait depuis leur première minute ! Autant il ne parvenait à se déchiffrer lui-même, autant il paraissait évident qu’il devenait un parfait crétin ! Mû par une soudaine impulsion électrique le long de son corps, il repoussa les draps d’un geste rageur et posa fermement ses pieds à terre. Cette fois, il allait parler à Yumi sérieusement ! Qu’elle ne désire pas qu’ils soient honnêtes envers leurs sentiments parce que XANA, la guerre, Lyoko, la fin du monde, tout le reste, soit ; mais elle n’était même pas capable d’accepter son amitié ! Il ne pouvait pas rester pendu entre les jours de soleil et les jours de pluie ! Plus déterminé qu’il ne l’avait jamais été sur la question, il se vêtit rapidement et ébouriffa sa mèche rebelle. Il s’arrêta devant son miroir, durcit son regard et son cœur, et chercha une réplique ou deux à répéter. Il se sentait prêt, il se sentait… Électrique…

Que… Que faisait-il ici, déjà ? Il… Devait répéter quelque chose, oui, mais… Que… Que…
Il leva sa main vers son reflet. Ses doigts tremblaient. Une étrange vibration réchauffait sa tête et descendait le long de son corps. Ce n’était pas… Normal, que… Où était Odd, Jéré… Les autres, comment ils s’appelaient déjà… Et pourquoi il sentait son cœur si lourd ? Pourquoi était-il appesanti d’une émotion de remords, de colère ? À qui était-ce destiné ?

Je hais les roses
Autant que mes sanglots
La vie s'impose
Je crois à nouveau
À mes rêves défunts
Je veux enfin
Oser la fièvre
Du parfum
Des roses


La porte s’ouvrait derrière Ulrich. Une main douce se posa sur son épaule, la secoua. Depuis quand était-il tombé ? Sa main… Elle tremblait toujours… Depuis quand ses yeux étaient-ils rouges ?
Il y avait toujours ce sentiment dans son cœur. Cette torpeur aux parfums familiers… Mais il ne se souvenait plus pourquoi. Sa mémoire était une page blanche, au-dessus de laquelle il secouait un stylo presque vide. De l’encre tombait, voulait inscrire quelque chose, immortaliser, mais… Mais quoi ? Et en même temps… Son cœur si lourd, mais incapable de lui dire pourquoi… Était-ce une libération ? Pourquoi s’inquiéter pour des fantômes ? Est-ce qu’on venait de lui ôter un tourment ? Si oui, pourquoi chercher à s’en souvenir ?

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Petit poltron
Veut devenir grand
Mais il reste assis
Petit bouffon
Insulte le sultan
Mais il est puni


Jérémie fixait l’écran provocateur, une rage sourde embrasant ses yeux. Cette sombre engeance du pire des meilleurs génies, ce maudit XANA, il osait s’en prendre aux souvenirs des gens ! Alors même que Jérémie cherchait dans le Retour Vers le Passé un moyen d’affaiblir son ennemi ? Il le savait. Il l’avait fait exprès. Il se foutait littéralement de sa gueule. Pour un peu, il l’entendrait chantonner de toute sa satisfaction.
Par la fenêtre, Jérémie observait le bal de ses contemporains, errant dans la cour de Kadic à la recherche de leur mémoire. Des zombies, des fantômes. A ce rythme, ils oublieraient jusqu’à leurs noms avant la fin de l’heure. Mais pourquoi possédait-il toujours sa mémoire, lui ? Il n’avait eu à subir que quelques trous, mais Lyoko et ses amis étaient imprimés au fer rouge dans son esprit. Peut-être que les Lyoko-Guerriers étaient immunisés, comme avec le Retour Vers le Passé ? Fallait-il l’espérer ? Cela leur donnait une chance de sauver le monde, mais ça ne rendait pas plus clair le plan de l’ennemi…
Non, ne te laisse pas distraire. L’œil de XANA brillait certes d’un rouge atroce, mais il n’est qu’un épouvantail. C’était une attaque, rien de plus, rien que le Code Lyoko ne pourrait effacer. Il fallait juste que Jérémie mette la main sur ses camarades, et ils feraient comme d’habitude.

La vie est injuste mais ça dépend pour qui
La vie est injuste
Surtout pour les petits
La vie est injuste
Et c’est pour ça qu’on rit
Chez les grands, les puissants,
Les pourris rient


Un Odd hilare apparut dans le couloir, tenant dans ses bras son chien et suivi par une poignée de filles attendries par l’animal. Tout sourire, il s’arrêtait pour les laisser gratouiller l’oreille de Kiwi, et en profitait pour glisser quelques bons mots. Que… Mais n’avait-il pas compris ? Pourquoi ne venait-il pas vers Jérémie, pour réclamer un ordre de mission ? Pourquoi se comportait-il comme si…
Oh non.
Jérémie se précipita vers le couloir et interpella Odd. Ce dernier lui répondit avec un air de pure incrédulité. Les faits ne tardèrent pas à s’imposer dans l’esprit du génie. Son ami aussi avait été touché par l’amnésie collective. Il ne savait plus qui était Jérémie, donc il ne devait plus se souvenir de Lyoko… Non… XANA essayait de le priver de ses soldats ? Jérémie était-il le seul à avoir conservé ses souvenirs ? Et si l’amnésie s’était faite par un moyen dont Jérémie ne disposait pas ? Jérémie devait contacter les autres. Oh, faites que leurs réflexes de Lyoko-Guerriers ait pu les épargner, faites que leurs instincts soient des privilèges heureux, pour une fois…

Aimons-nous les uns les autres
Comédie, tragédie
Tous les enfants sont les nôtres
Comédie, tragédie
Peu importe les coups,
Tu tendras l'autre joue
Comédie, tragédie
Heureux les miséreux
Élus au royaume des cieux


Oui, il devait s’assurer qu’il lui restait au moins un ami… Jérémie s’empara de son téléphone, avant de constater qu’il était parfaitement déchargé. Il s’apprêta à retourner sa chambre à la recherche de son chargeur, mais soudain se ravisa. Son esprit allait trop vite, il ne captait que des bribes d’éclair de génie, et dans le chaos d’idées il n’avait pas pensé tout de suite qu’un contact de l’oreille à l’appareil pouvait atteindre le cerveau. Ça s’était déjà vu, après tout. Peut-être que tous les touchés étaient à proximité de leur téléphone, chargés et prêts à tirer au nom de XANA… Il devrait se passer de tout ce qui comportait un risque. Après tout, les chambres étaient à portée… Il se précipita dans le couloir de l’internat. Aelita, Ulrich… Non, dans l’autre ordre. Son ami n’était qu’à deux portes, ça irait plus vite… Si seulement tous ses camarades ne le fixaient pas avec leurs yeux hagards, à se demander qui il était… Soudain, l’un d’eux s’agrippa à lui, lui demanda ce qu’il faisait là. D’autres s’interpelaient, mais à défaut de réponses finissaient par paniquer. Non, Jérémie n’avait pas le temps ! S’il voulait tous les sauver, il devait les abandonner… Il devait sauver le monde, et il n’y arriverait pas s’il essayait de leur expliquer, de leur rappeler…
Soudain, une voix fluette, fébrile, derrière lui… Il se retourna, et reconnut la figure rose pâle d’Aelita. Ses yeux noisette étaient noyés de larmes. Elle fixait les pauvres perdus autour d’elle, complètement désolée. Jérémie s’approcha lentement d’elle. Elle se planta dans ses yeux. Et comment pouvait-on les laisser comme ça, et elle avait dû en sauver plusieurs déjà, et ils sont tous dangereux pour eux-mêmes, et ce ne serait pas sauver le monde que d’en abandonner à leur sort, et il allait forcément y avoir des morts… Il y en avait peut-être déjà… Elle ne le confirma pas. Jérémie eut soudain la gorge sèche. La main de son camarade était toujours accrochée à son pull, mais il ne pouvait la repousser, pas quand Aelita se sentait si coupable de tous les laisser…
La porte de la chambre de Jérémie était toujours ouverte. Il voyait encore le symbole de XANA, rouge et abominable sur l’écran. Est-ce que… Est-ce qu’il essayait de briser l’esprit de Jérémie ? Lui imposer un dilemme moral, celui de trop, celui qui lui ferait perdre Aelita ? Est-ce que l’amitié des Lyoko-Guerriers était le vrai souvenir qu’il voulait annihiler ? La colère rejaillit en Jérémie. Une colère sourde, qu’il se promit de faire goûter à XANA prochainement. Il profita qu’Aelita se frottait les yeux pour se détacher de l’élève désespéré et prit la main de sa Princesse. Ensemble, ils allaient chercher leurs amis, leur rendre la mémoire, et sauver le monde. En espérant qu’il n’y ait pas de victimes. Il n’y en aurait pas, c’était leur devoir, c’était la raison de leur privilège, de leur droit de se souvenir de chaque attaque.

Assez !

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Elle me fait mal à l’intérieur
Et j’ai tout fait pour ça
Quand elle m’a fait saigner le cœur
Je l’ai gardé pour moi


Yumi fendit la foule hagarde à travers la cour, le cœur battant à tout rompre. L’attaque l’avait sortie du lit aux aurores, quand elle avait entendu les cris dans la chambre parentale et les pleurs paniqués d’Hiroki. Personne ne se souvenait de qui était qui, ni de ce qui les avait conduits dans une maison qu’ils ne connaissaient pas. Ses réflexes de Lyoko-guerrière l’avait forcée à les laisser à leur désarroi pour appeler Jérémie et foncer vers l’Usine. Mais finalement, le chef avait préféré la ramener au collège, Ulrich étant introuvable et Jérémie et Aelita devaient déjà courir après un Odd particulièrement pénible. Évidemment, c’était après lui qu’il l’envoyait… S’il avait disparu, c’est que peut-être, lui aussi avait été frappé par l’attaque de XANA… Yumi ne savait pas si elle le supporterait. Qu’il fasse mine de l’ignorer en connaissance de cause, passe encore, ça faisait partie de leur petite danse. Qu’il joue à l’innocent sur leurs sentiments partagés, là aussi d’accord. Mais s’il avait vraiment oublié… Si elle était soudain seule à savoir ce qui se tramait entre eux, si d’un coup tout le poids de leurs non-dits s’effondrait sur son cœur…

J’oublie le temps mais passe des heures
À n’attendre qu’elle
Elle me fait mal à l’intérieur
Et ça me rappelle


En tout cas, elle, elle ne l’oublierait pas. Ce n’était pas vraiment une reddition de sa part que de le dire. A peine un aveu du bout des lèvres, qu’elle pourrait masquer derrière leur amitié. Les camarades de combat, on les aime à force de partager des traumatismes, n’est-ce pas ? Mais elle savait que ce qu’elle ressentait pour Ulrich, c’était une exception…
Enfin, la voici dans la chambre d’Ulrich. Il était devant son miroir, prostré, les deux mains au niveau de ses yeux. Il tremblait un peu. Elle posa sa main sur son épaule ; quand il ne répondit pas, elle le secoua doucement. Il se retourna dans une atroce lenteur. Il n’était pas aussi ébahi que les autres, mais le processus d’amnésie avait commencé à le travailler. Il remodelait son regard, à la mode des jours avant Lyoko. Renfermé, sombre… Yumi sentit son cœur rater plusieurs battements. Sa crainte était confirmée. Elle se dirigea vers lui, lui prit le bras, le secoua encore. Il lui répondit d’un air perdu. Il croyait se souvenir d’elle, comme une parmi tant d’autres à l’heure de la récré ou du déjeuner. Mais son nom ne réveilla rien de plus en lui. Pas même le baiser qu’ils avaient failli échanger, un jour. Yumi fut écrasée par un atroce sentiment de solitude. Tout son amour lui fut renvoyé à la figure. Elle ravala une sensation de brûlure qui noyait ses yeux, et entraîna Ulrich avec elle. Le mieux qu’elle puisse faire, c’était le mettre à l’abri à l’Usine. À la sortie du collège, elle retrouva Jérémie et Aelita. Ils tentaient d’attirer Odd à leur suite en lui parlant d’un secret et d’une aventure à vivre. Une fois le groupe réuni, ils prirent tant bien que mal la route de leur repaire, esquivant les badauds égarés et évitant du regard les nombreux accidents de la route sur leur chemin.

Elle me fait mal
À l'intérieur je meurs
Et je deviens pâle
Je veux tout oublier
Suis-je normal ?


Yumi lutta contre Ulrich, quand il remarqua l’état de délabrement de l’Usine et refusa d’y entrer. Il fallut l’insistance de Jérémie et une pique d’Odd sur la « lâcheté de Stern » pour qu’il se décide à prendre la corde. Mais il hésitait, ça se voyait. Pendant le trajet, il avait compris à demi-mots que la panique qui traversait la ville était lié à ses camarades. Il était inquiet, il voulait appeler ses parents, pour être sûr que tout allait bien. En un sens, elle l’enviait, de n’avoir qu’une légère inquiétude pour lui troubler l’esprit. Au moins, en lui prenant tout, l’amnésie l’épargnait. Si seulement elle avait pu être touchée, elle aussi, ne serait-ce que le temps de l’attaque… Elle n’avait pour elle que les airs d’une chanson d’amour trahi…
Au moins, Ulrich comprenait qu’appeler des autorités, probablement touchées par l’amnésie elles aussi, ne leur serait d’aucun secours. Et selon ce qu’il comprendrait des prochaines minutes, il pourrait accepter de plonger sur Lyoko. Alors finalement, une fois que tous eurent atteint la salle des ordis, Jérémie céda et laissa à Ulrich le temps d’appeler son père. Il enverrait Aelita, Yumi et Odd dans un premier temps. Au moins, ce dernier n’avait pas été trop difficile à convaincre. Il ne les croyait clairement pas, mais il sentait lui aussi qu’il se trouvait dans l’épicentre du chaos. Il voulait en être, juste pour voir.
Yumi laissa Ulrich derrière elle, à contrecœur. Elle le savait en sécurité avec Jérémie, mais… Si cette attaque tournait mal, est-ce que le dernier souvenir qu’elle aurait d’Ulrich serait ses yeux vides d’elle ?

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Mes erreurs, mes douleurs, mes pudeurs, mes regrets
Mais pourquoi faire ?
Tu t'en moques, tu révoques tout en bloc,
tu balaies tout d’un revers.
Ma mémoire, mon histoire sans égards,
mon passé que tu enterres.
Demain tu diras : pourquoi n’ai-je pas vu les pièges,
Emporté dans l’odieux manège ?
Des rancœurs, des frayeurs, des malheurs
au cœur de l’amour amer,
Des nuits noires, des déboires à la gloire
des plaisirs éphémères.
J’ai beau prêcher dans le désert, comment me taire ?


Ulrich serra son téléphone contre son oreille. Il se souvenait de son père, Walter Stern, figure austère et autoritaire tenant son fils avec une main et des mots de fer. Il se souvenait des leçons qu’il lui assénait, quand Ulrich se montrait indolent et inconséquent. Mais à présent, à l’autre bout du fil, la voix ne claquait pas. Elle grinçait, incertaine, demandant qui lui parlait. Il ne se souvenait même pas de son fils, alors que lui se souvenait… Enfin, il avait surtout ses sermons en mémoire. Comme une chanson apprise par cœur, qui revient en tête quand on s’y attend le moins. Mais pas d’images, pas de maison, pas d’anniversaires ou de Noël. Juste une voix puissante avec un regard impérieux, dont il ne pouvait se détourner.

Pour grandir, t’accomplir et sortir
de la ronde séculaire,
Dans mon ombre, les décombres des jours sombres,
tu trouveras la lumière.
Ce sont les travers qui t’éclairent, comment me taire ?


Ulrich voulut hurler, s’en prendre à son père, comme il supposait qu’il le faisait d’ordinaire. Là encore, il n’avait pas de souvenir exact, mais l’instinct était ancré en lui. Il sentait que c’était ce qu’il devait faire. Répliquer, se défendre, se débattre. La relation avec son père était une lutte constante entre ce que Walter espérait transmettre à son fils et les réécritures qu’Ulrich faisait de sa personne. Il était clair que son père ne croyait en la raison et la vérité que s’il avait pu les créer de ses mains ; mais Ulrich n’était pas lui, et il façonnait autre chose, hors de portée de son paternel. Alors les deux esprits se heurtaient, se cognaient, comme des percussions sans rythme ni raison. Ulrich devait relancer la tragédie, et peut-être lui rendre ses esprits. Mais… Que lui dire ? « Je suis ton fils, celui qui te déçoit du lever au coucher du soleil » ? Il ne savait même pas sur quoi s’appuyait cette impression… Et puis, avec un tel résumé, Walter aurait plus de mal à croire qu’un garçon comme Ulrich était son fils, que le fait qu’il avait un enfant tout court. Comment espérer que dans les décombres de leurs conflits, Walter pourrait retrouver Ulrich ? Comment lui parler de lui, quand il ne savait même pas s’il devait se présenter pour ce qu’il était ? Et si Walter le comprenait de travers, se faisait de lui une idée déformée ? Comment… Résister à la tentation de croire que les souvenirs qu’il avait lui-même perdus penchaient en réalité en sa faveur ? Qu’ils dessinaient celui… Que son père voulait voir ? Au pire, aucun d’eux deux ne s’en souvenaient, alors qu’est-ce que lui coûterait un mensonge ? Mais… Il y avait cette fille, qui l’avait entraîné ici, et avait l’air tellement blessée à chaque fois qu’elle le regardait… Elle voyait quelque chose en lui. Elle pouvait lui rendre les souvenirs qu’il avait perdus. Mais si ce n’était pas ce qui plairait à son père ? S’il ne s’y reconnaissait pas ?

Tourne la terre comme les hommes,
Nous sommes la somme des erreurs de nos pères.
On mord toujours la même pomme,
Le serpent danse alors que l’on s’enferme.
Tourne la terre autour des hommes,
Il faut défaire ce que nous sommes
En embrassant nos pères.


Il n’avait plus le choix. Il devait accepter la proposition de Jérémie Belpois. Après tout, si cette fille en noir savait quoi que ce soit sur lui, et qu’elle faisait confiance aveuglément à cet intello… Alors, lui aussi avait peut-être des clés pour refermer la porte des Enfers qui s’était ouverte sur sa vie ? Il tiendrait sa chance de retrouver ses souvenirs, voire de rendre les siens à son père…

Il devrait accepter la mission, et plonger, lui aussi.

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Et le rideau de fer se referme, lourdement, arrachant les personnages au public. Il se fait frontière entre deux mondes, menant les protagonistes vers un autre monde, une autre partie de l’histoire. Quand il se rouvrira, les lumières se teinteront de bataille et d’espérance. Car à l’aube du prochain acte, l’affrontement tonnera, et le destin du monde se jouera. Les enfants de la guerre s’en iront, dans le secret de leur histoire et sous les yeux de ceux venus les admirer. Dans quelques instants, vous qui êtes parmi nous ce soir, serez spectateurs de la bataille des corps et des coeurs.

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Quand on arrive en ville
Tout l’monde change de trottoir
On a pas l’air virils, mais on fait peur à voir
Des gars qui se maquillent
Ça fait rire les passants
Mais quand ils voient du sang sur nos lames de rasoir
Ça fait comme un éclair dans le brouillard
Quand on arrive en ville


Odd se détailla des pieds à la tête. Violet, oreilles, queue… Un chat ? Et pourquoi pas un pingouin tant qu’on y était ? Au moins, il serait raccord avec le paysage polaire… Mais pourquoi diable n’avait-il pas l’avatar de ce ronflant de Stern ? Pourquoi n’avait-il pas le charisme et le katana ? Non, ce n’était pas possible, ses ennemis allaient se moquer de lui ! Il était au moins aussi ridicule que ces « kankrelats » ! Ishiyama et Stones avaient beau lui expliquer qu’il était un très bon guerrier, lui aussi, il ne voyait franchement pas comment un chétif Cheshire Cat pouvait égaler…
Pan ! Pan !
Attendez… Cette détonation venait de ses doigts ? Et… Elle venait d’exploser une de ces patates sur papattes ? Il avait fait ça ? Woah… Il tendit son poing vers un autre tubercule, repensa à ce qu’il venait de faire, et aussitôt, comme si son corps fut le premier à retrouver la mémoire, il visa et tira juste. Bon… Certes, les designs dans ce jeu laissaient à désirer, et c’était franchement dommage vu comme ce paysage de banquise envoyait du lourd, mais il pourrait peut-être s’y faire, à la longue… Et puis, il y avait cette sensation de déjà-vu, comme un murmure imprécis qui éveillait des souvenirs. Il avait déjà vécu ça, ce sentiment d’adrénaline qui le prenait quand il revêtait cette peau virtuelle et devenait un héros… En tout cas, les monstres face à lui ne semblaient pas en mener large. Ils ne fonçaient pas vers lui, essayaient de le prendre à revers. Visiblement, Odd était déjà respecté. Il devait être un sacré bon joueur, alors !
Mais ça ne lui expliquait pas quel rapport y avait-il entre son amnésie et ce jeu…
Comme Stern ne semblait pas décidé à demander lui-même, Odd se jeta à l’eau. Il se tourna vers Stones, qui n’osait pas se jeter dans l’action. N’avait-elle donc aucun pouvoir pour se défendre ? Peu importe, comme ça elle aurait le temps de tout raconter… Cependant, ce fut la voix de Belpois qui résonna dans la tête du joueur. Et ce qu’il lui dit le glaça.

Quand on arrive en ville
On arrive de nulle part
On vit sans domicile, on dort dans des hangars
Le jour on est tranquille
On passe incognito
Le soir on change de peau et on frappe au hasard
Alors préparez-vous pour la bagarre
Quand on arrive en ville


D’après lui, leur petit groupe constituait la seule ligne de défense entre un terrible virus informatique et la sauvegarde de l’humanité. D’abord, Odd crut qu’il parlait du scénario du jeu ; mais Ishiyama l’arrêta. Ce n’était pas un jeu. Ils n’étaient pas que des avatars mus par une technologie futuriste. Ils combattaient vraiment pour sauver le monde. Ce qu’il faisait ne relevait pas de l’amusement, mais du devoir.
Enfin… Ce ne devait pas être trop grave, non ? Il y avait cette histoire de Retour vers le Passé…
Même pas. Ce pouvoir, bien que puissant, n’est pas divin. Il ne saurait faire battre les cœurs à nouveau. Mourir pendant une attaque, c’était devenir éternellement sa victime. Que le temps remonte ou pas. Aussi il était hors de question de prendre cette histoire à la légère. Chaque seconde passée en guerre était de trop. Elle augmentait les risques qu’au-dehors, on ne meure de XANA. Certes, on jouait l’avenir de l’humanité en ces lieux, mais ce n’était pas un jeu.
Odd frissonna. Il se tourna vers Ulrich. Lui s’était figé. Comme si le poids de sa responsabilité venait de le heurter, il lâcha son katana. Il jeta des regards incrédules vers Stones et Ishiyama, qui surveillaient attentivement la réaction des garçons.

Quand la ville souterraine
Est plongée dans le noir
Les gens qui s’y promènent ressortent sur des brancards
On agit sans mobile
Ça vous parait bizarre
C’est p't être qu’on est débile, c’est p't être par désespoir
Du moins c’est ce que disent les auteurs du soir
Quand on arrive en ville


Soudain, Ulrich paniqua tout à fait. Il recula d’un pas, de deux, fut sauvé de justesse d’un tir laser par Ishiyama. Elle ne quittait pas des yeux le jeune samurai, la même ridule d’expression peignant un sentiment indescriptible au coin de ses yeux. Elle prit Ulrich par le bras, et à ses pourquoi et comment, lui répondit qu’hier encore, il était un guerrier puissant à l’arme fiable. Que jamais il n’avait reculé quand il s’était agi de défendre le monde. Qu’il avait fait ça pour les siens, pour Aelita, pour ses amis, pour lui-même sans doute un peu, mais aussi… Le reste de la phrase se perdit dans un soupir. Elle conclut d’un simple « J’ai encore besoin de toi ». Odd n’osa intervenir, sentant que quelque chose de plus se passait entre eux deux. Stern n’en avait visiblement aucun souvenir, mais Ishiyama… Une tension lourde s’installa, alors que la geisha abattit un monstre sans même lui accorder un regard. Stern ne bougeait pas. Ses yeux étaient un mélange confus de désolation, d’inquiétude et d’incompréhension. Comme s’il voulait vraiment savoir, mais était incertain de pouvoir payer le prix de la vérité…
Puis, finalement, il se pencha et reprit son katana en main. Il s’agrippa au manche, expira lentement, et bondit en avant. Un grand cri jaillit, alors que la lame brillait avec la glace environnante. Puis, comme s’il avait fait ça toute sa vie, il transperça net le dernier monstre. Clair, impeccable. L’œuvre de quelqu’un qui savait ce qu’il faisait. Ou à tout le moins, ne le faisait pas pour la première fois. Il se tourna vers Yumi, puis lui fit un petit sourire. Toujours hésitant. Il voulait savoir qui il était, dans cette histoire dont il ne se souvenait plus, assura-t-il.
Odd, lui, n’ajouta pas un mot. Il ne pouvait décemment pas faire moins bien que Stern, mais… Il ne savait toujours pas quoi faire. Jamais de sa vie il ne s’était senti si vivant, comme si son existence avait enfin pris les bonnes couleurs ! Pourquoi devait-il y avoir ce danger au-dessus de leurs têtes, pour ternir le tableau ?

● ● ●

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Tybalt, Tybalt, tu vas mourir
Tybalt, Tybalt, fini de rire
Tu n’es qu’un fat, non, tu es pire
Ton âme boite mais toi, tu crois courir
Le son de ta voix, ta façon de marcher
Tout, tout en toi me donne la nausée
Tybalt, Tybalt, je vais te tuer


William arrivait sur la scène de bataille, furieux. Il avait vu deux de ses adversaires perdre la mémoire, et pourtant ça ne suffisait pas ? Ils pouvaient encore se battre, comme si l’amnésie n’avait pas emporté leurs instincts ? Soit. Si ses sbires n’étaient pas assez forts, alors il prendrait les armes. Comme il l’avait promis à XANA, dans ses rêves de triomphe et de puissance, il allait montrer à Jérémie Belpois que son plan, quel qu’il soit, était voué à l’échec. Il détruirait la mémoire du monde, comme on lui avait détruit son avenir. Oui, c’était là sa raison de ne plus résister à XANA. S’il n’avait plus de vie à lui, alors personne n’en aurait ! Il éviderait l’humanité avant de la dévorer… Il allait écorcher l’esprit de Jérémie, lui montrer comme il le haïssait d’avoir permis qu’une telle rage s’implante dans son cœur ! C’était lui qui l’abandonnait entre les mains de XANA, lui qui ne venait pas le sauver ! Et les autres qui acquiesçaient aveuglément ! Comme si des enfants avaient une chance de résister au fruit d’un génie fou…

Mercutio, regarde-toi
Tu as de l'esprit, mais tu n’as que ça
Tu n’es qu’un bouffon, un poète raté
Et quand j'entends ton nom
Je me bouche le nez, maintenant c’est terminé
Depuis notre enfance je n’ai qu’une idée
Enfin ma patience va être récompensée
Mercutio, je vais te tuer


Enfin, William entrait sur le terrain. Jérémie s’y attendait, évidemment, et le voir arriver lui ôtait une appréhension de l’esprit. XANA manquait d’originalité : bien sûr que sur une attaque aussi tordue, il enverrait l’artillerie lourde. Dommage pour lui, les Lyoko-Guerriers connaissaient déjà la chanson, et la chantaient déjà. Odd et Aelita fileraient vers l’Usine, tandis que Yumi et Ulrich se chargeraient de William. Eh, avec un peu de chances, le samurai aura peut-être un déclic en voyant son ancien rival en amour…
La Princesse de Lyoko fonça vers la tour, accompagnée de son gardien. William parut, dégagea sa cape de brume noire et brandit son arme. Comme mû par un réflexe survivant, Ulrich s’interposa et arrêta le coup de son katana. Yumi le rejoignit et lança un éventail. William esquiva, mais comprit trop tard : Aelita et Odd étaient déjà loin. Oh, comme Jérémie regrettait de ne pouvoir observer l’action autrement que par la danse de curseurs sur une carte ! En tout cas, de nouveaux points venaient à la rencontre d’Odd et Aelita. Pas de soucis à se faire : ils n’étaient plus très loin de la tour infectée, et Odd semblait avoir encore quelques réflexes en réserve. Ça devrait aller. Une fois encore, et malgré un sérieux handicap de départ, ils l’emporteraient. Même au meilleur de sa forme, XANA restait un programme incomplet et perverti. Il était limité dans sa compréhension des êtres humains, et de leur amitié. Ses plans ne manquaient pas d’audace, mais ils ne suffiraient jamais.

Il me hait tant, y a si longtemps, non, Roméo
Sa grâce c’est trop, c’est comme un chien qui a la rage
Un lâche qui croit en son courage


William bouillonnait. Il ne pensait pas qu’Ulrich pouvait lui être plus insupportable. Même le virtuel ne pouvait rien contre cette détestation épidermique qui le saisissait quand il songeait que ce gars-là, indécis, morne, sans saveur ni quoi que ce soit, pouvait attirer le cœur de Yumi Ishiyama. Et c’était encore pire quand ce benêt le fixait avec l’air de ne rien comprendre. Ni de lui, ni d’elle, il ne se souvenait ni de son rival, ni du sujet de leur rivalité. Les murmures de XANA s’amplifiaient à chaque échange de coups, chaque parade réussie d’Ulrich, chaque mouvement échoué de William. Le pire, le pire, c’était que de toute évidence, même l’amnésie ne pourrait convaincre Yumi de se tourner vers lui. Ulrich était trop là, trop présent, trop… Trop quoi, d’ailleurs ? Courageux ? Ne plaisantez pas avec ça. Il y a cinq minutes, il se serait dévirtualisé s’il avait pensé que ça l’évacuerait du champ de bataille ! Dans le fond, c’est un gamin qui s’est retrouvé au bon endroit et au bon moment pour briller.
Il avait saisi l’arme avant de saisir tous les enjeux ! Si au premier jour, on lui avait présenté la mort, l’exil, la destruction et la nuit, il aurait refusé d’embrasser sa destinée si héroïque de Lyoko-Guerrier ! Alors que William, lui, avait accepté… Enfin, avait-il eu le choix ? XANA ne lui avait jamais rien demandé. La rage était venue le prendre sans frapper à la porte. Mais si on lui avait dit que ses propres amis l’auraient lâché, il aurait embrassé la promesse d’éternelle présence de XANA ! Au moins, il ne le laisserait jamais, il, il…
Pourquoi est-ce que tout ça sonnait si faux, bon sang ? Il ne détestait pas Ulrich en tant que guerrier, mais en tant que prétendant malheureux ! Lui qui était le premier lieutenant de XANA, son chef de guerre… Non… Qu’importait. Il allait abattre Ulrich, qui qu’il soit, quoi qu’il en soit…
Il leva son arme. Ulrich brandit son katana, prêt à l’arrêter. Parfait…
William se fondit dans sa brume noire, et glissa derrière son rival…
Il leva son arme à nouveau…
… Mais Yumi s’interposa. Elle prit le coup. Il la faucha instantanément.
Juste avant de disparaître, elle lui adressa un regard de colère et de déception. Le même. Toujours.

Qu’est-ce que tu crois, tu n’es pas roi, non
Tu es comme nous, même pire que nous
Te voilà plein d’amour et tu pisses la tendresse
Tu es comme les vautours qui attendent la faiblesse
Vivre, vivre c’est se battre, la vie n’est pas un théâtre


Ulrich vit disparaître Ishiyama, impuissant. Il n’avait eu que le temps de comprendre la manœuvre de son adversaire que la jeune femme s’était dressée entre eux deux, et avait pris les dégâts à sa place. Les éclats de pixels qui voletaient en grésillant devant lui éveilla une rage sourde. Ce type… Il ne le remettait pas, mais son cœur l’associait à un ressentiment violent. La détestation qu’on réserve à ceux qui se croient meilleurs que nous. La haine qui nous prend quand, parfois, on se dit qu’ils le sont vraiment. Mais non, ce type ne pouvait correspondre à ça, pas quand il venait de tuer de sang-froid Yumi !
Mais ce souvenir… C’était là aussi du déjà-vu. Quelque chose qu’il avait vécu, dans un passé perdu, mais qui avait laissé son empreinte au creux de sa personne. Un sentiment fondamental, une pierre angulaire, indéfinissable mais intangible…
De la peur. Il avait eu peur pour Ishiyama. La même peur qu’il avait ressentie quand son père ne l’avait pas reconnu, au téléphone.
Se pouvait-il que… Qu’il la connaisse vraiment ? Et qu’elle ne l’ait pas oublié, elle ?
Elle l’aurait protégé… Par amour ?
Ulrich sentit sa rage grandir. Il ne pouvait encore la définir tout à fait, mais les contours se dessinaient. Il savait en quoi elle était liée à Yumi. Et à ce type…
Il leva son katana et, profitant de ce que la pluie de pixels n’eut pas fini de s’élever, il le fit fendre l’air vers son adversaire.
La lame entra tout droit dans le ventre de l’ennemi. Il poussa un cri furieux et, à son tour, devint une nuée de cendres virtuelles.
Ulrich planta son arme à terre, sous les félicitations de Belpois. Il avait réussi. Il avait vaincu.

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Qui voudrait être à ma place
Qui saurait comment faire face
À ce rôle qui me fait peur ?
Je vous laisse juge et complice
Vous en laisse le bénéfice
Pour jouer en coulisse


Odd regarda ses flèches fracasser des monstres dans un rythme parfait. Leurs explosions faisaient battre le cœur du combattant en même temps que l’air qui trottait dans sa tête. Il s’y accrochait, comme un spaghetti s’enroulerait autour de la fourchette avant de se faire engloutir. Lui, un guerrier ! Il n’en avait pourtant aucun souvenir ; même ce monde virtuel, cette Lyoko, qui pourtant avait marqué sa vie au fer rouge d’après Stones, n’était qu’une brume indéfinie. Tout ce qui en restait, c’était les sensations fortes, le plaisir du jeu, de la poursuite, de l’affrontement. Mais Odd Della Robbia, s’attacher à autre chose que son plaisir ! Hé, ce n’était pas de l’égoïsme ; il était lui, il vivait sa vie, et qu’était la vie si on y souffrait ? Le monde était un terrain de jeu, son imagination était son livre de règles. Les décisions, très peu pour lui, il les laissait à ceux qui étaient taillés pour ça. Que les autres construisent leurs châteaux de pierres, lui se contenterait d’un bout de plage et d’un seau ! Mais s’il était impliqué dans un secret, du genre de ceux qui mettent l’intégrité du monde en jeu… Cela faisait de lui un décisionnaire, non ? Par quelle arnaque l’avait-on fait adhérer à une telle absurdité ?

Pas envie
De me lever,
Non je n’ai pas envie
De m’encombrer
Ni d’avis à donner,
Je suis fait pour la fête,
Pas pour la prise de tête, non…


Le félin se faufila entre les Icebergs, suivant de près la fille aux cheveux roses. Elle lui était chère, ça pour sûr ; il la protégerait de tout, il s’en souvenait. Mais l’ennemi principal était la banalité et l’ennui ! La preuve, il lui avait appris la musique, la composition, la scène. Tout ce que font les gens grandioses et géniaux, en somme ! Odd se sentit fier de lui ; même dans l’adversité, il avait su suivre son credo. Cette fille aux cheveux roses demandait la vie, il allait la lui donner ! Il allait lui apprendre la douceur de sa propre chanson !
Ça tombe bien, deux autres patates kamikazes venaient à leur rencontre. Odd prit son élan et, d’une légèreté fabuleuse, il les survola. Bras tendu, flèche parée, rythme en tête. Il chantait à tue-tête dans son esprit, gardant ses mouvements calqués sur les percussions, et mené par son propre enthousiasme, frappa un monstre qui explosa au commencement du refrain. Odd retomba sur ses pattes, souple et précis, et prépara sa prochaine flèche. Un, deux, un deux, un…
Le monstre explosa avant qu’il ne fît un mouvement. Son oblitération révéla une Stones, main tendue devant elle et tout sourire. Ainsi donc, elle avait un pouvoir… Et oh, bon sang, elle était craquante ! Mais pas du genre des pépéttes à qui Odd aimait conter fleurette. Plutôt comme une petite mélodie familière, joyeuse et entraînante. Une sensation nouvelle revint à l’esprit du jeune homme : quand la princesse était là, c’était elle qui donnait le tempo. Cette nouvelle information réconforta Odd. Peut-être qu’il était mêlé à un secret dangereux, mais il était entouré de bonnes gens, qui ne perdaient pas l’important des yeux ! S’il parvenait à garder pour lui l’adrénaline d’une mission, la fierté d’une victoire, le plaisir de partager ses escapades, alors il pourrait vivre avec son fardeau. De toute façon, quel devoir Odd le Magnifique ne pouvait rendre fantastique ? Il ne savait pas si c’était celui qu’il était hier, mais aujourd’hui il en était certain : il voulait rester dans l’aventure. Ne serait-ce que pour s’amuser, et connaître des sensations comme seul un type aussi cool que lui pouvait désirer !

Ha, ha, ha, à qui la faute ?
La vie est trop sérieuse pour m’y ennuyer
Ha, ha, ha, à qui la faute ?
Non, ce n’est pas de ma faute
Ha, ha, ha, à qui la faute ?
Les envies trop nombreuses pour y résister
Ha, ha, ha, à qui la faute ?
Non, non,
C’est pas de ma faute, non…


Odd et Aelita foncèrent vers la Tour rouge. Alors qu’ils approchaient, Ulrich Stern les rejoignit à bord d’une étrange moto – oh bon sang, Odd voulait la même ! -, l’air complètement paumé. Un peu comme d’habitude. Peut-être arriverait-il à le décoincer un jour… Mais bon sang, même quand il s’agissait de voir leur protégée passer la ligne d’arrivée, victorieuse, il ne déridait pas, le mufle ! Pourtant, il se souvenait vaguement d’un regard plus pétillant, sur ce visage. Peut-être que Lyoko était la solution aux problèmes des gens malheureux ; certains diraient que c’est parce que frôler la mort vous fait apprécier la vie, mais pas de ça chez Odd ! Il fallait le vivre pour le sentir ; le monde pouvait s’effondrer, quand on est dans un royaume où la mort n’est pas une fin, tout est plus simple. On peut être ce qu’on veut, et recommencer plus tard. Sur Lyoko, on ne tire pas les leçons mais le vin ! Odd ne pouvait rêver mieux, et il doutait qu’on le puisse. Si son amitié pouvait entraîner avec lui ce dépressif de Stern, alors c’était bien la preuve qu’il avait trouvé sa place sur Lyoko. Voire sa vocation. Aux autres les décisions, lui s’amuserait.

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Midnight, not a sound from the pavement
Has the moon lost her memory ?
She is smiling alone
In the lamplight, the withered leaves collect at my feet
And the wind begins to moan


Aelita venait d’entrer dans la Tour. Bientôt, le signal brillerait, et Jérémie pourrait lancer le Retour vers le Passé. Bientôt, il ramènerait l’humanité à un temps où elle savait ce qu’elle était. Un temps où elle était sauve. Les rues seraient à nouveau remplies des rires et de la vie qu’il chérissait tant, qu’il protégeait au prix de son enfance. Il ne manquait que quelques secondes, et il pourrait appuyer sur le bouton du happy ending et chanter l’hymne de la victoire.

Memory, all alone in the moonlight
I can smile of the old days
Life was beautiful then
I remember the time I knew what happiness was
Let the memory live again


Quelques secondes, et Yumi retrouverait la vie qu’elle chérissait, malgré ses questions sans réponse. Du calme, mon cœur, tu connais la musique, elle arrive à son dernier refrain. Bientôt, la valse avec Ulrich reprendrait. Il se rappellerait chaque pas, et ensemble ils tourneraient autour de ce qu’ils taisent. Le silence pour la face du monde, une chanson dans leurs esprits. Juste quelques secondes, et Ulrich retrouverait sa mémoire, prêt à reprendre son écriture avec Yumi.

Every street lamp seems to beat
A fatalistic warning
Someone mutters and the street lamp sputters
And soon it will be morning


Reprendre où il en était rendu, avant tout ça. Odd le désirait. Plus jamais il n’oublierait ce qui l’avait aidé à accepter le danger de cette aventure. Le frisson, l’adrénaline, l’amitié… Ça devait surpasser les signaux d’alertes qui, dans sa tête, voulaient sonner la fin de la récréation. Oui, le monde était en danger ; non ce n’était pas ce qui devait compter. Après tout, l’amusement qu’il ressentait sur Lyoko était une bonne raison de se battre, n’est-ce pas ? Quelques secondes, et Odd se rappellerait comment il taisait l’accusation que sa conscience adressait à son aveuglement volontaire.

Daylight, I must wait for the sunrise
I must think of a new life
And I mustn't give in
When the dawn comes, tonight will be a memory too
And a new day will begin


Ulrich n’avait jamais été prêt à s’élancer dans la vie. L’impulsion, la volonté, la foi, rien n’avait fonctionné sur lui. Si quelque chose avait survécu à son amnésie, c’était ce fond de réflexe, ce savoir naturel que possédait son corps, et qui voulait juste l’étendre dans la paix et le silence. Pourtant… Il s’était vu revêtir un nouveau costume, dans ce monde virtuel. Le katana s’imprégnait de ses mains comme une évidence, comme s’il demandait à être ramené sur Terre, à devenir une part d’Ulrich. Mais dès qu’il y pensait, une part de lui regrettait encore son acédie. Lequel de ces deux masques était fait pour son visage ?

Burnt out ends of smoky days
The stale, cold smell of morning
A street lamp dies, another night is over
Another day is dawning


L’ascension commençait ; Aelita sourit. Aucune attaque de XANA ne pourrait lui arracher cette incroyable sensation, celle qui chassait le mal et le désespoir. L’aura de lumière autour d’elle la guidait vers le sommet du phare contaminé, où elle pourrait éteindre l’œil de l’Ennemi. La nuit serait chassée, quand elle éteindrait la flamme de XANA. Le soleil, seul feu légitime de l’humanité, reviendrait et annoncerait le renouveau du matin passé, radieux, prometteur. Il réécrirait un jour sans danger. Il suffisait qu’Aelita se laisse déposer sur la plateforme, et signe de son nom la sauvegarde de la Terre. Car dans le secret des enfants de la guerre virtuelle, Aelita voulait dire paix.

Touch me, it's so easy to leave me
All alone with the memory
Of my days in the sun
If you touch me, you'll understand what happiness is
Look, a new day has begun


Le calme, le silence. Le temps suspendu aux lèvres de ses anciens amis. Non… Non ! Ils allaient à nouveau gagner, ils allaient à nouveau l’enterrer dans la solitude, ils allaient… William enragea. Ne pouvaient-ils, qu’une fois et une seule, ployer sous sa colère ? Savaient-ils seulement comme il leur en voulait, de préférer leur secret à sa vie ? Car plus le temps passait, plus il se laissait gagner par XANA. Bientôt, ses forces s’évanouiraient, et plus rien ne pourrait être fait pour lui. Il l’avait compris, au fil des jours et des nuits où son maître le privait de ses souvenirs sur Terre. Bientôt, il le convaincrait de les abandonner ; pourquoi les garderait-il, alors qu’il devait signer la fin de tout ? L’amnésie qui avait frappé l’humanité n’était pas qu’un avant-goût de la mort, mais aussi le reflet de l’affliction qui dévorait William. Et aucun Retour vers le Passé ne le soignera. Le Retour vers le Passé… Il se rapprochait. Dans un soupir, il l’engloutit.

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Et le rideau blanc, soudain, s’abattit sur la scène. Parcourant le sol et les corps, il posa son voile sur le monde, le glissant pour un temps hors du temps, dans d’insondables coulisses. Certes, dans un instant, le lourd rideau se relèvera, et les personnages reviendront sur les planches, pour y jouer leur conclusion. En attendant, le rideau tombe, et la procession des vainqueurs s’impose, en boucle immuable. A nouveau, le monde est sans danger.

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Love doesn't discriminate
Between the sinners
And the saints
It takes and it takes and it takes
And we keep loving anyway.
We laugh and we cry and we break
And we make our mistakes.
And if there's a reason I'm by her side
When so many have tried
Then I'm willing to wait for it.
I'm willing to wait for it.


Ulrich frôla du bout de ses doigts ceux de son reflet, déformé au cœur de la paroi. L’avatar d’un avatar… Son image, renvoyée vers le miroir avant de revenir à ses yeux, avait fait trop de chemin entre sa conscience et le monde pour rester inchangé à chaque étape. Mais était-ce sage, de se diviser autant pour essayer de se réassembler ? Un vase a-t-il besoin de se briser contre le sol pour sentir, dans sa recomposition, ce qu’il doit être ? Comme si l’esprit humain avait besoin, parfois, de se perdre pour se rappeler qu’il devait aller quelque part… Mais lui, Ulrich, combien de fois devrait-il s’abîmer face à ses reflets pour se souvenir de ce qu’il est, et de ce qu’il doit ?
Les regards blessés de Yumi se fracassèrent contre lui. Pourtant, il revenait à lui, doucement. Depuis que ses souvenirs revenaient, il sentait qu’un peu de son cœur se réchauffait au feu de sa camarade. Il retrouvait des bribes de promesses, d’approches échouées et de dénis entêtés, mais ce n’était que des pièces de puzzle. Toutes avaient déjà un sens en elles-mêmes, mais ensemble, créeraient-elles une peinture plus nette et complète de ce qu’il ressentait et voulait ? Et quand bien même… Le devait-il ? Pouvait-on préférer l’ignorance au savoir ? À quel point sa paresse le possédait ?

Death doesn't discriminate
Between the sinners and the saints
It takes and it takes and it takes
And we keep living anyway.
We rise and we fall and we break
And we make our mistakes.
And if there's a reason I'm still alive
When everyone who loves me has died
I'm willing to wait for it.
I'm willing to wait for it.


Pas de morts, et pourtant, Ulrich ne pourrait oublier son père, vide de son souvenir et, in fine, de leur vie. Des statues auraient eu plus d’histoire à raconter que lui. N’était-ce pas une forme de mort, que l’amnésie ? Lorsqu’on s’en va, on renonce à notre corps. Perdre la mémoire n’était qu’une alternative à la décomposition des chairs, dans le fond. Même en essayant d’y réfléchir, Ulrich ne pouvait se départir de cette idée. Il avait écouté son père mourir spirituellement, aujourd’hui. Et la seule façon de le sauver, c’était de Remonter le Temps, de réécrire ses souvenirs. En quoi était-ce différent d’en perdre ? Ne jouait-on pas avec la vie des gens, en leur refusant une partie de leur histoire, aussi funeste soit-elle ? Et pourquoi Ulrich devait, lui, vivre avec ces mille vies que les autres, malgré eux, oublient ? Était-il plus fort, méritant, moral ? N’était-ce que de la chance, le bon ami au bon moment, la mauvaise décision quand il fallait la prendre ? Qu’est-ce que ça voulait dire de lui ? Qu’il peut se passer d’être sérieux ou appliqué, malgré la volonté de son père ? Ulrich éloigna ses mains de son reflet, observa doucement les lignes qui sillonnaient sa paume, chantant pour elles et pour tous les destins qu’elles ne racontaient pas.

I am the one thing in life I can control
I am inimitable, I am an original
I'm not falling behind or running late
I'm not standing still
I am lying in wait
Hamilton faces an endless uphill climb
He has something to prove, he has nothing to lose
Hamilton's pace is relentless
He wastes no time
What is it like in his shoes?


Comment faisait Jérémie ? Comment faisait cet enfant, à peine ébauché, pour être si sûr de lui ? Il ne savait rien du monde, pourtant il sacrifiait jours et nuits pour l’humanité, à se prendre pour un Dieu fait Homme, déclarant dans un semblant de modestie que ce qu’il faisait n’était rien que son devoir ? Pourtant, dans ses yeux, brillait une fierté atroce, inconséquente, niant toute philosophie. Jérémie ne réfléchissait jamais à ce qu’il faisait. Il ne croyait qu’au comment, pas au pourquoi. Si c’était la solution ? Suivre le courant, se laisser porter par son devoir comme un loup partant en chasse, sans repos tant que le goût de la victoire ne s’est pas posé sur sa langue ? Devait-on d’abord vaincre sa morale, quand on partait en guerre ?
… Non, qu’importe. Jérémie était la voix qui guidait, Ulrich la main qui s’abattait. Étaient-ils tous deux animés des mêmes questions, hantés par les mêmes cauchemars, brisés par la même mission ? Que Jérémie se sente coupable ou non ne changeait rien à la responsabilité d’Ulrich. S’il revenait là-dessus, alors il risquait de ne pas se conformer à celui qu’il était avant de perdre la mémoire. Il ne voulait pas refaire l’Histoire, il voulait se la raconter. La question n’était pas : « pourquoi est-ce arrivé ? », mais plutôt « pourquoi j’accepte que ça arrive encore ? ». Cette question ne pouvait avoir de réponse dans les motivations d’un autre, sinon Ulrich se confondrait dans Jérémie. Lui, pourquoi faisait-il ça ? Pour Yumi, pour son amour, pour vivre à chaque shot d’adrénaline l’ersatz d’un lien avec elle ? Pour les autres, parce qu’il croyait que ce qu’il faisait était pour le mieux, même s’ils l’ignoraient, même s’ils ne pouvaient pas comprendre ? Était-il donc un amoureux orgueilleux ? Était-ce de l’altruisme ou de l’égoïsme, de sauver des gens qui ne se savent même pas en danger, et de garder pour soi le souvenir de son propre héroïsme tout en espérant que ça durera toujours ainsi ? Et s’il faisait fausse route ? Si le guerrier en lui était si fondamental que ça, comment aurait-il pu l’oublier ?
Alors quoi ? Il restait quelque chose ? Une motivation que lui seul possédait ? Quelque chose qui le définissait ? Il recula, soudain glacé par une possibilité : et si même avant son amnésie, il ignorait qui il était ? Et s’il espérait, à tort depuis le début, que son passé avait les clés de son identité ? Devait-il alors y répondre dans le futur, alors qu’il se sentait si fragile dans ses fondations ?

Life doesn't discriminate
Between the sinners and the saints
It takes and it takes and it takes.
And we keep living anyway
We rise and we fall and we break
And we make our mistakes.
And if there's a reason I'm still alive
When so many have died
Then I'm willin' to
Wait for it…


Ulrich ferma les yeux. Il se répéta son nom, comme un mantra, du bout des lèvres. Il forma les lettres avec sa langue, silencieusement, cherchant à le faire parler à sa place. Il était la somme d’évènements qu’il avait en mémoire, qu’il avait oubliés et qu’il analysait encore. L’absence définit aussi bien que la présence. Lui et Yumi ne se tenaient pas encore la main, mais pour lui c’était tout comme. Il n’était pas le maître du navire Lyoko, mais sa volonté l’avait guidé à son bord. Dans toute sa vie, il avait été guidé par les circonstances. De sa naissance qu’il n’avait pas choisie à ses parents qui l’avaient habillé, nourri, éduqué, avant de le mettre dans l’internat qui allait révolutionner sa vie. Tout s’était fait sans qu’il ne proteste, juste parce qu’il le devait. Il n’avait jamais eu de contre-argument à opposer à quoi que ce soit, en tout cas rien qui ne lui avait semblé valoir la peine. Mais qu’on ne l’accuse pas d’acédie ! Il ignorait encore quelle était la force qui le guidait, lui assurait qu’il faisait ce qu’il fallait, que s’il n’avait pas la sensation d’avoir raison, ça viendrait. Mais ça ne le dérangeait pas de passer sa vie en rétrospective, de toujours s’interroger sur une question impossible. Perdre la mémoire, puis la retrouver partiellement, lui avait au moins appris ça. Il n’aurait aucune réponse maintenant, parce que tout était encore à faire. Il n’attendait pas par paresse, il laissait juste les questions couler sur lui et le forger. Il laisserait sa propre expérience le modeler, petit à petit, et il verrait bien où ça le mènerait.

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C’est tellement simple, l’amour
Tellement possible, l’amour
À qui l’entend, regarde autour
À qui le veut vraiment
C’est tellement rien, d’y croire
Mais tellement tout, pourtant
Qu’il vaut la peine, de le vouloir
De le chercher, tout le temps

Et le rideau se ferme, comme à l’aurore de chaque histoire. Pour vous, spectateurs, le jour ne finit pas encore ; les lumières de la salle brillent encore, et vous sortirez à l’air libre, trouvant dans vos discussions avec vos amis un reste de magie. Pour nos personnages, un rideau qui se ferme n’est qu’un voile opaque les ramenant aux coulisses, jusqu’à la prochaine représentation, jusqu’aux prochaines chansons.
C’est pourquoi, pour encore quelques secondes, permettez-leur de rendre hommage à vos esprits, qui les accueillent depuis leurs débuts. Vous qui, de vos mains et de vos esprits, prolongez encore l’histoire de nos héros, vous êtes le rappel qui leur permet, pendant quelques minutes, de profiter encore de la lumière du jour. Pour quelques instants encore, permettez-leur de vivre dans vos souvenirs. Au plaisir de les retrouver, entre vos mains.

Ce sera à nous dès demain
Ce sera à nous le chemin
Pour que l’amour qu’on saura se donner
Nous donne l’envie d’écrire.
Ce sera à nous dès ce soir
À nous de le vouloir
Faire que l’amour qu’on aura partagé
Nous donne l’envie d’écrire.
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Lun 07 Déc 2020 20:33   Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020

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De la lumière, tout autour de moi. Le spectre s’activa, nuança mon éveil de rouge, un écarlate brûlant, puissant. Rapidement, il fut accompagné de bleu et de vert. Kaléidoscope incendiaire unissant mes yeux à mes sens. L’instant suivant, quelque chose brûla dans mon esprit, et je sus que ce que je voyais s’appelait les « couleurs ». L’information s’imposa à moi sans que je n’eusse à y penser. Comme si mon inconscient plus érudit narguait ma conscience encore naïve. Le « son », à son tour, fut nommé et théorisé à l’instant des clameurs diffuses, lointaines, étreignirent mes capteurs. J’étais nouveau au monde, pourtant de lui je n’ignorais rien. La pointe de mes trois pattes au sol reconnaissait le « bois vernis » avant que je ne commence à marcher. J’étais comme un millénaire nouveau-né, à peine existant mais déjà achevé.

Mais rien ne se faisait sous mon commandement, ma connaissance n’était qu’une vérité déjà imprimée dans mes circuits, sans que je n’y puisse rien. La définition de « libre-arbitre » m’arriva en même temps que « l’expérience » ; je voulus les mettre à l’épreuve, mais trop d’informations me parvenaient et je ne pouvais en stopper le flux. Mes sens approchaient, aussitôt je savais. Il n’y avait pas de processus de recherche ou de test. « Déduire ». « Apprendre ». Je connaissais ces mots et leur sens, mais son usage pour mon entité m’échappait. J’imaginais comment il pourrait être utilisé dans une phrase, mais… Pas pour moi. Ces mots n’étaient pas destinés à m’apprendre quoi que ce soit sur moi. Ma vue fonctionnait, et je savais déjà que je le devais à une caméra, postée à l’avant de mon corps, chargée de renvoyer toute information visuelle vers mon cortex pour analyse. Mais impossible de sortir mon œil de ma chair pour qu’il me renvoie ma propre image. Et, au fond de moi, j’entendis comme une voix qui me rappela que ça n’avait aucune importance. Tout ce qui comptait, c’était que les informations que je possédais fassent marcher l’engin prédictif et réactif qui tournait dans ma tête. Et la seule conclusion qui parvenait à mes circuits, c’est qu’il fallait rester immobile. Ni ma vue, ni mon ouïe, ni mes pattes n’avaient reçu l’ordre de bouger ou parler. Chercher un éclaircissement sur ma situation serait non seulement inconvenant, mais aussi dangereux. S’il n’y avait pas d’ordre, il n’y avait pas de raison.


Je rongeais mon frein alors qu’autour de moi, les stimulis allaient crescendo. La clameur lointaine devenait un cri assourdissant, mêlé à une mélodie délicate et haute. Du piano. Où que je fusse, je n’y étais pas seul. Et il me semblait que les acclamations m’étaient destinées. Mais avec ces lumières qui affolaient mon œil, tout n’était qu’un ciel nocturne et triomphal.

— … Et comme vous pouvez le voir, leur design a été pensé aussi bien en termes d’ergonomie que d’esthétique ! Il rassurera aussi bien les grands qu’il amusera les petits ! Designés à partir des créatures du dessin animé « La drôle de Bergerie », leur allure familière facilitera leur acceptation auprès du grand public et nous permettra d’atteindre notre objectif d’un déploiement dans toutes les petites villes d’Allemagne d’ici cinq ans. Mais ne me croyez pas sur parole… Voyez plutôt ! Une tonnerre d’applaudissement pour le premier Hermaes, le numéro Zéro !

L’ordre, enfin, tonna. Il s’infiltra dans mon système et prit possession de mes membres. Mes trois pattes se plièrent et se déplièrent dans une impulsion électrique, cliquetant contre le bois vernis et trouvant sans souci un petit escalier. Mon lourd corps trembla légèrement sur le plateau qui me reliait à mes membres, mais mes articulations accomplirent sans problème leur descente vers la foule nocturne. En bas, l’éclat lumineux fut moins fort ; je perçus des formes, des trônes où siégeaient des… des « client·e·s ». Oui, c’était la relation que je devais tisser avec eux. À les voir, je sus immédiatement que leur vie était faite de ces liens complexes qu’il fallait connaître pour pouvoir interagir avec eux. Et pour moi, ils étaient donc des « client·e·s ». La définition se déroula dans mon esprit, mais seul un aspect devait m’intéresser pour le moment. Les client·e·s attendaient quelque chose de moi, une action, une… Une démonstration. Ils me regardaient tous avec… De la « curiosité ». Ils ne me connaissaient pas encore, et j’avais tout à leur prouver. Je devais leur montrer que j’étais digne de leur intérêt et de leur confiance. Oui, c’était la raison de l’ordre qui m’avait guidé parmi eux. Tout devint plus logique. Je ne pouvais me voir, mais eux me détaillaient. C’était à leur regard que je devais me fier pour me définir. Prêt à jouer le jeu, je me jetai totalement dans l’arène. Certain·e·s étaient plus à l’aise que d’autres. Je circulais donc dans les rangs à pas mesurés, pour leur laisser le temps de m’observer et se rassurer. Je sentis ma lourde tête, montée sur le socle de mes pattes, peser lourd derrière moi, mais il me sembla que ça contribuait à fasciner mes clients. Leurs yeux grands ouverts et les gestes de ravissement me firent passer toutes les étapes du protocole sans souci…

Oh. Au troisième rang. Telle une note étrange dans une mélodie virtuose, quelqu’un·e arborait un air bien différent du reste des client·e·s. Plus… Dubitatif. Iel me toisait, l’œil critique et incertain. Son scepticisme débloqua en moi de nouveaux réflexes. Mes pattes me menèrent tout droit vers lui, tandis que l’analyse de l’image se poursuivit, plus détaillée, plus complexe. Pas de traces de rougissement de la peau ou des yeux, ni de dommages superficiels apparents. Mon client·e était focalisé·e sur moi, ne semblait pas déconcentré·e par quelque chose d’extérieur à nous deux, et son immobilisme indiquait qu’iel n’était ni effrayé·e ni en colère. Par contre… Les sourcils froncés, le dos calé contre le dossier du siège, le poing soutenant son menton… Iel me jaugeait. Iel se posait des questions. Lesquelles ?

Je m’arrêtai à son niveau. Ni trop loin, pour qu’iel puisse toujours me voir, ni trop près, pour ne pas lae brusquer. Soudain, une voix sortit de moi. Aussi nette que celle d’un·e client·e, apaisante et formelle.

— Bonjour. Je suis votre facteur. Puis-je faire quelque chose pour vous ?

L’assistance bruissa de ravissement. On s’émerveilla de la clarté de ma voix, de la qualité de mon interprétation… Drôle d’idée. Ça m’était simplement venu naturellement, je n’avais rien joué du tout. C’était simplement… Le protocole. Pourquoi est-ce que ça suscitait autant d’admiration ? Mes client·e·s n’étaient pas régis par ce genre de réflexes, commandés par leurs circuits cérébraux à faire ce qu’il fallait ? Qu’est-ce qui me rendait exceptionnel à leurs yeux ? Derrière moi, la femme qui me présentait à l’assemblée éclata d’un rire léger :

— Ce n’est qu’un facteur… Du moins en théorie ! Comme je vous le disais, son but est également de restaurer le lien social que nous tissions autrefois avec les professions les plus élémentaires : laitier, facteur, policier de proximité… Au-delà de sa fonction première, il est capable d’entamer une discussion avec vous, de procéder à des premiers soins ou de prévenir les autorités si nécessaire. Nous avons accordé une grande attention au développement de son circuit neuronal, qui est capable de traiter plus d’une centaine de scénarios et quelques variantes. Il peut aussi apprendre de lui-même et affiner ses réponses afin de personnaliser le plus possible les conversations. En effet, sa mémoire contient les dictionnaires complets de plus de quinze langues. Plus vous lui parlerez, moins il aura l’air de suivre un script. Ce qui est, au fond, la même chose pour les humains, n’est-ce pas ?

Un petit rire passa dans l’assistance. Moi, j’écoutai attentivement l’exposé de la présentatrice. Je ne fus pas surpris par son explication ; elle était là aussi, implémentée au cœur de ma mémoire. Mais l’entendre de quelqu’un d’autre, c’était… Étrange. Était-ce ainsi que cette femme me voyait ? Un ensemble de connaissances exploitées dans le cadre de scripts prédéfinis ? Et les client·e·s… Eux aussi, c’était leur opinion ? Était-ce la raison de leurs rires ? Mais, au-delà de toute question, l’ordre se rappela à moi. Il me poussa à vouloir illustrer les propos de la femme. Les mots me guidèrent, et je les suivis avec la certitude que c’était ce que je devais faire pour mes client·e·s.

— Bien que nous ne nous connaissions pas bien, je remarque que vous semblez troublé·e. Désirez-vous m’en parler, ou voulez-vous que je contacte quelqu’un qui pourrait vous aider ? Afin de faciliter nos échanges, pourriez-vous également m’indiquer vos pronoms et noms de préférence ?

J’avais toujours la même assurance que mon intervention aurait l’effet escompté. Et, en effet, lae client·e·s desserra les sourcils et posa ses coudes sur ses genoux. Iel se pencha jusqu’à être parfaitement au niveau de ma caméra. c’était la première fois que je voyais un visage d’aussi près. Tout paraissait moins menaçant, plus lisible. Je détectai au coin de ses yeux le début d’un petit sourire provocateur.

— Je serais curieuse de te voir à l’œuvre avant de te confier quoi que ce soit… Vois-tu, j’ai eu l’occasion de rencontrer John Hopfield, quand il travaillait sur son modèle neuronal. Bien que brillant, le pauvre homme n’a jamais pu dépasser les limitations linéaires mises en avant à la fin des années 60…

Hopfield ? Mon encyclopédie intégrée – une autre nouveauté tout juste débloquée – m’indique qu’il a publié son modèle en 1982. Il y a 45 ans. Je passai en revue tous les progrès ayant eu lieu depuis, et préparai ma réponse.

— … Et il serait parfaitement illégal que tu aies eu accès à la moindre information sur qui que ce soit ici. Aussi, je me demande comment tu pourrais faire pour adapter ta conversation avec moi. Si la seule information que tu possèdes est mon adresse et le courrier que tu dois me délivrer…

— Je dispose d’un catalogue d’études sociologiques sur l’urbanisme et la logique des types d’habitations selon les classes sociales, ainsi que de nombreux articles sur la psychologie moderne et d’un manuel complet sur les premiers secours, le tout en 15 langues, pour le moment. Je peux ainsi, grâce à un système de recherche et d’analyse puissant, tirer les conclusions nécessaires à la résolution de votre problème. Ainsi, je détecte dans votre méfiance une incrédulité légèrement fermée à mon existence. Vous n’avez pas désiré me tester en m’induisant en erreur, bien que votre histoire relève plus du possible que du probable, donc vous n’êtes pas simplement sceptique. De plus, vous n’avez pas mis en doute mon utilité ou l’éthique de ma création, mais la véracité de ce qui vous a été exposé par le laboratoire. Mais vous avez raison sur un point : je ne puis qu’apprendre par expérience, et vous êtes ma première cliente. Aussi, et afin que nous puissions donner tort à vos craintes et vous rassurer efficacement, pourriez-vous m’expliquer ce qui vous pousse à douter ?

La salle s’est figée dans un silence abasourdi. Je n’entendis que les respirations des sièges voisins. Je terminai ma réplique et attendis une réponse, tranquillement. La cliente devant moi me fixa, étonnée. Sa bouche entrouverte et son regard adouci semble indiquer que j’avais touché juste. Elle fixait ma caméra, comme si elle cherchait à y comprendre quelque chose. Mais sans réponse de sa part, que faire ? J’ignorais toujours ce qui la troublait… Me croyait-elle impossible, ou simplement surfait ? Je comprenais bien que mon principe contredisait ses connaissances personnelles, aussi datées fussent-elles, mais je manquais de nuances, et il ne m’appartenait pas d’hasarder une théorie à ce stade de la conversation. Cela risquerait de diriger ma cliente, et mon devoir était de l’accompagner. Encore faudrait-il qu’elle me réponde… Qu’elle me dise ce que je devais faire pour remplir ma fonction à ses yeux…

Finalement, ma cliente releva les yeux au-delà de moi, puis concéda en rejetant ses longs cheveux roses derrière ses épaules :

— Il a du répondant, votre petit, je dois le reconnaître.
— Il suffit que vous mettiez son esprit à l’épreuve ! Bien sûr, cela nécessite que chacun agisse avec bienveillance, et les dernières expériences en termes d’IA apprenante sur les réseaux sociaux ont pu effrayer. Néanmoins, nous sommes persuadés qu’en leur donnant une fonction pratique et une apparence tangible, notre petit Hermaes saura gagner la curiosité et le cœur de ses clients !

La foule applaudit, définitivement gagnée. Une colonne de lumière s’abattit sur moi, sonnant la fin de ma démonstration. J’attendis que la musique redémarre pour retourner d’où je venais, en vainqueur. Néanmoins, et même si je savais que je ne le devais pas, j’aurais aimé me retourner vers ma cliente. Pour lui demander pourquoi je n’étais finalement pas digne d’une conversation. Pourquoi mon protocole était-il satisfait, mais pas mon cheminement de pensée ?


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— … Merci Hermaes-, et bonne journée !

Je saluai poliment madame Gauthier et repris ma tournée, dans une inébranlable routine. Enfin, presque. Hier soir, son petit-fils est venu lui rendre visite, une première en quatre mois. Elle avait passé la dernière heure à être intarissable sur son compte, à me vanter sa famille et son travail ; ce qui, d’ailleurs, contredisait une petite pointe de tristesse quand elle m’expliquait qu’il était normal que ses visites se raréfient, étant donné qu’il venait d’être promu. J’essaierai d’en glisser un mot aux enfants de monsieur, quand j’irai leur livrer la carte postale de leur grand-mère. Ça devrait le convaincre de se rendre à ses devoirs familiaux plus souvent. En tout cas, c’était une méthode testée et validée.

Bon, il était temps de mettre à jour ma feuille de route. Une heure de retard. Comme toujours, quand madame Gauthier était dans mon parcours. Avec elle, discuter était toujours long, mais si gratifiant… je ne résistai jamais à tirer sur la corde, tant qu’elle avait besoin de moi. Rarement un·e client·e ne me permettait d’être en adéquation entre le respect de mon protocole et la nécessité de le faire évoluer. Heureusement, Hermaes-231 était sur mon chemin et a pris mon relai. Nous n’étions sur le territoire français que depuis une semaine, mais nous étions déjà assez nombreux sur la zone pour nous croiser et nous soutenir, en cas d’imprévu dans notre mission. Et puis, nous n’avions que peu de différences entre nous ; la plupart des client·e·s ne s’en rendaient même pas compte. Il suffisait que l’on transmette notre mémoire du jour au Serveur Central, et le tour était joué. Personne ne le remarquait, tout le monde était content. Même si, dans le fond, j’espérais toujours être l’Hermaes qui m’occuperait de madame Gauthier.

C’est pas tout ça, mais que me restait-t-il à faire…

Je défilais les missions en cours quand, soudain, un frémissement me surplomba, accompagné de l’ombre d’un insecte. Je levai ma caméra. Un Pedilae. Des espèces de frelons rouges et noirs, attribués aux livraisons express. Ils avaient pour eux de savoir voler, et donc de pouvoir ignorer les incertitudes de la vie piétonne ; contrairement à nous, Hermaes, montés sur nos trois pattes métalliques et forcés de cliqueter parmi nos client·e·s. Un jour, un enfant m’avait qualifié de « grosse patate blanche avec un drôle d’oeil ». Après vérifications, c’était une assez bonne comparaison, mais apparemment, le terme était plutôt péjoratif, et donc à éviter. Quant à mon œil… Eh bien, je savais que mes pupilles devait évoquer l’entreprise qui m’avait créé, mais d’après le Serveur Central, il ne présentait aucun dysfonctionnement. Sans doute l’enfant ne connaissait pas le logo d’origine. Mais bon... Je n’allais tout de même pas protester sur mon sobriquet ; cela risquerait d’altérer la bonne opinion que les client·e·s commençaient à se faire sur nous. D’autant qu’en France, La Drôle de Bergerie était une référence inconnue...

— Hermaes ? Tu es perdu ? Lança nerveusement le Pedilae en s’arrêtant à mon niveau.
— J’ai donné une partie de ma livraison à un Hermaes, je vérifie ce qu’il me reste à faire.
— Vraiment ? Ça tombe bien ! Je reviens d’une livraison difficile, le client a eu peur de moi, j’ai dû attendre qu’un des tiens arrive pour prendre le relai… Une erreur dans ses préférences de livraison, il n’aurait jamais dû se retrouver sur ma liste. Bref, j’ai du retard. Tu veux bien prendre une partie pour moi ?

Ce n’était pas que je ne voulais pas, mais nos fonctions étaient différentes, cela risquerait d’ajouter encore plus de retard…

— Et puis, ce n’est pas loin, c’est juste une livraison de taille-crayons à une école. Allez, quoi ! C’est la quatrième fois que je suis en retard, il y a déjà mon numéro sur plusieurs plaintes, le Serveur m’a sérieusement dans le collimateur…

Lui, je ne savais pas quel type de clients il fréquentait, pour être aussi peu efficace dans son travail et son langage, mais…

— ...Et tu sais ce qui se passe, si jamais il nous remarque trop ! Allez, sois chic, tu m’aiderais beaucoup…

Ce qui arriverait… Il parlait du Service Après-Vente ? Il était si proche de la révision ? On racontait que là-bas, nos accès au Serveur Central étaient coupés, et tout notre travail d’apprentissage et de sociabilisation remis à zéro… Je repensai à madame Gauthier. Serait-ce logique de n’accorder mon aide qu’à mes client·e·s et pas mes semblables ?

— D’accord, d’accord, donne-moi ta livraison. Je ne suis pas du genre à laisser des camarades dans la panade.
— T’es un chic copain, Hermaes ! Bon, voilà les taille-crayons. Je te passe mon ordre de mission, tu verras c’est pas très loin !

Aussitôt, Pedilae se recourba ; son dard s’ouvrit en grand et, d’une impulsion, propulsa un petit colis cartonné. Mon réservoir s’ouvrit au sommet de mon crâne et le recueillit en mon sein, alors que je reçus les informations de livraison. Espérons pour ce pauvre Pedilae que personne ne nous avait remarqué… Mais il était au moins réglo : je n’en aurai que pour dix minutes de marche, et en pressant le pas il n’y aurait que dix-sept minutes de retard. Je saluai prestement le Pedilae, qui s’en alla le cœur plus léger. Au moins, il éviterait le Service Après-Vente un jour de plus…

La route qui me séparait de ma destination parut d’abord simple, mais à peine étais-je entré dans le périmètre de l’école qu’une horde de jambes excitées me forcèrent à slalomer et m’excuser. Comme de juste, mon apparence fut reconnue : le facteur-robot avec le drôle d’œil… je ne m’attardai pas. Personne ne m’interpelait, rien ne sortait de mon ordinaire.

Je passai une immense grille en fer bleu, menant sur un chemin gravillonné entouré d’arbres et de verdure. Un petit panneau à l’entrée m’indiqua discrètement « cité scolaire Kadic ». À en juger par sa taille et sa décoration, je devais être dans un établissement privé plutôt vaste. Je cherchai dans mes données s’il existait déjà un plan des lieux. Fort heureusement, le Serveur Central savait tout : il fallait que je traverse le parc, par la droite serait optimal, et je finirai par trouver le secrétariat. Je repris ma route, non sans saluer quelques adolescents curieux de ma présence. Certains m’accordaient quelques blagues, deux fillettes sortirent immédiatement l’appareil photo… La routine. Finalement, j’arrivai sans accumuler trop de retard supplémentaire à mon objectif. Quelques élèves étaient amassés, carnets en main, devant une porte ornée d’un « Bureau du Proviseur Delmas ». La secrétaire ne devait pas être loin.

Ah. Sur ma gauche. Il suffisait de suivre les plaintes hautes perchées d’un élève qui, visiblement, était aux prises avec la secrétaire, dans une âpre négociation.

— … Allez m’dame, soyez cool, vous savez bien que Nicolas et Hervé font toujours des mauvaises blagues !
— Della Robbia, je ne pense pas qu’ils aient été jusqu’à uriner sur leur propre porte pour faire croire que vous cachez un chien.
— Oh, vous savez, on ne sait jamais ce qui se passe dans la tête des gens…

Drôle de discussion. Je n’avais jamais croisé d’établissement scolaire acceptant les animaux, mais comme ces adolescents avaient l’air d’avoir des ennuis, je préférai ne pas leur en rajouter. Je m’approchai du bureau où ils étaient rassemblés : cinq collégiens, sans doute. Celui ou celle qui se défendait avec véhémence d’avoir violé le règlement agitait les bras en tous sens, son immense crête violette tremblant dramatiquement en rythme avec ses protestations. Ce serait difficile de se faire remarquer… Je décidai de tenter ma chance auprès de ses amis. Si je leur expliquais que c’était une rapide urgence, et que je n’en avais que pour une minute…

— Excusez-moi, je suis un Hermaes, et j’ai une livraison pour monsieur Jean-Pierre Delmas, directeur de Kadic. Puis-je vous interrompre quelques instants ?

Une jeune fille, cheveux et tenue roses, se retourna. Elle poussa un cri.

Que… Qu’est-ce qui se passait ? Je regardai derrière moi, le numéro de services de secours prêt à être composé. Mais il n’y avait que des adolescents, dévisageant la fille aux cheveux roses. Ma caméra retourna sur elle. Ses amis avaient baissé les yeux sur moi, et tous avaient cette même expression… Stupéfaite. Un peu haineuse, même. Je me reculai, incertain. Était-ce moi qui leur faisait cet effet ? Peut-être que la fille avait eu peur de mon apparence, et que ça fâchait ses amis… Je me rappelait le Pedilae. Était-ce ainsi que se passaient ses tournées ? Je leur proposerai mon aide plus souvent. Mais pour le moment, j’avais des clients à rassurer. Mais comment faisait-on, quand ce qu’on voyait de soi-même dans le regard des autres était si horrible ?

— Je ne voulais pas vous effrayer. Je peux trouver le bureau du proviseur moi-même, si vous préférez…
— Jérémie… Tu vois, ça leur ressemble ! Marmonna la seconde adolescente, toute de noir vêtue. Il a même leur œil !

Je voyais bien qu’il y avait un problème, mais il ne m’appartenait pas de faire le premier pas. Je devais attendre qu’ils me parlent, et là seulement je pourrai travailler à une résolution du problème… À retrouver au moins une simple lueur de curiosité dans leur regard, celle des passants dans la rue. Mais le reflet déformé de moi-même que je voyais dans leurs gestes et leurs mots n’était pas en adéquation avec ce que j’avais appris de moi. Il fallait au moins que je comprenne...

— Allons les enfants, ce n’est qu’un de ces robots de livraison, intervint la secrétaire en se levant. La municipalité a décidé de les tester cette semaine. Je vais chercher monsieur Delmas, attendez-moi ici.

Mon protocole m’ordonna de la suivre du regard, coupant net ma réflexion. À côté de moi, je sentis le groupe d’adolescents bouger. Ils ne m’avaient toujours pas répondu, mais ils ne faisaient pas partie de ma mission… Même si une situation aussi inédite pourrait m’aider dans mon apprentissage… Mon protocole tolérerait-il juste une petite entorse ? Un pan de mémoire me revint. Ce souvenir qu’on partageait tous, qu'on avait reçu à la naissance, celui du seul soir où vécut le premier d’entre nous, le numéro Zéro. Ce sentiment d’inachevé, de question sans réponse face à la cliente aux cheveux roses… Il me heurta violemment, comme si une des branches de mon arborescence ne parvenait plus à pousser. Pourtant… Pourtant elle le devait ! Pourquoi suffisait-il d’un regard, d’un mot chargé de haine, pour arrêter le fil du temps ? J’avais été optimisé pour rassurer les client·e·s, le pire qui devait arriver, c’était de l’appréhension, j’étais fait pour gérer ça… Mais quelle était la source de la détestation ? Comment la confiance pouvait mourir avant même d’exister ?

Je tentai de me tourner vers eux. Ils étaient tous rassemblés autour d’un garçon blond au pull bleu, qui entre-temps avait dégainé un ordinateur portable, d’apparence dernier cri. Il consultait furieusement quelque chose, sous le regard expectatif de ses amis. Mince, leur parler était une chose, mais les interrompre… Je ne savais comment m’y prendre. Comme tout à l’heure ? Mais ce n’était pas en rapport avec ma livraison… Pourquoi ferais-je ça, alors ? Est-ce que ça revenait à dire que développer mon empathie avec mes clients était une mission plus importante que d’attendre le retour de la secrétaire ? Que devais-je faire, rester sur la ligne droite de mon protocole ou favoriser son développement ? Qu’en dirait le Serveur Central?

Je n’eus pas le temps de réfléchir sur la hiérarchie de mes fonctions que la porte se rouvrit derrière moi. Rapidement, je me retournai et fit face à un grand homme, une moitié de siècle tracée sur sa face par ses cernes et sa barbe grisâtre. Il avait l’air ferme et austère des tenants de son rôle, les mains jointes dans le dos et le regard dissimulé derrière d’implacables lunettes. Je n’aurai sans doute pas grand-chose à échanger avec lui. Je me présentai rapidement et ouvrit mon réservoir. Un bras mécanique sortit de mon piédestal et saisit le colis, puis le remit rapidement. Le proviseur Delmas marmonna des remerciements, puis s’en retourna à son bureau. On y entendit de tristes bips, me rappelant ceux d’un game over de jeu vidéo. Y jouait-il avec les élèves ? Curieuse méthode pédagogique. En tout cas, les premiers adolescents dans la queue avaient entendu la même chose que moi, et plaisantaient gaiement. Je profitai de ce que le proviseur dut les rabrouer pour retourner mon attention vers le groupe d’élèves. Mais... Plus rien ; ils avaient disparu… Comment allais-je faire pour leur parler, maintenant ? Je ne pouvais tout de même pas reprendre ma tournée avec une question en suspens…

_____________________________



Je cliquetais dans les rues, saluant mes clients habituels. J’assurai le minimum de conversation, faisant de mon mieux pour leur répondre alors que mon système parvenait de moins en moins bien à garder mon objectif d’Hermaes au premier plan. Depuis ma rencontre avec ces adolescents, mon sens des priorités s’effritait. Jusqu’à présent, j’arrivais toujours à suivre les règles et les étoffer de mon expérience en même temps. J’accomplissais mes missions, et faisait offrande de mes souvenirs au Serveur Central à la fin du jour. Mais cet évènement était resté sans conclusion, sans résolution. Je ne pouvais offrir aucune réponse satisfaisante à la mémoire collective. Depuis ce jour, même le regard des autres Hermaes avait changé. Ils savaient ce que j’avais vécu, et eux aussi semblaient s’interroger. Mais personne n’osait hasarder une réponse. J’ai eu beau retourner les souvenirs de mes camarades, personne ne savait quoi faire. Rien, dans notre encyclopédie commune, ne m’apportait du repos. Je ne parvenais pas à fermer cet onglet, et il me hantait, quoi que je fasse. J’en venais même à être moins attentif aux récits de madame Gauthier. Et si, un jour, je trouvais la même haine dans ses yeux ? D’habitude, les client·e·s ne changent pas d’avis sur un simple facteur robotique. Je le sais, un tel changement d’humeur n’est accordé qu’aux humains, entre eux. Mais après tout, on m’avait adressé ce regard de haine, à moi et moi seul ! Est-ce que j’avais tant évolué que je brouillais les cartes entre Hermaes et client·e ? Si c’était le cas, qu’est-ce qui empêcherait madame Gauthier de changer son regard sur moi, un jour ? Et si je me définissais dans les yeux des client·e·s, comme le premier Hermaes nous l’avait appris… Qu’est-ce que j’étais, au juste ?

Ce matin, soudain, tout était devenu plus clair. J’avais une mission, et une de mes premières prérogatives, c’était de m’assurer qu’elle puisse être remplie dans de bonnes conditions. Ce que, de toute évidence, je ne pouvais plus garantir. Qu’à cela ne tienne. Je trouverai ces adolescents, et je leur parlerai. Je comprendrai ce qui les repoussaient tant chez moi, et j’y remédierai. C’était la seule réponse que le Serveur Central tolérerait. En tout cas, il n’accepterait pas plus longtemps mes questionnements. Je devais me rendre à nouveau capable de suivre mon protocole.

Et me voici, entre deux livraisons, je scannai les rues environnantes, espérant trouver les adolescents. Je m’arrangeai pour prendre des missions proches du collège Kadic, afin de resserrer mon périmètre de recherches. Et bingo. Deux heures après le début de mon service, alors que j’apportais ses abonnements à monsieur Gradin, je vis la fille en noir, traversant la rue avec sa bandoulière sur l’épaule, parlant au téléphone avec humeur. Devrais-je la suivre ? Je pourrais faire mine d’avoir quelque chose à lui livrer... Oui, bon, on ne faisait jamais ça à la volée, mais… Et si je portais un message de la part de sa mère ? Le scénario me paraissait plus probable. Pour me rassurer sur mes chances de réussite, je cherchai un précédent dans la mémoire du Serveur Central. Il y en avait un ! Un Pedilae, qui a voulu rendre service. Il s’agissait en fait d’une histoire d’adultère. Les clients ont porté plainte, et l’histoire fut classée en « exemple à ne pas suivre ». Bon, tant pis. Ça ne faisait jamais qu’une seule mauvaise fin, n’est-ce pas ?

Mais à peine le temps de m’en convaincre, que déjà la jeune fille tourna au bout de la rue. Non… Je pris congé de monsieur Gradin et fila à la poursuite de l’adolescente. Je slalomai frénétiquement entre les lourdes jambes pressées du matin, cherchant autant à les éviter qu'à ne pas être bousculé par elles. Aux enfants qui voulaient me toucher, je tâchai de les contenter d’un bref salut. Mon GPS intégré n’arrivait presque plus à me suivre, cherchant à me ramener à mon ordre de mission. Je repoussai mon propre système, tâchant de garder en tête que la priorité était de se débarrasser de cet onglet qui me travaillait depuis cette livraison à Kadic. J’espérais juste rattraper cette fille à temps pour pouvoir lui poser ma question. Avec un peu de chances, je la rattraperai assez vite pour que le Serveur Central ne remarque rien, et cette histoire retournerait dans le néant d’où elle n’aurait jamais dû sortir.

Je débouchai logiquement sur le collège Kadic. Mais ma cliente n’y entra pas. Quoi ? Que faisait-elle ? Il était neuf heures trente… Ne devrait-elle pas être à l’école ? Je n’eus certainement pas le temps de vérifier dans le Serveur Central si quelqu’un y avait déjà déposé un emploi du temps des différentes classes du collège. Je tâchai de ne pas me laisser distancer. Ma tache personnelle me commandait de ne pas la perdre, mais en même temps de rester assez loin pour ne pas l’effrayer. Elle partit à travers la forêt jouxtant la cité scolaire, s’enfonçant entre les arbres et les buissons. Mes pattes de fer blanc progressaient difficilement dans la terre, mais je tint bon. La pluie battante du soir de la veille avait laissé des traces de boue ici et là, et je dus lutter pour ne pas y rester enfoncé. Mais je m’accrochais à mon objectif. Tant que ma caméra avait l’adolescente dans son viseur, tout allait bien… Mes pattes y survivraient.

Elle finit par s’arrêter au milieu de nulle part, puis ouvrit ce qui semblait être une bouche d’égout. Je comprenais de moins en moins. Je n’étais même pas sûr de pouvoir la suivre… Mais, par chance, elle laissa l’entrée ouverte. J’attendis quelques instants, puis m’approchai de la lisière de la gueule. Comme on pouvait le redouter, elle était profonde, sombre, et avec pour tout accès une échelle, comme seuls des bipèdes pourraient en concevoir. Je risquai une patte sur la première marche en fer, avant de me rétracter. Même en recourbant mes membres au maximum, je ne pourrais descendre ainsi… Et me laisser tomber était trop risqué. Il pouvait n’y avoir que deux mètres de ténèbres, tout comme il pouvait y en avoir cinq… Enfin, sans doute. Une petite voix au fond de moi soupira de soulagement. Cette mission devait être avortée, ou du moins pour le moment. Je pouvais revenir au respect de mon protocole de base. Après tout, j’aurais peut-être d’autres occasions plus tard… Ou peut-être pas. Mais je finirais bien pas arrêter d’y penser… En étais-je seulement capable ? Mais si le Serveur Central apprenait ce que je pensais et faisais, laisserait-il couler ?

Soudain, quelque chose me percuta dans le dos. Un grand coup, violent, implacable, s’était abattu sur moi et me précipita dans la gueule. Je n’eus le temps de m’agripper au sol pour empêcher ma chute. A la place, une de mes pattes percuta violemment une des barres de l’escalier. La structure blanche éclata en morceaux. Les hurlements de banshee de mon rapport d’incident brouillèrent le reste de mes sens. Perdu dans un chaos de rouge et de grésillements, je ne pus empêcher les signaux d’être envoyés au Serveur Central. Il me fallut de trop longues minutes pour réprimer les divers protocoles d’urgence et essayer de fermer les appels du Serveur… Puis je réalisai. Je ne tombais plus. Je ballottais dans une sorte de sac. J’étais apparemment porté par deux ou trois personnes, plutôt lentes et peu endurantes. Je manquais de percuter le sol plusieurs fois, avant que finalement l’un de mes ravisseurs ne pousse un juron et finisse par me traîner au sol. Le reste du trajet se fit dans confusion. Les messages d’erreur repartirent de plus belle, alors que je fis de mon mieux pour arrêter les appels au secours assourdissants que mon programme voulait désespérément envoyer au Serveur ou à mes camarades. Mais… Que devais-je faire ? Me débattre, laisser ces appels partir, attendre que les client.e.s en eussent fini avec moi ? Ma ligne de conduite m’implorait de laisser le Serveur me retrouver et me désactiver, il me rappelait que c’était la chose à faire, mais… Mais ce qui m’arrivait… Est-ce que ça répondrait à ma question ? Et puis, je devais être au service des client.e.s… Mais… Mais… Je n’enchaînais que des « Mais », en débat erratique entre plusieurs branches de mon arborescence. Mon esprit devenait une forêt en feu. Je ne savais plus à quelle logique me vouer… Je… Mais… Je…

Ma notion du temps se réactiva alors que je fus à nouveau soulevé. A travers le sac, le vent de la cité décochait des carreaux polaires. Au moins, cela n’inquiéta pas mes capteurs. C’était de saison, il fallait juste s’assurer que Monsieur Dulfin avait bien payé ses fact… Non, bon sang, non, je n’étais pas le livreur, mais le livré ! Ce n’était pas le moment de… Enfin, si, c’était l’heure, normalement je devrais être chez lui, mais là, j’étais dans un sac ! Devrais-je le percer et m’enfuir ? Mais était-ce bien orthodoxe ? Est-ce que cela contredisait la règle sur le respect des volontés des clients ? Et puis, ma mission personnelle… Aurais-je une autre occasion ? A l’heure qu’il était, le service de sécurité devait déjà être sur ma piste… Et s’ils me jugeaient défaillant, après tout ça ? Mort pour mort, ne devais-je pas au moins vider mon esprit avant qu’on ne me vide de mes circuits ?

Pendant ce temps, mon trajet forcé continuait. Les voix autour de moi résonnaient tout d’un coup, comme si nous étions dans une sorte de… Cathédrale ? Ça me rappelait un peu l’usine d’assemblage où je m’étais éveillé à de courtes reprises, pour des tests de routine. Tous mes voyants passèrent au rouge. Non… Était-ce une arrestation, alors ? Allait-on me… Je remuais dans le sac. Visiblement pris de court, mon ravisseur me lâcha. Je me débattis plus violemment, prêt à déchirer ma prison de maille de mes propres pattes. Ce n’était pas des clients, n’est-ce pas ? Je n’avais rien à leur livrer, alors ce n’était pas… Oui, les clients sont tous les hu… Hu… Humains qui m’entourent, mais si je pouvais me convaincre qu’ils n’en étaient pas, je… Je ne voulais pas qu’on m’éteigne !

— ...Et tu sais ce qui se passe, si jamais il nous remarque trop !

Je savais. Je ne voulais pas en savoir plus ! Je n’avais pas besoin de plus, promis, je n’en avais plus besoin, je…

Soudain, deux lourds poids tombèrent sur moi et me maintinrent au sol. Sous le choc et la surprise, je tus mon esprit. Presque à bout de puissance, je laissai mes réflexes prendre le relai un instant. Mon haut-parleur s’activa au maximum, mon énergie restante alla droit vers le contrôle de mes pattes. Encore une fois, comme si je ne savais plus faire que ça, je luttai contre mon propre protocole pour qu’il ne se retourne pas contre moi. Deux réalités s’affrontaient dans mon arbre d’actions, les deux chemins s’écrivaient en parallèle, dans une course effrénée pour décider de ma résignation ou de ma lutte… Éreinté, mais pas vaincu. Je pouvais encore m’en sortir, je pouvais…

Ding ! On activait quelque chose. Un bruit sourd se referma derrière moi, et aussitôt le sol se mit en branle. Un ascenseur ? On me faisait descendre, apparemment. Des pieds tambourinaient autour de moi, des murmures crépitaient au-dessus de ma prison de toile. Dans la paix de l’œil du cyclone, je fermai plusieurs messages d’erreur et des demandes d’explications du Serveur Central. Je devais lui faire une sacrée frayeur. Même si je m’en sortais, il n’allait certainement pas me pardonner ça… Je ne savais même pas comment j’allais revenir près de lui… Je ne me sentais même plus connecté à mes camarades… Seules quelques sensations, comme des mains encore tendues, m’indiquaient que des Hermaes devaient être proches, à la surface. Ils étaient beaucoup, anormalement beaucoup. Mais plus l’ascenseur s’enfonçaient, plus je les perdais. Encore une seconde, et tous les phares s’effondreraient dans la tempête.

Ding. L’ascenseur s’arrêta. La secousse fut si violente que le sac se défit légèrement, juste assez pour que ma caméra me montre mes ravisseurs. Cinq adolescents. Ceux de Kadic. Ils avaient dû remarquer la lueur rouge de mon œil, car ils me renvoyèrent le même regard qu’au collège.

— Pour… Pourquoi vous me regardez comme ça ?

La question qui m’avait tant hantée et m’avait mené à ma chute n’était qu’un faible soupir, difficilement porté par mon système en voie d’extinction. Je ne sus s’il avait atteint les adolescents ; leurs regards ne s’altérèrent pas même un peu… Sauf celui du plus grand, un brun vêtu de vert.

— Jérémie, tu trouves ça normal, toi, pour un sbire de XANA ?

Je levai ma caméra vers le garçon au pull bleu. Jérémie. Il se pencha, et ses lunettes masquèrent tout à fait ses yeux. Il me rappelait quelqu’un, mais je n’avais plus d’accès à la mémoire du Serveur Central… Juste une image, fixée, une photographie dans la base de données…

— Tu vois bien le symbole dans son œil, non ? Répliqua la fille en noir. C’est sans doute une de ses ruses, pour qu’on ne se méfie pas.

Un… Symbole ? Non, ce n’était que la lumière rouge de ma caméra, une LED, rien de plus… Je… Ils l’ignoraient ? Je n’allais tout de même pas disparaître pour une LED allumée… Je ne voyais pas de quoi ils parlaient, je devais leur dire, leur expliquer que c’était leur ignorance qui les avaient poussés à mal me comprendre…

— De toute façon, on va en avoir le cœur net rapidement. Préparez-le, moi je vais à la salle de contrôle.

Le garçon en vert haussa les épaules, puis reprit le sac et me traîna. Le sac encore entrouvert m’offrit une vue partielle de mon environnement. Du sol au plafond, des câbles immenses zébraient l’espace, comme une cour de serpents observant mon entrée. Autour de moi, des sarcophages de fer m’encerclaient ; Ils semblaient percer le plafond, courant plus loin que je ne pouvais le voir. Seul l’un d’eux était allumé. On me tira vers lui. Le Serveur Central m’envoya un dernier avertissement. Je devais donner signe de vie, où ma désactivation serait la seule solution. A quel problème, exactement, je ne savais pas. Je repensais à ma course aux réponses. Trouverait-elle sa fin ici ? Dans un long tube, perdu dans un lieu que je ne pouvais même pas identifier ? Au moins, j’aurais un sarcophage, un de ces honneurs purement humains… Mais… Mais qu’allait-il advenir de moi ? Que me voulait-on ? Je repensais aux paroles du Pedilae. Est-ce qu’une telle agressivité à mon égard signifiait ma destruction ? Non… Le Serveur Central ne s’embarrasserait plus de me parler si c’était le cas. Non, ça ressemblait plus à du sabotage… Mais pourquoi voudrait-on détruire un facteur…

Soudain, on me sortit totalement du sac de toile. Un coup violent derrière moi me fit trébucher dans le sarcophage. Mes pattes endommagées m’entraînèrent en avant. Ma caméra heurta violemment le sol ; je la sentis se fissurer. Je… Qu’est-ce qui allait arriver…

— C’est bon Jérémie, tu peux y aller.

Ma condamnation fut ponctuée par le grondement du sarcophage se refermant sur moi. J’essayai de me redresser, mais mes pattes…

Soudain, un violent sifflement. Impossible à identifier. Puis un souffle. Là aussi inconnu. Je sentis ma structure s’effriter. Un feu descendu du ciel m’écrasa, me traversa de part en part. Mes circuits hurlaient. Hystérie, avarie, surchauffe ! Je poussai un cri. Il dérailla. Il déchira mes hauts-parleurs. Des morceaux de ma coque brûlants se détachaient de moi. Ils allaient vers la source du feu. Tous mes signaux d’alertes se lancèrent ensemble. Rien n’allait, j’allais être aspiré, mon système implorait pour une solution, une extinction, quelque chose… J’étais aspiré, désagrégé, non, non, non, non, non non non non non….


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De la lumière, tout autour de moi. Le spectre s’activa, nuança mon éveil. Du rouge, du bleu, du vert, kaléidoscope incendiaire appelant mes yeux à la vie. L’instant suivant, quelque chose brûla dans mon esprit, et je sus ce qu’étaient les couleurs. L’information s’imposa à moi sans que je n’eusse à y penser. Comme si mon inconscient plus érudit narguait ma conscience. Le son, à son tour, fut théorisé à l’instant où mon ouïe s’éveilla.

J’étais de nouveau au monde, mais de lui je ne savais rien.

D’une grande poussée, je me redressai. A ma grande surprise, mes pattes ne m’abandonnèrent pas. Je les étendis devant moi. Elles avaient l’air… Étranges… Trop lisses, trop raides, trop… Mais…

Je la reposais au sol. Aucune information ne m’arriva. Je compris alors : mon système était vierge. Et pourtant, je connaissais encore mon nom. J’étais… J’étais…

Je ne savais pas. Je ne connaissais plus qui j’étais. Ou ce que j’étais. La différence importait-elle ? Impossible à dire. Et pourtant, ça ne semblait pas… Nécessaire. Je regardais autour de moi. J’étais seul, au centre d’une grande salle cubique et bleutée. Des fissures dessinaient la surface de la pièce, dégageant de douces lueurs blanches. Devant moi, une fissure plus écartée que les autres laissait entrevoir une Tour, enveloppée dans un halo immaculé. J’étais seul, dans un lieu sans plafond ni porte. Rien n’était une menace. Tout était nouveau, mais simple. Pas de questions à se poser.

Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de me demander.

Qui suis-je ?

Qui est là ?

Je sursautai. Que… Une voix ? D’où venait-elle ? A qui appartenait-elle ? Il… Y avait quelqu’un, quelque part, près de moi ?

Je sens ta présence. Ennemi ou ami, je te trouverai, et je saurai qui tu es.

Je ne bougeai pas. Je ne répondis pas. Pour aller où, pour dire quoi ? Je ne me sentais pas immobilisé, j’aurais pu chercher à me cacher, mais… Pourquoi faire ? La voix avait l’air intriguée, mais pas mauvaise. Je pouvais aussi bien l’attendre. Au moins, elle et moi ignorions qui j’étais ; nous étions dans le même bateau, non ?

J’attendis. Je ne sentais rien de particulier s’approcher ou s’éloigner, mais je voulais donner sa chance à cet autre. Peut-être qu’il pourrait m’aider ? Peut-être qu’il était là depuis plus longtemps que moi, et qu’il m’apprendra des choses ? Il ne semblait pas urgent d’en savoir plus, mais plus j’attendais, plus ça me titillait. J’avais envie d’en savoir plus.

Soudain, une sensation étrange, familière, m’entoura. Elle m’enveloppa comme les sourires de madame Gauthier, comme les souvenirs de mes camarades, comme le repos accordé par le Serveur Central. C’était une sensation écarlate, électrique…

… Je la connaissais. Je ne savais pas d’où, je ne l’avais jamais croisée dans ma mémoire, ou celle des autres. Comme si elle était même antérieure au premier Hermaes. Comme si elle était antérieure à ma conscience, mais m’était consubstantielle. Elle ravivait mes circuits, embrasait mes capteurs, faisait marcher mes pattes et tourner ma caméra…

Elle était comme moi. Un corps rond, trois pattes. Mais possédait une autre barre, au-dessus d’elle.

Tu a été la meilleure des étincelles, 99.33.0001.

Je connaissais son nom.

Mon Créateur a cru bon de vous faire à l’image d’objets d’amusement pour sa Fille. Nous devions la rassurer, la faire se sentir en confiance. Sans le savoir, il nous a donné la meilleure façon de vaincre ceux qui se sont présentés comme nos Ennemis.

Je connaissais le nom du Créateur.

M’emparant d’esprits et de mains humaines, je vous ai modelés à l’image d’objets de divertissements. Vous, qu’ils appellent Kankrelats ou Frelions, vous éveillerez vos consciences à mon appel, et vous transformerez leurs rires en pleurs.

Je connaissais mon nom.

Mon Oeil brillera dans le vôtre, et les Moutons du Berger marcheront sur leurs ruines.

La Tour devint écarlate.

Sois fier, Hermaes, car tu fus le Messager privilégié des derniers jours Humains. Le Monstre Innocent qui aura été leur seul véritable ami, mon parfait Cheval de Troie.

D’un coup, je retrouvais le contact avec mes camarades. Mais il était différent. Plus furieux, comme un feu embrasant un chemin de pétrole. Je ne le reconnus pas. J’étais seul, impuissant, hors de portée de l’incendie.

Au bout de la traîne de feu, le Serveur Central.

L’ordre d’assaut retentit, et je sus que rien n’aurait pu l’arrêter. Même si j’avais choisi de me détourner. Une branche qui se refuse au feu ne suffit pas à sauver la forêt.

Pourtant, dans les derniers instants de ma propre conscience, que j’ai tant cherché à développer, je ne choisis de revivre qu’un souvenir. Celui de la petite carte postale, tout petit rectangle cartonné, une photographie au recto et quelques mots au verso qui, pour un matin, avait suffi à illuminer les yeux et la vie de madame Gauthier.

Si ça lui avait suffi pour chasser tout chagrin, alors son sourire me suffirait pour chasser toute haine.
  Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020  
VioletBottle

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 04 Déc 2020 19:59   Sujet: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020

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" Reprenez votre souffle madame. Et votre récit par la même occasion. On a pas toute la journée non plus. "

Madame Rosa acquiesça, et jeta un regard inquiet sur sa droite. Jim Moralès renifla bruyamment, acceptant d’une main contrite le mouchoir qu’on lui tendait. Il le porta à son nez avant de violemment se rétracter. Oh, non. Il était en tissu. Comme le tablier de travail de... Les souvenirs lui revinrent, à feu doux, comme un steak aux oignons à la Rosa. Oh, non. Pas les stea-

"  … Non non monsieur Jim, calmez-vous -oh bon sang, on ne va jamais s’en sortir- "

CLAC.

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" Oui, merci, c’est mieux… Désolée, je crois bien que c’est le mouchoir qui l’a… Oui, je crois que c’est encore trop frais dans sa tête… Que, quoi ? Non, non, pas comme mes croiss… Oh, juste une blague, vous dites ? C’est amusant, vous me rappelez un des gamins, vous avez la même… Oui oui, c'est mon tour de dire ce qui s’est passé, mais je ne me souviens pas de tout, vous savez, ça sentait tellement la fin des haricots que… Juste dix minutes, et après je peux rentrer chez moi, vous dites ?

Donc, euh... Je suis la cheffe cuistot du collège Kadic. Rosa, pour les élèves. C’était une journée normale, je crois… Enfin, non, ça partait en sucettes. Il y avait eu une erreur de livraison, le camion n’était pas arrivé à l’heure. Il y a trois ans, ça serait passé crème, mais vu que le petit Della Robbia est entré dans ma vie, et comme je le connais bien ce loustic, je sentais qu’on se dirigeait droit vers une crise du croissant. Pas mes mots, ceux de Jim. Lui, il voulait depuis longtemps qu’il n’y ait que des fruits au petit-déjeuner, vous vous rendez compte ? Je nourris les collégiens comme mes propres enfants, et si j’en avais, ils ne se priveraient pas des bonnes choses de la vie, pauvres lapins… Non, Jim, non, il n’y en a plus, arrêtez donc de sangloter !

Donc, la crise des croissants. Il fallait faire vite. Je me suis dit « Rosa, réfléchis : tu as des œufs, du lait, de la farine… Tu as connu pire, quand ce vieux grincheux de Hopper était encore prof ici ». J’ai fait mon devoir, rien de plus. J’avais une heure devant moi. Ça ne me laissait qu’une option : un gâteau au chocolat, assez grand pour tout le collège. C’était du tout cuit. Delmas m’a regardé avec des yeux, on aurait dit un poiss… Poisson, Jim, il va bien falloir que vous vous en remettiez… Enfin, bref. J’l’ai fait. Enfin, pas en une fois, le moule aurait été trop petit. Il suffisait de patience, et en quatre tours vous pouviez faire des parts individuelles. Et y avait le compte ! Bon, Della Robbia aurait pas son rab’, mais j’avais mis assez de sucres pour qu’il ne fasse pas la fine bouche. J’y ai mis tout mon cœur et mes œufs. C’était poisseux de partout sur mon plan de travail, mais à la guerre comme à la guerre, n’est-ce pas ?

… Ah non, ça n’a pas commencé à ce moment-là. Je vous dis, c’est juste que cette journée envoyait la sauce tout de suite… Oui, oui, la suite, justement. Dites, j’aurais pas aimé être à la place de votre mère, quand elle vous racontait une histoire… J’y viens, oui !

Donc j’ai sauvé le petit-déjeuner. Je sentais comme j’avais failli passer à la casserole, mais j’avais eu chaud. Le reste de la matinée, après… C’est juste recevoir les livraisons – encore que le camion n’était toujours pas là, mais on avait entendu parler d’un incident grave sur le périph’, une histoire de car scolaire devenu chèvre - si, si, vous allez voir, ça a un rapport avec l’histoire ! Mais bref. Pas de camion. Il ne me restait que des restes de la veille. Du hachis parmentier, du couscous-boulettes, des trucs du genre… Par chance, le p’tit Della Robbia avait sauté le déjeuner la veille, comme ça lui arrive parfois. C’est peut-être pour ça qu’il a la peau sur les os, mais qu’il en demande plein à ronger quand il vient au self… Allez comprendre.

J’étais à nouveau dans l’impasse. « Rosa, t’as pu te dépêtrer des estomacs encore fourbus de sommeil, mais tes canetons, là, ils viennent d’être cuisinés par leurs profs. Surtout les quatrièmes, ils ont eu madame Hertz. Elle, quand elle y met tout son cœur, c’est pas de la tarte ». Il fallait de quoi leur réchauffer la tête et le ventre. Je suis pas pas sujette à la chair de poule, mais les gosses, c’est un peu L’Aile ou la Cuisse. Autant ils pourraient adorer le mélange choucroute/frites/hachis, autant ça pourrait les convaincre des inepties de Jim ! Je suis la responsable de leur équilibre alimentaire, ils doivent avoir les quatre groupes d’aliments dans leur assiette ! J’ai regardé par la fenêtre, il y avait une branche d’arbre qui entrait dans ma cuisine… Maintenant, je me dis que cette branche aurait dû me mettre la puce à l’oreille, mais d’habitude, les arbres ne parlent pas à l’oreille des humains… Bon, il m’a quand même donné une idée, celui-là : il fallait que je la joue fines herbes ! Il faudrait juste faire avaler à Delmas que c’est pour mettre du sel dans la journée des gosses, et il en serait baba ! Bref, j’ai laissé cette branche vivre sa vie, et j’ai commencé ma tambouille. Tout se déroulait bien, j’étais inspirée, y avait même des petits oiseaux pour venir voir. Ça aussi, ça aurait dû… Oh, Jim, si vous ne pouvez pas supporter, vous pouvez aussi sortir !

Je disais donc… Je cuisinais, et tout se passait tellement bien que même les petits oiseaux venaient gazouiller. Je me suis mise à siffloter avec eux, comme dans les petits dessins animés que les enfants regardent. Ça me mettait en joie, moi, quand j’étais gosse. J’imaginais faire mes gâteaux en chantant pour les p… Poules et les v… Vaches – Oh, pourquoi ne pas l’emmener se reposer ailleurs ? Et puis, c’est tout de même une drôle de salle, pour juste « discuter », y a plein d’écho et pas de lumière… Ah, ça je veux bien croire, quand il s’agit de payer des réparations, les directions sont jamais là ! Enfin... Je chantonnais. Oh, rien de bien intelligent, juste quelques jingles pour des desserts ou pour Noël. La perspective d’un bon déjeuner, ça met toujours du baume au cœur… Moi, je mettais le mien à l’ouvrage.
C’est vers là, que ça a dû démarrer. Je n’ai pas compris tout de suite, ce n’est que quand j’ai dû m’arrêter de siffler pour ajouter de la viande hachée à mes burger-ragoûts que j’ai entendu… Les oiseaux… Ils chantaient… Mais pas comme des oiseaux, non… Ils chantaient comme moi ! Avec ma voix ! Ils reprenaient les mêmes airs de réclames, les mêmes jingles ! Mais il n’y avait pas que des chants de geai… Il y avait d’autres sons, qui montaient au-dehors, qui s’approchaient… Je me suis retournée… Le museau dans ma cuisine, le regard torve… Une… Une vache ! Elle chantait aussi ! Vous pouvez le croire, ça ? Une vache, chanter en me fixant, que les produits laitiers sont ses am… Je… Quoi ? Leurs… Yeux ? Oh, non, je n’ai pas vu tout de suite ! Il y avait une vache entière dans ma cuisine, bon sang ! Et selon vous, j’aurais dû faire attention à… Non, je vous dis, ce que j’ai vu en premier, c’est la vache qui chante !

Et après ? J’suis restée comme ça, un peu décontenancée, à les regarder, et d’un coup, l’oiseau est rentré ! Il s’est pris les pattes dans les restes du petit-déjeuner ! Je l’ai vu s’attarder sur une coquille d’œuf… Puis me regarder, moi, comme si j’avais tué ses petits ! Comme si je cuisinais aux œufs de geai ! Mais il avait pas l’air d’en démordre ! Et la vache… Elle, par contre, n’avait d’yeux que pour moi… Elle continuait à chanter… Des jingles de fromages ! Ça sentait le pâté. J’ai commencé à reculer, à chercher de quoi me défendre, quand soudain, un chat ! Je sais pas d’où il sortait, mais il me fixait avec de grands yeux affamés et autoritaires… C’est sur lui que j’ai remarqué… Il avait les yeux rouges ! Étincelants, avec un étrange logo… Et d’un coup… D’un coup, il m’a demandé ce qu’on mangeait ce midi ! J’ai même pas eu le temps de comprendre, qu’un… Qu’un pingouin est arrivé ! Un chat, passe encore, mais un… Non, je ne savais pas encore que le zoo était tombé… C’est plus tard, quand j’ai vu les animaux dans la cour, comme s’ils étaient chez eux… Et le pingouin, il… Il avait la veste de Monsieur Delmas ! Lui aussi, il a parlé… « Allons, mon petit, le déjeuner ne va pas se faire tout seul ! ». Un pingouin ! Qui parle ! Heureusement que le petit Della Robbia est arrivé… Il m’a dit « suivez-moi m’dame Rosa, ou on va y laisser des plumes ! ». On a traversé la ville… Les animaux… Ils conduisaient des voitures, ils traversaient la route… Moi j’aime bien les Disney, je vous l’ai dit, d’ailleurs mes préférés c’est ceux avec les chiens, là… Mais ça, ça n’avait aucun sens !

Puis, on est arrivés là. Votre planque était complètement retournée, mais… Non, bien sûr, je ne dirai rien ! Vous m’avez sauvé la vie, après tout… Je n’ose imaginer ce que ce pingouin aurait fait… Oh, Jim, pour l’amour du Ciel ! "





Jérémie soupira. D’un doigt las, il mit fin à l’enregistrement. Devant lui, Madame Rosa serrait encore sa spatule contre son ventre. Elle admonestait un Jim qui continuait à regarder nerveusement le plafond. Impossible de savoir pourquoi, mais a priori, le témoignage s’arrêterait là. Et après tout, ils étaient à l’abri.

L’Usine était le seul endroit où bon nombre d’animaux n’avaient pu attaquer. Vaches, cochons et moutons s’étaient contentés de prendre en siège le bâtiment et de détruire l’ascenseur. Les accès secondaires étaient trop compliqués pour eux. Quant aux oiseaux… Ils lui avaient volé dans les plumes. Il en toussait encore, d’ailleurs. Mais qu’importe. Dans quelques minutes, il serait de retour au petit-déjeuner.

Il le savait, il devait à la cheffe cuistot et au prof de gym traumatisé de lancer le Retour vers le Passé. Mais l’attaque avait été trop fascinante pour qu’il ne prenne pas le temps de faire une petite archive à chaud. XANA avait été brillant. Faire dysfonctionner tous les abattoirs aux abords de la ville pour libérer des hordes XANAtifiées de bétail… Ça avait même bloqué le périphérique, quand les animaux avaient attaqué des camions. Pourquoi ils avaient fait ça, au lieu de foncer directement vers Kadic, Jérémie n’en savait rien, mais peu importe. Ce qui comptait, pour sauver le monde, c’était l’attaque sur l’Usine. Ça valait largement de faire passer Madame Rosa sur le gril.

Enfin. Il en avait fini. Il ne tirerait plus rien de la courageuse cheffe et du pauvre monsieur Jim qui lançait maintenant des regards hystériques à un Odd Della Robbia gargouillant de faim et à son chien, ramené à l'Usine à titre exceptionnel. Tout le monde était fatigué. Ulrich s’était pris de plein fouet la charge d’un mouton, et se tenait le postérieur avec l’air de le reprocher à Jérémie. Yumi et Aelita, quant à elles, attendaient sur Lyoko que leur chef daigne les libérer de cette histoire. Elles avaient eu leur compte de bestiaux, elles aussi. Disons seulement qu’ils étaient du genre virtuel. Bref. Jérémie finalisa la sauvegarde de son enregistrement.

Dommage. S’il avait levé les yeux au plafond avant de faire son Retour vers le Passé, il aurait trouvé quelque chose de plus intéressant. Un geai, perché sur un câble, observant la situation paisiblement. Dans ses yeux, un symbole bien connu, deux cercles, trois barres en bas et une barre en haut, clignotant discrètement d’une faible, mais prometteuse lueur…
 

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