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[Fanfic] Oblitération [Terminée]

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 Auteur Message
Sorrow MessagePosté le: Lun 06 Nov 2017 20:05   Sujet du message: [Fanfic] Oblitération [Terminée] Répondre en citant  
[Kankrelat]


Inscrit le: 04 Nov 2017
Messages: 19
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Spoiler


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Prologue
When the sun goes down


Noir Désir – Des Armes

Quelques nuages élégamment allongés traînaient à l'horizon, éclairés par les derniers rougeoiements du crépuscule. La lumière ambrée se répandait sur les bâtiments de marbre blanc, si bien que la ville ressemblait à un tableau de Monet avec cette clarté floutée et fascinante à la fois. L'air qui passait sous la baie vitrée de ma véranda faisait tournoyer langoureusement la poussière qui subsistait sur les dalles. Des dalles parfaitement alignées, le chant des cigales et le soleil de plomb, c'était toujours la même vision parfaite qui s’affichait quand je fermais les yeux.
Mais désormais, il est temps pour moi de les maintenir grand ouverts pour affronter la réalité.
Le cours de la vie, c'est tout simplement de se fabriquer des bons souvenirs qui reviendront nous hanter dans les moments insipides de notre existence. Depuis que je suis arrivé en France, le soleil n'est plus, la joie non plus. Surtout en banlieue parisienne, ce ballet incessant de personnes stressées à la mine blafarde et aux mains tremblantes. Comme toujours, la période qui précède le sommeil est le moment de prédilection pour remettre mon déménagement en question. Les longues minutes avant de s'endormir sont toujours remplies de doutes tandis que la nuit, pure et dure, c'est ce moment magique en fin de journée où l’on se déshabille de nos pensées pour se vêtir de nos rêves, les plus merveilleux comme les plus atroces. Bref, la nuit c'est sans doute le meilleur des moments quand on n’a pas peur du noir. Ce qui n'est pas mon cas. Depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, la noirceur m'a toujours terrifié et il est fort probable qu'elle me terrifiera encore longtemps.
Le meilleur remède, c'est de s'occuper l'esprit avant qu'il ne comble lui-même l'absence de pensées par des monstres plus atroces les uns que les autres. J'observe donc la pièce exigüe plongée dans une semi-obscurité tout en écoutant d'une oreille attentive les tressaillements de la respiration sifflante de mon colocataire qui subsiste dans la même alcôve que moi malgré les phéromones ambiantes. Je ne l'ai pas choisi, ni lui, ni le matelas inconfortable rongé par les mites sur lequel je repose toute la nuit. Tout est détérioré ici, même mon ouvrage de chevet (Harry Potter et l’Ordre du Phénix) se fait tourmenter par les psoques, cet abject insecte vulgairement nommé « pou de livre ». Néanmoins, ça pourrait être pire pour le partage de la chambre, cette cellule aux tentures tristes et incisives. Le garçon qui vit avec moi au quotidien a le mérite d'être un sportif confirmé, malgré son aspect peu souriant qui lui confère un teint encore plus froid que les visages fissurés des vieilles poupées de porcelaine de ma grand-mère. Malgré tout, il reste l'un des seuls à m'avoir tendu la main à mon arrivée. Peu de gens l'ont fait, sans doute est-ce dû à mon look particulier qui en rebute plus d'un au premier regard. Ou alors c'est juste le fait d'arriver une année après tout le monde qui rend l'intégration plus compliquée ?

Il est temps que je bouge, le couvre-feu est déjà passé et je suis loin d'être prêt pour aller me coucher. Il faut encore que je me mette en pyjama et que je me brosse les dents avant d'aller dormir. A pas de loup, je sors de la chambre avec mes habits pour la nuit et ma trousse de toilette sous le bras. De la manière la plus silencieuse possible, je marche sur la pointe des pieds dans le couloir jusqu'à atteindre la salle de bain des garçons. Une fois entré dans la pièce, je me sens directement oppressé par une chaleur ambiante à laquelle je suis peu habitué dans ce bâtiment. Visiblement l'eau a encore été bouillante au moment des douches puisque les miroirs sont recouverts d’une buée dégueulasse... Une fois sur trois, l'eau est glaciale, et le reste du temps ça peut être de la lave en fusion. C'est le genre de douche pourvue d’un bouton où on doit simplement appuyer, pas de thermostat à l'horizon donc. Du coup, la température de l'eau dépend de l'humeur journalière de la chaudière.
Je frotte du revers de la manche la glace pour me permettre d'apercevoir mon reflet. C'est toujours plus agréable quand on commence à se chatouiller l’émail. Une fois l'engin rempli de dentifrice en bouche, je retire mon jeans de ma main libre pour me retrouver en slip violet dans la pièce surchauffée. Je compte méticuleusement une minute trente dans ma tête, en passant la brosse devant et derrière les dents comme on me l'a toujours dit, et j’utilise un petit gobelet orange qui traînait là pour me rincer la bouche. Je sens du bout de la langue un peu de sang dégouliner de la rangée du bas, de la gencive plus précisément, c'est souvent le cas quand j'y vais un peu trop fort. Je m'apprête à étaler un peu de crème hydratante sur mon menton desséché par le froid automnal (pas très viril je l'admets) mais la sonnerie de mon portable interrompt ce geste machinal. Sans avoir besoin de regarder le prénom qui s'affiche sur l'écran, je sais qui est mon interlocuteur. Instinctivement, ma respiration s'accélère et je n'ai plus qu'une seule envie, une idée fixe qui s'empare de mon être tout entier : balancer le téléphone contrer le mur pour le briser définitivement. Malgré tout, je sais au fond de moi que je dois répondre. Le sort de l'humanité en dépend mon ptit Odd, on te l'a assez répété.

— Allô Jérémie ? murmurai-je d'une voix tremblante après avoir appuyé sur le bouton tant redouté.
— Ah Odd, content de t'avoir au téléphone, répliqua le génie d'un ton qui se voulait enthousiaste mais qui sonnait étrangement faux. Dis, on est tous partants pour un plongeon très matinal demain matin, je suppose que tu seras de la partie ?
Einstein utilisait toujours des termes très flous quand il s'agissait d'appel vocal, j'avais une fois émis l'hypothèse interne qu'il craignait que son téléphone soit sur écoute, ce qui pourrait sembler assez farfelu mais sincèrement plus rien ne m'étonne depuis mon arrivée à Kadic. Belpois aurait encore pu me dégainer un ensemble de lexies codées du genre « Nous sommes tous voués à l’enfer, l’ascenseur est en panne au paradis » que je n’aurais même pas pris la peine de broncher.
— Euuuuh, matinal comment ? J'ai besoin de mes heures de sommeil moi aussi.
— Comme tout le monde mais parfois on a pas le choix, répondit sèchement l'informaticien. Il nous faut un délai suffisant pour explorer quelques zones virtuelles et récupérer des données au passage avant le début des cours. Hors de question de sécher le cours de Madame Hertz une troisième fois d'affilée ! Cinq heures nous semblait être un bon compromis
— Cinq heures du mat' du coup ? m'étranglai-je en pensant aux cernes du lendemain.
— C'est le principe de "matinal" Odd...
— Ok, maugréai-je en sachant qu'une réponse négative n'aurait même pas été envisageable, je mettrai mon réveil et on sera bien au rendez-vous Ulrich et moi.
— Parfait, à demain.
— Bonne n...

Jérémie avait déjà raccroché. Avec lui, on se contentait toujours de l'info pratique, l’aspect conceptuel qu’est le signifié en linguistique, et tout le reste relevait de l'ordre des futilités. « A demain » était sans doute la plus grande démonstration d'affection dont il était capable. Mais bon, à force on s'y habitue... et on s'y attache aussi d'une certaine façon.
Mon regard se perdit sur mes chaussettes bariolées et la décision de les garder jusqu'au lendemain matin m'apparut comme une évidence, ça fera toujours dix secondes de gagner au moment du réveil. Au moment d’enfiler le bas de mon pyjama, un glapissement étrange retentit à proximité, brisant ainsi la torpeur ambiante, et très vite j'entends distinctement le son d'un animal grattant avec vigueur à la porte.
Biologiquement, il est intenable et arrogant d'affirmer que l'humain est le seul à être pourvu d’une conscience. De fait, j'avais fini par faire de mon chien un allié de taille, qui mettait un point d'honneur à me suivre partout, et j'étais presque convaincu que c'était lui qui s'acharnait ainsi sur cette pauvre porte, il avait dû réussir à se faufiler hors de la chambre car je laissais souvent le battant à demi ouvert. Après une brève hésitation, je décide de le laisser entrer dans la salle de bains même si c'est pas top niveau hygiène et que c'est sans doute un méfait gradué 8 sur l'échelle criminelle de notre bon vieux surveillant.

Sans grande surprise, c'est bel et bien Kiwi qui fonce direct sur ma jambe gauche, comme toujours, pour me supplier de le prendre à bras. Et évidemment je craque. Mais dès que je le porte à hauteur de mon regard, je constate que quelque chose cloche. Son museau tout d'abord qui a viré au rose criard des chewing-gums à deux balles. Mais pire encore, ses yeux d'un noir d'encre dans lesquels une petite lueur rouge subsiste. Un signal d'alarme résonne toutes sirènes hurlantes dans ma tête mais il est déjà trop tard. Après avoir brusquement senti son souffle chaud au creux de mon oreille, les crocs de Kiwi se referment sur la chair tendre qui entoure ma frêle épaule. Les pointes de la douleur s’enfoncent de plus en plus en moi avant de s’effacer pour laisser place à un attroupement de vides béants qui ne vont pas tarder à se remplir d’hémoglobine. Je hurle de douleur alors que Kiwi tombe sur le sol, la gueule en sang et les pupilles dilatées. Immédiatement, je comprends qu'il prend de l'élan pour sauter à nouveau, le plus haut possible sans aucun doute, et là je fais quelque chose que je n'aurai jamais cru faire un jour. Au moment où il s'élance vers moi, je lui jette un coup de pied dans le flanc comme s'il n'était qu'un vulgaire ballon de foot. Un craquement résonne dans la petite pièce tandis que mon chien va s'écraser contre la paroi de la douche la plus proche.
En moins de deux, je sors de la salle de bains tout en veillant à bien refermer la porte derrière moi. C'est pas normal, il se passe encore un truc pas net, faut que j'aille prévenir Jerem, Ulrich, n'importe qui. Belpois doit encore être à l'usine, le mieux à faire c'est de le rejoindre là-bas. Je me précipite vers ma chambre pour réveiller Ulrich mais je constate aussi vite son absence à ma grande stupeur. Lit vide à l'exception de sa couette et de son oreiller, aucun doute il a déjà été prévenu. Enfin je l'espère... J'enfile rapidement un short à lui qui reposait sur sa valise et descend les marches quatre à quatre tout en composant le numéro de Jérémie mais la batterie me lâche aussitôt. Evidemment... Je me précipite dehors et regrette aussitôt de ne pas avoir pris un manteau. Ça caille. Et le pire dans tout ça, c'est que je vais devoir traverser le parc... dans l'obscurité la plus totale. Super.

Iron Maiden - Fear of the Dark

Déjà le vent se jette dans la danse. Mordant. Glacial. Teigneux comme jamais. J’ai l’impression qu’il cherche à m’arracher mon âme. Je cligne des yeux, je ne vois que les ténèbres. Les humains sont censés s’accommoder à l’obscurité, non ? Pourquoi ça ne vient pas, pourquoi je ne vois toujours rien ? Pourquoi la lune brille-t-elle si peu dans le ciel ?
— Je pars devant, on se retrouve à l’usine !
La voix claque dans mon oreille, alors qu’une bourrasque encore plus violente me gèle la chair. C’est Ulrich qui part en courant devant moi. Je veux lui crier de m’attendre, de ne pas partir comme ça, de m’aider. Mais les mots restent coincés, probablement congelés au creux de ma gorge. Sa présence se perd au cœur des arbres, et je suis seul, seul, seul.
Je n’ose pas y aller. Je me sens trop petit et insignifiant. Pourtant, la perspective des horreurs derrière moi est le meilleur des moteurs. La chaleur du sang qui coule de mon épaule me donne le carburant. Comme un automate, je fais quelques pas. Puis je m’élance, avec la sensation de plonger au beau milieu de la mer, là où il n’y a plus de fond, là où n’importe quoi peut rôder.
Je vois à peine devant moi. Je sens le sol sous mes pieds nus, un petit caillou qui s’enfonce sans merci dans ma plante, et toujours ce vent terrible qui dévide chaque filin de chaleur de ma peau. Je crois que mes doigts vont tomber avant la fin de ce cauchemar. Pourquoi je cours si lentement ? J’ai l’impression de faire du sur-place, mais enfin je discerne la lisière de cette forêt d’épouvante qu’est le parc. Le tronc des arbres luit d’un argent lunaire livide, les buissons bruissent si sordidement, et moi je cours en priant pour que tout se passe bien. Pourquoi ai-je l’impression d’entendre des bruits partout ? Cette cacophonie de murmures me glace le sang avec une efficacité à rendre jaloux ce blizzard qui ne cesse de me fouetter, et de me retenir de ses longs doigts effilés.
Des craquements. Des chuchotis. De lourds battements. Des chuintements. Des craquements plus proches. La respiration régulière du vent dans les feuilles. Le grondement du sang dans mes tempes.
Cette forêt vit.
Cette forêt sait que je suis là.
Je suis maintenant certain de ne plus être seul. Anxieux mais toujours en course, je tourne la tête, à droite, à gauche, à la recherche de ces légendaires yeux rouges qui surgissent des tréfonds de vos terreurs pour s’incarner là, dans les ténèbres, en suggérant les pires tourments. Mon pied accroche quelque chose. Je heurte le sol. Une vive douleur dans mon genou me fait réaliser le liquide poisseux qui en coule. Mon cœur opère une ruade désespérée. Je suis blessé. Paniqué, je cherche à tâtons le motif de ma chute, gardant les yeux rivés sur l’oppressante chape noire et vide qui me coupe la respiration. Je ne vois émerger que des arbres, témoins austère et hostiles de ma visite.
Est-ce que celui-là s’est rapproché ?

Pas le temps de traîner ! Je dois rejoindre cette usine coûte que coûte ! J’ai le genou en sang, mais ce n’est rien, non ce n’est rien. Sûrement l’action conjointe d’une racine et d’une pierre pour me faire choir. Une racine en plein milieu du chemin ?! Impossible…
Lève-toi, lève-toi, lève-toi bon sang. Ne reste pas là. C’est dangereux. Oublie cette histoire de racine et cours. Ce n’est qu’une éraflure. Tu ne saignes pas tant que ça finalement. Cours. Mais cours. Arrête de respirer aussi bruyamment, toute la forêt t’entend ! Arrête de trembler ! Pourquoi il n’y a plus de vent ? Où est-ce que je suis ? Par où je dois aller ? Subitement incapable de m’orienter, je scrute les arbres au désespoir, je tâtonne sur leurs troncs d’écorce coupante. Pas un seul signe distinctif, ils se ressemblent tous. Comment je vais faire ? Je… je…
Je suis perdu.
Le constat me poignarde directement aux tripes. Je sens les larmes monter, la panique me liquéfier la trachée, mes mains convulser comme jamais. Quelque part dans la terrible noirceur, une respiration vient se superposer à la mienne. Je ne suis pas seul.
Je ne sens même plus mes pieds. Le froid a dû les souder au sol. Quelque chose frôle subitement les buissons à ma gauche, je sursaute, je les fixe avec terreur. Va-t’en, va-t’en, va-t’en, va-t’en, VA-T’EN !
J’ai peut-être crié, je ne sais pas. Subitement, l’obscurité se fait moins pesante. Ce n’est que pour mieux me laisser voir ce liquide noir qui coule des arbres et qui va se mêler au sang que j’ai laissé dans l’herbe. Qu’est-ce que c’est que ça. Qu’est-ce que c’est que ça ?! Cours crétin ! Tu y vois quelque chose, enfuis-toi tant que tu peux encore !
L’usine brille dans mon esprit tel le fanal dans la tempête. Je peux y arriver.
Je fonce. J’entends des craquements sonores derrière moi. Un clapotis. Non, pas vraiment. Comme quelque chose de boueux. Ce liquide noir visqueux, cette sève d’Asphodèle, elle va m’avaler. Je ne dois pas m’arrêter. C’est la fin sinon. J’entends des rires tout autour de moi. J’entends une parade infernale de monstruosités venues m’achever. Je vois des mains difformes et griffues se tendre vers moi alors que je martèle le sol de mes pieds.

Mes poumons sont en feu. J’ai un goût sanguinolent dans la bouche. Je n’y arriverai pas. Je ne veux pas mourir. Aucune lumière ne se montre. Pas d’yeux rouges comme dans les fantasmes d’écrivains torturés, oh que non. Le noir est bien pire, n’est-ce pas ?
Mon allure s’est réduite à peau de chagrin. C’est bientôt fini. Ils se rapprochent de seconde en seconde. Ils font durer le plaisir. Les arbres dansent tout autour, faisant onduler leurs branches alors que j’en suis presque à ramper par terre. Les larmes me brouillent le peu de vue qu’il me reste, et je lutte pour chaque foulée. Des foulées ? Des pas, oui ! C’est pitoyable, je n’y arriverai pas. Je ne sauverai pas le monde. Je vais… je vais…
Mon pied tombe sur quelque chose de glacial.
Je n’ose y croire.
C’est… c’est la plaque d’égout !
Je l’arrache de la terre poisseuse, je m’esquinte les ongles dans la panique. C’est mon échappatoire, je ne dois pas la louper. Encore plus de ténèbres sous terre, mais je dois y arriver, j’ai survécu au parc infernal. J’en suis capable. Allez. Allez, encore un effort. Un tout petit effort.
— Tu verras, on bouffera un bon couscous-boulettes quand ce sera fini… le couscous-boulettes de Rosa, avec sa sauce tomate tellement onctueuse, et les petites herbes dans la viande qui se coincent entre les dents… tu verras, on peut y arriver !
Un murmure d’encouragement. Un sanglot pitoyable alors que je descends l’échelle. Elle me couvre immédiatement les doigts d’engelures tellement elle est froide. Ma main lâche, mon pied glisse, je tombe, je me cogne la tête sur la dalle de béton. Non. Non, pas maintenant, pas si près, je…
Je sens la matière poisseuse tomber à gouttes énormes de l’ouverture béante des égouts. Le contact est froid. Visqueux. Souillant. Je n’ai plus la force de me lever. Le fluide boueux colle à ma peau nue, se mêle à mon sang, s’écrase lourdement sur mon visage. S’écoule dans mon nez, dans ma bouche entrouverte pour tenter de grapiller quelques parcelles d’air. J’étouffe. Le mucus immonde progresse dans ma gorge, alors que mon rythme respiratoire est multiplié par dix. Je n’arrive plus à respirer. Je n’arrive plus à respirer. Je n’arrive plus à respirer ! Dans un effort démesuré, je rassemble les derniers lambeaux de voix qui me restent, et je crie :
— Je veux pas mourir !
— Tu vas pas la fermer oui ?!
L’oreiller d’Ulrich percute sans ménagement mon crâne. Je n’y prête même pas attention alors qu’il retombe par terre. Je… je suis vivant ? Je suis… dans mon lit ? Je porte une main poisseuse à ma gorge. Je suis ruisselant de sueur. Je… c’était un cauchemar ?
Mon camarade de chambre, rendu grognon par ce réveil expéditif, ramasse son oreiller et retourne dans son lit en marmonnant. Je suis toujours pelotonné sous ma couette, sans parvenir à me rendormir. Les sensations étaient si réelles.
Le cœur toujours paniqué, j’attends qu’Ulrich replonge dans les bras de Morphée, puis je me lève sur la pointe des pieds. Il fait froid. Mais moins que dans ce parc démoniaque. Je me faufile dans le couloir, puis jusqu’à la salle de bain où le carrelage glacial ne m’évoque que la froideur de la plaque d’égout. J’ouvre le robinet, je frémis au bruit de l’eau. Elle est si claire, si limpide sur les parois si blanches du lavabo. Mes mains tremblent trop pour que j’arrive à vraiment la retenir. J’inspire profondément. Je ferme les yeux, je parviens à me calmer assez pour me passer un peu d’eau sur la figure. Je lève les yeux vers le miroir, les gouttes ruisselant sur mon visage. Je me trouve petit et maigre. Trop petit et trop maigre. Trop effrayé. Si insignifiant.
L’espace d’un instant, je crois bien voir quelque chose bouger dans le couloir.


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VNV Nation - Illusion

Agression sordide à Sceaux !
« La situation tragique que je viens de vivre aurait pu se dérouler dans n’importe quelle famille, déclare Takeho Ishiyama au micro de notre journaliste sur place. Si l’incident que j’ai vécu peut favoriser une certaine prise de conscience autour de ce fléau qu’est la drogue, ce sera déjà ça de gagné. Il faut absolument que les parents arrêtent de fermer les yeux, de pratiquer la politique de l’autruche par rapport à ce qui se passe autour d’eux. Aujourd’hui, la drogue n’est plus simplement aux portes de nos demeures, elle y est rentrée et est absolument partout... La lutte contre la drogue devrait être l’affaire de tous ! »
Si, aujourd’hui, ce père de famille meurtri a décidé de témoigner, c’est pour conscientiser à la fois les familles, les pouvoirs publics et les jeunes sur les dangers de la drogue.
« Je demanderai tout d’abord à nos hommes politiques et à la justice de donner plus de moyens, d’encourager et d’accompagner la police afin de pouvoir freiner cette hémorragie de stupéfiants qui gangrène nos rues, les sorties de nos écoles, et même nos petits quartiers bourgeois "sécurisés". J’aurais également un petit mot pour les jeunes : faites attention, les dealers vendent parfois des produits coupés, de mauvaise qualité, qui peuvent vous faire perdre la tête. Une fois la pilule avalée ou le produit injecté, il est trop tard pour revenir en arrière. »
Pour ce bon travailleur bien intégré dans notre société, la santé et la sécurité des enfants, cela n’a pas de prix.
« La drogue fait aujourd’hui partie de notre société, quoi qu’on en dise. Arrêtons de nous voiler la face, de ne pas voir la vérité telle qu’elle est. Je sais qu’il n’existe pas de recette parfaite. Il est d’ailleurs très difficile de savoir comment réagir quand ce fléau de la drogue vous tombe dessus, entre subrepticement dans la sphère familiale. C’est le pire des poisons car il détruit sa victime de l’intérieur tout en entraînant les proches dans un environnement souillé par la violence et les hallucinations. Je réclame donc plus de prévention dans les écoles, à des âges encore plus précoces. Il est important que les jeunes voient les dégâts que provoque la drogue. »
Cet appel au secours universel, ce signal d’alarme, ce père de famille le voit également comme un message d’amour envers sa fille, d'origine étrangère comme lui, seulement âgée de douze ans au moment des faits.


Yumi se réveilla en sursaut devant le reportage qui résonnait à fond dans ses oreilles ! Qui avait augmenté le volume de la télé aussi fort ? Sûrement Hiroki ! La japonaise reporta son attention sur la chaîne TV5 Monde qui diffusait un documentaire sur... la Colombie. Bon, au moins ça restait dans le thème. Elle avait dû mélanger ses pensées et les quelques infos captées depuis la télévision jusqu'à son subconscient.
— Dis-moi que c'est des conneries Yumi ?
— Suis-je vraiment obligé de le préciser ptit frère ?
Hiroki était apparu derrière le canapé jaunâtre, souriant car il savait, tout au fond de lui, que sa sœur ne pouvait pas être impliquée dans une histoire aussi sordide. Elle avait beau avoir été retrouvée dans la rue, errant comme un zombie et les yeux ronds comme des balles de ping-pong, elle ne pouvait pas être impliquée dans l'agression qui s'était produite dans le même quartier dix minutes plus tôt. Une petite vieille agressée, comme ça arrive tous les jours. A douze ans, la japonaise ne pouvait pas être tenue pour responsable, malgré sa carrure sculptée par les nombreuses heures d'application des conseils des coachs qu'elle consultait pour les différents arts martiaux qu’elle pratiquait. Après avoir contemplé le vol d'une coccinelle – noire comme elle les aimait –, Yumi bailla, épuisée par les évènements des derniers jours. Le petit garçon en profita aussitôt pour se blottir langoureusement dans les bras de son aînée, jusqu'à sentir de près les battements du cœur de cette dernière qui se voulaient réguliers. Hiroki était plutôt drôle à observer ces derniers temps car il portait en permanence une petite casquette de laine avec une visière au-dessus de son crâne qui était désormais chauve comme une petite cuillère. Le résultat d’un pari débile avec un de ses potes, qui lui avait salement coupé une mèche de cheveux en classe, ce qui avait contraint le jeune soucieux de son apparence de tout raser chez le coiffeur.
— Les journalistes c'est des merdeux ! cracha le jeune garçon en déchirant l'article qui avait scrupuleusement été déposé dans la boîte aux lettres du domicile familial.
— On s'en remettra Hiroki... il y a pire dans la vie. Demain, cette presse à "sangsation" aura trouvé une nouvelle cible et son lectorat nous aura déjà oubliés.
En toutes circonstances, Yumi restait positive. C'était sans doute l’une de ses grandes forces, elle qui ne flanchait jamais face à l'adversité. Et le cadet de la famille admirait grandement cette belle qualité, c'est tellement rare de rester si optimiste quand on devient adolescent !
— Tu veux écouter mon nouveau flow ? demanda le cadet de la tribu avec une certaine excitation visible au niveau de ses dents qui s'entrechoquaient entre elles.
— Vas-y ! l'encouragea Yumi.
— Tu en es sûre ? Ça ne te dérange pas ?
— Ça ne peut pas être pire que la dernière fois, plaisanta-t-elle en lui adressant un clin d'œil malicieux.
— Bon c'est parti ! Hirok' le roc dans la place ! Si tu crois un jour qu'je t'laisserai tomber pour un détail ou pour une futilité n'aie pas peur je saurais bien faire la différence. Si tu crains un jour qu'je t'laisserai fâner à la fin de l'été, un mauvais cap à passer n'aie pas peur personne d'autre n'pourrait si facilement te remplacer, zbam.
— Quel débit de fou ! concéda Yumi. Par contre, revois tes paroles pour les adapter à ta propre vie, c'est toujours mieux non ?
— Ouais t'as raison, chui peut-être encore un peu jeune pour parler des problèmes des grands...
Hiroki avait tout de même un aspect de sa personnalité terriblement attachant, même dans les moments les plus difficiles... Pas de doute, il était fait pour plaire aux plus jolies de ce monde cette arsouille !

« T'as moins mal ? » demanda Hiroki en jetant un regard inquiet à la perfusion, cette aiguille immonde qui s'enfonçait dans la chair de sa sœur. Yumi ne prit même pas la peine de répondre, elle se contenta de sourire. Oui, ça allait. Sans plus mais ça allait. Ça aurait pu être pire après tout, bien pire... Ce qui l'emmerdait vraiment, c'est qu'elle ne pouvait plus bouger à sa guise dans cette situation. La jeune asiatique était contrainte de rester couchée sur son lit pendant de longues heures et c'était loin d'être son délire, elle qui appréciait les longues balades en VTT et les entraînements de foot en plein air. Elle se sentait plutôt bien parce qu'elle faisait tout pour garder le moral comme d'hab... mais au fond elle bouillonnait d'envie et d'excitation ! Envie de courir, bondir, grimper ! Excitation à l'idée de sortir à nouveau, raconter ses blackouts à la bande, revivre pleinement pour de bon !
Elle voulut câliner son frère à nouveau. Mais un bruit saccadé, feutré et surprenant à la fois rompit le bon moment qui s'annonçait en perspective. Quelqu'un frappait à la porte. Hiroki s'empressa d'aller ouvrir et, après avoir vérifié l'identité de l'invité, courut se réfugier dans sa chambre. C'était mieux comme ça... Quand ces deux-là étaient ensemble, il se faisait vite dégager de toute façon !

« Bonjour Yumi. »
Le visage de la jeune fille s'éclaira quand elle aperçut la mine – pourtant attristée – du garçon qui venait lui rendre visite. Elle l'aimait, c'était une certitude. Pas de cet amour dégoulinant, futile et si répugnant que les couples entretenaient entre eux. Non. C'était plutôt un amour fusionnel, comme s'il n'était qu'un prolongement d'elle-même. Quand elle le voyait, c'était un shot d'adrénaline, une bouffée d'oxygène, une déflagration de joie et de rires en prévision ! Ça pouvait sembler cliché mais c’est ce qui résumait le mieux leur relation. Avec ce garçon en particulier, c'était différent. Pas de sous-entendu. Pas d'ambiguïté. Le genre de personne avec qui tu peux commencer à vieillir sans devenir d’ennuyeux adultes pour autant. C'était, au fond, un lien bien plus puissant que l'amour niais puisque le blondinet tenait entre ses mains le destin de Yumi. Son rôle de sauveuse de l'univers, d'aventurière confirmée, de sportive chevronnée, c'était grâce à lui ! L'aînée des Ishiyama le reconnaissait aisément. Sans Jérémie Belpois dans son entourage, sa vie aurait été bien terne...
— En ces temps difficiles, déclara Jérémie avec une lueur malicieuse dans le regard, j'ai pensé que ça t'intéresserait de savoir pourquoi les mouches se frottent toujours les pattes. Question primordiale que tout le monde s'est déjà posée un jour en les observant pas vrai ?
— Si tu le dis, répliqua Yumi avec un petit rictus tordu au coin des lèvres que Jérémie connaissait bien.
— En fait, reprit Belpois, les pattes de mouche (à différencier de l'écriture infecte à laquelle elles sont associées) sont recouvertes de poils sensoriels, qui font office de détecteurs. Ceux-ci occupent aussi tout le reste de leur corps, pas seulement leurs pattes donc ! Cela leur permet, aux mouches, de mieux appréhender l'environnement extérieur : aussi bien la chaleur, l'humidité, le vent, le goût des aliments... Les détecteurs de leurs pattes leur servent de façon continue. Il faut donc que celles-ci soient toujours très propres afin qu'elles ne soient pas « déréglées ». Ainsi, c'est pour cette raison que les mouches vont continuellement faire preuve d'une grande propreté et vont souvent nettoyer leurs papattes.
— Ça me perturbait tellement depuis mon enfance, plaisanta Yumi, je peux mourir tranquille maintenant !
— Il n'est jamais trop tard pour apprendre ! répliqua le blondinet en repoussant ses lunettes vers le large front qui séparait ses sourcils de sa chevelure décoiffée.
Sincèrement, ce mec était tellement... différent. Inclassable. Un ovni de sa génération. Il était unique en son genre, et en bien, c'était déjà une certitude sacrément implantée dans le cerveau de l'ensemble des membres de la famille Ishiyama.

— Plus sérieusement, continua Jérémie en dévisageant de près son interlocutrice pour observer ses réactions, par rapport à cet article je dois te dire... Tout le monde change, l'être humain même est changement. Tout le monde passe par différentes phases et parfois ce sont des phases négatives. Malheureusement tu ne peux rien changer à ce qui s'est passé, ce qui est fait. On peut tout acheter dans ce monde, sauf la réputation. Si la tienne est détruite en ce moment, ce n'est que pour mieux la redorer dès demain. Ils sont juste cons ces journalistes !
— Toi aussi tu ne les supportes pas ?
— C’est le concept d’écriture même qui me dérange de plus en plus, noircir une feuille mais à quoi bon ? Ecrire, c’est envahir l’espace d’autrui, ne serait-ce que pour salir sa mémoire comme tant le font avec des personnalités pourtant si charismatiques telles que Gandhi ou Claude François. Ecrire, c’est aussi s’exposer à la critique irritée de ceux qui n’écrivent pas, qui n’écriront jamais ou qui n’écrivent pas exactement comme toi. Dans ce dernier cas, ils pourront voir en l’écrivain différent que tu es une menace potentielle… et ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour te détruire, ces vautours, car la société humaine s’est toujours basée sur le principe de l’aliénation, mentale comme physique d’ailleurs. Malgré tout ce que les pisse-copies pourront rédiger, tu peux toujours faire en sorte de montrer tes changements, montrer qui tu es aujourd'hui, prouver ce que tu vaux réellement en société, et dégager des choses beaucoup plus positives, que les gens pourront voir, mais surtout pour toi en fin de compte. Car le positif attire le positif, et en l'étant, en faisant de bonnes actions, cela retournera vers toi aussi ! Demande pardon, pardonne aussi, et pardonne-toi surtout. Accepte ce qui s'est passé, et avance vers une personne meilleure... que tu deviendras certainement, je n'en doute pas une seule seconde. Même après l’immonde acte que tu as pu commettre.
— T'es sérieux ? s'étrangla l'adolescente. Tu sais très bien que je n'ai rien à voir avec toute cette affaire ! C'est à cause de toutes tes... expérimentations qu'il m'arrive des trucs chelous.
— Du calme Yumi, riposta Jérémie en éclatant d'un rire tonitruant face à la réaction de sa meilleure amie. C'était une blague, j'imitais juste ta mère !
— T'es vraiment con, glissa Yumi en étirant les lèvres néanmoins. Tu savais ce qu'il fallait dire pour me faire redescendre ! Tu peux en rire, moi aussi d'ailleurs... mais c'est quand même pas toi qui va avoir à subir mes vieux jusqu'à mon retour à l'école !
Yumi était néanmoins un peu émue par toutes ces belles paroles. Une fois de plus, son meilleur ami lui avait prouvé qu'il serait toujours à ses côtés. Même après toutes ces années passées ensemble, elle restait admirative devant cette maturité que Jérémie arborait en permanence. Le choix des mots et de leur portée, même dans l'humour. Tout était une question de ton avec lui... et de don. Avoir la capacité d'utiliser les termes justes au moment adéquat, c'était déjà un sacré cadeau du bon dieu ! Du haut de ses douze ans, Jérémie Belpois était déjà un visionnaire hors pair. Aucun doute permis, le blondinet n'avait qu'à tendre les bras pour accéder à l'avenir professionnel qui lui conviendrait. Qu'il choisisse n'importe quel domaine, c'était certain qu'il excellerait (bon peut-être pas en sport ni en menuiserie mais on se comprend).

Pour la deuxième fois, on frappa à la porte, troublant la quiétude du salon des Ishiyama.
— Laisse, j’y vais, fit Jérémie en voyant son amie commencer à se lever.
De mauvaise grâce, Yumi s’immobilisa. En temps normal, ils auraient probablement inversé les rôles, mais elle devait s’y résoudre : elle n’était pas encore totalement remise, et il valait mieux qu’elle s’évite des efforts inutiles. Un regard par la fenêtre ouverte lui montra le cerisier japonais qui s’épanouissait paisiblement dans le jardin, et elle regretta de ne pas pouvoir y grimper comme au retour de ses escapades nocturnes. Elle sentait presque l’écorce sous ses doigts d’ici. Vivement. Il n’y avait rien de plus triste qu’un mercredi après-midi passé enfermée.
— Désolé d’être en retard, j’avais entraînement de foot, confessa Ulrich.
Cheveux bruns, courts et assortis à ses yeux, et toujours ce goût pour le vert kaki. L’adolescent avait visiblement préféré repasser par Kadic pour déposer son sac avant de revenir ici. Ça n’avait pas dû beaucoup le retarder : Ulrich courait vite. Il échangea un efficace signe de tête avec Jérémie et les deux garçons rallièrent le salon ensemble.
— Salut Yumi ! En forme ?
— J’ai vu mieux, avoua-t-elle avec un sourire. Et toi, ça va ?
— Tranquille.

Ulrich s’assit en tailleur à même le sol, observant pendant quelques secondes une calligraphie japonaise accrochée au mur. Il ne venait pas si souvent que ça, n’étant pas un ami d’aussi longue date que le blondinet. Jérémie était d’ailleurs resté debout, les bras croisés, perdu dans ses pensées. Impossible de savoir ce qui pouvait bien lui trotter en tête, comme toujours. Il ne leur partagerait que s’il estimait que c’était pertinent.
Un petit grincement dans l’escalier leur fit tourner la tête. Hiroki, espérant être discret, était redescendu dans les marches les plus hautes et passait la tête par-dessus la rambarde de l’escalier. Son regard curieux se mua en air enthousiaste quand il constata qu’on l’avait repéré.
— Eh, salut Ulrich !
Le brun taciturne lui concéda un petit sourire et un geste de la main.
— Salut p’tit. C’est quoi cette casquette ?
Hiroki eut l’air de rougir un peu et regarda ailleurs.
— Oh euh, c’est rien, j’avais envie de tester un truc.
— Hiroki, tu veux bien nous laisser ? Je ne voudrais pas avoir à raconter à Ulrich pourquoi tu portes cette casquette… fit remarquer Yumi avec malice.
Il détala à l’étage, laissant pratiquement derrière lui ce nuage de fumée caractéristique des personnages de dessin animé. Un rire espiègle échappa à sa grande sœur, qui tourna à nouveau la tête vers ses deux amis.
— Il est adorable, avoua-t-elle.
— On va dire ça comme ça, répondit Jérémie avec un sourire en coin. Ah d’ailleurs avant que j’oublie, j’ai les cours que tu as ratés cette semaine.
— Super, j’en rêvais, grinça Yumi.
Il sortit une pochette bleue de son sac et lui remit. Elle se dépêcha de la caler à l’autre bout du canapé, peu désireuse de regarder ça maintenant. Le blondinet eut quand même droit à un mot de remerciement. Pendant leur échange, Ulrich avait gardé les yeux dans le vague. Lui aussi paraissait perdu dans ses pensées. Au bout de quelques secondes, il releva la tête et fixa Jérémie, très sérieux.
— Désolé de devoir vous dire ça, mais on a un problème.

La synchronisation dans l’échange de regards entre Jérémie et Yumi fut parfaite. On aurait pu se croire dans une pièce de théâtre parfaitement millimétrée.
— Comment ça ? interrogea Jérémie.
Sa voix revenait à son froid professionnalisme. Il sentait que le problème était un de ceux qu’il convenait d’aborder dans leur cercle fermé. De fait, il n’en était que potentiellement plus grave. Yumi pouvait presque voir les pensées défiler en rang serré sous son crâne, se présentant tour à tour à l’analyse de son esprit pour essayer de déterminer ce qui n’allait pas, et déjà ce qui pouvait être fait pour résoudre le souci. Ulrich changea de position, ramenant ses genoux contre sa poitrine, et lâcha l’information :
— Odd n’a pas l’air d’aller très bien.
— Sois plus clair, requit le blondinet avec autorité.
Il avait l’air grave. Yumi se fit la réflexion que vu ainsi, un peu en contre-plongée, avec ses lunettes bien posées sur le nez, il avait l’air d’avoir dix ans de plus.
— Hier soir il s’est réveillé en hurlant. Un truc genre « Je veux pas mourir ». Je crois que ses nerfs lâchent, il a eu beaucoup de mal à se rendormir et ce matin il avait l’air d’un zombie.
— Ceux dans Horreur aux Urgences ? s’amusa Yumi, imaginant une scène de la série avec Odd dans le rôle principal.
— C’est pas le sujet, intervint Jérémie. T’as réussi à savoir de quoi il avait rêvé, Ulrich ? Je pense savoir quel était le thème global, mais ça peut nous apporter des informations supplémentaires. La psychologie des rêves est une science fascinante. Evidemment, on exclura l’approche freudienne qui mène à du grand n’importe quoi, mais Jung avait…
— Non je ne sais pas de quoi il a rêvé, l’interrompit Ulrich, peu désireux d’avoir un exposé sur l’approche freudienne du rêve.
Yumi se promit de demander des détails à Jérémie plus tard. Il avait toujours des choses intéressantes à dire, mais elle comprenait qu’Ulrich ait envie de s’épargner cette histoire. Pour sa part, elle devait avouer que c’était toujours amusant de voir la tête des gens quand Jérémie leur expliquait en pleine conversation comment digéraient les dinosaures.
— Bon, dommage, soupira Jérémie avec une moue déçue. Ça lui arrive souvent ?
— Jamais à ce point, mais il a le sommeil agité, rapporta Ulrich, cherchant dans sa mémoire quelque détail probant. Je ne lui ai pas dit que j’avais remarqué, il essaie de faire comme si de rien n’était mais… ça crève quand même pas mal les yeux.
— Je vois, fit Jérémie en se frottant le menton, pensif.
Ses deux acolytes lui laissèrent le temps de bien réfléchir à la situation. Yumi en profitant pour se redresser un peu, décalant un coussin. Ce faisant, elle dérangea sa perfusion et pesta en la rajustant. Fichue aiguille dans le bras. Vivement qu’elle s’en débarrasse. Est-ce qu’on pouvait se virtualiser avec une perfusion ? Et si oui, est-ce que l’avatar en avait une aussi ? L’image la fit pouffer, lui attirant les regards curieux de ses amis.
— Désolée, fit-elle avec un sourire. Je pensais à un truc drôle.
— Alors Jérémie, t’as une solution miracle pour Odd ? pressa Ulrich.
— Non, désolé, je n’en vois pas, répondit le génie avec un air contrarié. Il va falloir que tu le gardes à l’œil, pour voir comment ça évolue. Tiens-nous au courant, mais restons discrets. S’il se rend compte qu’on a compris, ça risque de le perturber encore plus, et nous ne voulons pas que ça arrive.
Il rajusta ses lunettes, comme souvent lorsqu’il marquait une pause dans ses explications. Yumi et Ulrich échangèrent un coup d’œil, se demandant s’il comptait ajouter quelque chose, mais il n’en fut rien. Ce fut la jeune japonaise qui le poussa à poursuivre :
— Et si son état empire, qu’est-ce qu’on fait ?
— Le risque numéro 1, c’est le burnout, répondit Jérémie, parfaitement calme. S’il pète un câble au mauvais moment et qu’il panique, le secret sera menacé aussi. Pour le moment, on va se fier à Ulrich pour jauger comment il va…
— Jérémie, je suis pas psy moi, intervint Ulrich.
— Ne m’interromps pas s’il te plaît, coupa calmement le blondinet. Je disais donc, on se fie à toi pour estimer son état, t’es le mieux placé pour le faire vu que tu vis avec lui. Si jamais ce genre de cauchemars se multiplie, ou qu’il se comporte plus bizarrement que d’habitude, on va devoir réfléchir à quelques mesures. Du genre éloignement du Supercalculateur, pour qu’il puisse se reposer un peu les nerfs.
— Justement, au sujet du Supercalculateur…

Yumi fut interrompue par un bruit de clé dans la serrure. Immédiatement, le silence se fit dans le salon, alors que les adolescents échangeaient des regards surpris. Ce n’était pas prévu dans leur petite réunion. Le bruit de pas d’Akiko Ishiyama, rentrée du travail plus tôt qu’attendu, venait de définitivement enterrer leurs espoirs de continuer cette discussion des plus sérieuse.
— Comment ça va ma chérie ? lança la mère de famille en rentrant dans le salon. Oh bonjour Jérémie, bonjour Ulrich ! Je vois qu’on s’organise des réunions en douce quand les parents ne sont pas là ? ajouta-t-elle avec un air complice.
— Bonjour Akiko, répondit Jérémie avec un sourire poli. On passait juste voir comment allait Yumi.
— Bonjour madame, fit Ulrich un ton plus bas, moins familier de la famille Ishiyama.
La mère prit le temps de caresser les cheveux de sa fille (son seul enfant encore doté d’une chevelure, après tout) avant de monter voir comment se portait son petit dernier. Une fois qu’elle eut disparu à l’étage, Jérémie chuchota :
— Bon, on est au clair sur Odd, c’est le principal. S’il se passe quoi que ce soit, hésite pas à nous envoyer un message, Ulrich.
Le brun hocha la tête, puis se leva.
— Ouais, moi va falloir que je rentre, j’ai un devoir de français à finir et je risque d’en avoir pour un moment.
Yumi n’était pas vraiment dupe. Elle savait qu’Ulrich ne se sentait pas tout à fait à sa place ici, et préférait vider les lieux. Ironiquement, des deux garçons, c’était l’asocial qui était le plus à l’aise chez les Ishiyama. Le brun les salua avant de se diriger vers la sortie. La jeune fille faillit relancer la conversation en demandant son avis à Jérémie, au sujet de Odd, mais ce fut le moment qu’Akiko choisit pour redescendre.
— Jérémie, tu restes manger ? demanda-t-elle avec un sourire encourageant.
— Non, désolé, il va falloir que j’y aille aussi, avoua le blond en nettoyant ses lunettes. J’ai… un devoir d’informatique à finir.
Lorsqu’il chaussa à nouveau ses lunettes, Yumi vit distinctement un éclat passer dans les verres. Elle comprit que dans sa tête, il était déjà à l’usine, derrière le pupitre du Supercalculateur. Elle ne chercha pas à le retenir, pas plus que sa mère d’ailleurs.
— A plus Jérem’, sourit l’aînée de la famille. Travaille bien.
— Toujours, répondit-il, le coin de sa lèvre s’étirant légèrement.
Elle le regarda s’éloigner à son tour, alors que l’ennui du mercredi après-midi se rapprochait lentement d’elle. Pas grave. Elle supporterait, jusqu’au moment où elle pourrait foncer à l’extérieur. Et là, le monde n’aurait qu’à bien se tenir pour le retour de Yumi Ishiyama.
Le monde oui, mais lequel ?
_________________
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Dernière édition par Sorrow le Mar 09 Oct 2018 21:18; édité 2 fois
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Silius Italicus MessagePosté le: Lun 06 Nov 2017 22:49   Sujet du message: Répondre en citant  
[Krabe]


Inscrit le: 03 Fév 2015
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Localisation: à l'Est d'Eden
Bonsoir,
Ainsi, vous souhaitez nidifiez en ce royaume ?

Qui plus est avec ambition et luxe. En effet, le soin apporté à la rédaction se sent dans ce prologue. Il s’exprime au travers de deux dimensions. Tout d’abord, le soin apporté au vocabulaire et à sa diversité, par exemple au travers de l’emploi de tout les niveaux de langages. Ensuite, par la précision de l’expression. Indéniablement, il y a eu un effort de conception et de rédaction.

Le résultat, c’est un texte assez chamarré, au multiple facettes s’exprimant dans un style ample. À titre d’exemple, il y a des écarts importants de niveau de langage au sein du texte. Ces écarts correspondent dans l’ensemble à la différence entre le descriptif et l’introspectif, entre la vie psychologique des personnages (d’après leurs propres dires ou ceux du narrateur) et l’image donnée du monde externe. Cet écart qui sous-tend le texte vient clore le texte au travers de la question du monde. Il vient donc illustrer ce cœur du texte qu’est l’épreuve psychologique dans la mesure où celle-ci repose sur la vision subjective du monde — sans s’enfoncer dans les débats sur l’idéalisme et le réalisme.


Tout cela doit beaucoup à la structure choisie. En effet, le texte se sépare en deux parties, quoique inégale par la longueur, qui ont toutes les deux en commun de commencer par mener le lecteur en bateau. Le narrateur désire visiblement s’amuser avec ces lecteurs. Évidemment, cet effet est accru par le fait que n’est à disposition qu’une section de texte au sein de laquelle ces jeux psychologiques occupent la majorité de l’espace. Mais ce trouble induit chez le lecteur par ces jeux correspond, et ce ne peut être un hasard, à ce qui est le sujet principal de cette section et probablement de tout le récit à venir. Il y a un effet miroir entre la vie psychologique des personnages et ce que provoque le texte chez ses lecteurs.

Un autre effet structurel notable réside dans l’opposition entre les deux parties du texte. l’une se vit essentiellement en solitaire, l’autre dans l’unité de la famille et de la communauté ; L’une se vit dans la chaleur du foyer, l’autre dans la froideur de la sylve ; dans l’une on sort affronter le monde extérieur, dans l’autre on en sort pour s’apaiser. Là encore de tels effets de miroir ne peuvent être que voulus. Ils posent les bases d’une situation instable, mais avec un matériau très riche. Un exemple en est l’art de commander déployé par Jérémie.

Cela étant, tout le texte ne s’articule pas autour de dualismes. Même si l’on retrouve cette dimension chez Odd, dont l’apparence est miroir inverse — encore — de l’essence. Car cette dimension ne semble pas se répercuter chez Yumi, non plus que chez les autres membres de l’équipe. Pour l’instant du moins. En fait le traitement de Yumi est un peu différent. Odd est ici vu au travers d’un schéma d’inversion entre l’apparence et l’essence. Le portrait fait de Yumi tend à s’éloigner un peu du portrait canonique, mais cela reste très léger. Notons quand même qu’une incertitude plane sur le positionnement de ce récit au sein de la chronologie de la série. Pour l’instant, et en l’absence d’Aelita, il semble que l’on se situe au sein de la première saison. Mais le temps des esprits n’est pas le même que celui de la physique.

En fait, le texte s’offre même le luxe de se moquer de lui-même. Car après tout, entre la fanfiction, et les racontars ou critiques dénoncés par Jérémie, il n’y a guère d’écart. Après tout, les critiques littéraires ne sont souvent que de mauvais écrivains. Plus encore, il n’est pas douteux que la remarque que fait Yumi sur le choix des mots par Jérémie soit un commentaire métatextuel sur la précision voulue par l’auteur dans le choix des mots.

Deux remarques de vocabulaire. D’une part, le verbe « conscientiser » n’existe pas en français, du moins pour qui respecte les avis de l’Académie — choix qui est à votre discrétion. D’autre part ce verbe en l’état actuel est très marqué : son usage est intrinsèquement lié aux luttes féministes, et de là il a rejoint les discours antiracistes. Ici, il n’est pas utilisé dans ce type de contexte.
Dans un état d’esprit similaire, le concept d’aliénation est lui aussi extrêmement marqué. Après avoir fait partie de la vulgate marxisante, il est aujourd’hui surtout en usage dans les milieux anarchistes, tel le Comité Invisible. Certes, nous avons encore trop peu d’élément pour juger, mais placer ce mot et les idées qui lui sont associés dans la bouche de Jérémie est pour le moins surprenant.

D’un point de vue plus contextuel, que Jérémie appelle la mère de Yumi par son prénom est assez surprenant.

En tout cas, il est clair que vous vous dirigez vers une exploitation intéressante du matériau de la série. Non que des plongées dans la psyché des personnages n’aient jamais été tentées, mais rarement avec autant d’ampleur et de variété. Il semble d’ailleurs qu’il faille — pour l’instant peut-être — moins parler de volatilité du style ou de la plume, que de volonté de différencier les personnages et leur écriture. Ce qui est très louable et réussi.

Au plaisir de vous voir continuer à cisailler votre coupe.
_________________
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Prophète repenti de Kane, vassal d'Anomander Rake, je m'en viens émigrer et m'installer en Lyoko.
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Zéphyr MessagePosté le: Lun 06 Nov 2017 22:58   Sujet du message: Répondre en citant  
Z'Administrateur


Inscrit le: 16 Mar 2013
Messages: 1110
Localisation: Au beau milieu d'une tempête.
Yo' ! Pour faire écho à ton premier post sur ce forum, tu as désormais l'honneur de faire partie de la cuvée 2017 qui a survécu au lock oblitérateur.

D'une certaine façon, on peut considérer le prologue d'un texte, ou d'une fanfiction ici, comme une façon de donner envie au lecteur de découvrir l'univers dépeint, d'en savoir plus sur l'histoire, le tout sans passer par un chapitre complet potentiellement aussi indigeste qu'un pavé du rédacteur de ce message.
Sur la base de cette considération, j'estime le contrat rempli par ce prologue.

Evidemment, ce n'est pas la première partie du texte, très classique dans un contexte littéraire, qui m'a fait penser cela. Cela dit, elle donne un premier aperçu de ta façon d'écriture, c'est déjà ça. On sent un certain travail derrière cette écriture, avec le choix du vocabulaire et des images suggérées. C'est également là qu'on constate que tu aimes faire planer l’ambiguïté sur certains éléments avant de leur rendre leur nom (c'est d'ailleurs ce qui se passe également dans la deuxième partie, avec l'entrée du « garçon » dans le salon de Yumi). Le procédé est, selon moi, amusant à manier et à subir dans une lecture, pour peu qu'il n'y ait pas abus derrière.

Pour en revenir au style d'écriture, en ce qui concerne la première partie du prologue du moins, il fait plutôt mouche en terme d'ambiance et de ressentis. On partage plutôt bien l'immersion onirique d'Odd, et le malaise montant. Cependant, là où ça pêche, à mon sens, c'est que ce style de narration ne sied pas vraiment à Odd. Et pourtant, c'est certainement le personnage qui a le moins de mal à s'adapter aux changements par rapport à ce que la série originelle montrait de lui.
Je pense que cette impression est à mettre sur le compte du vocabulaire varié et précis utilisé durant toute la séquence. Avec un personnage comme Odd, on s'attend à une narration moins... propre et lyrique ? Ce sont les termes qui me viennent sur ce point en tout cas.
Du coup je suis bien embêté, j'ai vraiment apprécié cette première moitié de texte, malgré le rêve qui se voit venir rapidement, mais le fait que le style proposé donne cette impression d'inconvénance par rapport au personnage choisi, ça me laisse sur un sentiment assez indescriptible.

Toujours sur le style - et la première partie -, je note que pour tenter de trancher un peu cette narration et ce vocabulaire élaboré, tu as inclus des tournures plus particulière. Le premier exemple qui me vient est celui de la « buée dégueulasse » (qui fonctionne par ailleurs bien au niveau du procédé de cassage de niveau de langage, mais un peu moins bien au niveau de l'image je trouve, la vapeur d'eau qui crée la buée n'évoque pas forcément une idée de saleté d'entrée de jeu).
En soi, l'usage de ce procédé est une bonne initiative pour ne pas noyer le lecteur sous une narration trop lourde et précieuse. Attention toutefois à ce que ça ne nuise pas à la fluidité et au rythme général, sans quoi on se retrouve avec des tournures aux sonorités un peu étranges. Deux exemples :

Citation:
J'observe donc la pièce exigüe plongée dans une semi-obscurité tout en écoutant d'une oreille attentive les tressaillements de la respiration sifflante de mon colocataire qui subsiste dans la même alcôve que moi malgré les phéromones ambiantes.


Au passage, on écrit « exiguë » et « alcôve » est masculin (choix de mot pas très pertinent pour désigner la chambre d'Ulrich et Odd par ailleurs). L'absence de virgules n'aide pas la phrase non plus.

Citation:
Son museau tout d'abord qui a viré au rose criard des chewing-gums à deux balles.


Le choix de trancher avec « à deux balles » à cet endroit-là ne me paraît pas si approprié que ça (m'enfin, personnellement, je suis le roi de la répétition, alors...), puisque ça fait retomber cette tentative d'instauration de séquence dramatique.

Pour arrêter là mes remarques sur les fluctuations de style, je vais prétexter que c'est un point trop subjectif pour que l'on puisse s'y étendre indéfiniment sans que la question des différences de sensibilité entre auteur et lecteur ne soit soulevée.

Je vais passer à la deuxième partie du prologue, le reste quoi. C'est principalement ça qui éveille l'intérêt sur ce que sera cette fanfiction. Beaucoup d'éléments sont en attente d'éclaircissements, il manque certaines clés de compréhension de la situation. C'est particulièrement appréciable. D'autant plus que, de façon générale, le texte donne l'impression de partir sur une réinterprétation de l'univers de Code Lyokô, sur la plupart de ses aspects en tout cas.
Parmi les éléments qui m'ont fait tiquer, je place en tête les sentiments de Yumi pour... Jérémie (et plus largement, la proximité troublante des deux adolescents). Ce simple élément constitue déjà un changement profond et singulier dans la trame de l'univers du dessin animé, tout en entraînant pas mal d'interrogations, dont la principale sera : quid d'Aelita ? Au vu de la complicité dépeinte entre Jérémie et Yumi, difficile de dire si le jeune homme ne partage pas les sentiments de la fille... Du coup, ça remettrait limite en cause ce pour quoi Belpois se bat depuis le début de l'animé : le bonbon rose. Quelles seraient alors ses motivations ? Je ne vais pas poursuivre l'arborescence de mes questions, je n'en aurais pas fini et je pense que la suite va un peu plus préciser les choses.

Cependant, dans la même lignée, j'ai un peu de mal à situer contextuellement ta fanfiction. A priori, on est encore en plein dans la série animée, je pense notamment à un contexte saison 1, au vu de l'ambiance et de l'absence terrestre d'Aelita, mais la présence d'Hiroki instaure le doute de ce côté-là. Le fait que tu n'ais pas précisé le placement ou non de ton texte par rapport à la série n'aide pas à se repositionner correctement le contexte ambiant. M'enfin, vu que j'exprimais plus haut mon impression de réinterprétation de l'univers de la série, est-ce que cette remarque est vraiment justifiée ?

Derniers éléments qui m'ont fait tiquer :
Pourquoi Yumi a-t-elle 12 ans (soit le même âge que Jérémie à en croire le texte) ? Vu que ce point est écrit deux fois, ce n'est pas une faute de frappe, je crois. Est-ce qu'on a ici affaire à un arrangement scénaristique par rapport aux 14 ans de la série ou ? Parce que j'avoue avoir un peu de mal à me représenter une fille de 12 ans aussi athlétique que ce que la description de Yumi en donne.
Toujours sur Yumi. L'événement qui l'a amenée à avoir une perfusion dans le bras - et de petits soucis avec sa famille apparemment -, pourquoi n'est-il pas réglé d'un coup de retour vers le passé ? Existe-t-il seulement dans ce texte ? Puisqu'il n'est pas mentionné (au même titre qu'Aelita, Xana et Lyokô par ailleurs, le supercalculateur s'en sortant bien), même dans le rêve, et qu'on est sur une base de réappropriation d'univers, je dirais que non. Si c'est bien le cas, le texte va se révéler intéressant par rapport à la gestion des problématiques liées au secret (dommages des attaques, séchages de cours, tensions parentales, etc).

Pfou ! Je vais arrêter de me torturer l'esprit sur ces considérations. Après tout, le premier chapitre arrive dans deux semaines et devrait m'éclairer un peu plus.
Je pense que tu as saisi mon impression globale sur ce prologue : j'ai très envie d'en apprendre plus sur ton histoire et l'univers que tu as visiblement réinterprété. J'ai notamment hâte de voir ce qu'il en est pour les éléments incontournables non-mentionnés en prologue, tels Aelita, Lyokô et Xana. L'ambiance plutôt orientée « saison 1 » de l'ensemble n'est pas pour me déplaire, avec entre autres des caractères de protagonistes moins basiques que dans la série (Odd peu jovial dans le contexte, mais ça reste à prouver, Ulrich encore plus réservé, Jérémie carrément plus imposant et autoritaire dans les échanges).

C'est prometteur, je ne peux qu'espérer que la suite fera écho à mon impression et ne se cassera pas les dents. Le cas échéant, je ne manquerais pas de débarquer pour le souligner et t'oblitérer en conséquence. Razz

Bon courage pour la suite !
_________________
http://i.imgur.com/Z94MNN5.png

« Jérémie avait fait un superbe travail. Ce dernier voyage sur Lyokô promettait d'être inoubliable. »
Un jour, peut-être.
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*Odd Della Robbia* MessagePosté le: Mar 07 Nov 2017 16:18   Sujet du message: Répondre en citant  
[Kongre]


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Localisation: Sur le territoire Banquise entrain de faire de l'overboard
Interessante cette histoire.
c'est vraiment bien écrit, on ressent bien l'angoisse dans le point de vue d'Odd. sa change de l'éternel comique relégué au second plan dans la plupart des fics.

C'est vrai qu'il y a des éléments étranges comme l'absence totale d'aelita (même pas une mention) ou que yumi ait 12ans. Aussi appelant les parents de yumi par leurs prénom sonne peut être trop familier pour quelqu'un sensé être respectueux comme jérémie, surtout envers une famille japonaise dont la politesse a une place centrale.

Maintenant je me demande si l'état d'Odd est dû à la pression ou bien si c'est XANA qui a décidé de se concentrer sur Odd en secret (j'espère le dernier)

_________________
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Sorrow MessagePosté le: Dim 19 Nov 2017 15:14   Sujet du message: Répondre en citant  
[Kankrelat]


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Chapitre 1
Carton Rouge !


Midicronica - San Francisco (Samurai Champloo)

La principale caractéristique d’une cantine ? Le bruit. Chaque petit centimètre cube d’air vibrait anarchiquement, balloté par les dizaines d’ondes sonores qui le traversaient en même temps. Impossible de s’entendre, alors il fallait lever la voix pour atteindre l’autre bout de la table, et le brouhaha empirait encore, et on ne s’entendait plus… Avoir choisi la petite table tassée dans un coin du réfectoire n’y changeait rien. Odd soupira, légèrement agacé par cette cacophonie incessante qui, mine de rien, faisait naître une petite migraine sous son jeune front. Il fallait bien faire avec si on voulait manger, et sans surprise, Odd voulait manger.
Le monde adolescent était des plus dissipé. Il suffisait d’un individu habillé un peu différemment des autres, et les regards pleuvaient. Il avait déjà vu ceux de la table d’à côté se retourner trois fois vers eux. Pourtant, son ensemble violet et sa coiffure spectaculaire n’étaient pas les plus en cause. Assise face à lui, une élève de quatrième défiait toutes les conventions de look du collège : coupe de garçon en pétard, mèche mauve curieusement similaire à la sienne, pull customisé à coup de rubans improbables et de quelques pins, bottes aux lacets interminables, jupe à motif écossais haut en couleurs… jusqu’à son sac de cours qui croulait sous les badges plus inattendus les uns que les autres !
Jeanne Crohin était sans doute la meilleure amie d’Odd, et la personne qui lui ressemblait le plus. La jeune fille aux courts cheveux bruns n’était pas dans sa classe, mais ils s’étaient trouvés presque naturellement dans la cour peu de temps après son débarquement à Kadic, quand il était encore un peu égaré et mal ancré. Beaucoup plus affirmée que lui, elle l’avait pris sous son aile le temps qu’il s’adapte, et il lui en était extrêmement reconnaissant.
— Le remplaçant de Mme Meyer il est tellement marrant, on dirait qu’il est sourd, faut tout lui répéter trois fois !
— Ah ouais ? répondit Odd avec un léger sourire, la fourchette plantée dans sa purée. Je l’ai que jeudi moi. Il est sympa ?
— Euh… difficile à dire j’avoue. Il a pas beaucoup de personnalité, avec elle au moins on avançait un peu… de toute façon les maths ça sert tellement à rien ! J’ai dessiné dans mon cahier pendant toute l’heure.
Elle s’interrompit pour extraire le cahier de maths en question de son sac littéralement blindé de badges. Odd vit passer quelques pages couvertes de calculs inachevés au crayon à papier, de ratures, et dont les marges étaient remplies de formes qui avaient peu à voir avec l’enseignement dispensé. Finalement, elle lui montra une double-page entière occupée par un dragon sinueux. Elle avait du talent, c’était indéniable. Odd étudia l’animal quelques secondes, s’arrêtant sur les plumes de sa queue et l’armature bien suggérée des ailes.
— J’aurais ombré un peu plus sur le ventre, moi, finit-il par faire remarquer en pointant du doigt l’endroit concerné. Les plaques d’écaille, là, elles font un peu plates, tu vois ce que je veux dire ?
— Ah oui pas faux, concéda Jeanne. J’arrangerai ça au prochain cours de maths !
L’adolescent osa un petit sourire amusé tandis qu’elle rangeait son cahier. Il mâchonna pensivement un morceau de sa côte de porc, laissant son regard dériver sur le plafond du préfabriqué qui constituait le réfectoire. Puis il remarqua Ulrich. Le brun taciturne remontait l’allée de la cantine, scannant une table après l’autre pour déterminer où il irait s’asseoir. Ce fut avec un certain étonnement qu’Odd le vit dépasser celle du groupe de garçons bruyants avec qui il traînait volontiers, pour marcher droit vers la leur.
— Salut, je peux m’asseoir ? Jérémie m’a lâché pour aller bosser avec Aelita ce midi, exposa-t-il d’un ton égal.
Odd avait fini par s’habituer à ce côté un peu… froid. Ulrich n’était pas extrêmement causant, ni extrêmement sympathique, mais il restait son compagnon de chambre. Malgré tout, le blondinet aimait avoir ses moments uniquement avec Jeanne, hors du groupe. C’était un espace de liberté un peu magique où ils étaient parfaitement connectés, où il se sentait bien, où la discussion les portait un peu où ils voulaient, sans réelle limite à leur imagination.
— Ouais si tu veux, répondit Odd, un peu à contrecœur. Ça va ?
— Tranquille.
Le brun s’assit à côté de lui, lui bouchant une partie du champ de vision sur l’allée. Odd savait déjà que tout le collège s’étonnait qu’Ulrich Stern puisse manger avec deux marginaux comme eux. Il était leur exact inverse. Eux étaient bavards, lui était silencieux. Eux étaient hauts en couleur, lui se contentait aisément de sa veste kaki. Eux étaient à l’écart, lui avait une bande de potes longue comme le bras.
Jeanne gardait le silence désormais. Elle n’appréciait pas particulièrement Ulrich. A vrai dire, un blanc gênant gangrenait la tablée, rongeant sans merci cette bulle de folie où Odd et Jeanne aimaient à se réfugier quand ils étaient entre eux.
— Ah au fait Odd, il faudra qu’on cause, prévint Ulrich.
Le sang d’Odd se glaça subitement. Si Ulrich n’abordait pas le sujet devant Jeanne, c’était que ça avait un rapport avec… avec ça. Son cauchemar revint s’imposer à sa mémoire, beaucoup trop net. Pourquoi n’arrivait-il pas à se rappeler de rêves plus joyeux ? Sa mine s’assombrit légèrement, mais juste assez pour ne pas être perceptible.
— Ah ouais ? interrogea Jeanne, l’air un peu malicieux. Et de quoi donc ?
— Trucs de mecs, esquiva Ulrich avec ce vague sourire mystérieux.
Odd se renfrogna encore un peu plus. C’était LE sourire qui avait valu à son compagnon de chambre un certain succès auprès des filles. Il le soupçonnait de venir squatter à leur table uniquement pour faire de l’œil à sa meilleure amie, et ça ne lui plaisait pas.
— Je vois, rit la jeune fille. Je préfère ne pas en savoir plus. Bah alors Odd, tu finis pas ta côte de porc ?
Le blondinet cligna des yeux, s’apercevant qu’il avait arrêté de manger.
— Euh si, si, j’étais ailleurs, se reprit l’élève de cinquième. Tu croyais pas que j’allais laisser de la nourriture m’échapper, quand même ?!


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Cœur de pirate - Intermission

Sourire à la vie, il y a que ça de vrai ! J'comprends pas les gens qui se prennent la tête ou qu'en font des caisses pour rien. La vie est une blague, autant la prendre comme telle. A neuf ans, je sais déjà que je veux rigoler tous les jours. J'ai un cahier où je note tout ce que je peux, j'essaie de travailler mon sens de l'observation. Je collectionne des mots de mes proches, un truc de fille bien qu'on me dise souvent : « Yumi, tu n'es pas assez féminine. T'as pas envie de porter une robe pour le spectacle de fin d'année ? Ça t'irait tellement bien. Le noir, c'est déprimant. C'est pour l'hiver, ça ne se porte pas en été ! »

Et merde quoi, c'est justement les personnes "sombres" qui ont le plus de couleurs à l'intérieur ! Quand est-ce qu'ils vont le comprendre ?! Et mon cahier, où je collectionne les trucs glauques, du genre insectes morts ou certains déchets assez usagés et odorants, qu'est-ce que ça peut leur foutre ? Je me souviens encore du jour où ma mère me l’a donné ! Un petit bloc-notes rose que je me suis empressé de recouvrir d'indélébile ! Et de Tipp-Ex pour esquisser vite fait bien fait une tête de loup blanc sur la couverture. Un peu de rouge pour les yeux et hop, le tour était joué ! Mais non, fallait encore qu'Akiko s'en soit mêlé pour noircir les premières pages avant même de me l’avoir confié ce foutu carnet !

A ma fille, Yumi,
Première entrée de ton futur journal intime.

Maternité Sainte-Thérèse de L'enfant Jésus à Paris.
Rédigé le dimanche vingt-trois juillet 1989, le lendemain de ta naissance.

Alors qu'on vient encore de t'arracher à moi, petit être rouge au corps si fragile, je me permets de te donner déjà quelques conseils. Tu ne les découvriras pas tout de suite, oh non. Je les garderai, bien précieusement, jusqu'au temps où tu seras en âge de les lire. Tu m’excuseras mais mon français n'est pas encore très bon, après tout ça ne fait que sept mois que nous sommes arrivés ! Quand on a su qu'on allait t'avoir en réalité. L'Empire du Soleil Levant, c'est des foutaises. Des heures de travail accumulées au gré de la sueur et du sang des gens, voilà sur quoi il est fondé ! Ce n'est pas l'avenir que tu méritais, que nous méritions.
Le français n'est pas une langue facile. Les lettres sont si petites et tordues entre elles ! Les sons semblent étranges, presque agressifs à la première écoute. Les gens sont moins pressés ici, Paris est comme un village où il fait bon vivre de prendre un café en terrasse et de saluer amicalement son voisin. Nous sommes clairement passés d'une fourmilière bien rangée à un foutoir sans nom, où chacun est libre de faire ce que bon lui semble au nom de trois grands principes. Liberté, Egalité, Fraternité. C'est déboussolant, inquiétant même, mais terriblement enivrant.
C'est simple : une fois qu'on a goûté à l'autonomie pure et dure, on ne peut plus s'en passer. La France est en plein développement, depuis des siècles, alors que le Japon est sans doute condamné à rester un territoire d'arriérés. Ne pense pas que je renie mes origines, je suis fière d'être née à Yokohama et je le serai toujours. Mais je pense que la France est mieux pour toi, pour nous…
Bon, maintenant que les infirmières veulent bien m'aider à rédiger ma liste de précieux conseils en évitant les fautes, je me lance. Si je ne suis plus là au moment où tu lis ces lignes (tu es Française et nous sommes Japonais, une exclusion n'est pas impossible), sache que je ne t'oublierai jamais, petit être de chair et de sang. J'espère que tu pourras avoir une meilleure enfance que la nôtre...

Mais rien n'est encore joué. Il est probable que l'on reste, ici, à tes côtés. Mais si ce n'est pas le cas, voici mes conseils de vie, accumulés sur une trentaine d'années d'expérience.
Tout d'abord, sois forte ma fille, à toute heure du jour et de la nuit. Les Français ne feront jamais de cadeaux pour les gens "comme nous".
Ne t’excuse pas lorsque quelqu’un te bouscule, ne tends surtout pas la deuxième joue mais réplique !
Ne dis pas « Désolée d’être chiante. »
Jamais.
Tu n’es pas chiante, tu es une personne avec des pensées et des sentiments qui mérite le respect.
Ne cherche pas d’excuses pour justifier que tu ne veux pas sortir avec un garçon. Tu ne lui dois aucune explication. Un simple « non merci » devrait être acceptable.

Ne pense pas trop à ce que tu manges devant les gens. Si tu as faim, mange ce que tu veux, même si cela peut sembler être une nourriture répugnante à leurs yeux. Si on te critique sur ton poids, je t'autorise là aussi à répliquer, même si c'est un adulte qui s'en prend à toi.
Ne garde pas tes cheveux longs pour rendre quelqu’un heureux. Si tu veux une coupe courte, comme moi et contrairement à la coutume locale, sois-prête à l'assumer.
Ne porte pas de robe si tu ne le veux pas. Même si "tout le monde le fait". Non. Sois toi-même.
Ne reste pas à l’intérieur sous prétexte qu’il n’y a personne qui veut sortir. Va dehors. Fais tes propres expériences. Ris, pleure, aie peur mais surtout expérimente !
Tu as de la chance de vivre dans un pays où l'école n'est pas synonyme de suicides de milliers d'étudiants. Alors, profite de ton temps libre, quitte à manquer un devoir de temps à autre.
Ne retiens pas tes larmes, même si tu tiens à ta façade « forte » car ce n’est pas toujours une faiblesse. C’est humain. C'est les personnes aux globes oculaires arides en toutes circonstances qui doivent se remettre en question.

Ne souris pas parce que quelqu’un t’a dit de le faire. Les japonais ont toujours été peu expressifs... et alors ? Mieux vaut cultiver une joie intérieure qu'un sourire de façade.
Ne dis pas « oui »pour être polie. Dis « non » parce que c’est ta vie et qu'elle ne regarde que toi.
Trouve-toi un petit amoureux, Français, et vis la plus belle des histoires avec lui. Prends-le jeune et construis ton chemin, pas à pas, vers le mariage car c'est cette cérémonie officielle qui va stabiliser ton existence.
Toi aussi, on va t'insulter de « radioactive, sale jaune, profiteuse » et j'en passe. Nous vivons dans une époque où la diversité sociale n'est qu'en timide éclosion. J'espère, au plus profond de moi, que le monde sera plus ouvert aux nations étrangères quand tu seras grande.
Ne cache pas tes opinions. Parle haut et fort. Tu dois être entendue.
Surtout, ne t’excuse pas d’être qui tu es. Sois courageuse, forte et belle. Mais le plus important, comme je viens de le dire, ne t’excuse pas d’être toi.


Un peu tristounet n'est-ce pas ? La deuxième personne qui a écrit dans mon journal est beaucoup plus proche de moi ! Je vous laisse deviner qui ça peut être et on en reparle après...

C'est donc au crépuscule de ma deuxième semaine que j'ai décidé de m’atteler à vous conter mon périple avec la famille Ishiyama, ici, au pays du vélo. Les faits qui suivent ne sont pas tous vrais, à vous de décider ceux que vous voulez croire pour rendre l'histoire plus belle et plus folle.
C'est donc le neuf août que moi, ma guitare, mon vélo et les Ishiyama débarquons tous ensemble à Hertogenbosh, chef-lieu du magnifique Brabant-Septentrional. Après quelques coups foireux, on atterrit rapidement chez Diederick, un sexagénaire (dans moins de 2 mois) qui est sûrement la meilleure personne sur qui on aurait pu tomber en arrivant ici, déboussolés comme jamais. Les Japonais étant des fans inconsidérés de l'organisation scrupuleuse, Takeho a voulu changer les règles en partant totalement à l'improviste dans un pays pas très lointain qu'aucun d'entre nous ne connaissait d'expérience ! Le contact avec la population s'est rapidement créé et la barrière de mon piètre niveau de néerlandais rapidement envolée… après quelques verres de soda nous ayant permis de faire plus ample connaissance. J'ai toujours eu ce truc pour les langues, ainsi que pour toute matière à l'école, j'ai la chance d'apprendre extrêmement vite ! Ce qui m'a valu le surnom officiel de « sale intello » et quelques Luigi (tirage de slip kangourou extrême) dans le vestiaire des garçons mais bon, rien de très méchant jusque maintenant car mon amie veille au grain !

Niveau logement (imprévu) sur place, on a pas trop à se plaindre ! Malgré une chambre pas extrêmement grande que je dois partager avec le cadet de la tribu qui m'a emmené en vacances, l'ambiance à la maison est particulièrement bonne entre quizz musical et parties de boules improvisées. En effet, Diederick a décidé de tenter le championnat national de bowling en catégorie seniors ! Pour s’entraîner le plus régulièrement possible, il a carrément construit sa propre piste privée dans la grange de sa maison ! Comme quoi, il n'est jamais trop tard pour réaliser ses rêves...
Nous parlons donc 4 langues à la maison : j’essaie d'enseigner le français comme je le peux (essentiellement dans le jargon scientifique pour être franc), le néerlandais bien sûr, l'anglais lorsque que nous avons vraiment du mal à nous comprendre et le japonais que je commence à maîtriser parfaitement.

Tout ceci étant dit, laissez-moi vous parlez de mon quotidien qui commence tout doucement à s'installer lors de ces vacances "linguistiques". Chaque jour, j'étudie intensément le néerlandais à l'Instituut Jeroen-Bosch (peintre connu de la région ayant donné une partie de son nom à la ville, je pense également me mettre à la peinture pour pouvoir donner mon nom à une ville du coup) où je travaille tous les jours pendant trois heures intensives. Bon là, j'avoue que le mot intensif est peut-être un peu gros et ça ne colle pas totalement à mes cours. Je finis donc tous les jours à 12h15 en commençant à neuf heures tapantes, je préfèrerais bosser plus ! Mais bon, c'est l'école "des vacances" pour les expatriés du coin donc je ne vais pas trop me plaindre. Malgré le court délai d'enseignement (pourquoi ne pas nous donner des journées complètes bon dieu !), les cours sont vraiment passionnants et diversifiés. On apprend chaque jour quelque chose de plus intéressant que la veille, ce qui me donne encore plus envie de me lever le matin. Pour la matière vue hein, pas pour les imbéciles avec qui je suis contraint de partager la classe. Sincèrement, aucun ne m'arrive à la cheville et ils sont encore bien trop gamins pour arriver à un niveau de conversation "élevé" comme j'ai l'habitude de pratiquer avec mes parents.

Info surprenante pour ceux qui me connaissent : on a décidé de tous s'inscrire dans une salle de sport ! Oui, vous avez bien lu, même moi ! Que ce soit pour faire du tennis, du squash, du badminton ou encore soulever de la fonte (pour Takeho du moins, les autorités compétentes du centre sportif ne croient toujours pas Hiroki quand celui-ci affirme avoir dix-huit ans alors qu’il en a douze de moins). L'ambiance, entre nous dans la tribu jaune, est vraiment cool et j'espère rester toujours aussi proche des Ishiyama en rentrant en France. Ça fait bizarre de le dire mais c'est vraiment ma deuxième famille. Peut-être même la première, étant donné que Takeho et Akiko me donnent encore plus d'affection que mes propres parents.
Voilà, je pense avoir dit le plus important dans ce message sûrement long et chiant à lire. Alors merci à toi qui a pris le temps de parcourir tout mon récit alors que tu aurais pu regarder la vidéo d'un animal très mignon qui t’aurait fait sourire un instant, le temps d'oublier la connerie des jeunes de notre génération.

Je pense fort à toi, qui que tu sois et qui vient de lire ce message (98% de chances que ce soit un Ishiyama soyons réalistes), j'en ferai certainement d'autres donc surveille ton journal Yumi car je compte bien te le piquer souvent !
J'vous aime les amis et je vous laisse avec deux magnifiques photos d'Hertogenbosh de grand matin que je vais coller relativement soigneusement ci-dessous.

Koeur sur vous <3

PS : Il y a sûrement quelques fautes d'orthographe mais je m'en fous, ge fé se ke ge vœux.


Il écrit bien n'est-ce pas ? Alors, vous avez trouvé qui est l'auteur ? Non, ce n'est pas Hiroki ! Toujours pas ? Eh bien, c'est mon meilleur ami Jérémie ! Il a un nom de famille un peu bizarre, Belpois, qui correspond grosso modo à un compliment fait à une graine mais il est très cool vous verrez ! Je ne comprends pas toujours ce qu'il écrit car il utilise déjà des mots « sérieux » pour son âge mais ça colle avec son personnage ! J'espère que vous apprendrez à le connaître au fil du temps. Il a un côté un peu (voire très) asocial, timide, renfermé et toutes les étrangetés qui vont avec mais c'est un gentil dans le fond, vous le constaterez bien assez vite :)


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— Qu'est-ce qu'il lui prend à ton pote de venir squatter avec nous au déjeuner maintenant ?
— Si seulement je le savais, répliqua Odd. Il est sympa c'est pas ça... c'est juste qu'on ne se fréquente pas en récréation en temps normal, bizarre.
— Bah, ça lui passera, affirma Jeanne en haussant les épaules. C'est pas lui qui m'inquiète le plus entre vous deux... Ça va mieux ces temps-ci ?

Odd se mit à rougir. Instantanément. Comme à chaque fois qu'elle abordait le sujet de sa pauvre petite personne insignifiante. Personne ne s'inquiétait pour lui d'habitude. Même ses parents, qui avaient été si protecteurs envers sa petite bouille lors de ses tendres années, se détournaient peu à peu de lui pour des préoccupations plus rigoureusement artistiques. S'il ne se fondait jamais vraiment dans la masse avec son look atypique, Odd n'avait pas l'habitude d'avoir dans son entourage quelqu'un qui s'inquiétait pour lui. Qui posait des questions sur ce « moi » si indéfinissable. Comment vas-tu ? Tout le monde répondait « oui » à cette question par pur réflexe, quel intérêt alors ? Qui, dans ce monde d'égocentriques à la vie prétendument parfaite, oserait laisser échapper le fameux « non » qui remettrait totalement en question cette simple formule de politesse ? Qui se préoccupait vraiment de la question de toute façon ? Une sangsue du positivisme comme Jeanne, sans aucun doute. Cette fille qui voulait rendre le sourire à tout le monde, même si c'était chose impossible. Il détestait cette manière utopique d'aborder les interrogations profondes de l'existence humaine, telle que la mésestime de soi. Mais, tout au fond de lui, sans doute qu'il aimait ça... Cette once d'attention portée par le vent des mots et frémissant ici et là au hasard des conversations.

— Ça va, bredouilla Odd d'un ton enjoué qui se voulait délibérément assez peu convaincant.

Un toxico totalement en manque de l'attention des autres, voilà ce qu'il devenait... alors que Jeanne se transformait peu à peu en prostituée des bons conseils, les bonnes opinions de Miss Crohin qu'elle monnayait contre un peu d'apitoiement de la victime elle-même.

— Même Ulrich est meilleur acteur quand on lui demande le nom de sa copine actuelle et qu'il te sort l'excuse du célibataire à vie alors qu'il passe son temps à chasser de la femelle... Tes cauchemars n'appartiennent pas vraiment au passé, c'est ça ?
— J'en fais encore de temps en temps, finit par admettre Odd après un blanc prolongé dans la discussion.
— Toujours avec ces foutues ombres ?
— Je t'ai parlé de ça ? s'étrangla le blondinet avant de reprendre immédiatement un semblant de contenance.

« Tu comprends désormais pourquoi on t'a expliqué tout cela Odd. Nous pensons tous, sincèrement, que tu as toutes les capacités nécessaires pour nous aider dans notre mission, valeureux et casse-cou comme tu es. Mais le plus important, avant même la réussite des différentes expéditions, c'est de garder le secret. Reste flou. Sur tout, que ce soit ton emploi du temps ou tes préoccupations du moment. Ne laisse jamais échapper la moindre information qui pourrait se rapporter à l'usine de près ou de loin, c'est sans conteste la règle d'or si tu veux faire partie de notre bande à temps plein. On a besoin de ta discrétion la plus absolue sur le sujet, l'assurance que tu ne grilleras jamais notre double vie car nous avons besoin de toi Odd. Tu es essentiel à la réussite de notre grand projet... »

Évidemment, Odd ignorait – et ignore toujours – que Jérémie avait prononcé ces paroles longuement réfléchies après la lecture d'un ouvrage obscur sur la dynamique de groupe qui relatait à peu de choses près ceci : « Règle numéro un : Mettre le sujet en valeur, démontrer à quel point il est indispensable au bien-être du groupe et installer une confiance qui, même si elle n'est qu'illusion, aura le mérite de sceller un pacte tacite. Le meilleur moyen pour s'assurer une fidélité sans faille étant encore le poids du secret que le sujet en question devra garder à tout prix, l'isolant peu à peu des distractions extérieures pour se concentrer uniquement sur les objectifs et désirs du groupe. »

— Euh, c'était il y a longtemps, poursuivit Della Robbia qui tenta bien vite de dévier la conversation sur un autre sujet, là je rêve plus de chiffres, du zéro pointé sur les exams de Meyer, du conseil de classe déçu de moi,...
— Ça passera, affirma Jeanne avec vigueur, tes notes vont remonter c'est une certitude ! Je t'aiderai, on se fera des séances bibli tous les deux et tu constateras bien vite que ce n'est pas si compliqué les maths !
— Désolé de vous déranger les tourtereaux, lança une voix derrière eux, mais on va avoir besoin de toi Odd.

Ils se retournèrent simultanément pour découvrir Emmanuel Maillard, en tenue de foot, chose qui semblait logique puisqu'il était le meilleur attaquant de Kadic avec Ulrich. Dans son cas, il fallait se méfier des apparences. Malgré son look qui ne le prédestinait pas aux sports de haut niveau, Manu – c'est comme ça qu'on l'appelait sur le terrain – était sans conteste l'un des éléments les plus endurants de tout le collège-lycée, en tout bon poulain de Jim Moralès.

— Xao ne peut plus jouer, ce con a forcé sur son tibia alors qu'il n'était pas encore tout à fait rétabli de sa dernière chute en skate. Il nous faut un solide, à défaut d'un français de souche, pour remplacer l'étranger de l'équipe juste dans le cadre de ce match semi-officiel... T'es partant ?

Odd aperçut une silhouette bien connue derrière Maillard, il sut dès lors que sa réponse ne pourrait être négative...


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Akhenaton - Street Football (Foot 2 Rue)

L'air froid aurait pu assommer les joueurs mais ceux-ci se donnaient bien trop dans le match pour penser ne fût-ce qu'une seule seconde à la température extérieure. Les taches brunes s'accumulaient sur les mollets alors que le terrain affrété pour l'occasion devenait de plus en plus impraticable, en particulier autour de la zone centrale. Peu d'ambiance. Manque de décibels dû à ? Peu de supporters en réalité, deux pour être précis. Jeanne et Jim. La première en réel soutien, le deuxième pour prendre des notes... et gueuler quand il le fallait. Ah, il y avait aussi la copine de Maillard qui était venue l'encourager mais, en toute sincérité, elle matait plus l'écran de son téléphone que l'arrière-train de son mec. Peu d'ambiance donc, malgré le niveau de jeu. Les deux équipes se surpassaient réellement, il était rare que tous donnent tout à ce point. La présence de Jim n'étant évidemment pas étrangère à cet élan de testostérone, quoique certaines filles furent à dénombrer sur le terrain elles aussi. Règles obligent.

Un nuage de buée (ou de transpiration ambiante ?) s'amoncelait au-dessus du terrain mais à y regarder de plus près on aurait plutôt dit une sorte de brume qu'une vapeur masculine atrocement visible, pour ne pas dire dégueulasse. Dans l'équipe d'Odd, c'était le positionnement habituel. Avec deux changements de taille néanmoins. Alors que Yumi aurait dû être au goal, elle avait été remplacée suite à sa maladie par Heïdi Klinger, tout simplement pour respecter le quota d'œstrogènes exigé sur le terrain par la ligue interscolaire. La jolie blonde n'était visiblement pas aussi efficace que la japonaise puisque l'équipe des Tigers avait déjà encaissé un but après un tir ulrichien rectiligne faible vitesse pourtant peu efficace sur le papier, ceux courbés à allure extrêmement rapide étant plus son domaine de prédilection. Odd, lui, remplaçait Xao en milieu défensif. S'ils avaient encaissé dès la septième minute de jeu, Heïdi l'avait immédiatement tenu pour responsable, ainsi que le reste de l'équipe puisque Klinger pouvait se montrer extrêmement persuasive. Pour compléter l'équipe des Tigers, on retrouvait Manu en seul attaquant alors que Matthias Burrel et Nicolas Poliakoff se partageaient le milieu de terrain. Le premier étant quand même plus porté sur l'arrière (du terrain) et le deuxième sur l'avant. Eh oui, c'était un sacré comité réduit aujourd'hui, à la demande du commandant-chef Moralès en personne !

De son côté, Ulrich avait impitoyablement déterminé la position de chacun au sein du clan des Hawks et, une chose était sûre, ça ne faisait pas que des heureux. Caroline Savorani était attaquante avec lui, alors qu'elle préférait se terrer en défense habituellement. Pourtant, Stern n'était pas aveugle et il avait remarqué qu'elle avait des aptitudes de tir non négligeables, surprenantes même pour une fille selon lui, sans compter que c'était aussi la plus âgée de l'équipe et aussi la seule qui pratiquait d'autres sports régulièrement, tels que l'athlétisme, le hockey et le basket. Théo Gauthier avait, lui, été relégué en défense aux côtés de Thomas Jolivet, ce qui le faisait tirer la gueule depuis le début du match. Lui qui avait toujours perçu Ulrich comme un opportuniste voyait sa théorie se confirmer aujourd'hui, Stern faisait toujours le nécessaire pour se retrouver sous la lumière blanchâtre des projecteurs. Au goal, l'efficace Bastien Roux qui était flanqué d'un nom de famille qui ne collait absolument pas avec son physique peu caucasien. Un peu tête brûlée, il était toujours prêt à monter pour assister les défenseurs, ce qui restait bien évidemment impensable en championnat professionnel.

Après une énième sortie, aux environs de la zone centrale, le ballon fut relancé par Poliakoff. Manu se précipita pour le faire jongler entre ses pieds comme prévu mais Ulrich fut plus rapide. Une nouvelle fois. Il interceptait en permanence la balle avec une telle facilité que ça en déconcertait l'ensemble des Tigers. Déjà, il se dirigea avec une assurance certaine vers la défense adverse qui se résumait à... Odd. Et Nicolas à l'occasion mais celui-ci n'avait pas eu le temps de bien se replacer. Alors que Caroline était redoutablement bien démarquée, près de la cage mais pas de trop pour éviter ainsi le hors-jeu, Ulrich refusa délibérément de lui passer le ballon et continua seul, à se la jouer perso comme à son habitude. Mais, malheureusement pour lui, Burrel le tacla parfaitement avant que Stern ne puisse arriver à hauteur d'Odd et le ballon vola quelques mètres plus loin avant d'être récupéré par Poliakoff. Nicolas en profita pour réaliser une passe bien calibrée en direction de Manu mais Théo s'interposa dans l'axe.

Saisissant sa chance, Gauthier s'empara de la balle et remonta en direction de la partie adverse, histoire de bien contredire les ordres d'Ulrich qui lui avait fortement déconseillé de s'aventurer vers l'avant. Stern lui lança à distance un regard si noir qui signifiait clairement « laisse-moi faire mon job morveux » mais Théo, en bon emmerdeur, ne se dégonfla pas. Odd, qui avait temporairement laissé sa place de défenseur central à Burrel, sprinta en direction du porteur du ballon mais le rival d'Ulrich le dribbla aussi aisément que s'il s’était agi de Pichon sur le terrain. Ayant dépassé la position de Poliakoff dans sa course, il ne lui restait guère plus que Matthias, et enfin Heïdi, à affronter. La tâche pouvait s’avérer facile pour Théo, si facile... Mais il refusa de faire son Ulrich, à risquer de perdre une bonne occasion uniquement pour une question d'égo et de virilité mal placée. Gauthier décida donc, au dernier moment alors qu'il se rapprochait de Burrel, de faire une passe qu'il espérait décisive à Caroline. Toujours aussi bien démarquée, la jeune fille intercepta le ballon sans problème et fonça vers la cage. Prise d'excitation, elle tira aussitôt, alors qu'elle se trouvait encore à une bonne dizaine de mètres du goal, et manqua de peu la lucarne gauche... Le ballon continuant simplement sa route dans les airs, Heïdi avait eu chaud !

Dès que Burrel ramena le ballon, – la blonde aurait été moins rapide que lui pour le récupérer – Klinger s'empressa de lancer la remise en jeu en dégageant la balle en direction de Della Robbia qui s'était une nouvelle fois éloigné vers le milieu de terrain, il ne savait décidément pas rester en place ! Au lieu de continuer sa progression rendue dangereuse par une Caroline gravitant désormais autour du ballon, il tenta une passe vers Manu que Savorani dévia habilement en plaçant l'extrémité de son pied contre la surface semi-rugueuse du ballon au moment du tir. La balle vola dans les airs, se rapprochant dangereusement de la ligne de touche, mais Jolivet rattrapa proprement le tir qui était parti en vrille. Il voulut aussitôt faite la passe à Théo mais Manu, prévisualisant la scène, s'était aussitôt placé entre les deux garçons... et se rapprocha immédiatement de Thomas qui n'eut d'autre choix de dégager d'un tir puissant vers l'avant en espérant vainement qu'un membre des Hawks se trouverait au bon endroit au bon moment. Ce qui n'arriva pas.
A la place d'un volatile, ce fut un félin, en présence de Nicolas Poliakoff, qui récupéra le ballon. Il avança de quelques mètres, feinta Ulrich qui venait de tenter maladroitement de le tacler, et fit la passe à Emmanuel. Celui-ci se précipita vers la cage adverse, une lueur de détermination brillant au fin fond de ses prunelles noisette. Pourvu d'une technique impressionnante pour son âge, il passa sans difficulté majeure les oisillons qu'étaient Jolivet et Gauthier quand on les mettait à l'arrière. Impossible de s'improviser défenseur, pour ça aussi il fallait de l'entraînement ! Face à Bastien Roux, qu'il méprisait au plus haut point, Maillard tira du pied gauche et la balle fila... entre les jambes du noir qui n'avait même pas pris la peine de les fermer correctement.

« Petit pont décisif ! » hurla Emmanuel Maillard, laissant exploser sa joie avant de se faire chaleureusement accoler par tous les membres de son équipe. Les Tigers venaient d'égaliser, alors que Gaillard, l’arbitre du jour, siffla la mi-temps. Ulrich pesta et émit une remarque acerbe à l'attention de Théo qu'il jugeait hautement responsable de ce score temporaire de 1-1. Stern shoota rageusement dans une motte de terre avant de se reconcentrer. Après tout, rien n'était encore joué…

La deuxième période commença au signal de Paul, qui ne se lassait pas du joujou prêté par Jim. Le saint sifflet du professeur de sport avait en effet de quoi susciter l’envie des élèves de part les privilèges et l’autorité qu’il représentait, malgré les éventuels manquements à l’hygiène que son utilisation impliquait.
Manu fit l’engagement, sous l’œil concentré d’Ulrich. Il attaqua d’entrée, déterminé à mettre la pression au but adverse, et suivi d’un peu plus loin par Poliakoff. Stern chargea, bien déterminé à récupérer le précieux orbe des pieds de son adversaire. Il ne parvint cependant qu’à le gêner dans sa progression, et lui faire en conséquence renvoyer la balle vers Nicolas, toujours en retrait. Le roux n’était peut-être pas très malin, mais il savait voir une ouverture au milieu du terrain quand il y en avait une. Avant que Caroline n’ait l’idée de venir lui barrer le chemin, il avait atteint la ligne de défense. Manu profita de la diversion pour tenter de contourner Ulrich, mais ce dernier fit honneur à la réputation des murs allemands et parvint non seulement à le gêner, mais aussi à foncer reprendre la balle à Nicolas. A contrecœur, il fit une passe aérienne vers Caroline, qui après tout tenait également le rôle d’attaquant dans l’équipe.
Depuis les tribunes, Jeanne regarda l’action remonter vers Odd alors qu’Heïdi semblait se crisper dans les cages. Ulrich passa sommairement Burrel, qui eut le malheur de déraper sur une partie un peu plus boueuse du terrain, et se démarqua pour faciliter la vie à son équipière… ainsi qu’à ses perspectives de but personnelles. Elle l’avait vu. Il suffisait qu’elle réussisse sa passe pour qu’il remette les compteurs en leur faveur…
Odd dévia miraculeusement la balle, la dégageant presque sans le faire exprès vers l’autre bout du terrain.
— Ouais, bravo Odd ! s’écria Jeanne en se levant brusquement pour l’acclamer.
Le blondinet lui fit signe de la main en allant se replacer, tandis qu’Ulrich étouffait un juron en courant à la poursuite du ballon comme il le faisait si bien. Théo, resté en défense pour une fois, contrôla la balle du pied et l’expédia sciemment à Caroline, revenue vers le milieu du terrain. Ulrich eut la vague impression que tout le monde avait décidé de le faire chier. Il coula un regard inquiet à Jim, occupé à prendre des notes, et fonça vers l’action.
Jeanne décrocha quelques secondes du match pour regarder le magnifique dessin de castor dans la marge de la feuille du surveillant. Elle ne dit rien, se contentant d’un petit sourire amusé. Toute remarque aurait eu l’air de remettre en cause l’implication du professeur dans l’entraînement de son équipe de foot, ce qui n’était bien sûr pas le cas !
Quand elle se concentra à nouveau sur le terrain, elle vit la balle partir vers la défense de l’équipe d’Ulrich. Bastien Roux opta alors pour l’option tactique très discutable de sortir de ses cages pour cueillir en personne le ballon, manœuvre qui n’avait que rarement réussi mais dont on n’arrivait jamais à le dissuader. Manu tenta le tir alors qu’il était encore assez loin, constatant que l’étau de ses adversaires se resserrait. Bastien vit le ballon lui passer au-dessus de la tête et rebondir joyeusement jusque dans les filets. Ce fut l’occasion pour Emmanuel Maillard de pousser un retentissant cri de victoire, qui devait faire fureur aux concerts de heavy metal qu’il fréquentait occasionnellement.
Ulrich Stern était vert, alors que pour une fois il était vêtu de bleu. Ce fut d’ailleurs lui qui prit l’engagement, sans consulter ses coéquipiers. Il partit tout seul sur le flanc gauche, fonçant à toute allure. Il avait délibérément opté pour la partie la moins boueuse du terrain, se souvenant de la tragédie Burrel. D’un pont osé, il passa complètement outre Manu et Poliakoff à la fois. Satisfait de sa performance, il accéléra, se sentant presque pousser des ailes. Personne ne le rattraperait jamais. Plus personne derrière lui ne l’arrêterait, et devant… il n’y avait plus qu’Odd. Ce dernier n’avait jamais été une véritable menace sur le terrain, sauf peut-être lors d’accidents fortuits.
Stern feinta sur le côté avant de plonger via l’extérieur du terrain, mais par un biais inexpliqué, Della Robbia anticipa et lui subtilisa le ballon.
— Fonce, Odd ! lança encore Jeanne, survoltée dès que son ami touchait le ballon.
Mû par les encouragements de la jeune fille, le blondinet se mit à courir vers le terrain adverse. C’était sa minute de gloire ! Peut-être allait-il réussir à briller quelques secondes dans ce match !
Le tacle vint de derrière et le projeta au sol sans merci. Le sol était dur, froid, poisseux (moment d’effroi !). Et le genou d’Odd lui faisait mal. Qui n’avait jamais souhaité que ses rêves deviennent réalité ?
Le sifflet de Paul Gaillard retentit, bruit strident qui vint ajouter à la souffrance d’Odd.
— Ulrich, carton rouge !
Le blondinet tenta de bouger le genou, y arriva mais non sans quelques grimaces. Bon. A priori, rien de cassé, malgré la douleur qui s’étendait joyeusement en lui. Il était en train de se remettre debout avec l’aide austère d’Ulrich quand une terrible tornade fit irruption sur le terrain : Jeanne Crohin. Odd pâlit, même en sachant qu’elle n’en avait pas après lui.
— Non mais c’était quoi ça ?! T’as pété un plomb ?! rugit-elle. T’aurais pu lui faire très mal !
— Jeanne, je vais bien, mentit le blondinet en tentant de désamorcer la situation.
— Je veux pas le savoir ! Toi tu files sur le banc, t’es blessé ! Et toi, fit-elle en se retournant vers Ulrich, t’es vraiment un crevard ! J’en reviens pas que t’aies fait un coup de pute pareil à un ami ! C’est quoi ton problème, t’as un trop gros ego pour supporter qu’on te prenne le ballon alors tu te dis que la violence c’est permis ?
Ulrich mit les mains dans les poches de son short de foot et jeta un coup d’œil à son camarade de chambre en laissant la bordée d’insultes qui suivit rebondir sur son indifférence.
— Désolé Odd, je me suis laissé emporter. Je voulais pas te blesser.
Il y avait autant d’émotion dans sa voix que de comparaison pertinente dans l’esprit de l’auteur. Jeanne lui jeta un regard noir.
— C’est ça ouais, t’as l’air foutrement désolé tiens ! Je sais pas ce qui me retient de…
Ce qui la retint de, en l’occurrence, ce fut l’intervention de Jim qui se sentit obligé de calmer le jeu. Il renvoya Ulrich dans les tribunes d’un air sévère, réprimanda Jeanne pour s’être introduite sur le terrain sans permission puis la renvoya également dans les tribunes d’un air sévère, et enfin examina Della Robbia avec ses compétences de garde forestier. Ou peut-être de professeur de danse de salon, le doute était permis.
— Tu peux marcher, Odd ? demanda-t-il néanmoins avec une légère inquiétude.
— Mais oui, vous en faites pas m’sieur Moralès ! assura le blondinet avec un de ses grands sourires, qui sonnaient toujours trop faux en ce moment. Je suis en méga forme, je termine le match en faisant que des pas chassés, même !
— C’est ça ouais, grogna le surveillant. Reprenez le match, vous autres. Della Robbia, clopine donc par ici, fit-il en l’entraînant à l’écart.


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Le genou douloureux, Odd s'efforçait quand même de garder le sourire. Il tentait de paraître détendu mais ses joues, sœurs des roses les plus délicates, n’étaient plus qu’un condensé de chair effroyablement rougeâtre. Il devait essayer de maintenir les apparences, comme toujours, et, cette fois, il fallait le faire devant Jim. C'était un bon test, un challenge de plus pour vérifier s'il pouvait vraiment mentir si bien que ça. Croire que Jim était complètement con aurait été une erreur. Bien sûr, il était plutôt naïf pour un surveillant. Mais il pouvait néanmoins repérer, après ses années d'expérience dans la profession, le moment où un étudiant basculait de « sain d'esprit » à la case « dépressif » qui regroupait beaucoup et peu de situations concrètes à la fois. Même si Moralès avait vieilli, quarante-cinq ans peut-être avec un cheveu poivre compté mais vaporeux, le gardien-chef de l’établissement avait toujours l’œil acéré pour repérer les éventuelles excuses bidons qu’on pouvait lui sortir.

« Tu sais Odd, commença le prof de sport, j'ai un bon pif quand il s'agit d'harcèlement scolaire. Si on t'emmerde, il faut te confier et je te jure bien que c'est ces morveux qui vont morfler ! Pour avoir vécu une situation semblable, je peux t'assurer sincèrement que c'est tout à fait possible de s'en sortir ! Moi aussi, j'ai connu ça tu sais, j'étais plutôt boulot à l'époque et ce n'était pas toujours évident quand je devais me lever le matin pour me confronter à tous ces collégiens avides de moqueries en tous genres. Dès qu’on allait à la piscine, j’avais l’impression de tabasser l’eau plutôt que de nager tellement je me grouillais à me jeter à l’autre bout du bassin pour que les filles n’aient pas l’opportunité d’observer les différentes bouées de mon corps ingrat. Je me sentais mal à en crever tu sais, j'y ai même pensé plusieurs fois... Il y avait un seconde en particulier, Florentin, une vraie ordure qui se pensait supérieur parce qu'il s'était autoproclamé leader d'une bande d'abrutis. Qu'est-ce qu'ils m'en ont fait baver...
— C'est vrai ? lâcha le blondinet qui voyait là une occasion inespérée de dévier la conversation sur un autre sujet. Qu'est-ce qu'ils vous ont fait subir ?
— Heu... je préfère ne pas en parler, avoua Jim en refermant totalement son cœur qui commençait pourtant à s'entrouvrir honnêtement, chose que Moralès considérait comme étant une grave faute dans sa profession. Après tout, il était là pour maintenir l'ordre, pas pour raconter sa vie !

Odd se renfrogna, soulevant un peu de caillasse de la cour du bout de ses souliers, comme s'il avait perdu quelque chose là-dessous, avant de tenter de s'éloigner discrètement, voyant que Jim était plutôt gêné par les informations qu'il avait laissés échapper. Mais, manque de pot même si c'était prévisible, le surveillant le rattrapa et le força à s'asseoir sur le banc le plus proche.

— Je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué Della Robbia, avertit Jim, donc tu ne me feras pas croire une seule seconde que tout va bien ! Je suppose que tu sais pertinemment que le conseil de classe se réunit après la remise de chaque carnet de notes. Dans ton cas, le constat est sans appel : tous ont remarqué un manque d'assiduité évident, une peur parfois constante sur ton visage et surtout tes résultats en chute libre au fur et à mesure que le trimestre avançait ! Tu as tous les signes d'un jeune en décrochage scolaire et il suffit de jeter un coup d'œil dans ta direction pour voir que tu souffres ! Quand t'es arrivé à Kadic, t'étais gai comme un pinson, chantonnant dans les couloirs et sociable avec tous ! Désormais, tu n'es plus que l'ombre du plaisantin que nous avons connu. Même Sissi est venue nous en faire part, c’est pour dire ! Si t'as des soucis mon vieux, c'est le moment d'en parler... Je suis tout ouïe et je ne te jugerai pas, quel que soit ton problème, c'est promis.

L'adolescent hésita. Il avait tellement envie de parler, d'enfin se confier à quelqu'un sur toutes les horreurs qu'il avait pu voir et qu'il verrait encore. Odd se sentait las, vidé, épuisé de cette double vie qu'il n'avait pas vraiment choisie. On lui avait plutôt imposé : « C'est ton confort personnel ou la survie de l'humanité ! » Forcément, il avait fait le choix le moins égoïste, comme toujours. Mais là, il était vraiment à bout ! Il en venait même à penser à un remplaçant, quelqu'un d'assez courageux et taré à la fois qui accepterait de reprendre ce lourd fardeau. S'il le fallait, Odd était même prêt à lancer une vaste campagne de recrutement dans tout le collège ! Mais il y avait un « mais », comme toujours d'ailleurs. Ce « mais », c'était le poids du secret, plus lourd que la Tour Eiffel et la Sagrada Família réunies. Cet immonde petit tas de cendres qui s'unissait pour former un secret, extrêmement pesant à porter mais si terriblement excitant pour tout jeune qui cherche un sens profond à sa destinée. Il ouvrit la bouche, prêt à témoigner de son intense douleur et de la pression psychologique pernicieuse qu'on avait pu lui faire subir, il allait enfin pouvoir partager ce qu'il avait sur le cœur, avec un adulte qui avait les pleins pouvoirs de surcroît.

— Mi padrino, ces putains d'enfants du viol nous ont balancés. Sans déconner, faut vraiment pas avoir d'âme pour briser un serment aussi fort, qui nous liait même dans la souffrance la plus extrême.
— Bande d'incestueux, hurla le parrain dans les rues de Palerme, si je vous retrouve, je violerai vos trachées après vous avoir ouvert le thorax avec un rouleau à pizza. Celui qui parle est mort, c'est la règle dans notre groupe !


Ces cauchemars, même en plein jour, il y pensait. Il ne savait plus très bien s'il avait entendu ces répliques dans un film mafieux ou si son subconscient avait simplement imaginé ce dialogue sordide. La vulgarité de ces paroles força donc Odd à refermer son clapet, il voyait Ulrich, au loin, du coin de l'œil, assis dans les tribunes, et il comprit qu'il ne pouvait pas leur faire ça. Ni à lui, ni à aucun membre de la bande.

— La première chose à faire pour aller mieux Odd, conseilla l’adulte ressource de Kadic, c’est de ne surtout pas commencer à réfléchir aux "pourquoi ?", "comment ?", "qu'ai-je fait de mal ?",... Toutes ces questions sont inutiles et ne feront qu’empirer le contexte compliqué dans lequel tu te trouves en ce moment. C'est dur mais à partir du moment où des gens aussi proches de toi te font ça, c'est qu'ils n'en valent absolument pas la peine. Ils ont trahi ta confiance à un tel point qu’aucune justification ne peut venir l'excuser.
Alors maintenant, ce que tu dois faire, c'est te concentrer sur toi ! Il faut que tu te retrouves parce qu'après autant de temps dans un groupe soi-disant uni, se retrouver seul c'est difficile. Le conseil que je te donnerais, c'est de retrouver ce que tu aimes faire, que ce soit un sport, une activité artistique, le cinéma, la lecture,... qu'importe ! Retrouve ce que tu aimes et fais-le ! Essaie de t'éclater car non seulement ça te fera oublier quelques instants tout ce qui t'arrives (et au fur et à mesure du temps, tu l'oublieras de plus en plus) mais tu vas aussi peu à peu retrouver confiance en toi, rencontrer de nouvelles personnes,... Tu vas te reconstruire peu à peu et c’est bien cela l’objectif qu’il faut viser. Il faut toujours penser à aller de l’avant, c’est comme au foot !
Ensuite, la seconde chose à faire, c'est de trouver qui sont tes véritables amis et te concentrer sur eux. Il faut essayer de parler de ce que tu vis même si les autres ne comprendront pas. Ces gens qui seront là pour toi, et ce ne sera pas forcément ceux à qui tu penses en premier, sont les seuls qui comptent. Parle-en en aussi dans ta famille car, du moins en général, la famille est l’une des rares choses sur lesquelles tu peux compter avec certitude… Même si à nouveau, ils ne comprendront pas forcément ce que tu ressens mais ça te fera du bien d'avoir leur soutien !

Enfin, troisième chose, et parce que si tu m’as déjà écouté jusque-là c'est que tu as du courage, si tu en as l'occasion, pars un peu loin de tout ça. Essaie de partir en weekend ou une semaine à l'étranger pour t'éloigner de l’atmosphère ambiante et, à nouveau, pour te reconstruire et savoir un peu mieux qui tu es au fond. Je peux même en parler au conseil de classe, je suis certain que tes professeurs ne seront pas contre une période de repos si cela peut te permettre d‘aller mieux… Bon, Suzanne sera peut-être plus difficile à convaincre mais je sais plutôt bien m’y prendre avec elle en temps normal ! Elle ne viendra pas nous souffler dans les bronches, ne t’en fais pas… Hum, je m’égare ! Je reviens toujours à l’épanouissement personnel mais c'est ce qu'il y a de plus important pour sortir de ce genre de gouffre et être bien dans ta peau à nouveau. Il faut que tu sache qui tu es, ce que tu aimes, ce que tu n'aimes pas,... Il faut prendre, en quelque sorte, un nouveau départ et un départ qui partira de toi et pour toi. Et si tu ne sais pas quoi faire alors, mets ta veste et balade-toi en ville (en demandant mon autorisation bien entendu !) jusqu'à trouver quelque chose qui va te plaire et t'intéresser que ce soit un match de foot, un match d'impro ou un film. Profite de ta vie pour toi et ne te laisse pas envahir par la dépression. Sors de chez toi, essaie de t'amuser, force-toi même mais surtout, ne reste pas bêtement dans ta chambre à ruminer sur ton sort. Mais sache que, même si ça te semble dérisoire, demander de l'aide au corps professoral est déjà un bon premier pas pour sortir de tout ça ! En tant que surveillant, d’un internat qui plus est, j’ai été formé pour détecter les éventuels problèmes et les résoudre. Alors courage Odd, je sais qu’avec un peu de persévérance tu peux, et même tu vas, y arriver !

— Vous ne savez même pas de quoi vous parlez, protesta Odd. Vous ne connaissez ni mon caractère réel ni la situation que je dois affronter et je n’ai certainement pas de compte à vous rendre !
— Je vois bien qu’avec les footeux, ça ne va pas Odd ! Tu es déçu parce qu’ils ne t’ont pas sélectionné pour faire partie de l’équipe lors du championnat interscolaire… En y réfléchissant, je suis certain que c’est la principale cause de ta grise mine !

Une fois de plus, l’éducateur de Kadic était complètement à côté de ses pompes… ce qui n’était pas l’idéal pour un prof de gym, vous en conviendrez.
_________________
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Dernière édition par Sorrow le Lun 08 Oct 2018 18:47; édité 2 fois
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Icer MessagePosté le: Dim 19 Nov 2017 19:00   Sujet du message: Répondre en citant  
Admnistr'Icer


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Eh bien, j'aime assez, j'étais un peu perplexe sur le prologue et j'attendais de voir venir, d'autant que d'autres plus constructifs sont passés avant moi. J'ajouterai grâce au chapitre 1 que j'apprécie l'utilisation des figurants qui semblent avoir leur cohérence (même si comme par hasard, Jeanne est une OC). On a aussi quelques constructions de phrases purement géniales telles que :

Citation:
certaines filles furent à dénombrer sur le terrain elles aussi. Règles obligent.


Bon et puis surtout, tu as fait un MATCH DE FOOT alors je valide. Même si je m'étonne qu'à cinq contre cinq, y puisse y avoir des hors-jeu, m'enfin. C'était très plaisant à lire.
Finalement je m'attendais à pire quand tu as dit que ce chapitre était le plus décalé, nous verrons par comparaison avec le reste. On va dire qu'il pose en tout cas bien les bases, même si c'est surtout d'Odd dont il est question. Pour tout ce que je me demandais après la lecture du prologue, on ne peut pas dire que le chapitre 1 apporte des réponses (chose parfaitement voulue je parie), donc je garde ça pour plus tard.

Je n'ajouterai rien, je manque un peu de temps ce soir mais par contre, sache que c'est un plaisir d’accueillir un nouvel auteur sur le sous-forum. Et comme nous l'apprend la série, mieux vaut être un corbeau qu'un trou du cul. Enfin, c'était une phrase du genre.

Édit pour Hydra1399 : Tu débarques ou quoi ? Tu me prends pour qui ? Neutral

À plus !

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« Les incertitudes, je veux en faire des Icertitudes... »

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Sorrow MessagePosté le: Mar 28 Nov 2017 19:05   Sujet du message: Répondre en citant  
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Spoiler


Chapitre 2
Destination Tromsø


Ramin Djawadi - Runaway (Westworld)

Les points noirs de son nez explosaient un à un, comme de parfaits oisillons réjouis de quitter leurs coquilles, alors que le miroir s'embuait peu à peu suite à la chaleur de cette haleine si forte que la jeune fille dégageait à quelques centimètres seulement de la surface parfaitement polie. La locomotive de la mélancolie se dirigeait là où le regard ne porte plus, ce souvenir de peau de bébé parfaitement lisse, le chauffeur du nombrilisme fonçait donc, roulant à pleine allure vers les synapses de l'esprit ankylosé de l'adolescente mais, comme toujours, elle réussit à dérailler ce train de la mort avant qu'il n'arrive au quai des doléances du jour présent. Bienvenue l'acné ! La lèpre de l'adolescent. De là, personne ne s'évade... Moche ? Et alors ? C'est une preuve de croissance (de germes) bien prolifique non ? La femme en devenir cracha sur son reflet et le splendide filet de salive blanchâtre entama aussitôt sa course gravitéenne sur la paroi du verre réfléchissant. Au moins, ça nettoierait ces saloperies de taches de dentifrice qui brillaient de tout leur fluor sur ce miroir à la con.

Des petits poils, cônes affligeants de l'épiderme, reposaient aussi sur le bas de la glace, ils traînaient là depuis que la jolie brune avait recoupé ses cils à l'aide d'une petite paire de ciseaux rouge qu'elle gardait toujours à proximité. Une apparence constituait-elle la seule valeur d’une femme ? Jeanne Crohin éluda la question, préférant reporter son attention sur son lieu de vie. Le plafond et les murs étaient couverts de stickers de reptiles qui semblaient onduler au gré de la lueur dégagée par la faible ampoule qui s'efforçait tant bien mal d'éclairer la pièce malgré la noirceur ambiante. Si l'occupante des lieux avait été un mec, elle se serait littéralement gelée les couilles dans cette piaule anxiogène, une cellule parmi tant d'autres qui, une fois mises ensemble, constituaient le tristement célèbre internat de Kadic.

Vous décrire l'endroit serait plus propice à la visualisation des lieux n'est-ce pas ? Alors, par où commencer ? Par l'iceberg de vêtements aux couleurs tantôt affligeantes tantôt fantasmatiques qui se languissait au centre du parquet ? Ça allait de la jupe à carreaux plissée à la culotte rose bonbon teintée d'une matière peu recommandable. Par l'armoire, véritable frigidaire tout de bois vêtu, qui était désormais vidée de toute fringue superficielle pour laisser place à des tableaux en tous genres ? Des cercles à la Kandinsky jusqu'aux spirales énigmatiques dignes d'un Van Gogh sans oublier les masques aux mille et une formes de James Ensor. On pourrait aussi s'attarder sur les notes de cours, dissimulées derrière un tas affolant de pièces rouges et totalement recouvertes de courbes et reliefs appétissants pour tout amateur d'art. L'un des endroits les plus intéressants pour en savoir plus sur l'hôte du cube en béton restait la petite corbeille de chambre et son contenu, respectivement une pelletée de copeaux de bois extraits de crayons divers, un bout de bas totalement troué, l'emballage criard d'un fast-food (très) low-cost du coin, une fourchette aux dents branlantes et un long fil de laine doré qui semblait serpenter à travers le tas compact d'immondices.

Mais, parmi tous ces recoins, n'oublions surtout pas le petit cagibi du dessous de lit qui renferme lui aussi d'étincelantes surprises, dont une en particulier à vrai dire... Une créature, camouflée bien vicieusement dans la chambre un peu à la manière d'Odd avec son bull-terrier, respirait au rythme des jours et de nuits de la kadicienne. Léon, un ravissant iguane totalement clandestin bien sûr, se dorait la pilule dans un petit vivarium totalement aménagé sur-mesure par le grand frère de la jeune étudiante.
Une photo de famille trônait sur l'une des falaises de peinture beige qu'étaient les murs de la chambrée. Mais elle n'était pas la seule, un dédale de clichés – souvent capturés en cachette d'ailleurs – était carrément exposé au-dessus du lit de l'occupante des lieux.

Occupante dont on sait toujours bien peu de choses, pas vrai ? Info exclusive et totalement pertinente dans le contexte : son père l’a surnommée Gaby toute son enfance car il adorait Bashung alors que sa fille ne pouvait entendre une seule note de ses chansons sans se mettre à hurler à la mort comme un clebs au son des sirènes de l'ambulance.

Revenons aux photos. Tout d'abord, l'une représentant deux potes se disputant le ballon sur un terrain aussi étriqué que délabré. Au fond, quel était l'intérêt de pourchasser à tout va une boule de caoutchouc recouverte de polyuréthane dans un pays aussi sympathique que le Pakistan ? Ah oui, désolé de briser le mythe mais le cuir n'est quasiment plus présent dans les ballons. Fallait s'y attendre, pas vrai ? Si vous avez ces matériaux, ajoutez-y 18 mètres de fil synthétique et tenez-vous prêts à réaliser 650 points de couture, ça vous donnera l'aperçu d'une journée d'un enfant du système forcé, celui qui corrompt les mœurs et qui empoisonne la vie de ces gosses qui n'ont rien demandé malgré le pseudo-label du progrès « Fifa Approved et Inspected ». Mon cul ouais.

Refocalisons-nous sur l'image qui nous intéressait. Deux garçons en pleine action, l'un au goal et l'autre au tir. Seul le gardien nous intéresse ici. Le mec en retrait de la toile sociale kadicienne et non pas le beau gosse de ses dames. Odd Della Robbia et Ulrich Stern. La photographe avait une curieuse manière de classer les proies de son objectif. Elle apposait en dessous de chaque modèle une indication qui aurait décontenancé le moindre voyeur. Pour Odd, c'était été -> automne. Pour Ulrich, c'était... rien. Jeanne ne le connaissait pas assez pour pouvoir l'analyser sous tous les angles comme elle le souhaiterait. C'était, sans aucun doute, le garçon le plus difficile à cerner parmi les nombreuses personnalités explosives renfermées au sein du collège-lycée, semblables aux nombreuses bulles attendant sans relâche l'instant adéquat pour inonder le couvercle de la casserole lors de la cuisson des spaghettis Panzani que Jeanne affectionnait plus particulièrement.

Certains triaient les gens en fonction de leurs âges respectifs ou de leurs signes astrologiques. Jeanne Crohin, elle, se contentait de les classer par saisons. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, la belle brune avait toujours immédiatement catégorisé chaque nouvel électron gravitant trop près de son noyau.
Odd et l'été.
Le lien était plus qu'évident. Le blondinet excentrique l'avait totalement apaisée de ses rayons bienveillants. Un ciel sans nuages, sans aucun souci à l’horizon, ça collait plutôt bien à Odd, enfin au Odd d’avant. Et puis, que serait l'été sans le célèbre festival d'Avignon ? Sa ville natale, elle y pensait forcément ! Une fois inconfortablement installée sur le point Saint-Bénézet, à contempler les eaux sombres du Rhône qui renfermait secrètement le rêve de nombreux artistes venus s'échouer ici, Jeanne s'amusait tout l'été à estimer le nombre de personnalités présentes dans un rayon de vingt kilomètres. Celle de l'habitant, celle du touriste lambda, celle de l'acteur, celle de son personnage, celle de l'auteur du texte original qui plane en arrière-plan comme la silhouette sombre d'un oiseau du malheur. Parce que c'était ça aussi la personnalité d'Odd : une parade nuptiale de masques pourvus d'un rictus joyeux... plus surfaits les uns que les autres ces pseudo-sourires.

D'été, Jeanne l'avait bien vite catégorisé à automne. Les feuilles de sa mascarade permanente avaient bien vite chuté pour laisser place à l'arbre le plus mort que Jeanne eut l'occasion de rencontrer. Inconscient minéral plus que végétal néanmoins, totalement lisse à l'intérieur, du moins c'est ce qu'Odd aimerait. Ne plus rien ressentir tel le roc qui ne plie jamais devant le maelström de problèmes qui s'amoncelaient peu à peu autour du pauvre caillou. Comme l'automne, Odd se parait de ses plus belles couleurs alors qu'il était en train de mourir de l'intérieur, rongé par un subconscient envahissant au possible. La fin des beaux jours étant de plus en plus proche, Jeanne s'efforçait d'être là pour son ami qui tombait littéralement en miettes. A en croire ses cauchemars, il était sans doute arrivé à Halloween pour le moment, le temps où les esprits jouent avec les nerfs des vivants pour une période indéterminée... mais est-ce que ce genre de phase passe véritablement ? Odd avait le choix entre la voix difficile de la construction d'une certaine sérénité ou celle de la chute dans les crocs acérés de la démence. Jeanne comptait bien l'éclairer suffisamment en ces temps obscurs pour que Della Robbia ne privilégie pas la seconde option. Elle partait sans cesse dans d’intrépides discours persuasifs lors de leurs conversations, parfois minutieusement préparés et répétés préalablement à l'attention de Léon, qui n'était pas le cobaye idéal puisqu'il n’était pas capable de rédiger un feedback structuré au grand dépit de sa maîtresse. L'objectif de ces discours lentement articulés au creux de l'oreille du blondinet ? But en apparence simple mais terriblement complexe en réalité : la clarté de ses mots devait être assez intense pour chasser ces vilains nuages d'automne. Pour, qu'enfin, l'été puisse renaître à nouveau en dépit des nombreuses feuilles de vitalité perdues par le jeune chêne. Que dis-je, arbuste plutôt qui voyait déjà sa raison éparpillée en lambeaux de chair orange ou brune qui tapissaient sans relâche le sol avidement boueux de son somptueux manteau coloré avant de passer à l'immaculée conception blanchâtre qu'est l'hiver… représenté par Jérémie Belpois bien entendu. Sans doute l’être le plus froid qu’elle ait rencontré à Kadic. La seule fois où il lui avait adressé la parole, c’était glacial : Ne distrais pas trop Odd avec tes préoccupations artistiques… Il lui reste déjà bien assez de boulot scolaire à effectuer pour pouvoir espérer réussir son année. Sympa comme premier échange ! Le teint de porcelaine du jeune cinquième ne laissait jamais échapper que de l’hostilité à son égard et ça agaçait Jeanne au plus haut point. Elle avait parfois l’étrange impression que Jérémie tenait fortement à contrôler les fréquentations qu’Odd pouvait avoir… S’il y avait bien un secret entre eux comme elle le pensait de plus en plus, Jeanne Crohin comptait bien l’exposer au grand jour au plus vite.

S’éloignant de son mur parsemé de photos, la psychédélique Jeanne Crohin alla chercher ses ustensiles favoris qu’elle planquait dans un tiroir, entre ses feutres favoris et un tas d’enveloppes cachetées. L'atypique jeune fille s’approcha de sa fenêtre afin de baigner dans la lumière du jour, les pores de sa peau exposés aux rayons destructeurs, tandis qu'elle commença à rouler d'une main experte le papier à cigarette qui allait contenir son précieux tabac. D'un geste assuré, machinal au possible, elle porta la flamme de son briquet anthracite en direction de l'extrémité du cône destructeur qu'elle avait déjà coincé entre ses dents grisées. Après une première taffe bien méritée – elle avait quand même tenu plus d'une journée sans sécher le moindre cours ! –, elle reporta son attention sur l'univers environnant. Jeanne se trouvait au top du bâtiment-dortoir de Kadic, cette cacophonie de béton et de briques qui observaient les agissements des élèves de leurs regards lubriques. Interne de son état, Jeanne n'était évidemment pas censée se retrouver dans cette posture mais, le règlement d’ordre intérieur, elle s'en badigeonnait totalement les doigts de pieds.

A l’orée du parc, deux silhouettes se démarquaient assez bien du fond vert. Théo Gauthier… et Sissi. Le crapaud véreux saignait de l'intérieur, la « colombe blanche » aussi. Jeanne avait l’intime conviction que la Delmas avait bien vite oublié Ulrich depuis l’arrivée de son double souriant à Kadic. Sortant les mains de ses poches, le jeune sportif – aussi excité qu’un acarien au salon de la moquette – exhiba deux places de concert devant le minois de sa belle qui semblait apprécier l’effort. Dans l’esprit de Jeanne, il était bien clair qu'une femme allait toujours aimer un homme en fonction de la capacité de celui-ci à dominer les autres. Si les gargouilles affadies se contentaient des faibles, les chiennes préféraient les leaders. Et dans le match empli de testostérone qui opposait Stern à Gauthier, il était désormais évident que ce dernier avait sauté sur la bonne occasion pour concrétiser son plan. Il ne lui restait plus qu’à remonter la nacelle pour choper de la truite.

« Inspection des chambres dans cinq minutes ! » hurla une voix depuis le couloir.

Jeanne écrasa sa cigarette dans la gouttière et contempla le bazar sans nom qu’était sa piaule. Elle allait avoir du boulot…


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Jérémie ne partageait pas l’enthousiasme de ses camarades pour le repas de midi. En fait, il avait même décidé pour aujourd’hui de se cloîtrer dans sa chambre, son donjon. Après tout, il avait pas mal mangé au dîner, et les croissants du matin n’arrangeaient pas la chose… il pouvait bien se permettre de sauter un repas !

S’adapter à la vie en internat avait été un peu délicat. Avoir une chambre pour lui tout seul l’avait beaucoup aidé à se sentir bien, en sécurité. Jérémie avait des difficultés à fréquenter les autres, qu’il estimait régulièrement être trop stupides pour son niveau. Leur présence était agaçante, un peu comme celle d’une mouche qui viendrait bourdonner dans votre oreille. Ici, il était au calme, et tout seul avec son ordinateur. Ses doigts virevoltaient sur les touches, l’écran se reflétait dans ses lunettes. Finalement, ça faisait partie de lui. A ce train-là, il finirait par élire domicile directement dans son ordinateur !
Indéniablement, il avait des préoccupations bien supérieures à celle des autres adolescents de son âge. Là où eux jouaient au foot, se vautraient sur leurs chaises en classe et échangeaient leurs premières blagues grasses en pensant être spirituels, Jérémie travaillait sur un monde virtuel. Et ça, ce n’était pas donné à tout le monde, loin de là. Sa solitude n’était pas surprenante. Personne n’aurait pu comprendre ce qu’il faisait. Partager sa chambre n’aurait signifié qu’une seule chose : les regards remplis d’incompréhension d’un camarade trop arriéré pour saisir. Quelqu’un qui aurait voulu savoir. Qui n’aurait pas été en mesure de comprendre, mais qui aurait voulu essayer quand même. A qui il aurait dû dissimuler ses activités. Un danger pour le secret : l’une des pires choses qui soient.
Jérémie savait garder un secret.

Il lut en silence (évidemment, à qui pouvait-il parler ?) les résultats des scans qu’il avait opérés, et les compara aux historiques d’activité virtuelle. Il fronça légèrement les sourcils. Ce petit pic n’était pas une bonne nouvelle. Rien de critique, dieu merci, mais cela méritait son intérêt. Il rapprocha sa chaise à roulettes de l’écran et plissa un peu plus ses yeux bleu acier. Qu’est-ce que c’était encore que ça ?
En deux clics, il passa sur une autre fenêtre, opéra une vérification ou deux. De ce côté-ci, tout était correct. Mais toujours cette anomalie… Non, vraiment, il y avait un problème. Rien d’urgent encore, il ne cessait de se le répéter, mais il n’aimait pas ça. Les pulsations n’auraient pas dû être aussi marquées à cet endroit. Il lancerait des analyses complémentaires pendant qu’il serait en cours.
Un soupir agacé lui échappa quand il se rappela, trois fois hélas, qu’il ne pourrait avoir que des résultats partiels ici. Sa connexion au Supercalculateur n’était pas totale à cause d’une sorte de blocage mis en place au niveau de l’ordinateur quantique. Un dispositif de sécurité très intelligent, mais qui lui compliquait la vie. Il faudrait qu’il aille à l’usine après les cours pour avoir tous les résultats qu’il souhaitait. Ce trajet entre le collège et l’abri de leurs secrets était sa seule forme d’exercice physique, mais il s’y astreignait assez régulièrement pour être bien plus endurant et rapide qu’il n’y paraissait. Sans égaler le triomphe de son esprit sur le monde, il n’était pas mécontent d’arriver à tenir le rythme de sa double-vie.
Son regard tomba sur l’heure, affichée en bas de son écran, et son cœur fit un bond. 12h53 ?! Déjà ?! A ce train-là, il serait en retard pour la reprise ! Quelque peu paniqué par cette perspective, Jérémie saisit en vitesse son portable resté à gauche du clavier, et ramassa son cartable près de la porte. Pas la peine de vérifier s’il avait les bonnes affaires de cours : il savait qu’il avait parfaitement fait son sac la veille, avant d’aller travailler sur son ordinateur. De toute façon, il était trop tard pour s’en assurer maintenant.
Il prit pourtant le temps de fermer soigneusement la porte de sa chambre à clé, alors même qu’il craignait d’être en retard. Certaines choses ne pouvaient pas tolérer de négligence. Les secrets étaient faits pour rester derrière de belles serrures bien verrouillées. Le précieux sésame alla rejoindre les tréfonds de son sac, qu’il estimait plus sûrs que ses poches. C’était si exposé, une poche. On ne savait jamais qui décidait de vous la vider.

Sixx AM - This is gonna hurt

Conscient de l’heure bien trop tardive à son goût, Jérémie s’élança vers l’escalier, son cartable mal réglé lui battant le dos. Un petit groupe d’élèves de quatrième descendait avec moins d’empressement, quelques mètres devant lui. Dans sa précipitation, il eut le malheur de les bousculer au passage, maladroit comme il était. La conséquence fut immédiate, et sa course brutalement stoppée par une main attrapant la poignée de son sac.
— Dis donc Belpois, c’était quoi ça ?
— Désolé ! s’excusa-t-il, mais un peu trop tard pour éviter les ennuis.
Le garçon qui l’avait agrippé lui jeta un regard mauvais, et très menaçant. Evidemment, il était plus grand, plus costaud, et ses amis n’avaient pas l’air particulièrement décidés à intervenir en la faveur de Jérémie. C’était rigolo, de faire cracher ses dents au binoclard non ?
— Désolé ? Tu crois que ça suffit, d’être désolé ? rétorqua-t-il froidement.
Jérémie se sentit très très seul, très très petit, et très très nul en bagarre. Comme souvent.
— On… on va pas se disputer pour si peu, non ? Y a cours dans cinq minutes, on va être en retard…
Le mépris de Jérémie pour le reste de l’espèce humaine avait fait place à une peur beaucoup plus ordinaire, et qui faisait honte à sa supériorité intellectuelle. Malheureusement, sa peur était justifiée. Il pria pour conserver ses lunettes intactes.
— La ferme l’intello ! cracha le chef de bande en le tirant brutalement vers son groupe.
Le blondinet tituba. Le temps de reprendre son équilibre, il était totalement encerclé.
— T’iras en cours plus tard. Eh, comment tu vois sans tes lunettes ?
C’était déjà sa troisième paire depuis son entrée au collège. Sans surprise, il ne parvint pas à empêcher le caïd de les lui prendre et de les brandir trop haut pour lui avec un sourire victorieux. Il allait abîmer la monture avec ses grosses pattes de butor…
Jérémie détestait ces moments. Il avait la vue brouillée. Il se sentait tellement faible et incapable de se défendre. Tellement… minable. Et il savait bien que sauter comme un abruti pour tenter de les attraper ne ferait que le faire rentrer dans leur jeu, alors il resta debout les bras croisés à attendre qu’ils se lassent, le rouge lui montant aux joues au fil des secondes. Visiblement, son manque d’enthousiasme ne fut pas apprécié.
— Ben alors Belpois ? Tu veux pas les récupérer ? Tu préfères que je les lâche ?
Il tendit la main au-dessus de la rambarde de l’escalier, goguenard, faisant dangereusement osciller le précieux artefact au-dessus du vide.
— Rends-les moi, s’il te plaît.
Jérémie savait bien que ça non plus, ça ne servirait à rien. Il n’avait plus que ce ton neutre et poli pour épousseter son honneur en miettes, pour avoir encore l’air un minimum digne. Pour avoir la sensation de ne pas se faire marcher dessus, alors qu’en pratique, c’était quand même ce qui arrivait.

Un bruit de course résonna dans la cage d’escalier.
— Tu vas lui rendre tout de suite ! rugit une voix de fille.
Le cœur du blondinet fit un bond. C’était elle, son salut. Yumi remontait les marches quatre à quatre, le regard brûlant de fureur, son carré noir virevoltant autour de sa tête. Une tornade. Une redoutable déferlante redressant les torts qu’on faisait à son meilleur ami.
— Dégage Ishiyama ! Si tu t’approches je les lâche ! menaça le caïd, qui pourtant n’était pas tranquille.
Yumi ne fit pas mine de ralentir sa course. Elle était une flèche : rapide, implacable, imparable, déterminée, et avec une destination très précise. L’adolescent hésita, sentant la situation lui échapper un peu plus, jusqu’à ce qu’elle se rue droit sur lui. Jérémie se dépêcha de s’extirper de la mêlée, ne voyant qu’à moitié où il allait. Ce ne fut qu’à un ou deux mètres de distance qu’il souffla en s’adossant au mur, estimant s’être tiré d’affaire. Au ralenti, il vit ses lunettes voler jusqu’à lui par un miracle inespéré. Il les attrapa aisément et les chaussa, pouvant ainsi savourer la revanche qu’il prenait indirectement sur ses tortionnaires. Un petit sourire hautain revint se ménager sur ses traits. Ces imbéciles allaient voir.
La jeune japonaise n’y alla pas de main morte. Les coups de pied plurent, ceux de poing aussi, le tout dans un enchaînement de mouvements fluides. Elle était impressionnante, une vraie furie qui contrastait sans mal avec son naturel jovial et rieur. Jérémie éprouvait énormément d’admiration pour sa meilleure amie. Jamais il n’aurait été capable de se défendre aussi efficacement qu’elle. Peut-être faudrait-il qu’il se mette aux arts martiaux un jour… et encore, ça ne suffirait pas, vu le temps qu’elle consacrait à cette discipline !

Le petit groupe fila sans demander son reste, échappant autant que possible à une raclée mémorable. Yumi les regarda fuir dans l’escalier avec un air glacial. L’un d’entre eux trébucha et eut l’air de se faire plutôt mal. Une fois les adolescents hors de sa vue, elle se précipita aux côtés de Jérémie, retrouvant une expression plus empathique.
— Tout va bien ? Ils t’ont frappé ?
— Non, t’es arrivée juste à temps, répondit le petit génie avec un sourire rassuré.
Elle l’examina tout de même, vérifia qu’il avait les lunettes en bon état, puis seulement estima qu’il disait la vérité et l’étreignit quelques secondes.
— Je m’attendais pas à un retour au collège aussi mouvementé, soupira-t-elle, les poings sur les hanches. Bon. Tant mieux si t’as rien. Par contre on est en retard !
Elle n’avait pas tort, il était temps de se mettre en marche. Alors qu’ils descendaient l’escalier, Jérémie s’étonna :
— Comment t’as su où j’étais ? Et d’abord, t’es revenue quand ?
— J’étais chez le médecin ce matin, pour être sûr que tout allait bien, je suis revenue que ce midi, et Odd m’a dit que t’étais pas descendu manger. J’ai vite déduit où t’étais, et comme t’arrivais pas…
Ils échangèrent un sourire complice, rôdé pendant des années d’entente.
— T’es géniale Yumi, avoua Jérémie.
— Je sais ! répondit-elle avec un large sourire enfantin. On fait la course ?


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Trouver un bon lieu pour ses réunions avait été l’une des priorités du petit groupe à sa formation. La cour de récréation n’était même pas une option, beaucoup trop exposée et fréquentée. Le parc pouvait éventuellement convenir, s’il n’y avait pas eu un million de cachettes possibles pour quelqu’un qui aurait souhaité les épier. La maison de Yumi était plus compliquée d’accès, et la présence de la famille de la jeune fille était assurément un problème. Ne restaient plus guère que les chambres à l’internat, malgré le manque d’épaisseur des parois. En baissant le ton, elles fournissaient l’intimité requise… tant que Jim ne s’apercevait pas de la présence un peu trop régulière de Yumi, externe de son état.
Restaient deux possibilités. A l’époque on avait privilégié la chambre qu’Ulrich occupait seul, mais depuis l’arrivée d’Odd, la pièce était hantée par Kiwi. Jérémie avait alors catégoriquement refusé d’y mettre les pieds, et ils s’étaient rabattus dans sa propre chambre, qui était hélas un peu plus petite.

La pièce était finalement lourdement meublée. Une armoire tassée contre le mur, à côté du lit. Un bureau qui courait sur tout un coin de la chambre, peuplé d’écrans d’ordinateur et d’autres composants informatiques. Les étagères à droite abritaient une horde de livres d’informatique, ou d’autres sciences plus ou moins dures : biologie et entomologie, psychologie, physique et astrophysique, mathématiques (avec une préférence marquée pour l’algèbre), paléontologie, géologie, et même une petite introduction à la philosophie des sciences. La chambre de Jérémie incarnait ces foutoirs organisés remplis de dizaines de choses parfaitement bien positionnées, que pourtant les esprits extérieurs ne considéraient que comme chaotiques.
Ils étaient au complet. Ulrich, cet éternel air renfrogné sur le visage, était resté debout, appuyé contre le mur, comme il aimait faire. Il adorait cet aspect mystérieux et inébranlable que ça lui donnait. De plus, il restait près de la porte, laissant traîner une oreille pour vérifier quand quelqu’un passait dans le couloir. Yumi, elle, avait ôté ses chaussures pour s’installer sur le lit de Jérémie. La couette recouverte d’un motif étoilé bleu était impeccablement faite, au point que la jeune fille avait presque des scrupules de la déranger de la sorte. Elle avait repris du poil de la bête durant sa période de convalescence, et ses yeux noirs en amande brillaient d’une flamme enthousiaste. Elle s’assurait cependant d’être assez loin de la chevelure blonde enduite de gel d’Odd, qui balayait l’espace derrière lui quand il tournait la tête. Le plus novice du groupe était assis par terre, les oreilles grandes ouvertes. Il avait l’air effroyablement sérieux, malgré son costume violet et sa coiffure improbable.

Assis sur sa chaise de bureau, Jérémie les observa soigneusement un par un, installé derrière ses lunettes comme derrière la balustrade d’un balcon.
— Bonjour à tous. Motivés pour une plongée demain ?
— Je suis en heures de colle, répondit Ulrich. Oublis multiples d’affaires, la prof d’anglais en a eu marre.
— J’en prends note, on devrait avoir moyen de se débrouiller sans toi, assura Jérémie. Il se trouve que j’ai repéré une activité virtuelle anormale autour de la tour centrale, et j’aimerais que vous alliez voir ça de plus près.
— La tour centrale ? On y va jamais d’habitude, objecta Yumi. Tu préfères pas qu’on soit au complet avant de tenter ça ?
Le blond la regarda quelques instants, puis esquissa un sourire :
— Allons Yumi, ne te sous-estime pas.
Assis par terre, Odd n’avait toujours rien dit. Il fixait le sol en essayant de faire abstraction de ce qu’il entendait. Il était implicitement compté dans l’expédition, il le savait… mais il n’avait aucune envie d’y aller. Impossible de le faire savoir, bien sûr. Il se força à contrôler sa respiration, se déconnectant un peu de ce que Jérémie racontait. Il revit cette forêt qui hantait ses cauchemars, avec ses sentiers tortueux et sa végétation sombre. Même l’herbe paraissait agripper les pieds de son avatar virtuel, comme si elle voulait le tirer sous terre. L’idée lui tira un frisson effrayé. Il avait entendu dire qu’on pouvait être avalé dans l’ordinateur…
Être piégé là-dedans définitivement. Le cauchemar à l’état brut.
— Odd ?
La voix de Jérémie le fit sursauter.
— Euh oui pardon, quoi ? bafouilla l’adolescent, perturbé d’être arraché à ses visions d’horreur.
— Tu es libre demain ?
Le regard bleu acier de son camarade de classe n’appelait aucune contradiction. Odd se sentit cloué sur place, incapable d’échafauder une excuse pour éviter la plongée. Comme empreintes d’un pouvoir magique, les pupilles de Jérémie le forcèrent à répondre oui.
— Parfait ! s’enthousiasma le cerveau du groupe, qu’Odd voyait rarement sourire.

L’adolescent en violet aurait bien voulu pouvoir partager son entrain, mais la virtualité ne lui inspirait qu’un dégoût prononcé. Il avait espéré s’épargner un peu plus cette épreuve avec le retour de Yumi qui remettait les effectifs au complet, mais visiblement, rien n’allait changer…
— T’inquiète Odd, tout va bien se passer, ajouta Ulrich.
Si ça se voulait encourageant, le brun avait encore des progrès à faire en communication. Odd s’efforça de ne pas laisser paraître son trouble.
— Ouais, à l’aise, répondit-il nerveusement.
A la façon dont les autres le regardaient, il sentit qu’il n’avait pas fait exactement le bon choix de réponse. Ou peut-être que c’était sa voix qui avait vacillé ? A moins que ce ne soit son air soucieux qui l’ait trahi. Sa main avait-elle tremblé ? Il n’essaya pas davantage de cacher son malaise, percé à jour.
— Euh, bon bah si on a fini, j’vais vous laisser… marmonna le blond en se levant.
Il ne repéra pas l’échange fulgurant de regards entre les autres membres de la bande. Quand il sortit dans le couloir, il constata qu’Ulrich lui avait emboîté le pas sans dire un mot. Moment gênant. Que dire ? Et puis pourquoi son camarade de chambre l’accompagnait ? Le visage imperturbable du brun n’aidait pas à se faire une idée de ses intentions. Toujours fermé et indéchiffrable. Odd avait pensé passer un coup de fil à Jeanne pour se changer les idées, mais la présence d’Ulrich lui coupait cette possibilité.
— Eh Odd, ça te dit un match de ping-pong au foyer ? finit par proposer Stern, peut-être aussi peu à l’aise que lui.
Subitement, Odd entrevit la lumière, la façon de se sauvegarder de ce moment de malaise. Son cœur fit un bond, galvanisé par la perspective qu’il s’offrait.
— Non désolé, il fallait que je sorte Kiwi ! répondit-il avec un large sourire.
L’adolescent fila jusqu’à leur chambre et ouvrit le tiroir sous son lit, déclenchant quelques aboiements joyeux. Ulrich resta planté dans l’encadrement de la porte quelques secondes, dubitatif, puis s’effaça, un peu comme un ectoplasme à la lumière du jour. Une fois le petit chien bien installé dans son sac violet, Odd ressortit dans le couloir. Stern avait définitivement disparu, et le blond n’avait aucune idée d’où il avait pu passer. Haussant les épaules, il verrouilla la porte et descendit les escaliers d’un pas guilleret. Une fois dehors, il ne put s’empêcher de ressentir un frisson en voyant la lisière du parc.
Ulrich qui filait sans prévenir, et lui qui partait pour le parc, seul… ça ne lui rappelait pas de bons souvenirs.

Malgré tout, Odd poursuivit son chemin, soutenu psychologiquement par le sympathique soleil de fin d’après-midi. Une fois assez avancé, il laissa sortir son animal qui se complut à gambader dans l’herbe. Le blondinet s’assit au pied d’un arbre, gardant la créature à l’œil, et poussa un petit soupir d’aise. Il adorait ces moments de quiétude avec Kiwi. Cette bestiole pouvait lui rendre la pêche en un rien de temps. Tellement drôle de le regarder courir sur ses petites pattes, son museau triangulaire à l’affût d’une distraction. Les gens disaient que son chien avait l’air stupide, mais Odd pensait tout le contraire. Il voyait dans le fond de ces yeux une lueur d’intelligence insoupçonnée. Attrapant un bâton, il le jeta à son compagnon qui courut le chercher avec enthousiasme, pour le ramener quelques secondes plus tard en remuant la queue.
Odd sourit et lui caressa la tête, récupérant le jouet pour mieux lui relancer. Le manège se poursuivit une fois, deux fois, trois fois… jusqu’à ce que l’adolescent se lasse et n’attrape le chien pour lui faire un câlin, perdant son regard dans le ciel. Les cirrus étaient magnifiques aujourd’hui. De jolies volutes blanches sur fond bleu. L’espace d’un instant, il se les figura noirs, et les ombres qui tourmentaient ses rêves s’imposèrent à son esprit. La langue de Kiwi sur ses doigts lui sembla subitement froide et gluante, et il se revit chuter dans l’égout, poursuivi par cette mélasse obscure. Mal à l’aise, il reposa la bête, qui se fit une joie de retourner se rouler dans l’herbe, complètement oublieuse des problèmes de son maître.


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Sigur Rós - Sæglópur (Sense8)

Tout a commencé un soir de réveillon, en solitaire comme toujours chez les Belpois. Solitaire ici se traduit par « mon père et moi », ma mère passant chaque nouvel an en compagnie d'un groupe de bourgeoises cougars qui ne me plaisait pas. J'avais sept ans à l'époque, les ménagères qui avaient passé la quarantaine ne m'intéressaient guère. Après un repas réchauffé au micro-ondes (pas mal les lasagnes de supermarché pour un jour de fête) mon père se mit à zapper d'une chaîne de télé à l'autre. Jusqu'au moment où il fut attiré par une émission diffusée sur Arte qui montrait le spectacle grandiose d'un ciel traversé de rubans fluorescents, à la manière d'un arc-en-ciel nocturne. A minuit, au moment de faire un vœu, je savais ce que je souhaitais vraiment au fond de moi : me rendre un jour dans le Grand Nord et profiter moi aussi de cette fabuleuse vision. J'ai hésité quelques secondes avant de formuler mon rêve à Ludwig (je n'avais jamais vraiment réussi à l'appeler papa même si c'était vraiment mon père) sans savoir que lui aussi avait été irrémédiablement hypnotisé par ces lueurs fantasmatiques. Six mois plus tard, mon rêve est devenu réalité. C'était toujours comme ça avec Ludwig, l'argent n'étant pas un problème... Et il faut reconnaître que le peu de temps qu'il avait à m'accorder était toujours de qualité... ou presque.

Alors que certains ne rêvent que de soleil et de plages pour réchauffer leur hiver centre-européen, nous avons pris, mon père et moi, les chemins de l'exil à contre-sens, cap sur le Nord ! Ma mère n'avait pas tenu à nous accompagner, privilégiant à notre aventure un city-trip entre copines à Barcelone. Si seulement elle avait su ce qu'elle s'apprêtait à manquer ! Première étape de notre périple, nous atterrissons à l'aéroport de Tromsø, ville portuaire du nord de la Norvège et point de départ de quasi toutes les expéditions vers le Grand Nord. C'est là que nous attend le Hurtigruten (littéralement « voie rapide »), le fameux bateau qui nous mènera, en longeant la côte, jusqu'au cercle polaire. Avant d'embarquer, nous nous promenons dans les rues de cet ancien comptoir commercial devenu aujourd'hui une cité universitaire animée. Le centre-ville, avec ses pittoresques maisons colorées et ses nombreuses voies piétonnes, offre de multiples possibilités de shopping. Pas de mon âge vous direz ! Pourtant, il y avait quelque chose de redoutablement efficace au sein de ces petites échoppes. Faut avouer que le patrimoine artisanal est très riche dans cette région et le choix est difficile parmi les pulls tricotés main, les verres soufflés aux mille couleurs, les bougies parfumées et les délicieux chocolats chauds entre autres ! Une visite au Polaria Centrum, musée dédié à l'aurore boréale, nous prépare à l'expérience insolite qui nous attend. Si les explications scientifiques sont parfois trop complexes pour le commun des mortels, je comprends tout de même que tout dépend de l'interaction entre le champ magnétique terrestre et la puissante matière émise par le soleil. Evidemment, c'est un procédé tout à fait imprévisible. Pouvoir le vivre serait donc un coup de chance... Avec le recul, j'étais vraiment stupide à l'époque pour ne pas comprendre un phénomène aussi simple.

Après notre petite visite touristique, nous nous dirigeons vers le port pour embarquer sur le Hurtigruten. Contrairement à la plupart des bateaux de croisière, celui-ci n'offre aucun spectacle à bord. Ça aurait été dérisoire, ici c'est la nature qui fait le show ! Ce voyage, entre fjords et montagnes, est paraît-il l'un des plus beaux du monde. Du moins, c'est ce que nous dit la guide... mais pas la peine de préciser que je la crois sans peine ! Un membre de l'équipage en profite aussi pour nous signaler que chaque cabine est équipé d'un bouton qu'il suffit de presser pour être averti de l'apparition d'une aurore boréale en pleine nuit. Inutile de dire que Ludwig s'empresse de l'activer : « On dormira quand on sera morts ! » étant sa devise préférée.

Bien emmitouflé (ça caille vraiment sur place !), je me hisse jusqu'au pont supérieur du navire. Il fait nuit noire, mais au loin, les lumières de la ville de Tromsø ont quelque chose de féérique. Je m'amuse à déposer mon souffle chaud sur les barreaux gelés du ponton quand, tout à coup, un passager pointe son doigt vers le ciel et désigne une ligne verte phosphorescente. Se pourrait-il... ? Déjà ?! J'ai peine à y croire mais c'est bien une aurore boréale ! Ludwig est comme un gosse, le visage illuminé comme jamais et les pupilles remplies d'une excitation enfantine, à se demander qui est vraiment l'adulte dans notre duo... Pourtant, dès qu'il remarque que je l'observe, il reprend cette posture si sérieuse et sévère à la fois, les sourcils froncés et l'attitude du corbeau au plumage sombre qui surveille sa proie de très près.

Il en profite alors pour me jeter un regard froid, si froid qu'il m'en a flanqué le frisson, tout en prononçant cette phrase lourde de sens : « Il faut toujours garder son calme Jérémie, en toutes circonstances. »
Mal à l'aise, je reporte mon attention sur le spectacle qui est sur le point de commencer. Un fin ruban lumineux danse doucement vers le ciel, puis s'amplifie et s'étend comme un voile aux couleurs changeantes, passant du vert au jaune, de l'orange au fuchsia et puis au rouge. Au cours de ce ballet aérien, que j'imagine comme une étreinte fraternelle des astres entre eux, le rayon de lumière prend toutes les formes et évoque tour à tour une volute de fumée, une tornade, un ovni ou encore le génie s'échappant de la lampe d'Aladin (référence d’enfant évidemment, on ne pense qu'aux films Disney à cet âge). Ce spectacle fascinant dure plus d'une heure, peut-être deux. Par moments, le ciel est entièrement bercé par ce feu intense qui le déchire de l'intérieur. Mon rêve s'est réalisé. Ce voyage qui vient à peine de commencer m'a déjà permis de vivre une expérience magique. Tout ce qui se produira désormais n'est que bonus...

Le lendemain, notre bateau met le cap sur Honningsvåg, la dernière petite localité habitée avant le Cap Nord, située sur la côte sud-est de l'île de Magerøya dans le comté de Finnmark. Ce village de pêcheurs doit sa prospérité aux usines de congélation de poissons ainsi qu'aux nombreux navires de croisières qui y font escale. Un vrai régal les restos là-bas ! Mais on a peu de temps devant nous, il nous faut déjà emprunter le bus qui nous conduira au mythique Cap Nord. En chemin, nous assistons à un nouveau spectacle merveilleux : le lever du soleil. Il ne s'est plus montré depuis le vingt novembre. Ce n'est que depuis hier, vingt-trois janvier 1997, qu'il est à nouveau visible. Notre guide est tellement heureuse de revoir la lumière du jour qu'elle interrompt à maintes reprises ses explications pour jouir de la présence de l'astre.

« Ici, les enfants ont congé le jour du retour du soleil afin de leur permettre d'en profiter pleinement et de se promener dans la nature en cette période qui apporte une nouvelle prospérité » nous dit-elle d'un air enthousiaste en multipliant les regards vers la sphère jaune qui perce peu à peu l'épaisse couche de coton blanc qui nous protégeait de ses rayons.
Nous longeons ensuite une petite plage surnommée Copocabana, un classique. Malgré ce nom séduisant digne du territoire brésilien, la baignade est inenvisageable car même en plein été la température de l'eau n'excède jamais les 5 °C.

Sous bonne escorte, notre bus est précédé de deux chasse-neiges. Pour se rendre au Cap Nord, il est indispensable de disposer d'une autorisation en bonne et due forme ainsi que d'une présence locale qui veillera à la protection du trésor fragile que nous nous apprêtons à découvrir. Les routes ne sont pas éclairées, les fissures nombreuses, les voies dangereuses et il faut vraiment les connaître parfaitement pour atteindre sans encombres sa destination. Notre convoi avance sans problème majeur, avec une pause de cinq minutes à mi-chemin pour les besoins naturels et pour se dégourdir un peu les jambes. Quelques heures plus tard, nous voilà arrivés au point le plus septentrional du continuent européen ! J'ai vraiment l'impression de poser les pieds sur une autre planète... La vue des falaises enneigées est magnifique, tout est de glace et brille de mille feux. Lunettes de protection obligatoires ! Je ne ressens pas trop le froid malgré la température avoisinant les -10 °C. Je regarde Ludwig et, pour une fois, je sais qu'il pense exactement la même chose que moi.

L'être humain est vraiment minuscule dans cette blancheur infinie.

— Tu vois Jérémie, c'est cela un vrai monde sans danger, la sérénité à l'état pur !
— Dommage que ce soit si loin de chez nous, soupirai-je. Peu probable que j'aie la chance de contempler à nouveau un paysage aussi magnifique dans ma vie... Si seulement je pouvais avoir cette vue depuis Paris !
— Rien n'est impossible, sourit Ludwig – j'ai même cru qu'il m'avait adressé un clin d'œil ! –, rien n'est impossible mon fils... Tu l'auras ta vue splendide à deux pas de la maison, rien que pour toi, c'est promis...


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Quand Odd regagna sa chambre, Ulrich ne s’y trouvait pas. Le blond haussa les épaules, supposant qu’il devait être parti faire un match de foot avec ses camarades. Finalement ce n’était pas plus mal, il avait la chambre pour lui tout seul. Il libéra Kiwi dont les pattes étaient désormais couvertes de terre, et s’étala de tout son long sur son lit. Il ferma les yeux, inspira une fois, deux fois. Pour une fois, il n’était pas vautré là pour subir le film torturé de son inconscient. Pour une fois, il pouvait se laisser aller, sans avoir à craindre la destination de ses errances. Pour une fois, il était en paix. Au fond, la solution était simple : ne jamais dormir. Si seulement il avait pu. Ne jamais dormir, ne jamais mettre les pieds sur ce maudit monde virtuel, et il s’en porterait beaucoup mieux.
Quel dommage que ce soit impossible.

Il écouta Kiwi gratter au sol et continuer à batifoler dans la chambre, sans savoir comment l’animal faisait pour avoir autant d’énergie. Etait-ce parce que lui avait le sommeil paisible ? Quelle vie simple avait ce chien, il l’enviait. Lui n’avait pas de grand serment de protection du monde, lui n’était pas enchaîné par un secret trop lourd à porter…
Odd se rappela de l’existence d’exercices de mathématiques pour le lendemain. Avec un soupir des plus marqués, il se redressa et fouilla dans son sac de cours pour en extraire le manuel, sa trousse et son cahier. Il l’ouvrit, se rappelant avec un sourire de l’allure de celui de Jeanne, et s’allongea à plat ventre sur son lit pour faire ses devoirs. Une posture peu studieuse, mais Odd ne comptait pas prendre ça très sérieusement. Il recopia distraitement l’énoncé, oublia le numéro de l’exercice, commença à dérouler un calcul décousu avec une ou deux erreurs d’inattention. Ce n’était pas vraiment qu’il ne savait pas calculer de tête, c’était juste qu’il n’avait pas envie. Ses parents répétaient toujours qu’il était quelqu’un de très intelligent.
Il repéra par inadvertance une faute de copie… à la deuxième ligne de son calcul. Après un long soupir parfaitement audible, il écrivit le numéro de l’exercice suivant, qui portait sur de la géométrie. Odd fit un superbe triangle équilatéral à main levée, regrettant que l’on ne le note pas sur sa capacité à dessiner. Un bruit retint son attention dans le coin de la pièce, et il releva la tête.

— Eh, Kiwi, sors ta tête de là ! ordonna-t-il, constatant avec une mine contrariée que son chien fouinait du côté des affaires d’Ulrich.
Un jappement joyeux lui répondit, mais l’animal ne fit pas mine d’arrêter de retourner la valise de son camarade. Un peu angoissé par la tête que ferait Ulrich s’il rentrait maintenant, Odd se leva pour aller attraper le chien.
— Kiwi, stop !
Evidemment, c’était le jour que Kiwi avait choisi pour être espiègle et se dissimuler en entier dans la valise. Priant tous les dieux du monde pour qu’Ulrich reste à l’écart de la chambre pour la prochaine heure au moins, Odd ouvrit le bagage. Le mouvement chaotique de Kiwi projeta un T-shirt dans la figure du blondinet, qui l’ôta avec agacement et saisit la bestiole à deux mains.
— Toi tu vas retourner dans ton tiroir fissa ! menaça-t-il. Eh ! Mais lâche ça !
Une sorte de livre traînait dans la gueule de Kiwi, qui avait l’air très fier de sa trouvaille. Odd blêmit. Ulrich détestait que le chien s’approche de ses affaires. Fort heureusement, l’adolescent réussit à faire ouvrir la gueule à son animal et à en extraire l’ouvrage, qui ne souffrait d’aucun dommage à part beaucoup de bave sur la couverture.
— Tu sais ce qu’Ulrich va te faire s’il tombe là-dessus ? siffla Odd à voix basse. Psht, dans ton tiroir !
Il pointa la tanière du chien, laissée ouverte exprès pour qu’il puisse y retourner si le besoin s’en faisait ressentir. Penaud, Kiwi alla s’installer sur son semblant de coussin, décidé à se faire oublier pour le moment. Odd essuya d’un revers de manche la couverture. Il hésita. Tout remettre en place et faire comme si rien ne s’était passé ? Alors pourquoi est-ce que ses doigts s’approchaient aussi irrépressiblement du coin du livre pour l’ouvrir ? Pas de titre, couleur unie, et… eh ! mais c’était un album photo !
La curiosité d’Odd prit le dessus et il feuilleta avidement. Il tomba sur des photos d’Ulrich et sa famille, pouffa devant une photo d’Ulrich plus jeune, puis finit par arriver à une page où il n’y en avait qu’une, toute seule. Et pourtant, elle parlait beaucoup plus à Odd que tous les clichés qu’il avait pu voir auparavant.

C’était la rambarde d’un pont. Un pont qu’il connaissait, et dont la simple vue le remplissait d’effroi. Le pont de la vieille usine. Face à la rambarde, le fleuve derrière eux, on trouvait un groupe d’adolescents. Eux aussi, Odd les connaissait. Il y avait un brun taciturne aux bras croisés, le regard perdu dans le lointain. Un petit blond à lunettes qui essayait de s’éclipser furtivement du cadre, mais était retenu par un bras passé autour de ses épaules. Celui d’une jeune japonaise vêtue de noir, qui arborait un large sourire et se chargeait visiblement de prendre la photo de l’autre main. Et ensuite, tout à droite, il y avait cette anomalie.
C’était une fille, qu’il ne connaissait pas. Elle avait de longs cheveux roux, un sourire franc, et une myriade de taches de rousseur sur le visage. Troublé, Odd examina l’image pendant encore une ou deux secondes avant de se rappeler qu’Ulrich pouvait rentrer d’une minute à l’autre. Il tira son portable de sa poche, et se félicita que ses parents aient mis le budget dans un appareil capable de prendre des photos, ce qui n’était pas le cas de tout le monde au collège. Une fois sa trouvaille immortalisée, Odd se dépêcha de remettre à peu près en ordre la valise de son camarade. Lorsqu’il estimait qu’elle correspondait à son état initial, il se replia dans son lit, le cœur battant. Son livre de maths fut l’alibi parfait à utiliser pour prétendre faire autre chose au cas où Ulrich reviendrait.

Pourtant, là où ses yeux lisaient éternellement la même ligne de l’exercice 3 page 60, ses pensées caracolaient en désordre sous son front. Qui était cette fille ? Qu’est-ce qu’elle faisait à l’usine avec eux ? Pourquoi ne l’avait-il jamais croisée ? Qu’était-elle devenue ? Etait-elle toujours en vie ? Il paraissait assez évident qu’Odd ne pourrait poser aucune de ces questions à ses camarades. Il n’avait jamais entendu parler de l’inconnue, ce n’était pas pour rien. On lui cachait des choses, toujours.
Mais cette fois… il ne se laisserait pas faire. Oh non. Cette fois, il découvrirait ce que les autres lui cachaient. Et il avait déjà sa petite idée de comment il y parviendrait.
_________________
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Dernière édition par Sorrow le Lun 08 Oct 2018 18:25; édité 1 fois
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Silius Italicus MessagePosté le: Mar 05 Déc 2017 22:09   Sujet du message: Répondre en citant  
[Krabe]


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Bonsoir cher Sorrow
Ainsi vous versez dans les couleurs de modes ?

Il y a encore quelques points peu éclaircis dans cette histoire, en fait elle serait plus proche d’un univers alternés que d’une suite ou d’une divergence. C’était déjà solidement en germe dans le prologue, mais la suite, en particulier la partie finale du second chapitre tend à le confirmer. L’absence d’Aelita reste d’ailleurs particulièrement notable.

Pour l’instant ce récit se concentre plus sur la construction d’une ambiance et de portraits que sur une progression. Ce qui n’est pas plus mal, un monde solidement campé c’est une histoire qui se porte bien : qui va piano va sano.
Pour ce qui est de cette ambiance, elle est assez proche de ce que l’on pourrait trouver chez Icer, du moins au début de l’échiquier ou dans ces écrits portés sur la vie quotidienne. L’usage récurrent de l’ironie, quoique plutôt par le biais de la destruction du quatrième mur, est aussi un élément de ressemblance. Cela dit, il y a deux différences de taille.

Tout d’abord, l’usage de la métaphore. Il y a véritablement une recherche de style. Celle-ci se fait essentiellement dans l’usage de la métaphore. Par exemple dans l’attribution de saisons à certain personnages par Jeanne. C’est sans doute le cas le plus marquant et le plus réussi. Mais comparaison et métaphore abondent. Parfois trop. En effet, la recherche permanente de ces figures, si elle arrive à ne jamais alourdir la lecture — ce qui en soi est loin d’être donné à tout le monde — tire parfois sur la corde. Il y a des moments où le vocabulaire semble peu maîtrisé. Zéphyr en avait déjà fait la remarque dans le cas du prologue. Il n’y a rien de grave, ce n’est que la vivacité de la plume qui parle, mais il faut veiller au grain, ce qui est toujours dur.

Ensuite, il y a la volonté de poser des portraits psychologiques un peu élaborés et contrastés. L’exemple ici serait le cas de Jérémie : pour Jeanne il est d’une grande froideur, pour Yumi c’est l’ami chaleureux. Son propre jugement sur lui-même tendrait plutôt du côté du froid. En tout cas, il y a la volonté de ne pas avoir des personnages monolithiques. Ou peut-être juste lui, l’avenir nous le dire.

En attendant, l’ambiance qui se dégage de ce récit est plutôt légère et sympathique, et ce en dépit des révélations finales, en dépit de la dépression prononcée d’Odd. Comment dire ? Les personnages gravitant autour d’Odd semble plutôt heureux, à des titres divers s’entend, il s’ensuit que l’état d’Odd ne se fait pas vraiment sentir. À ce stade le lecteur hésite entre deux interprétations : ou c’est voulu par l’auteur, c’est-à-dire qu’il s’agit de représenter ce qu’est la dépression du point de vue d’un individu qui est au bord de cet état. En effet, le dépressif ne se montre jamais tel quel. Il donne le change le plus longtemps possible, pour de multiples raisons, dont on peut citer quelques unes : le sentiment qu’il y a plus grave ou important que lui, l’idée qu’il peut combattre son état par ses seules forces, qu’en prétendant être heureux il le deviendra, le refus d’accepter son état… Odd présente certaines de ces caractéristiques.

Ou il s’agit d’une inadéquation — temporaire — entre la gravité des enjeux et le style du récit. C’est un autre point qui sera sans doute aucun approfondi par des publications ultérieures. En effet voir Odd, ainsi que le fait son amie, au carrefour entre démence et sérénité, c’est, semble-t-il, beaucoup préjuger de son état. D’autant que si l’on peut voir comment il basculerait dans la folie, ou plus certainement dans l’apathie, la bascule dans la sérénité — état que les anciens considéraient comme presque divin — est un peu plus difficile à envisager. Le terme de sérénité revient d’ailleurs lors du voyage norvégien de Jérémie. Voyage qui approfondit sa relation avec l’hiver. Ce passage laisse à penser qu’en fait Jérémie cherche à incarner cette saison, aspire à cette sérénité. C’est sa tentation. Mais elle s’accorderait sans doute mal avec la présence de Yumi.

Dans tout cela, il manque un portrait d’Ulrich, sans qui la bande n’est pas au complet. Dans le même ordre d’idée, William n’est pas encore apparu non plus. Non qu’il y ait quelques obligations à faire l’une ou l’autre de ces choses.

Une petite remarque orthographique : « quoique certaines filles furent à dénombrer sur le terrain elles aussi », le verbe devrait être « fussent », à l’imparfait du subjonctif, parce que « quoique » se construit avec le subjonctif. Notez que votre récit étant au passé, vous avez le choix entre employer un imparfait du subjonctif ou un présent du subjonctif.

Au plaisir de voir Odd confronter le passé du groupe.
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Sorrow MessagePosté le: Dim 10 Déc 2017 12:21   Sujet du message: Répondre en citant  
[Kankrelat]


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Spoiler


Chapitre 3
Des bleus et du blues


Il jeta un regard nerveux derrière lui, sachant pertinemment que personne ne le suivait. Ulrich faisait son jogging, Yumi était rentrée chez elle en attendant la mission de cette après-midi, et Jérémie s’enchaînait à son PC. Il était en sécurité, n’est-ce pas ?
Accélérant le pas, il se dirigea vers l’internat, sans croiser personne de vraiment connu. Quelques camarades de classe qui le saluaient rapidement, la silhouette de Jim dans un coin de la cour. Il avait hésité à aller voir Jim pour cette histoire de photo, il avait vraiment hésité. Mais un adulte, c’était une trop grande menace pour le secret. Et puis, Jim aurait posé des questions, aurait voulu lier ça à son soi-disant problème de harcèlement scolaire… non, décidément, il ne fallait pas l’impliquer.
Odd avait quelqu’un d’autre en tête. Timidement, il se glissa dans l’escalier de l’internat, et les monta avec l’impression d’être en train de commettre un cambriolage. Alors que non, pas du tout ! Il fallait qu’il se détende bon sang. Tout allait bien se passer. Les autres ne pouvaient pas savoir. Aucun d’entre eux ne l’avait vu. Et puis ils ne soupçonnaient même pas qu’il ait trouvé la photo dans la valise d’Ulrich ! Il se força à calmer sa respiration. Du calme, Odd. Arrête d’avoir l’air suspect, Odd.

Il sentait pourtant son cœur accélérer alors qu’il gravissait les marches, et ça n’avait rien à voir avec l’effort physique. Il allait vers l’étage du dessus. C’était Jim qui le désignait comme ça, et qui avait strictement interdit les déplacements d’un étage à l’autre. Odd avait l’impression de profaner un lieu sacré à chaque pas supplémentaire qu’il faisait dans ces terrifiants escaliers. Interminables, bon sang. Il savait bien que le décret de Jim était régulièrement contourné par pas mal d’élèves, souvent plus âgés que lui, mais il ne pouvait s’empêcher de craindre ce qui se passerait si jamais un adulte l’attrapait ici…
« Du calme Odd, Jim est dans la cour. » se tranquillisa-t-il, un peu en vain.
Il crispa un peu ses doigts autour de la rampe pour les empêcher de trembler. Il y était.
Il s’avança dans le couloir de la mort, regardant tour à tour les portes en réalisant seulement maintenant qu’il n’avait aucune idée de la chambre où il devait frapper. Quel crétin ! Aucun moyen de savoir, à moins de frapper à toutes, ou d’écouter aux portes… mais rien de plus louche évidemment. Il pourrait demander son chemin, mais si par malheur ça retombait dans les oreilles de la bande, il était fichu ! La panique se fraya un chemin dans son cœur, insidieuse compagne aux doigts crochus. Qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir faire, hein ? Rebrousser chemin comme un idiot ?
En plus, elle n’était peut-être même pas là…

Son cœur tomba dans sa poitrine quand il repéra une feuille de papier scotchée sur une porte. « Sissi Delmas » avec un cœur dessiné autour. Ça ne pouvait être que là, il n’y avait qu’elle pour afficher son nom sur sa porte avec autant de prétention. Et si elle n’était pas dans sa chambre, hein ? Oui mais il ne saurait jamais s’il ne frappait pas… Non, cette porte était bien trop impressionnante, il n’oserait jamais ! Allez bon sang, c’était pas si difficile…
Il leva une main chancelante et toqua timidement. Pas de réponse. Oui mais elle n’avait peut-être pas entendu ? Il fallait réessayer, avec plus de cran…
Deux coups, un peu plus marqués. Cette fois, une voix traînante et trop aigue lui répondit :
— Oui, c’est pour quoi ?
Odd s’apprêtait à pousser légèrement le battant quand il s’ouvrit de lui-même. Dans l’encadrement, une jeune fille de son âge, plus grande que lui parce qu’Odd n’avait pas attaqué sa poussée de croissance (selon lui), et aussi parce qu’elle avait une paire de talons. Un regard sombre à faire fléchir bon nombre de personnes, un bandeau mauve dans ses cheveux impeccablement ordonnés qui tombaient net sur ses épaules, et ces petits grains de beauté sur les pommettes. Elle portait un pantalon assez moulant pour suggérer ses jambes de jeune adolescente, et un haut court marqué d’une référence à un groupe de pop qu’il ne connaissait pas. L’impératrice Elisabeth Delmas au faîte de sa gloire. Odd se sentit minuscule.
— Euh, Sissi, je peux te parler ? demanda-t-il d’une toute petite voix.
— Non je n’irai pas au cinéma avec toi, rétorqua-t-elle avec un soupir méprisant tout étudié.
— C’est… c’est pas pour ça, bafouilla-t-il, déstabilisé par sa répartie. C’est important, laisse-moi rentrer !

Elle le toisa quelques secondes interminables. Il aurait juré que sa flamboyante coiffure se fanait sous son regard. Si elle l’envoyait balader, il était fini.
— Très bien, tu as cinq minutes, répondit-elle finalement, peut-être emportée par la curiosité.
Sissi s’écarta de l’entrée pour aller s’asseoir sur son lit semé de coussins. Odd, toujours intimidé, pénétra dans un lieu où nombre de garçons auraient aimé s’introduire. La pièce était dans les tons roses, tapissée de posters d’acteurs ou de chanteurs célèbres. Le bureau n’avait pas l’air de crouler sous les affaires de cours, contrairement à la penderie entrouverte qui, elle, croulait sous les vêtements. La jeune fille croisa les jambes et darda sur lui un regard impatient.
— Les cinq minutes peuvent passer très vite, Odd, précisa-t-elle d’une voix sèche.
Le petit blondinet sortit son portable de sa poche, afficha la photo sur l’écran, et lui montra.
— Je voulais savoir qui était cette fille.
Quand elle posa les yeux sur l’image, le visage de Sissi se décomposa lentement. Livide, elle lui rendit l’appareil et demanda :
— Où tu as eu cette photo ?
— Dans les affaires d’Ulrich, avoua Odd en regardant ses pieds. J’ai trouvé ça bizarre, je l’avais jamais vue et…
La fin de sa phrase mourut au fond de sa gorge quand il constata qu’il ne savait pas comment continuer. Sissi regardait dans le vide à présent, pianotant sur son lit de ses ongles parfaitement manucurés. Elle non plus ne savait donc pas quoi dire ?

— Elle s’appelle Clara, Clara Loess. C’était ma meilleure amie à Kadic.
L’emploi de l’imparfait colla un coup de poing au ventre d’Odd. Elle était morte ? Pour lui qui avait semblé prendre sa place dans la bande, c’était plutôt inquiétant… certes, son propre recrutement avait été plutôt accidentel, mais enfin…
— On se connaissait depuis l’école primaire, raconta Sissi, bizarrement ouverte. L’année dernière, à notre entrée au collège, elle a commencé à traîner un peu avec la bande à Belpois, je crois qu’ils s’étaient rencontrés pendant les vacances ou quelque chose comme ça… en tout cas, ils ont passé de plus en plus de temps ensemble. Bien sûr, elle avait le droit d’avoir d’autres amis que moi, mais ils passaient leur temps à disparaître tous les quatre. Je n’ai jamais su ce qu’ils trafiquaient de si mystérieux.
Odd garda le silence, blême. Lui savait parfaitement ce qui se tramait. L’ombre du Supercalculateur pesait donc bien sur toute cette affaire.
— Et… et ensuite ? demanda-t-il sans aucun tact.
Elle le foudroya du regard.
— Ensuite ? Un accident de vélo, assez grave pour qu’elle soit déscolarisée quelques temps. Peut-être qu’elle avait d’autres soucis à part ça, je ne sais pas. Je n’ai plus eu de contact avec elle depuis.
Un petit poids s’envola du cœur d’Odd. Un bête accident de vélo, et Clara était toujours vivante. C’était assurément une bonne nouvelle, mais alors pourquoi les autres ne lui en avaient-ils jamais parlé si elle était supposée revenir au bout d’un certain temps ? Jamais une mention, alors que c’était leur amie, s'il en jugeait par la photo…
— Plus de contact ? se désola Odd. Tu es sûre que je ne peux pas essayer de la joindre quand même ? Tu dois bien avoir son adresse ou quelque chose ?
— Pourquoi tu tiens à ce point à la rencontrer, Odd ? répliqua Sissi avec une petite dose de venin. Tu veux découvrir ce que tes chers amis pouvaient trafiquer de si mystérieux avec elle ? Clara ne m’en a jamais parlé à moi, je ne vois pas pourquoi elle se confierait à un inconnu. On dirait que Belpois, Stern et Ishiyama ne t’ont rien raconté non plus, c’est dire à quel point tu comptes pour eux, ajouta-t-elle avec un reniflement méprisant.
Il l’avait froissée. Mais il sentait que son ouverture n’était pas totalement perdue. Il sentait qu’elle avait elle-même été peinée par cette histoire, que son amie lui manquait, et qu’elle ne s’en était jamais confiée à personne. Car jamais l’impératrice Elisabeth n’ouvrait son cœur de glace. C’était la règle numéro 1 pour avoir la suprématie au collège.
— Je veux quand même essayer, murmura Odd. Je veux essayer de découvrir ce qu’ils me cachent. Si j’y parviens, je te raconterai tout aussi.
Pieux mensonge, surtout quand on savait à quel point le secret le tenait pieds et poings liés. Mais ça avait le mérite de se tenter. Sissi était assez curieuse pour essayer, même si son orgueil lui interdisait de se faire devancer sur une piste par un petit blondinet rachitique comme lui. Elle lui rit au nez, d’ailleurs, avec une certaine élégance.
— Mon pauvre Odd, tu n’arriveras à rien.

Elle se leva, fit quelques pas d’une démarche qu’elle avait dû travailler des heures durant devant son miroir, puis alla déchirer une feuille rose d’un de ses carnets à spirales d’adolescente. Attrapant avec adresse son stylo-plume violet de la main droite, elle traça quelques mots de l’écriture ronde et fluide si enviée au genre féminin, puis revint vers lui en lui tendant le morceau de papier, d’un geste un peu hautain comme elle savait si bien les faire.
— J’espère, pour le cas où je me tromperais, que tu sauras te rappeler qui a choisi de t’aider.
Odd lut l’adresse. 15 Rue Jean de la Fontaine, Paris. Il leva les yeux vers l’adolescente, qui lui rendit un regard ennuyé.
— Eh bien, tu as ce que tu veux, non ? Allez, file, et ne te fais pas remarquer en sortant, soupira-t-elle. Pense aux ragots que ça pourrait déclencher…
Elle le congédia d’un petit geste méprisant qui s’efforçait de dissimuler le service qu’elle venait de lui rendre. Un pâle sourire éclaira les traits d’Odd, qui s’empressa de fourrer le papier au plus profond de sa poche.
— Merci Sissi !

Sissi leva les yeux au ciel face à ce sourire joyeux et referma la porte derrière lui. Dans le couloir, Odd se sentait à nouveau trembler, mais d’excitation cette fois. Il avait une piste. Il se sentait déjà moins perdu dans cette histoire. Une fois qu’il aurait mis la main sur Clara, il escomptait bien obtenir d’elle plus d’informations sur les magouilles de ses trois camarades… Et là, enfin, il aurait l’impression de maîtriser ce qui se passait, d’avoir vraiment pied dans cette histoire de fou ! D’avoir autorité, peut-être, pour leur dire ce qu’il fallait vraiment faire : éteindre le Supercalculateur, maintenant et à jamais.
Mais ne sais-tu pas, Odd ? Plus près du secret, c’est aussi plus près du danger…


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Mosimann - Never let you go

Après avoir effectué son jogging dans le parc, Ulrich ne pensait plus qu'à se procurer une seule chose : un peu de chaleur, qu'elle soit humaine ou artificielle. Ses baskets Nike n'avaient pas tenu le coup et ses chaussettes étaient littéralement trempées. Chaque pas était désormais une torture pour ses petits pieds frileux et tout mouvement dans ces chaussures à la pointure étriquée provoquait un bruit de succion détestable. Il ne sentait pas la rose non plus et ses mollets – il portait un short – étaient parsemés de petites traces brunâtres, le parc étant trempé suite au déluge des derniers jours. Pensant d'abord se réfugier dans le bâtiment-dortoir pour s'octroyer une douche bien méritée, Stern fut attiré par un brouhaha provenant visiblement du préfabriqué le plus emblématique de Kadic, demeure sacré de la suprême Rosa. Il se dirigea donc dans cette direction, se reprochant intérieurement d'avoir été si négligent dans la préparation de ses affaires pour aller aux cours. De fait, il oubliait toujours son manuel d’anglais et ça lui avait valu des heures de colle. Au pire moment, celui d'une expédition virtuelle. Il savait que les autres devaient déjà être en route vers l'usine à cette heure, alors que lui allait simplement se retrouver en face à face avec Jim. Sympa le programme ! Tandis qu’il se dirigeait toujours vers le réfectoire, Ulrich remarqua qu’Aelita était en grande discussion avec Maïtena Lecuyer. C’était assez bizarre de constater que la petite grosse de cinquième, bouffeuse de chocapics à ses heures perdues et peu populaire, puisse converser avec quelqu’un de la « classe supérieure ». Aelita était tellement isolée en temps normal – elle ne maîtrisait pas bien le français vu ses origines biélorusses – que Jérémie s’était sacrifié pour faire équipe avec elle lors des derniers travaux de groupe portant sur les grands auteurs de la Renaissance.

Pour éviter de continuer à contempler d’un air ahuri cet échange étrange, il pénétra dans la cantine où une activité aussi sonore était suspecte à une telle heure de la journée. D'habitude, après les cours, il fallait attendre l'heure du dîner pour y retrouver une telle occupation. Mais pas aujourd'hui... Une grande banderole placardée sur l'une des parois annonçait directement le ton : « Aidons ceux qui en ont tant besoin ! » Des photographies de clochards – Ulrich ne voyait pas d'autre terme pertinent pour les désigner, SDF étant un euphémisme préfabriqué – s'éparpillaient sur certaines tables en compagnie de petits flyers portant des slogans tels que « Un café, un aidé ! » Là où s'étendait habituellement de la nourriture, des grosses marmites de liquides fumants étaient encadrés d'élèves désireux de se remplir l'estomac de ces diverses drogues liquides. Intrigué, Ulrich observa bien vite qu'ils obtenaient une tasse remplie du breuvage de leur choix en échange d'un jeton beige, curieuse monnaie qu'il n'avait jamais pu observer auparavant. Il comprit bien vite, en observant les mouvements de foules, qu'il fallait en réalité se procurer ces fameux jetons à la caisse tenue par une poignée d'élèves de quatrième, des gens de sa propre classe en réalité. Eh oui, Ulrich était déjà à ce niveau scolaire, il avait toujours du mal à croire qu'il était en réalité le plus vieux de sa bande d'amis. A treize ans, presque quatorze, il passait pourtant la plupart de son temps avec des "gamins" de douze ans, des cinquièmes avec qui il sauvait le monde sans que personne au collège ne soit au courant.

« Alors Ulrich, tu sais ce que tu vas prendre ? demanda Xao qui en profita pour lui faire un check de salutation.
— Je ne sais pas, avoua le quatrième, je me tâte... »

Se sentant désormais obligé de participer lui aussi – bon en vrai il rêvait quand même de chaleur comme dit précédemment –, il se dirigea vers la caisse en sortant les quelques pièces qui subsistaient au fin fond de la poche arrière de son short de sport, heureusement qu'il avait payé son inscription au championnat interscolaire en billet et qu'il lui restait quelques piécettes bienvenues vu le contexte !

En le voyant approcher, Priscilla Blaise s'empressa de délaisser un énième client pour se concentrer sur les désirs d'Ulrich.

— Mais quelle bonne surprise, s'exclama-t-elle d'un air joyeux en lui adressant un clin d'œil malicieux en guise de bonjour, toi qui ne viens jamais en classe j'étais pourtant persuadée que tu n'étais pas au courant de la collecte de fonds d'aujourd'hui !
— Comme quoi, tout arrive, plaisanta le jeune homme qui n'était pourtant pas d'humeur à rigoler. Euh... je pourrais avoir... un jeton pour un chocolat chaud s'il te plaît ?
— Mais bien sûr ! Quoique je suis étonnée que tu ne boives pas encore de café, un grand gaillard musclé comme toi. Il serait temps d'arrêter les boissons de gamins, suggéra-t-elle en adressant un regard appuyé à l'entrejambe de son client qui avait les parties génitales quelque peu moulées par son short de sport.
— Euh... oui j'y penserai, glissa Ulrich en lui tendant une pièce de deux euros avant de récupérer son jeton, vert celui-là. Tu peux garder la monnaie.
— Quelle gentille attention, minauda la vendeuse en caressant la caisse de ses ongles manucurés à la perfection, je suppose que c'est une cause qui...
— Tu sais quoi Priscilla ? Je m’en tamponne sincèrement le coquillard… pour rester poli.

Le joggeur s'empressa de détourner le regard et marcha dans la direction opposée, laissant les paroles crues de la jolie adolescente se perdre dans le vide. Il ne supportait plus cette petite conne et ses insinuations déplacées, bien qu'il ait pu en profiter par le passé. Se mobiliser pour la bonne cause, tu parles ! Il savait très bien qu'elle était juste là pour s'afficher publiquement en tant que "bonne âme" et qu'en réalité elle ne donnerait même pas le dixième d'un chewing-gum à une personne dans le besoin.

Il donna son jeton à Emilie (qui faisait le service avec Emmanuel Maillard mais il ne voulait surtout pas voir ce dernier après ce qu'il s'était passé sur le terrain) et récupéra enfin une tasse emplie de nectar sucré... et surtout bien chaud ! Sentant que cette sève allait le revigorer, il chercha du regard un endroit où déguster en toute tranquillité son butin et croisa dans sa quête visuelle deux pupilles si vertes et curieuses à la fois qui l'espionnaient sans doute depuis son entrée de manière plus ou moins subtile. Dès que l'espionne fut repérée, elle détourna aussitôt le regard vers un portrait de lutin qu'elle avait commencé à griffonner de manière distraite sur une serviette en papier. Rougissant quelque peu d'être ainsi observé de la sorte, Stern reprit bien vite tout son panache et se dirigea vers sa stalkeuse. Après quelques enjambées rapides pendant lesquelles l’adolescente fit copieusement semblant de ne pas le voir, le sportif tira la chaise en face d'elle et s'assit aussitôt à sa table, ce qui ne réjouissait pas vraiment la jeune artiste à première vue

En réalité, Jeanne Crohin n’en revenait tout simplement pas. Le plus beau garçon de Kadic était affalé là, juste en face d’elle, les coudes sur la table et son éternel air de séducteur sur le visage. Il lui parlait sans même prendre la peine de la regarder, avec l'air de se croire très cool. Mal à l’aise, elle détourna le regard, une fois de plus, et se concentra sur son dessin. Les oreilles pointues, check ! Le nez aquilin, check ! Le visage rondouillet, check ! Manquait plus que le petit uniforme irlandais et les souliers pointus... Ce qu'Ulrich fit bien vite remarquer.

— Tu veux pas t'occuper de tes affaires ? cingla Jeanne, visiblement énervée d'être interrompue ainsi en pleine création.
— Tu parles... T'étais encore en train de me contempler il y a dix secondes ! Fais pas la mytho avec moi, je suis très doué pour déceler les menteurs... et particulièrement les menteuses je dois dire.
— Fous-moi la paix Stern.
— C'est bien la première fois qu'on me dit ça, ricana le beau brun. D'habitude, on se bat pour réclamer ma présence.
— Eh bien, pas moi ! protesta Crohin en menaçant l'intrus avec la pointe de son crayon. Je ne suis pas l'une de ces minettes en quête d'amour moi, j'ai déjà tout ce qu'il me faut merci !
— Alors comme ça, tes feutres suffisent à ton bonheur ? J'ai du mal à y croire... car tu ne pleurerais pas aussi souvent si t'étais totalement bien juste avec tes peintures et tes photos.

Jeanne eut un mouvement de recul et une ombre passa furtivement dans son regard qui se voilait peu à peu... avant qu'elle ne reprenne totalement le contrôle de ses émotions et exhibe un masque de fer à la place des traits émouvants, comme elle avait l'habitude de le porter au quotidien ce visage dénué de toute expression hormis la joie d'être une artiste (presque) comblée sur tous les plans.

— Pourquoi t'as pris deux chocolats chauds ? s'hasarda Ulrich pour tenter de dériver la discussion sur une note plus réjouissante.
— J'attends Odd, finit par répondre Jeanne, un sourire de façade arboré pour tenter de masquer la gêne due à l'affolement de ses battements de cœur. Je lui en ai pris un au cas où il me rejoindrait... mais il ne répond à aucun de mes textos. C'est chelou, lui qui est si réactif d'habitude...
— Euh... il est un peu barbouillé aujourd'hui, prétexta Stern qui savait pertinemment que son coloc' était en mission. Ça m'étonnerait vraiment qu'il se joigne à nous.
— Mouais, répondit Jeanne, peu convaincue. C'est quand même bizarre, il a vraiment l'air pas bien ces derniers temps. Presque... déprimé, en permanence d'ailleurs. Toi qui vis avec, une idée de ce qui pourrait justifier son mal-être ?
— Pas le moins du monde, soupira Ulrich en continuant la comédie pour ne pas mettre en péril le secret. J'aimerais tant le savoir moi aussi... Je me demande si ça n'a pas un lien avec sa famille. Pour les avoir déjà rencontrés, je peux te dire que ses parents sont vraiment spéciaux !
— J'avais pas l'impression que c'était ça mais bon... tu le connais mieux que moi après tout. Il fait toujours autant de cauchemars ?
— Ça va mieux, mentit – une fois de plus – le collégien. Il faut lui laisser un peu de temps pour se remettre de ses notes aussi, c'est jamais facile de voir du rouge dans quasi toutes les matières, et je sais de quoi je parle.

Jeanne sourit, dévoilant ses fossettes et l’intérieur de sa bouche, ce qui n'échappa pas à son camarade. Elle avait des dents parfaitement alignées et d'une blancheur absolue, une vraie pub vivante pour Colgate ! L'attention du sportif se porta ensuite sur son dessin, qui lui rappelait quelque peu un personnage de dessin animé, il y a pas à dire elle était plutôt douée la Crohin !

— Si tu veux, proposa Ulrich en décochant son plus beau rictus de séducteur, je peux te donner mon numéro.
— Pourquoi ? demanda Jeanne, perplexe, elle qui n'avait pas l'habitude que les garçons s'intéressent à elle car bien trop perdue dans "son monde" pour pouvoir avoir une simple conversation avec le commun des mortels. Ce n'est pas pour me faire une mauvaise blague en le refilant à Poliakoff j'espère !
— Pas du tout... C'est juste... au cas où. Et puis, tu sais, quand Odd est vraiment au plus bas... je ne sais pas toujours quoi faire. Malgré ce que tu as pu dire, je crois vraiment que TU le connais bien mieux que moi. Avec Odd, on partage la même chambre certes, mais c'est bien là notre seul point commun avec notre intérêt pour le foot, tu peux me croire sur ce sujet...
— Balance toujours mais n'espère pas que je t'appelle un jour pour un rencard !
— Je ne n'y compte pas, rassura Ulrich en lui effleurant néanmoins l'épaule, geste qu'elle ne put comprendre s'il était volontaire ou parfaitement maladroit. Toujours est-il que ce plus simple contact emplit Crohin d'une douce chaleur qu'elle n'avait pas l'habitude de ressentir.

« Stern, cria une voix de stentor depuis la porte d'entrée de la cantine qui venait de s'entrouvrir. Je t'attends à la bibli depuis cinq minutes ! Ramène-toi tout de suite ou je te jure bien que je te colle pendant une semaine complète ! »

Gêné, le sportif énonça un à un mais néanmoins rapidement les chiffres composant son numéro à voix basse et finit sa tasse fumante d'une traite. Il se leva pour sortir, sentant dans son dos le poids des pupilles inquisitrices de Jeanne, éternelle fouine qui risquait bien de mettre à mal leur mission. Il fallait impérativement qu'il éloigne cette fille d'Odd, quel qu'en soit le prix à payer.


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Two Steps From Hell - Jump

Odd peina à ouvrir la lourde porte gauche du laboratoire. Yumi, à droite, avait réussi sans trop d’effort et le regarda faire d’un air un peu méprisant. Il s’arc-bouta, et la porte glissa subitement jusqu’à cogner le fond de son rail, le déséquilibrant. Le coccyx douloureux, le blondinet se releva, essuyant le coup d’œil amusé de Jérémie.
La salle était immense, très haute de plafond. Une sorte de tour, à vrai dire. Les fenêtres, percées largement hors de portée, éclairaient à peine les lieux. Des échafaudages, des gouttières rampaient le long de certains murs alors que le sol était laissé aux monceaux de câbles grouillants. C’était complètement anarchique. Une énorme partie de la salle était occupée par des points surélevés, sortes de grands blocs de métal auxquels il était difficile d’accéder, à moins peut-être que l’échelle à moitié arrachée du mur droit y soit pour quelque chose. Il y avait en fait toute une partie de la pièce qui était située un étage plus haut, sans plafond, et sans utilité apparente. Les serpents de caoutchouc pendaient d’une hauteur à une autre comme des lianes. Au milieu de cette forêt technologique, il était un point encore plus haut.

Les escaliers s’élevaient de façon improbable au centre de la pièce, comme une triple volée de marches rituelles vers le sommet d’une pyramide maya. Cohérent avec la jungle, au moins. Le seul souci était peut-être que les marches zigzaguaient, sorties de l’imagination d’un architecte dément. Elles grimpaient le long d’une sorte de gros cylindre fait de tôles parfaitement soudées, avec une vitre verte semi opaque à travers laquelle Odd n’avait jamais osé regarder. Un gros tube s’agrippait à la paroi comme un lierre gras, et personne ne savait ce qu’il transportait… à part, sans doute, Jérémie.
Jérémie, justement, ne monta pas les escaliers. Il se dirigea à leur droite, dépassa un coin canapé-détente des plus saugrenus en ces murs, et rejoignit une chaise de bureau qui faisait face à un clavier gigantesque. Petite et basse de plafond (puisqu’en fait le plafond était le sol du niveau accessible par la première volée de marches), la pièce était une alcôve tapissée d’écrans lumineux et froids. Des fils rampaient jusqu’au pupitre et y disparaissaient insidieusement, alors que d’autres dégoulinaient du plafond. Odd détestait cet endroit de toute son âme parce qu’il l’oppressait. Jérémie l’adorait pour son côté « petit abri ».
— Je vous laisse vous installer, leur lança le blondinet en s’asseyant à la place qui lui revenait de droit.

L’ascension infernale commença. Yumi, athlétique comme à son habitude, gravissait les marches en petites foulées. Une quinzaine pour la première volée. Une grosse vingtaine pour la seconde, mais seulement vingt-quatre pour la dernière. Les poumons d’Odd n’appréciaient pas, et il avait les cuisses en feu. Il parvint après elle, et bien plus essoufflé, en haut.
Il se permit de regarder en arrière, sachant que le plongeon qu’il s’apprêtait à faire dépassait de loin celui qu’il aurait pu exécuter en se jetant de là-haut maintenant. Face à lui, dans la lumière du conclave de fenêtres qui cerclaient le bord supérieur du mur de la terrifiante pièce, il y avait trois gros cylindres. Enormes. Ces choses pouvaient bien accueillir trois ou quatre humains chacun, et étaient ornées de quatre antennes disposées en carrés. Odd n’avait jamais réussi à savoir à quoi elles servaient, et ne savait pas s’il avait envie de l’apprendre.
L’intérieur des caissons géants était illuminé d’une douce lueur dorée, accueillante.
La respiration d’Odd s’emballa brusquement, alors que ses pupilles se rivaient malgré elles sur cet abysse d’or. Ses pieds refusèrent de bouger. Il n’irait pas plus loin, non. Il savait ce qui l’attendait au-delà du scanner. Il vit les arbres difformes, il vit les formes noires qui fusaient en coup de vent à côté de ses oreilles, lui susurrant mille et un cauchemars au vol. Il se vit courir pour sauver sa peau, en craignant de ne jamais revenir. Il voyait les angoisses. Il voyait l’innommable splendeur de ce monde cauchemardesque. Tétanisé, il entendit à peine Yumi lui demander ce qu’il fichait. La voix de Jérémie monta jusqu’à eux, s’enquérant du problème.

La jeune japonaise, qui s’apprêtait à pénétrer dans la gueule du scanner, fit volte-face pour attraper Odd au col. Cela sembla lui redonner un coup de fouet, et il beugla :
— J’irai pas ! J’irai pas ! J’irai paaaaas !
— C’est ça ouais, rétorqua-t-elle en le traînant de force vers le caisson et en l’y faisant grossièrement basculer.
Odd, à nouveau sur les fesses, tenta de bondir hors de l’habitacle. La porte manqua se refermer sur le bout de ses petits doigts d’enfant, lui laissant pour dernière image une Yumi qui le toisait, bras croisés, prête à faire tout ce qui serait nécessaire pour qu’il plonge.

Une vive lumière, subitement, du vent dans ses cheveux, et tout changea.
Un terrain vallonné de gris-vert. Quelques rochers teintés de mousse, de l’herbe sèche agitée par un léger vent. Des plantes artificielles qui s’élevaient, avec en guise de feuilles de grosses masses texturées. Des arbres, ça ? Un monde parfait, ça ? Odd sentait sa gorge se serrer alors même que ses sensations étaient un peu plus limitées ici. Il voyait la vallée se déverser loin, loin devant lui. A sa gauche coulait un léger ruisseau, remarquablement bien modélisé, tout comme les cascades qui galopaient depuis les hauteurs derrière lui. Une tour, un peu perdue, se trouvait à quelques mètres, gangrenée à sa base par des câbles, lourds pythons froids et sans âme.
Lui-même était l’unique touche de réelle couleur. Intégralement en violet, comme à son habitude, il arborait de grands gants terminés par des pattes de chat, et une queue lui battait même l’arrière des cuisses.
Sa vue flancha subitement.

Une tornade, pas d’autre mot. La noirceur tourbillonnante du vortex qui s’apprêtait à le dévorer. Il était tétanisé. Il était seul. Il hurlait, incapable de voir autre chose que ce cyclone de ténèbres qui se rapprochait chaque seconde davantage, semblant prendre son temps.
Il appela à l’aide. Un rai de lumière parut difficilement dans les nuages noirs.


Il tituba, revenant à lui une fraction de seconde plus tard, juste assez pour voir arriver Yumi. Il garda soigneusement pour lui les moindres détails de ses visions et se contenta de jeter un œil habitué à son avatar virtuel. La japonaise changeait radicalement de look sur Xanadu, se parant d’un kimono rouge et noir à motifs ouvragés et manches béantes, avec une ceinture jaune or. Elle portait des talons qui la grandissaient encore davantage, et s’accompagnaient de longues bandes de tissus blanc entourant ses mollets. Son visage était même maquillé comme celui d’une geisha, chose qu’elle n’aurait jamais faite sur Terre, et son carré était devenu un chignon.
— Objectif du jour : atteindre la grande tour. J’y ai détecté une activité assez anormale hier, je voudrais que vous alliez y jeter un œil. Et puis ce sera l’occasion de tester de se connecter au noyau par là !
— Pas de souci Jérémie, répondit Yumi. Dans quelle direction on part ?
— Sud-Est, il va falloir traverser la forêt derrière vous. Suivez les pulsations, au pire.
Les pulsations… ces soubresauts de Xanadu qui étaient supposés indiquer où ça n’allait pas. Ce monde était un de ces malades au fond des hôpitaux : incurables, mais qu’on refusait de débrancher. Odd, lui, croyait dur comme fer à la mort de Xanadu. Ils ne pourraient pas le sauver. Pourquoi est-ce que les autres s’acharnaient à ce point ? Jérémie ne pouvait pas être si stupide, pourtant…

Yumi et Odd partirent à toute allure dans la forêt, qui rappelait de mauvais souvenirs au second. Il n’aimait pas ces arbres. Il revit le liquide noir couler des troncs de son rêve, et frémit intérieurement. Au moins n’avait-il pas à craindre de se laisser distancer par Yumi ici : le monde virtuel leur donnait la même vitesse de course, qui était plutôt impressionnante. Pas autant qu’Ulrich, bien sûr, mais tout de même assez pour couvrir le terrain rapidement.
— Activité anormale dans votre secteur, prévint Jérémie.
Quelque chose bougea entre deux troncs. Yumi sembla le repérer aussi. Une de ces formes noires hostiles qui n’attendaient que de les engloutir dans les entrailles des cauchemars les plus horribles de leur inconscient. Elle tira un éventail de sa ceinture d’or. L’arme pouvait paraître ridicule, mais elle était redoutable entre les doigts de la jeune fille. Déployée en un disque lumineux, elle fusa à travers les fourrés. Yumi porta deux doigts à sa tempe gauche, et la fit revenir vers sa main sans cesser de courir. Odd tira quelques fléchettes à l’aveugle, jusqu’à ce que subitement, comme un raz-de-marée de pétrole, les ombres ne se dressent en plein sur leur chemin, comme un mur infranchissable. Le félin sentit son cœur flancher une énième fois.
— A gauche ! ordonna Yumi en tirant de nouveau son éventail. Eh la grosse tâche, t’as cru que tu me faisais peur ?
Odd eut le temps d’apercevoir la trajectoire alambiquée que décrivit l’arme dans les ténèbres avant qu’un arbre ne passe entre lui et la scène. Il s’enfuyait à toutes jambes dans la direction indiquée par Yumi, tournant régulièrement la tête pour surveiller davantage les alentours. La japonaise le rattrapa quelques secondes plus tard. Le blond crut déceler sur ses traits une étincelle de sauvage espièglerie, une aisance dans l’affrontement que jamais il ne trouverait en lui-même. Cela l’effraya. Quel effet ce monde avait-il sur les gens qui y passaient trop de temps ?...
— Vous avez un fossé quelques mètres devant vous, faites attention, mentionna simplement Jérémie, voix désincarnée dans le vaste monde virtuel.
— T’inquiète pas, faudrait vraiment être con pour tomber dans un trou ! rit Yumi. Par où on doit corriger notre trajectoire pour repartir vers la grande tour ?
— Repartez vers la droite après avoir longé le fossé. Faites attention, il y a de l’activité dedans aussi.
— Faut vivre dangereusement ! répliqua Yumi avec un large sourire.
Les deux explorateurs virtuels continuèrent à tracer jusqu’à percer entre les arbres. Une plaie béante dans le sol donnait sur un cours d’eau bien plus profond. Yumi ne réfléchit pas une seconde et bondit gracieusement par-dessus l’ouverture, qui n’était finalement pas si large. Elle se réceptionna gracieusement de l’autre côté.
Odd, lui, eut le malheur de regarder en bas. Il vit des serpentins de fumée noire monter du ruisseau en décrivant une spirale paresseuse. S’il bondissait, ils en profiteraient pour se ruer sur lui. S’il les attaquait avant de passer, il risquait d’en attirer d’autres… Il pila au bord du fossé, le regard rivé sur les ombres comme s’il était hypnotisé.
— Mais Odd, qu’est-ce que tu fiches ? s’impatienta Yumi, de l’autre côté.
— Je… je peux pas passer, t’as vu ce qu’il y a en bas ?!
Elle lui jeta un regard qu’il trouva franchement menaçant, et leva la main gauche pour porter deux doigts à son front. Odd fut subitement catapulté en l’air, décrivant une magnifique parabole. Il eut droit à une vision panoramique de Xanadu, ce monde qu’il détestait tant, puis ce fut la chute. Abrupte, sans merci. Il craignit un instant qu’elle ne l’ait jeté au fond du ravin, mais ce fut bien le nez dans l’herbe qu’il atterrit.
— Allez hop relève-toi, on a pas toute la journée !

Il retint un juron mais lui obéit, parce qu’il savait qu’elle avait raison. Et qu’il n’avait pas vraiment le choix. Et qu’elle allait le laisser sur place s’il traînait. Sur place. Seul. Sans Yumi, ni Jérémie qui choisirait sûrement de guider son amie rodée au combat, ce qui était tout l’inverse de lui. Il ne pouvait se résigner à cette idée, finir seul dans cet enfer pixélisé.
Il avança du coup. Malgré la boule au ventre qui le dévorait de l’intérieur. Malgré l’envie lancinante qui le poussait à se taillader les veines, même s’il ne risquait pas de trouver un rasoir virtuel dans le coin. Malgré tout. Un pas devant l’autre. Mécaniquement. Se raccrocher à un détail, un point au loin, quelque chose qui pourrait enfin lui donner envie de continuer. Quelque chose de plaisant, d’excitant, de joyeux. Le vert. Très vite, Odd ne voyait déjà plus que cette couleur qui l’agressait, malgré des taches brunes insérées dans le paysage, seul le vert comptait. Plus tôt, lors d’une immersion précédente, c’était le jaune qui l’avait menacé. Des vents de sable cinglants, des dunes emplies de fourrures canines et d’aiguilles menaçantes, des plans d’eau gorgés de bile ! Etait-ce vraiment Xanadu qui avait tout d’un coup décidé de se manifester ainsi à ses yeux ? Ou alors un relent de cauchemar qui avait soudainement pointé le bout de son nez ? Il y avait beaucoup songé, à sa première expédition qui ne ressemblait en rien à la forêt qu’il était en train de traverser actuellement…

Après quelques minutes de marche – ou plutôt de semi-course – aussi silencieuse que morne, Odd et Yumi arrivèrent devant le portique qu’ils avaient pour mission d’atteindre. Celui qu’ils devraient emprunter pour accéder à la zone de la fameuse tour. THE tour, celle qui hantait les nuits de Belpois même s’il ne l’avait jamais vraiment vue de ses propres yeux. Le portique était assez simplement construit, une sorte de U renversé, fait de branches de bois sec reliés aux extrémités par un cordage beige à l’aspect caoutchouteux. Premier objectif rempli, c’était toujours ça de pris… même si le plus dur restait à venir.

— Tu es prêt ? demanda Yumi, d’une voix anxieuse bien qu’elle tentait de le masquer derrière son petit sourire comique qu’elle se forçait d’arborer même dans les situations les plus critiques.
— Aucun retour en arrière ne sera toléré cette fois Odd, précisa l’informaticien d’une voix froide au possible malgré l’aspect robotique préexistant. L’échec de cette expédition n’est même pas envisageable, j’espère que tu feras de ton mieux sans broncher à la moindre contrariété. C’est clair ?
— Oui, couina Odd en masquant tant bien que mal ses griffes tremblotantes. Je vais tout donner, c’est promis… Je sais à quel point tout cela te tient à cœur Jérémie.
— Pas qu’à moi Odd, murmura Belpois, pas qu’à moi…

A travers le portique, seul le noir était visible. Cette couleur peu avenante ne découragea pas Yumi qui plongea la première, entraînant Odd à sa suite après avoir attrapé son poignet chétif d’une main de fer. Le transfert dans la zone ne fut pas douloureux, à peine déroutant. Un peu lorsqu’on s’amuse à tourner quinze fois sur soi-même de manière rapide, bien trop rapide. Ils le savaient tous les deux, passer ce portique signifiait clairement qu’ils entraient dans une zone plus… intense de l’immersion virtuelle. Une couche du dédale qui les rapprochait encore un peu plus de la réalité, dystopiée au possible mais néanmoins plausible.


Odd finit par ouvrir les yeux. Yumi s’était déjà avancée de quelques mètres, quelque peu impressionnée par le paysage qui l’entourait. Ils étaient pourtant toujours dans la forêt. Mais la lumière avait considérablement décliné… Comme si la luminosité du décor virtuel avait soudain été réduite à son strict minimum, peut-être par manque de batterie ? Odd détestait d’ores et déjà ce bois sombre, qui semblait se trouver en pleine tombée de la nuit vu que le champ de vision des deux virtualisés se réduisait peu à peu. Quelque part, dans ce labyrinthe pixélisé, un soleil devait être en train de rejoindre sa couchette. Les ombres des branches s'allongeaient de plus en plus, s'étirant tels des bras d’enfants terrorisés qui tentent de se raccrocher les uns aux autres avant la rafle. De légers bruissements de feuilles se faisaient néanmoins entendre, seul bruit dans ce presque-néant auditif. L'humidité sortait elle aussi de sa léthargie pour recouvrir les uniformes de nos héros de son linceul de rosée, bien que ça ne puisse pourtant pas être celle du matin. Ressentait-il vraiment cette impression de se tremper peu à peu ? Les chats n’aimant pas être mouillés, peut-être qu’Odd se faisait juste des idées… Après tout, ce ne serait pas la première fois. Ni la dernière. Du côté de Yumi, c’était plutôt au niveau de son odorat qu’elle crut déceler un certain changement par rapport à leur situation précédente. L'odeur de mousses humides et de champignons caressa bien vite ses narines, ainsi qu’un relent plus pestilentiel, presque semblable à un cadavre en putréfaction. Du moins, c’est comme ça qu’elle imaginait la situation olfactive d’un corps en décomposition car elle ne s’était pas encore retrouvée lors de sa courte vie dans cette situation peu cocasse. Le cri d’un rapace quelconque retentit, ça, les trois l’entendirent distinctement. Car même Jérémie avait sursauté, au son de ce bruit perçant qu’il avait lui aussi perçu depuis le labo.
— On ferait mieux d’avancer, déclara Yumi de son habituel air bravache. Autant ne pas s’attarder dans le coin…

Malgré les apparences, ils n’étaient pas seuls dans cet enfer boisé. Telle les ténèbres, une ombre circulait dans le bois noirci par la nuit, partout où elle allait la mort la suivait. La suivait ? Non, l'ombre était masculine, mais ses yeux d'un bleu marine éclatant, perçant l’obscurité, trahissaient sa présence. Il le savait mais s'en fichait, il n'avait pas l'intention d'être discret mais restait tout de même silencieux au possible, aucun de ses pas n'était audible… sauf pour Odd qui tendit une de ses oreilles félines en direction du poison qui rongeait Xanadu de l’intérieur.
— Attends Yumi, prévint Odd. Il y a quelque chose par-là, au sud, il faut rebrousser chemin.
— Pas le temps Odd, rugit Jérémie depuis le labo. Hors de question de dévier la trajectoire initiale. Foncez au nord et dépêchez-vous de trouver cette foutue tour !
Yumi acquiesça et jeta un regard équivoque à Odd, qui n’eut d’autre choix que de la suivre en grommelant, ce qui était tellement moins mignon que quand il ronronnait. Ils entrèrent sous la couverture sombre des arbres qui s’étendaient à perte de vue devant eux. A cause du feuillage épais qui formait une arche au-dessus de leurs têtes, le ciel disparut bien vite de leur champ visuel. L’obscurité se fit plus présente, plus pesante, oppressante à souhait comme dans les songes les plus sombres du félin virtuel. L’humus qui recouvrait le sol étouffait leurs pas, les enveloppant dans le silence le plus opaque. Aucune lueur, aucune créature ne se manifestait et c’était pour le moins étrange car ils se rapprochaient à pas de loup de la tour la plus gardée de tout Xanadu. Très vite, ils eurent cette impression inquiétante d’être seuls au monde, perdus dans une mer de chênes à l’écorce lardée de balafres profondes desquelles s’écoulait une sève blanchâtre. Quelque chose – ou quelqu’un – les avait précédés, c’était une certitude bien ancrée au fond de leurs esprits étriqués par la peur. Odd commençait à fatiguer, vraiment, mais Yumi ne ralentissait pas le rythme. Soudain, alors que les indications géolocalisées de Belpois les amenaient près du but, une fourchette de chemins entrava la progression des deux aventuriers.
— Je ne peux pas vous aider, s’énerva Jérémie devant son écran. La tour est devant vous, c’est une certitude mais je ne peux pas vous assurer qu’un trajet est plus rapide que l’autre, il va falloir vous en assurer !
— Prends à droite, ordonna Yumi qui semblait vraiment beaucoup plus à l’aise que Della Robbia sur le plan virtuel. Je m’occupe de l’option de gauche.

A contrecœur, Odd se sépara de son alliée pour emprunter le chemin qu’elle lui avait indiqué. Il s’efforça de sprinter, malgré son cœur qui semblait faire du yoyo à l’intérieur de son médiastin. Presque essoufflé malgré son avatar à l’apparence solide, il enjamba un mince filet d’eau qui avait dû autrefois constituer une somptueuse rivière. Filtrant continuellement les songes des assoiffés qui tapissaient les fonds immergés du maigre ruisseau, l'imaginaire du nouveau venu nourrissait Xanadu de mille chimères, faunes et satyres, à partir de ses propres souvenirs les plus enfouis. Mais de cela, il n’en était pas conscient. Personne ne l’était. Aucun d’entre eux, gamins ignorants, ne pouvait prévoir que la vie passée et délavée des éternels errants virtualisés pouvait servir de terreau à une nouvelle existence virtuelle fertile, luxuriante et surtout… cauchemardesque.
Au détour d’une énième bifurcation, Odd stoppa net sa trajectoire féline. Devant lui… un jeune garçon. Les cheveux blonds en pétard, les vêtements troués et des yeux gris larmoyants, c’est la première chose qui choqua Odd. Avant qu’il ne réalise qu’il était en train de faire face à son propre reflet. Mais pas un reflet figé sur une quelconque surface, bien au contraire. Un double animé par l’angoisse et la peur. Un Della Robbia « de cire » pâle comme un spectre mais aux orbes remplies d’une détermination froide bien dissimulée derrière des pupilles suintantes de larmes.

— Odd, pourquoi tu t’arrêtes ? cria Jérémie à bout de nerfs depuis le labo. Continue vers la tour !
Mais le félin ne prêta même pas attention à l’injonction de son leader. Il était bien trop occupé à contempler… à se contempler en réalité.
— Je ne veux plus faire tout ça, pleurnicha le petit être virtuel. C'est totalement injuste, pourquoi c'est nous qui devons sauver la planète ?! J'ai douze ans putain, douze ans ! Personne de mon âge ne devrait être soumis à une telle pression, personne ! Au lieu de risquer ma vie chaque jour, je devrais plancher sur mes exams, me soucier de mes premiers poils pubiens et de ce que les filles peuvent bien penser de moi ! Je devrais avoir le temps de griffonner, esquisser, créer après les cours ! Marre des regards cachottiers, de ces missions clandestines, de cette usine à la con. Il faut que je le dise clairement aux autres, si j'en trouve le courage... Je ne veux plus d'une telle responsabilité, c'est fini. Entre mon ancienne vie et la nouvelle, mon choix est fait.

Sur sa gauche, un nouveau mouvement. Yumi. Tout chemin séparé était-il voué à se retrouver ? La japonaise semblait à bout de souffle, les sourcils froncés devant ce spectacle qui ne lui plaisait guère.
— Odd, à quoi tu joues ? Il n’y a rien devant toi, pourquoi tu prends cet air si effrayé ?
Le félin n’écouta pas, préférant se rapprocher de son double qui disait une vérité qu’il avait lui-même essayé de dissimuler pendant trop longtemps. Au moment où Odd tendit le bras pour toucher le blondinet, le maigrichon aux yeux si beaux se teinta de noir et une multitude d’ombres sortirent du petit être pourtant si sensible. Elles se jetèrent simultanément sur Odd, l’entourant de leur sournoise noirceur. C’est à cet instant-là que Yumi vit, comprit, que Odd avait bel et bien décelé quelque chose dans sa vision féline. Elle se jeta sur l’amas de fumée sombre pour délivrer Odd mais elle fut aussitôt propulsée sur une branche acérée sur laquelle elle s’empala. Tandis que la japonaise laissait déjà place à des centaines de pixels, Odd se débattit tant bien que mal. Mais il était trop tard, beaucoup trop tard. Les ténèbres se refermèrent sur son nez aquilin, sa bouche aux lèvres fines, ses poumons si purs… avant que Della Robbia explose littéralement suite à la pression exercée à l’intérieur même de ses organes virtuels. Après Yumi, il était lui aussi mis hors-jeu. Ce qui signait temporairement la fin de ce traumas virtuel… même s’il savait que le courroux de Jérémie allait lui sembler tout aussi terrible car, ça, l’échec inenvisageable aux yeux de leur leader, avait fini par se produire. Pour son plus grand malheur.


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L’air lui manquait encore à la sortie du scanner. Il resta prostré à respirer anarchiquement, émettant un vieux son rauque et désespéré. Pourquoi est-ce que le si précieux dioxygène fuyait ainsi ses poumons ? La tête lui tournait, et heureusement qu’il était déjà par terre, sinon il se serait effondré. De petites étoiles noires dansaient devant ses yeux, l’empêchant de bien voir ce qui se passait. Inutile, misérable, il ne bougea pas pendant de longues secondes. Il entendit Yumi tousser, et un autre son qui lui glaça le sang. Des pas. Lents et mesurés, cadencés comme un menuet de désespoir.
Odd eut envie de refermer les yeux et de se laisser mourir, avant d’être tué.
Alors que l’écho de sa respiration sifflante diminuait et qu’il reprenait ses esprits, il entendit des murmures. Jérémie devait être en train de s’enquérir de l’état de Yumi. Le blondinet choisit de fermer obstinément les yeux, comme un enfant refusant d’aller à l’école. Peut-être pouvait-il faire le mort. Peut-être pouvaient-ils croire qu’il avait perdu connaissance, et oublier par la suite de le vilipender.
— Odd.
La voix était impérieuse. Froide. Elle avait beau être jeune et fluette, elle n’en restait pas moins terrible. L’adolescent n’aurait pas su dire qui de Jérémie ou de Xanadu le terrifiait le plus.
— Lève-toi, Odd, reprit Yumi. Assume.
Il se sentit arraché brusquement du sol et plaqué contre la paroi du scanner, ouvrant les yeux malgré lui. En face, le duo le fixait avec froideur. A gauche, la grande japonaise, avec ses cheveux légèrement soulevés par un vent inexistant, qui le fixait sans merci aucune. A droite, le petit blond dont le regard était éclipsé par un reflet dans ses lunettes. Impossible de lire au fond de ses yeux ce qu’il pensait, mais Odd le ressentait très bien. Il avait échoué.
— Tu nous as beaucoup déçus aujourd’hui, Odd, signala Jérémie avec ce ton méprisant qu’il maîtrisait à la perfection. Non seulement tu te fais avoir comme un bleu par Xanadu, mais en plus ton erreur a fait dévirtualiser Yumi, qui aurait eu des chances de réussir la mission sans toi.
L’étau invisible qui maintenait Odd ne se desserrait pas. Il sentait ses pieds pendre dans le vide sans pouvoir rien faire pour se débattre. Et il ne trouvait rien à dire pour se défendre… peut-être parce qu’il n’y avait rien à dire, justement ?
— Si tu veux que cette histoire se termine au plus vite, il va falloir y mettre du tien, poursuivit le leader. Plus nous échouons, plus le monde reste en danger longtemps. Tu as pensé aux personnes qui pouvaient mourir par ta faute ?

Odd déglutit, ne sachant si c’était cette poigne fantôme ou ce discours assassin qui le broyait le plus.
— Tu y as pensé, Odd ?! reprit Jérémie, plus fort, au point que sa voix alla rebondir sur les parois de la salle.
— Je… je… je suis désolé ! Je fais de mon mieux Jérémie, je te le promets !
Il sentait les larmes lui monter aux yeux, lui brouillant cette vision cauchemardesque. Si seulement il pouvait se réveiller dans son lit. Là, maintenant, tout de suite. Il aurait beau se répandre, se liquéfier en excuses, il ne se débarrasserait jamais de la brûlure ardente du regard de Jérémie sur lui.
— Ce n’est visiblement pas suffisant. Je te laisse réfléchir là-dessus. Vous pouvez disposer.
Impérial, Jérémie descendit l’escalier, sortant de l’étroit champ de vision d’Odd. Yumi le fixa encore une seconde ou deux, puis il sentit l’étau le lâcher. Son coccyx reçut les compliments du métal froid qui constituait le sol du scanner, puis la japonaise partit à son tour. Brisé par l'échec, Odd se mit à marteler le sol de son front, à la cadence rapide de ces crétins qui continuent à appuyer sur le bouton des ascenseurs en espérant les faire aller plus vite, ce qui ne servait évidemment à rien... à part à répandre un liquide poisseux dans le royaume sacré de Jérémie.
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*Odd Della Robbia* MessagePosté le: Dim 10 Déc 2017 17:35   Sujet du message: Répondre en citant  
[Kongre]


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Localisation: Sur le territoire Banquise entrain de faire de l'overboard
chapitre vraiment angoissant, pauvre Odd.
Aussi beaucoup de confusion.

Maintenant c'est clair qu'on est pas dans l'animé, mais plus une version glauque de garage kids.

les attitudes d'Odd et Yumi semblent avoir été inversé: l'optimiste aimant le frisson est devenu un pessimiste timide terrifié (seul son gout pour la bouffe semble rester) et la pessimiste prudente est devenu une casse cou fan d'aventure.

Jérémie est définitivement un gars froid ici, surtout avec Odd durant les missions (je me demande si cela a un rapport avec Clara: son transfert scolaire est il réel ou juste un mensonge de jérémie pour couvrir sa disparition dans xanadu)

De plus j'ai plutôt l'impression que contrairement a l'animé ou garage kid, Odd ne s'est pas vraiment incrusté dans la bande, mais a été enrôlé dans le groupe et jeté de force dans les scanner sans son accord.
Si oui, qu'est que Odd a de si special pour être forcé par la bande a aller dans xanadu ou être empêché de toute relation proche avec les autres élèves? (Ulrich est un co*nard sur le coup). Et pourquoi xanadu semble s'en prendre principalement à lui? (l'illusion et la façon dont yumi a été éjecté comme une poupée inutile quand xanadu s'en prenait à Odd, semble montrer que le monde virtuel s'intéresse au félin beaucoup plus que les autres guerriers)

Hate de voir le prochain chapitre

Ps: lol le titre, clairement inspiré des tuniques bleus.

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Icer MessagePosté le: Dim 10 Déc 2017 23:04   Sujet du message: Répondre en citant  
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Me revoilà Mr. Green

Citation:
aussi excité qu’un acarien au salon de la moquette


Excellent. Pour le reste du chapitre, Silius avait fait le taff. Tu m'étonnes qu'il t'apprécie d'ailleurs, vous avez certaines lubies en commun, comme le fait d'en faire des tonnes Mr. Green

Le titre du chapitre 3 m'a attiré bien sûr, d'autant que j'avais reconnu la ref. Et j'ai commencé à avoir des soupçons quand ça a à parlé de grande tour. Mais la description du labo ne laissait guère de doute, d'autant que je me suis repassé la séquence Yumi-qui-se-bat-Jérémie-qui-récupère-miraculeusement-ses-lunettes. Et Odd arrivé après coup et non au même moment. C'est du Garage Kids petit salaud !
Tu as visiblement fait un choix très judicieux. Compte-tenu de ton style, c'est clair que l'ambiance posée par GK te convient mieux. Tu as donc enfin abattu ta première carte, à savoir nous situer chronologiquement, même si vu le contexte, je n'exclus pas quelques prises de liberté. Liberté, tu en as déjà pas mal vu la brièveté de la séquence d'origine, y a un paquet de questions sans aucun début de réponse.
J'aime particulièrement la (fausse ?) piste du moment, à savoir considérer qu'il y ait pu avoir quelqu'un avant Odd, qui de fait l'ignore, comme le lecteur puisque GK commence en même temps que l'arrivée de Della Robbia. J'espère que ça va être exploité comme il se doit. Mais je le sens bien, la lecture de deux chapitres supplémentaires m'amène à confirmer ma bonne impression. J'apprécie également toujours autant le placement de produit vis-à-vis des figurants si je puis dire, qui rend les scènes de vie quotidiennes beaucoup plus réalistes.

Enfin pour conclure, sur un arbre, je ne sais pas, mais perché, certainement !

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« Les incertitudes, je veux en faire des Icertitudes... »

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Sorrow MessagePosté le: Dim 24 Déc 2017 13:47   Sujet du message: Répondre en citant  
[Kankrelat]


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Localisation: Sur un arbre perché
Spoiler



Chapitre 4
L'étreinte de nos cauchemars


Niki & The Dove - Mother Protect (Goldroom Remix)

S'il y a bien une chose que Jeanne Crohin détestait, c'était les rumeurs. Et depuis la veille, une folle gangrène avait envahi Kadic, un scoop qui faisait la première page des Echos du jour. Un encadré de lignes qui entourait une photo, celle d'un blondinet au front empli de sparadraps et aux cernes bien visibles, en pleurs dans les bras d'une fille que l'on apercevait seulement de dos mais que l'on reconnaissait aisément grâce aux mèches bleues qu'elle venait de se faire. Quelqu'un avait capturé, pire, leur avait volé un moment de leurs intimités respectives, un de ces instants douloureux où Odd tombait dans l'une de ses redoutables crises d'angoisse et que Jeanne devait le consoler. Mais ce n'est pas tout ce que l’on trouvait sur la couverture des Echos. Un selfie provocant était lui aussi bien mis en évidence en haut à droite de la première page, celui d'une jeune fille vêtue d'un décolleté plongeant et prenant la pose, joli minois maquillé de longues minutes avant le cliché. Elisabeth Delmas. La rédactrice en chef de la revue scolaire depuis sa création l'an passé. Elle avait embauché une horde de gamines sans cervelle, dont cette peste de Lola Kieffer et même des cinquièmes comme Magali De Vasseur, pour traquer sans relâche les moindres faits et gestes de chaque occupant de Kadic. A peu de choses près, le début de l’article disait ceci :

Que se passe-t-il vraiment entre Odd Della Robbia et Jeanne Crohin ?
On vous révèle tout !


Après une visite dans le dortoir des filles (voir tous les détails en page 4), Odd s'est fait remarquer en pleurs dans les bras de sa dulcinée ! Depuis longtemps, les journalistes de notre revue hebdomadaire soupçonnaient un rapprochement charnel entre les deux jeunes gens. Une fois de plus, nous avons choisi de vous montrer les images les plus softs pour ne pas choquer la sensibilité de nos lecteurs. Mais, vous pouvez le croire, ce n'est pas la pudeur qui arrête les deux tourtereaux adeptes des longues balades dans le parc…

Jeanne n’eut pas la force d’en lire plus et déchira chaque page de ce maudit torchon, pour ensuite aller enfoncer les résidus de papier dans les tréfonds de la poubelle la plus proche. Comme un oiseau en cage, elle se sentait prisonnière, otage de tous ces regards médisants qui la clouaient sur place. De son habituel recoin de la cour, elle sentait la pointe acérée de chaque pupille curieuse la transpercer de toutes parts. Anaïs la toisait avec une condescendance mal placée, Valérie la fusillait carrément du regard – sans doute par jalousie, faut être aussi paumée qu'elle pour pouvoir s'intéresser à Odd – Christophe la lorgnait avec envie, comme un chat salivant devant une souris bien dodue. Un connard de seconde s’était même approché d’elle pour lui sortir une réplique geek du genre : « Je te jure Jeanne, au lit, je suis comme Pikachu : plein d’énergie en permanence et prêt à t’attaquer avec ma queue de fer ! » Elle l’avait aussitôt giflé, sous le regard désapprobateur de Jim qui comprit néanmoins le geste après une paire d'explications. C’était douloureux toute cette attention, aussi immédiate que malsaine. Mais il y avait une personne qui empirait encore plus la situation, une bouille machiavélique qui faisait monter une rage dévorante au sein des entrailles de Jeanne. C'était bien évidemment celle de Sissi, entourée de ses deux toutous, qui poussa le vice jusqu'à saluer sa victime, de ses fins doigts greffés de bagues, lui accordant son plus beau sourire pour l'occasion. Comme toujours, cette salope était bipolaire. Elle n'avait "aidé" Odd que pour mieux l'enfoncer par la suite. Il y avait toujours un prix à payer pour chaque service rendu par l'Impératrice de Kadic et, souvent, celui-ci était cher. Et puis, dans le jargon, un scoop restait un scoop donc pas question de cracher dessus.
« Passe une bonne journée Jeanne, minauda Sissi d'une voix enjouée au possible, on se boit un café bientôt ! »

Tous les élèves présents dans les alentours fixèrent aussitôt la scène, s'attendant à une crise monumentale, digne de la troisième guerre mondiale. Hervé et Nicolas l'encadrèrent aussitôt, de peur que cette folledingue de Crohin fasse un geste déplacé mais il n'en fut rien. Elle avait d'autres comptes à régler. Avec ceux qui avaient blessé Odd.

La jeune artiste les repéra vite, près de la machine à café comme à leur habitude. Ulrich n'était pas là. Tant mieux. Il n'aurait pas aimé ce qui allait suivre. Le regard fixé sur son objectif, Jeanne traversa à grandes enjambées la quinzaine de mètres qui la séparait des bourreaux d'Odd.

Jérémie Belpois était d'humeur massacrante aujourd'hui. Plus rien n'allait selon son plan de base et il sentait la stratégie de sauvetage savamment réfléchie lui glisser entre les doigts, de plus en plus. Alors quand il vit la tarée qui servait de pote à Odd se diriger vers lui, il donna aussitôt un violent coup de coude à Yumi, occupée à glisser les piécettes dans la machine. La japonaise fit volte-face et comprit immédiatement quel était le problème.

— Qu'est-ce que vous lui avez fait ? rugit Jeanne, le teint rougeaud et les sourcils torturés par différents tics nerveux les parcourant de part en part.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, répliqua sèchement Belpois en la toisant de manière particulièrement efficace. Ton « lui » n'a pas d'antécédent donc je ne peux décemment pas savoir à quel sujet il se rapporte.
— Arrête de faire l'innocent, tu sais très bien de quoi je parle ! Vous avez foutu quoi avec Odd hier ? Il est dans un état pas possible et le pauvre ne s'est même pas levé ce matin tellement il avait mal !
— C'est pas de notre faute si c'est un flemmard, signala Yumi en se plaçant instinctivement entre son meilleur ami et Crohin.
— Comme par hasard, hier il a un "truc à faire" avec vous deux, et il se retrouve au final avec le front en compote et à respirer comme Dark Vador !
— Si t'es pas assez maligne pour comprendre qu'il se blesse tout seul, c'est que t'es pas vraiment proche de lui, siffla Jérémie en serrant les dents de plus belle après avoir prononcé sa réplique bien préparée.
— On le connaît mieux que toi, ajouta Yumi. Quand il a ses crises, il se met à raconter n'importe quoi. C'est loin d'être un mec fiable, il serait temps que tu t'en rendes comptes.
— Et puis, aucun de nous deux ne toucherait à un seul poil d'Odd, conclut Jérémie en remontant ses lunettes vers le haut de son nez. Il fait partie de notre bande. Pas de la tienne. Maintenant, tu peux disposer. Retourne vaquer à tes occupations... artistiques, et fiche-nous la paix.

Ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Chamboulée par cette fureur extrême qui montait de plus en plus, Jeanne bouscula Yumi pour se rapprocher de Jérémie. Elle eut juste le temps de voir ce connard prétentieux faire un regard en coin à sa complice, leva le poing, visa les lunettes et... Son mouvement fut stoppé net, en pleine trajectoire vers les verres de Belpois.
— Qu'est-ce que... ?!
— Pas la peine de nous adresser la parole à nouveau, lui murmura Yumi à l'oreille. Ou je te jure bien que ça sera la dernière fois que t'essaies de foutre une baffe à quelqu'un d'aussi brillant que Jérémie.

Les muscles paralysés pendant une poignée de secondes, Jeanne eut l'étrange impression de se déplacer de quelques centimètres vers la droite tandis que les deux compères la frôlaient de près avant de la laisser en plan pour de bon. Belpois en profita pour proférer une ultime menace, un énième regard noir de la japonaise, et Jeanne s'effondra au sol, sans bien comprendre ce qui s'était passé. Venait-elle de vivre une crise de tétanie pour la première fois de sa vie ?


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Fin d’après-midi, une semaine après les dernières infamies des Echos. Odd contourna précautionneusement la petite haie bien taillée qui menait à la maison. L’endroit était bien entretenu. Un vélo traînait dans le jardin, témoignage de la présence d’un enfant. Il se remémora les dires de Sissi. Un accident de vélo, hein ?...
Il approcha son doigt de la sonnette, se sentit idiot de ne pas avoir vérifié le nom sur la boîte aux lettres. Mais bon, il avait vérifié la rue trois fois, et il était bien au numéro 15. C’était bien l’adresse que Sissi lui avait donnée, pas de raison que ça se passe mal ! Un coup d’œil mal à l’aise derrière lui plus tard, il sonna. Le son cristallin alla se perdre à l’intérieur de la maison. Il entendit un bruit de vaisselle cassée, une voix en colère, puis des pas. On lui ouvrit.

C’était une de ces petites vieilles un peu surréalistes au visage ridé mais souriant, avec des lunettes de hibou et des cheveux gris enneigés qui fusaient parfois hors de son chignon de manière spectaculaire. Elle portait un tablier à fleurs sur son cache-cœur en tricot, et flageolait un peu sur ses jambes maigres.
— Euh, bonjour madame, je voudrais savoir si…
— Ah, enfin une jeunesse bien éduquée qui parle poliment ! s’enthousiasma-t-elle d’une voix chevrotante. Entre ! Quand j’ai vu ta coupe de cheveux par le judas je me suis dit que tu étais encore un de ces petits voyous du quartier qui cassent les vitres avec leurs ballons de foot et s’enfuient en courant, mais tu m’as l’air adorable ! Rentre, je te dis, tu as l’air gelé ! Je suis vraiment désolée, mon chat vient de fracasser mon vase en porcelaine de Chine en jouant avec mon petit-fils et… Jonathan, arrête de courir ! Ohlala, je suis vraiment débordée, tu veux bien garder un œil sur la cuisson de mes madeleines pendant que je nettoie ça ?
Ne sachant plus vraiment où se mettre, Odd ne put qu’accepter. Il ne put s’empêcher de noter qu’il ne semblait pas y avoir de Clara dans cette maison de fous, ce qui l’inquiéta légèrement. Mais peut-être était-elle simplement de sortie… Alors que la vieille disparaissait à petits pas pressés dans le salon en rajustant son châle bariolé, Odd réalisa qu’elle ne lui avait même pas indiqué la direction de la cuisine. Il ne put se fier qu’à son nez, toujours excellent en matière de nourriture, pour repérer le fumet desdites madeleines. La cuisine était baignée de la douce lumière chaude en provenance de la hotte, le genre d’endroit qui n’existe que dans les livres ou les souvenirs fantasmés des enfants. Dans le four, une plaque entière de gâteaux se dorait tranquillement. Odd repensa avec une certaine nostalgie aux madeleines fourrées Nutella de sa mère, dont les bosses restaient toujours un peu plates mais en même temps si goûtues. Il resta planté au milieu du carrelage jaune et bleu si cliché, les mains dans les poches, dévisagé par la myriade de casseroles pendues aux murs. La sonnerie du four bipa. Ne sachant trop s’il devait couper la cuisson ou non, Odd retourna à pas de souris dans le salon, où la vieille dame était occupée à ramasser les morceaux de son vase en porcelaine, sous le regard condescendant d’un chat sacré de Birmanie lové devant la cheminée.

— Euh, excusez-moi, le four a sonné et je…
— Oh si tu pouvais sortir la plaque ce serait vraiment adorable de ta part ! N’avance pas, tu pourrais te blesser ! Et surtout ne laisse pas Jonathan s’approcher des madeleines !
Toujours un peu mal à l’aise, et n’ayant même pas eu l’occasion d’exposer le motif de sa venue, Odd alla sortir les gâteaux du four. Son estomac gargouilla, mais il garda les doigts loin des courbes tentatrices des pâtisseries. Très vite, un bruit de cavalcade se fit entendre dans la maison, et une petite tête blonde passa dans l’entrebâillement de la porte de la cuisine. Jonathan, figure innocente de six ou sept ans, se figea en constatant la présence de l’intrus, et il posa donc la première question logique qui pouvait lui venir à l’esprit :
— Pourquoi t’as les cheveux tout bizarres ?
— Eh, ils sont pas bizarres ! protesta Odd en rougissant. J’ai juste mis du gel. Et puis euh, c’est cool, tu vois ?
Jonathan se faufila dans la pièce, mettant le cap vers les madeleines. Odd fit mine de l’arrêter, mais l’enfant s’indigna :
— J’ai le droit !
— Non, ta grand-mère a dit que tu ne touchais pas aux madeleines ! répliqua le collégien en rassemblant son semblant d’autorité.
Le petit allait commencer à trépigner, quand sa grand-mère entra dans la pièce.
— Jonathan ! Je t’ai déjà dit qu’elles étaient meilleures le lendemain !
— Pff, c’est pas juste, grogna-t-il en ressortant, mettant le cap vers sa chambre… dans le meilleur des cas.
La vieille dame sourit de toutes ses dents (ce qui n’en faisait pas forcément beaucoup) à son invité, et s’exclama :
— Mais au fait, je ne t’ai pas demandé ce que tu voulais ! Tu vends des calendriers scouts ? Non, mais non, tu n’as pas leur chemise, que je suis bête… Tu récoltes des sous pour ton voyage scolaire ? Vous allez où ? En Italie ? C’est beau l’Italie mon Dieu, j’y allais tous les étés quand j’étais jeune ! Il y a un de ces soleils, et tout le monde est tellement souriant ! Ça te fera du bien, j’en suis sûre, tu as une petite mine ! Tu devrais te reposer plus… Vous travaillez trop à l’école, n’est-ce pas ? Je le savais ! Ils sont fous les gens qui font ces programmes, ils devraient avoir honte de faire travailler à ce point les enfants… enfin, évidemment, pour ceux qui travaillent, parce que les petits sauvages qui se battent dans le bus, eux ils ne se foulent pas hein ! Toujours à causer des problèmes !
Sentant que la conversation allait déraper, Odd se racla la gorge :
— Non, hum, en fait je cherchais une certaine Clara Loess qui habiterait ici d’après une amie à moi… Il fallait que je lui parle…
— Ohhh, ça existe donc encore des jeunes romantiques à la recherche d’une belle inconnue ! C’est une rousse, non ? Je suis désolée pour toi jeune homme, elle n’habite plus ici… Ses parents m’ont vendu la maison il y a quelques temps. Je l’ai entraperçue en venant visiter, elle restait beaucoup dans sa chambre et, entre nous, je crois qu’elle a un fichu caractère ! Mais enfin, si tu lui cours après il doit bien y avoir une raison…
— Vous… vous auriez leur nouvelle adresse, par hasard ? espéra Odd.
— Evidemment, penses-tu ! claironna la vieille dame en partant fouiller le vide-poche de la cuisine. Voyons, voyons, j’ai bien dû la mettre quelque part… Ah ! Je savais bien qu’elle était là ! C’est fou ce qu’on perd comme choses en vieillissant, toi tu ne sais pas encore ça mais je te garantis que quand tu auras mon âge… une vraie passoire !

Elle rajusta ses lunettes pour mieux lire le papier et le recopia sur un petit post-it, de son écriture étroite.
— J’espère que tu arrives à me relire !
— Ne vous en faites pas, rit Odd, j’ai l’habitude avec ma mère…
— Sûrement une femme très bien ! Elle a de la chance d’avoir un petit gars aussi adorable que toi !
Il sourit, touché malgré lui par le compliment. On ne lui en faisait pas souvent, ces temps-ci… Alors qu’il s’apprêtait à prendre congé, la vieille dame poussa la générosité jusqu’à discrètement lui glisser une madeleine sur le pas de la porte avec un regard complice. Il repartit le cœur un peu plus léger et l’estomac un peu plus lourd.
Prochaine destination : 9 Rue de l’Oriflamme, Orléans.


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Yumi regarda pendant un instant la photo qui s’était tapie dans un mur de la petite enclave de Jérémie. Discrète, un peu mal éclairée, mais bien présente. Le peu de lumière tombait sur la bouille de son meilleur ami, un peu plus jeune qu’aujourd’hui, l’air assez austère mais cela, au fond, ne changeait pas de d’habitude. A côté de lui, on devinait une grande silhouette debout dans l’ombre.
— Allez-y, les scanners sont prêts, annonça simplement Jérémie en s’asseyant à son poste habituel.
Ulrich déguerpit en coup de vent, gravissant à la vitesse de l’éclair les marches vers les scanners. Yumi le suivit, plus lente, mais non moins enthousiaste. Elle ne comprenait pas comment Odd faisait pour ne pas apprécier les plongées sur Xanadu. Son air horrifié au sortir du scanner, la toute première fois, était resté gravé dans les mémoires. Le maillon faible avait été dispensé de virtualisation cette fois. Jérémie avait estimé que c’était trop risqué au vu de l’état de ses nerfs.

L’adolescente parvint finalement au sommet, et regarda avec un sourire de défi la grande porte de lumière qui s’ouvrait droit devant elle. Jérémie avait déjà lancé la virtualisation d’Ulrich. Elle-même passa le seuil du scanner en fermant les yeux, se préparant déjà au grand saut. C’était une sensation étrange que d’être virtualisé. Un pic d’adrénaline quand les portes se refermaient derrière vous, la lumière éblouissante même à travers les paupières closes, le léger sentiment que vos tripes se décrochent, comme dans un manège de parc d’attraction. Et, au moment précis où vous vous sentez basculer vers cet autre monde, une brève perte de conscience, juste le temps d’opérer la transition en douceur. Quand vous ouvriez les yeux, vous étiez ailleurs.
Xanadu était un kaléidoscope d’ambiances. Forêt, cascades, montagnes abrupte, cité en ruines, ou même marais brumeux, tous ces paysages se côtoyaient en une chatoyante harmonie. Enfin, chatoyante, peut-être pas. Les couleurs restaient un peu délavées, aériennes, comme dans un rêve un peu mélancolique. Elle s’était souvent demandé ce qui avait poussé le monde virtuel à adopter cet aspect. Avait-il toujours été comme ça, d’ailleurs ?
Aujourd’hui, ils étaient partis pour les marais. Une terre brunâtre, des nappes d’eau un peu troubles et une brume anxiogène. Ils ne s’aventuraient que rarement dans cette zone avec Odd. Du brouillard émergeaient aussi les formes voûtées de saules pleureurs, qui laissaient pendre leur longue chevelure jusqu’au ménisque. Quelques timides feux follets jouaient à cache-cache entre les troncs et les feuilles, semblant toujours observer les explorateurs de Xanadu sans réellement oser les approcher. Ils ne restaient que de vagues lueurs à la frontière de la brume.
A côté de Yumi, Ulrich avait son habituel air concentré. Il était vêtu d’une tenue traditionnelle de samouraï très ample, ensemble complété par un bandeau et un long sabre accroché au côté. Pour lui, Xanadu était avant tout une performance à accomplir. Elle y voyait un vaste terrain de jeu, il y voyait une immense piste de course. Malgré tout, ils formaient un duo redoutable.

L’herbe détrempée et spongieuse s’écrasa sous leurs pieds alors qu’ils s’avançaient prudemment. Plus loin sur leur gauche, l’eau se faisait plus profonde, plus sombre, beaucoup plus menaçante. Jamais ils ne s’étaient aventurés trop loin des parties les plus praticables du marécage.
— La tour des marais est à une bonne trotte. Désolé, on connaît trop mal le terrain pour que je vous virtualise plus près. Restez groupés, indiqua simplement Jérémie.
Ulrich sembla grogner à cette dernière mention, mais ne répliqua rien. Il avait dégainé son sabre, dont la lame n’était rien de plus qu’un assemblage bleuté de code binaire, et scrutait les alentours d’un regard bien plus acéré que son arme. Tout était silencieux, si on faisait abstraction du bruit de succion de leurs pas. La japonaise avait l’impression de voir des choses bouger dans l’eau, mais Xanadu ne réagissait pour le moment pas à leur présence. Ce n’étaient que les turbulences habituelles des marais. Elles prenaient régulièrement l’aspect de visages en peine, sans que l’adolescente parvienne vraiment à savoir si c’était un effet de son imagination. La frontière était parfois mince sur Xanadu.
— Yumi ? l’interpela Ulrich, qui avait pris un peu d’avance.
— J’arrive !
Elle s’élança à sa suite, la foulée gracieuse dans cet univers glauque. Finalement, on était plus si loin de la forêt de contes de fées. Un petit bout de leur enfance restait là, elle en était persuadée. Ces lambeaux de rêve dont on oubliait lentement l’existence en grandissant. Ceux qui donnaient le droit de croire aux monstres, aux sorcières, aux innombrables terreurs de la nuit, mais aussi à toutes les merveilles secrètes d’un monde. Peu importait lequel. Yumi voulait croire aux trésors de Xanadu, et en son âme d’enfant qui s’y promenait quelque part, comme chassée du monde réel.
Parfois on croisait quelques pontons de bois défoncés et rongés par la mousse, l’humidité, comme dévorés par le marais. Aucun des deux explorateurs n’allait vraiment y poser le pied, par mesure de précaution. Ce fut pourtant de sous l’un d’entre eux que se dégagea une nappe noire comme le pétrole.
— On a de la visite, Jérémie, annonça Ulrich d’un ton martial en prenant son sabre à deux mains.
— Ces émanations sont assez faibles, assura le génie depuis son poste de commande. Vous ne devriez avoir aucun souci à les semer.
Yumi vit des mains émerger des ténèbres, comme si la coulée de noirceur essayait de se hisser sur la berge. Par précaution, elle tira l’un de ses éventails, bordé d’une légère aura rouge, mais la chose n’eut pas l’air de vraiment réagir à leur présence. D’un accord tacite, ils s’en éloignèrent sans déclencher d’affrontement. Ces apparitions n’étaient pas si rares dans la zone des marais. En regardant attentivement, on pouvait en voir paresseusement mêlées aux branches des saules pleureurs. Ulrich et Yumi choisirent, là aussi, de contourner.

— Attention, derrière !
L’avertissement de Jérémie vint presque trop tard. Les réflexes surhumains d’Ulrich lui permirent de bondir sur le côté, tirant Yumi avec lui. Ils virent un projectile noir vraisemblablement agressif s’écraser là où ils se tenaient un instant plus tôt. La flaque se reforma, prenant l’apparence d’un lézard quadrupède avec une longue langue fourchue qui palpait l’air à leur recherche. Il évoqua à Yumi l’iguane qui lui avait fait peur un jour en vacances. Son éventail fendit l’air pour de bon cette fois, en une trajectoire gracieuse qui perça les ombres pour un temps seulement. Le reptile poussa un long cri rauque qui se perdit dans la brume, et il sembla aux enfants que le marais tout entier se réveillait, à leur recherche.
Avec un cri de guerre perçant, Ulrich fondit sur l’animal et le taillada une fois, deux fois, avant d’être projeté en arrière par la télékinésie de sa camarade.
— T’es malade ? Ton sabre n’a pas fini de charger, tu vas te faire démolir !
Le jeune homme fit la moue d’être ainsi repris, alors que Yumi envoyait voler ses deux éventails à la fois, les dirigeant à la perfection du bout de son esprit. Ils achevèrent l’ennemi, mais désormais, il ne faudrait plus compter sur le calme ambiant. La japonaise devait reconnaître qu’elle aimait quand les choses se corsaient un peu. C’était trop ennuyeux jusque-là.
Ils s’élancèrent à nouveau, moins précautionneux sur le bruit de leurs pas dans l’eau. La tour ne pouvait plus être si loin. Quelques indications de Jérémie les orientèrent au mieux, mais déjà les ténèbres s’arrachaient aux arbres, se fondant les unes dans les autres, pour finalement accoucher d’une ombre en forme de varan plus grand encore que le premier. Le mal ne meurt jamais.
–Ulrich, ton sabre est chargé à 90%, informa Jérémie, imperturbable.
–C’est trop lent, grogna l’adolescent. A ce train-là on se sera fait dévirtualiser !
Le monstre de ténèbres sembla avoir des spasmes, et régurgita de manière affreusement réaliste une série de serpents noirs, qui ressemblaient plus à de longs cordons gluants et frétillants. L’image fit son effet sur les deux combattants, qui restèrent figés sur place un instant alors que ces lambeaux de noirceur fondaient sur eux. Yumi tira un éventail qui en toucha une bonne partie, mais l’un d’entre eux arriva à s’enrouler autour de sa cheville. Elle flancha, voyant des images cauchemardesques défiler devant ses yeux à une vitesse fulgurante. Cela ne dura qu’une seconde : Ulrich intercepta son éventail en fonçant à l’aide de ses pouvoirs, et le renvoya droit vers la menace, qui fut ainsi éliminée. La japonaise ramassa son arme et le remercia, alors que la lame digitale du sabre d’Ulrich émettait une lumière bleue rassurante.

Il se dirigea droit vers l’épicentre du problème, sans plus accorder le moindre regard à sa coéquipière. Un éclair bleu, un autre, et les pattes du varan saignaient d’un liquide poisseux et noir. Ulrich était redoutable, personne ne pouvait le lui enlever. Les deux éventails de Yumi tracèrent une courbe rouge dans le ciel, comme doués d’une vie propre, et frappèrent à la tête. Bien qu’impressionnant, le monstre n’était pas si résistant que ça. Les voyageurs virtuels le voyaient déjà mort quand brusquement un coup de queue agonisant mais gigantesque faucha Ulrich, l’envoyant droit vers un arbre. Dévirtualisation instantanée, alors que le lézard tombait en fumée sous les yeux de Yumi.
Dans la salle des scanners, un cri de douleur accompagna la rematérialisation d’Ulrich. Plié en deux sur le sol du cylindre, il cracha un peu de sang avant de parvenir à se relever. Jérémie ne leva pas les yeux de son écran. Tout ceci était habituel, et Yumi comptait sur lui pour continuer à la guider.


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Orelsan – Paradis

Quelques jours avant la reprise d'une nouvelle année scolaire, des centaines de foyers vivaient leurs derniers moments en famille avant d'être brisés à nouveau par la routine quotidienne, celle qui broyait le temps libre de tout élève avec sa machinerie de devoirs et sa batterie de tests plus ardus les uns que les autres. Il y avait bel et bien quelque chose dans l'air terrestre qui rendait le sommeil impossible au moment douloureux où l'on voyait la date fatidique de la première journée de cours s'approcher à grands pas. Pour certains, cette rentrée serait un peu particulière. Yumi, elle, allait enfin mettre les pieds au collège-lycée Kadic, établissement dont elle entendait parler depuis sa plus tendre enfance. Via le fils des voisins, qui était plus âgé qu'elle, la future adolescente savait déjà qu'elle allait avoir affaire à un prof de gym à l'humour détonnant et à une prof de SVT dotée d'une réputation de vieille peau qui la précédait. Elle savait aussi pertinemment qu'elle allait se retrouver dans la même année que la fille du proviseur, connue pour être une bien belle peste à ses heures perdues. Sa mère l'avait prévenue plus d'une fois après tout, elle qui avait travaillé au secrétariat de l'immense école primaire d'Elisabeth Delmas, qui faisait des siennes avant même de rejoindre le collège. Akiko lui avait déjà fortement déconseillé de fréquenter celle qu'on surnommait Sissi, qu'elle trouvait insolente et hautaine, même envers les adultes pour qui elle aurait dû montrer un certain respect en temps normal. Selon son père cette fois, Yumi devrait aussi faire gaffe aux fumeurs de shit de Kadic, qui se planquaient dans les recoins du parc selon la légende, et qui ne manquaient pas de draguer tout ce qui bougeait dans les parages.

Passer le cap des onze ans d'âge avait été sa plus grosse erreur jusqu'à présent, le gong de la fin de l'insouciance avait bel et bien sonné. Beaucoup de tabous étaient tombés, de la conception des bébés aux détails les plus sordides des génocides qui passionnaient véritablement la jeune asiatique. En particulier celui du Rwanda. Elle connaissait chaque date, chaque acteur important de ce spectacle tragique qu'avait une nouvelle fois offert l'Afrique... avec l'aide sous-jacente des occidentaux. Comme toujours, en permanence présents en arrière-plan quand il s'agissait d'un massacre à grande échelle sur un continent plus "primitif". Yumi avait remarqué avec le temps que le francophone de base habitait réellement dans une bulle. Son monde, sa vie, son petit nombril, tout tournait autour du français. Ah oui, c'était évidemment une grande culture, la plus prestigieuse sans aucun doute quand on prenait la peine de s'attarder sur les gloires passées comme aimaient tant le faire les francophones de tous bords. Et puis, c'est pratique, il y a des tas de livres, tellement de traductions ou doublages, des chaînes télés, des radios… On peut avoir le tout en français. Donc pourquoi chercher plus loin ? Autant se concentrer sur les exploits où la France a tant brillé... et les tragédies, comme les deux grandes guerres.

Yumi aimait ces histoires sanglantes, elle avait cette impression lancinante que connaître l'histoire permettrait à la nouvelle génération de ne pas répéter les erreurs du passé. On a tous au moins un intérêt curieux, la japonaise n'échappait pas à la règle. Ce qui nous amenait à son plus gros défaut : elle pensait tout savoir sur de nombreux sujets. Contrairement à son meilleur ami Jérémie, un véritable génie, mais qui remettait perpétuellement en question chaque information apprise sur les bancs de l'école. Il n'était sûr de rien et, au fond, n'était-pas cela la plus grande intelligence ? Yumi n'en savait rien, elle se contentait de se tenir au courant de l'actualité, quand elle n'était pas en train de faire du sport ou de s'occuper de son oursin de frère. De fait, quand l'info ne venait pas à elle, sa curiosité naturelle la poussait à découvrir des scoops sur n'importe quel sujet – plus ou moins pertinent – qui lui passait par la tête. En ce moment, sa préoccupation principale était Kadic et elle avait donc tout naturellement interrogé ses quelques connaissances qui fréquentaient l'école à l'aide de son humour habituel qui déliait toutes les langues. Après ces nombreux interrogatoires, elle pensait donc savoir à quoi s'attendre pour « la grande école ». Mais est-ce que tout cela était vrai ? Madame Hertz faisait-elle vraiment exploser des solutions colorées en classe ? Est-ce que vraiment les punis devaient rester dans la chaudière jusqu'à nouvel ordre ?

Chassant toutes ces idées de son esprit (elle le découvrirait bien assez vite par elle-même dans peu de temps !), Yumi tenta de se reconcentrer sur la partie qu'elle était en train de disputer avec son frère. Après avoir tiré une carte chance et lut son contenu à voix haute, la joueuse en appliqua l'effet et déplaça son pion de trois cases sur le plateau, ce qui fit sourire immédiatement Hiroki qui ne cachait pas sa joie de dominer ce début de partie.

— Toy Story, meugla-t-il de sa voix de gamin qui n’a pas encore mué, c'est chez moi ! Tu dois payer une taxe de séjour de 152 euros !
— Fais voir ta carte, répliqua Yumi qui s'empara aussitôt du bout de papier que Hiroki secouait frénétiquement. Eh, attends un peu, 152 c'est quand t'as trois maisons. Or, je n'en vois même pas une seule sur ta propriété !
— Mais mais... j'en avais acheté pourtant !
— Dans tes rêves, ricana la japonaise. C'est moi la banque et je ne me souviens pas t'en avoir vendu !
— Mouais bon, grommela le cadet Ishiyama, tu me dois quand même 20 balles alors !
— Si ça peut te faire plaisir, chantonna la jeune fille en lui tendant un billet. C'était un plaisir de loger chez vous monsieur, vraiment, pas cher du tout cet endroit en plus !
— Arrête de faire la maligne, râla-t-il en adoptant cette mine grognon qu'il maîtrisait à la perfection. Tu la ramèneras moins quand tu tomberas plusieurs fois dessus d'affilée ! Et puis d'façon, pourquoi c'est toujours toi la banque d'abord ?
— Parce que tu es le pire tricheur de tous les temps, voilà pourquoi tu ne tiens pas la caisse ! Je te rappelle aussi que c'est ma chambre ici donc ça serait bien que tu arrêtes de coller tes crottes de nez sur mon tapis !

Après un énième soupir, Hiroki s'empara des dés – il y en avait deux, comme dans tout bon Monopoly – et les agita dans sa paume avant de les balancer sur la surface colorée du plateau. Il compta rapidement les points sur les deux faces qui sortirent de ce lancer et en déduit qu'il devrait avancer de sept cases pour ce tour. Alors qu'il tendait la main vers son pion Tarzan pour le déplacer, la porte d'entrée claqua violemment et des éclats de voix se firent entendre. Aussitôt, Yumi bondit sur ses pieds – comme elle le faisait souvent en entraînement – et se dirigea vers la porte qui les séparait du hall de nuit.

« Reste ici » ordonna-t-elle en faisant les gros yeux – du moins autant que le permettaient ses origines – dans le but que son frère se tienne, pour une fois, à carreaux. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la sportive dévala les escaliers et tomba face à face avec... Jérémie, vêtu d'une étrange combinaison moulante que Yumi n'avait jamais vue auparavant, tout tremblotant dans les bras de sa mère. Ce spectacle était pour le moins... étrange, surtout que Jérémie était plus pâle qu'un fantôme tout en étant visiblement dans un état d'adrénaline intense. Quand Yumi croisa son regard, elle ne vit qu'une détresse certaine dans ses iris bleus d'ordinaire si expressifs pour toute personne pouvant les décrypter. Pupilles réduites et yeux écarquillés par la peur désormais, une lente oblitération de toutes certitudes formant le roc Belpois venait de commencer. Même Akiko, d'ordinaire si imperturbable, semblait dépassée par la tournure des événements.

— Je... je suis tellement désolé Akiko, renifla Belpois. Je ne savais pas où aller... Maman n'est pas là, tout est verrouillé chez moi...
— Ce n'est rien Jérémie, assura la quadragénaire, tu sais que tu fais partie de la famille... Mais tu dois impérativement me raconter tout ce qui s'est passé, en détails, il faut que je prévienne les autorités compétentes.

A ces mots, Yumi blêmit légèrement et sentit ses doigts se mettre en mouvement de manière incontrôlée. Que se passait-il ? Ce n'était clairement pas dans les habitudes de Jérémie de se mettre dans des états pareils... Avait-il eu un accident ? Il n'a pas l'air blessé pourtant ?! Était-il arrivé malheur à... ?

Les phalanges en feu à force de serrer si fortement ses petits poings, le jeune Belpois essuya ses lunettes emplies de larmes avec un mouchoir pas très net qu'il sortit de sa poche. Il se racla la gorge, tentant d'expliquer sa mésaventure, mais les mots qui s'apprêtaient à sortir de sa bouche furent dévorés par des sanglots déchirants à chaque tentative de prise de paroles. Après une poignée de minutes où Akiko l'enserra de ses bras, le fit s'asseoir et lui apporta un chocolat chaud, le blondinet si chétif réussit enfin à reprendre quelque peu le contrôle de ses émotions. Il avait envie de parler, ça se voyait. Mais arriverait-il à finir sans être interrompu par un torrent de larmes à nouveau ? Yumi, choquée par l'état si inhabituel de son meilleur ami, lui caressa doucement la joue pour chasser toute humidité persistante et pour l'encourager à prononcer ces mots qui semblaient si douloureux. Après avoir gonflé le torse de cet oxygène salvateur pour se donner un peu de courage, Jérémie reprit son discours, trop tôt interrompu par l'arrivée de Yumi qui avait provoqué chez lui un nouveau raz-de-marée de tristesse.

« Mon père, prononça difficilement le petit garçon. On était partis plonger comme d'habitude... Il y a eu un courant inverse... il faisait si noir. J'avais froid, je tremblais, j'aurais tellement voulu crier après lui mais ce n'était pas possible. Je suis remonté à la surface... je l'ai attendu... mais il ne m'a jamais rejoint.
— C'était à quel niveau ? s'inquiéta aussitôt Akiko en torturant d'une pression intense les touches de son portable pour tenter de contacter Agnès Belpois, qui ne répondait déjà pas aux textos en temps normal et encore moins aux appels. Et comment as-tu fait pour revenir ici ?
— On était pas loin... dans la Seine.
— Dans la Seine ? s'étrangla Akiko. Mais c'est... c'est complètement absurde !
— Je pensais que vous plongiez en lac d'habitude, ajouta Yumi qui tentait tant bien que mal de consoler son ami, notamment en lui apportant une nouvelle serviette, lui qui avait les cheveux trempés.
— Je savais que c'était une mauvaise idée de s'aventurer là, soupira Jérémie en secouant la tête en signe de dépit. Akiko... je suis désolé de te demander cela mais il va falloir aller trouver ma mère pour la prévenir. Je sais qu'elle ne répondra pas à son téléphone et le moyen le plus rapide de la contacter est encore d'aller la retrouver au centre commercial, c'est toujours là qu'elle passe ses samedis après-midi.
— Je... je vais faire ça. Je vais te donner un pull de Yumi et on se met en route, il faut que ta maman soit mise au courant... Peut-être que ton père est déjà avec elle Jérémie, peut-être qu'il est allé la retrouver directement...

Cette déclaration sonnait faux, tellement faux qu'aucune personne dans la pièce ne lui accorda vraiment de l'importance. La seule chose qui comptait maintenant, c'était de retrouver Ludwig Belpois. A tout prix. Mais pas à la manière d'Akiko, non, certainement pas...

— Je suis désolé mais... est-ce que tu peux y aller seule ?
— Il faut que tu viennes avec moi Jérémie ! s'exclama la mère de famille, Agnès voudra que tu lui expliques ce qui s'est passé !
— Tu peux lui raconter à ma place, rétorqua Jérémie. Il faut que... que...

Le petit génie fondit en larmes une nouvelle fois. Mais là, ce n'était pas sincère. Yumi le perçut immédiatement, après toutes ces années à fréquenter le garçon qu'elle connaissait sur le bout des doigts. Pourquoi Jérémie faisait-il soudain une telle comédie ? Avait-il vraiment été sincère depuis le début ou est-ce que cela cachait autre chose, de plus grave encore peut-être ? En tout cas, si ces sanglots simulés ne prenaient pas avec Yumi, ils bouleversèrent totalement Akiko qui ne savait plus où se mettre, mal à l'aise devant cette situation si particulière qu'elle aurait voulu ne jamais devoir affronter. Etant la seule adulte présente, c'était à elle de réagir de la manière la plus adaptée possible. Malheureusement, les grandes personnes ne possèdent pas toujours toutes les solutions...

— J'ai froid, si froid... je voudrais prendre une douche avant de faire quoi que ce soit, supplia Jérémie.
— Ok, soupira Akiko en décroisant les bras pour tenter d'adopter une attitude plus conciliante. Va te laver. Pendant ce temps-là, je vais téléphoner à mon mari. Son bureau n'est qu'à deux pas du centre commercial, il pourra s'y rendre aisément. Quand tu redescendras, les policiers seront déjà sûrement arrivés. Il faudra tout leur raconter Jérémie, sans avoir peur, comme tu as pu le faire avec nous. Il faudra aussi les emmener à l'endroit où tu as vu ton papa pour la dernière fois, d'accord ?
— C'est promis... maman.

Akiko ne releva pas le dernier mot. Ce n'était pas la première fois qu'il l'appelait comme ça et tous les stratagèmes employés par la famille Ishiyama pour l'empêcher d'employer ce sobriquet n'avaient pas porté leurs fruits. Il était vrai qu'ils considéraient Jérémie comme leur troisième enfant... mais Akiko ne supportait pas qu'il l'appelle maman, sachant les différends qu'il pouvait avoir avec Agnès, la mère biologique de Jérémie bien que tout les opposait. Après un énième regard appuyé pour vérifier que Jérémie n'allait pas se remettre à pleurer, Akiko dégaina son portable et se dirigea vers la cuisine, sans doute pour que les enfants ne puissent pas entendre ses discussions téléphoniques.

Aussitôt partie, Jérémie demanda à Yumi de l'accompagner et celle-ci s'exécuta, sentant bien que quelque chose ne tournait pas rond dans toute cette histoire. Après avoir monté les escaliers, ils s'enfermèrent dans la salle de bains, laissant couler l'eau de la douche pour ne pas éveiller les soupçons et pour couvrir le bruit de leurs confidences. La jeune fille tendit à son invité un gant de toilette au cas où celui-ci voudrait vraiment se laver mais Jérémie déclina la proposition d'un hochement de tête. Il semblait toujours en état de choc... Si Yumi ne prenait pas les choses en main, ça pouvait encore durer un moment cette histoire.

« Tu penses qu'il s'est noyé ? »

Du Yumi tout craché, droit au but et sans tact, en toutes circonstances. Le regard du blondinet se durcit, elle pouvait presque voir ses neurones tourner. Il bafouillait sans doute intérieurement sur le choix de ses termes, comme souvent lorsqu'il ne finissait pas ses phrases ou qu'il passait d'un sujet à l'autre sans prévenir. Bien que là, un seul nom propre hantait ses esprits.

« Yumi, finit-il par déclarer, ça va te paraître bizarre mais je sens qu'il n'est pas mort... enfin ce n'est pas que je le sens, je le sais ! Enfin je... je l'espère, c'est... Il a disparu... et tout est de ma faute. C'est la seule certitude que j'ai pour le moment. J'ai quelque chose à t'avouer... mais il faudra me promettre de ne rien raconter à personne. Même pas à tes parents. Je sais que c'est beaucoup te demander mais... tu es la seule personne en qui j'ai confiance pour dire toute la vérité actuellement. Yumi… est-ce que tu peux garder un secret ? »



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Yuugo Kanno - Ajin Main Theme (Ajin : Semi-Human)

Après un long trajet sans encombre – du moins, une fois Ulrich dévirtualisé – la japonaise arriva à destination. C'était bizarre, tellement bizarre... Xanadu l'avait laissée tranquille, comme s'il voulait qu'elle parvienne à traverser le territoire sans souci supplémentaire. Même s'il y avait eu ce souvenir, angoissant au possible, qui était évidemment revenu la hanter au pire moment. Lorsque Yumi pénétra dans la tour, tout était sombre. Essoufflée par sa course virtuelle, elle ne voyait même pas où elle avait posé les pieds. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle venait ici, et pourtant elle avait toujours ce frisson d’effroi. Même elle, qui avait Xanadu dans la peau.

Le silence et l’opacité des ténèbres lui permettaient à peine de bouger. Elle avait bizarrement froid.
Le sol sous ses pieds était dur. Elle avança un pied, précautionneusement, parcourue d’hésitations. Elle ne voyait rien. Ni les murs, ni ce sur quoi elle marchait, ni de plafond. Que la noirceur suffocante. Ce n’était qu’un premier test. Elle se rappelait bien assez. Ôtant volontairement les mains de ses éventails, elle s’avança plus franchement, droit devant elle, les yeux clos. Elle savait qu’elle ne pouvait pas tomber. Elle connaissait le chemin.
Le sol se déroba. Elle chuta dans un cri paniqué, un de ses éventails glissa de sa ceinture jaune et elle tomba dans les abysses. Longtemps. Cet air glacial lui mangeait les joues, éméchait son chignon, et semblait ne jamais vouloir cesser de hurler. Ou peut-être était-ce elle ? Les secondes gouttaient les unes après les autres dans cette clepsydre trop lente, et elle-même commençait à craindre de se noyer à jamais dans le virtuel.
Ce fut le moment que choisit son dos pour se briser sur une plateforme, des dizaines, des centaines de mètres plus bas dans la gueule de Xanadu.
La douleur irradia. Elle aurait dû être dévirtualisée sur le coup, et pourtant elle était toujours là. A son grand regret. Son souffle lui déchirait les tympans, ou du moins ce qu’il restait de son souffle déchirait ce qu’il restait de ses tympans. Elle avait mal partout. L’air expulsé si brutalement de ses poumons peinait à y revenir, et elle peinait à se relever. Alors qu’elle roulait sur le flanc, une douce lumière blanche commença à irradier d’elle ne savait trop où. Comme si les lieux étaient désireux de lui faire voir leurs ténèbres un peu mieux.

La tour était un immense tube noir qui cavalait vers le haut jusqu’à disparaître, sans toit possible. Elle ne voyait même pas d’où elle avait pu glisser, et aurait juré que la plateforme était la même qu’à chaque fois où elle était venue. A part cette chute inexpliquée, rien n’avait changé. Alors quoi ? Xanadu avait décidé de la déstabiliser ?
Elle se releva, le regard empreint d’un défi qui ne pouvait être qu’une menace. Elle était beaucoup trop faible, et Xanadu beaucoup trop écrasant.
Sous ses pieds, le sol était transparent, et ne donnait que sur un gouffre obscur. Dévorant. Une plaie ouverte. Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser ça… et pourtant elle aimait beaucoup Xanadu.
Elle savait ce qu’elle avait à faire, désormais. L’interface flottait paisiblement au milieu de la plateforme, un peu plus bas que ses épaules. Elle inspira profondément, la main subitement tremblante alors qu’il fallait la poser au milieu des caractères de l’écran. Elle appuya sur un bouton, livide. L’objet virtuel émit une paisible lumière bleue et s’effaça au profit d’un nouvel affichage. Ce n’était pas non plus la première fois qu’elle faisait cela. Et elle savait ce qui allait suivre.
« Initialisation de la connexion au Noyau. »
Le sol et les parois de la tour devinrent brusquement un nid de serpents noirs. Dressés comme des cobras, ces câbles menaçants formaient un cercle de plus en plus étroit autour d’elle. Elle sentit sa respiration s’accélérer, la panique la submerger, et déjà ces aspics acérés lui emprisonnaient les jambes, les poignets, la cage thoracique… et déjà elle les sentait mordre dans sa chair numérique. Les petites têtes de métal, dards désagréables au possible, se fichaient partout où ils pouvaient, la dévorant de toute part. Elle avait peur. Impossible de réfréner cette angoisse galopante qui embrasait chacun de ses capillaires. Elle cria quand un câble se planta dans le côté de son cou, et quand les autres se resserrèrent pour tenter de l’étouffer. Et tout devint noir.
Elle n’avait pas perdu connaissance, non. La lumière de la tour avait juste drastiquement diminué. Et désormais, les murs allaient devenir une palette de cauchemars.

Elle entendit avant de voir. Une voix familière, déformée par la douleur et la peur. Celle d’un petit garçon. Celle de son frère. L’image apparut par flashs, des flashs de lumière rouge sang. Les hurlements étaient d’un réalisme criant de vérité. Elle ne pouvait pas détourner le regard. Elle vit les endroits familiers de sa maison, ceux où elle avait passé le plus de temps. Elle vit sa chambre, celle de son frère, le plateau de Monopoly, l’arbre où elle grimpait en revenant de ses sorties en douce. Tous couverts de sang frais. Parfois de plus. C’était tellement criant de vérité. Yumi sentait les câbles se cabrer dans sa chair, comme s’ils se gargarisaient de sa peur. Elle ne pouvait pas faire abstraction. Elle voyait le rouge dégouliner dans les escaliers où elle courait trop quand elle était enfant. Elle voyait les poignées de portes souillées, et celle de la chambre de son frère verrouillée. Elle se voyait taper dedans en rage, et ne pas arriver à l’ouvrir. Elle se voyait impuissante face à la tragédie. Elle s’entendit, comme à travers un rêve, appeler ses parents, et ne sut si c’était la tour ou ses propres cordes vocales qui avaient produit ce son.

Elle vit Jérémie, le regard fou devant ses écrans, baigné d’une lumière blafarde. Elle le voyait trembler de toutes parts, comme possédé, et se mettre à rire comme ces savants fous dans les films. Elle réalisa alors seulement que ses doigts avaient fusionné avec le clavier, que son dos s’était voûté, écrasé par les années qu’il n’avait pas, et qu’il continuait à sourire d’un air béat devant l’ordinateur qui le mettait à genoux et ouvrait grand la gueule pour le dévorer. Elle vit deux yeux bleu marine, perçants et froids, qui émergeaient des ténèbres. Elle voulut fermer les paupières pour leur échapper, et se rendit compte que son corps ne répondait plus.
Tout devint noir encore. Elle était au fond d’un trou, elle en était persuadée. Elle voyait la lumière au-dessus d’elle, elle sentait le contact humide du sol. Elle tendit la main, mais une pelletée de terre lui tomba dessus, comme pour la contraindre à rester allongée bien sagement au fond de sa tombe. Elle se cabra, elle fit ce qu’elle pouvait pour s’arracher à l’emprise des profondeurs, mais c’était comme si ses membres étaient déjà à moitié avalés. Elle se débattit encore, bien en panique cette fois. Elle allait être enterrée vivante. La lumière diminuait chaque seconde au-dessus de sa tête, et elle se sentait s’engourdir, lentement, inexorablement. Elle allait mourir ici.

Hoquet de noyée. Tout pesait beaucoup trop lourd. Dans un élan de désespoir, elle se redressa, envoyant voler ses entraves… et chuta sur le sol de la tour, le regard fou, le souffle dément. Alors que ses yeux s’accommodaient maladroitement au gouffre noir qu’elle visualisait sous le verre, elle vit les câbles reculer lentement dans les ténèbres, jusqu’à une prochaine fois. Et elle comprit alors qu’elle avait échoué. Incrédule, elle fixa les petites plaies virtuelles qui la zébraient, et les pixels qui s’en échappaient comme les petites étincelles d’un feu de camp.
« Pardon Jérémie » fut sa dernière pensée avant d’être happée par la Terre à nouveau.
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Dernière édition par Sorrow le Lun 08 Oct 2018 18:03; édité 1 fois
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*Odd Della Robbia* MessagePosté le: Dim 24 Déc 2017 17:14   Sujet du message: Répondre en citant  
[Kongre]


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bon chapitre.
Franchement il semble qu'ici nos LG (moins odd), sont un bande de connards, ils traitent Odd comme une merde et n'hésitent pas a le descendre derrière son dos ou menacer le peu d'amis qu'il a. J'en viens a espérer qu'une grosse crasse bien douloureuse arrive au groupe original pour leurs comportement envers notre félin. pour la note, j'espère que tu vas donner à Odd un gros power up, histoire qu'il ne soit pas un maillon faible inutile maltraité par la bande jusqu'a la fin (même aelita qui au début était faible au combat tel une princesse de vieil animation disney, a rapidement gagné en pouvoirs offensif cheaté dans l'animé).

Yep, Yumi semble vraiment avoir prit de nombreux traits du Odd de l'animé (ici on ajoute son gout pour les histoires bien sanglante).

Interessant le flashback avec jérémie, c'est donc comme ça que yumi a été recruté, et le père de jérémie a été victime de xanadu.

Et une autre attaque psychologique bien glauque avec yumi en victime. Xanadu sait vraiment frapper là où sa fait mal. un autre échec pour les LGs.

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Sorrow MessagePosté le: Lun 08 Jan 2018 18:28   Sujet du message: Répondre en citant  
[Kankrelat]


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Chapitre 5
Plongée en eaux troubles


Les murs de la pièce croulaient sous les tableaux en tout genre. Celui juste à droite de son champ de vision représentait une marée de tournesols dont le jaune lui agressait terriblement l’œil. Sans compter l’infâme bibelot de madame Belpois, ramené d’un séjour à Barcelone. Avec toutes les beautés qu’offraient la ville, elle avait malgré tout réussi à choisir quelque chose de douteux, et à l’afficher fièrement juste en dessous de leur télévision. C’était désolant, surtout quand on voyait la superbe image d’aurore boréale grand format qui trônait un peu plus haut.
La bibliothèque avait été relativement épargnée par la corrosion de la maîtresse de maison, grâce aux efforts acharnés qu’il avait déployés pour que les grands physiciens de ce monde restent à l’abri derrière les portes vitrées. Il avait personnellement scotché scrupuleusement leurs photos sur le panneau du fond, de sorte qu’elles soient visibles quand on empruntait l’un de leurs écrits. Le coin droit du canapé bleu-gris était précisément celui où Jérémie aimait s’asseoir en tailleur pour les lire. Timidement cachée au pied du meuble de la télévision, on pouvait reconnaître sa Nintendo 64, qui était toujours du meilleur effet quand Yumi venait à la maison.

Si on exceptait ce détail, difficile de se douter que cette maison était celle d’un couple avec enfant. Aucune photo de famille, aucun jouet abandonné sur le tapis ouvragé, aucun gribouillage affiché fièrement sur les murs. Et c’était très bien comme cela. Quoique, entre cet ignoble bibelot et une « œuvre d’art » d’enfant de maternelle, où était la différence ? A l’inverse, il était convaincu qu’Agnès rêvait de pouvoir décrocher le poster d’Albert Einstein qui ornait fièrement la salle à manger. Mais à deux contre une, elle ne ferait pas grand-chose.

— Tu sais quand Jérémie doit rentrer ?

Agnès Belpois était une femme assez petite et souriante, dont les cheveux châtain clair étaient fréquemment ‘’retenus’’ en chignon. Elle avait une prédilection marquée pour les couleurs vives, et la monture de ses lunettes en était probablement la preuve. Elle en possédait deux paires, ou peut-être trois, il ne savait jamais. C’était peut-être pour faire oublier que ses yeux verts n’avaient rien d’extraordinaire.
Ils étaient très différents physiquement. Psychologiquement aussi, bien sûr, mais ça se voyait peut-être moins vite. Lui-même était plutôt grand et maigre, avec cet air sévère plaqué constamment à ses traits acérés. Les couleurs froides lui allaient beaucoup mieux que le reste, s’accordant à merveille avec ses yeux bleu foncé capables de clouer n’importe qui sur place. Même ses cheveux blonds soigneusement peignés n’évoquaient pas grande ressemblance avec un soleil radieux. Ou à la limite, le soleil froid des grands hivers.

— A la même heure que d’habitude, je présume, répondit calmement Ludwig Belpois, les yeux encore égarés entre les lignes de son livre. Ce n’est pas la première fois qu’il dîne chez les Ishiyama. Ils le déposeront.
— Quelle considération, je suis surprise que tu te sois même rappelé où il était, rétorqua-t-elle plus sèchement, mise d’humeur revêche par son air impassible.
Il leva les yeux, mais ne dit rien, se contentant de la fixer jusqu’à ce qu’elle ait terminé son réquisitoire. Elle ne se laissa pas démonter :
— Parfois j’ai l’impression que tu ne t’intéresses pas à lui. Tu es toujours dans ton monde. Ton fils n’est pas juste un bulletin scolaire ou une grosse tête, tu sais ! Tu fais tellement attention à lui qu’il préfère passer son temps chez les Ishiyama que chez nous, ajouta-t-elle avec une voix un peu plus brisée.

Agnès était très forte pour déchaîner de grandes tempêtes émotionnelles à partir de rien. Ludwig, en parfait iceberg qu’il était, fit remarquer :
— Ce n’était pas toi qui te plaignais qu’il ne sortait pas assez ? Et maintenant, quand il est chez les Ishiyama, tu voudrais qu’il soit ici. Tu me reproches de ne pas m’intéresser assez à lui, et pourtant je me souviens t’avoir entendu dire que tu ne voulais pas qu’il devienne comme moi. Décide-toi, Agnès, je ne peux pas tout faire.
Chez la plupart des couples, les enfants étaient une source infinie de bonheur et de rires. Une joyeuse présence cavalant dans la maison, faisant mille et une sottises, cela avait de quoi rendre heureux. Pourtant, le couple Belpois ne s’était sûrement jamais autant déchiré qu’autour de Jérémie. Chacun avait sa vision de l’avenir du petit garçon, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles n’étaient pas compatibles.

Ludwig s’accommodait fort bien de l’immense admiration que lui portait Jérémie, et s’efforçait de lui transmettre ses valeurs les plus importantes, la suprématie de l’esprit en tête. A l’inverse, Agnès rêvait de voir son fils aller jouer au foot dehors après l’école, pourquoi pas faire une bêtise ou deux, tout plutôt que d’avoir une copie miniature de son spectre de mari. Ironiquement, c’était pourtant Jérémie qui parvenait encore à faire tenir le couple. Après tout, un divorce pouvait perturber un enfant si jeune et si fragile, et aucun des deux parents ne voulait prendre le risque.

— Quand je dis « t’intéresser à lui », ce n’est pas simplement lui refiler les bouquins d’Einstein ou je sais pas qui ! Je ne t’ai jamais vu l’emmener au foot, ou jouer à la console avec lui !
— Il ne joue à la console que quand Yumi est là. Et je ne t’ai jamais vue l’emmener au foot non plus, fit remarquer Ludwig en baissant à nouveau les yeux sur sa lecture.
— C’est parce qu’il ne veut jamais rien faire avec moi ! sanglota brusquement Agnès. Il n’a d’yeux que pour toi de toute façon…

Plutôt insensible à la déferlante d’émotions de sa femme, à laquelle il s’attendait, il la laissa déverser son flot de reproches et d’auto-apitoiement. Comme quoi à la base elle ne voulait pas de ce gosse. Comme quoi il était la copie conforme de son père et qu’il allait finir par ne plus en avoir rien à foutre de rien. Comme quoi Jérémie ne l’aimait pas, et qu’il avait le même regard hautain que lui. Comme quoi elle avait l’impression que personne dans cette maison ne se souciait vraiment d’elle…

« Je suppose que vous connaissez tous ce problème ; puisque ma vie consciente est visiblement liée de façon très étroite aux évènements physiologiques qui se déroulent dans mon corps, et spécialement dans mon cerveau, si ces derniers sont déterminés de façon stricte et univoque par les lois naturelles, physiques et chimiques, que faut-il penser du sentiment irrépressible que j’éprouve et suivant lequel je prends des décisions en vue d’agir de telle ou telle manière, comment puis-je me sentir responsable des décisions que je prends effectivement ? Tout ce que je fais n’est-il pas déterminé à l’avance de façon mécanique par l’état matériel des processus qui se passent dans mon cerveau, y compris les modifications qui sont causées en lui par les corps externes ? Mon sentiment de liberté et de responsabilité ne me trompe-t-il pas ? » disait Erwin Schrödinger dans Physique Quantique et Représentation du Monde, ouvrage actuellement ouvert sur les genoux de Ludwig. Il le ferait certainement lire à Jérémie quand ce dernier serait plus grand.

Au bout d’un certain temps, il réalisa que son épouse avait cessé d’étaler ses états d’âmes, et le fixait d’un regard rougi mais toujours furieux. Ce fut le moment qu’il choisit pour mentionner simplement :
— Je pensais emmener Jérémie faire de la plongée.


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La tête de Jérémie dodelinait contre la vitre de la voiture, ballotée par la route. Il était encore tôt pour un samedi matin. Trop tôt, se plaignait son esprit à moitié assoupi. D’ailleurs, il devait piquer du nez une fois sur deux, au vu des formes oniriques qui se mêlaient au trajet. Il en ressortait une impression de flou, comme si tout ceci n’avait été qu’un vaste rêve, aussi.
Il s’en voulait de sommeiller dans un moment pareil. Ce n’était pas souvent que son père lui proposait une activité rien que pour eux deux !
Dans l’habitacle, il n’y avait que le bruit du moteur. Pas de musique, pas de radio. Ludwig n’appréciait aucune station. Agnès, elle, aurait sans doute réclamé France Inter, mais le père de Jérémie jugeait que ce ramassis partial de gauchos n’aurait rien à faire dans sa voiture. Quant à la musique… pas sûr que Belpois senior en écoute. Alors son fils n’en écoutait pas non plus.

— Tu t’endors ?
La voix ne sonnait pas spécialement pleine de reproches, mais Jérémie l’interpréta comme telle. Il se redressa sur son siège, penaud, et s’excusa.
— On arrive dans combien de temps ? demanda-t-il pour tenter de relancer la conversation.
— Une dizaine de minutes je dirais. Tu peux calculer la racine treizième de 8192 si tu t’ennuies, suggéra distraitement Ludwig.
— C’est 2, elle est connue, fit remarquer Jérémie.
Il lui sembla voir un vague sourire sur les lèvres de son paternel, mais ça ne devait être qu’un effet de son imagination.

Après neuf minutes quarante-trois secondes, ils se garèrent dans un décor que Jérémie n’attendait pas pour une séance de plongée : une rue ordinaire de Paris, jouxtant la Seine. Il regarda le fleuve, perplexe, et demanda :
— On ne plonge pas en lac d’habitude ?
— Viens, tu vas vite comprendre. Pas la peine de prendre ta combinaison.
Jérémie, de plus en plus intrigué, suivit son père. Il était largement assez intelligent pour comprendre que la plongée n’était pas à l’ordre du jour. Alors quoi ? Quelle était cette sortie que son père montait visiblement à l’insu de sa mère, et qui n’impliquait qu’eux deux ?

Une vieille usine désaffectée se profila de l’autre côté d’un pont. Ludwig le franchit sans broncher, suivi par sa progéniture qui regardait autour d’elle avec perplexité. Le vent fit grincer un vieux bout de métal, quelque part dans les tréfonds du bâtiment. Un carreau était cassé. Jérémie se fit la réflexion qu’il ne faisait pas chaud, mais évita de se plaindre. Quelque chose dans un coin de son cerveau l’intimait au silence et à la contemplation la plus scrupuleuse. Il ignorait encore à quel point ce qu’il verrait aujourd’hui changerait sa vie.
Ludwig s’arrêta devant une porte un peu dissimulée dans le mur du fond, tâché par la rouille. Elle était grande, mais très discrète, passant aisément pour un bloc de mur mal mis. Jérémie ne le vit pas entrer un code, trop préoccupé par l’environnement, et un petit déclic se fit entendre. Il observa son père pousser le battant de gauche, un peu rouillé sur son rail, et retint son souffle.
Dedans, les ténèbres.

— Referme derrière toi, ordonna simplement Ludwig en entrant dans la pièce secrète.
Jérémie se faufila à sa suite et fit comme il avait dit. Quand il se retourna, une grappe d’écrans s’était allumée plus loin sur sa droite, et il parvint à discerner une grande volée de marches, ainsi que des câbles qui jonchaient le sol, et les formes crénelées de structures de métal qu’il n’arrivait pas à identifier.
— Où est-ce qu’on est ? C’est toi qui a construit ça ? demanda-t-il, très calme.
— Oui, confirma-t-il simplement. C’est mon espace de travail. Je te présente le Supercalculateur, et son résident : Xanadu.
— Xanadu ? C’est une intelligence artificielle ? Elle valide le test de Turing ?
Tout en s’avançant dans la forêt d’informatique, Jérémie essayait de placer les petits éléments de sa culture scientifique pour briller un peu devant son père, ce dieu aux milles écrans.
— Xanadu est un monde virtuel, corrigea Ludwig. J’ai beau l’avoir programmé, j’en apprends tous les jours sur son compte, et il est bien possible qu’il ait une vie propre. Mais il ne passerait sûrement pas le test de Turing, non. Ce n’est pas son but.
— Un monde virtuel ? A quoi ça te sert ? demanda-t-il encore en arrivant à rejoindre le génie. Tu simules quelque chose ?
— C’est assez compliqué, et vaste.

Jérémie se renfrogna, peu satisfait de cette réponse floue. Il était maintenant complètement réveillé (du moins l’espérait-il !), et n’aimait pas voir le savoir s’éloigner de lui de la sorte. Il fixa son père avec insistance, droit dans les yeux… du moins si ses yeux avaient lâché les écrans devant lui. Jérémie choisit de s’y intéresser aussi, et vit une palette de panoramas variés. Il reconnut en l’un d’entre eux la grande immensité blanche qu’ils avaient contemplée ensemble, dans le Nord, et commença à comprendre ce que Ludwig lui avait dit ce jour-là.

— Il ne s’agit pas que de modéliser de jolis paysages, hein ? fit-il remarquer avec intelligence. Ni de faire un jeu vidéo. Tu as quelque chose de plus en tête.
— Alors trouve, Jérémie. Laisse parler ton imagination, car c’est de ça qu’il s’agit. Les mondes virtuels sont des outils que personne n’a jamais manipulés précédemment. Pas sur un ordinateur quantique. Ça n’a effectivement rien à voir avec un jeu vidéo… encore que. Toi, qu’est-ce que tu ferais avec ça ?

Jérémie étudia l’écran en silence, essayant de passer en revue les possibilités. Qu’est-ce qui pouvait différencier ceci d’une banale simulation ? Quel petit facteur pourrait faire en sorte que ce n’en soit pas une ? Le libre arbitre. Ludwig avait lui-même dit que Xanadu pouvait avoir une vie propre. Il en parlait comme de quelque chose de vivant. Et n’était-ce pas précisément cela qui différenciait la simulation de la réalité ?

— Si vraiment c’est davantage qu’un jeu vidéo, qu’une bête modélisation 3D, alors… ça vit. C’est ce que tu avais l’air de dire au sujet de Xanadu lui-même. Et puis… ce monde m’a l’air bien vide, vu d’ici. Je pense que ce que tu vises, c’est l’objectif de tout démiurge. Faire vivre ce monde, indépendamment de tout ordre que tu donnerais. Si du moins tu penses que c’est possible.
— Et pourquoi cela ne le serait-il pas ? demanda Ludwig, une lueur intéressée dans le regard.
Jérémie afficha un sourire triomphant. Le même que quand il expliquait brillamment quelque chose à l’école… mais en plus large.
— Puisque ma vie consciente est visiblement liée de façon très étroite aux évènements physiologiques qui se déroulent dans mon corps, et spécialement dans mon cerveau… commença-t-il à réciter.
— Citer Schrödinger face à un ordinateur quantique, quelle ironie, s’amusa Ludwig. Il s’arracherait les cheveux s’il voyait jusqu’où son équation a mené. Mais je ne comptais pas partir dans un grand débat philosophique aujourd’hui, désolé mon fils.
Jérémie sentit un petit arc électrique le parcourir, fier comme un paon.

— En revanche, il y a une possibilité que tu n’as pas évoquée, signala Belpois senior avec un sourire un peu suffisant. Je pense que c’est parce que tu as grandi un peu vite. Mais dis-moi, Jérémie… tu n’as jamais eu envie de rentrer dans un ordinateur ?
— Ce serait possible ? souffla l’enfant, émerveillé.
— Tout dépend de si tu me relances sur la question de la différence entre la simulation et la vie réelle. Mais sinon, oui, j’ai trouvé un procédé pour transférer l’esprit au sein de l’ordinateur, et le ramener.
— L’esprit ? Et le corps ? s’enquit Jérémie.
Petit reniflement méprisant de Ludwig.
— Oh, ça c’était la partie facile.


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Daft Punk - The Game Has Changed (Tron Legacy)

Je me tiens debout devant la grande porte d’acier. A côté de moi, Ludwig tape prestement sur le digicode qui déverrouille l’entrée, et va s’arc-bouter contre le battant de gauche pour le pousser. Il n’ouvre pas le laboratoire en grand, se contentant de ménager un passage suffisant pour nous. Pas d’effort inutile. Jamais. Je croise un instant son regard bleu si profond, puis il disparaît dans les lieux que je commence à connaître par cœur.
Par de belles journées d’été comme celle-ci, les enfants sortent jouer en courant dehors. Le soleil me fait d’ailleurs un salut aguicheur de l’autre côté de cette vitre, qui magnifie son éclat en une pléthore de couleurs pour tenter de m’arracher à l’usine. Il n’arrivera à rien avec moi. Cet endroit, c’est ma deuxième chambre. Je ne compte plus les soirées passées au chevet de ce gigantesque ordinateur, devant les moniteurs brillants qui me montrent toutes les merveilles du numérique. La magie ne meurt jamais en ces lieux. Que Peter Pan garde son Pays Imaginaire ! Je ne crois pas aux fées, et j’ai mon monde à moi. Un endroit où tout est possible. Un endroit caché, né du génie d’un seul homme. Mon père.

A chaque fois que je formule ces deux mots dans mon esprit, je me sens empreint d’une bouffée de fierté qui me fait tourner la tête. J’avance dans les pas de l’austère maître des lieux. Filiforme, vêtu de gris, il n’y a que ses cheveux blond pâle qui détonnent dans la silencieuse poussière. J’ai l’impression que les câbles s’écartent volontairement de son passage, allant traîner leurs lourdes carcasses caoutchouteuses ailleurs. Je me sens tout petit. Je lève les yeux vers le gigantesque édifice central, dont je sais qu’il renferme la toute puissante tour qui génère Xanadu. L’escalier serpente à flanc de la structure bétonnée creuse, comme pour bien rappeler que tout converge en ce point. Je rêvasse, le regard rivé sur les scanners. Si le Supercalculateur est la clé, eux sont la porte qui mène à Xanadu. Un jour, je la franchirai. Pas tout de suite, bien sûr, Ludwig m’a dit d’être patient, mais un jour...
Quand je serai prêt, et quand Xanadu sera prêt.
Je le rejoins timidement auprès des commandes. Il se tient debout devant ses écrans, les dévisageant l’un après l’autre. Ils sont autant de fenêtres qui lui permettent de voir comment se porte son monde. De ce qu’il m’en a décrit, et de ce que j’en aperçois, Xanadu est une sorte d’île surélevée, une sorte de patchworks de paysages différents. Comme si on avait assemblé tous les plus beaux endroits de la Terre en un seul point. Là une forêt luxuriante parcourue d’oiseaux colorés et de brises joueuses. Ou une plaine d’herbe haute traversée par un fleuve dont le doux bruissement incite à lui seul à la paix et à la sérénité. Ici une montagne sous un soleil radieux, où de petits cristaux de neige si bien modélisés renvoient les rayons dans tous les sens. Il y a même une ville entièrement construite, dans une architecture qui ne ressemble à rien de ce que je connais. Ludwig m’a dit un jour qu’il avait le projet d’y faire vivre une espèce intelligente, s’il parvenait à créer des programmes suffisamment évolués pour vivre. Je crois que c’est la dernière étape dont il a besoin pour devenir l’équivalent d’un dieu, ni plus ni moins. Et il a ce sérieux dans le regard qui me garantit qu’il y arrivera.

Il a cette perfection dans les doigts quand il effleure le clavier, c’est incroyable. On dirait presque qu’il caresse affectueusement la machine, lui intimant de bien vouloir se plier à sa volonté. Et la machine obéit, elle le comprend, et elle exécute exactement ce que sa pensée projetait. Je pourrais le regarder faire pendant des heures, mais une fois ses vérifications de routine terminées, il se tourne vers moi.
Je sais utiliser ce monstre de puissance. Le Supercalculateur m’évoque un gigantesque cheval, noir et trapu, que mon père saurait mener avec la poigne requise, mais qui me semble encore trop haut pour moi. Pourtant il n’est pas hostile, juste impressionnant, tant physiquement que par tout ce qu’il renferme. Je m’approche à petits pas. Je sens le regard de Ludwig peser sur moi, et je touche timidement le clavier pour déplacer l’un des points de vue des écrans. Je vois un grand édifice relié à des câbles, une sorte de tour, et je fronce les sourcils. Ce n’était pas là avant.

— Qu’est-ce que c’est ?
Je constate que Ludwig a un sourire satisfait.
— Un ajout très récent. Les tours sont un accès direct à Xanadu. A ce que tu ne vois pas de Xanadu. Il y a bien plus dans ce monde que de jolis paysages, mais il est difficile de s’en rendre compte quand on y est. Un utilisateur virtualisé pourra se connecter à la tour pour accéder directement au Noyau de Xanadu. C’est une partie très bien cachée, et même moi j’ignore vraiment à quoi elle ressemble.
Un léger rire lui échappe quand il voit mon air étonné.
— Oui Jérémie, ma propre création me réserve encore des surprises. Tu te souviens de ce que je t’ai dit à propos de Xanadu ?
— Il est vivant, je souffle en portant mon regard sur un oiseau posé juste devant l’objectif.

J’ai l’impression de presque pouvoir le toucher. Pourtant cet oiseau est un programme, très peu autonome qui plus est. Xanadu est titanesque à côté de lui. Difficile de parler de conscience proprement dite, et pourtant… cette île merveilleuse évolue toute seule. Les modifications doivent prendre, comme une greffe de peau. On ne peut pas la contraindre à accepter de changer. Ce n’est pas un simple fichier texte que l’on pourrait effacer en appuyant sur une touche. C’est beaucoup plus subtil que cela, et je crains de ne saisir qu’une infime parcelle de ce que signifie vraiment Xanadu. Peut-être qu’avec le temps, j’arriverais à mieux comprendre, mais c’est frustrant. Je suis assez intelligent pour comprendre tout de suite, pourquoi attendre ?

— Il est vivant, répète Ludwig avec un sourire ému.
— Je me demandais… si nous on peut se rendre dans le monde virtuel et agir dessus, est-ce que le monde virtuel ne pourrait pas agir sur nous en retour ? Sur notre monde, par exemple. Ce serait un peu le principe de la troisième loi de Newton.

Je me sens immensément fier de constater qu’il réfléchit à ma remarque. A-t-il déjà eu cette réflexion lui-même ? A-t-il une réponse à me donner, ou est-ce que je viens de lui donner un nouvel angle pour étudier sa création ? Je n’oserais y croire. Un grand esprit comme lui ne peut pas avoir négligé une idée que même un gamin de primaire a pu avoir. Pourtant, il met du temps à répondre.

— Très bonne question, Jérémie, finit-il par reconnaître, doublant la vitesse des battements de mon cœur d’enfant. Je n’ai rien vu qui puisse laisser penser cela, mais ton raisonnement n’est pas dépourvu de sens.
Il se détourne des écrans au profit de l’escalier qui s’amorce derrière nous. Il s’y dirige d’un pas assuré et silencieux, comme un fantôme.
— Virtualise-moi du côté de la mangrove. Je vais accéder à la tour que j’y ai placé. Les tours bloquent la virtualisation trop proche pour des questions de stabilité du monde virtuel, alors ne t’inquiète pas si le système te refuse des coordonnées de virtualisation. Contente-toi de les changer jusqu’à en trouver qui fonctionnent.
— Compris.

Je le regarde disparaître vers les hauteurs, alors que je reste tapi dans le renfoncement qui abrite les commandes. C’est presque un terrier. Debout bien droit devant mes écrans, je fais cliqueter les touches du pupitre. Comme prévu par Ludwig, le Supercalculateur rechigne à enclencher la virtualisation là où j’aurais voulu. Je change les coordonnées, et il cesse de faire la tête. Impressionnant comme il a prévu même ce phénomène, alors qu’il n’a pas pu se virtualiser seul en mon absence pour tester sa nouveauté !
Il apparaît sur mes écrans, là où je l’avais prévu et où j’ai donc placé un visuel en conséquence. La végétation prolifère autour, les racines joyeusement gorgées de l’eau qui monte à mi-mollet. Elle est incroyablement claire. On voit le fond, on voit les roseaux qui ondulent paresseusement sur une parcelle presque sèche de terrain. Parfois il y a des grenouilles qui bondissent entre eux, mais aujourd’hui, pas un bruit.

Ludwig reste muet. Il observe les alentours, puis commence à avancer. Malgré le silence, tout se passe bien. On ne parle jamais inutilement, face à la grandeur de Xanadu. Le trajet à la tour prend de longues minutes, parfaitement paisibles. Je me sens grand, de derrière le pupitre. Je gère tout, je suis le meilleur informateur de mon père sur le terrain ! Le Supercalculateur exécute mes ordres un peu simplistes sans se formaliser de mon inexpérience relative, et je savoure ce sentiment de compétence qui coule tranquillement dans mes veines.
Je sursaute au grondement de tonnerre dehors. C’est vrai qu’ils annonçaient un orage aujourd’hui. Peut-être qu’on rentrera véridiquement trempés, cette fois. J’ai un sourire condescendant en pensant que ma mère nous imagine faire de la plongée, et je ne peux qu’apprécier toute l’ironie dont Ludwig a fait preuve en choisissant ce prétendu loisir. Car finalement, ce n’est qu’un demi-mensonge.
Après peut-être dix minutes, la tour apparaît enfin. Quelques plantes grimpantes l’enserrent, et l’entrée baigne dans l’eau. Elle a des aspects de machine de science-fiction vu les câbles énormes qui en émergent, et sa surface m’évoque une pierre brune. Un peu couverte de mousse, un peu vieillie, comme ces monuments qu’on trouve au fin fond des jungles d’Amérique du Sud. Amusant comme l’édifice parvient à marier des concepts aussi éloignés temporellement.

Ludwig s’avance d’un pas décidé vers le bâtiment, et pose la main droite sur la pierre. Elle est robotique, ici. Une décharge électrique parcourt la surface, et des pans de mur se disloquent pour le laisser passer. Et il entre.
— Le Supercalculateur n’autorise pas le visuel de l’intérieur de la tour. Tout se passe comme tu veux ?
— A merveille Jérémie. Je m’apprête à me connecter, préviens-moi juste si tu vois quoi que ce soit d’anormal. Je vais peut-être en avoir pour un moment.

Je réponds par l’affirmative, et j’attends qu’il effectue ses manipulations. J’essaie d’imaginer à quoi peut ressembler l’intérieur de cette tour si mystérieuse, mais je ne vois rien qui me semble correspondre assez au génie de Ludwig. Et je me demande aussi ce qu’il peut bien y faire. J’ai envie de poser un océan de questions, mais je me force à rester calme pour ne pas le déranger. Est-ce qu’il arrive vraiment à se connecter au Noyau ? Comment est-ce que je pourrais visualiser ça ? Pour moi, ça n’a rien de commun avec la forme de Xanadu que je vois là, mais… peut-être que c’est trop difficile à appréhender, trop abstrait.
Le temps passe. Le tonnerre gronde avec plus de vigueur au dehors, mais je n’y prends pas garde. Le temps passe encore, l’intérieur de l’usine commence à s’assombrir. Pas grave, je suis patient, et puis les écrans fournissent largement assez de lumière. Le temps passe toujours, et peut-être qu’il se fait long. Quelques dizaines de minutes, ou plus d’une heure déjà ?

— Où tu en es ? j’ose demander, de ma petite voix fluette d’enfant.
Il ne me répond pas. Je fronce les sourcils, je vérifie calmement les paramètres audios un par un. Bizarre, rien n’a bougé, il devrait m’entendre et réciproquement.
— Tu m’entends ? Je crois que ça a quelques ratés, la connexion à la tour a pu altérer la liaison.

Toujours rien. Je regarde les écrans un par un, méthodiquement, en essayant de trouver un élément qui clocherait. Je trouve bien pire que cela. Je vois une forêt sombre et triste, sans un seul oiseau. Je vois une ville en ruine. Je vois un fleuve fade traverser une plaine grise, sans grand espoir que d’aller se jeter dans une mer qui n’existe pas. Ou peut-être du haut d’un pont, vu les coloris. Que… que s’est-il passé ? Pourquoi plus rien ne bouge, pourquoi tout a l’air si… si mort ? Pourquoi la mangrove si claire où mon père est passé si peu de temps avant ressemble maintenant à un marais hanté et brumeux ?
— Papa ? C’est bizarre, Xanadu a changé. Tu… tu devrais sortir voir ça. S’il te plaît, réponds, ça m’inquiète.
Je sens ma voix qui vacille. Non, reste calme Jérémie. Ce n’est pas comme ça que tu arrangeras la situation. « Tu dois toujours garder ton calme, Jérémie, en toutes circonstances ». Il doit y avoir un bug quelque part. Le plus urgent reste de recontacter Ludwig, et lui saura arranger le reste. Je triture tous les réglages possibles, j’essaie de capter un signal, mais je me rends compte avec horreur que mes radars ne me renvoient même plus sa présence. Pourtant je l’avais vu dans la tour, je l’avais vu…

Mes mains tremblent. Je regarde avec impuissance ces fichus écrans, en priant pour qu’ils me renvoient autre chose que ce cimetière virtuel. Mais rien. Rien qui ressemble à mon père, et rien qui ait l’air vivant.
C’est pas possible.
— Papa ! j’insiste encore, complètement angoissé.
L’écho se perd dans l’usine, complètement noire désormais. Je suis tout seul avec mes écrans, qui baignent mon désespoir d’une lumière froide. L’obscurité dans mon dos m’est complètement égale, ce n’est pas elle qui me terrifie. Il paraît qu’on devient adulte quand on arrête d’avoir peur du noir. Je ne pensais pas que ce serait en des circonstances pareilles.
Un bruit me fait tourner la tête. Une créature d’ombres marche du côté de la montagne. La neige est d’une beauté sinistre sous le soleil de Xanadu, mais l’étrange habitant du monde virtuel la dérange trop. J’assiste en direct au déclenchement d’une avalanche. L’univers tout entier tremble, alors que la marée de fumée blanche progresse le long de la paroi. Je mets quelques secondes à réaliser que l’usine tremble aussi.

Au milieu des arbres, je vois d’autres formes noires onduler. Elles ne me disent rien, mais dans ce monde de cauchemar qu’est devenu Xanadu, je ne m’étonne plus. Le silence me voit tomber à genoux, minable et écrasé par le destin. Mon père a disparu dans les entrailles d’un ordinateur quantique, et je n’ai rien pu y faire. Les écrans se brouillent sous mes yeux, et j’enfouis la tête dans mes coudes pitoyablement avachis sur le pupitre. Je pleure tout mon soûl, de plus en plus abandonné à chaque seconde qui passe. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas quoi faire. Mon esprit embrumé par le choc n’arrive même pas à se projeter au-delà de ce moment effroyable.

— Rends-le moi, je supplie, sans vraiment savoir si je m’adresse à la machine ou à Xanadu. S’il te plaît, rends-le moi… J’ai besoin de lui. Rends-moi mon papa.
Le tonnerre, encore, comme si on déchirait les nuages. Les éclairs dehors ne seront jamais d’une lumière aussi froide que celle sous laquelle le mur d’écrans m’accable.

— Je ferais tout ce que tu voudras !
Ma voix inondée de larmes se répercute encore dans le désert de métal, et j’éclate en sanglots encore une fois.


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Lvly – I Told You So

Le vent lui fouettait le visage dans sa course, si on pouvait parler de course dans l’enchaînement chaotique de bonds de cette forme encapuchonnée. Le secteur des marais était relativement nouveau dans leurs explorations, mais elle n’avait pas peur. Elle aurait peut-être dû. Les branches sinueuses des arbres n’aimaient guère le dérangement qu’elle leur infligeait en se réceptionnant dedans, et l’écorce paraissait grincer de mécontentement. Pourtant, elle expérimentait un itinéraire qui n’avait pas encore été tenté. Au-dessous d’elle, les eaux vaseuses absorbaient la lumière comme un puits sans fond, lui promettant une noyade longue et douloureuse si elle chutait. Pas de terre ferme en vue, juste des arbres qui émergeaient de l’eau.
Un feulement mi-guerrier mi-animal lui échappa alors qu’elle accomplissait le saut suivant. Ses griffes raclèrent le bois, à la façon d’un lapin qui dérape sur un parquet, laissant des entailles profondes. Une sève verte coula lentement des plaies fraîches, comme pour tenter de la culpabiliser. Ses baskets rouges tâchées de boue avaient hélas l’inconvénient de ne pas adhérer aussi bien qu’elle aurait voulu. Foutues semelles trop lisses.

Elle releva le nez pour voir où était sa prochaine destination. Un sourire lui fendit le visage en voyant la silhouette de la tour. Eh bien voilà, on en était pas si loin. Elle analysa rapidement le terrain : deux arbres lui fournissaient un itinéraire assez simple à visualiser. Mais avant, il y avait ces ombres qui tourbillonnaient au-dessus de l’eau et qui remontaient droit vers elle. Campée sur ses quatre pattes (elle avait perdu l’habitude de se tenir debout sur Xanadu), elle avait sorti son cimeterre de son fourreau dorsal.
Se pencher était l’erreur fatale à ne pas commettre.

La masse de ténèbres jaillit brusquement devant elle. Elle se redressa le temps d’un ou deux moulinets de son arme rongée par la rouille, et d’un coup de griffe de sa main libre. Le geyser d’obscurité retomba piteusement dans l’eau, et elle bondit une fois encore, franchissant le gouffre de plusieurs mètres dans une parabole harmonieuse. Cette fois, elle ne se rattrapa qu’avec les mains, et fut contrainte de se remonter sur la branche avec cette gestuelle erratique d’animal. Elle portait un pull à capuche (trop grande) noir déchiré et un jean des plus normaux pour un être humain de son âge, pourtant.
Quelques minutes plus tard, elle était devant la tour. Elle se redressa pour entrer, un peu voûtée, et se laissa avaler par le bâtiment.


Un tympan qui vibre. Puis l'autre. Les doigts qui frétillent. A nouveau. L’oxygène qui emplit les narines et les rouages du cerveau qui se remettent peu à peu en route. Faut y aller, faire l’exercice, pour s’assurer que tout va bien. Du moins, le mieux possible vu les circonstances. C’était quoi le début encore ? Ah oui, quelque chose comme :

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?


Deux phrases qui parcourent à nouveau la mémoire. Celle d'un poème. Tellement répété. Du coup... jamais oublié, ou presque. Le Supercalculateur semblait avoir un impact sur sa mémoire. Un effet, à terme d'ailleurs, qui semblait s'empirer avec le temps. Du coup, elle faisait le test. A chaque fois. Se remémorer des vers de Hugo, histoire de se rassurer sur ses capacités mentales.

Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules,
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement,
Dans la même prison, le même mouvement.


Le mouvement, oui. Il faut à nouveau agiter le haut des pieds, contracter le périnée pour retenir la goutte d'urine qui pointe le bout de son nez. Ce n'était pas encore cette fois qu'ils y arriveraient... Mais bon, l'échec n'est-il pas un simple passage transitoire qui mène au succès ? Enfin, simple, on pourrait décrire Xanadu avec de nombreux adjectifs mais certainement pas celui-là.

Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,


Une goutte tomba sur le front de la nouvelle victime de Xanadu, comme une flèche de plus plantée dans la cible de la réalité dévorante. Super. D’où ça venait ça encore ? Était-ce au moins de l’eau ? De l’huile peut-être ? La jeune fille leva les yeux et comprit qu’un tuyau, presque accolé au plafond, aurait bien besoin d’un entretien… ou d’une rustine plutôt.
Vu le contexte, pas question de faire venir un plombier à l’usine.
La dévirtualisée avait la poisse, comme souvent. Evidemment, il fallait qu’elle chope un liquide peu recommandable sur le front. Mais c’était habituel, comme quand elle tentait d’éviter la pluie en marchant précautionneusement sous les auvents des magasins et que pourtant elle finissait par se taper LA grosse goutte qui tombe de l’abri. En plein milieu des cheveux, bien sûr, sinon ce ne serait pas drôle…

Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.


Clara avait oublié la suite. Ou peut-être qu'elle n'avait jamais vraiment cherché à l'apprendre. Elle avait mal au crâne. Une fanfare qui résonnait dans sa cervelle. A travers la brume tiède de son haleine de jeune fille (il faisait très froid à l'usine en ce mois de février), Clara aperçut le visage réconfortant d'Ulrich. Quand il était dévirtualisé le premier, ce qui n'arrivait pas souvent car il avait plus d'expérience qu'elle, le seul garçon de l'équipe virtuelle attendait toujours la nouvelle recrue à la sortie du scanner.

« Ça s'est plutôt bien passé cette exploration, tu vas finir par nous surclasser ! »

Le sourire transpirait dans la réplique, c'était Stern ça, toujours enjoué à la fin d'une mission, toujours prêt à replonger. Clara, elle, se sentait confuse. A la fois mal dans sa tête, comme quand elle sortait des manèges qui tournaient trop vite à son goût mais que son papy l'obligeait à faire étant petite, et détendue au niveau des jambes, comme après un massage relaxant. Etrange paradoxe. En tout cas, c'était marquant comme sensation. Comme lui avait dit sa mère une fois, la vie ne se mesure pas aux nombres de respiration, mais aux moments qui nous coupent le souffle. Et la dévirtualisation en était un, de moment à couper le souffle...

— Jérémie doit nous parler, avoua Stern à demi-mot. Il n'est pas encore très bien ces temps-ci...
— Ah bon ?

La voix était rauque, presque éraillée. Elle avait eu du mal à sortir ces deux mots.

— Il va arriver... Il sait que t'as toujours du mal à t'en remettre et ça ne pouvait pas attendre.

Effectivement, Clara entendit un pas, montant les marches, lent et régulier. Allongée sur le dos, la petite rousse réussit à fermer les yeux quelques instants, se laissant bercer par la source sonore qui se rapprochait peu à peu. Quand elle souleva à nouveau les paupières, le boss était arrivé. Enfin, le boss, c'était elle qui l'avait surnommé ainsi mais elle ne l'avait jamais formulé à voix haute. Jérémie Belpois renifla bruyamment, manifestant sa présence auprès des deux membres les plus âgés de son équipe.

— C'était ta dernière plongée. Merci pour tout Clara.

Elle reçut la nouvelle comme un uppercut dans l'estomac. Dernière… Plongée ? Avait-elle bien entendu ? Est-ce que cette dévirtualisation venait de signer la fin de l'aventure virtuelle ?

— L'inertie, je le vis comme quelque chose qui est à briser, déclara Jérémie. Et là, on commence à s'enfoncer dans une routine qui ne me plaît guère. Je pense qu'il est temps de tout arrêter. L'usine, la virtualisation, tout.

Ulrich se gratta le menton nerveusement. Visiblement, son meilleur ami était à nouveau en pleine crise existentielle. Ce n'était pas la première fois qu'il tenait ce genre de discours... Et à chaque "pause" loin du Supercalculateur que Belpois avait établie, ils avaient repris l'aventure au bout d'une semaine grand maximum.

— Je culpabilise, murmura Jérémie, les yeux soudainement embués par une émotion qu'il ne pouvait contrôler, du moins pas cette fois. C'est mon combat, pas le tien Clara. Pareil pour toi Ulrich. Je n'aurais jamais dû vous enrôler là-dedans. Quand je vous vois dans cet état, à chaque sortie de scanner, ça me rend malade. Vraiment. Je pense que le mieux pour l'inst...

L'informaticien se pinça la lèvre inférieure, renifla à nouveau et croisa les bras, en signe de repli. Il avait dit tout ce qu'il lui pesait sur le cœur... et il le regrettait déjà amèrement. Jérémie était agacé par la faiblesse qu'il venait d'exposer. Il contrôlait mieux l'ensemble de ses émotions avant, au moment où... son père était encore là. Ludwig, lui, était toujours si impassible, un modèle de tranquillité. La force tranquille par excellence. Même quand les sales gamins de la classe de Madame Emilie traitaient Jérémie d'autiste devant le nez de son père, Ludwig ne bronchait pas.
Jusqu'au jour où il avait fini par leur adresser un regard glacial, si glacial que les écoliers avaient cessé leurs moqueries pendant au moins une bonne dizaine de jours. Ce qui était à l'époque un délai bien précieux pour le blondinet à lunettes. Pouvoir souffler loin des cancrelats sans cervelle, ça résumait bien l'envie première de Jérémie Belpois à l'école primaire.

— Ulrich, reprit le leader, je compte sur toi pour raccompagner Clara à l'internat. Il faut qu'elle se repose...

Après un énième regard torturé, Jérémie descendit les marches, d'une cadence plus rapide que lors de la montée. S'essuyant les joues humides du revers de sa manche, il ne regarda pas en arrière. Belpois était, une nouvelle fois, pris en tenaille entre l'envie lancinante de retrouver son père et la culpabilité d'envoyer des intrus sur Xanadu. Non seulement c'était dangereux, mais en plus Ludwig n'approuverait certainement pas cette violation du secret.

— Ne t'inquiète pas, murmura Ulrich. Je le connais, il changera vite d'avis... Nous serons bientôt appelés pour une nouvelle mission, c'est sûr et certain.

Au fond d'elle, derrière l'apparence parfois craintive qu'elle arborait, l'adolescente espérait que son frère d'armes avait raison. Même si c'était éprouvant, douloureux parfois, elle s'était pris d'affection pour Xanadu. Un monde virtuel, voilà un avenir tel que seuls les auteurs de SF de sa tendre enfance auraient pu le concevoir. Plus que tout, elle voulait à nouveau ressentir cette boule au ventre au moment de la fermeture des cloisons du scanner, ce picotement dans l'abdomen au moment de la virtualisation, cette admiration devant les paysages magnifiquement bien pixélisés. De nature obstinée, Clara Loess était bien déterminée à faire tout ce qui était en son pouvoir pour avoir l'opportunité de retourner sur Xanadu. Bien évidemment, la jolie jeune fille ne pouvait pas se douter que toute cette histoire allait tourner au cauchemar.
_________________
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Dernière édition par Sorrow le Lun 08 Oct 2018 17:51; édité 1 fois
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*Odd Della Robbia* MessagePosté le: Mar 09 Jan 2018 11:38   Sujet du message: Répondre en citant  
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woww!!!!!!!!!
Le père de jérémie est celui qui a crée le SC et xanadu? je m'y attendais vraiment pas du tout.
Lol la référence trompeuse sur la plongée, je pensais vraiment que ludwig allait amener réellement son fils à la mer.
Donc on sait ce qui est arrivé au père de jérémie (a peu près le même sort que Franz/waldo dans CL), et on va savoir pour Clara.

Aussi on dirait que finalement jérémie est capable de se soucier du bien être de son équipe. C'est l'incident avec Clara (cumulé avec celle de ludwig) qui a changé le comportement de notre einstein junior envers l'équipe? Ou il se se soucie encore et le traitement spécial "torture/victimisation" est seulement réservé à Odd?

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