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  Sujet: [One-shot] Un autre que moi  
Minho

Réponses: 3
Vus: 9700

MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 19 Jan 2021 17:28   Sujet: Silius Italicus
Merci beaucoup pour votre très beau commentaire sur un Un autre que moi, vous sublimez le texte Wink

Minho

Edikorih : on se serait attendus à voir flooder un autre que toi surtout...
  Sujet: [One-shot] Transmission  
Minho

Réponses: 4
Vus: 10559

MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Lun 16 Nov 2020 17:58   Sujet: [One-shot] Transmission
Citation:
Je ne sais pas si tu laisseras un message pour me répondre, mais je croise les doigts !


Mieux vaut tard que jamais Mr. Green Tout d'abord, je tiens à m'excuser pour le délai : si je répondais d'office en fanfic au moment de poster un nouveau chapitre, je n'avais pas encore pris le temps de répondre à chaque OS donc je vais essayer de me rattraper maintenant que j'ai un peu de temps avec ce confinement Wink Et puis, j'ai plus de recul sur la réception d'un texte en laissant les mois s'écouler : je trouve cela moins introspectif dans mon cas de réagir à chaud.

Zéphyr
Spoiler


Youka
Spoiler
  Sujet: [One-Shot] Réparer les vivants  
Minho

Réponses: 1
Vus: 13301

MessageForum: Fictions et textes   Posté le: Lun 16 Nov 2020 00:39   Sujet: [One-Shot] Réparer les vivants
REPARER LES VIVANTS


https://zupimages.net/up/20/47/j9ub.png


Le suspect est entré dans la pièce avec un air blagueur et serein. Il s’est docilement laissé mener par le policier, qui l’a finalement obligé à s’asseoir et qui est sorti en fermant la porte derrière lui sans dire un mot. Une fois seule, notre fripouille a mis les mains sur la table, et avec les doigts tapotant sur sa main gauche, semblant suivre le rythme d’une chanson quelconque. Dans le même temps, il regardait attentivement les murs et les coins de la salle, non sans quelque inquiétude naissante qu’il tentait de dissimuler derrière ses sourires succincts et assurés. La « loge » était moins lugubre qu’il ne l’aurait imaginé : la lumière n’agonisait pas dans une ampoule défectueuse et ne concentrait pas toute sa puissance au-dessus de la table pour laisser l’obscurité danser autour. Au contraire, la clarté était totale, presque chaleureuse et le sol au matériau réfléchissant était d’une propreté suspecte, rien à voir avec la porcherie des rues : même ses semelles ne l’avaient pas gâté. Sur un des murs tapait la trotteuse et notre salaud avait donc l’occasion de s’apercevoir que l’attente était objectivement longue et qu’il serait à peine déplacé de considérer malsain de la part de la police de faire attendre ses invités de la sorte, sans boisson chaude ni quatre-heure. Il prenait le temps de chantonner, de siffler assez justement quelques classiques, et de se contempler dans le miroir sans tain (car la réalité recèle quelques clichés). Il ressemblait à ce qu’on lui reprochait d’être, et n’était pas si moche pour un condamné en devenir (c’est bête du coup, il aurait pu vivre une vie de privilégié), même avec ce bandeau à l’œil gauche, qui ne prêchait pas son innocence. De temps en temps il manifestait son ennui par un soupir franchement exagéré ajouté à un croisement de bras exaspéré. À coup sûr, il faisait défiler dans son imagination les différents moyens qu’il pourrait déployer pour répondre aux questions sans se compromettre, et par là il ne faut pas entendre qu’il essayerait de se sauver, non ! C’était peine perdue ; tout le monde dans les médias était persuadé de son implication, même si lui pensait que l’affaire qui se jouait là n’était qu’une formalité et une excuse pour le faire couler définitivement avec sa petite coalition de hippies modernes. A ce stade, seul un imbécile pouvait encore espérer s’en sortir sans un miracle. Un imbécile heureux. Ce jour-là, son but était plutôt de raconter pépère comment il en était arrivé là, sans mentir, car cela l’aurait desservi ; mais, au fond, peut-être priait-il le ciel que l’inspecteur, qui avait déjà eu l’audace de le faire poiroter ainsi, se sente suffisamment cinglé - voire assez humain - pour assommer ou soudoyer les voyeurs, qui se gausseraient dans l’invisibilité du miroir, et pour le libérer discrètement. Car il était comme ça, notre antihéros : c’était un rêveur - vous le verrez plus loin - qui avait eu la mauvaise idée de fonder un grand espoir en l’Homme.
Dans d’autres circonstances, sans doute aurais-je applaudi ce mental d’acier et cette bêtise, mais compte tenu de sa propension à enquiquiner la société, ça ne se faisait pas (et ne saurait pas plus se faire aujourd’hui puisque j’ai les deux mains sur le clavier). Finalement, il a entendu son sauveur lui venir en aide : la porte s’est ouverte et les bottines claquaient sur le sol impeccable. Cependant, j’avoue déplorer la clarté absolue de la pièce, qui m’empêche de ménager le suspense auprès de mes lecteurs. Imaginez : j’aurais pu faire deviner progressivement la silhouette de l’inspecteur américain, le contour de sa cigarette tout juste entamée pour finalement totalement exposer, à la lumière d’une vieille ampoule, les pigments de son pardessus beige, de ses cernes bleu indigo et de sa chevelure brune ébouriffée. Mais je ne voudrais pas mentir ; l’inspecteur, égyptien, était chauve, non-fumeur, vêtu d’un pull en laine, et, chaque nuit, trouvait sans peine ses huit heures de sommeil. Il est vrai que les stéréotypes de fiction, ce n’était pas ma tasse de thé. En revanche, ce que le jeune inspecteur que j’étais adorait, c’était déstabiliser son interlocuteur. A quoi tu penses, Suzanne ? La question que j’ai posée le plus souvent pendant notre mariage, même si ce n’était pas à haute voix, même si ce n’était pas à la personne qui aurait pu y répondre. Je suppose que ces questions jettent une ombre funeste sur tous les mariages : A quoi penses-tu ? Comment te sens-tu ? Qui es-tu ? Que nous sommes-nous fait l’un à l’autre ? Qu’allons-nous faire ? Quelle étrange impression que le couple, qui finit immanquablement par nous faire sentir seuls à deux. Mais bon, faut bien une meuf pour se dégorger le poireau.

The feeling that you're giving really drives me crazy
You don't have a player about to choke
I was at a loss of words first time that we spoke
You looking for a girl that'll treat you right
You looking for her in the daytime, with the light
You might be the type if I play my cards right
I'll find out by the end of the night

J’avais fait mariner le saligaud deux bonnes heures dans cette pièce exiguë avec cette musique en boucle, une technique qui avait fait ses preuves avec des cas précédents, mais qui ne semblait pas avoir été probante cette fois-là, du moins pas en apparence : quand il m’a vu, il était tout sourire et ne semblait pas avoir l’envie de m’adresser quelque reproche concernant mon retard, délibéré. Il était même agréable et poli, mais je me dis toujours aujourd’hui que les plus gros tordus le sont. Revenons à la chanson. Moi aussi, je l’avais entendue. Des journées entières. Pour me forcer à arrêter de bouffer, pour être « désirable » selon les canons de la société. Même un cochon ne veut pas de mon gras selon mes petits camarades de primaire.

Roses are red, some diamonds are blue
Chivalry is dead, but you're still kinda cute
Hey! I can't keep my mind off you
Where you at, do you mind if I come through?
I'm out of this world, come with me to my planet
Get you on my level, do you think that you can handle it?

Je suis en thérapie pour mon trouble de l’alimentation depuis environ trois ans maintenant, dont deux en centre fermé. Il m'a fallu beaucoup de temps pour prendre mon trouble de l'alimentation au sérieux. Je me suis toujours dit d'arrêter de me plaindre, que c'était de ma faute si j'étais gros et que j'avais une relation si difficile avec la nourriture. Je suis vraiment content d’être finalement allé en thérapie.

Mais il y a encore des obstacles. Personnellement, j’aime beaucoup la positivité corporelle : j’essaie d’accepter mon corps tel qu’il est et j’abandonne l’idée que je dois perdre du poids, quoi qu’il arrive. Mais les médecins diront des choses comme: « Dès que vous arrêterez de manger de façon excessive, vous commencerez à perdre du poids. » C’est difficile pour moi d’entendre ces conneries car je ne veux pas me promener avec de faux espoirs et, surtout, je veux arrêter d’être si obsédé par la perte de poids. Tout ce que ces propos font, c'est déclencher des pensées profondément enracinées et malsaines associées à mon trouble de l'alimentation.

Ils ne réalisent pas que j'ai passé toute ma vie à essayer d'être aussi maigre que possible - comme des gens qui se rétablissent parce qu'ils sont en fait trop maigres. Pendant des années, j'ai limité mon alimentation et je passais par des phases où je mangeais à peine, même si vous ne pouviez pas le dire en me regardant.

Les gens pensent que seules les personnes maigres ont besoin de soins de qualité. Vous pouvez même dire que les salles de thérapie sont destinées aux personnes maigres: les chaises sont trop étroites pour les personnes grasses et ont des accoudoirs. J'ai même dû remplir un questionnaire qui me demandait si je me sentais gros. J'ai pensé: « Je le suis », être gros n’est pas un sentiment, c’est une bénédiction pour certains, une malédiction pour ceux qui veulent bien le croire. Quand j'étais adolescent, j'ai traversé des cycles d'alimentation restrictive, de frénésie alimentaire et d'exercice excessif de par mon métier. Une fois que j'ai commencé la thérapie dans cette clinique spéciale pour les personnes souffrant de troubles de l'alimentation, ils m'ont diagnostiqué une hyperphagie boulimique. Quand j'ai rompu avec Yolande et perdu soudainement un peu de poids, les médecins ont pensé qu'il se passait peut-être autre chose. One day u’re fat, the other a ‘skeleton’. Cela a conduit au diagnostic d'anorexie atypique, ce qui signifie que vous cochez toutes les cases pour l'anorexie, sauf l'insuffisance pondérale. Mes comportements destructeurs et malsains - comme restreindre la nourriture et faire de l'exercice excessivement - se sont avérés être les choses que nous encourageons les personnes grasses à faire. La thérapie de groupe était difficile. J'étais la seule grosse personne du groupe et j'avais l'impression que ma silhouette était le cauchemar vivant de chaque personne dans la pièce. Aucun de mes thérapeutes ne m'a demandé ce que cela faisait. Des brindilles et une branche, des merguez et une saucisse de campagne. Six mois plus tard, j'ai commencé une thérapie individuelle - heureusement mon thérapeute et moi nous sommes connectés. Mais il y avait encore des défis. Ils m'ont fait monter sur une balance une fois par semaine, par exemple, dans le cadre du programme. L'idée est de développer une attitude plus neutre à l'égard du nombre sur l'échelle, mais cela a simplement déclenché des pensées malsaines sur les régimes. J’ai mentionné à plusieurs reprises que je ne voulais pas monter sur la balance, parce que l’effet que cela avait sur moi était si grave qu’il a empêché mon rétablissement. Ils m'ont dit que les règles sont des règles pour une raison.
Cela m'a finalement amené à arrêter la thérapie plus tôt. Mais j’ai aussi senti que j’avais guéri de mon trouble de l’alimentation. Quand je suis parti, l’équipe de thérapie m'a dit qu’elle s’inquiétait pour ma santé, car j’avais pris du poids. Mais cela me paraissait parfaitement logique: pour la première fois depuis des années, j'avais commencé à manger normalement.
Lors d'une de nos dernières séances, ma thérapeute a soudainement commencé à parler des risques pour la santé associés à l'obésité, même si elle savait à quel point c'était déclencheur pour moi. J'étais tellement bouleversé que le sentiment de sécurité et de bonheur lié à mon rétablissement a été effacé. C'est ce qui arrive lorsque les soignants utilisent un modèle unique conçu pour les personnes minces.
Adolescent, j'utilisais secrètement mon argent de poche pour acheter de la nourriture - principalement des bonbons - pour manger en secret. Quand j'ai atteint la puberté, j'ai parfois traversé des phases où je mangeais à peine, mais je n'ai jamais réussi à maintenir ça. Alors au début de la vingtaine, j'ai commencé à utiliser des drogues et des laxatifs pour supprimer mon appétit. Je n’aimais pas manger devant les autres, donc je n’aurais pas beaucoup mangé quand j’allais dîner avec des amis, puis je me gavais le visage dès que je rentrais à la maison. Mon poids a incroyablement fluctué et j'ai toujours voulu être plus mince. C'était destructeur. Aujourd’hui, je dis juste « Je préfère ne pas en parler ». Et j’essaie tant bien que mal de me concentrer sur ce taf de justicier.
Revenons au dossier en cours. Cette affaire, plus qu’une petite enquête de province qui n’intéressait personne, concernait en réalité le pays tout entier, en raison de sa médiatisation et de la dimension politique qu’elle revêtait. Il fallait donc la classer au plus vite. Je devais le faire avouer coûte que coûte. On m’avait donné carte blanche sur ce coup, en me prévenant que ce serait sans doute l’interrogatoire le plus risqué de ma carrière et le suspect, le plus imprévisible de tous ; je devais me préparer assidûment et sans doute revoir mes techniques d’interrogatoire. Je ne pouvais pas me permettre d’enchaîner les écueils, et il était important que, le cas échéant, la première erreur ne vienne ni entacher mon professionnalisme ni me troubler un tant soit peu. Ainsi, je gardais mon calme sans penser aux deux heures qui venaient de passer, durant lesquels je l’avais observé de derrière le miroir sans pouvoir déceler la moindre information significative sur son comportement. Tout juste appréhendait-il l’entrevue comme tout citoyen lambda le ferait, un peu ennuyé du retard, curieux et indécis sur le fait de devoir ou non faire la réflexion. Nous nous sommes retrouvés tous deux assis l’un en face de l’autre et je lui ai dicté ses droits et autres bagatelles formelles.
J’ai commencé par la question qui me semblait la plus évidente :
— Savez-vous pourquoi vous êtes ici ou dois-je vous le rappeler ?
— Je suis au courant, monsieur. Hany Sleiman a enlevé la petite Shadya, aujourd’hui introuvable. Je suis suspect en raison de mes accointances passées avec le criminel, qui a été abattu lorsqu’il a résisté à l’arrestation en provoquant une fusillade. L’unique semblant de preuve qui existe me reliant à cette affaire serait une lettre, prétendument signée de ma main, dans laquelle je le sommerais de commettre le méfait. Mais avez-vous jamais vu ce document ? Il y a aussi le témoignage d’Haytham Atiyeh, un ami à moi, à qui je pardonne d’avoir menti - il avait sans doute ses raisons - qui certifie m’avoir vu rôder non loin de la demeure de la jeune fille, quelques jours avant l’enlèvement.
— Vous semblez en savoir beaucoup pour une personne qui s’est prétendue étrangère à toute cette affaire pendant son trajet jusqu’ici.
— Je vous l’ai dit : je n’ai rien à cacher et ne veux pas mentir. J’ai eu ces informations de quelques membres de ma communauté, qui en ont eu vent.
— Oui, c’était une remarque déplacée, vous deviez être au courant de toute façon. Dites-moi, quelles étaient vos relations avec monsieur Sleiman ?
— Il faisait partie de notre groupe, a-t-il dit, mais il l’a quitté il y a maintenant deux ans. Monsieur Sleiman - Isaac, comme nous l’appelions à l’époque - a été écarté de la fratrie en raison de ses excès de colère ponctuels. Il lui arrivait de devenir incontrôlable. Cela nous a profondément blessés de le mettre au ban, mais c’était pour un mieux.
Il parlait bien ; dans une prosodie sans coupe grossière, et sans que sa langue fourche. Depuis le début de l’interrogatoire, il avait la main droite posée sur la main gauche, et pour écouter mes questions, il déviait le regard, orientait légèrement la tête vers la gauche et la penchait en avant, tout en portant le haut de son corps vers moi.

— Quand est-ce que vous avez vu Sleiman pour la dernière fois ?
— Nous n’avons pas repris contact depuis son départ, a-t-il assuré. Croyez-moi, je n’ai aucune raison de mentir. La communauté a été dissoute en raison de cet incident, je n’ai plus rien à sauver sinon la vérité, mais il y a de grandes chances que la justice la torde en trouvant tous les liens, aussi ridicules soient-ils, entre moi et ce kidnapping.
— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— Dieu me l’a dit, inspecteur. Tout cet interrogatoire n’est qu’une mascarade. Vous allez me faire avouer devant la caméra ce que je n’ai pas fait pour accélérer le processus et faire en sorte que le procès ne soit qu’une formalité. C’est chose commune dans ce pays. Vous vous moquez de retrouver la fille, du moins vos supérieurs s’en contrefoutent. L’issue est toute trouvée : on m’emprisonnera afin que la communauté n’ait aucune chance de se reformer. Le véritable problème qui ennuie ceux qui vous emploient et la majorité des gens qui nous combattent, c’est qu’ils voient dans la pratique de notre culte un blasphème dans le leur. S’ils pouvaient torturer chacun des membres, ils le feraient, mais aujourd’hui, il y a une manière moins choquante, plus acceptable, de présenter une injustice au public, et ça passe par la splendeur de cette pièce qui pourrait faire penser que jamais on y a torturé. J’ai tenu à ma liberté, et j’ai perdu. C’est la règle du jeu à laquelle je ne peux rien. Cependant, dites-moi, inspecteur, en quoi est-il pertinent de me faire venir ici, moi qui n’ai plus rien à voir avec Isaac depuis deux ans ? Je ne suis ni témoin, ni plaignant, ni coupable dans cette histoire.
Il était parano. J’étais certes persuadé de sa culpabilité et loin d’être neutre dans l’interrogatoire, mais il n’y avait pas de complot. Je faisais mon boulot, voilà tout. Je l’avais laissé digresser, sans prendre la peine de lui rappeler l’importance de cette lettre et du témoignage qui le liaient indéniablement et gravement à cette affaire, qu’il le veuille ou non. Il semblait ne pas s’en soucier, préférant manifestement les omettre. Je savais que c’était une arme à double tranchant, de le laisser s’exprimer avec autant de liberté : d’un côté, je lui accordais un pouvoir qui le mettait dans une position de supériorité, mais d’un autre côté, il finirait peut-être bien par se trahir. Il fallait retrouver la fillette le plus rapidement possible, et ce serait déjà fait si je ne me refusais pas la torture. Je le regardais attentivement et vins à conclure que de son discours ne s’était dégagée qu’une assurance extraordinaire, celle d’un homme convaincu par ses propos et certain de la bavure dont il clamait avoir été victime, laissant de côté les éléments qui le contredisaient ; autant de caractéristiques propres à ceux que l’on a trop vite tendance à appeler pervers narcissiques. Je savais qu’à ce stade, je n’arriverais à rien en le culpabilisant, même avec ingéniosité, et même si je connaissais l’histoire comme tout le monde, j’ai décidé de le faire parler de sa petite bande pour l’amadouer :
— Voulez-vous bien me parler de vous et de la formation de votre… communauté ?
— Bien sûr, monsieur. Il y a cinq ans, j’étais au marché Khan el Khalili, près de la Mosquée Al-Azhar. Là-bas, une fusillade a éclaté. J’ai reçu une balle à l’œil, ce qui m’a fait tomber sur le dos. Je me suis fracassé l’arrière de la tête sur l’arête d’une marche. J’ai été dans un coma profond, au bord de la mort, et, croyez-le ou non, inspecteur, j’ai connu une expérience formidable. J’étais dans un état de conscience bien différent : mon âme est sortie de mon corps et j’ai pu voyager dans l’hôpital, traverser les murs, écouter les conversations. Je suis passé par un tunnel au bout duquel il y avait une lumière chaleureuse. Une fois arrivé à cette nitescence exceptionnelle, je me suis retrouvé dans un grand jardin à l’herbe d’un vert clair éclatant. Autour, il y avait des champs ; j’étais à Ialou. Là, j’ai rencontré une sorte d’esprit. Son corps n’avait pas de limites bien dessinées ; elles étaient baveuses et filaires, comme si l’entité et l’environnement ne faisaient qu’un. Je savais que je faisais face à quelque chose de plus grand que moi, mais je n’ai pas eu peur ; je me sentais baigné dans un amour absolu et éternel. Cette essence m’a révélé être ce que nous avons la convention d’appeler Dieu. Il m’a dit que l’humanité l’avait déçu, et que si elle persistait, il la frapperait bientôt de trois catastrophes, en allant croissant dans la sévérité, comme un père aimant. Il m’a ensuite montré l’enfer, et j’ai senti toute la douleur du monde me broyer les épaules et les yeux. Finalement, avant de me laisser revenir à moi, il m’a accordé de pouvoir guérir une fois quelqu’un avec un miracle, en signe de bonne volonté. Je suis revenu à moi, je n’ai jamais partagé mon expérience, bien conscient des réactions que cela engendrerait. Quelques jours plus tard, au parc Al-Azhar, il y avait un enfant aveugle qui faisait la manche. Je n’avais pas d’argent à lui donner, mais j’avais l’appui de Dieu. J’ai mis mes mains sur ses yeux, et quand je les ai retirées, l’enfant pleurait. Il voyait la clarté du soleil et apprenait à la supporter. Les gens autour de moi ont reconnu le miracle, et ont choisi de me suivre. D’autres nous ont rejoints et nous avons fini par constituer 124 membres. Nous avions établi domicile dans une ville fantôme et y vivions en autarcie. Chacun avait un nom de membre et un rôle à jouer. Pour ma part, je me faisais appeler Salomon et je m’occupais de l’administration.
— Vous étiez donc ce que l’on appelle un gourou, dans cette communauté, Monsieur Salomon ?
— C’est vous qui dites que je suis gourou, et ce serait à raison si vous ne vous basiez pas sur une définition peu flatteuse. Sachez simplement que je n’ai jamais amassé la moindre pièce pour ma consommation personnelle ou joui de la moindre faveur sexuelle de la part de quiconque. Je n’ai toujours été là que pour partager la parole de Dieu à qui la veut entendre, sans jamais l’imposer à personne. Et c’est d’ailleurs encore en son nom que je suis là.
— Votre Dieu veut donc ce qui se passe aujourd’hui ? Vous ne lui en voulez pas ?
— J’accepte tout ce que souhaite Dieu. Par ailleurs, il vient régulièrement dans mes rêves me faire part de ses projets et de sa déception devant les sévices de l’homme. Savez-vous ce qu’il m’y dit souvent, dernièrement ? « Par trois fois, bientôt, le mois d’avril sera le mois de la faux : d’abord, j’aurai brûlé le champ sacré, ensuite j’aurai pestiféré deux millions de vos bêtes, et finalement j’aurai aspiré le monde ».
— Si vous acceptez tout ce qu’Il veut et qu’Il veut ce qui vous arrive, alors pourquoi continuer de nier la réalité et de mentir ?
— Parce que je ne mens pas, dit-il sans agacement, et qu’il me demande de me défendre en disant la vérité.
Quatre heures étaient passées, et je n’avais rien obtenu. Je commençais à envisager la torture, mais je ne m’en sentais pas capable. Alors j’ai laissé deux-trois autres le tabasser, pendant que je buvais mon café dans le hall. Quand je suis revenu, il avait les deux mains qui saignaient un peu. Mais bizarrement, aucune goutte n’est tombée pour entacher le sol. Je me suis rassis et je lui ai dit : « alors ? »

— Très bien, a-t-il semblé conclure sans façon, je suis satisfait de la conversation que nous avons eue et suis convaincu qu’on ne saura pas aller plus loin sans tergiverser vainement. Inspecteur, vous êtes quelqu’un de bien, vous faites votre travail comme vous pouvez, mais vous manquez d’indépendance d’esprit. Je ne tenais pas à vous convaincre de mon innocence aujourd’hui, mais j’aime à croire qu’un jour pas très lointain, vous repenserez à mon discours, et comprendrez. Je vais vous épargner un restant de discours sans intérêt. Veillez à ce que la caméra soit bien allumée, je regretterais de devoir répéter mon mensonge.
Il s’est redressé solennellement sur sa chaise, gigotant un peu pour se préparer et il a caché ses mains sous la table pour qu’elles soient hors-champ. Il a fermé les yeux longuement et les a rouverts tout autre.
— J’ai contraint Sleiman à kidnapper la fillette, oui. Je lui ai demandé par lettre. Cependant, je ne dirai jamais où elle se trouve et j’espère qu’elle est déjà morte de faim à l’heure qu’il est. Si elle s’en sort, j’irai la retrouver à ma sortie de prison pour aller la désosser, quand bien même je devrais passer au peigne fin tout le territoire égyptien.
Il avait avoué, mais à quel prix ? Nous n’avions pas obtenu l’information que nous recherchions : l’endroit où se trouvait Shadya. Je savais que je n’obtiendrais plus rien de lui et, parfois, il faut apprendre à se retirer ; j’ai fait montre de tout mon dépit. J’étais avachi sur ma chaise, conscient que j’avais échoué et que je ne pourrais rien y faire. D’un coup, un des deux policiers qui regardaient l’interrogatoire est entré pour se précipiter sur le suspect et le rouer de coups de pieds. Pris d’une hésitation de torpeur pendant une dizaine de secondes, je l’ai repoussé finalement. De toute façon, il avait bien usé du temps que je lui avais accordé ; il l’avait vachement amoché. Je l’ai fait sortir et je suis resté avec Salomon.
— Un jour, dit-il en haletant, la figure ensanglantée, j’espère que vous comprendrez que je n’étais qu’un martyr et que le seul point commun que j’avais avec les véritables criminels, c’est la recherche de mon bonheur.
On est venu le chercher. Une fois la porte passée, il m’a déclaré : « Ce que j’ai dit est la vérité ».
J’ai répondu : « C’est votre vérité. Mais quelle est la Vérité ? ».
Il est parti sans prononcer un mot.

Cela fait trente-trois ans. Les cloches sèment dans l'air des poussières de son, la cendre morte des années. Et mon corps est toujours là. Production journalière: 1 litre et demi d'urine, 200 grammes d'excréments, un litre de sécrétion nasale, 14 pets, 15 rots et 10 millions de pellicules de peau. C'est étonnant comme on a vite fait le tour d'un corps. J'ai bougé les jambes, les bras, la tête, je me suis assis, couché, j'ai sauté, j'ai dansé... mais le poids n'a pas bougé.

I'm a big boy I can handle myself
But if I get lonely I might need your help
Pay attention to me, I don't talk for my health
I want you on my team
So does everybody else
Baby we can keep it on the low


Aujourd’hui, trente-trois ans après les faits et l’assassinat d’Issa Al Sadat par le père de Shadya au sortir du tribunal, je mentirais si je disais que la vidéo de l’interrogatoire n’a pas fuité dans les médias, que je n’ai jamais été suspicieux et que je n’ai pas cherché, en vain, à consulter la fameuse lettre. Je mentirais aussi si je disais que jamais je ne repense aux mots vengeurs et marquants de son dieu, qu’il entendait dans ses songes : « Par trois fois, bientôt, le mois d’avril sera le mois de la faux : d’abord, j’aurai brûlé le champ sacré, ensuite j’aurai pestiféré deux millions de vos bêtes, et finalement j’aurai aspiré le monde ». Je mentirais, encore, si je disais que jamais je n’ai mis ce discours en rapport avec deux catastrophes majeures qui ont eu lieu en l’espace d’un an, pendant les mois d’avril : l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame en 2019, et le cap du million de victimes du coronavirus, atteint en 2020. Peut-être suis-je moi-même celui qui nie le réel, ou le lâche qui, dans les dernières minutes de l’interrogatoire, avait fini par connaître intimement la vérité, mais qui savait aussi et surtout qu’il n’aurait de toute façon pas pu défier la toute-puissance des médias bien décidés à punir. Peut-être était-ce l’envie de garder l’espoir de retrouver la fillette qui me dirigeait, mais, finalement, je mentirais si je disais que je ne préfère pas, pour toutes ces raisons, garder d’Issa Al Sadat l’image d’un illuminé, d’un commanditaire, et d’un salaud - mon salaud Salomon parce que cette réalité m’apaise, m’évite de culpabiliser et me permet de revenir sur ces événements avec légèreté. Au fond, s’il y a quelque chose que je veux retenir de l’entrevue, c’est l’air blagueur avec lequel Al Sadat est entré dans la pièce. En y repensant, je comprends que, tout compte fait, le secret pour étouffer les conséquences insupportables d’un drame, c’est de s’en laver les mains dans des sourires résignés qu’on ne comprend pas.
  Sujet: [One-shot] Un autre que moi  
Minho

Réponses: 3
Vus: 9700

MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 10 Nov 2020 23:21   Sujet: [One-shot] Un autre que moi
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UN AUTRE QUE MOI


Un dernier regard septuagénaire jeté dans l’eau du fleuve, mais il ne pourrait plus s’agir de faire le moindre vœu ; l’heure n’est plus à l’espoir, car dans ma traversée du long pont en bois qui mène à mon antique musée, privé d’avenir, je ne réfléchis qu’au présent et au passé. Je réfléchis à toutes ces années que je n’ai pas vues se lézarder comme les remparts délaissés d’un seigneur seul et sans suite ; je pense à ce que j’ai réussi ou failli devenir avec l’expérience, mais surtout à mon mentor, associé et ami Odd, dont je reviens de l’enterrement, et qui ne tuera plus volontiers le temps aux affaires de comptabilité, de compagnie et d’entretien du musée comme il l’a fait pendant plus de cinquante ans. J’avais seize ans quand je l’ai rencontré. Je sortais tout juste d’un traumatisme édifiant : la destruction de ma maison et la mort de mes parents. J’étais par conséquent tout ce qu’il restait de ma petite famille et, sans doute en raison de l’état de choc, je ne me souviens même plus de comment je m’en suis sorti. Le feu avait pris dans le garage, paraît-il, mais je n’ai jamais voulu m’informer davantage sur les circonstances ; j’avais besoin d’un nouveau départ et faire une croix sur mon passé m’était difficile, mais salutaire. Odd m’y a aidé en me recueillant. Ancien explorateur, il avait lui-même changé de vie après une vilaine blessure au pied qui l’avait rendu infirme pendant quelques mois. Pendant son rétablissement, il avait perfectionné ses compétences en guitare, et à la fin de sa convalescence, il s’est reconverti en conservateur free-lance d’un musée d’un nouveau genre. À cette époque, en effet, cela faisait déjà quelques années que l’on pouvait lire dans les journaux et sur internet qu’un nouveau type de musée avait fait son apparition en Occident : le Musée Cordial. Ce nouveau concept, importé des États-Unis, proposait de fonder des établissements éclectiques consacrés à l’exposition d’objets qui étaient chers au gérant, et qui l’avaient profondément marqué dans son existence. À l’ère des réseaux sociaux et du culte du moi, ce n’était pas étonnant de les voir pousser comme des champignons et, très vite, les conservateurs ont pris coutume d’installer leur résidence personnelle aux deux ou trois derniers étages. Odd s’était prêté au jeu, passionnément, et avait intitulé son bébé le Ka-musée, en référence à la notion de Ka, qui désigne grossièrement l’âme d’un être humain dans la mythologie égyptienne.
Je l’ai rencontré pas bien longtemps après l’incendie. J’avais fui le lieu du drame et je courais sans savoir où j’allais. J’ai fini par arriver sur les abords du fleuve, à quelques centaines de mètres de ma maison. J’ai vu un homme assis sur un banc de métal qui me regardait ; il avait déjà les cheveux excentriques et le regard perçant, le jeune Odd. Mais a-t-il au fond jamais connu la vieillesse ? Sur sa peau saignait la lumière orangée du crépuscule et à son cou pendait un appareil photo muni d’un immense objectif. Moi, j’étais encore haletant de peur et ces yeux qui me suivaient ne m’inspiraient pas confiance. Comprenant qu’il m’intimidait, il a dirigé son regard sur l’horizon couchant, et s’apprêtait à parler. C’est comme si c’était hier. Aujourd’hui, en ce dernier dimanche du mois de mai, il fait chaud, les oiseaux chantent, le ciel est d’un bleu régulier et l’eau du fleuve que je regarde en marchant est claire et fluide. Autant dire que le temps ne semble pas vouloir partager ma peine en perturbant les humeurs de la nature. Mais après tout, on ne demande pas au bourreau de pleurer : c’est bien le temps qui a déposé sur les mains de Odd les premières dunes ; c’est lui qui a asséché les terres de son crâne et fendu en virgules celles de sous ses yeux. Au fond, je pense que, comme le disait Odd, le grand horloger dont parlait Voltaire, ce Dieu qui est là sans qu’on le voie, n’est autre que le Temps lui-même.
— Quel beau temps, a-t-il dit, j’adore les couchers de soleil de cette période de l’année.
Il a pris son Canon en main, et l’a porté à son visage. Quelques oiseaux s’échappaient au loin, comme prêts à percer les nuages aux nuances ocre, et le vieillard les suivait attentivement d’un œil accroché. Il a pris la photo et a doucement déposé son appareil contre son torse avant de le lâcher. Il n’a rien dit, n’a rien fait paraître. Avait-il capturé un beau cliché ? Je n’en avais aucune idée. Il m’a de nouveau regardé, mais cette fois-ci avec une complicité telle que cela m’apaisait.
— Comment t’appelles-tu ?
J’ai répondu.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
Je me suis longuement confié.
— Bon, allons-y, a-t-il conclu.
J’arrive maintenant sur le domaine du musée sur lequel débouche le pont : c’est un grand terrain. L’établissement, haut comme un immeuble, renferme dix étages et est entouré d’un parc où sont plantés çà et là quelques arbres. C’est d’ailleurs à l’ombre de l’un d’eux que j’ai reçu mon premier baiser un soir d’hiver, mais passons... Les oiseaux, eux, continuent de chanter, et, de part et autre de la route de pavés de devant l’entrée, les fleurs sont joyeuses : les jonquilles et les soucis ne se sont jamais aussi bien portés. Je sens sur mon visage le feu, le poids et les railleries du printemps qui frappent fort. Je passe les portes automatiques qui s’ouvrent sur la salle d’accueil au bout de laquelle se tient l’ascenseur. Il n’y a personne, ici, hormis un employé zélé qui me salue depuis l’accueil. Malgré tout, je vois des fantômes, et plus que jamais, j’ai une envie soudaine de les enlacer et d’observer les pièces de mon musée avec une attention absolue, comme s’il s’agissait de la dernière fois. La toute première fois que je suis rentré dans le musée, une étrange sensation s’est emparée de moi. À peine a-t-on accordé la tutelle à Odd qu’il m’a emmené visiter son musée… Je n’avais jamais été au musée, moi, si ce n’est une fois, avec l’école. Mais tout me disait que celui dans lequel je venais de mettre les pieds était unique : des murs de marbre violacés, un sol en béton poli d’une propreté presque suspecte, des bancs blancs, un comptoir noir. Je ne saurais même pas dire aujourd’hui s’il s’agissait de couleurs qui s’accordaient bien ou pas, mais quelque chose de surréaliste s’en dégageait. C’était un drôle de rez-de-chaussée pour le dire sans trop descendre dans les détails. Je monte les marches. Elles se sont fissurées avec le temps, mais ont globalement tenu. Le niveau un, aux murs et au sol complètement noirs, est consacré aux photographies de Odd, bien protégées sous des vitrines rectangulaires. Sa dizaine d’appareils photo et sa vingtaine d’objectifs y sont aussi exposées. Il faut dire que, lorsqu’il était encore grand voyageur, il ne manquait pas une occasion de « saisir l’instant ». Il y a toujours eu un certain cliché qui m’intriguait : un polaroid flou, où l’on distinguait quelques touches jaune orangé. Pendant longtemps, Odd a réussi à me faire croire qu’il s’agissait d’un scarabée d’or immortel qu’il avait très maladroitement photographié en Égypte, et qui l’avait suivi jusqu’ici pour, depuis, veiller sur le musée. C’est le seul étage qui appartienne encore à Odd. À mes dix-huit ans, j’ai hérité du musée et on a échangé les rôles : il est devenu mon assistant (mais ça ne l’a pas empêché de continuer à m’interdire de me rendre dans le grenier, dont il m’avait toujours refusé l’accès). Il m’a laissé refaire toute la disposition du musée comme je l’entendais, avec mes propres souvenirs, et j’ai tenu à ce qu’un pan lui reste consacré à lui seul. Les murs, donc, ont gardé leur ardoise d’antan et servent encore aux visiteurs d’immense tableau où inscrire tout ce qui leur passe par la tête. Aujourd’hui, je pose ma main sur la vitre qui abrite des photos du temple d’Abou Simbel et du quartier Kabukichō. Je les contemple attentivement et m’imagine comme je peux les souvenirs de Odd (imaginer un souvenir…) : quel était son état d’esprit à l’époque ? Comment voyait-il les choses ? A-t-il assez profité ? M’étais-je aussi bien occupé de lui dans sa vieillesse qu’il s’était occupé de moi dans ma jeunesse ? Il a déjà répondu à toutes ces questions, pendant les soirées que nous avons passées ensemble devant la télévision, autour d’un jeu de société ou dans la salle de projection du dernier étage, sous l’intrigante trappe, mais aujourd’hui, j’ai comme l’impression que les souvenirs s’effritent, et que je les perds.
Pourtant, cela semble impensable d’oublier toutes ces sensations. Surtout la baise. Avec lui, c’était comme prendre le volant d’une Rolls-Royce après avoir passé des années à conduire une Kia. C’était découvrir la couleur après une vie passée en noir et blanc, Monroe après Mansfield, Margaux après HobNob, Uber après Tinder. Une seule giclée sous la langue suffisait. La rapidité de l’effet, la puissance choc, la qualité de l’envol. Oui, cela pouvait être dangereux : à un moment, on se retrouvait hors de son corps, flottant au-dessus de lui. C’était l’excitation d’une ultime chevauchée et il fallait être un excellent jockey pour ne pas être désarçonné.

Je gagne le deuxième étage : avant, c’est ici que Odd partageait ses œuvres musicales préférées avec, à chaque fois, une note apposée où il donnait son avis. Il avait vraiment vécu avec son temps : il adorait autant Maurice Chevalier que Charles Aznavour, Johnny Cash, David Bowie, Therapie Taxi ou des artistes plus récents. Et autant dire qu’il ne laissait aucun genre en reste : variété française, jazz, rock, hip-hop, country ; tout lui plaisait. Aujourd’hui, c’est dans cette même salle que j’expose des objets de mon enfance en tous genres, dont certains albums, justement. Il y a entre autres des lettres, billets d’entrée (musées, parcs d’attractions, concerts …), livres, bulletins, journaux de classe, tous accrochés aux murs dans des cadres et accompagnés d’une fiche explicative. Chaque page peut être consultée. Dans les vitrines, il y a quelques piles de jeux vidéo, des jeux de société, de vieilles bottines. Bien sûr, rien de tout cela ne date d’avant mes douze ans. De ce temps-là, rien ne subsiste… et c’est étrange, cette sensation qu’il en sera bientôt de même pour tout le reste.
— Qu’est-ce que vous avez fait aujourd’hui, à l’école ? m’a demandé Odd tandis qu’il venait de poser le journal qu’il lisait assis dans le canapé.
— J’ai eu un échec en math, ai-je répondu avec les larmes aux yeux. Je suis désolé…
Il est venu vers moi et m’a pris dans ses bras pour me réconforter comme un père. Il a ensuite pris sa guitare et a tissé quelques notes tandis qu’une araignée se reposait sur sa toile, en écoutant son arpège : « I’m on your side/ Oh, when times get rough /And friends just can’t be found/ Like a bridge over troubled water/ I will lay me down. » En haut, au troisième niveau, une seule œuvre est présentée et elle l’est en mémoire d’un événement charnière dans l’histoire du musée et de ma vie : une nuit que Odd dormait profondément, j’ai fait un tour du musée, comme il m’arrivait de le faire occasionnellement, pendant mes rares insomnies. Quand je suis arrivé au troisième étage, j’ai vu cette énorme fissure dans le mur, qui serpentait d’un coin à l’autre. Devant cette cruelle métaphore de l’inéluctabilité du temps qui passe, qui s’ajoutait à mes divers problèmes de harcèlements scolaires et à une crise existentielle, je suis devenu fou et j’ai voulu foutre le feu au musée. Oui, c’est bête, pour si peu. J’ai remonté les étages avec les yeux bestiaux et les ai redescendus, un Zippo à la main. J’ai pris le premier objet inflammable que j’ai vu ; comme c’était la bibliothèque publique de Odd, j’ai eu l’embarras du choix et les conséquences ne pouvaient qu’être dramatiques et irréversibles. Heureusement, Odd m’avait entendu pleurer dans ma course jusqu’au briquet, et m’avait suivi. Il m’a empêché de faire la plus grosse bêtise de ma vie. Depuis ce jour, par défense, je me suis promis d’éviter autant que possible de penser au temps qui passe. J’ai eu du mal à me pardonner ce que j’avais pensé faire et Odd, évidemment, est resté méfiant un moment. Je l’avais trahi dans mon égoïsme, mais avec mes piètres qualités de bricoleur et les conseils de quelques professionnels généreux, j’ai sculpté dans le bois un grand scarabée pour m’excuser. Pour je ne sais quelle raison, ce cadeau a permis à Odd de comprendre qu’il pouvait me refaire confiance et, depuis le réagencement du musée, c’est le seul objet exposé au troisième étage, au milieu du calme, et devant la fissure qui n’a fait que se creuser davantage. Le quatrième étage, l’ancienne salle de tennis de table (Odd adorait ce sport), concerne aujourd’hui un de mes loisirs principaux, que j’ai développé dans mon adolescence : les aquarelles. Je m’y suis mis par hasard, pour essayer. En fait, non, pas vraiment. Comme c’est le cas pour beaucoup de lubies, celle-ci m’a été inspirée par une fille… c’était une histoire d’amour qui n’a pas duré longtemps et qui m’a surtout appris à vivre seul, mais la passion, elle, a perduré. J’aimais beaucoup représenter les colibris et les piverts, deux espèces d’oiseaux que j’ai toujours trouvées fascinantes et qui ont élu domicile dans le parc, où je les observais. J’imagine que certains allaient et venaient, tandis que d’autres partaient pour toujours. Je me souviens de ces deux amis. Mes deux seuls amis, en fait. Ils étaient les seuls à me comprendre en plus de Odd. C’est avec eux que je passais mon temps libre l’après-midi, avant de rentrer, à dix-huit heures. Parfois, je les invitais à dormir. On s’est perdus de vue, bien sûr, quand ils ont été contraints de changer d’horizon. L’un a repris le boulot de pilote de bateau de croisière de son père et passe sa vie sur l’océan ; l’autre a repris l’hôtel de ses parents, situé bien loin, tandis que moi, je reste là, dans mon propre autel. Aujourd’hui, quand même, je m’interroge : pourquoi n’avons-nous jamais pris la décision ni le temps de nous retrouver ? Lequel est à blâmer ?
J’arrive au cinquième. C’est le pan consacré à une passion que j’ai contractée dans ma quarantaine : le modélisme ferroviaire. Je me souviens que j’avais découvert ce concept dans un magazine et ça m’avait fasciné. J’ai pris plus de vingt ans pour imaginer et créer le chemin de fer d’une petite ville côtière, et le résultat final occupe aujourd’hui toute une pièce. J’importais les éléments directement du Japon, parce qu’ils étaient plus solides qu’en Europe. Ils étaient aussi forcément plus chers, alors je devais souvent économiser. C’est entre autres pour cela que la durée de construction a été si longue. En tout cas, tout ça me rappelle ma première expérience en train : avec l’école, on allait passer un après-midi dans un parc d’attractions et, en y repensant, c’était sans doute l’une des plus belles journées que j’ai vécues. Aujourd’hui, amèrement, je regarde mon œuvre et m’imagine contemplant l’horizon, installé dans le minuscule train miniature enraillé sur le trajet éternel, et, au fond, je comprends que je ne suis pas beaucoup plus grand, et ma vie pas beaucoup moins balisée, si je me fie à l’échelle du monde. Oui !

L’univers est immense, et j’en rendais compte à mes visiteurs au sixième étage rempli d’objets en rapport avec l’astronomie : télescopes, oculaires, photos du ciel, fiches techniques. Quand j’étais jeune, il m’arrivait souvent de regarder les étoiles jusque tard le soir, couché dans l’herbe du parc. C’était un acte à la fois humble et apaisant, de se rendre compte de notre petitesse et du silence de la nuit. Comme pour beaucoup, la première constellation que j’ai repérée était celle d’Orion. J’ai petit à petit appris à me repérer dans le ciel : Sirius dans le prolongement de la ceinture, le Lion sous la Grande Ourse, les Pléiades près du Taureau. Plus tard, j’ai fait des recherches approfondies, notamment relatives à des aspects plus physiques et chimiques. Je m’étais pris d’une véritable sympathie pour ce domaine, au point que l’idée de faire des études en astrophysique m’était passée par la tête, mais j’étais conscient de mes grosses lacunes. Par conséquent, j’ai arrêté l’école à mes dix-huit ans pour reprendre le musée. Je dois dire qu’il m’arrivait de douter : j’aimais Odd comme personne et je ne l’aurais abandonné pour rien au monde, mais, parfois, je rêvais d’autre chose ; voyager comme il l’avait fait, découvrir l’ailleurs ; mais lui était trop vieux, et moi, sans doute trop terre-à-terre. Le dernier étage ouvert au public est sans doute le plus important, parce qu’il s’agit de la vidéothèque que nous avons établie ensemble, Odd et moi. Ce niveau nous lie plus que jamais ; le cinéma était notre passion commune. Sur les murs, il y a des posters de nos œuvres cinématographiques préférées, plutôt anciennes pour la plupart, encadrés et alignés parfaitement : Parasite, Shutter island, Joker 2, Interstellar (le remake sorti en 2026). Rien qu’à voir ces affiches, j’ai une envie soudaine de regarder un film. Je me tâte ; j’ai l’embarras du choix parmi les près de quatre cents Blue-Rays disponibles. Je consulte quelques-unes des fiches que nous avions faites, comme si ça allait vraiment m’aider à faire mon choix ; c’est finalement plus un prétexte pour revoir la magnifique écriture calligraphiée de Odd, à laquelle je me rappelle avoir essayé en vain de me confronter plus jeune. Je me décide à laisser le hasard choisir : je prends un DVD à l’aveuglette, et j’appelle l’ascenseur pour me rendre directement au dernier étage. Dans l’ascenseur, je me retourne pour me regarder dans le miroir qui reflète une vieille connaissance. Une torpeur m’envahit et je me revois petit garçon : les cheveux blonds ébouriffés semblant danser comme des flammes à chacun de mes mouvements, les lunettes toujours un peu de travers, et les yeux bleus comme deux saphirs propres. Je m’aperçois alors que je n’ai pas pris conscience à temps que l’existence humaine était aussi fugace ni que la porte de l’ascenseur s’était déjà rouverte depuis un bon moment. J’entre alors dans la salle de projection. Le jour où Odd me l’a montrée, il y a plus de cinquante-cinq ans, un élément m’a titillé : la trappe du plafond. Je me demandais ce qu’il y avait dans ce grenier. Plus tard, j’ai interrogé Odd, qui m’a dit qu’il n’y avait rien en particulier et m’a, dans la foulée, formellement interdit d’essayer d’y monter, certifiant que c’était dangereux. Toute ma vie, j’ai combattu cette curiosité latente et pas trop agressive, mais aujourd’hui, mon état d’esprit fait qu’elle s’exacerbe et qu’il me devient difficile de la contenir. Je crois que Odd m’autoriserait à y accéder et, de toute façon, j’ai toujours été têtu. Et puis, je pourrai enfin dire que je connais le moindre recoin de mon musée.
Décidé, je déverrouille la trappe en actionnant le levier ; elle se laisse tomber et découvre des escaliers escamotables. Je monte. Je vois des caissons réfrigérés, remplis de ce que les étiquettes qualifient de bobine de nitrate. J’ai l’impression d’avoir trouvé un trésor ; qu’est-ce qui inquiétait Odd ? Je prends un caisson et le descends, aussi rapidement qu’on le peut à soixante-et-onze ans ; je rembobine au hasard. Trop vite : une étincelle s’excite ! Surpris, je donne un coup malencontreux dans la bobine qui tombe et va rejoindre les autres pour s’enflammer ensemble. Le feu se propage vite à travers toute la pièce. Je comprends que c’est la fin du film. Acculé, et sans issue, je suis contraint de remonter au grenier, où je m’enferme. À travers le vasistas, je vois la pleine lune et je prends le temps qui me reste pour compter les étoiles comme on compte les moutons, tout en me rappelant ma vie, mon musée, et en espérant secrètement un miracle : mes deux amis d’enfance partis il y a longtemps, peut-être viendraient-ils m’aider à combattre le feu, car moi, je sais… je crois que j’aurais été là pour les faire sortir ou, au moins, pour sauver les meubles. Mais… oui, c’est vrai : moi, je suis cuit et je n’ai plus qu’à espérer qu’on épargne mon passé. Si l’on se souvient assez fort de moi, les flammes s’apaiseront peut-être avant d’avoir tout réduit en cendre. Mais même si ce miracle a lieu, je sais qu’un jour, quand le pont aura trop connu la dégradation du temps et de l’inattention, l’incendie détruira tout, et cette fois-ci, l’ardeur fleurie des cierges funéraires n’épargnera rien ni personne, pas même le scarabée d’or qui veille au grain. Que le destin fasse ce qu’il a à faire ; pour ma part, j’ai fait mon office.
  Sujet: [Fanfic] Ragnarök [Terminée]  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Dim 28 Juin 2020 08:53   Sujet: [Fanfic] Ragnarök [Terminée]
Citation:
Après, je respecte rien et je fais comme je veux, comme d'habitude.

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Nous revoilà avec un texte icerien, ça faisait un moment ! Oui oui, c'est bien moi qui dit cela mais j'avais un diable de Tasmanie qui œuvrait quand même en schmet et qui ne respecte pas grand chose non plus ce tarba.
Déjà bon point, comme souvent chez toi, pour le graphisme qui est dingue ! C'est cool parce que ça fait resortir les persos importants qui sont autour du titre (Hervé <3) et pas de meuf par contre, too bad pour un nouvel épisode de Xana attaque à fond.

Bonne idée de mettre une sœur à notre boutonneux et je valide son prénom, cela fait très vieille France comme pour Hervé ! Elle n'était pas présente dans l’Échiquier si je ne me trompe pas ? Peut-être dans un autre texte de l'Unicer mais il est bien trop vaste pour mon pauvre onglet "rechercher" de Chrome.
L'intervention des figurants qui du coup n'en sont plus est toujours aussi savoureuse, alors qu'on entend à peine leurs noms dans le DA. Cela rend Kadic beaucoup plus vivant, malgré l'abondance de dialogues qui du coup oui les anime tous mais laisse peu de temps à l'introspection ou pour se concentrer sur un protagoniste en particulier. Néanmoins, cela donne un rythme propre à ton style et incontestable à la lecture, on a pas l'impression de piétiner dans la crasse comme chez moi.

"Les deux filles de la première ES 2 s'étaient regardées en chien(ne) de faïence dès que Barbier avait franchi la porte" <= c'est bien la féminisation des termes, ravi que tu y sois sensible Laughing Un bon point pour la présence de tous les italiques, même pour les marques ou anglicismes ; les bornes prennent du temps mais le résultat est satisfaisant.

Citation:
- BREF, coupa Ishiyama. Depuis qu'on a arrêté de jouer les héros sur Lyoko, j'ai envie de prendre du temps pour moi. Et je me sens beaucoup mieux maintenant.
- Excellent, sourit William. Je vois ce que tu veux dire.

https://zupimages.net/up/20/26/ecgm.jpg


Du coup, j'ai coupé le "Pas vraiment l'envie de penser aux filles" qui ruinait mon mème. De toute façon, on sait que Dunbar est un queutard et que s'il arrive vraiment à ne plus y penser il se tournerait inévitablement vers Odd pour vidanger (ce qui ne devrait pas déplaire à une partie de ton lectorat d'ailleurs). Maïtena n'a qu'à se faire Pichon tiens.

Du coup, voilà pour moi. J'ai dit beaucoup de bullshit mais l'intrigue se lance lentement mais sûrement donc inch'allah je serai plus pertinent la prochaine fois. 150 pages, ça te donne combien de parties/chapitres du coup ? Que je sache combien de fois je pourrai passer ici Mr. Green

A la prochaine camarade glacé et courage pour les relectures et mises en page à venir !
  Sujet: [One-shot] Transmission  
Minho

Réponses: 4
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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 12 Juin 2020 19:39   Sujet: [One-shot] Transmission
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T R A N S M I S S I O N


̶ Dis-moi ce que je veux entendre, supplia Sam.

Elle venait de quitter la scène de fortune d'un bar de petite ville, après avoir trébuché - s'interrompant au milieu des histoires, s'enfuyant sur des tangentes, oubliant ce qu'elle disait au milieu de la phrase - à travers une performance qu'elle avait été embauchée pour faire. Elle était visiblement intoxiquée. Elle avait bombardé.

̶ Dis-moi que je suis drôle et que tu m'aimes.

Sam s'accrochait fermement à un verre de bourbon.

Je lui ai dit ce qu'elle voulait entendre : qu'elle était drôle, jolie et qu’elle avait totalement géré sa presta. Elle ne me croyait pas - je ne me croyais pas - mais elle a souri et est allée au bar. Je l'ai retrouvée une heure plus tard. Elle avait un autre verre à la main et s’apprêtait à enchaîner avec des shots.

Au moment où nous sommes rentrés à la maison, elle était tellement ivre qu'elle s'est évanouie sur le lit, sanglotant, dos à moi. Je ne savais pas quoi faire, alors je l'ai juste tenue. Je suis resté éveillé pendant des heures pendant qu'elle dormait.

Avant le spectacle, elle avait bu plusieurs nuits de suite. Je le sais, parce que je lui parlais tous les soirs, et chaque soir, elle était toujours au bar ou en rentrant du bar, sa voix était bordée de la langueur glissante et dangereuse qu'elle avait quand elle buvait. Quand je suis arrivé pour la voir cet après-midi-là, à trois heures de route à travers un col montagneux du nord, dans un voile blanc presque aveuglant, elle était toujours suspendue au divin nectar.
J'avais essayé de ne pas être blessé, mais je l'étais. Cela m'a donné l'impression qu'elle ne m'accordait pas de valeur : ni à mon temps, ni aux efforts que je faisais pour lui montrer que je la soutenais. Allongé là dans le noir, tenant son corps chargé d'alcool contre le mien, je me suis dit que ce n'était pas vrai. Sam a juste eu une semaine difficile. Bien sûr, je comptais pour elle.

Une fois que vous commencez à mentir à d'autres personnes, il devient plus facile de vous mentir. L’habitude.
Quand nous avons commencé à sortir ensemble, Sam et moi avons fait toutes les choses habituelles : dîner, danser, bars. Quand je venais visiter, nous sortions habituellement. Je sentais que ce que nous faisions était normal, mais depuis, j'ai commencé à repenser cela - il se pourrait que ce soit juste normal pour nous. Je travaille dans les bars depuis 15 ans, depuis que j’ai foiré mon bac. Ce que je considère comme une boisson « normale » ne l'est probablement pas.

Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois après la période Kadic, Sam m'a dit qu'elle était sobre depuis six mois et qu'elle venait juste de recommencer à boire; elle s'était arrêtée, a-t-elle dit, parce que son partenaire précédent l'avait accusée d'être alcoolique « pour le contrôler ». C'était libérateur, me dit-elle, de sortir avec quelqu'un qui ne lui en voulait pas pour ses nuits folles ou un verre de vin avec le dîner.

Rétrospectivement, cela aurait dû être un drapeau rouge.

Ce n'est pas mon premier rodéo avec quelqu'un qui a une relation difficile avec l'alcool et les drogues. À la fin de l'année dernière, j'ai arrêté de parler à un ami de longue date parce que sa consommation d'alcool et de drogues était hors de contrôle. C’était tout ce qu’il lui permettait d’oublier Xana pour quelque temps.

Dans chaque relation que j’ai eu avec une personne comme celle-ci, ce qui m’a stupéfait, c’est la capacité de l’utilisatrice de substances à réécrire la réalité pour tenir compte de son comportement. Ce n'est jamais l'alcool ni la drogue. Ce n'est jamais elles les fautives. C’est toujours le monde, ou les circonstances, ou moi.
Je suis trop dur avec eux. Je ne suis pas assez doux. J'attends trop.
C’est toujours ma faute.
Et elles ont raison.
Le dénominateur commun, c’est moi.

Je ne suis pas en mesure de juger qui que ce soit, au-delà de dire comment leur comportement influe directement sur ma vie. J'ai une anxiété chronique et je sais que parfois, souvent, j'utilise l'alcool comme béquille pour réduire cette anxiété. Ma consommation d'alcool a été un problème pour moi dans le passé; c'était un trou dans lequel j'ai rampé quand j'étais déprimé, un trou qui m'a pris des années à ramper, dont je rampe toujours. Bien que ces jours-ci, je sois rarement ivre et que j'arrive à gérer le quotidien - factures payées, délais respectés, vie sociale saine (à distance en toute sécurité) - je continue à me soigner avec de l'alcool. Je travaille dur pour créer de meilleurs mécanismes d'adaptation pour le remplacer, et c'est quelque chose que mon thérapeute, mon médecin et moi gérons ensemble.

Ça va mieux, mais je sais que c'est un problème.

Je ne sais pas quand les choses ont commencé à glisser avec Sam, mais je sais que cette nuit de décembre a été un tournant. Je ne me souviens que d'une poignée d'occasions où je lui ai parlé ou que je l'ai vue quand elle était sobre après cela.

Sam s'est peu à peu retirée de notre cocon, déprimée. Elle buvait de plus en plus et utilisait souvent des produits comestibles très puissants; parfois, elle me parlait et la mauvaise herbe donnait un coup de pied au milieu de la phrase et elle s'arrêtait, donc lapidée elle avait oublié ce qu'elle disait, après quoi toute autre conversation avec elle était impossible.
Je me sentais seul d’être avec elle quand elle était comme ça. Comme si elle n'était même pas là. Comme si elle ne voulait pas l'être. Avec moi.
En janvier, les choses ont vraiment mal tourné, très vite.
Le soir du réveillon de nouvel an, Sam était tellement saoule qu’elle s'est évanouie pendant que je l'attendais. Elle a menti sur ses progrès en consommation d'alcool, rompant les promesses de sobriété pour moi, pour son médecin, même pour une amie qu'elle était allée aider à se remettre d'une opération. Elle m'a trompé alors qu'elle était ivre; le lendemain, elle était en gueule de bois et m’a suggéré un trio avec la personne qu'elle avait baisée. Elle a volé dans une crise d'insécurité - je ne l'aimais pas, j'allais l'abandonner, je n'étais pas attirée par elle - et elle s'est disputée avec le premier venu lorsqu'elle était ivre, ce qui était souvent le cas. J'avais peur qu'elle s'évanouisse quelque part et se fasse violer, ou qu'elle ait un accident de voiture.

Le jour de la Saint-Valentin, Sam m'a appelé à minuit, très ivre, et m'a dit qu'elle voulait coucher avec un couple qu'elle avait rencontré au bar. Quand j'ai refusé, elle est tombée dans le sanglot, le tournoi à la ronde se disputant des ivrognes, où aucune raison ne peut les atteindre; elle a affirmé qu'elle avait découvert qu'elle était poly, que je devais la laisser parce qu'elle le méritait, que mon refus était émotionnellement abusif. Elle buvait encore quand elle s'est écriée et s'est endormie.

Quand elle l'a fait, je me suis retourné, j'ai pris un Ativan et l'ai poursuivi avec ma dose prescrite d'antibiotiques. J'étais atteint d’une sale pneumonie, trop faible pour sortir du lit, fiévreux et toussant, depuis cinq jours. Sam le savait.
Je n'ai jamais eu l'impression d'avoir aussi peu d'importance pour personne.
J'ai essayé de parler à Sam; elle était une personne différente lorsqu'elle buvait et la façon dont elle me traitait lorsqu'elle me faisait du mal. Elle a oscillé entre le déni outragé - ce n'était pas vraiment comme ça, j'essayais juste de la contrôler - et la négociation, promettant de me traiter mieux, de boire moins.

Parfois, elle abandonnait toute prétention et se tournait vers la supplication. Elle m'aimait. Elle savait que je ne méritais pas ça. Elle avait besoin de plus de temps - pourrais-je lui accorder plus de temps?

Je t'aime, ma petite DJ hackeuse. Ne me quitte pas.

Je l'aimais, alors je suis resté.

Je lui ai donné plus de temps. Plus d'amour. Plus de patience. Plus de compromis.

Je lui ai donné exactement ce que voulait vraiment un buveur.

Plus.

Je repense à la façon dont Sam et moi nous sommes comportés ensemble - les nuits tardives au lit avec une bouteille de vin, de la bière après la pêche à la bière froide, tous les clichés au bar et le whisky dans notre café. Tout semble si normal.

Je vois maintenant que ma relation avec l'alcool a jeté les bases sur lesquelles elle et toutes les autres pouvaient me traiter quand elles buvaient. Tout le monde a droit à un bon moment, non ?

Cela tient en partie à la culture du Sud, dans laquelle boire, et boire fort, est une pratique courante acceptée, voire louée. Ce n'est pas seulement votre vendredi soir ici, c'est votre mardi, votre jeudi, votre dimanche. Année après année, le trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale est un problème majeur... est devenu un problème majeur dans notre région, alors que cela ne l'était pas à la base. Et ça, à tel point que certains bars ont placé des tests de grossesse dans les toilettes des femmes. Notre département possède la troisième consommation d'alcool en France en 2018 et connaît plus de décès liés à l'alcool que les autres. La consommation d'alcool et de drogues a une place de longue date dans la culture du coin, mais en parler ouvertement est un anathème.

Le mois passé, j'ai décidé de me lancer dans le business de la kétamine. Marseille a la réputation d'être une ville de fête. Et de violence. La réaction de certaines personnes de la communauté du vieux port a été incroyablement défensive; Je ne savais pas comment m'amuser et j'avais besoin de me détendre. Il existe ici une culture du silence autour de la consommation d'alcool et de drogues dans le Nord qui rend certains comportements destructeurs, voire abusifs, intouchables.
Si tout le monde boit c’est problématique, alors personne ne va jamais rien changer.

Je me rends compte maintenant que cela, couplé à la culture du service d'alcoolisme que j'ai vécu pendant la majeure partie de ma vie d'adulte, a laissé un point aveugle dans mon jugement. Je ne sais même pas ce qu'est une boisson normale.

C'est probablement pourquoi je ne connais pas l'alcoolisme jusqu'à ce qu'il m'appelle à minuit, pleure et demande à coucher avec d'autres personnes.

Lorsque la rupture est finalement arrivée, c'était explosif. Ayant à peine contenu ma douleur et ma frustration pendant si longtemps, j'étais vicieux. J'ai honte des choses dures que j'ai dites. J'ai couché avec quelqu'un d'autre juste pour lui faire du mal.

Parce que Sam a bu, je ne lui faisais plus confiance. Parce que j'avais arrêté de dire à Sam ce qu'elle voulait entendre, elle ne me faisait plus confiance. Elle a répété le même refrain encore et encore : ce n'est pas ma boisson. Ce n'est pas ma boisson. Ce n'est pas ma boisson.


J'ai demandé à Sam catégoriquement si elle choisissait de boire plutôt que moi.

Je ne veux pas que l'alcool soit comme ça - une troisième personne dans mes relations, une ombre qui traîne derrière moi. Je ne veux plus poser cette question. Je ne veux jamais qu'on me pose cette question.

Finalement, Sam a choisi de boire. Ce n'était pas ce que je voulais entendre, mais cela m'a au moins aidé à voir plus clairement ma propre consommation d'alcool et la culture de l'alcool dans mon entourage. À certains égards, je ne blâme pas vraiment Sam pour son choix. Boire est facile, et je ne suis pas une personne facile à aimer - du moins, pas aussi facile qu'une bouteille de bourbon. Ce qui est difficile - ce qui est vraiment difficile - n'est pas la partie où l'on arrête de boire; c'est laisser derrière soi ce que signifie vraiment boire.

Boire, ce n'est pas vraiment boire. Il s’agit de vous refaire comme vous le souhaitez, de maintenir l’illusion de possibilité lorsque vous sentez que rien n’est possible.

Il s’agit de se retirer dans un monde où les choses ne vont pas si mal.

Je connais. Je l'ai fait. Je le fais toujours, parfois. Je vais probablement le refaire. Je ne suis pas seul là-dedans.
  Sujet: Nouveaux Membres : Présentez-vous !!!  
Minho

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MessageForum: Blabla de la communauté   Posté le: Lun 04 Mai 2020 10:17   Sujet: Nouveaux Membres : Présentez-vous !!!
Hey, bienvenue Godrik !
C'est cool de voir des fans de l'animé (et de l'IFSCL!) faire encore surface en 2020, bienvenue à toi et j'en profite pour te dire que je valide totalement tes persos préférés Mr. Green
  Sujet: [Fanfic] White Mustang  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Dim 03 Mai 2020 23:07   Sujet: [Fanfic] White Mustang
Spoiler

Chapitre 2


Adorer et adhérer


Les longues journées tièdes et réconfortantes se raccourcissaient déjà. Elles laissaient de plus en plus rapidement place aux petits jours grincheux baignés dans la brise venant de la mer. Le mois de septembre touchait à sa fin mais ils étaient toujours là, comme durant tout l’été. Les jeux de ballons se répétaient sans cesse et ne semblaient pas les lasser. Tantôt utilisés pour dribbler, tantôt lancés bien loin pour amuser leur chien et parfois servant simplement de balle pour jouer au football, leurs ballons les suivaient partout. Ils avaient cependant un endroit fétiche, un petit terrain vague aux herbes hautes situé en bord d’une falaise. Elle offrait un point de vue irréel : l’écume rugissante se heurtait à la côte bretonne et, même si la paroi rocheuse les séparait d’elle, le bruit des vagues frappant les rochers rythmait leurs folles parties. Au loin, craignant les jardins d’écueils, passaient souvent des bateaux de croisière fascinés par les paysages du pays breton. Leur silhouette dont la sombre couleur se découpait dans l’aigue-marine des flots et l’azur du ciel glissait silencieusement vers la terre des Angles. C’est cet endroit qu’ils avaient choisi pour cette froide journée. Deux frères. Unis dans le meilleur comme dans le pire. Après tout, l'amitié n'est réellement possible que pendant la jeunesse alors que les paires d'hommes et de femmes ne sont pas encore formées, attaquant dans ses bases-mêmes cet esprit de société par lequel les rapport amicaux, s'ils sont tout à fait profonds, ne manquent pas d'être dominés.

L’année scolaire avait repris et les journées passées assis sur un banc étaient encore plus harassantes que de courir avec le chien. Les horaires de jeu en plein air le weekend s’étaient étendus : la petite équipe était là dès neuf heures du matin pour se passer la balle. La grand-mère de Basile et Xana, fervente amatrice de l’équipe brésilienne de football, leur avait offert cinq jours avant le ballon officiel de la coupe du monde 2002 remportée par ses idoles. Leur mamy ne venait que rarement jouer avec eux : « C’est dangereux mes amours ! disait-elle en s’adressant aussi au père qui était toujours un grand enfant. Et puis pensez à Georgiu, ajoutait-elle, il sentirait une piste alléchante ou verrait un oiseau planer au dessus de la mer que vous pourriez dire adieu à votre pauvre chien ! N’espérez même pas que je sauterais pour le récupérer. Non vraiment, je ne préfère pas assister à ça ».
Toutes les femmes avaient peur de cet endroit. Leur mère, elle, ne venait que lorsque le soleil brillait si fort que les vagues attrapaient des reflets flamboyants, elle affirmait que rien ne valait un tel spectacle. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils avaient emménagé en Bretagne il y a maintenant dix ans de cela : « Chéri, c’est superbe! La région n’a rien à envier à la côte d’azur, puis toi qui a tout le temps trop chaud ça te changera de Tarbes. » Le jeune couple avait quitté le sud pour se rendre dans la petite ville de Paimpol sur la côte nord de la Bretagne afin de permettre à Christian de changer de métier et d’être engagé comme employé à la commission du patrimoine et comme gardien des clefs de l’abbaye de la ville. Le coup de cœur avait été immédiat lorsqu’ils avaient vu les paysages verdoyants bien que rocheux qui entouraient la ville portuaire. C’est donc en plein pendant la dure grossesse de la future maman qu’ils avaient migré vers cette terre nouvelle où résonnent les chants et les légendes. Ils commencèrent leur journée de loisirs avec le schéma habituel. Pour commencer, tous les trois se plaçaient en ligne. Basile, situé au centre lançait toujours la première balle vers son fidèle compagnon qui la ramenait à son père puis le jeu continuait dans l’ordre logique. Passe, passe, chien, passe, passe, chien et ainsi de suite. En plus de les divertir, cette activité comportait un autre intérêt : elle permettait d’éduquer un tant soit peu l’animal.
Cela représentait un grand avantage, mais la tâche n’était pas aisée. Georgiu avait été adopté dans un centre roumain pour chiens errants car, depuis que Ceausescu avait fait raser les pavillons avec jardin pour entasser la population dans des « cités idéales », les chiens se retrouvaient en meutes dans la rue au bas des tours et devenaient agressifs avec les habitants pour pouvoir trouver quelques morceaux de nourriture. Ainsi, en adoptant l’animal il y a trois mois de cela, ils ont dû accepter deux choses : l’éduquer au plus vite et l’intégrer dans une grande famille qui deviendrait sa nouvelle « meute », ce qui était un problème pour la petite famille qu’ils étaient. Georgiu s’adaptait néanmoins mais avait toujours des comportements étranges comme mordre sans raison apparente... spécialement Xana qu’il ne semblait pas aimer beaucoup.
Toujours est-il que la plupart du temps, il était calme et acceptait joyeusement les jeux de ballons proposés par ses maîtres. La balle attrapée en plein vol par le clebs était le résultat d'une brève complicité entre la prévoyance et le hasard. Ce jour-là, après une bonne heure à se dépenser, Basile dont les boucles d’or collaient au front tant il s’était donné afin de lancer la balle de plus en plus loin, décréta avec son frère qu’une petite pause s’imposait avant de reprendre le même jeu mais dans l’autre ordre de passes. La joyeuse équipe s’assit donc sur de gros cailloux pour grignoter. Le goûter avait été préparé avec soin par la grand-mère : quatre sandwichs au crabe empaquetés dans des petites serviettes blanches à carreaux rouges étaient accompagnés de deux petites bouteilles d’eau et de trois brioches au sucre dont le chien raffolait. Après avoir ingurgité tout ça et partagé un beau moment père-fils, ils se lancèrent à nouveau dans une partie de passe-passe dans laquelle Basile et Xana donnaient toute leur énergie pour envoyer la balle à leur père qui les félicitait de leur entrain habituel. Mais malheureusement le cadet de la famille était bien plus distrait qu’à l’accoutumée, ce qui non seulement ralentissait le jeu mais, en plus, en arrivait même à énerver le père par moments. Après une dizaine de passes ratées, l’enfant décida de se ressaisir et dégagea le nouveau ballon brésilien le plus loin possible. Ils le suivirent des yeux jusqu’à ce qu’il ait disparu : le jouet tomba malheureusement de la falaise … Basile était extrêmement triste, son père essayait de le consoler par tous les moyens et Xana râlait de la perte de ce qui constituait leur seul passe-temps dans ce bled pourri. Il décida de quitter le terrain de jeu familial, mettant fin à cette brusque chute de conscience dans le magique.

L’air était trop humide, les bruits trop sourds et mon mollet bien trop chaud. Cet enculé de Basile avait tout fait foirer. Une fois de plus. Se mouvoir était bien difficile dans mon état qui ne faisait qu’empirer au fur et à mesure des minutes qui passaient. La rage montait, je peinais à me contrôler. Cela me rappelle la fois où je n’ai pas pu m’échapper lorsque la bête a rampé vers moi. Elle allait si vite. De derrière la vitre, cette ombre était bien moins impressionnante.
— C’est une manière efficace de réparer les vivants, sache-le mon petit…
— Ma tête… Elle est si douloureuse.
Je braillais comme un enfant et personne ne m’entendait : « Au secours ! Il y a quelqu’un ? »
Le silence. Écrasé par cette inquiétante tranquillité et par le sinistre environnement dans lequel je me trouvais, je me mis à cogiter : tous ces destins brisés à jamais comme je l’ai été pour une vengeance… Quelle vengeance? J’étais là, à agoniser entre deux buissons sur de la terre humide et puante et j’y pensais encore. Me venger n’avait servi à rien car, mourant, je pensais encore à Waldo dans cet endroit ridicule, lui qui avait abusé de mon innocence.
« Tu m’as volé mon enfance! », criais-je. « Tu m’as tué! »
L’écho de ma voix, pitoyable, me revint et, en entendant mes propres cris de détresse, je ressentis à quel point j’étais peu de chose. Moi qui avais toujours considéré ce labo comme ma maison puis comme mon terrain d’apprentissage, je me sentais trahi par celui-ci. Au final, personne ne sait l'ordre des morts ni celui des vivants, ni à qui reviendra la peine ou la peur. Le lieu m’était hostile et son propriétaire m’enterrerait un jour ou l’autre au beau milieu des fougères si je tardais trop à agir.


Une fois son frère parti, la tristesse de Basile fit place à de la colère. La haine de l'autre et l'amour de soi s'opposaient en son for intérieur. Il voulut récupérer son ballon à tout prix. La petite tête blonde décida alors de tenter la reprise. L’attention de son père détournée par le chien qui, venant d’apercevoir un chat, aboyait et courait dans tous les sens, permit au gamin d’entreprendre doucement la descente de la falaise afin de saisir le ballon avec son pied. Par chance, il n’était qu’à deux mètres en dessous du sol et était tombé dans des branchages sur un petit escarpement rocheux. La mission était donc délicate mais réalisable, le tout était de faire vite avant que le père ne vienne crier à la folie en le voyant descendre ainsi vers les vagues qui se brisaient avec fracas contre les rochers au pied de la falaise. Alors il s’assit au bord du gouffre marin, les jambes balançant dans le vide et le regard à moitié assuré. Puis, prudemment, il descendit sa jambe gauche jusqu’à un petit caillou accroché à la paroi et situé une vingtaine de centimètres plus bas. Soudain le caillou cèda sous le poids - bien qu’il soit plume - de la frêle petite jambe mais il fallait faire vite, son père allait bientôt revenir. Basile trouva un autre caillou qui, lui, tint bon le temps qu’il ait trouvé un appui pour sa jambe droite. Là, la gorge nouée et les larmes au bord des yeux, il se retourna doucement pour faire face à la surface rocheuse : il y était presque ! Sa main droite agrippée à des branchages qui avaient pris racine dans la roche et sa main gauche toujours posée à la surface, il entreprit de descendre encore plus bas ses pieds pour atteindre le ballon. Un petit blondinet dans les rochers. Qu’est-ce qui pouvait mal tourner ?


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Demain je vais passer la nuit chez lui, mon sac est prêt depuis deux jours. J’ai mis exprès mes habits préférés à la lessive en début de semaine pour être certaine de pouvoir les mettre demain. J’ai regardé sur mon portable quel bus je devrai prendre pour y aller, j’ai noté tout sur un petit papier que j’ai rangé dans le livre que j’emporterai avec mes écouteurs pour le trajet. C’est assez loin : 1h40 et deux bus. Sa mère était à côté quand je l’ai eu au téléphone et elle a demandé si j’aimais les lasagnes car bien entendu je souperai avec toute la famille. Pour le moment la vie est spéciale, elle a un goût étrange qui est difficile à définir. Je suis souvent perdue dans mes pensées et mille petits chemins s’offrent à moi comme solutions mais il m’est impossible d’en désigner un bon. Je doute de ma capacité à me réconcilier un jour avec le groupe mais en parler avec lui ne changerait rien, je sais qu’il me faut faire moi-même les bons choix. Peut-être que ce serait plus facile dans une autre école. Je me retrouve actuellement en classe avec cette putain de bande. Heureusement, pour me changer les idées, j’ai une rage de réussir, alors je travaille pour avoir de meilleurs points que Belpois.
J’ai toujours aimé être au premier plan. À mes cours de danse il me faut être en première ligne pour me sentir briller. À mes cours de théâtre j’ai besoin de tenir un rôle des plus importants pour me sentir reconnue. Si j’allais voir un psychologue, un de ces spécialistes pour les jeunes perdus comme moi proposés par les écoles comme une récréation gratuite, il me dirait sans doute qu’avoir perdu ses parents n’aide pas trop.

L’été passé je pense avoir usé mon stock d’excuses « anniversaire » pour les sorties nocturnes à l’internat. Toutes les semaines, j’avais un anniversaire à l’approche du weekend. L’anniversaire c’est l’excuse parfaite quand on a seize ans, les éducateurs savent que si on se rend chez quelqu’un il y aura au moins une personne majeure. En plus, ils lâchent toujours un peu d’argent quand tu stipules une possible commande de pizzas ou un cadeau collectif. Ils trouvent cela normal de passer la nuit étant donné qu’on a davantage l’âge de regarder des films en mangeant des popcorns toute la nuit que de louer un château gonflable et partager un goûter égaillé de quelques bougies. Heureusement, j’ai beaucoup d’amis. Enfin à l’école, ce n’est pas la même chose, je vais aux cours sans trop m’intéresser à ce qui m’entoure, je subis parfois la facilité des cours qu’on nous impose. À côté des quelques amies avec qui je reste pour manger quand la cloche sonne pour nous laisser souffler, on ne peut pas dire que je me sente véritablement intégrée. Ma vie se trouve à l’extérieur, à mes cours d’art. C’est avec Lisa et Marine, des amies de mon cours de danse classique, que je suis sortie pour la toute première fois. Lisa a une grande sœur qui a deux ans de plus alors elle connait toutes les bonnes soirées. Sa maman nous laisse aller avec elle car Cassandre est responsable et elle sait très bien que si un problème arrivait elle en serait immédiatement prévenue. Les parents sont à peu près tous les mêmes, c’est exactement comme avec mes parents alors que Cassandre nous file toujours quelques jetons pour aller chercher des boissons alcoolisées en nous faisant promettre de nous tenir à carreau quand sa mère viendrait nous rechercher dans la nuit.

C’est avec Lisa et Marine que j’ai découvert la puissance de la nuit, le réconfort d’une foule en mouvement constant dans laquelle tu te fonds complètement, la pénombre générale qui fait l’effet d’une carapace protectrice, la musique qui va trop fort pour permettre une conversation normale mais qui t’isole tout en te connectant aux autres, et l’alcool. Quel pouvoir, il en existe de toutes sortes comme de petites potions magiques qui t’apportent le remède à tous les maux. La nuit, on ne dort plus, on rêve éveillé et le retour à la réalité devient d’autant plus brutal. C’est pendant la nuit que j’ai appris à embrasser, à danser, j’ai aussi appris à fumer, j’ai appris à laisser les règles de côté et aller chercher au plus profond de mon âme les folies enfuies bref j’ai appris tout ce qu’il y avait à apprendre pour sortir de la petite routine traditionnelle d’une adolescente de seize ans.
À l’école, j’ai l’impression que ce monde n’existe pour personne alors qu’avec Lisa et Marine, je vis des aventures d’un monde parallèle qui semble appartenir qu’à une série de gens bien définie qu’on appelle couramment « les fêtards ». Je veux faire la fête autant que possible jusqu’à ce ne soit plus possible.
Tous les matins, je me réveille et m’habille devant le miroir qui se trouve juste à côté de mon lit. J’allume la lampe, j’enlève mon pyjama que je fourre en dessous des draps et j’attrape les habits préparés la veille et déposés sur ma chaise de bureau. M’habiller devant le miroir m’oblige à me confronter à moi-même. Tous les jours, je vois ce corps que je trouve souvent trop gras, trop formé. Il y a encore deux ans tout ce que je vois à présent ne s’y trouvait pas. Quand j’étais encore une gamine, quand je pensais naïvement que Jérémie serait le seul et unique. J’ai bien réfléchi et je pense que c’est à cause de mes règles. Elles sont arrivées il y a un an et demi, Marine m’avait dit « Te voilà une femme à présent », une femme ? Étais-je vraiment une femme ? Si j’étais vraiment une femme…

Qu’est-ce que « femme » pouvait bien signifier ? Un corps d’un mètre soixante maigrelet, des pieds légèrement trop grands pour ma taille et mon âge, des longs cheveux de la teinte maternelle et une peau pâle hérité de mon père, quelques goutes de sang imprégnées dans le fond d’une culotte rose bonbon décorée d’un nœud sur l’élastique avant, c’était donc ça être une femme ? Maintenant, ma poitrine m’apparaissait tous les jours comme quelque chose de trop qui n’avait pas sa place mais qu’il fallait pourtant placer dans deux coques rondes que je m’empressais d’enlever une fois revenue à ma chambre vers 17h, mes culottes ne portaient plus de petits nœuds roses mais des élastiques cachés par de la dentelle noire dans une taille beaucoup plus grande afin de contourner mes hanches beaucoup plus larges, tellement larges qu’il m’avait fallu refaire deux fois ma garde-robe.
Moi qui ne connaissait pas encore l’existence des taille 36 et 38, « ce sont les tailles de dame » disait Lisa quand on parcourait les rayons alors que je n’avais jamais vu que des étiquettes portant mon âge en centimètre. Mes pieds sont toujours trop grands mais aujourd’hui un léger talon accompagne mes pas laissant un drôle de bruit de marteau quand j’avance dans un couloir vide. J’aime bien porter des bijoux et parfois je mets un peu de crayon noir en dessous de mes yeux, celui de Yumi m’allait super bien. Tous les jours cette image me semble inappropriée pourtant c’est bien moi, un moi qui apprend à être une femme jour après jour. Ce qui est le plus étrange, c’est qu’après cette expérience des premières règles qui devait me transformer drastiquement en femme, mon rapport au monde n’a pas changé. Je suis toujours la même avec un problème de plus à gérer. Avec le temps, j’ai bien compris que toutes les filles, enfin que toutes les femmes avaient ce problème mais il est quand même de mon devoir de m’en occuper comme une grande. Mis à part cela, je suis toujours moi. C’est avec le temps que j’ai vraiment compris ce changement. Petit à petit mon corps s’est mis en mouvement, silencieusement, sans que je ne lui autorise quoi que soit. C’est ensuite que les premières sorties sont arrivées et c’est là que mon rapport au monde a changé. Les premiers garçons que j’ai embrassés sur la musique impersonnelle, trop commerciale, qui excitait les quelques verres de bières qu’on était parvenu à se procurer nous donnant le sentiment d’être invincible; ces premiers garçons avaient le goût du changement. Encore aujourd’hui, j’aime plus que tout ce sentiment où la peur de l’échec et de passer inaperçue n’a plus aucun sens. Quand j’ai un verre en mains, que mes amies dansent autour de moi, j’ai l’impression qu’on me voit car tout m’apparaît calme, lisse et proche de moi. Les clopes qu’on arrive à mendier aux plus grands nous paraissent de précieux secrets d’adulte révélés et à notre entière disposition, on vit l’instant présent sans redouter le retour proche de la réalité. Avec Lisa et Marine on a même établi un code simple qui nous permet de contrôler les garçons que l’on bécote car si on s’amuse à les embrasser, il n’est pas question d’aller plus loin avec ces inconnus.

Quand un garçon nous propose d’aller faire un tour à l’extérieur de la soirée, on fait tomber notre verre à terre ou, faute de verre, notre sacoche contenant seulement notre portable et quelques sous pour tenir toute la nuit. De suite, une de nous arrive pour prévenir qu’il est l’heure de rentrer. C’est un plan infaillible qui nous amuse beaucoup. Une fois Marine a voulu jouer et elle a changé de plan, elle est arrivée pour ramasser ma sacoche et m’a embrassé en demandant au garçon de partir car on était ensemble. On a tellement rigolé, Lisa, qui avait assisté à toute la scène, était morte de rire et nous a dit qu’au moins on avait un plan B opérationnel maintenant.
Mon rapport au monde a changé au fil de ces soirées. Ce monde parallèle a commencé à toucher de plus en plus de monde autour de moi, les amis que j’ai de toutes parts, ont été de plus en plus présents à ces parties nocturnes. Les mondes se sont dilués et les pans de ma personnalité qui vont avec ont fusionné. J’ai compris que la personne que je suis durant la nuit est la même la journée et mes aspirations nocturnes ont commencé à déteindre sur ma vie de tous les jours. Avec les copines on va boire des verres en terrasse quand il fait beau, les garçons me regardent. L’envie de plaire dépasse le cadre des soirées et je porte des tops au col en V pour aller en cours. Même si Ulrich me dévisage et ose me dire qu’il ne me reconnait pas, que je fréquente les mauvaises personnes.
Le souci, et j’en suis consciente, c’est que je n’ai plus seulement besoin d’être supérieure, j’ai aussi besoin de plaire. Tout cela m’est apparu clairement juste avant l’hiver quand je me suis demandée quel gros pull me mettrait le plus en valeur. Bien que ce reflet dans le miroir ne me convienne pas, j’essaye toujours de trouver ce qui plaira aux autres une fois porté. Surtout qu’il y a un garçon. William Dunbar.

William ce n’est pas une histoire d’amour et ne le sera jamais. Ce n’est pas non plus un des premiers garçons embrassés en soirée sur de la musique commerciale. Ce n’est pas non plus une image erronée du prince charmant dont on nous apprend à faire religion dans les contes.
William avait été dans la même classe que moi, il avait aussi été prisonnier du même monde virtuel que moi quand la question des garçons n’effleurait aucunement mon esprit. Il avait repris contact avec moi malgré son changement d’école grâce à l’incroyable développement des réseaux sociaux dont ma génération bénéficiait pleinement. Il m’avait proposé d’aller faire un tour en ville au printemps, ce que j’avais accepté après une brève hésitation. Mais on avait des ennemis communs… alors pourquoi pas.
Jamais la couleur du t-shirt que j’avais à porter n’avait semblé recouvrir autant de sens alors que précisément rien ne justifiait de retourner à sa penderie. William n’était qu’un ancien camarade. Pourtant cette entrevue fut bouleversante. Une amitié s’installa et on décida de refaire plusieurs fois des tours en ville. Bizarrement, quand je suis avec William je n’ai pas l’impression d’être avec un ami, une connexion particulière circule et j’ai l’impression que de nouveau un petit monde apparait pour nous donner un sens différent. Jérémie savait-il que nous avions parfois discuté à deux sur Lyoko lors de ces moments où son libre arbitre resurgissait succinctement ?
Aujourd’hui, je le revois pour la première fois depuis des semaines.
« T’es dans le bus ? » apparait sur l’écran de mon portable à 14:32.
« Oui et toi ? » 14:33.
« Moi aussi, RDV sur le café de la place comme d’hab ? » 14:35.
« Ok, biz. » 14:35.
Le paysage est identique à celui de tous les jours quand je descends en ville pour aller en cours. Seulement, aujourd’hui, il m’est trop difficile de me concentrer sur mon livre alors j’ai mis mon album préféré des Subdigitals dans les oreilles et je regarde les arbres et les routes défiler avec un léger sourire en respirant des bouffées d’airs qui me semblent beaucoup plus oxygénantes que d’ordinaire. Il n’y avait que cinq minutes à pied entre la gare et le café de la place. En passant devant les vitrines, je réajuste mes cheveux. Je m’inspecte à chaque boutique comme si mon image avait changé d’un mètre à l’autre. J’aperçois « ENTRE POTES » écrit en bleu au dessus d’une porte ouverte où William attend l’épaule posée sur le rebord du cadre juste en dessous du « POTES ». Il me fait un léger signe en levant la main et je souris.

— Pas trop chaud dans le bus ? Ils oublient toujours de mettre la clim en été, le mien était un vrai four !
— Non ça va, j’étais assise près de la porte, ça faisait des courants d’air.
— Bonne idée ça, j’y penserais ! On commande un truc ?

Une bière pour lui et une bière au fruit pour moi, le serveur nous demande notre carte d’identité, on a donc l’air si jeunes que ça… Pourtant, depuis ce matin je me sens plus mature, plus accomplie. Toute la journée jusqu’à maintenant je l’ai passée face à mes pensées, repassant tout en revue en me demandant comment je me sens et la seule réponse satisfaisante est que je me sens grande.
Quand le serveur comprend qu’on a le droit de commander de la bière, il nous laisse à nos activités et pour ne pas avoir à revivre ce moment gênant on reste assis à la même table toute l’après-midi jusqu’à ce que le soleil décide qu’il était temps de gorger nos boissons d’ombre. On a sans doute sous-estimé notre consommation car en se levant on rigole tous les deux comme si l’après-midi avait été une très grosse blague. On marche pour rejoindre l’arrêt de son bus mais il m’arrêta à 200 mètres de celui-ci, dans une petite ruelle qui faisait raccourci. Mon cœur s’enflamme d’un coup, comme la flamme du briquet dans le noir des soirées, mes joues chauffent juste en dessous de mes yeux qui eux s’immobilisent pour regarder William qui avait placé ses mains de chaque côté de mon visage m’emprisonnant ainsi entre le mur et ses lèvres. Ses immenses yeux bleu ciel sont magnifiques mais son haleine sent la bière et les cacahuètes, quant aux manches de sa chemise légèrement retroussées, elles dégagent un léger parfum de lessive et de déodorant pour hommes.
— Je peux ? demanda-t-il avec un regard tout aussi immobile que le mien.
Il n’attend pas ma réponse, ou peut-être qu’il la déduit de mon langage corporel. William est le premier garçon qui m’embrasse en plein jour. Il n’a pas le goût des garçons de soirées, je ne pense pas non plus que ça goûte l’amour. D’ailleurs, il n’embrasse pas très bien mais je sens le désir et le feu qui consumaient mes joues descendre brutalement provoquer mes cuisses en remontant jusqu’à mon abdomen. Tout est exactement comme je l’ai imaginé depuis une semaine.
Quand William me proposa de rester dormir il y a quelques jours, j’ai accepté en comprenant que la connexion que j’avais eu du mal à définir depuis qu’on avait commencé à se voir nous amènerait à découvrir de nouveaux horizons. J’avais fondé mon hypothèse en silence et intérieurement toute la semaine et j’avais enfin la réponse. Ce que j’avais prédit allait se produire. On monte dans le bus ensemble. C’est son père qui vient pour nous récupérer à l’arrivée afin qu’on n’ait pas à marcher dans le noir jusqu’à sa maison. Sa mère, très contente de me rencontrer, nous dit que le dîner sera sur la table dans un quart d’heure.
— Ça marche m’man, on monte choisir un film pour après en attendant.
— Et n’oublie pas de changer les draps de la chambre d’invité pour ta copine.
— Oui m’man, rétorqua-t-il en me gratifiant d’un petit clin d’œil dont lui seul a le secret. A l’étage, sa chambre occupe la partie droite qui se trouve près de la salle de bain. De l’autre côté, une petite pièce réservée aux invités. Des draps propres sont repliés sur le bord du lit et attendent d’être mis en place.
— Viens, on fera ça après, t’aimes quoi comme films ? Pas de SF, je présume ?
— N’importe.
— Films d’horreur ?
— Ok mais pas trop gore…
Je ne sais pas s’il s’agit d’une tactique particulière pour attirer les filles dans ses bras mais le fait est que j’aime relativement peu les films d’horreur. Une fois le souper terminé, les fameuses lasagnes plat fétiche de la mère Dunbar, on monte en silence rejoindre son lit sur lequel son ordinateur portable nous attend. Il s’installe près du mur et moi près de lui. Tous les deux nous sommes très silencieux mais l’air semble malléable tout autour. Je ne sais pas si c’est les quelques bières de l’après-midi qui se dissipent où si mon hypothèse rentre en ébullition. Il place un bras derrière ma tête. Cinq minutes passent. Enfin, il m’embrasse. Je comprends que le film à lui seul est une excuse. Sa mère frappe à la porte et ouvre de suite me laissant une expression béate sur le visage quand lui se présente comme si de rien n’était.
— Bonne nuit les jeunes, dit-elle, sans rien laisser transparaitre.
— Bonne nuit m’man.
— Bonne nuit et merci pour le souper, réussis-je à dire en espérant qu’elle n’ait rien vu de compromettant.
Une fois la porte refermée, il reprit directement possession de ma bouche et commença à me caresser le ventre. Un frisson inconnu me parcoure. Il descend vers mon pantalon, essaye de défaire le bouton, je l’aide ensuite à faire descendre la fermeture éclair. Hier soir sous la douche j’avais rasé mes aisselles et mon pubis comme si cela allait de soi. Je sentis alors ses doigts sur ma chair nue. Mon t-shirt est maintenant par terre, mon soutien-gorge rose fuchsia est au fond du lit.
— J’ai toujours mon t-shirt moi, lâche-t-il entre deux baisers.
— Ben qu’est ce que tu attends ? dis-je en rougissant.
— J’attendais exactement ce genre de remarque, répliqua-t-il avec un petit rictus sournois.
Je m’aperçois alors que je parle que si lui-même s’exprime, je me laisse guider dans cette danse des corps encore inconnue. Il m’appelle « ma belle » comme il doit sans doute toutes les appeler, pour ne pas se tromper à mon avis, cela me ramène vaguement à la réalité. On finit par enlever nos jeans en même temps. Il s’occupe de ma culotte et de son slip. Il me demande si j’ai un préservatif, je lui dis que non. Il cherche quelques secondes dans ta table de nuit, sûrement la même que tous les garçons de son âge. Il me propose de placer la protection mais je lui demande de le faire. Quand je comprends qu’il a fini, je l’arrête.
— Tu sais… j’ai déjà fait quelques trucs mais jamais l’amour.
Il me répond en chuchotant de ne pas me tracasser, que c’est agréable. Il glisse en moi en m’embrassant, ça fait mal. Il me demande si ça va, il y va doucement mais ça continue à tirer. Je lui réponds que ça va aller. J’ai lu des articles sur internet, je savais que ça allait faire mal mais j’ai aussi lu que ça ne faisait pas mal longtemps alors je fais la grimace un moment en silence. Au bout d’un court instant, je sens un plaisir inédit s’immiscer lentement. Je l’embrasse à nouveau pour lui faire comprendre que tout va bien. Je commence à avoir chaud mais lui aussi. Mon chignon se défait complètement mais je n’y apporte aucune importance. Je vois dans ses pupilles satisfaites qu’il a peut-être mis fin à une obsession, à une quête qui le tourmentait depuis un moment… Est-ce que Xana était vraiment totalement sorti de son corps ? Était-ce une manière pour lui de finir la traque qu’il avait commencé sur Lyoko ?
Quand tout s’arrête, mon cerveau n’a plus d’interrogations : on se retrouve nus l’un dans les bras de l’autre, collés par la sueur, offrant ainsi l’effet d’un magnifique tableau ciré. Je sens d’un coup la fatigue m’envahir. Légèrement dans les vapes, les yeux encore fermés, nos corps toujours rapprochés, je suis parcouru d’une frayeur.
— Nous deux, c’était juste comme ça ou tu aimerais plus ?
Question classique, clichée, et je m’en veux même de la poser.
— Je ne sais pas, murmura-t-il, songeur. Et toi ? Tu as aimé ?
— Oui j’ai aimé… Mais je ne sais pas si je suis prête à aimer quelqu’un. Je ne connais pas vraiment toutes ces émotions que Ulrich a essayé de me décrire quand il parlait de Yumi.
William fait la grimace. Ce n’était probablement pas le bon instant pour mentionner ces deux prénoms…
— Tu sais, Aelita, on n’est pas vraiment obligé d’aimer pour faire l’amour, rétorqua-t-il comme pour changer de sujet. Moi je pense que l’amour ça prend plus de temps, le sexe c’est plus intuitif.
— Intuitif…
— C’est comme une pulsion tu vois ?
— Oui, je vois.
En fait, je ne voyais pas. On se rhabille à moitié et il se lève pour ramener la bouteille d’eau de son bureau à son lit. La fatigue s’accentue et il me laisse son lit pour aller dormir dans la chambre d’à-côté. Si ses parents nous trouvent tous les deux ici, demain le ton changera et je ne pourrai plus venir. Je soulève la couette, quitte le matelas chaud qui fut le réceptacle de nos fluides mélangés. En allant à la toilette, je découvre quelques gouttes de sang dans ma culotte... C'est donc ça, devenir une femme ?
  Sujet: [Fanfic] Oblitération [Terminée]  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mer 17 Oct 2018 22:02   Sujet: [Fanfic] Oblitération [Terminée]
Avant la réponse proprement dite, quelques petits faits insolites sur la fic, les scènes coupées (plus ou moins wtf/stylées), c'est ici !
Spoiler


Réponse Minho
Bien le bonjour Zéphyr (ou devrais-je dire Vulturnus ?).
Te voilà de retour sur Oblitération, je ne dois pas te cacher que c’était gratifiant de recevoir un commentaire abordant pas mal de thématiques scénaristiques et stylistiques de l’œuvre. Sans plus traîner, passons à tes remarques.

Citation:
En fait, je comprends tout à fait les raisons qui t’ont poussé à écrire sous un autre pseudonyme, Minho, pour ne pas être « labellisé ». Mais d’un autre côté, tu joues régulièrement sur le fait qu’il existe un « style Minho », et t’en amuses, comme ici :

Citation:
Eh bien voilà... les masques tombent. Après huit mois et demi. Le corbeau triple de volume et se transforme en Blok. J’espère que vous vous rendez compte : ONZE chapitres sans la moindre mort, sans sexe, sans soirée adolescente qui dérape, sans drogue ni même alcool.

Du coup, n’y a-t-il pas un léger décalage entre ce que tu souhaiterais et ce que tu fais ? Personnellement, je pense qu’il y aurait eu bien plus d’intérêt à ce que tu postes cette fanfiction sous ton pseudonyme originel, ça aurait bien plus efficacement cassé cette labellisation à laquelle tu voulais échapper (en particulier pour la première dizaine de chapitres), et ça aurait illustré ta flexibilité stylistique. Cela étant, si ta volonté était que « Minho » reste à 100 % lui-même et que tu voulais garder le style « Sorrow » à part, c’est réussi.


Pour répondre très sincèrement, il était bien plus facile pour moi de retranscrire sous une autre plume l’ambiance bien particulière de GK. Quand je sais que j’écris sous le masque du corbeau, je me coupe du Blok qui est aussi un personnage selon moi, se basant sur un ethos, une posture qui n’est pas forcément 100% fidèle à mon caractère (surtout en comparaison avec ce que j’ai pu/peux faire dans d’autres lieux). La volonté de Sorrow, personnage binaire, c’était avant tout de créer une œuvre bouleversante toute en pudeur, en sensibilité et en justesse. Loin de ce que j’avais pu faire sur le forum jusque-là. Je me suis donc rangé derrière cette ligne de conduite, pour servir au mieux ce projet commun.

Citation:
La seule chose à y ajouter est qu’il est très appréciable que beaucoup d’éléments soient simplement suggérés sans que cela ne nuise à la lisibilité et compréhension générale. Mieux encore : ça renforce leur poids sur l’histoire et le lecteur.


Ravi que tu aies relevé cela. D’où la facilité encore du DC. Si nos plumes conjointes avaient été annoncés dès le prologue, il y a fort à parier que le lecteur se serait attendu à quelque chose de plus... démonstratif dans la manière d’aborder l’intrigue. Du trash, de l’explicite, des scènes chaotiques où Kadic aurait été ravagé de feu, de sang et de sperme. Bref, tout ce qu’on ne voulait pas faire cette fois-ci.

Citation:
J’ai vraiment apprécié le thème filé tout au cours de la fanfiction pour ce personnage : le secret. Yumi est un personnage qui garde les secrets, aussi bien les siens que ceux des autres. J’y vois là un total écho au fait que, dans le pilote, c’est elle qui prononce « Can you keep a secret ? ». Une vraie réussite selon moi, et c’est très agréable de voir ce personnage mis en avant (en valeur, ça se discute par contre).


Personnellement, je trouve que ça fait longtemps que Yumi n’a pas occupé le devant de la scène, c’est pour ça qu’elle est fort présente ici, au détriment du temps d’antenne de Stern par exemple mais on ne va pas trop le plaindre, lui qui squatte le forum plus souvent que la japonaise. Ta dernière phrase me fait personnellement très plaisir, Ishiyama est assez ambivalente et sans doute pas mal responsable de tout ce bordel finalement. N’était-ce pas la seule qui aurait pu stopper à temps la détermination dévastatrice de Belpois ?


Réponse Iko
Citation:
Autrement, pourquoi ce choix de se révéler à partir du chapitre 12 et ne pas avoir attendu le post-épilogue pour lever les masques ? Tant qu’à vouloir poster sans être jugé sur ses antécédents, autant jouer le jeu jusqu’au bout !

Le schéma de base, c’était Minho se dévoile à l’avant-dernier chapitre, moi au dernier, et passée la hype on clôt définitivement le truc avec l’épilogue. Tu me diras : le chapitre douze n’est pas l’avant-dernier…et de fait non, mais ça ne s’est décidé…qu’après. Tu vois, ce moment où on a posté et où Minho vient me voir et fait « Au fait euh, la fin j’pense qu’elle ferait un chapitre 13 trop long, faut encore couper » ? C’est une partie de l’explication XD

Citation:
Juste pour savoir si j’aurais eu la compétence de vous griller

Tu nous as bien assez fait peur le soir où tu as annoncé que tu avais checké l’IP de notre DC ! Heureusement que je t’avais vu venir et que j’étais armée de mon fidèle proxy…

Citation:
Par contre, pourquoi ce choix d’en faire l’aîné de la bande, excepté pour que Yumi et Jérémie aient le même âge ?

Eh bien, le pilote laissait au moins croire que Yumi et Jérémie étaient dans la même classe (« Allez dépêche-toi Jérémie, on va être en retard ! »). Après, pour la différence d’âge d’Ulrich, c’était juste pour étaler un peu plus les persos, histoire qu’ils soient pas tous collés dans la même classe.

Citation:
Je pense que cet aspect détestable de Jérémie contribue fortement au renforcement de l’empathie que l’on peut éprouver pour Odd, dans une grosse partie de l’histoire.

Je profite de ça pour réagir sur Jérémie et Odd plus largement. Franchement, moi je les aime beaucoup tous les deux, mais c’est mon ressenti d’auteur, forcément. Au départ, ils sont construits très en opposition et de fait, Odd est celui qui attire le plus la sympathie. Forcément, c’est celui qui se fait taper. Mais Jérémie a une histoire plus dramatique niveau familial, et de fait, son père l’a énormément influencé. Quelque part, on peut presque dire que c’est pas sa faute.
Par contre sur la fin, autant Jérémie reste très égal à lui-même, autant Odd se pourrit jusqu’à la moelle ! Les pires coups de pute à la fin (bah déjà la fin elle-même), ils sont pour lui ! Et l’épilogue optimiste, c’est le sien aussi, moyen de signifier que c’est celui qui a la conscience la plus tranquille, malgré ce qu’il a fait. Ironiquement d’ailleurs, toute la mise en scène dudit épilogue est faite pour relier Odd à Jérémie, hiver en tête. En tout cas, le Odd de la fin de la fiction est vraiment la pire crevure du tas, largement, de mon point de vue. Après, il n’est pas figé, et a toutes les possibilités d’évolutions ouvertes dans la suite de sa vie…

Citation:
je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’intérêt de lui consacrer un passage dans l’épilogue, ou plutôt à sa maman, là où Agnès Belpois n’a rien eu, alors qu’un peu plus directement impliquée dans le final (et que, à titre personnel, j’aurais trouvé un tel focus un peu plus intéressant au vu du contexte !). Remarque, je pense qu’il y aurait eu des chances que cela donne un rendu proche de celui de Loess.

C’est drôle que tu dises ça, parce que à la base…bon déjà à la base, l’épilogue c’était Yumi/Odd point barre. Ensuite Minho a suggéré de rajouter un peu de monde, et de fait, au casting, il y avait Agnès Belpois. Mais personnellement, Agnès Belpois ne m’inspire pas des masses (mon côté Ludwig j’imagine), et on trouvait que Clara apporterait une teinte cool dans l’épilogue, parce qu’on l’aime bien mine de rien. Donc bah j’ai écrit l’épilogue sur Clara et sa mère, Agnès était encore en ballotage mais on s’est dit que ça ferait redondant xD Comme quoi…
Insert Minho : Sur ce point, je voulais juste ajouter aussi que cela nous a semblé finalement plus judicieux de laisser Agnès justement dans ce fameux implicite que tu évoquais dans ton commentaire. On imagine assez bien à quel point cela doit être terrible de perdre le mari puis le fils, cela aurait été assez "attendu" de finir sur un focus de la mère Belpois en train de chialer devant un portrait de famille. Alors que s'attaquer aux parents Loess, c'était opter pour une alternative qui nous permettait d'aborder le même genre de souffrance, avec la particularité qu'eux ne savent absolument pas ce qu'il est advenu de leur fille (on reste néanmoins dans la thématique du deuil familial, avec la disparition de l'enfant prodige en plein centre de notre viseur).

Citation:
Et je pense que ce « plus loin » est symptomatique du fait que vous ayez rendu l’ensemble moins intimiste que ce que le pilote laissait dégager.

Bien vu. Je crois que tu as mis le doigt sur ce qui me dérangeait un tout petit peu dans l’ambiance de la fic, qui de fait, n’est pas tout à fait celle du pilote. Maintenant que tu le dis, oui, l’ouverture doit avoir joué. Mais, tu l’as dit aussi (tu fais chier hein ?), c’était compliqué d’écrire avec juste ce cercle restreint de personnages, donc on a un peu élargi. A titre personnel, je trouve que c’est beaucoup plus simple de développer des persos au travers de leurs interactions plutôt qu’en autarcie, donc forcément, l’utilisation des personnages secondaires s’imposait un peu.

Citation:
C’est également un choix intéressant de ne pas avoir fait lancer d’attaque terrestre à Xanadu trop souvent, ça aurait certainement été ennuyeux à gérer (et ça aurait encore rallongé le tout). D’autant plus que pour les attaques auxquelles ont a eu droit, bah on a eu pour notre argent, en particulier sur le final ! J’ai adoré le principe de brouillage de frontières entre monde réel et monde virtuel.

De fait, je pense que c’est assez établi, le virtuel me les brise Mr. Green
Ce constat étant fait, j’allais pas m’en imposer outre mesure, surtout que c’était effectivement pas le but. Pour le principe du brouillage, j’avoue que c’est un gros point que j’avais aimé dans le pilote, le moment où l’usine tremble et laisse nettement sous-entendre que Xanadu est beaucoup plus proche et plus menaçant que Lyoko.

Citation:
Je suis un peu déçu de ne pas avoir eu un clin d’œil ou représentation hommage à l’ombre sous l’usine dans le texte, dans sa forme (même si on peut considérer le final comme tel).

Mec, tu sais que j’étais totalement passée à côté de cette partie de l’illustration ? J’ai honte, vu le temps que j’ai passé à éplucher ce PDF XD !
Citation:
Une ultime question avant de conclure : est-ce que dans le IFU (Ikorih Fanfictional Universe), l’épilogue du point de vue d’Odd peut être considérée comme un prélude à Joyeux Noël Odd ? Ce serait foutrement ironique après tout ça.

On peut y voir un clin d’œil, et de fait, c’est rigolo de conclure Oblitération sur une allusion à mon premier OS, j’avoue que je l’avais un chouïa en tête. Dans les univers toutefois, cela créerait beaucoup trop d’incohérences, puisque Joyeux Noël est relié à la série et que ces deux Odd n’ont donc pas du tout vécu les mêmes choses…
Mais bien vu !

Citation:
Il y a eu un véritable final, sans queue de poisson.

J’en reviens pas moi-même !!!
  Sujet: [Fanfic] Oblitération [Terminée]  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Lun 03 Sep 2018 16:31   Sujet: [Fanfic] Oblitération [Terminée]
Spoiler

Chapitre 13
Le Pouvoir du Mal


Aviators - Let There Be Fire

— Odd, Yumi, Ulrich, interpela Jérémie depuis la Terre. Je viens de virtualiser Clara. Vu l’instabilité de Xanadu, difficile de dire où elle arrivera, mais elle vient vous prêter main-forte.
Odd était assez surpris que Clara se soit montrée en de pareilles circonstances. Il aurait cru qu’elle chercherait à enfoncer le groupe qui l’avait trahie, mais peut-être qu’elle valait mieux que ça, et qu’elle était prête à les aider à sauver le monde. De toute manière, ce n’était pas le moment de cracher sur l’aide qui pouvait leur être apportée.
— Odd, Yumi, corrigez votre trajectoire vers l’Est, prévint encore le petit génie. Vous vous en sortez bien, accrochez-vous.
— T’inquiète pas Jérémie, répondit la japonaise avec un air concentré. On a la situation en main.
Lorsqu’une créature tenta de l’atteindre en surgissant devant elle, la combattante virtuelle ne prit même pas la peine de lancer son arme, préférant l’utiliser pour l’éventrer. Odd termina le travail de quelques flèches laser, et ils reprirent leur progression entre les arbres. Le félin aurait bien voulu tenter la méthode Clara et grimper dans les branches pour y progresser, mais il n’était pas certain que le feuillage soit un environnement extrêmement accueillant en ce moment.
Malgré la situation catastrophique, Odd estimait qu’ils avaient leurs chances. Ulrich était toujours là, alors il devait avoir atteint la tour depuis le temps. Quant à lui-même, son duo avec Yumi montrait une efficacité rarement atteinte, certainement du fait de ses récents progrès. Ensemble, ils pouvaient réussir à surpasser la fin tragique qui les aurait attendus. N’est-ce pas ?
— Odd, derrière toi ! prévint son équipière.
— Ha, je l’avais vu venir à des kilomètres ! répliqua le blondinet avec suffisance en atomisant l’ombre.
— Pas mal ! reconnut-elle avec un sourire. Mais reste vigilant, on ne sait jamais.

Ils continuaient à progresser, triomphant des embûches de Xanadu les unes après les autres. Finalement, Yumi s’exclama :
— Je vois la tour, là-bas !
— Il fout quoi Ulrich, il aurait déjà dû l’atteindre non ? s’inquiéta Odd.
— Quelques difficultés, répondit simplement Jérémie. Mais il est toujours dans la course. Attention, vous avez un client plus sérieux qui vous suit…
Le sol commençait effectivement à trembler. Odd vit un arbre tomber au loin, puis un deuxième. Il aurait volontiers pâli si Xanadu l’avait permis.
— Merde, on se bouge !
Ils avaient beau courir, le grondement ne faisait que se rapprocher. Le spectre allait les rattraper, et ce ne serait sans doute pas une bonne nouvelle. Ce constat fait, Odd s’exclama :
— Yumi, tu pars devant, je m’occupe de le retenir !
— T’es malade ? Tu n’arriveras pas à le battre tout seul !
— Sans doute pas, mais c’est pas ça l’objectif. Il faut qu’au moins l’un d’entre nous arrive à rejoindre Ulrich. Si je te donne le temps de fuir, il perdra ta trace et tu l’auras semé. C’est moi le moins bon du groupe, je sers aussi à ça. Allez, dépêche-toi ! conclut-il en pilant pour faire face à la chose qui les poursuivait.
— Tâche de t’en sortir alors ! lui cria-t-elle en disparaissant entre les arbres.
Odd ferma les yeux et inspira un grand coup, s’efforçant de calmer sa peur et son orgueil qui se disputaient férocement le monopole de son état d’esprit. Il avait fait du chemin depuis le début de cette aventure. Il pouvait arriver à dompter les deux.
La créature qui arriva sur lui quelques minutes plus tard ressemblait à un gigantesque mastodonte quadrupède. Munie de sabots, le monstre était également plein de crocs et devait bien mesurer ses trois mètres de haut. Souplement, le félin esquiva un coup de pied qui lui était très nettement destiné, et escalada l’arbre le plus proche à l’aide de ses griffes. S’il parvenait à se laisser tomber sur son dos, alors peut-être…
Le spectre frappa dans le tronc. Des éclats de bois volèrent, et un craquement sinistre se fit entendre. Odd grimpa encore plus vite, mais le deuxième coup fit s’écrouler son perchoir. Il parvint à se rattraper au flanc de la créature, qui rugit et s’ébroua pour le faire valser. Il tint bon, mais la peau (fourrure ?) de la chose se métamorphosa, tentant de l’agripper avec des appendices peu ragoutants. Sa stratégie se retournait contre lui. Il mitrailla ses flèches laser pour se dégager, et y parvint. La conséquence logique fut son retour brutal à même le sol, et son squelette virtuel protesta. Ce fut juste avant de recevoir un coup de sabot dans la figure et de valser en une volée de pixels.


http://zupimages.net/up/17/45/jgll.png


Ulrich était véritablement paralysé sur place. Il n’avait jamais imaginé qu’on puisse ressentir une terreur pareille sans en mourir. Depuis qu’il avait eu connaissance de ce Supercalculateur de malheur, il avait souffert, c’était certain. Des créatures cauchemardesques peuplaient les lieux, des plaines sinistres, quand ce n’était pas des marais atrocement ravagés. Mais là, au détour d’une cavité, il s’était retrouvé face à une effroyable difformité. Il sprintait vers la tour et avait eu la très mauvaise idée de passer par les tranchées intérieures des montagnes pour aller plus vite. Malheureusement, à l’intérieur même de la roche, Jérémie ne pouvait le guider car les nombreux sentiers n’étaient point représentés sur son écran. Le chemin qu’il avait choisi d’emprunter était un aller simple pour l’Enfer. Il avait foncé droit vers le garde du corps personnel de Ludwig qui l’avait aussitôt attaqué… et il ne devait son salut qu’à une immense panthère qui avait surgi de nulle part pour vaincre la créature à coups de crocs et de griffes.

Le combat avait beau être terminé depuis quelques instants, Stern ne parvenait pas à reprendre le contrôle de ses émotions face à la vision effroyable de cet être dantesque. Le monstre qui gisait sur le flanc, plié en deux dans une mare d’un fluide jaune verdâtre d’une viscosité de goudron, mesurait près de neuf pieds, et la panthère avait arraché tous ses vêtements et une partie de la peau. Il n’était pas tout à fait mort, et se convulsait en silence, par à-coups tandis que sa poitrine se soulevait, étonnamment accordée aux cris déments des engoulevents d’ombres qui attendaient leurs proies en dehors des sentiers rocheux.
Il serait banal et inexact de dire qu’aucune plume humaine ne saurait le décrire, mais on peut avancer avec raison que pour se le représenter avec quelque vérité il ne faut pas associer trop étroitement les notions d’aspect et de contour avec les formes vivantes ordinaires de cette planète et avec les trois dimensions connues. Il était partiellement humain sans aucun doute, avec ses mains et sa tête d’homme, et sa face de bouc sans menton. Mais le torse et le bas du corps relevaient d’une tératologie fabuleuse au point que seuls d’amples vêtements avaient pu lui permettre de se déplacer sans être interpellé ou supprimé par les ombres. Au-dessus de la taille il était semi-anthropomorphe, bien que sa poitrine, que la panthère attentive tenait toujours sous ses griffes, fût recouverte d’un cuir réticulé comme celui d’un crocodile ou d’un alligator. Le dos bigarré de jaune et de noir évoquait vaguement la peau squameuse de certains serpents.

Au-dessous de la ceinture c’était bien pire ; car toute ressemblance humaine cessait, et commençait la totale fantasmagorie. Il était couvert d’une épaisse et rude fourrure noire, et de l’abdomen pendaient mollement vingt longs tentacules gris verdâtre munis de ventouses rouges. Ils étaient bizarrement disposés selon les symétries de quelque géométrie cosmique inconnue de la terre ou du système solaire. À chacune des extrémités, profondément enfoncé dans une sorte d’orbite rose munie de cils, s’ouvrait ce qui semblait un œil rudimentaire ; en guise de queue, une espèce de trompe ou d’antenne marquée d’anneaux violets et qui selon certains indices devait être l’ébauche d’une bouche ou une gorge. Les membres, à part leur fourrure noire, ressemblaient grossièrement aux pattes de derrière des sauriens géants de la terre préhistorique ; ils se terminaient en bourrelets nervurés d’arêtes qui n’étaient ni sabots ni pattes.
Quand la créature respirait, sa queue et ses tentacules changeaient de couleur au même rythme, comme par un phénomène circulatoire normal, dans la branche non humaine de son ascendance. Ceci s’observait dans les tentacules par un assombrissement de la teinte verdâtre, tandis que dans la queue un aspect jaunâtre alternait avec un blanc grisâtre malsain entre les anneaux violets. Il n’y avait pas de sang à proprement parler ; rien que la fétide humeur jaune verdâtre qui suintait et formait dès lors une flaque visqueuse, laissant derrière elle une étrange décoloration. Science sans conscience ne peut être que ruine de l’âme, et il aurait mieux valu pour tout le monde qu’une telle horreur n’existe jamais.

— Willow, murmura Jérémie à travers son micro. Il était donc toujours vivant… après toutes ces années.
— Tu peux m’expliquer c’est quoi cette abomination Jérémie ?
— La fierté de mon père… il était censé être le gardien de ce monde, un être magnifique.
— Mais putain soit ton père était bon à enfermer soit c’était l’Einstein de ce siècle ! Jusqu’à quel point pouvait-il représenter quelque chose qui n’existe pas dans notre réalité ?
— Malheureusement Ulrich, il n’y a pas que les paysages qui ont muté lors de la chute de Xanadu… Lui aussi, Willow, en a subi les frais. Il se cachait, malgré son apparence actuelle… ce n’est pas un monstre, il était de notre côté je pense. La preuve, il ne vous a jamais attaqués. Qu’est-ce que tu as fait Clara ?
Ulrich constata alors avec grande surprise que le félin qui était venu lui prêter main forte n’était autre que… son ex, qu’il avait pris pour une panthère de premier abord. Il faut dire que la jeune fille n’arborait pas grand-chose d’humain dans l’obscurité de la grotte.
— J’ai simplement défendu ton meilleur combattant, répliqua Loess. Enfin, après moi bien sûr !
— Mais comment as-tu pu arriver jusqu’ici aussi vite ? s’énerva Stern.
— Jérémie maîtrise de moins en moins le processus de virtualisation, le Supercalculateur déconne… faut croire qu’il voulait que je sois déposé près de toi ! L’occasion de se battre ensemble comme au bon vieux temps, ça ne te réjouit pas plus que ça ?
— J’ai pas besoin de ton aide, grogna le samouraï, tu peux retourner d’où tu viens Clara.
— Arrêtez de… attention, quelque chose se dirige vers vous ! hurla Jérémie. Ils sont plusieurs, sortez de là au plus vite !

Ulrich enclencha son supersprint et, après quelques détours, arriva à flanc de montagne plutôt rapidement. Clara le rejoignit assez vite et constata, comme lui, qu’ils venaient d’arriver à moins de vingt mètres de la tour. Mais Xanadu avait encore évolué. D’enfer naturel crasseux, c’était maintenant passé à une sorte de cour pavée à peine éclairée par de faibles lampadaires.
— Comment est-ce possible ? murmura Jérémie. Xanadu ne peut pas se transformer à ce point, c’est impossible… à moins que…
— C’est une zone que nous n’avons pas encore explorée, une partie cachée du monde virtuel, affirma Ulrich. Je crois qu’on ne pouvait y accéder qu’en traversant cette putain de montagne de l’intérieur.
— Objectivement, et vu la map qui vient de se débloquer, le territoire a l’air bien plus élaboré que tout ce que nous avons vu jusqu’à présent… c’est peut-être là que se trouve… Enfin ne nous emballons pas, la bonne nouvelle c’est que vous avez semé vos poursuivants.
Jérémie n’avait pas terminé sa phrase précédente. Il n’en avait pas besoin. Tout le monde avait compris.
— Jérémie… il y a un halo de couleur autour de cette tour.
— Quelle teinte ?
— Bleu marine. Tout est en train de se fissurer autour de nous.
Un silence de mort plana quelques instants. Et puis, la sentence tomba.
— Ce n’est pas celle qui était sur ma carte… On dirait bien qu’il y a deux tours instables. Urich, rentre dans la tour bleue et essaie de régler tout ce bordel. Clara, monte la garde à l’extérieur en attendant Yumi et quand tu la vois dis-lui de s’occuper de l’autre tour, ma communication avec elle a été rompue. Je vais laisser Odd aux commandes… il faut que je voie ce halo de mes propres yeux.


http://zupimages.net/up/17/45/jgll.png


Yuka Kitamura - Epilogue (Dark Souls III)

Odd se releva. La tête lui tournait un peu, comme si on venait de lui assener un violent coup. Ses doigts frêles passèrent sur son visage, l’explorant comme s’ils ne l’avaient jamais connu, craignant une mutilation immonde. Il avait beau savoir que les blessures de Xanadu ne subsistaient pas, il y avait toujours le précédent de Clara, et puis, le monde virtuel semblait si proche du leur désormais…
Là. Juste là, ça faisait mal. Sa pommette n’était pas mouillée de larmes, pour changer, mais de sang. Il se remémora les images qu’il avait volées à l’aide de son don, il se remémora Clara et sa balafre ensanglantée. Ainsi, il avait si bien pris sa place que cela ? Non, ce n’était qu’un énorme hématome violacé…

Subitement, la fine pellicule sanguinolente qui recouvrait ses doigts s’envola en une nuée de pixels rouges. Ils disparurent par une des fenêtres, là-haut, baignés dans la lumière d’un rayon de soleil. Le soleil, cette douce pluie qui dorait le métal du laboratoire. Il ne se serait pas attendu à voir ça, parce que c’était beau, et qu’il s’attendait à ne trouver que la désolation et la mort. L’usine était même…plutôt calme. Est-ce que même la fin du monde pouvait être belle ? Ou bien était-il déjà au paradis, libéré de tous ses tourments, et béatifié pour sa clairvoyance au sujet du Supercalculateur ?
Cette première impression lui fut ôtée par la vue d’ombres qui flottaient dans la salle. Elles étaient complètement léthargiques, errant avec la lenteur des âmes en peine. Comme si elles ne savaient plus où aller une fois sorties de Xanadu. Peut-être que d’habitude, seuls les spectres les plus agressifs sortaient, et que les autres n’avaient aucune idée de comment agir sur Terre ? A les observer, Odd ressentit subitement une profonde tristesse, une grande douleur, dont il ne comprenait plus l’origine. Qui étaient ces pauvres choses égarées ? Quels étaient ces êtres en détresse, abandonnés, embarqués dans une histoire qui ne les concernait pas ? Il contempla encore leur errance, pris de l’envie insensée de leur tendre la main, avant de se ressaisir. Il allait finir comme Jeanne s’il empruntait ce chemin. Une idiote prête à tendre la main à toutes les choses brisées qu’elle rencontrait, et qui…
Oh. Il eut l’intuition d’avoir compris.

Les mains dans les poches, il descendit lentement les escaliers, comme si ce n’était pas la fin du monde, comme si tout se passait bien, malgré la multitude de sentiments qui le traversaient à la vue de ce triste tableau. Il suivit du regard une des volutes sombres qui hantaient l’usine, aussi déboussolées que lui l’avait été la première fois, et ne prit pas la peine de s’en écarter, sachant qu’il n’avait rien à craindre d’elle.
Sans s’annoncer, Odd passa la tête dans l’antre de Jérémie, et le trouva appuyé sur sa console, les mains à plat, les lunettes basses sur le nez, sa raie effacée par ses propres cheveux. Il paraissait si vieux. Etait-ce à ça que Ludwig Belpois avait ressemblé en son temps ? Ce spectre pâle et diaphane, qui risquait de tomber en poussière si on l’effleurait ? Odd percevait tous les tourments d’adulte de Jérémie, peut-être pour la première fois. Jérémie avait cessé d’être un enfant. Être un adulte, c’était se tourner à la recherche d’une grande personne pour régler le problème, et découvrir avec effroi qu’il n’y en avait pas.
— Où est Jeanne ? fit Odd, surpris de ne pas la voir.
— Elle a réussi à raccompagner ma mère chez elle. J’imagine qu’elles sont hors de danger, lâcha Jérémie d’un ton morne.
Un silence.
— C’est la merde, n’est-ce pas ? s’enquit Odd, d’un ton qui ne charriait aucun reproche, aucune hostilité. Presque de la compassion, en fait.
C’eut été simple de se moquer de lui. De crier à quel point Odd avait eu raison de dire que Xanadu était dangereux et qu’il fallait s’en éloigner à tout prix. Mais est-ce que ça aurait vraiment changé quelque chose ? Est-ce que ça aurait sauvé le monde, de s’en prendre à leur chef en panique ? La gifle que Yumi lui avait administrée tout à l’heure avait peut-être fait plus de chemin que prévu dans son esprit.
— Oui.

Juste ce tout petit mot, à la mesure des espérances qui subsistaient. Jérémie n’était plus que lassitude et désespoir. Le génie ajouta, chaque mot semblant tomber de ses lèvres comme du plomb :
— Tu sais Odd, je ne me suis jamais senti aussi impuissant, sauf un jour, qui ressemblait beaucoup à celui-là. Un jour qui aurait dû être routinier. Je me souviens que le soleil brillait exactement comme aujourd’hui. Il était tellement beau, et moi j’étais tellement fier de rester enfermé sans aller le voir… J’assistais mon père lors de sa virtualisation, il est entré dans une tour pour vérifier je ne sais plus quoi, et puis…plus rien. Pas un adieu, aucun signe avant-coureur, il avait juste disparu. Et je ne pouvais rien faire pour le retrouver. C’était lui le génie, pas moi. Comment je pouvais espérer réussir là où il avait échoué ? Aujourd’hui encore, la situation échappe à mon contrôle, et les conséquences risquent d’être bien plus graves. Tu sais, quand j’étais gosse, je rêvais de rentrer dans l’histoire. Je me voyais avec mon Prix Nobel de physique, être le prochain Einstein. Newton, Schrödinger, Turing, Dirac, Belpois. Mais si le monde meurt maintenant, l’histoire ne sera pas écrite.
— Nous n’avons pas encore perdu, Jérémie. L’histoire ne s’arrête pas aujourd’hui, répondit tranquillement Odd.
Le blondinet était impressionné par la façon dont son homologue avait choisi de se confier à lui. Il ne s’y serait pas attendu, mais la situation n’avait rien d’habituel. Belpois, lui qui avait été le moteur acharné et plein d’espoir de la recherche de son père, était désormais brisé.
— C’est ce que Yumi croit aussi. Je ne lui ai pas dit que tu avais été dévirtualisé. Je ne lui ai pas dit qu’Ulrich n’arriverait sûrement pas à maintenir le lien avec la tour. Je ne veux pas qu’elle comprenne que je l’ai fait se battre pour rien.

Odd avait la sensation que Jérémie portait désormais tout le poids du monde sur ses épaules. Mais c’était faux : il en portait le double. Un rire sinistre échappa à Jérémie, qui paraissait conscient de cette réalité :
— Mon père doit tellement avoir honte de moi. Je n’ai rien su accomplir, et je ne l’ai même pas retrouvé. Sa création va ravager le monde, et je ne peux rien faire pour l’arrêter. Il a activé une tour bon sang ! Tu sais ce que ça signifie ? Il ne veut pas qu’on réussisse. Et contre ça, on ne peut rien y faire. Il est bien plus malin que nous. Et puis au fond, c’est ça Xanadu… un monde à l’image d’un esprit qui se dégrade et qui se situe dans la plus grande des confusions. Son œuvre est à la fois un ressassement artistique ainsi que le tombeau de ses illusions perdues. Je voulais à tout prix le retrouver… mais il n’a jamais voulu qu’on vienne à son secours, j’aurais dû le comprendre depuis longtemps. Par mon obstination, nous sommes tous condamnés.
L’espace d’un instant, Odd se figura la destruction du monde. L’Apocalypse, dont ils auraient été les quatre cavaliers. La fin de Kadic, des collégiens infâmes qui s’abreuvaient du désespoir des autres, la fin des guerres qui enflammaient le monde, la fin de la pourriture de l’âme humaine, la fin des souffrances pour tous, la flamme purificatrice qu’on laisserait brûler.
Et au-delà, il vit ses souvenirs heureux. Le jour où il avait réussi à faire approcher ce lapin sauvage de la carotte, le jour de Noël où il avait reçu Kiwi, le jour où il avait eu le droit de rester seul à la maison pour la première fois, le jour où il avait appris à faire du snowboard. Et alors qu’il énumérait, il vit la perspective jaillir face à lui.
— Tu sais quoi ? Il y a quelque chose que je rêvais de faire depuis longtemps.

Sans lui laisser le temps de mieux réfléchir, Odd attrapa Jérémie par l’épaule et lui mit une droite. Incrédule, Belpois passa une main sur sa lèvre éclatée, et fixa le visage du blondinet qui ne trahissait qu’un sourire qui tenait à la fois de la satisfaction et du profond désespoir. Un nouveau souvenir heureux dans cette Apocalypse naissante.
— Reprends-toi, ordonna Odd. Je ne t’ai pas mis cette baffe juste pour me venger de tout ce que tu m’as fait subir. Le monde est menacé de destruction, et tu es l’une des dernières personnes à pouvoir y faire quelque chose. Oui, ton père aurait honte de te voir abandonner. Oui, Yumi croit encore qu’on peut s’en sortir, elle compte sur toi. Et tu sais…ça me ferait bien chier d’avoir été ton souffre-douleur tout ça pour que tes efforts ne mènent nulle part. Prouve-moi que tu avais raison, Jérémie, dans tout le mal que tu as causé. Prouve-moi que tu peux vraiment sauver le monde et retrouver ton père, ou alors c’est moi qui aurait gagné. J’aurais prouvé que le Supercalculateur aurait dû rester éteint, parce qu’il met le monde en péril. Mais je n’ai plus envie d’avoir raison, pas sur un tas de ruines. C’est trop tard désormais pour que ça m’apporte la moindre satisfaction. Alors Jérémie ? Tu acceptes enfin de perdre contre l’être insignifiant que je suis, moi qui suis si bête et si impulsif ?
Odd marqua une pause, et se remémora ses deux dernières visions. D’une part, le Noyau si débordant de vie et de lumière, d’autre part, cette tour subitement submergée par les ombres. Le point commun avait été à chaque fois une silhouette blonde. Peut-être qu’au moins une de ces prémonitions représentait leur futur. Pour autant, il n’eut pas envie d’en parler à Jérémie. Il se souvenait parfaitement de l’acharnement qu’il avait eu à tenter de lui arracher ces visions, à vouloir les exploiter pour son compte. Odd ne les lui livrerait pas en pâture maintenant. Il en retirait une satisfaction mesquine.
— Odd…tu es une anomalie, annonça tranquillement Jérémie, qui paraissait avoir gommé son accès de découragement. Tu craques quand on ne s’y attend pas, et quand on s’attend à ce que tu craques, tu es parfaitement serein et tu donnes des leçons. Je t’ai mené la vie dure, et tu m’encourages à aller jusqu’au bout de mes objectifs. Un coup tu es un gamin pleurnichard, un coup un vantard prêt à humilier les autres pour te faire une place dans le groupe, et maintenant tu te poses tranquillement et tu trouves les bons mots pour continuer à me faire avancer, moi qui t’ai fait tant de tort. Tu me rappelle tout le mal que j’ai fait, et tu me demandes d’aller au bout ? Je ne te comprends pas. Comment peux-tu passer par autant d’états d’esprit ? Tu as un dédoublement de personnalité ? s’enquit très sérieusement le génie, déconcerté.

Son vis-à-vis rit franchement, surpris par l’idée. Son rire s’envola au milieu des spectres de Xanadu, parfaitement à sa place. Un fou rire d’enfant, dans un monde d’enfants. Car l’enfance recèle les pires cruautés au même titre que les meilleurs élans de bonté. Jérémie, lui, n’était capable ni de l’un ni de l’autre.
— Je ne suis pas une anomalie. Je ne suis pas schizophrène. Je suis un être humain. Tu ne comprendras peut-être jamais ce que ça signifie, et ce n’est pas le moment d’y réfléchir. Je crois que tu as quelque chose à accomplir, Jérémie, conclut Odd.
Jérémie poussa un soupir et s’avança vers la sortie de son terrier informatique. Il regarda les spectres perdus, conscient que le monde pouvait basculer dans peu de temps. Jérémie était un adulte. Il ne voyait que les problèmes et les complications, là où Odd s’était senti résonner en harmonie avec eux. Un lourd tremblement vint secouer l’usine, laissant entrevoir les paysages de Xanadu. Le fils de Ludwig faillit avoir les larmes aux yeux, de voir l’œuvre de son père si proche de lui. C’était la toute première fois qu’il la voyait ailleurs qu’à travers un écran…
Il tourna la tête vers Odd, et il lui sembla voir, de façon fantomatique, son accoutrement de chat. Il trouva cela ridicule.
— Tu comptes éteindre le Supercalculateur en mon absence, n’est-ce pas ? soupira Belpois, conscient que son adversaire aurait le champ libre.
— Je ne me permettrais pas. Je ne sais même pas comment on fait, fit Odd, sincère.
Sourire hautain de Jérémie. Heureusement, oui, qu’Odd ne savait pas comment on faisait. Davantage sûr de lui, le jeune génie gravit une à une les marches, montant vers les scanners. Il ne se retourna pas, oubliant déjà cet être si épineux, dont l’existence même l’avait si longtemps horripilé. Il avait, comme d’habitude, des choses plus importantes à faire, et désirait effacer cette main qu’Odd lui avait tendue.
La plateforme était baignée de cette lumière dorée qui chutait des fenêtres, leur donnant un aspect un peu magique. Il était temps qu’un adulte parte pour le Pays Imaginaire.


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Archive - Bullets

Ulrich cligna des yeux une fois, deux fois, rien n’y fit. Il ne voyait rien. La tour bleue s’était muée en terrible abysse de noirceur, un vide horrifique où il lui semblait que rien n’arrivait à survivre. Ou bien était-ce lui ? Xanadu l’avait-il rendu aveugle ? Pris de panique, il chercha à tâtons son sabre et le dégaina. La lueur bleue de la lame le rassura, jusqu’à ce qu’il voie au-delà. La tour n’était pas un abysse. Elle était vivante. Les parois, éteintes, ruisselaient de spectres qui ne paraissaient même pas l’avoir vu. Il resserra nerveusement les doigts sur le manche de son arme. Il regarda derrière lui, et s’écarta précipitamment de l’entrée. La même substance noire coulait droit vers les profondeurs de la tour. Une goutte chuta sur la lame pixellisée de son sabre, se désagrégeant en une volée d’étincelles à son contact.
Tout était silencieux. Il avança, n’entendit pas le bruit de ses pieds. Est-ce que la tour était morte ? Est-ce qu’elle allait refuser de le laisser se connecter ? Est-ce que leurs espoirs étaient déjà submergés dans cet océan de ténèbres ?
« Respire Ulrich, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas »
Il y avait des milliers de raisons pour que cela ne marche pas. Mais les autres comptaient sur lui. A l’aveuglette, il chercha l’interface. Elle devait bien être là, quelque part. Elle devait être éteinte, elle aussi. Foutu hologramme, comment était-il supposé le trouver maintenant ?!

Après ce qui lui sembla une éternité de recherches, une faible lueur bleue vint faire écho à celle de son arme. Soulagé, il s’empressa de plaquer sa main dessus, avant de sentir la brûlure des spectres. Il se recula, la main parcourue d’étincelles, et réalisa que la substance noire avait dégouliné jusque sur l’écran. Fébrile, il enleva ce qu’il put avec son sabre, et se dépêcha de recommencer l’opération avant que l’interface ne soit de nouveau engloutie.
« Connexion à la tour initialisée »

Ulrich ferma la porte de la salle de bain à clef. Sa chambre n’avait pas de verrou : son père s’y opposait. Or, ils avaient besoin de ne pas être dérangés.
D’une manière ou d’une autre, nous saurons.
Il traînait, encore et toujours, avec sa voisine du même âge, qui n’était autre que Elisabeth Delmas. La rentrée était encore assez lointaine pour sembler irréelle, et les journées leur appartenaient. Depuis le début de l’été, ils s’étaient amusés à jouer au célèbre « Cap ou pas cap ? » instauré par une génération de gamins il y a des lustres de cela.
Aujourd’hui, ils affrontaient une de leurs plus grandes frayeurs. Un mythe. Qui pouvait s’avérer dangereux selon eux. Guillaume Stern, le tonton d’Ulrich qui trempait dans un tas d’affaires louches, avait disparu du jour au lendemain. Fuite volontaire d’un quotidien à risques ? Enlèvement ? Meurtre ? Accident ? Suicide ? Personne ne le savait. Pour justifier cette soudain absence, le cousin d’Ulrich s’était mis à raconter tout un tas d’histoires, mais une, particulièrement récurrente, avait hanté Stern durant toute son enfance. La légende de Bloody Mary, vierge sanglante à l’âme tortueuse, est simple et complexe à la fois. Lorsqu'on est dans une pièce sombre en pleine nuit, devant un miroir après réalisation d’un court rituel et que l'on prononce "Bloody Mary" treize fois de suite, un visage de femme ensanglanté fait son apparition dans le miroir pour parfois s'attaquer à ceux qui l'ont appelé.
Il existerait néanmoins plusieurs façons d’invoquer l’entité pour différents résultats, plus on répète son nom et plus c’est dangereux évidemment. A ce que l'on dit, la créature est vraiment effrayante : son visage est recouvert de sang et ses mains cherchent à vous cogner, étrangler, déchiqueter. Pour quelques croyants, cette femme ne veut que vous effrayer en bondissant de l'avant, vers vous. D'autres affirment que la Vierge sanglante vous attaque littéralement, vous laissant vous aussi en sang si vous ne réussissez pas à vous enfuir.
Cette légende a tellement été prise au sérieux qu'en 1978, aux États-Unis, la folkloriste Janet Langlois décida d'écrire un essai sur cette histoire… qui donnera par la suite naissance au film d’horreur Candyman, que Sissi avait déjà regardé en cachette avec ses copines.

Beaucoup pensent que Bloody Mary est la Vierge Marie en personne venue vous avertir de ne pas jouer avec son nom, ni le nom de son Fils, Jésus. D'autres racontent qu'elle serait une sorcière jadis brûlée vive par les habitants de son village pour sorcellerie et que quiconque invoque son nom en vain sera frappé par la malédiction par laquelle elle menaça ceux qui l'ont brûlée. Une minorité disent que c'est l'esprit d'une femme décédée avec son fils dans un accident d'auto quand la voiture s'enflamma, laissant sans vie la mère et le petit.
La dame de l’ombre décida alors de vivre à jamais dans les miroirs, pour se venger de ceux qui ont tué son enfant. Tant d'histoires, laquelle croire ?
Ulrich sortit le saladier de pierre du placard à serviettes où il l’avait caché tandis que Sissi sortait de son cartable les ingrédients du rituel. Un par un, elle plaça les objets dans le bol. Ils connaissaient tous deux le rituel. Nombreux étaient ceux qui en avaient entendu parler, même s’ils étaient rares à oser l’accomplir. Tout devait bien évidemment être déposé dans un ordre particulier. Il avait été aisé de trouver une plume noire dans la forêt, vu que les corbeaux y pullulaient. Pour la perle, ça avait été encore plus facile, son père lui avait justement offert un magnifique collier récemment. La boule de poils, qui constituait le troisième élément essentiel au rituel, avait été plus compliquée à dénicher. En effet, ni Ulrich ni elle n’avait d’animaux de compagnie. Et la règle précisait bien qu’il ne fallait prendre que des poils tombés naturellement, pas d’arrachage volontaire ! Ils avaient songé au chat des grands-parents Stern mais le petit matou tigré était un félin à poils courts qui ne laissait aucune trace sur son passage.

Finalement, Sissi avait bravachement été frapper à la porte de la vieille ferme qui se situait à l’orée du village de sa tante, ils avaient en effet plusieurs molosses qui gardaient le domaine pour certains et aiguillaient le bétail pour d’autres. Sissi leur avait exposé sa demande en prétextant un exposé pour la rentrée. Ils avaient accepté bien volontiers – personne ne se méfie d’une jolie jeune fille et puis Delmas était assez douée pour obtenir tout ce qu’elle voulait –, ce qui lui avait valu de repartir avec une touffe multicolore de la taille d’une balle de golf. Elle s’était en effet hautement dépassée pour racler les divans avec ses ongles pour en récupérer le plus possible, tout en pestant intérieurement contre l’odeur de l’endroit ! Ulrich écoutait toutes les explications de la belle brune d’une oreille plus ou moins attentive, jusqu’au moment où il la vit ouvrir une vieille boîte de pellicule photo et qu’elle la renversa au-dessus du bol. Une goutte translucide en tomba. Il savait pertinemment ce que c’était. Une larme. L’avant-dernier ingrédient. Bizarrement, pour celui-ci et contrairement aux autres, elle ne précisa pas du tout la provenance de la larme. Ulrich se demanda alors si la goutte de souffrance condensée venait véritablement de celle qui semblait tant sourire à la vie, ou si elle avait usé d’un stratagème pour l’extirper à quelqu’un (il n’était en effet pas précisé que la larme devait appartenir à un des sacrifiés). Les deux solutions lui semblaient difficiles à envisager, lui qui n’avait jamais vu pleurer Sissi et en même temps il s’imaginait mal une boîte de pellicule photo collée sous la pupille d’une autre personne.

Finalement, pour l’ultime « objet », Elisabeth pencha la tête sur le côté et se coupa une petite mèche de cheveux avec ses ciseaux à ongles, puis invita Ulrich à faire de même, mêlant ainsi châtain et teinte plus foncée. Une fois cela fait, Sissi afficha une mine satisfaite en constatant qu’Ulrich n’avait pas tremblé durent l’opération, lui qui était mort de trouille intérieurement mais qui faisait un minimum d’efforts pour ne pas le montrer.

— Et le sixième ingrédient, annonça fièrement Sissi en brandissant un briquet qu’elle activa aussitôt. Le feu.
— Tu es certaine que c’est une bonne idée de faire un feu à l’intérieur ? objecta-t-il dans l’espoir vain de dissuader sa camarade. Mais il n’obtint comme seule réponse un puissant regard agacé qui voulait clairement signifier : « Arrête de jouer les poules mouillées ! »

Légèrement énervé par cette réprimande muette – il était le garçon et elle se trouvait chez lui après tout ! –, il lui arracha le briquet des mains et approcha la flamme du bol. Les poils de chien prirent feu aussitôt, suivis par la plume, les cheveux et la perle (qui commençait doucement à fondre tel le vulgaire plastique qu’elle était en réalité). Sissi se mit à tousser.

— Bloody Mary, viens me chercher ! déclama-t-il en souriant comme si c’était une bonne blague.
Sissi répéta la phrase huit fois... un poil trop fort au goût de son partenaire.
— Tais-toi, murmura-t-il, je te rappelle qu’il y a des gens qui dorment... et que tu n’es pas censée être ici en plus. Ton père me tuerait s’il savait que je t’ai invitée à minuit chez moi. Allez, c’est préférable que tu retournes dans ton lit de toute façon.
— On en a pas fini ! protesta Sissi en contemplant son reflet d’un œil attentif. Faut le dire treize fois face au miroir avant que les flammes ne s’éteignent. Bloody Mary, allez, sors de ta planque !
— Sissi, ça suffit !
— Bloody Mary, tu ne me fais pas peur ! Quoi ?! rétorqua-t-elle face au regard noir de Stern. Ulrich, je veux te prouver que ce sont juste des racontars. Le mystérieux n’est que de l’inexploré, il n’y a aucun stress à avoir. Bloody Mary, on t’attend !
— Ce n’est pas la peine, je ne veux plus jamais entendre parler de cette légende débile !
Elle le regarda droit dans les yeux, avec ce léger sourire provocateur au coin des lèvres, puis prononça avec une lenteur délibérée :
— Bloody Mary, je ne crois pas en toi !

Ulrich cessa aussitôt de respirer. Quelque chose de terrible allait se passer. Il le sentait. Pire... il le savait. Une rafale secoua la fenêtre et agita furieusement les branches à l’extérieur. Il bondit sur ses pieds et regarda au-dehors, comme si ça pouvait lui permettre de voir arriver la catastrophe. Le chat de paille, déco de sa grand-mère, avait disparu, il n’était plus derrière la vitre. Les secondes s’écoulèrent les unes après les autres. Ulrich resta tendu, il ne pouvait s’empêcher de penser à son tonton.
Rien ne se passa.

— Tu vois ! minauda Sissi en se levant. Dans le bol, la flamme s’est déjà éteinte... je voulais juste te montrer qu’il n’y avait rien à craindre.
Ulrich expira lentement. Il ne put retenir un rire nerveux. Elle l’imita, et Stern comprit alors qu’elle était soulagée elle aussi.
— Tu y croyais ! lui reprocha-t-il. Malgré tout ton baratin, tu y croyais !
Elle arqua le sourcil droit et arbora un air narquois au possible.
— Juste un tout petit peu, ricana-t-elle, sans qu’il ne sache déterminer si elle se moquait encore de lui ou pas. Mais c’était drôle, non ?
Elle lui donna un coup de poing en riant.
— Je faisais juste semblant d’avoir peur pour t’effrayer, tenta Ulrich.
— Mytho mytho myth...
On frappa à la porte. Les deux enfants sursautèrent au son de la voix qu’ils reconnurent pourtant bien vite.
— Ulrich ? demanda sa mère. Tout va bien ?
En un clin d’œil, les complices se comprirent et Sissi se planqua dans le petit interstice qui séparait la commode et la cabine de douche, Ulrich eut juste le temps de placer l’imposante manne de linge devant sa compère avant d’aller ouvrir la porte d’un air faussement naturel.
Sa mère se tenait là, décoiffée, en robe de chambre. Ordinaire, ennuyeuse comme toujours, mais néanmoins rassurante. Sa présence avait brisé le charme. La sensation de terreur s’évanouissait lentement, comme à la fin d’un cauchemar.
— Avec qui parlais-tu ? demanda-t-elle d’un air soupçonneux.
— J’étais au téléphone en mode haut-parleur, mentit-il avec un faible sourire. Quelqu’un m’a appelé pendant que j’étais dans la salle de bain.
— A cette heure-ci ?
Il haussa les épaules d’un air innocent.
— Oui.
— T’as bien de la chance que ton père t’ait acheté ce portable pour te réprimander même à distance. Si ça n’avait tenu qu’à moi...
— Maman, on a déjà eu cette discussion cent fois. Est-ce qu’on peut passer à autre chose ?
Comme d’habitude, c’était un dialogue de sourds. Elle ne semblait même pas porter attention à ses réponses.
— Ça sent le brûlé, remarqua-t-elle en reniflant.
Il prit un air étonné, décidément tous ses talents d’improvisateur étaient mobilisés ce soir !
— Peut-être que quelqu’un a brûlé des feuilles dans le champ. La fenêtre est ouverte.
Elle était trop fatiguée pour insister. Ulrich lorgna sur le ventre arrondi de sa maman. Le petit être qui était là-dedans lui puisait toute son énergie… mais bon, il avait fait de même avant lui. Ou elle, puisque ses parents avaient décidé de conserver la surprise jusqu’à l’accouchement. De quoi mettre un peu d’imprévu dans leurs vies si rodées.
La matriarche bâilla. Ulrich remarqua alors à quel point elle avait l’air vieille, il ne s’en était jamais aperçu jusque-là.

— Excuse-moi de t’avoir réveillée.
— Ce n’est pas grave, assura-t-elle d’une voix douce. Pourquoi es-tu encore debout à cette heure-ci ?
— Je n’arrive pas à dormir.
— Tu veux que je te prépare quelque chose ? Une tasse de lait chaud pour t’aider à te détendre ?
Sa gentillesse lui brisa le cœur. Il se prit à souhaiter pouvoir tout lui raconter. Il aurait voulu lui parler du rituel, de la fille dans la salle de bains, lui dire qu’il n’allait pas faire une fugue comme elle le craignait quand le père plongeait dans ses colères terribles, l’assurer que rien qui n’arriverait n’était de sa faute, qu’elle avait fait de son mieux.
Mais elle n’aurait pas compris. Impulsivement, il la prit dans ses bras. Il ne la touchait plus depuis longtemps mais elle lui rendit son embrassade comme si c’était la chose la plus naturelle au monde.

— Je suis désolé maman, avoua-t-il, oubliant presque la présence de Sissi à quelques mètres de là. Je suis désolé de te causer autant de soucis. Tu aurais mérité mieux.
— Ulrich ! Ne dis pas des choses pareilles, je te l’interdis. Je suis très fière de toi. Et ton père aussi, même s’il ne le dit jamais… je sais qu’au fond de lui, il le pense. Qu’est-ce qui te prend ?
— Je ne sais pas…
— Tu sais, tu ne seras plus le seul enfant à la maison, c’est vrai. Mais cela ne veut pas dire qu’on t’aimera moins, bien au contraire.
— Je ne me sens pas très bien à vrai dire… c’est peut-être la fatigue, rien à voir avec Léo maman, c’est promis.
Elle écarta sa frange et toucha son front pour voir s’il était malade. Typique. Elle était pleine de bonnes intentions mais qui tombaient toujours à côté.
— Arrête de l’appeler Léo. Tu sais très bien qu’il y a une chance sur deux pour que ce soit une fille.
— Ce sera un garçon ou rien.
— Bon Ulrich, soupira-t-elle, autant par lassitude que par épuisement. Tu devrais essayer de dormir. Tu es certain de ne pas vouloir de lait chaud ?
— Non, c’est bon. Je vais aller me coucher.
— D’accord. Alors bonne nuit mon fils, fais de beaux rêves.
— Bonne nuit.
Il la suivit du regard tandis qu’elle rejoignait sa chambre qui se trouvait heureusement à l’étage supérieur, puis il retourna dans la salle de bains et ferma lentement la porte derrière lui.
— Au revoir maman, chuchota-t-il.

Il savait que sa vie serait prise ce soir, qu’il ne verrait pas le soleil se lever. Il avait compris. La même situation s’était produite chez son tonton. Là, c’était son fils qui avait débarqué à la fin du processus, qui l’avait surpris comme sa mère venait de le faire, et il avait tout raconté à Ulrich. Le miroir, le bol, l’odeur de fumée. Aucun doute à avoir, son tonton avait lui aussi accompli le rituel. Il fut surpris. Et Bloody Mary était arrivée plus tard. Dans le cas de Guillaume Stern, au cours de la nuit suivante. Et pour lui ? Quand viendrait-elle ?
Le rituel n’était qu’une requête. Une invitation. Bloody Mary viendrait quand elle en aurait envie. Cette nuit, ou demain. Peut-être même dans une semaine, ou jamais. Et si elle acceptait, si elle choisissait quelqu’un pour jouer à son horrible jeu, elle venait terroriser le pauvre bougre sans retenir son plaisir. La menace immédiate semblait s’être dissipée mais Stern ne s’y trompait pas. Il avait invité l’obscurité à venir s’emparer de lui. Ce n’était plus qu’une question de temps.
— Sissi ? demanda le petit garçon. Tu es encore là ?
— Où veux-tu que je sois d’autre ? s’agaça la brune.
Toutes les lumières s’éteignirent.

Chuchotements. Sueurs froides. Presque le noir complet. Heureusement, quoique, un rayon de lune pénétrait par la fenêtre, et murs et objets avaient pris une teinte fantomatique, blanc et bleu. Toute chaleur avait quitté la pièce. L’évier, la cabine de douche, les vêtements froissés baignaient dans la pénombre. Ulrich fourra les mains dans ses poches d’un air tout à coup crâneur, d’apparence bien moins impressionné que pendant le rituel.
— Alors là... le moment est bien choisi !
Mais son ton de plaisanterie n’était pas entièrement convaincant. S’il s’agissait d’une coïncidence, elle était un peu forte.
— On n’aurait peut-être pas dû faire ça en fin de compte, glapit Sissi.
— Du calme, murmura Ulrich d’une voix qui se voulait aussi rassurante que possible malgré le nœud qui se formait à l’estomac, ce sont juste les plombs qui ont sauté. Ce n’est pas la première fois !
Il demeura un instant indécis, puis comprit ce que le propriétaire des lieux était censé faire dans une situation de ce genre :
— Je vais descendre à la cave et rallumer.
Sissi secoua frénétiquement la tête.
— Très mauvaise idée. Elle vient quand on est seul.
— Qui ?
— Bloody Mary. Elle vient quand on est seul. C’est ce que tout le monde dit.
Il la regarda fixement. De façon assez (peu) prévisible, les rôles s’étaient inversés. Ce n’était pourtant pas le moment de flancher.
— Ce sont juste les plombs, répéta-t-il, refusant au mieux d’envisager une autre explication.
Elle se tut, chose rare mais faut croire que tout arrive en situation de crise, remarqua mentalement Stern.
Le petit garçon se dirigea vers la porte, saisit la poignée, hésita.

Ne sors pas. Reste là où tu es. En sécurité.

Non. Il ne pouvait décemment pas faire figure d’éternel poltron face à Elisabeth Delmas, il en avait déjà trop montré. En plus, ça faisait très longtemps qu’il n’avait plus peur du noir. En grandissant, il y a des hontes que l’on tapit à double tour au fond de soi. C’était clairement le moment de prouver qu’il n’était pas une « couille molle qui fait pipi au lit », contrairement à ce que son père lui répétait à longueur du temps. Il n’avait pourtant pas besoin de lumière quand il s’évadait dans les champs les nuits d’été pour contempler les étoiles, les lampes de poche très peu pour lui ! Malgré tout, ce n’était pas l’obscurité qui l’effrayait. Il avait plutôt l’impression d’avoir fait quelque chose de terrible... d’irréparable.
— J’en ai pour une minute.
Les phalanges des doigts de Sissi se contractèrent à un point encore jamais atteint jusque-là et la gamine ne put que retenir de toutes ses forces un sanglot d’angoisse. Néanmoins, elle savait qu’il fallait le laisser partir, il se débrouillerait mieux dans le noir lui qui connaît la maison, c’est lui l’homme merde et.... et puis surtout, elle ne voulait absolument pas mettre le moindre doigt de pied dans la cave. Ses pensées étaient aussi désordonnées que des oiseaux affolés, elle avait bien du mal à rassembler ses esprits. Il fallait qu’elle fixe un point dans l’espace, se concentrer sur un détail. La seule chose qu’elle réussissait plus ou moins à bien voir était son propre reflet. En effet, le rayon de lune éclairait le miroir selon un angle presque trop parfait, de manière à faire ressortir le pâle reflet de l’obscurité. Sissi avait néanmoins du mal à se reconnaître. Certes, son visage était toujours le même : un teint de poupée de porcelaine, une bouche parfaite, des traits fins et assurés, de lourds cheveux foncés légèrement ondulés rassemblés en deux couettes sous sa casquette rose. Mais c’était comme si ce visage ne lui appartenait pas. Comme s’il s’agissait d’un sosie imitant tous ses gestes de l’autre côté du miroir... Et le revoilà, le rictus digne d’un automate démoniaque, souriait-elle inconsciemment à son reflet ou... ? Cette pensée lui déplut. Elle tourna la tête.

Il y a des gens qu’il ne faudrait jamais voir, il faut les fuir, ils sont nocifs. Ils laissent comme un arrière-goût... encore le lendemain, on ne se sent pas bien. Comme après avoir vu un mauvais film ou entraperçu les pages d’un horrible bouquin. Une sensation comme celle de la langue pâteuse que laisse un mauvais repas... Leur contact est salissant, ces parasites ont tous quelque chose d’atrocement avilissant en commun. Son reflet était de ceux-là. Il lui rappelait qu’elle était cette petite princesse brune au ton naturellement hautain. Elle se détestait. Si ça ne tenait qu’à elle, si elle avait été seule dans cette maudite baraque, si seulement elle en avait un jour le courage... elle mettrait fin à la vie de son double maléfique. Égratigner ce monstre face au miroir jusqu’à ce que son visage ne soit plus qu’une bouillie de chair et de sang.

Sissi était à deux doigts de perdre sa maîtrise, de s’effondrer en larmes, d’avoir la pire crise de nerfs de sa courte vie. Mais elle ne pouvait pas se laisser aller. Pas elle, pas maintenant. C’est pas un spectre tout moisi qui allait réussir à faire peur à Elisabeth Delmas quand même ! Elle ferma les yeux et éloigna peu à peu cette image mentale terrifiante qu’elle se faisait de Bloody Mary. Elle essaya de la tourner en ridicule, l’imaginant dans des situations plus cocasses les unes que les autres... jusqu’au moment où elle entendit ce ploc ploc, comme des gouttes de sang qui s’échappent peu à peu d’un corps fraîchement assassiné.

La salle de bains donnait sur un palier qui dominait le salon. Ulrich avait refermé la porte derrière lui mais n’avait pas encore bougé d’un poil. Le silence l’enveloppait de son étreinte glaciale. Une petite lucarne dans le plafond lui montrait la lune, ponctuellement recouverte de nuages.
C’est juste un problème de fusibles. Il suffit d’aller rallumer le disjoncteur et tout ira bien.
Lentement, précautionneusement, il avança vers les escaliers en s’agrippant à la rampe. Une odeur étrange flottait dans l’air : aigre, métallique. Le ciel semblait gronder, peut-être un orage se préparait-il.
Dans le salon, quelque chose bougea. Il s’immobilisa. Tendit l’oreille. Une rafale siffla au-dessus du toit et secoua la lucarne. Puis, silence à nouveau dans le salon. Ça devait être son imagination. Il descendit les marches une par une, les yeux fixés sur la pièce du bas. Les meubles luisaient sous la lumière de la lune. Au-delà, il n’y avait que le noir, le vide. Il allait devoir traverser la pièce pour atteindre la cuisine et la porte de la cave. Le chemin lui parut soudain très long.
Allez, dépêche-toi, qu’on en finisse, s’incita-t-il. Il s’arma de courage et se précipita vers le bas des escaliers avant de pouvoir changer d’avis. Il entendit alors un léger cliquetis provenant du palier, le bruit de petites pattes griffues, comme celles d’un rat. Il leva les yeux juste à temps pour voir une silhouette de taille réduite passer en flèche en haut des escaliers. Son cœur bondit dans sa poitrine.
Qu’est-ce que c’est que ça ?!

Tout s’était passé trop vite pour qu’il ait la certitude d’avoir vu quelque chose. Ça aurait pu être un reflet, une ombre. Mais le bruit... Il était certain d’avoir entendu du bruit. Il songea à Sissi, toujours là-haut, dans la salle de bains. Que penserait-t-elle de lui s’il faisait demi-tour maintenant ?
Non. Il ne pouvait pas faire ça. Il avait beau avoir peur, il ne reviendrait pas en arrière. Il mit le pied sur la moquette étrangement humide du salon et traversa la pièce d’un pas aussi ferme que possible. Il savait que quelque chose allait lui sauter dessus d’un moment à l’autre. Il passa devant la télévision, devant le canapé, en direction de la cuisine. L’attaque pouvait venir de n’importe où...
Mais elle ne vint pas. Il atteignit la cuisine sain et sauf.
Cette pièce était longue et étroite, bordée d’un large plan de travail sur la droite. Tout au bout, une porte entrouverte conduisait à la buanderie. Après avoir vérifié que rien ne se trouvait en dessous du plan de travail, Ulrich se sentit un peu plus rassuré. Il n’y avait aucune cachette ici, aucun recoin obscur susceptible de dissimuler quelque chose.
C’est alors qu’il entendit le lent grincement d’une porte qui s’ouvrait, quelque part dans la maison. Cette fois-ci, il n’y avait pas de doute possible. Il était certain d’avoir bien entendu. Il s’aperçut que sa respiration était entrecoupée et qu’il tremblait. Le goût métallique dans sa bouche s’était accentué. Il avait l’impression que l’air était chargé d’électricité et que tout allait exploser d’ici peu.
Sissi ! Ce ne pouvait être qu’elle ? Elle avait dû s’ennuyer, ou prendre peur, et sortir de la salle de bains. Pourtant, le bruit venait d’en bas...
La lumière. Il fallait absolument qu’il rallume la lumière. Il ne pouvait plus supporter cette pénombre. Il traversa rapidement la cuisine et pénétra dans la buanderie. Celle-ci contenait toutes sortes de choses : des boîtes de clous, des tubes, de vieux outils appartenant à son père. La machine à laver, à demi pleine, jouxtait la porte donnant sur la cave. La clef était sur la serrure. Le disjoncteur se trouvait tout de suite à l’intérieur. Il n’aurait qu’à tendre le bras, sans avoir à descendre l’escalier dans le noir complet.
Ses yeux se posèrent sur une lampe de poche. La lampe de son père, égarée parmi ses outils sur une étagère. Toujours dans la buanderie, il s’empara vivement de l’objet qui allait pouvoir le sauver, cette lampe de poche si peu utilisée en temps normal. Il appuya avec une certaine anxiété sur le bouton d’activation. De la lumière, enfin ! Une lumière électrique, froide, qui faisait finalement barrage à cette obscurité dévorante. Stern promena le faisceau tout autour de lui pour s’assurer qu’il était bien seul, puis tendit la main vers la clef de la porte. Un long vagissement s’éleva de l’autre côté.
Le sang d’Ulrich se figea dans ses veines. Il demeura paralysé, la main sur la clef. Il y avait quelque chose dans la cave. Quelque chose qui se mit à gratter la porte.
Crr, crr.
Ulrich fit un pas en arrière, horrifié.
— C’était une blague, murmura-t-il. Je ne veux pas que tu m’emmènes. C’était juste pour rire.
Un coup sur le palier à l’étage. Le raclement cessa, et de l’autre côté de la porte s’éleva un cri à faire pitié. Soudain, Stern comprit ce qu’était ce bruit et fut saisi d’un rire nerveux. S’il n’avait pas été aussi effrayé, il aurait deviné tout de suite.
Un chat ! Il y avait un putain de chat prisonnier dans la cave. Ulrich tendit la main et tourna la clef. Le long miaulement se prolongea, s’intensifia et se transforma en un atroce rire rauque. L’enfant poussa un cri et bondit en arrière tandis que la porte s’ouvrait lentement. Sa lampe illumina l’entrebâillement et, pendant une fraction de seconde, il distingua une créature pleine de cornes, d’os, de crocs.
Une lueur vive l’éblouit, et il se mit à hurler. La porte s’ouvrit en grand... mais il n’y avait rien derrière. Il resta immobile, les yeux fixés sur la cave. Aucun monstre ne l’y attendait. Juste des marches, des ténèbres, une odeur de renfermé.
— Ulrich, c’est toi ? On a une panne de cour...
Madame Stern n’acheva pas sa phrase. Elle venait de dégringoler dans les escaliers en colimaçon. En un instant, Ulrich venait de rater à tout jamais la possibilité d’être grand frère.
  Sujet: [Fanfic] Oblitération [Terminée]  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Jeu 19 Juil 2018 10:39   Sujet: [Fanfic] Oblitération [Terminée]
Spoiler


Chapitre 12
Naufrage d’un monde


Ce fut avec un cri d’effort qu’Odd et Yumi parvinrent à ouvrir les portes du laboratoire. Quelque chose devait les avoir grippées. Un choc, un tremblement, ou un sabotage intentionnel ? Jérémie espérait que Xanadu n’avait pas les capacités d’aller jusque-là. Cela ne se voyait pas, mais il était anxieux. Il savait que le monde virtuel était de plus en plus instable, et cette attaque-ci lui paraissait particulièrement violente. Les risques étaient tout ce qu’il y a de plus tangible.
— Odd, Yumi, il va falloir plonger tout de suite. On n’a pas le temps d’attendre Ulrich, il ne devrait pas avoir trop de problèmes pour vous rejoindre de toute façon…
Les deux enfants du garage approuvèrent d’un bref hochement de tête. Les dissensions de l’équipe n’avaient plus lieu d’être en cet instant. Même Odd, qui aurait dû freiner des quatre fers et paniquer à l’idée de retourner sur Xanadu après ce qu’il avait enduré, se sentait déterminé à arrêter cette attaque. Il fallait stabiliser Xanadu, la survie de l’humanité en dépendait, et il n’y avait pas de place pour ses considérations personnelles. Il se sentait prêt à faire abstraction de l’enfer qu’il avait connu dans les entrailles de cuivre du Supercalculateur.
— Attendez, je suis là ! s’écria Ulrich alors que ses camarades commençaient à monter les escaliers.
Odd et Yumi ne purent s’empêcher de s’arrêter pour se retourner vers lui. Ils furent en cela plus rapide que Jérémie, qui terminait de planifier les paramètres de la virtualisation, et furent donc également plus rapide que lui pour s’exclamer :
— Qu’est-ce qu’elle fiche là, elle ?!

La synchronisation avait été remarquable, le ton parfaitement identique. Accusateur, scandalisé, et nettement hostile. Jeanne se tassa derrière son copain, mal à l’aise malgré sa niaque habituelle. En temps normal, elle se serait défendue, mais l’environnement ne lui était pas familier, et les circonstances encore moins. Difficile de faire preuve d’aplomb dans une situation que l’on était la seule à ne pas maîtriser. Heureusement pour elle, son chevalier servant avait prévu le coup.
— Vous vouliez que je fasse quoi, que je la laisse crever au milieu des spectres ? Ils sont en train de submerger l'école ! Elle nous balancera pas hein !
— Cela vaudrait mieux pour vous, en effet, répondit froidement Jérémie. Tu aurais pu nous consulter avant de prendre cette initiative, Ulrich.
Les nerfs à vif, Ulrich fonça jusqu’à Jérémie avec sa vitesse surhumaine, et le saisit par le col, les yeux dans les yeux.
— J’allais pas te passer un coup de fil en pleine attaque et livrer la vie de ma copine à ton bon vouloir, parce que t’aurais jamais accepté qu’elle vienne. Maintenant au moins, c’est fait.

Jeanne cligna des yeux, ébahie par la démonstration qu’Ulrich venait involontairement de faire de ses pouvoirs. Jérémie saisit son expression du coin de l’œil, échangea un regard avec Yumi, qui était prête à intervenir. Un signe de tête imperceptible plus tard, Ulrich fut projeté à plusieurs mètres du blondinet. L’atterrissage fut rude, et bien que Jeanne ne comprenne plus rien à cette histoire de fou, elle s’empressa de s’agenouiller à ses côtés pour voir comment il allait.
— Ulrich. Tu agis n’importe comment. Tu es en train de te laisser déborder par tes émotions, fit froidement Jérémie. Il te suffisait d’éloigner Jeanne de la zone du Supercalculateur, elle aurait été tout autant en sécurité, voire plus. Maintenant tu es en train de lui balancer un à un tous nos secrets, alors que ça fait des semaines qu’on s’efforce de l’en tenir éloignée. Alors que même Odd a fait des efforts incroyables pour ne rien lui révéler. Je pensais que tu avais un peu plus de discernement que ça.
— Ce n’est pas entièrement de sa faute, Jérémie. Après tout, Ulrich a-t-il été vraiment capable d’utiliser sa tête une seule fois ?

Quand Jeanne vit ce petit sourire mesquin sur les lèvres d’Odd, cette jubilation au fond de son regard, elle fut horrifiée. La victime d’hier, celui qui avait été mis à bout par tous les mauvais traitements de Jérémie, venait de se ranger avec une aisance déconcertante dans le camp des tortionnaires maintenant qu’il y avait quelqu’un d’autre à humilier. Debout dans l’escalier, au-dessus même de Yumi qui avait esquissé un mouvement vers Jérémie, il était à des années-lumière de la petite chose frêle qui avait failli perdre la boule. Il paraissait subitement plus large d’épaules, plus intimidant, et cette expression de mépris sur son visage trahissait une malveillance que Jeanne n’avait absolument pas vue venir. Odd avait été possessif, perdu, timide, à bout de nerfs, jaloux, mais ce qu’elle voyait là était le symptôme d’un mal bien plus grave : la nature humaine.

Elle était ici dans son incarnation la plus sordide : l’enfance. Loin des fers de la société, dans ses jeux, l’enfant peut être très imaginatif, mais aussi très cruel. Et qu’étaient-ils, sinon des enfants dans leur monde imaginaire ?
— Toi, siffla-t-elle d’une voix débordante de rage. Toi, espèce de misérable petit…
Son regard sauta de Odd à Jérémie, ne sachant lequel elle avait le plus envie de frapper à cet instant.
— Jérémie, on n’a pas de temps à perdre avec cette pauvre fille. Il faut qu’on plonge, lança Odd, avec un coup d’œil inquiet vers le plafond de l’usine.
— J’entends. Ulrich, debout. Avant de faire davantage de dégâts, va donc te rendre utile. Quand cette attaque sera finie… tu pourras retourner à une vie normale.
Ulrich, qui se remettait lourdement debout, se figea en plein geste, la gorge subitement nouée.
— Attends… quoi ?!
— Tu as bien entendu. Je n’aurai plus besoin de tes services, et tu seras donc exclu de nos activités. Odd a largement le potentiel pour te remplacer, de toute façon, répondit Jérémie en se dirigeant calmement vers son pupitre.

Quelque chose en Ulrich se brisa. « Une vie normale » n’était pas synonyme de quelque chose d’heureux. Il allait de nouveau prendre le système scolaire dans la figure, sans la moindre échappatoire. Il n’aurait plus l’orgueil de ses capacités surnaturelles pour se protéger des regards méprisants de ses parents. Il redeviendrait un cancre ordinaire, trop bête pour briller autrement qu’un ballon de foot au pied.
— Non Jérémie, attends ! Ne me fais pas ça ! s’étrangla l’adolescent. S’il te plaît ! Je ferai tout ce que tu voudras, je peux même arrêter de voir Jeanne, mais…
Choc. Jeanne sentit sa respiration se bloquer, incapable de croire ce qui venait d’être dit. Ulrich sembla réaliser son lapsus, et s’interrompit également.
— Eh Jeanne, t’as entendu ça ? Alors, c’était la peine de balancer notre amitié aux orties pour ce mec ? rit Odd du haut des escaliers qu’il avait finalement atteint.
La gifle qu’il reçut ne vint pas de Jeanne. Yumi le considérait d’un regard brûlant de fureur.
— Arrête de te donner en spectacle et rentre dans ce scanner. Tu ne fais qu’empirer les choses.
Elle crut voir un liquide noir suinter entre deux plaques du sol. Prise de panique, elle poussa Odd dans le scanner, mais n’entra pas encore dans le sien.

— Ulrich, dépêche-toi de venir, on a plus le temps ! On verra ça plus tard, on a le monde à sauver bordel ! explosa la japonaise, désespérée de voir ses camarades se déchirer en de telles circonstances.
Evitant le regard de sa petite amie, Ulrich Stern rejoignit le sommet des marches en un clin d’œil, et entra dans le scanner sans se retourner, honteux. Yumi croisa le regard de Jérémie, qui hocha simplement la tête. Elle rejoignit elle aussi l’embarcadère pour Xanadu. L’intellectuel termina le chemin vers son pupitre, perdant ainsi de vue les scanners, et entra la procédure de virtualisation.
Quand il termina, l’image de la caméra de surveillance du pont lui glaça le sang.
Une inspiration, une expiration. Il devait gérer ceci au plus vite. Il rajusta ses lunettes, et fit volte-face vers Jeanne.
— Ecoute. Je sais qu’on est pas en bons termes, mais je dois te demander quelque chose.
— Tu peux toujours crever, hoqueta Jeanne, en larmes. Tout est de ta faute. Tu pourris tout ce que tu touches. Odd, Ulrich, sûrement Yumi aussi… Je ne sais pas ce que tu fais de si important dans cet endroit, je ne sais pas ce que sont ces ombres noires, mais je refuse de t’aider. C’est sûrement de ta faute aussi, de toute façon.
— Le monde en dépend, Jeanne, insista Jérémie. Ces ombres noires peuvent tuer des gens. Il n’y a que nous à pouvoir les arrêter, mais pour cela, il faut que personne ne nous dérange. Et donc, j’ai besoin de ton aide.
Elle se mordit la lèvre. Ça avait l’air vraiment sérieux. Les autres avaient mis leurs différends de côté pour affronter cette menace surnaturelle, alors ne pouvait-elle pas faire de même, elle qui se prétendait meilleure qu’eux ?
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?


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Two Steps From Hell - Unforgiven

Xanadu était capable de changement. Ses explorateurs quotidiens l’ignoraient : ils n’avaient jamais connu que cette terre morne et triste. Seuls les Belpois avaient entraperçu sa gloire passée, et ils auraient été les seuls à ne pas être surpris du terrible vent de destruction qui soufflait sur ces paysages ardents aujourd’hui.
Au loin, le volcan s’était mis à cracher des cendres et des braises en souffrance partout dans le ciel. L’éclairage se faisait tout en noir et sang, des bourrasques apocalyptiques secouaient les feuilles des arbres. Les plus folles d’entre elles avaient attrapé une étincelle au vol, et s’étaient amusées à la partager et à la répandre, mais la flamme avait échappé à leur futile jeu pour venir dévorer la forêt. L’eau si claire du ruisseau était devenue noire, comme si elle n’était plus faite que de ces ombres hostiles qui peuplaient Xanadu.
— Mon Dieu, murmura Yumi. C’est…
— Pas le temps pour ça ! Il faut qu’on atteigne une tour pour endiguer le flot de spectres ! s’exclama Odd, pointant avec un air horrifié le ciel.

A première vue, il était uniquement noirci par la poussière. Mais quand on y regardait de plus près, avec des yeux de chat par exemple, une immonde masse tourbillonnante y avait élu domicile. Elle paraissait venir de chaque point de l’horizon, et se déverser par une plaie béante qui séparait le virtuel du réel. Ils devaient empêcher ça. C’était leur mission.
— Je pars devant, annonça Ulrich, le visage tendu. C’est moi le plus rapide. J’ai une chance d’atteindre la tour avant que ça ne soit trop catastrophique.
Personne n’était dupe : la situation était déjà catastrophique. Pour autant, il n’aurait servi à rien de retenir Ulrich. Il connaissait les risques, et c’était effectivement lui le mieux placé pour atteindre la tour à temps. Il disparut dans un éclair lumineux. Odd et Yumi, sans se concerter, suivirent d’instinct la piste fugace de cette étoile filante, tous les sens en alerte. Bien sûr, Ulrich les sema très vite, mais ils connaissaient le terrain à force, et ils n’avaient pas peur de s’égarer.
Sans même regarder, Odd abattit une ombre qui rôdait hors des buissons sur leur gauche. Yumi décapita un spectre volant d’un éventail bien placé, mais il ne fit que se diviser en deux en poussant un hurlement horrible.

— Génial, grogna la japonaise, on avait bien besoin de ça…
— On reste en mouvement ! commanda Odd. Si on n’est plus là quand leurs renforts arrivent, on ne risquera rien !
— Oh, moi qui avais prévu de faire du camping ! répliqua Yumi avec humour.
Ils bondirent au-dessus d’un tronc en flammes, bizarrement assortis. Le rouge du kimono de Yumi paraissait bien plus sinistre avec l’éclairage de l’incendie. Une branche manqua de s’effondrer sur eux, mais ils esquivèrent sans se poser de question. Quel que soit le substitut virtuel de l’adrénaline qui les boostait, il faisait bien son travail.
Une arme de Yumi décrivit une courbe gracieuse pour abattre une espèce de monstre difforme qui en avait après Odd. Ce dernier exécuta un saut qui l’amena derrière son équipière, lui ouvrant toutes les lignes de tir qu’on pouvait rêver sur la créature qui les menaçait depuis cette direction. Ils échangèrent un rapide regard approbateur pour se féliciter de leur travail d’équipe si efficace, et détalèrent.
Leur course au milieu de l’enfer se poursuivait, sans qu’ils aient de nouvelles de Jérémie ou d’Ulrich. Yumi ne pouvait s’empêcher de se demander s’il était arrivé quelque chose au génie, ou s’il était juste occupé avec…avec quoi pouvait-il bien être occupé ? Qu’est-ce qui pouvait être plus crucial que leurs vies et le monde ?!

Odd, de son côté, cligna des yeux. Cet arbre, il aurait juré que c’était un amas de tuyaux. Il secoua la tête. Ce n’était pas possible. Il devait rester alerte, sinon ils étaient cuits. Sans mauvaise blague.
— Par là ! indiqua Yumi, pointant le cours du ruisseau qui était revenu flâner auprès d’eux. Il faut qu’on traverse !
— T’es sûre de toi ? Est-ce que t’as vu la gueule de l’eau ? s’étrangla Odd, toujours sans cesser de courir à côté d’elle.
— Tu préfères courir à travers la forêt et faire un énorme détour ? répliqua la jeune fille. Manœuvre tremplin-toupie, maintenant !
Il dévia vers le cours d’eau, plongea tête la première pour atterrir en poirier, le nez à quelques centimètres de la substance noire visqueuse qui s’écoulait. Dès qu’il sentit le poids de Yumi sur ses pieds, il détendit les jambes, aidant sa camarade à se propulser jusqu’à l’autre rive. Elle se réceptionna parfaitement, et il eut à peine le temps de se remettre debout qu’elle le catapultait sans grand ménagement jusqu’à elle.
— Wow, ça me rappelle des souvenirs ! rit-il, pensant à cette fois où elle l’avait jeté par-dessus une crevasse qu’il n’osait pas sauter.
— La soirée diapo c’est pas pour…
Elle se figea. Le fleuve noirci et visqueux s’était changé en lourds câbles caoutchouteux qui disparaissaient dans les méandres du sol en métal. Plus un arbre, plus une flamme à l’horizon. Elle leva les yeux, et vit Jérémie debout face à Clara. L’usine, les escaliers vers les scanners, tout était là…comment ?

Elle cligna des yeux et tout disparut. Elle s’empressa de tourner la tête vers Odd, qui était aussi choqué qu’elle.
— Tu…tu as vu ça ?
— Qu’est-ce que ça veut dire ? bafouilla Odd, qui n’avait jamais fait face à un tel phénomène. C’était pas un de mes flashs, on est d’accord ? Tu les as vus aussi ?!
— Je crois que ça veut dire qu’on doit se dépêcher.


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IAMX - Kiss and Swallow

Quand elle sortit sur le pont, Jeanne n’avait aucune idée de ce qu’elle allait dire. Elle maudissait Jérémie Belpois, se maudissait d’avoir accepté, et maudissait déjà cette usine dont elle ne savait rien.
La situation était absurde : elle allait négocier avec des inconnus pour le compte de son pire ennemi. Dans la famille pauvre gourde, je demande Jeanne Crohin !

Nombreux sont ceux qui reproduisent les gestes dont ils ont oublié le sens, jusqu’au jour où le sang devient l’encre de la connaissance, cet instant punitif où l'expérience s'ancre définitivement dans la chair. Aujourd’hui, elle réitérait ce geste, ce simple fait d’aider les autres qui lui avait tant coûté. Pour avoir été trop gentille, on l’avait insultée, on l’avait traînée dans la boue, on lui avait attribué ce doux surnom de « la limace » à cause de sa transpiration particulièrement abondante lors des séances de Jim.
Alors, elle s’était reprise en main. Après la sixième, elle avait éliminé le problème de son poids, perdant kilo par kilo à l’aide de pilules dérobées et de footing intensif. A compter de ce jour, elle s’était jurée de ne plus jamais agir pour ses ennemis mais bien contre eux. En brisant son serment, elle ne pouvait qu’aller à la catastrophe.

Elle arriva en vue de sa cible, et du personnage inquiétant qui l’accompagnait. Le duo était assez atypique. D’un côté la mère de famille qui se voulait un peu fantaisiste et enjouée, pur produit de la société bourgeoise de gauche, et de l’autre…une adolescente rousse de leur âge, dont la longue chevelure flottait au vent, tout en dissimulant une partie de son visage. Il y avait dans son regard des ombres que Jeanne ne voulait pas voir de plus près, et malgré sa fascination maladive pour les cas désespérés, elle n’aurait jamais osé s’approcher de cet océan de noirceur.
La curiosité de Crohin envers les abysses emplies de désespoir et de volatilité mentale comportait quand même des limites. Même si Jérémie ne lui avait pas dit, elle aurait su qu’il s’agissait de Clara, celle qui avait signé cet étrange essai freudien sur la psychologie de Belpois junior…

— Qui es-tu ? s’enquit madame Belpois, d’un ton curieux. Tu sais où est Jérémie ?

Oui elle savait, mais elle ne pouvait pas le dire ! Elle paniqua face au regard de la mère en quête de son enfant, ne sachant absolument pas quoi répondre. « Oui mais il refuse de vous voir » ? « Non je ne sais pas où il est, Clara, va vite le rejoindre » ?
— Il…il a dit que c’était plus sûr pour vous de rester dehors, balbutia Jeanne. Il vous expliquera tout en temps voulu, mais il a besoin que vous fassiez ce qu’il dit pour l’instant…
N’ayant aucune idée des relations de Jérémie avec sa mère, elle ne pouvait imaginer à quel point elle était à côté de la plaque. Mais Agnès Belpois prit cela pour de la considération de la part de son enfant si froid d’ordinaire.
— Il est à l’intérieur ? Je m’en fiche si c’est dangereux, je veux y aller avec lui !

Clara retint un sourire satisfait en observant la scène. Comme elle l’avait prévu, il avait fallu que Jérémie détourne des ressources pour gérer le problème de sa mère. Il devait désormais être en sous-effectif. Quoique, cette fille ne faisait peut-être même pas partie de la bande…bah, peu importait. Elle avait réduit la marge de manœuvre de Belpois par la simple présence de la matriarche, et il était temps désormais de se présenter comme le messie. Ainsi passa-t-elle tranquillement de son pas félin à côté de Jeanne, sans manquer de lui adresser un regard torve avant de s’avancer vers l’usine. Crohin ne fit rien pour la stopper, ce qui confirma le sentiment de Clara : Jérémie avait besoin de toute l’aide disponible. Même si c’était la sienne.
Alors qu’elle s’apprêtait à s’engouffrer dans l’antre du malheur, cette usine qui lui avait tant coûté mais qui continuait à la fasciner, Clara jeta un ultime regard vers l’extérieur, dernier apport de luminosité naturelle avant un bout de temps, si tout se passait comme prévu. Ce qu’elle vit la rassura, elle se sentait dans son élément, de vide intersidéral. En effet, le ciel semblait absent, à sa place se tenait cet infini blanc, cette masse sans fin qui rappelait les plaines translucides de Xanadu.

Ciel et terre semblaient ne faire qu’un. Et c’est là qu’ils commencèrent à tomber, par dizaines puis par centaines, ces petits bouts de froid. Alors qu’ils descendaient en spirale vers eux, elle aperçut nettement ce fluide sombre qui s’élevait entre les deux filles restées sur le pont, fumée sinueuse, hésitante, palpable puis qui disparaissait, à nouveau les flocons étaient la priorité de son regard, puis la noirceur revenait, instantanément effacée par la pureté du ciel. Elle prenait vie, se renforçait, jusqu’à prendre la forme de son avatar virtuel. Son corps mutilé par les coups des ombres, mais néanmoins gracile, semblait fendre l’air. Comme la lame d’un couteau.
Soudain, l’avatar de Clara Loess quitte la glace de Xanadu, s’élève. Les fronces de sa robe, un justaucorps vert amande piqué de strass, ont à peine le temps de tournoyer. Comme figés. Pourquoi est-elle vêtue comme ça ? Tenue de l’ultime valse ? Un tour, deux tours, trois tours. Et encore un demi avant que les pattes griffues ne retombent sur le pont craquelé, empli de fissures zigzagant en son sein. Ce spectacle était inlassable.
Malgré la crainte enfouie, le traumatisme certain de sa blessure, elle ne pouvait s’empêcher de désirer cette jouissance qu’elle avait connue, ces instants marqués à jamais, dévolus au passé mais qui pouvaient redevenir présent.

« Ce que j’ai surtout remarqué, c’est que cette jeune fille a besoin de transgresser les règles. De traverser des choses violentes pour éprouver son propre corps et découvrir où se trouve son propre plaisir, même si cela la place dans des situations particulièrement inconfortables. »

En l’observant, cette frontière mêlée d’irréel et de concret qui se manifestait à nouveau devant elle, Clara Loess ne pouvait s’empêcher de repenser à ce qu’elle avait écrit, note griffonnée à la va vite sur son bureau, avant de partir pour cette mission suicide, dont elle avait peu de chances de revenir intacte.

De toutes les passions, celle qui est la plus inconnue à nous-mêmes, c’est la folie. Elle est la plus ardente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible et que les dommages qu’elles causent soient très cachés. Le repos dans la quête permanente de lucidité est un charme secret de l’âme qui suspend soudain les plus ardentes poursuites et les plus opiniâtres résolutions. Pour donner enfin la véritable idée de cette passion, il faut dire que la folie est comme une béatitude de l’âme, qui la console de toutes ses pertes et qui lui tient lieu de tous ses biens.
La maladie s’est réfugiée dans une région plus profonde de l’être, comme pour échapper au regard du médecin, et c’est à présent l’âme qui est atteinte.
Et puis, n’oublie pas maman, échapper à la question n’est pas la résoudre. Jamais.


Comme hypnotisée par le ballet dément qui se déroulait – ou non – devant elle, Clara dût se forcer à tourner les talons et, après avoir descendu le long du filin, entendit les éclats de voix de Jeanne qui s’efforçait de retenir Agnès par tous les moyens. Du coin de l’œil, elle remarqua la matière sombre qui commençait à suinter des murs, et accéléra le pas. Elle avait observé au cours du trajet que les spectres se dirigeaient bien plus fréquemment vers la mère de Jérémie que vers n’importe qui d’autre. Il ne faisait aucun doute que jamais elle ne parviendrait à mettre un pied dans l’usine.
Ça semblait clair, presque acté. Jamais Agnès Belpois ne saisirait ce qui avait à ce point soudé son mari et son fils.


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Daughter - Get Lucky (Daft Punk cover)

Une forêt d’odeurs. Des ours aux poils musqués, des lapins souterrains, des volatiles parfois trop tactiles, des limiers à peau flasque. Le parfum d’une fillette aux cheveux shampouinés. Des émanations de souris grillées (un nid de rongeurs a pris feu), des gobelets de citronnade contre une pièce polie et une hachette pour bosser (des rondins de bouleaux à débiter).
Dehors déjà, des effluves de graisse et de chèvrefeuille. Les taons s’attaquent à la chair tendre. Le siège en skaï sur lequel le petit a vomi sera remplacé. Le rétroviseur sera agrémenté d’un attrape-rêves. Il ne servira plus que de loin en loin. L’oubli va ronger la mémoire, gagner du terrain. Mais le visiteur ne peut néanmoins s’empêcher de songer à ces montagnes lointaines, son terreau tendre, ses travailleurs qui vivent en autarcie, amoureux de leurs chiens, à ses empreintes d’oiseaux qui criblent la boue.

Dans un savant mélange de fleurs et d’animaux, la serre zoologique de Vincennes c’est surtout une végétation luxuriante choisie en symbiose avec la faune appropriée. Une pensée de jeunesse du créateur Marc Thiels exécutée par l’âge mûr, preuve qu’il ne faut jamais lâcher ses rêves. Il faut savoir qu’un tel parc ne consiste pas bêtement à imiter la nature, mais à en assembler les ingrédients pour exprimer la plus haute idée du bonheur. Effectivement, si vous prenez une forêt primaire, pour le ‘non initié’, c’est un milieu éminemment hostile, sombre, inquiétant alors qu’au contraire, un jardin s’édifie, quels que soient ses codes culturels, dans la lumière et la sérénité. La serre zoologique de Vincennes procède de cette utopie en trois dimensions : zoologique, florale et humaine, ce dernier représentant l’apport du visiteur et du personnel.
Tout est parti de là, tout finira là, et voilà déjà une première réflexion : de multiples religions sont nées dans le désert, impliquant un aspect horizontal certain, notamment pour les bédouins qui le traversent de part en part. Alors qu’en forêt vierge, tout est un appel de verticalité, d’élévation, et le divin se rencontre dans le foisonnement, la multitude et la diversité. La serre zoologique de Vincennes réunit à la fois cette horizontalité et cette verticalité, les merveilles du monde sous des angles différents.

Tandis que la petite Yumi se baladait dans l’allée des toucans et s’apprêtait à tourner dans une direction qu’il lui restait encore à choisir entre l’avenue des acacias et le quartier des amphibiens, une certaine boule à l’estomac commençait à se manifester. La japonaise avait toujours considéré qu’il n’y avait rien de pire que de mentir à son entourage. Et elle s’en voulait de mentir à ses parents sur le prétendu goûter d’anniversaire chez une copine, elle s’en voulait de cacher à son meilleur ami qu’un proche lui avait donné rendez-vous, dans un endroit neutre, là où seules les oreilles des bestioles en cage sont attentives.

Une très jeune fille, onze ans à vue d’œil, d’origine étrangère de surcroît, qui gambade seule dans un endroit où la famille règne, ça ne passait évidemment pas inaperçu. Tous la regardaient, pourtant personne ne l’abordait pour lui demander si elle était égarée, beaucoup s’imaginant simplement qu’il s’agissait d’une mendiante qui aurait profité du grillage extérieur approximatif pour s’introduire dans leur lieu de détente favori.
Yumi ne pouvait déjà plus supporter ce mélange de réprobation et de condescendance qui s’exprimait dans les yeux de ceux qui la croisaient. Du coup, quand elle retrouva enfin Ludwig Belpois à l’ombre d’un peuplier remarquable, elle fut soulagée d’être enfin avec un adulte. On lui ficherait peut-être enfin la paix !

— Allons dans mon cabanon de campagne, il est à deux pas. Je t’ai donné rendez-vous ici car c’était plus simple pour se retrouver. Le cabanon, on ne peut y accéder que par un chemin de terre dissimulé, dans la partie privatisée du parc. Seuls des biologistes d’exception ont droit à un petit pied à terre. J’ai hérité du mien suite à la rencontre d’une collègue, celle qui m’a fait prendre conscience que la nature était exceptionnelle. Et que c’était un bien grand tort de vouloir la réduire aux seules limites du réel. Tu es prête à me suivre Yumi ?

Avait-elle vraiment le choix ? Elle savait que non. La fillette acquiesça donc. A l’aide d’un badge d’accès, d’une poignée de mains échangée et de quelque bonne volonté dans les jambes, ils arrivèrent à destination.

Et, aussi étonnant que cela puisse paraître, on se sent tout de suite bien dans le cabanon de Ludwig Belpois. D’abord grâce à la façon dont il accueille : sans effet de style, prêt à la rencontre. Il est là, avec ses bottines, son teint moins glacé que d’ordinaire et cette précieuse curiosité scientifique dans le regard. Pas la moindre teinte de supériorité en vue. Pour la première fois, Yumi se fit la réflexion que c’est en réalité si bon d’être salué d’égal à égal. Une cruche d’eau citronnée et deux verres emplis de mosaïques attendent le duo sur la petite table du modeste salon. Quel poème, ce cabanon ! Plein d’âme, tendu vers le ciel, fort sur ses bases, accroché à un jardin sauvage en plein cœur de la plus ravissante réserve naturelle du pays...

— On est tellement bien ici, murmura le quinquagénaire, que j’ai parfois peur qu’un type débarque et dise : "C’était pour rire, il faut la rendre maintenant !"

Aux alentours, il y a ce petit carré de bois que Ludwig dessouche pour y replanter les essences locales qui servaient à fabriquer le jus d’abricot, comme sur ces cartes d’Ancien Régime à l’aquarelle pâle commandées par Marie-Thérèse d’Autriche. Le père de famille cultive cette utopie de vivre un jour en autarcie, parce qu’il ne « croit plus du tout à la société civile et à l’économie occidentale. »
Affuté par la taille des arbres et le travail au jardin (quatre heures par jour quand il est en vacances et qu’il ne travaille pas sur son "grand projet"), il se recoiffe d’un geste avec cette grâce un peu rustre qui le rapproche d’un Depardieu, avec sa grosse veste de laine noire sur le dos et la main droite brûlée par une lointaine solution corrosive. A le voir là, il ressemblait plus à un bucheron bobo qu’à un éminent scientifique.

— Mh...
— Oui Yumi ?
— Jérémie m’a dit que vous aviez très tôt eu une sorte d’attirance pour... l’art et la beauté en général. Ça se remarque ici d’ailleurs, contrairement à votre maison qui est plus... froide. Je me demandais... pourquoi cet endroit est si beau, en comparaison à votre salle à manger par exemple ?
— Effectivement, répondit Ludwig de son ton neutre qui était de retour, j’aime les belles choses, celles qui sont utiles, pas la décoration de mauvais goût qu’essaie de m’imposer ma femme. C’est d’ailleurs pour ça que notre maison est vide. Pas parce que je dis non à tout bibelot, mais plutôt parce que nos goûts ne sont pas compatibles. Du coup, mieux vaut un vide de convenance qu’un arrangement hétéroclite.
— Je comprends, c’est plutôt malin, admit Yumi. Mais au fait, cet intérêt pour toutes ces belles choses, c’est venu d’où ?
— Ah ça... je ne venais pas du tout d’un milieu porté là-dessus. Mon père était douanier et ma mère faisait des ménages. Gamin, j’aimais dessiner, mais pas plus qu’un autre. En première année chez les pères, on a eu un cours d’esthétique. Parmi eux, il y avait le père Thierry, un prof d’histoire de l’art dont tout le monde se foutait, sauf moi. Grâce à lui, j’ai découvert la peinture et les biographies de peintres dans sa bibliothèque. Je voulais vivre leur vie, une vie sans horaire, une vie de bohème. Or, je vivais à l’opposé de ça, avec la messe tous les matins, les trop nombreuses leçons que j’étudiais toutes scrupuleusement à la bougie, jusqu’à en devenir myope. Aujourd’hui le monde a basculé mais dans les années 70 on était tous encore de culture catholique dans ma région. J’ai eu des pensées rebelles, mais je n’ai jamais agi dans ce sens.
Avec le recul, j’ai pris conscience que j’essayais à ce moment d’échapper mentalement à la froideur mécanique de mon père, j’avais peur de lui ressembler. Jérémie n’a jamais tenté de fuir sa vraie personnalité lui, du moins pas encore. De toute façon, on est tous comme ça dans la famille... je suppose que l’on ne peut jamais échapper à qui on est vraiment. Mais l’art m’a porté, c’est certain, plus que mes parents. Le simple fait de dessiner... ça a commencé par des personnages, mais j’ai vite compris que mon véritable plaisir résidait dans la création de paysages somptueux... au service du progrès, du futur.
— Alors la science et l’art ne sont pas incompatibles ?
— Pas du tout... la science est justement la plus belle forme d’art qui puisse exister. Et puis, tu sais, je mène un peu une vie d’artiste en fin de compte, ce qui prime c’est le doute. Avec des certitudes, on ne découvre rien. Il faut d’abord accepter de se tromper et le reconnaître pour aboutir à un résultat.

Dans son petit bureau aménagé, Ludwig montra à Yumi un duo d’objets qui lui tenaient particulièrement à cœur : un véritable silex d’il y a 30 000 ans et un morceau de goudron dans lequel une fourchette en plastique s’est encastrée.

— Je l’ai ramassé en rue alors que je revenais d’un mois dans les Pyrénées-Orientales à visiter des grottes à peintures rupestres, tellement émouvantes. Je me suis dit que cela représentait l’histoire de l’humanité : l’outil d’Homo sapiens sapiens – non ce n’est pas une erreur Yumi, cela regroupe toutes les populations humaines vivantes et toutes celles qui les ont précédées et qui leur étaient très similaires. Bien entendu, on peut aussi voir cela comme une tragique métaphore de notre capacité à gaspiller et à détruire.

Mais Ludwig n’est pas qu’amer, loin de là. Il revient à Yumi, lui montre un livre empli de calculs, s’intéresse à son totem attribué en classe pour le fun « Alaskan pile ou face », s’amuse qu’ils soient tous les deux Taureau.

— Ah zut, si j’avais su on aurait prévu de boire et de manger alors !

A vrai dire, l’humanité de Ludwig a nourri Yumi bien plus qu’un cinq-services. Ce qu’elle ne savait pas, à l’époque, c’est que Ludwig ne se montrait jamais chaleureux sans raison précise. Mais elle le comprit à l’instant où il prononça cette phrase :

— Autant être honnête, je vais avoir besoin de toi dans les mois qui viennent Yumi. Il est bon que tu le saches, dès à présent. Car une abomination est si vite arrivée. Une urgence aussi.
— Je ne comprends pas de quoi vous voulez parler... Pourquoi avez-vous besoin de moi ?
— Pour quelque chose de très important. Tu sais, un secret au fond a plus d’importance dans ce qu’il cache que dans ce qu’il révèle. Et je pense que tu comprendras très vite tout ce qui se dissimule derrière cette phrase bien énigmatique.



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Jérémie s’était assis à ses écrans, fixant résolument ce qui se passait sur Xanadu. La situation paraissait apocalyptique, malgré les aptitudes de Yumi et les progrès considérables d’Odd. Ils s’en sortaient, mais progressaient à peine. L’usine fut secouée par un petit séisme qui manqua de le faire chuter de sa chaise. L’intellectuel remonta nerveusement ses lunettes sur son nez, coula un regard à la caméra de surveillance qui lui retransmettait l’entrevue de Jeanne et de sa mère.

Satou Naoki - Madamada Yoyuu! (Assassination Classroom)

Un bruit de pas lui parvint. Il ne sut pas vraiment s’il devait s’en réjouir ou s’en mortifier. Il se leva néanmoins, se retournant vers la nouvelle arrivante.
Les cheveux roux de Clara avaient poussé, lui arrivant maintenant au milieu du dos, et lui conférant cette assurance insolente dans le maintien. Elle avait grandi. Tout son visage était exposé à la lumière du jour, y compris la partie qu’elle dissimulait d’ordinaire sous ses mèches. Les cicatrices hideuses laissées par Xanadu goûtaient à l’air de l’usine pour la seconde fois, et l’aspect monstrueux qu’elles donnaient à leur porteuse fit froid dans le dos à Jérémie. Avait-il commis une erreur ?
Elle lui jeta un sourire éclatant.

— Hey Jérémie ! Ça faisait une paye ! Comment tu vas ?
Il était le seul à qui elle n’ait jamais osé trouver de surnom ridicule. Lui garda son expression glaciale et hautaine.
— Tu t’es servie de ma mère.
— Allez, c’est de bonne guerre, tu t’es servi de moi pendant des mois ! Je me trouve même plutôt sympa, c’est pas cher payé. J’ai même fait abstraction du fait que tu m’avais défigurée.
Elle l’insupportait. Aussi flamboyante que lui était hivernal, Clara et lui s’étaient pourtant retrouvés un temps autour de l’apprentissage du fonctionnement du Supercalculateur. Aujourd’hui, c’était lui qui les réunissait à nouveau. A croire qu’il en était le seul capable.
— Je ne suis pas responsable de ce qui t’est arrivé. Je ne savais pas que Xanadu pouvait réagir de cette façon en cas de suicide virtuel.
La rousse éclata de rire, franchit la distance qui les séparait, et lui souleva le menton du bout de l’index. Il détestait cette façon de se tenir qu’elle avait. Si jouer les séductrices un peu dominantes marchait avec Odd, il en fallait plus pour intimider le fils de Ludwig. Il soutint froidement son regard.
—Allons Jérémie… tu voudrais me faire croire qu’un mécanisme de ce monde virtuel te serait inconnu ? S’il te plaît, on se connait depuis un moment, tu n’as pas besoin de me mentir.

Agacé, il écarta la main de l’adolescente. Elle ne serait décidément jamais prête à entendre la vérité. Alors qu’il allait répliquer, une nouvelle secousse ébranla la pièce, et en clignant des yeux, Jérémie crut voir Yumi en train de lancer ses éventails. L’apparition s’effaça avant même qu’il puisse réellement se poser la question de sa tangibilité, mais elle eut le bon goût de le ramener aux affaires les plus pressantes.
— Mets-toi dans un coin et ne me dérange pas. Les autres piétinent sur Xanadu et ils ont besoin de mon aide, fit-il avant de retourner vers ses écrans.
Sa marche, qu’il aurait cru solennelle, fut entachée par les éclats de rire dissonants de Clara.
—De ton aide ? A toi ? Toi qui reste planqué derrière tes moniteurs sans oser mettre un orteil là où ça chauffe, tu voudrais les aider ?

Elle posa la main sur son épaule. Il eut l’impression de sentir des griffes se planter dans sa peau, alors que ses mots se fichaient désagréablement bien dans son orgueil.
— Laisse-moi y aller. On sait tous les deux que je peux sauver la situation, la Terre, et tout ce à quoi tu tiens.
Jérémie tiqua sur le dernier élément. Son père ? Cette pauvre fille avait vraiment des prétentions astronomiques. Mais il devait reconnaître qu’elle savait se battre. Même plutôt bien. Et qu’en l’état actuel des choses… il ne pouvait cracher sur l’aide de personne.
— Eh bien, fais-donc. Eblouis-moi, répondit Jérémie d’un ton tranquille, ses doigts reprenant avec sûreté leur place sur le clavier.
Il ne vit pas le sourire qui se dessinait sur le visage de Clara, tout comme il ne la vit pas se précipiter vers les escaliers, sa chevelure flamboyante déployée derrière elle. Avec une telle grimace carnassière, ses cicatrices prenaient une dimension démoniaque, comme si sa peau s’était craquelée pour laisser apparaître sa véritable nature. Une plaie, au sens propre comme au figuré. Une plaie béante en souffrance qui n’attendait qu’une seule chose : que le calvaire cesse.

Les portes du scanner se refermèrent sur elle. Elle se sentit bizarrement détendue, alors que pourtant, à son dernier retour de Xanadu, elle était en sang et en panique. La dernière fois, elle y avait tout perdu. Aujourd’hui, elle y avait tout à gagner. Alors que l’appareil commençait à ronronner, elle se demanda ce que le monde virtuel lirait en elle quand il analyserait son subconscient. Xanadu les jugeait-il ? Pouvait-il, au regard de tout ce qui était enfoui au fond d’eux, déterminer s’il préférait certaines personnes ? S’il en détestait certaines ? Clara n’aurait jamais l’occasion de le lui demander.
La première chose qu’elle perçut en arrivant sur Xanadu, ce fut une odeur.

Une odeur de charbon, qui prenait le nez. Elle n’aurait absolument pas su expliquer comment une telle chose était possible : le monde virtuel lui avait toujours paru dénué de fragrances quelconques. Elle se réceptionna sur ses quatre pattes, s’examina rapidement. Pas de transformation majeure. Elle avait toujours des griffes, toujours ces chaînes rouillées décoratives, toujours son cimeterre dans le dos et ses vêtements déchirés. La seule chose qu’elle ne put pas voir, c’est que sous sa capuche, son visage à moitié rongé par les ténèbres s’était maintenant légèrement allongé. Et si elle avait passé la langue sur ses dents, elle aurait senti des crocs bien plus redoutables.
  Sujet: [Fanfic] Code Alpha 2.0 - Rainy Days [Chapitre 10]  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mer 23 Mai 2018 10:19   Sujet: [Fanfic] Code Alpha 2.0 - Rainy Days [Chapitre 10]
Remarque préliminaire : Une fois n'est pas coutume, ce commentaire abordera plus la question de ton univers, ta décision de revenir une nouvelle fois, que l'intrigue en elle-même. Mais promis, je reviendrai très vite pour parler plus en profondeur du scénario, cela ne me semblait juste pas en adéquation avec tout ce que j'avais déjà à dire pour aujourd'hui Wink

Définir une fanfiction est une tâche compliquée car il existe un très grand nombre d'écrits d’un caractère très divers, de manière qu’on a du mal finalement à définir le terme, le style de ces univers plus ou moins attractifs selon les goûts de chacun.
Le constat que pose les lecteurs de ce forum est assez déstabilisant pour les critiques au vu de sa diversité mais malgré les difficultés, il y a eu des tentatives de circonscrire le genre (fan)fictionnel en ces lieux.
On va trouver certains commentaires qui vont se concentrer (exclusivement) sur le contenu, les rouages qui, une fois enclenchés, font tourner correctement cette vaste machinerie qu'est l'intrigue. Dans ces conceptions, la fanfiction apparaît parfois trop simplement comme un genre qui parle d’amour et d’aventure. Ceci est beaucoup trop restrictif car il y a des récits qui ne parlent ni d’amour, ni d’aventure et qui sont quand même des fanfictions autonomes.
Certains ont pensé à établir une typologie de la fanfiction basée sur le statut des personnages romanesques, de DA, desquels serait dérivé l'écrit en question. On peut dire que c’est à la rigueur possible jusqu’au moment où les auteurs n'utilisent pas les pinceaux des Nouveaux Romanciers. A partir de ces derniers où le personnage s’effrite, cela n’est plus possible de se baser sur les seuls protagonistes pour cerner un récit.
Certains ont essayé d’établir une typologie basée sur les formes. Là encore, cela ne parait pas satisfaisant puisque les formes que peut épouser la fanfiction sont extrêmement nombreuses (écrit poétique, fleuve, d4rk,…). Là encore, on a des types d’énonciation qui sont bien différents (à la première personne, 3ème personne, 2ème personne même dans certains cas,…).
Outre le fait que tous les types d’énonciations sont possible, l'auteur peut singer l’énonciation des autres genres, c’est-à-dire qu’il peut raconter comme un historien, un diariste, un commissaire de police, etc. La fanfiction a un côté caméléon, ce que tu représentes à merveille selon moi car Code Alpha est un patchwork d'émotions : on rit, on pleure, on frissonne... en particulier devant le personnage de Steve qui est particulièrement réussi (c'est dit très simplement mais c'est véridique, je suis passé par tout un tas de sensations plus ou ou moins agréables à la lecture. Cela n'est pas donné à tout le monde de provoquer chez le lecteur de la joie, du dégoût, de manière aussi puissante en tout cas).

Quand on regarde l’histoire littéraire du forum, on se rend compte que Code Alpha a eu tendance à se développer aux périodes où les autres écrits avaient tendance à se désagréger, avec des auteurs moins présents dans le coin ou une inspiration moins grande néanmoins. Toi, tu mélanges tout sur ton topic. Ta fanfiction va parodier tout un tas de genres (le drame côtoie la comédie grossière qui côtoie elle-même la science-fiction), tu va romaniser toutes ces tendances littéraires, tu vas les intégrer à ton œuvre. Tu vas mélanger tous ces genres, parfois inconsciemment sans nul doute, en dénonçant leurs conventions, leurs formes, leurs langages convenus. Tu emmènes ton lecteur là où on ne t'attend pas forcément. Il y a de l'action, du monologue intérieur, des adultes qui se joignent à la valse des adolescents, du scolaire terrifiant quoique parfois reposant, du journal intime, etc. Au fur et à mesure, ta fanfiction va éliminer certaines touches (l'humour se fait plus rare au fur et à mesure que les enjeux augmentent) et tu vas en profiter pour intégrer les autres rebondissements de force, parfois de manière trop brutale (comme la mort qui tombe à la fin du chapitre, l'exécution froide qui débarque sans que le lecteur n'y soit préparé). Tu vas successivement reprendre les thèmes et les procédés du thriller, du roman réaliste, de la satire qui se veut critique et moqueuse de son sujet. Pour ce dernier point, je pense particulièrement à tes personnages (Antoine en tête) que tu ne manques pas de juger sévèrement à la moindre occasion Et c'est ce que j'aime le plus chez toi, tes protagonistes sont tous des antihéros, mais tu ne tombes pas pour autant dans le travers d'en faire tous des psychopathes. Leurs parcours et leurs choix restent totalement cohérents avec leur âge, leur background et les dérives propres à l'adolescence sont correctement abordées selon moi.

Par contre, force est de constater que le critique qui veut analyser Code Alpha dans sa globalité est confronté à plusieurs problèmes :
- Il n’y a pas vraiment de règle formelle : ta fanfiction a un côté hors-la-loi, par opposition à la main de fer de certains qui en font un genre très codifié.
- Les origines de ton intrigue principale sont floues et discutées : quand est-ce que tout ça apparaît vraiment ? Est-ce qu’il faut considérer certaines formes qui semblent précéder la première version comme de simples erreurs du passé ? Dois-je lire ce que tu présentes comme "moins bon" en sachant que je vais être certainement spoilé sur quelque chose qui s'annonce meilleur ? C’est difficile à dire.
- L’objet principal du scénario et tes propres intérêts/envies ont énormément évolué avec le temps, ce qui ajoute à la difficulté à mon sens de te cerner amplement en tant qu'auteur.
- Les moyens employés et le ton de ton récit sont extrêmement variables.
- C’est le seul texte qui semble en permanence inachevé au sens où c’est un texte qui est encore extrêmement vivant, un topic qu’on continue à explorer avec plus ou moins de surprises à la clé.

C’est une tentative de cerner ton travail très discutable et pauvre, j'en suis bien conscient. Si elle est si pauvre, c’est parce qu’il est peut-être impossible de définir vraiment Code Alpha. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, les commentaires se sont succédé mais il faut croire que chacun vit de manière inédite l'expérience immersive que tu nous proposes. Le plus étonnant, c’est que Code Alpha va aller jusqu’à intégrer les critiques qui lui sont faites, en se renouvelant sur d'autres topics et en étendant le sous-forum un peu plus. Ta diégèse intègre donc une palette considérable de genres et va jusqu’à intégrer les critiques qu’on lui adresse, ce qui est honorable quand on constate que la tendance est plutôt à ne jamais se remettre en question.

Pour finir, je vais parler du nœud de tout ça selon moi, ce qui suscite sans aucun doute l'intérêt de ceux qui te lisent : le cas Ambre/Ombre. Ce mythe du double connait un très grand succès dans la littérature occidentale car cette thématique double offre beaucoup de possibilités, notamment du PDV du moi, dont les possibilités sont prolongées. Ombre est une sorte de deuxième « moi » qui va rentrer en conflit avec le « moi » original. A l’époque du Romantisme, le double va exprimer une crise de l’identité, ce qui est toujours le cas chez Maupassant (on peut le voir dans sa nouvelle "Le Horla"). Répercussion large dans la littérature qui suivra cette période, et encore aujourd'hui d'ailleurs. Outre les possibilités prolongées du « moi », le double est aussi une figure essentiellement narcissique qui permet d’incarner ses envies les plus secrètes : Ombre peut permettre à Ambre de réussir là où le « moi » original échoue. C’est une figure de la transgression qui permet au « moi » double d’assouvir ses pulsions. Si l'on prend l'exemple de Stevenson, Hyde permet au Docteur Jekyll d'effectuer toutes les recherches que la société victorienne de l’époque, particulièrement stricte, lui interdit de faire.

Le double altère toujours le « moi » original : il a un impact dessus. Presque dans tous les cas, un conflit mortel est mené entre le « moi » original et le « moi » transgressif. Le double essaie d’accaparer la place du « moi » originel (il veut l’expulser) et cela se vérifie dans ton intrigue. L’être originel ne peut se libérer qu’en tuant le double ; mais paradoxe car tuer le double, c’est au fond se tuer soi-même. Ré-identification de l’un et de l’autre au moment de la mort. C’est le prix à payer pour retrouver son intégrité... pas vrai Ambre ? Est-ce cela qui l'attend ? Le retour d'une fillette brisée par sa nature profonde ? L'avenir nous le dira !
Enfin, cette forme du double va aussi entraîner certaines particularités narratives : la dualité s’inscrit dans la matérialité du texte. C’est un thème que le fantastique va beaucoup exploiter. Renouvellement de la narration, il y a deux points de vue sur ce que vit Ambre/Ombre mais aussi deux versions à Code Alpha, un hasard ?

Au plaisir de lire la suite, bravo pour ta persévérance !
  Sujet: [Fanfic] Jeux d'enfants [Terminée]  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Ven 23 Mar 2018 17:01   Sujet: [Fanfic] Jeux d'enfants [Terminée]
Bien le bonjour Ellana. Après avoir commenté épisodiquement de manière humoristique ta fiction, celle-ci a fini par se clôturer et il est donc temps pour moi de rédiger un commentaire nettement plus sérieux que les précédents. Pour changer (lol), je vais faire un point sur chaque personnage présent, cela sera plus ou moins rapide en fonction des cas je te préviens. J’espère ne pas être trop pompeux, si c’est le cas rien ne t’oblige à en lire l’entièreté.

Je ne vais pas manquer de compliments ici parce que ton texte est celui que j’ai le plus apprécié ces deux dernières années, avec quelques défauts minimes mais que j’évoquerai quand même. Jeux d’enfants est à mes yeux la fiction emblématique du fantastique au sein de ce sous-forum très diversifié. Le Pôle a reconnu ton talent à sa juste valeur et c’est tant mieux car ton histoire est extrêmement riche du côté de la signification. J’y ai personnellement rattaché un concept vu lors de mon cours de philosophie : Unheimliche (le négatif de heimliche). Ce mot, derrière lequel se planque une réalité complexe, résume parfaitement ta fiction, en ce sens que le caractère de l’intrigue relève de ce qui est à la fois familier et étranger. On peut traduire le terme en français par l’inquiétante étrangeté qui est devenu un concept psychanalytique, apparu sous la plume de FREUD en 1919. C’est une sensation un peu désagréable qui relève d’un retour du refoulé. Je l’ai personnellement déjà expérimenté (comme beaucoup d’autres tortures intérieures d’ailleurs) et, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas toujours agréable. Cela se produit lorsque quelque chose que l’on a refoulé remonte à la surface, quelque chose qui est à la fois étranger puisque refoulé et à la fois familier puisqu’il y a une impression de déjà-vu (une trace douloureuse ancrée dans un méandre de la conscience, avant le refoulement donc). C’est le retour du refoulé, on le voit bien chez Odd, qui produit un grand sentiment d’angoisse. L’homme refoule en permanence certains sentiments, infantiles ou non, pour se protéger. Quelque chose est mis au jour alors que ça aurait dû rester enfoui et du coup cela provoque un sentiment d’angoisse.

Pour Aelita, la phase Lyoko était enterrée mais le retour de Xana l’a évidemment replongée dans toutes ses tourmentes. L’angoisse de Schaeffer junior se porte ici sur l’ablation des proches, la peur classique mais efficace de perdre les amis qui au départ sont le seul lien avec cette terre qu’elle a apprivoisée peu à peu. Par ailleurs, les racines œdipiennes de cette peur sont mises en évidence par l’ambivalence de la figure paternelle, l’ombre de Franz Hopper plane sur tout le récit même s’il n’est que rarement cité. D’une part, il y a la représentation du bon père mais aussi du scientifique, d’autre part il y a la figure du mauvais père avec Xana, l’entité avec qui elle entretient le plus de liens. C’est triste à dire mais le programme multi-agents lui est plus familier que de nombreuses réalités humaines, ses propres parents en tête. C’est évidemment la figure du mauvais père, Xana donc, qui va émettre la menace, il va interdire à Aelita la possession de tout instant heureux. Dans l’animé comme dans ton récit, elle n’aura de cesse de se battre pour garder une place qu’elle ne pense pas mériter.

« Paraplegik zombie 6, le jeu » et « Cauchemars : un jeu de frissons où vous affronterez vos peurs les plus intimes et vos pires fantasmes » plongent immédiatement ton lecteur dans cette inquiétante étrangeté qu’est l’ambiance de ton récit, subtil mélange de visuel troublant, curiosité malsaine et démons anxiogènes propres à rendre fou l’homme le plus sain d’esprit. Ces deux supports, le zombie et les dessins, permettent de passer du monde de la réalité au monde des fantasmes. Le réel n’est plus vraiment tel qu’on le connait, il est modifié, fantasmatique à souhait, parfois trop pour certains sans doute… mais cela ne l’est pas pour moi.
L’œil de Xana dans l’animé a pour fonction de faire comprendre aux spectateurs et aux protagonistes qu’il observe tout en tout temps et lieu mais le regard dans cette histoire est quelque chose de beaucoup plus vaste. Tout ce qui arrive à Jérémie a finalement un rapport avec ce qu’il fait de ses yeux, l’usage de son regard. Le personnage apparait comme un voyeur impénitent, il essaie de voir ce qui devrait lui rester caché : les sombres secrets que renferme le Supercalculateur. C’est une critique que je pourrais t’adresser : je n’ai pas retrouvé cet aspect viscéralement ancré de Belpois dans ta fanfic. Ok, vu que c’est écrit en Post-Lyoko, on pourrait justifier son manque de curiosité scientifique dans ton histoire mais on ne m’ôtera néanmoins pas de l’idée que c’est le personnage que tu exploites le moins bien. A côté du portrait complexe de tous les autres, Einstein m’a paru bien fade. Mais je me sers de lui pour prendre le contre-pied et parler brièvement des autres. A mon humble avis, tu as grandement rendu justice à Aelita, Ulrich et Yumi car, contrairement à la plupart des autres fictions, il est impossible ici de résumer leur caractère à un simple mot péjoratif. Tu les as finalement brillement esquissé tels qu’ils sont, c’est-à-dire : humains. Avec des aspects négatifs autant que positifs, c’est toujours plus intéressant que de balancer les trois dans un grand sac poubelle flanqué du sceau « bêtes à manger du foin ». Je te félicite car tu as réussi à les rendre aussi attachants que détestables, ce qui n’est pas si évident vu que le deuxième sentiment prime chez beaucoup avant même de commencer une lecture ou un épisode. C’est ceux qui m’ont le plus intéressé ici et, bien que je sois un de leurs grands défenseurs, je suis plus souvent concentré sur d’autres (en particulier sur Sissi pour ne pas la citer, je ne l’évoquerai pas ici mais on peut en parler en mp si tu le souhaites). Si ça devait tenir en une phrase, tu as parfaitement géré le Ulumi tout en faisant d’Aelita un personnage complet sur tous les points, et ce beau combo est chose rare en ces lieux. C’est tellement plus simple de les démonter en exhibant leurs défauts à chaque chapitre, facilité dans laquelle tu n’es pas tombée donc bravo ! Pour conclure ce point, je tiens à dire que le cauchemar de Stern est d’ailleurs à mon sens le plus réussi de tous, celui qui m’a le plus perturbé à la lecture, même s’il est certain que mon vécu personnel influence ce constat subjectif.

Pour ce qui est d’Odd, la question de l’interdit est posée, en espionnant son colocataire dans des moments troubles et il y a aussi bien entendu le principe même de deux hommes ensemble qui représente le fameux désir inaccessible aux yeux de Della Robbia. Comment pourraient-ils essayer de créer un être eux-mêmes, le regard des autres, l’absence de la figure maternelle dans le couple, cela amène beaucoup de questions sur le long terme mais ils n’auront pas le temps de se les poser vu le bain de sang final… good job ! Le débat sur l’origine de la vie, en tant que conçue dans un univers entièrement masculin, sans la participation du principe d’altérité que constitue l’autre sexe, aurait pu être intéressant dans le cadre de son cauchemar qui se finit un peu trop rapidement à mon goût. Dommage.
Pour ce qui est de William, je vais faire vite puisque je n’ai plus beaucoup de temps avant mon train : eh bien, il m’a gavé presque autant que dans l’animé, good job car je ne le vois pas autrement. Contrairement aux détracteurs d’autres persos, je ne vais pas commencer à énumérer tout ce qui m’agace chez lui mais je pense que le terme self-centered résume bien le bordel Mr. Green
Petit mot de la fin, le fantastique est surtout intérieur chez toi. A peu de moments, le surnaturel est véritablement affirmé… En d’autres termes, il n’y a pas besoin de revenants pour avoir accès à une autre sphère. Tu ne vas pas dire qu’ils ont vu le démon de manière concrète, mais tu le suggères dans l’esprit de tes personnages. Xana n’affirme pas la matérialité des faits surnaturels qui sont racontés et, pour moi, tout pourrait très bien se jouer dans leur tête. Il s’agit ici d’un glissement remarquable de l’esprit vers le fantastique, de la part d’héros souffrant d’une sensibilité très impressionnable. Encore une fois, félicitations !
  Sujet: [Fanfic] Jeux d'enfants [Terminée]  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Mar 26 Déc 2017 16:35   Sujet: [Fanfic] Jeux d'enfants [Terminée]
Hep là, esquive (pas) ce com !

Commençons directement avec un petit résumé de l'attitude de XANA depuis son apparition... Il a tout volé de la télé ce con !

Chapitre 4
Citation:
Encore faut-il que vous puissiez sortir d’ici, mes agneaux, fit remarquer une voix caverneuse. Pourquoi on ne continuerait pas plutôt à jouer ?


https://memegenerator.net/img/instances/500x/60362991/bonjour-lucie-on-va-jouer-un-jeu.jpg
Kassdédi à la psycho du coin o/


Chapitre 5
Citation:
Sans vouloir être mélodramatique, vous resterez ici pour toujours.


http://s2.quickmeme.com/img/8c/8cf8c9c8665d6d719e12ea79b77792f57a8e7a94cb32d1e928c3761a4d107bef.jpg


Chapitre 6
Citation:
Et oui, ma chérie, il y a tellement de peurs en toi, tellement d’angoisses.


https://i.skyrock.net/2788/84772788/pics/3276398584_1_10_UO3dyU8W.gif


Chapitre 7
Citation:
Quand accepteras-tu que ta vie pue la médiocrité ?


https://media.makeameme.org/created/mediocrity-mediocrity-everywhere.jpg


Hum... maintenant que ces brillantes comparaisons ont été posées, il est temps d'en venir au fait. Si la vie de Sissi pue la médiocrité, ton XANA oublie qu'il pue l'humain ! Comme l'a dit Dyssery, on en oublie presque totalement l'aspect du programme ici. Est-ce qu'il a vraiment une raison valable pour organiser tout ce cirque ou est-ce qu'il s'est fait contaminer par le sadisme irradiant de la Terre ? Nul ne le sait, pour l'instant, on verra si tu justifies son attitude dans la suite ou si c'est juste le caractère que tu as décidé de lui donner pour le bien du huit-clos. Comme je m'y attendais, les cauchemars sont particulièrement réussis. La torture psychologique, il y a que ça de vrai \o/

Le twist sur le William/Sissi était sympa, peut-être que ce couple n'est pas voué à l'échec finalement... Sinon, j'ai trouvé deux répliques hautement symboliques et je me devais de les partager.

Citation:
1) Tous les regards fixèrent William qui finit par avoir un ricanement sinistre.
- Quoi, vous pensez qu’en disant ça, je remporte le rôle de suspect idéal ?
- Les questions permettraient de démasquer le spectre, insista Jérémie.
- Non, William a raison, intervint Yumi. XANA veut jouer avec nous.

2) Et puis, pourquoi XANA se serait amusé à démasquer si tôt son spectre ? ajouta Ulrich. Tu t’emballes un peu vite, Jérémie.


Les « copains et puis c’est tout » qui défendent Willy, c'est assez rarement vu dans le coin pour être souligné. C'est bien d’innover ! Alors que ce sont toujours les premiers à s'en prendre plein la gueule à ce sujet, c'est clair que c'est plus facile pour un auteur de les attaquer que de les défendre Mr. Green Il me semble, comme c'est écrit dans le récit, que ce soit plus logique que Jérémie soit le premier à se méfier de Dunbar... c'est sans aucun doute celui qui y est le moins attaché. Yumi est celle qui a passé le plus de temps avec William, ça ne s'oublie pas. Quant à Ulrich, je pense sincèrement qu'une certaine forme de complicité a dû naître suite à cette rivalité et Stern partage bien plus de points communs avec Willy qu'avec un asocial comme Belpois en fin de compte. À titre personnel, ça me semble même plus logique que les deux guerriers soient amis sur le long terme, laissant le génie sur le carreau car ça m'étonnerait sincèrement que Jérémie reste proche d'eux après Kadic. Plus le même délire en grandissant...

Bref, c'est toujours intéressant de relever ce genre de détails car ça montre bien que les personnages que tu utilises ne sont plus exactement ceux qu'on connaissait. Ils n'ont pas seulement grandi mais aussi pris en maturité dans certains domaines, ce que j'apprécie fortement.

Citation:
- Tu veux me laisser tout seul ? glapit l’adolescent.
- Non, tu peux garder Kiwi.


http://img.memecdn.com/not-again-----amp-039-amp-039_o_1908813.jpg
On avait dit stop la zoophilie Crying or Very sad


C'était la dernière connerie du jour, à bientôt !
  Sujet: [Fanfic] Jeux d'enfants [Terminée]  
Minho

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MessageForum: Fanfictions Code Lyoko   Posté le: Jeu 21 Déc 2017 13:01   Sujet: [Fanfic] Jeux d'enfants [Terminée]
Hello hello, je viens donner mon petit avis en ce jeudi brumeux (en tout cas chez moi, éternel berceau du brouillard).

Déjà c'est un véritable plaisir d'avoir enfin l'opportunité de commenter un de tes textes sur le début, moi qui suis arrivé sur le tard je n'avais pas vraiment eu l'occasion de le faire avant aujourd'hui. L'un des premiers textes qui m'avait vraiment marqué positivement sur le forum, c'était Pas maintenant qui a vraiment beaucoup de qualités à mon sens. Je ne vais pas commencer à les énumérer ici car je suis là avant tout pour parler de Jeux d'enfants donc allons-y sans plus attendre. Vu que je ne suis pas en mode analyse rigoureuse aujourd'hui, ça sera plus un commentaire fun qu'autre chose mais c'est mieux que rien, n'est-ce pas ? Parlons d'abord du thème. Halloween, une soirée d'enfer, des cauchemars personnalisés, Sissi dans le groupe,... putain c'était sûr et certain que t'allais m'avoir rien qu'avec l'intro !

Ce que je remarque dès le début, c'est qu'il est facile d'accrocher directement au récit. Comme tu restes dans une ambiance assez proche de l'animé mais avec ta propre touche plus réaliste/descriptive/émotionnelle, l'immersion au sein de ton univers orangé (bon choix de couleur) est aisée et plaisante. Le risque, c'est de craindre le manque de surprises/rebondissements (déjà avec une fin connue de beaucoup dans ce cas). Mais bon, après ces deux chapitres, je me dis qu'il n'y a vraiment pas besoin de ça pour apprécier ce que tu nous proposes, même si une petite subtilité lors de la chute ne serait pas pour me déplaire. On ne va pas te demander de tout bouleverser non plus !


Chapitre 1 : Échauffement + Chapitre 2 : Hurlements

Personnellement, j'apprécie le Ulumi quand il est bien amené (ce qui est le cas ici) et je ne m'en cache pas. Je me réjouis d'ailleurs de lire les écrits de quelqu'un qui ne hait pas forcément les personnages qu'on nous pousse à détester et ça se ressent instantanément à la lecture en réalité. Alors que beaucoup ici oublient carrément Yumi (quand ce n'est pas Ulrich ou Aelita) sans doute parce qu'ils sont parfois moins aisés à manier sans tomber dans les clichés, tu t'en sors bien avec la tribu jaune et tu fais miroiter un changement de comportement de Stern qui ne peut que plaire à la majorité. Même si je me doute que tu n'as pas besoin de ça pour l'apprécier, sans guerrier efficace il n'y aurait tout simplement pas eu de CL sur le long terme Mr. Green

Passons au deuxième passage. Chez toi, on sent toujours une grande proximité entre Odd et Aelita. Quasi-charnelle dans certains cas, en espérant que les chatouilles n'étaient pas juste une métaphore pour autre chose... mais c'est sûrement moi qui part trop loin comme d'hab ! Quoiqu'avec Belpois à côté, vive l'ambiance \o/ J'ai l'impression que tu manies d'ailleurs ce dernier perso avec un peu moins d'aisance (je ne me fie pas juste sur ce passage évidemment), mais bon, c'est sûrement un ressenti très subjectif, comme le reste d'ailleurs. Bon point pour ta rénovation de l'Ermitage car contrairement à d'autres, tu expliques le comment du pourquoi et tu ne contentes pas de "la maison d'enfance d'Aelita était désormais comme neuve lol".

Passage trois... Sissi 😍 Wait... restons objectif... 394 error found :/ Hum, redevenons sérieux, il n'y a rien que je déteste plus qu'une Élisabeth Delmas mal utilisée. Bon ici, ça passe crème... est-ce l'effet William ? Tout d'abord, je valide les craintes de Sissi, pitié est-ce que ce cher Jean-Pierre peut débarquer à la soirée clandestine, ne fût-ce qu'une minute ? 🙏 T'as su garder sa superficialité (pas de "Sissi tro sympa désormé lol" comme on a pu le voir dans certaines fics). Tu as su aussi montrer son côté plus caché, tout en lui conservant son caractère solide et déterminé, bien qu'elle semble un poil plus souple qu'auparavant... encore l'effet William ? Logique aussi qu'elle soit encore dans un tel état devant Stern, je pense personnellement que c'est impossible d'oublier totalement un amour d'enfance, surtout lorsqu'il a duré aussi longtemps que dans leur cas. Sissi étant vraiment une (très) belle fille, elle aurait pu s'en faire des mecs depuis le premier "coup de foudre" pour Ulrich mais, s'il y a bien une chose qu'on ne peut pas lui reprocher, c'est qu'elle est restée fidèle à ses sentiments durant de longues années. J'ai d'ailleurs l'impression que, dans tous ces portraits de premier chapitre, c'est bien elle dont la situation est la plus à plaindre. Premièrement, ça ne doit pas être évident de s'acclimater à un groupe aussi soudé que les LG, sans compter qu'ils partagent tous un secret qu'elle n'a fait qu'effleurer tout le long. C'est pas avec elle qui doivent se taper sur les cuisses en se remémorant le bon vieux temps... Deuxièmement, elle n'est pas avec la bonne personne et quoi de plus horrible que de se mentir quotidiennement ? On dirait Odd qui essaie sans cesse avec les filles alors qu'on sait tous très bien qu'il va finir avec un mec Mr. Green

Scène IV.
Citation:
La japonaise sentit quelque chose s’agiter sous son nombril.


Un polichinelle ? Hiroki tonton, Aelita marraine et tout le bordel ?? Ah non, je me suis encore emballé trop vite o/
*Se remémore qu'ils sont tous mineurs*
Wait... ça n'empêche rien.
Plus sérieusement, ça m'aurait plu de voir la longue balade en forêt de Yumi, ça manque d'extérieur tout ça ! Sissi qui y met de la bonne volonté, la japonaise prête à conclure, Odd surexcité (ah ça c'est habituel), ... les ingrédients sont quand même tous réunis pour que cette belle ambiance vole en éclats. C'est d'ailleurs très louable d'avoir pris la peine de décrire en long et en large les situations de chacun avant l'arrivée à la soirée, ç'aurait été dommage de leur rentrer dans le lard sans intro préalable.
...
C'est l'heure des conneries, désolé Rolling Eyes

Citation:
Et si tu m’aidais à faire les pâtes ? proposa Aelita

Spoiler


Toutes mes félicitations Aelita, tu as débloqué le trophée esquive de sujet délicat !

Citation:
Oh non William, chuchota une ombre, trop bas pour être entendue. Nous n’avons même pas commencé.

Spoiler


Bon, je te déteste officiellement pour la scène de fin du chapitre 1 mais, en attendant plus d'infos, on va essayer de se contenir.

Citation:
Odd et Sissi ont disparu

Spoiler


Bravo, tu es officiellement responsable d'une nouvelle pathologie chez moi \o/
Assez logique le cauchemar d'Aelita quand on y regarde de plus près, j'avoue que tu m'as bien eu, je ne m'attendais pas à ce qu'un songe arrive aussi vite malgré l'avertissement. J'aime bien l'idée sous-jacente qui nous pousse à penser que c'est elle qui unifie le tout, ce qui est vrai car sans Aelita un tel groupe ne tiendrait pas sur le long terme si tu veux mon humble avis. Déjà, je doute que Jérémie reste éternellement avec des gamins dont le plus beau représentant est Odd et puis pas sûr que les LG se seraient montrés aussi accueillants envers William et Sissi si la fille de Hopper n'avait pas été là. En effet, c'est surtout elle qui équilibre le groupe, celle envers qui personne ne ressent d'inimitié et qui sait être sérieuse quand il le faut. La bonne amie, en somme. J'apprécie de la voir dépeinte de cette façon, comme une jeune femme qui assume, disons, assez bien son passé tout en profitant de sa situation actuelle néanmoins.

Cette tension lors de la scène du réveil de Yumi... Si avec ça tu n'harponnes pas les curieux, je ne sais pas ce qu'il leur faut !

Citation:
Ulrich eut une grimace de dégoût en regardant le chien déposer un corbeau mort aux pieds de Yumi.


Serait-ce une menace envers le nouvel auteur de la section ? 😱 Marrant la symbolique d'ailleurs, puisqu'on a souvent tendance à comparer l'aînée Ishiyama à un corbeau o/

Citation:
T’es qu’un jaloux, Odd, lança William. Parce que toi, la seule personne qui a envie de t’embrasser, c’est ton chien.

Spoiler


Sur cette touche poétique, je vais conclure. Ceux qui ressortent déjà vraiment dans ce récit, à mon sens, ce sont Odd, Yumi et Aelita. Du moins, c'est ceux pour qui je m'attache le plus facilement à la lecture. Tu maîtrises bien les vannes d'Odd, l'émotion d'Aelita, l'ambiguïté de Yumi. Très beau lancement de projet en tout cas, je suivrai ça de très près car c'est sans conteste le texte qui m'a le plus hypé dernièrement. Plus que n'importe quelle substance aussi, et ça, c'est assez rare pour être souligné.

Au plaisir de découvrir la suite, à très vite j'espère malgré ton édit !
 

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