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[One-Shot] Réparer les vivants

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 Auteur Message
Minho MessagePosté le: Lun 16 Nov 2020 00:39   Sujet du message: [One-Shot] Réparer les vivants Répondre en citant  
[Blok]


Inscrit le: 29 Jan 2016
Messages: 109
REPARER LES VIVANTS


https://zupimages.net/up/20/47/j9ub.png


Le suspect est entré dans la pièce avec un air blagueur et serein. Il s’est docilement laissé mener par le policier, qui l’a finalement obligé à s’asseoir et qui est sorti en fermant la porte derrière lui sans dire un mot. Une fois seule, notre fripouille a mis les mains sur la table, et avec les doigts tapotant sur sa main gauche, semblant suivre le rythme d’une chanson quelconque. Dans le même temps, il regardait attentivement les murs et les coins de la salle, non sans quelque inquiétude naissante qu’il tentait de dissimuler derrière ses sourires succincts et assurés. La « loge » était moins lugubre qu’il ne l’aurait imaginé : la lumière n’agonisait pas dans une ampoule défectueuse et ne concentrait pas toute sa puissance au-dessus de la table pour laisser l’obscurité danser autour. Au contraire, la clarté était totale, presque chaleureuse et le sol au matériau réfléchissant était d’une propreté suspecte, rien à voir avec la porcherie des rues : même ses semelles ne l’avaient pas gâté. Sur un des murs tapait la trotteuse et notre salaud avait donc l’occasion de s’apercevoir que l’attente était objectivement longue et qu’il serait à peine déplacé de considérer malsain de la part de la police de faire attendre ses invités de la sorte, sans boisson chaude ni quatre-heure. Il prenait le temps de chantonner, de siffler assez justement quelques classiques, et de se contempler dans le miroir sans tain (car la réalité recèle quelques clichés). Il ressemblait à ce qu’on lui reprochait d’être, et n’était pas si moche pour un condamné en devenir (c’est bête du coup, il aurait pu vivre une vie de privilégié), même avec ce bandeau à l’œil gauche, qui ne prêchait pas son innocence. De temps en temps il manifestait son ennui par un soupir franchement exagéré ajouté à un croisement de bras exaspéré. À coup sûr, il faisait défiler dans son imagination les différents moyens qu’il pourrait déployer pour répondre aux questions sans se compromettre, et par là il ne faut pas entendre qu’il essayerait de se sauver, non ! C’était peine perdue ; tout le monde dans les médias était persuadé de son implication, même si lui pensait que l’affaire qui se jouait là n’était qu’une formalité et une excuse pour le faire couler définitivement avec sa petite coalition de hippies modernes. A ce stade, seul un imbécile pouvait encore espérer s’en sortir sans un miracle. Un imbécile heureux. Ce jour-là, son but était plutôt de raconter pépère comment il en était arrivé là, sans mentir, car cela l’aurait desservi ; mais, au fond, peut-être priait-il le ciel que l’inspecteur, qui avait déjà eu l’audace de le faire poiroter ainsi, se sente suffisamment cinglé - voire assez humain - pour assommer ou soudoyer les voyeurs, qui se gausseraient dans l’invisibilité du miroir, et pour le libérer discrètement. Car il était comme ça, notre antihéros : c’était un rêveur - vous le verrez plus loin - qui avait eu la mauvaise idée de fonder un grand espoir en l’Homme.
Dans d’autres circonstances, sans doute aurais-je applaudi ce mental d’acier et cette bêtise, mais compte tenu de sa propension à enquiquiner la société, ça ne se faisait pas (et ne saurait pas plus se faire aujourd’hui puisque j’ai les deux mains sur le clavier). Finalement, il a entendu son sauveur lui venir en aide : la porte s’est ouverte et les bottines claquaient sur le sol impeccable. Cependant, j’avoue déplorer la clarté absolue de la pièce, qui m’empêche de ménager le suspense auprès de mes lecteurs. Imaginez : j’aurais pu faire deviner progressivement la silhouette de l’inspecteur américain, le contour de sa cigarette tout juste entamée pour finalement totalement exposer, à la lumière d’une vieille ampoule, les pigments de son pardessus beige, de ses cernes bleu indigo et de sa chevelure brune ébouriffée. Mais je ne voudrais pas mentir ; l’inspecteur, égyptien, était chauve, non-fumeur, vêtu d’un pull en laine, et, chaque nuit, trouvait sans peine ses huit heures de sommeil. Il est vrai que les stéréotypes de fiction, ce n’était pas ma tasse de thé. En revanche, ce que le jeune inspecteur que j’étais adorait, c’était déstabiliser son interlocuteur. A quoi tu penses, Suzanne ? La question que j’ai posée le plus souvent pendant notre mariage, même si ce n’était pas à haute voix, même si ce n’était pas à la personne qui aurait pu y répondre. Je suppose que ces questions jettent une ombre funeste sur tous les mariages : A quoi penses-tu ? Comment te sens-tu ? Qui es-tu ? Que nous sommes-nous fait l’un à l’autre ? Qu’allons-nous faire ? Quelle étrange impression que le couple, qui finit immanquablement par nous faire sentir seuls à deux. Mais bon, faut bien une meuf pour se dégorger le poireau.

The feeling that you're giving really drives me crazy
You don't have a player about to choke
I was at a loss of words first time that we spoke
You looking for a girl that'll treat you right
You looking for her in the daytime, with the light
You might be the type if I play my cards right
I'll find out by the end of the night

J’avais fait mariner le saligaud deux bonnes heures dans cette pièce exiguë avec cette musique en boucle, une technique qui avait fait ses preuves avec des cas précédents, mais qui ne semblait pas avoir été probante cette fois-là, du moins pas en apparence : quand il m’a vu, il était tout sourire et ne semblait pas avoir l’envie de m’adresser quelque reproche concernant mon retard, délibéré. Il était même agréable et poli, mais je me dis toujours aujourd’hui que les plus gros tordus le sont. Revenons à la chanson. Moi aussi, je l’avais entendue. Des journées entières. Pour me forcer à arrêter de bouffer, pour être « désirable » selon les canons de la société. Même un cochon ne veut pas de mon gras selon mes petits camarades de primaire.

Roses are red, some diamonds are blue
Chivalry is dead, but you're still kinda cute
Hey! I can't keep my mind off you
Where you at, do you mind if I come through?
I'm out of this world, come with me to my planet
Get you on my level, do you think that you can handle it?

Je suis en thérapie pour mon trouble de l’alimentation depuis environ trois ans maintenant, dont deux en centre fermé. Il m'a fallu beaucoup de temps pour prendre mon trouble de l'alimentation au sérieux. Je me suis toujours dit d'arrêter de me plaindre, que c'était de ma faute si j'étais gros et que j'avais une relation si difficile avec la nourriture. Je suis vraiment content d’être finalement allé en thérapie.

Mais il y a encore des obstacles. Personnellement, j’aime beaucoup la positivité corporelle : j’essaie d’accepter mon corps tel qu’il est et j’abandonne l’idée que je dois perdre du poids, quoi qu’il arrive. Mais les médecins diront des choses comme: « Dès que vous arrêterez de manger de façon excessive, vous commencerez à perdre du poids. » C’est difficile pour moi d’entendre ces conneries car je ne veux pas me promener avec de faux espoirs et, surtout, je veux arrêter d’être si obsédé par la perte de poids. Tout ce que ces propos font, c'est déclencher des pensées profondément enracinées et malsaines associées à mon trouble de l'alimentation.

Ils ne réalisent pas que j'ai passé toute ma vie à essayer d'être aussi maigre que possible - comme des gens qui se rétablissent parce qu'ils sont en fait trop maigres. Pendant des années, j'ai limité mon alimentation et je passais par des phases où je mangeais à peine, même si vous ne pouviez pas le dire en me regardant.

Les gens pensent que seules les personnes maigres ont besoin de soins de qualité. Vous pouvez même dire que les salles de thérapie sont destinées aux personnes maigres: les chaises sont trop étroites pour les personnes grasses et ont des accoudoirs. J'ai même dû remplir un questionnaire qui me demandait si je me sentais gros. J'ai pensé: « Je le suis », être gros n’est pas un sentiment, c’est une bénédiction pour certains, une malédiction pour ceux qui veulent bien le croire. Quand j'étais adolescent, j'ai traversé des cycles d'alimentation restrictive, de frénésie alimentaire et d'exercice excessif de par mon métier. Une fois que j'ai commencé la thérapie dans cette clinique spéciale pour les personnes souffrant de troubles de l'alimentation, ils m'ont diagnostiqué une hyperphagie boulimique. Quand j'ai rompu avec Yolande et perdu soudainement un peu de poids, les médecins ont pensé qu'il se passait peut-être autre chose. One day u’re fat, the other a ‘skeleton’. Cela a conduit au diagnostic d'anorexie atypique, ce qui signifie que vous cochez toutes les cases pour l'anorexie, sauf l'insuffisance pondérale. Mes comportements destructeurs et malsains - comme restreindre la nourriture et faire de l'exercice excessivement - se sont avérés être les choses que nous encourageons les personnes grasses à faire. La thérapie de groupe était difficile. J'étais la seule grosse personne du groupe et j'avais l'impression que ma silhouette était le cauchemar vivant de chaque personne dans la pièce. Aucun de mes thérapeutes ne m'a demandé ce que cela faisait. Des brindilles et une branche, des merguez et une saucisse de campagne. Six mois plus tard, j'ai commencé une thérapie individuelle - heureusement mon thérapeute et moi nous sommes connectés. Mais il y avait encore des défis. Ils m'ont fait monter sur une balance une fois par semaine, par exemple, dans le cadre du programme. L'idée est de développer une attitude plus neutre à l'égard du nombre sur l'échelle, mais cela a simplement déclenché des pensées malsaines sur les régimes. J’ai mentionné à plusieurs reprises que je ne voulais pas monter sur la balance, parce que l’effet que cela avait sur moi était si grave qu’il a empêché mon rétablissement. Ils m'ont dit que les règles sont des règles pour une raison.
Cela m'a finalement amené à arrêter la thérapie plus tôt. Mais j’ai aussi senti que j’avais guéri de mon trouble de l’alimentation. Quand je suis parti, l’équipe de thérapie m'a dit qu’elle s’inquiétait pour ma santé, car j’avais pris du poids. Mais cela me paraissait parfaitement logique: pour la première fois depuis des années, j'avais commencé à manger normalement.
Lors d'une de nos dernières séances, ma thérapeute a soudainement commencé à parler des risques pour la santé associés à l'obésité, même si elle savait à quel point c'était déclencheur pour moi. J'étais tellement bouleversé que le sentiment de sécurité et de bonheur lié à mon rétablissement a été effacé. C'est ce qui arrive lorsque les soignants utilisent un modèle unique conçu pour les personnes minces.
Adolescent, j'utilisais secrètement mon argent de poche pour acheter de la nourriture - principalement des bonbons - pour manger en secret. Quand j'ai atteint la puberté, j'ai parfois traversé des phases où je mangeais à peine, mais je n'ai jamais réussi à maintenir ça. Alors au début de la vingtaine, j'ai commencé à utiliser des drogues et des laxatifs pour supprimer mon appétit. Je n’aimais pas manger devant les autres, donc je n’aurais pas beaucoup mangé quand j’allais dîner avec des amis, puis je me gavais le visage dès que je rentrais à la maison. Mon poids a incroyablement fluctué et j'ai toujours voulu être plus mince. C'était destructeur. Aujourd’hui, je dis juste « Je préfère ne pas en parler ». Et j’essaie tant bien que mal de me concentrer sur ce taf de justicier.
Revenons au dossier en cours. Cette affaire, plus qu’une petite enquête de province qui n’intéressait personne, concernait en réalité le pays tout entier, en raison de sa médiatisation et de la dimension politique qu’elle revêtait. Il fallait donc la classer au plus vite. Je devais le faire avouer coûte que coûte. On m’avait donné carte blanche sur ce coup, en me prévenant que ce serait sans doute l’interrogatoire le plus risqué de ma carrière et le suspect, le plus imprévisible de tous ; je devais me préparer assidûment et sans doute revoir mes techniques d’interrogatoire. Je ne pouvais pas me permettre d’enchaîner les écueils, et il était important que, le cas échéant, la première erreur ne vienne ni entacher mon professionnalisme ni me troubler un tant soit peu. Ainsi, je gardais mon calme sans penser aux deux heures qui venaient de passer, durant lesquels je l’avais observé de derrière le miroir sans pouvoir déceler la moindre information significative sur son comportement. Tout juste appréhendait-il l’entrevue comme tout citoyen lambda le ferait, un peu ennuyé du retard, curieux et indécis sur le fait de devoir ou non faire la réflexion. Nous nous sommes retrouvés tous deux assis l’un en face de l’autre et je lui ai dicté ses droits et autres bagatelles formelles.
J’ai commencé par la question qui me semblait la plus évidente :
— Savez-vous pourquoi vous êtes ici ou dois-je vous le rappeler ?
— Je suis au courant, monsieur. Hany Sleiman a enlevé la petite Shadya, aujourd’hui introuvable. Je suis suspect en raison de mes accointances passées avec le criminel, qui a été abattu lorsqu’il a résisté à l’arrestation en provoquant une fusillade. L’unique semblant de preuve qui existe me reliant à cette affaire serait une lettre, prétendument signée de ma main, dans laquelle je le sommerais de commettre le méfait. Mais avez-vous jamais vu ce document ? Il y a aussi le témoignage d’Haytham Atiyeh, un ami à moi, à qui je pardonne d’avoir menti - il avait sans doute ses raisons - qui certifie m’avoir vu rôder non loin de la demeure de la jeune fille, quelques jours avant l’enlèvement.
— Vous semblez en savoir beaucoup pour une personne qui s’est prétendue étrangère à toute cette affaire pendant son trajet jusqu’ici.
— Je vous l’ai dit : je n’ai rien à cacher et ne veux pas mentir. J’ai eu ces informations de quelques membres de ma communauté, qui en ont eu vent.
— Oui, c’était une remarque déplacée, vous deviez être au courant de toute façon. Dites-moi, quelles étaient vos relations avec monsieur Sleiman ?
— Il faisait partie de notre groupe, a-t-il dit, mais il l’a quitté il y a maintenant deux ans. Monsieur Sleiman - Isaac, comme nous l’appelions à l’époque - a été écarté de la fratrie en raison de ses excès de colère ponctuels. Il lui arrivait de devenir incontrôlable. Cela nous a profondément blessés de le mettre au ban, mais c’était pour un mieux.
Il parlait bien ; dans une prosodie sans coupe grossière, et sans que sa langue fourche. Depuis le début de l’interrogatoire, il avait la main droite posée sur la main gauche, et pour écouter mes questions, il déviait le regard, orientait légèrement la tête vers la gauche et la penchait en avant, tout en portant le haut de son corps vers moi.

— Quand est-ce que vous avez vu Sleiman pour la dernière fois ?
— Nous n’avons pas repris contact depuis son départ, a-t-il assuré. Croyez-moi, je n’ai aucune raison de mentir. La communauté a été dissoute en raison de cet incident, je n’ai plus rien à sauver sinon la vérité, mais il y a de grandes chances que la justice la torde en trouvant tous les liens, aussi ridicules soient-ils, entre moi et ce kidnapping.
— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— Dieu me l’a dit, inspecteur. Tout cet interrogatoire n’est qu’une mascarade. Vous allez me faire avouer devant la caméra ce que je n’ai pas fait pour accélérer le processus et faire en sorte que le procès ne soit qu’une formalité. C’est chose commune dans ce pays. Vous vous moquez de retrouver la fille, du moins vos supérieurs s’en contrefoutent. L’issue est toute trouvée : on m’emprisonnera afin que la communauté n’ait aucune chance de se reformer. Le véritable problème qui ennuie ceux qui vous emploient et la majorité des gens qui nous combattent, c’est qu’ils voient dans la pratique de notre culte un blasphème dans le leur. S’ils pouvaient torturer chacun des membres, ils le feraient, mais aujourd’hui, il y a une manière moins choquante, plus acceptable, de présenter une injustice au public, et ça passe par la splendeur de cette pièce qui pourrait faire penser que jamais on y a torturé. J’ai tenu à ma liberté, et j’ai perdu. C’est la règle du jeu à laquelle je ne peux rien. Cependant, dites-moi, inspecteur, en quoi est-il pertinent de me faire venir ici, moi qui n’ai plus rien à voir avec Isaac depuis deux ans ? Je ne suis ni témoin, ni plaignant, ni coupable dans cette histoire.
Il était parano. J’étais certes persuadé de sa culpabilité et loin d’être neutre dans l’interrogatoire, mais il n’y avait pas de complot. Je faisais mon boulot, voilà tout. Je l’avais laissé digresser, sans prendre la peine de lui rappeler l’importance de cette lettre et du témoignage qui le liaient indéniablement et gravement à cette affaire, qu’il le veuille ou non. Il semblait ne pas s’en soucier, préférant manifestement les omettre. Je savais que c’était une arme à double tranchant, de le laisser s’exprimer avec autant de liberté : d’un côté, je lui accordais un pouvoir qui le mettait dans une position de supériorité, mais d’un autre côté, il finirait peut-être bien par se trahir. Il fallait retrouver la fillette le plus rapidement possible, et ce serait déjà fait si je ne me refusais pas la torture. Je le regardais attentivement et vins à conclure que de son discours ne s’était dégagée qu’une assurance extraordinaire, celle d’un homme convaincu par ses propos et certain de la bavure dont il clamait avoir été victime, laissant de côté les éléments qui le contredisaient ; autant de caractéristiques propres à ceux que l’on a trop vite tendance à appeler pervers narcissiques. Je savais qu’à ce stade, je n’arriverais à rien en le culpabilisant, même avec ingéniosité, et même si je connaissais l’histoire comme tout le monde, j’ai décidé de le faire parler de sa petite bande pour l’amadouer :
— Voulez-vous bien me parler de vous et de la formation de votre… communauté ?
— Bien sûr, monsieur. Il y a cinq ans, j’étais au marché Khan el Khalili, près de la Mosquée Al-Azhar. Là-bas, une fusillade a éclaté. J’ai reçu une balle à l’œil, ce qui m’a fait tomber sur le dos. Je me suis fracassé l’arrière de la tête sur l’arête d’une marche. J’ai été dans un coma profond, au bord de la mort, et, croyez-le ou non, inspecteur, j’ai connu une expérience formidable. J’étais dans un état de conscience bien différent : mon âme est sortie de mon corps et j’ai pu voyager dans l’hôpital, traverser les murs, écouter les conversations. Je suis passé par un tunnel au bout duquel il y avait une lumière chaleureuse. Une fois arrivé à cette nitescence exceptionnelle, je me suis retrouvé dans un grand jardin à l’herbe d’un vert clair éclatant. Autour, il y avait des champs ; j’étais à Ialou. Là, j’ai rencontré une sorte d’esprit. Son corps n’avait pas de limites bien dessinées ; elles étaient baveuses et filaires, comme si l’entité et l’environnement ne faisaient qu’un. Je savais que je faisais face à quelque chose de plus grand que moi, mais je n’ai pas eu peur ; je me sentais baigné dans un amour absolu et éternel. Cette essence m’a révélé être ce que nous avons la convention d’appeler Dieu. Il m’a dit que l’humanité l’avait déçu, et que si elle persistait, il la frapperait bientôt de trois catastrophes, en allant croissant dans la sévérité, comme un père aimant. Il m’a ensuite montré l’enfer, et j’ai senti toute la douleur du monde me broyer les épaules et les yeux. Finalement, avant de me laisser revenir à moi, il m’a accordé de pouvoir guérir une fois quelqu’un avec un miracle, en signe de bonne volonté. Je suis revenu à moi, je n’ai jamais partagé mon expérience, bien conscient des réactions que cela engendrerait. Quelques jours plus tard, au parc Al-Azhar, il y avait un enfant aveugle qui faisait la manche. Je n’avais pas d’argent à lui donner, mais j’avais l’appui de Dieu. J’ai mis mes mains sur ses yeux, et quand je les ai retirées, l’enfant pleurait. Il voyait la clarté du soleil et apprenait à la supporter. Les gens autour de moi ont reconnu le miracle, et ont choisi de me suivre. D’autres nous ont rejoints et nous avons fini par constituer 124 membres. Nous avions établi domicile dans une ville fantôme et y vivions en autarcie. Chacun avait un nom de membre et un rôle à jouer. Pour ma part, je me faisais appeler Salomon et je m’occupais de l’administration.
— Vous étiez donc ce que l’on appelle un gourou, dans cette communauté, Monsieur Salomon ?
— C’est vous qui dites que je suis gourou, et ce serait à raison si vous ne vous basiez pas sur une définition peu flatteuse. Sachez simplement que je n’ai jamais amassé la moindre pièce pour ma consommation personnelle ou joui de la moindre faveur sexuelle de la part de quiconque. Je n’ai toujours été là que pour partager la parole de Dieu à qui la veut entendre, sans jamais l’imposer à personne. Et c’est d’ailleurs encore en son nom que je suis là.
— Votre Dieu veut donc ce qui se passe aujourd’hui ? Vous ne lui en voulez pas ?
— J’accepte tout ce que souhaite Dieu. Par ailleurs, il vient régulièrement dans mes rêves me faire part de ses projets et de sa déception devant les sévices de l’homme. Savez-vous ce qu’il m’y dit souvent, dernièrement ? « Par trois fois, bientôt, le mois d’avril sera le mois de la faux : d’abord, j’aurai brûlé le champ sacré, ensuite j’aurai pestiféré deux millions de vos bêtes, et finalement j’aurai aspiré le monde ».
— Si vous acceptez tout ce qu’Il veut et qu’Il veut ce qui vous arrive, alors pourquoi continuer de nier la réalité et de mentir ?
— Parce que je ne mens pas, dit-il sans agacement, et qu’il me demande de me défendre en disant la vérité.
Quatre heures étaient passées, et je n’avais rien obtenu. Je commençais à envisager la torture, mais je ne m’en sentais pas capable. Alors j’ai laissé deux-trois autres le tabasser, pendant que je buvais mon café dans le hall. Quand je suis revenu, il avait les deux mains qui saignaient un peu. Mais bizarrement, aucune goutte n’est tombée pour entacher le sol. Je me suis rassis et je lui ai dit : « alors ? »

— Très bien, a-t-il semblé conclure sans façon, je suis satisfait de la conversation que nous avons eue et suis convaincu qu’on ne saura pas aller plus loin sans tergiverser vainement. Inspecteur, vous êtes quelqu’un de bien, vous faites votre travail comme vous pouvez, mais vous manquez d’indépendance d’esprit. Je ne tenais pas à vous convaincre de mon innocence aujourd’hui, mais j’aime à croire qu’un jour pas très lointain, vous repenserez à mon discours, et comprendrez. Je vais vous épargner un restant de discours sans intérêt. Veillez à ce que la caméra soit bien allumée, je regretterais de devoir répéter mon mensonge.
Il s’est redressé solennellement sur sa chaise, gigotant un peu pour se préparer et il a caché ses mains sous la table pour qu’elles soient hors-champ. Il a fermé les yeux longuement et les a rouverts tout autre.
— J’ai contraint Sleiman à kidnapper la fillette, oui. Je lui ai demandé par lettre. Cependant, je ne dirai jamais où elle se trouve et j’espère qu’elle est déjà morte de faim à l’heure qu’il est. Si elle s’en sort, j’irai la retrouver à ma sortie de prison pour aller la désosser, quand bien même je devrais passer au peigne fin tout le territoire égyptien.
Il avait avoué, mais à quel prix ? Nous n’avions pas obtenu l’information que nous recherchions : l’endroit où se trouvait Shadya. Je savais que je n’obtiendrais plus rien de lui et, parfois, il faut apprendre à se retirer ; j’ai fait montre de tout mon dépit. J’étais avachi sur ma chaise, conscient que j’avais échoué et que je ne pourrais rien y faire. D’un coup, un des deux policiers qui regardaient l’interrogatoire est entré pour se précipiter sur le suspect et le rouer de coups de pieds. Pris d’une hésitation de torpeur pendant une dizaine de secondes, je l’ai repoussé finalement. De toute façon, il avait bien usé du temps que je lui avais accordé ; il l’avait vachement amoché. Je l’ai fait sortir et je suis resté avec Salomon.
— Un jour, dit-il en haletant, la figure ensanglantée, j’espère que vous comprendrez que je n’étais qu’un martyr et que le seul point commun que j’avais avec les véritables criminels, c’est la recherche de mon bonheur.
On est venu le chercher. Une fois la porte passée, il m’a déclaré : « Ce que j’ai dit est la vérité ».
J’ai répondu : « C’est votre vérité. Mais quelle est la Vérité ? ».
Il est parti sans prononcer un mot.

Cela fait trente-trois ans. Les cloches sèment dans l'air des poussières de son, la cendre morte des années. Et mon corps est toujours là. Production journalière: 1 litre et demi d'urine, 200 grammes d'excréments, un litre de sécrétion nasale, 14 pets, 15 rots et 10 millions de pellicules de peau. C'est étonnant comme on a vite fait le tour d'un corps. J'ai bougé les jambes, les bras, la tête, je me suis assis, couché, j'ai sauté, j'ai dansé... mais le poids n'a pas bougé.

I'm a big boy I can handle myself
But if I get lonely I might need your help
Pay attention to me, I don't talk for my health
I want you on my team
So does everybody else
Baby we can keep it on the low


Aujourd’hui, trente-trois ans après les faits et l’assassinat d’Issa Al Sadat par le père de Shadya au sortir du tribunal, je mentirais si je disais que la vidéo de l’interrogatoire n’a pas fuité dans les médias, que je n’ai jamais été suspicieux et que je n’ai pas cherché, en vain, à consulter la fameuse lettre. Je mentirais aussi si je disais que jamais je ne repense aux mots vengeurs et marquants de son dieu, qu’il entendait dans ses songes : « Par trois fois, bientôt, le mois d’avril sera le mois de la faux : d’abord, j’aurai brûlé le champ sacré, ensuite j’aurai pestiféré deux millions de vos bêtes, et finalement j’aurai aspiré le monde ». Je mentirais, encore, si je disais que jamais je n’ai mis ce discours en rapport avec deux catastrophes majeures qui ont eu lieu en l’espace d’un an, pendant les mois d’avril : l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame en 2019, et le cap du million de victimes du coronavirus, atteint en 2020. Peut-être suis-je moi-même celui qui nie le réel, ou le lâche qui, dans les dernières minutes de l’interrogatoire, avait fini par connaître intimement la vérité, mais qui savait aussi et surtout qu’il n’aurait de toute façon pas pu défier la toute-puissance des médias bien décidés à punir. Peut-être était-ce l’envie de garder l’espoir de retrouver la fillette qui me dirigeait, mais, finalement, je mentirais si je disais que je ne préfère pas, pour toutes ces raisons, garder d’Issa Al Sadat l’image d’un illuminé, d’un commanditaire, et d’un salaud - mon salaud Salomon parce que cette réalité m’apaise, m’évite de culpabiliser et me permet de revenir sur ces événements avec légèreté. Au fond, s’il y a quelque chose que je veux retenir de l’entrevue, c’est l’air blagueur avec lequel Al Sadat est entré dans la pièce. En y repensant, je comprends que, tout compte fait, le secret pour étouffer les conséquences insupportables d’un drame, c’est de s’en laver les mains dans des sourires résignés qu’on ne comprend pas.
_________________
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StellaeArrente MessagePosté le: Sam 06 Mar 2021 20:04   Sujet du message: Répondre en citant  
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Inscrit le: 08 Aoû 2009
Messages: 146
Localisation: Around Paris
Tu sais qu'en lisant ce one-shot j'me suis aussi dis : Attends il nous mets un peu dans les vibes Les Liens du Sang ?

On ne sait pas trop exactement ce qui ce passe, quel est le contexte qui entoure les personnages et les thèmes abordés vachement différents.
On a ce contraste entre les problèmes d'obésité/anorexie, des conséquences d'une thérapie positives ou négatives.
Et... On a ce fou furieux, ce personnage mystère qu'on ne connait ni d'Eve ni d'Adam, terroriste ou fanatique extrémiste, kidnappeur, tueur très certainement qui se la joue prophète...

Je sais pas à quel moment t'est venu l'idée de mettre en texte des thèmes sur le poids et sur une enquête qui n'aboutit finalement pas (de ce que j'ai compris).
Le mal-être est fort dans ce one-shot en tout cas.

Petit coup de coeur pour la description sur la projection astrale au faite. <3

Le choix du titre, ça par contre je me demande pourquoi. Peut-être que je me base trop sur mon ressentit personnel de la fic, mais qu'est-ce qui est réparé au final ? Est-ce qu'il y a même une réparation ?

Mon salaud salomon ça n'aurait pas été mieux ?

En tout cas si tu veux bien éclairer ma lanterne, c'est avec plaisir.

J'avoue que je trouve dommage qu'il s'agisse juste d'un one-shot, je le vois plus comme le premier chapitre d'une nouvelle série mais bon... Déjà ça fait des années qu'on attends la suite des Liens du Sang, y a aussi Le Bouffon du Roi, ta encore White Mustang... Et ta pas chômé quand ta bossé sur Oblitération...

Donc je vais pas t'en demander encore.

A la prochaine lecture ! ^.^
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