Les divagations d'un mégatank
Tank-Laude s'arrêta, et rouvrit sa carapace. Il prit un peu de temps afin d'observer le paysage, une grande plaine plate parsemée d'arbres qui semblaient être infiniment grands. Quasiment aucun risque de tomber dans la Mer Numérique. Cela faisait deux heures qu'il roulait afin de revoir sa dulcinée. Bon sang, pourquoi devait-elle toujours se trouver à l'autre bout du territoire de la forêt lorsqu'il n'était pas de garde ?
Mais le chemin jusqu'à elle n'était pas encore fini, loin de là. Le mégatank referma sa carapace; le noir se fit, et son système GPS avec localisation en temps réel des obstacles imprévus se mit automatiquement en marche. Tank-Laude avait bricolé une sorte de radar qu'il avait relié à son guide, afin de minimiser encore plus les risques lors de ses déplacements. La lampe à basse consommation interne chauffait lentement, prenant le relais de la lumière de Lyoko. Il voyait déjà sa chère et tendre Tank-Riette sur la carte, mais il en aurait encore au moins pour dix minutes, à moins que quelque Lyoko-Guerrier ne vienne à se présenter devant lui. Il frissonna à cette idée et se remit en route.
Tank-Laude détestait sa condition de mégatank. Il aurait tant aimé être un frêlion ou une manta, rapides et légers, pouvant aller où bon leur semble! Mais non, lui était né dans une famille de mégatanks. Certes, ses parents faisaient partie de la haute bourgeoisie de Lyoko, et X.A.N.A. avait toujours une oreille attentive aux conseils de ses géniteurs. De plus, le Maître affectionnait particulièrement les mégatanks, qu'il considérait comme bien plus disciplinés et aptes à contrer les humains que les autres monstres. Oui, lui-même était respecté en tant que tel; son nom était connu. Il avait ému Les Échos de Lyoko et tout le territoire de la banquise lorsqu'en un seul tir, il avait fait disparaître cinq Blocks des cités de Carthage qui tentaient d'agresser de jeunes Kankrelats. Que l'histoire était clichée quand il y repensait ! Il avait gagné plusieurs duels contre les plus célèbres tireurs mégatanks de son époque, alors qu'il avait trois verres de Mer Numérique dans le système.
Mais il n'était pas bien dans sa peau.
Il avait plusieurs fois songé à sauter dans la Mer Numérique. Disparaître pour toujours. Il l'avait presque déjà fait par erreur; Tank-Laude n'était pas un mégatank comme les autres: il avait la nausée quand il roulait. Alors que n'importe lequel de ses congénères pouvait traverser un territoire entier sans devoir s'arrêter, lui devait faire des pauses régulières à cause de son mal de tête qui l'accompagnait depuis qu'il était jeune. Il lui arrivait pour gagner du temps de fermer ses yeux, ce qui l'empêchait cependant de pouvoir observer son GPS et son radar; et une fois, ça lui a presque été fatal. Mais ses parents ne le pardonneraient jamais s'il mourait.
Et puis il avait Tank-Riette.
Ah, Tank-Riette qu'il connaissait depuis son enfance, à laquelle il avait avoué son amour il y a sept mois à peine. Tank-Riette avec qui il passait les plus beaux moments de sa vie depuis ce jour. Elle se maquillait à peine, juste un léger fond de teint qui la sublimait magnifiquement. Elle était si gracieuse quand elle roulait, et sa voix était si douce...
Son GPS indiqua un mur. Tank-Laude s'arrêta et s'ouvrit. Effectivement, sa seule option était de tourner à droite s'il ne voulait pas faire demi-tour. Sur le mur en face de lui s'étalait une affiche. C'était une pub pour le prochain concert des Tarentules 5 à Carthage. Il détestait ce groupe actuel de musique soit disant pop/rock, et ne comprenait pas comment les jeunes pouvaient l'apprécier. Mais c'était hélas la mode. Leurs paroles n'avaient plus aucune profondeur, les stades étaient envahis par des mantas totalement hystériques... Rien avoir avec la grande époque du rock. Lui préférait les groupes plus anciens comme les Rolling Mégatanks, Rage Against The Humans, les Red Hot Chilli Mantas ou encore Dire Blocks.
Il prit le tournant et décida de rester ouvert, histoire de voir où il posait ses pieds. Oui, Tank-Laude aimait à penser qu'il avait des pieds, comme les Krabes, les Kankrelats ou encore les Blocks. Foutu complexe d'infériorité. Il déboucha sur un sentier étroit, une bande de trois mètres de large, entourée de vide, surplombant la Mer Numérique. C'était les endroits qu'il détestait le plus.
Combien de ses camarades étaient malencontreusement tombés des sentiers après avoir bu trop de Mer Numérique, combien d'enfants avaient perdu la vie par mégarde sur ces platebandes mortelles ? Il y avait pourtant des organisations inter-monstres qui se battaient pour cette cause. Rien que l'année dernière, 1531 monstres dont 987 mégatanks étaient morts de cette façon. Mais X.A.N.A. ne voulait rien entendre. Alors qu'il suffisait juste de placer des barrières d'à peine 50 centimètres de haut pour que les bébés mégatanks ne craignent rien! Mais le Maître préférait laisser cela comme ça, afin que les Lyoko-Guerriers aient plus de chance de tomber eux aussi.
Malheureusement sa voix dans cette cause ne comptait pas. Il n'avait pas, comme ses parents, choisi une carrière de politique, et dans les hautes instances de Lyoko, seuls ces gens-là avaient une véritable influence. De plus, le président de la Fédération Interterritoriale des Mégatanks était un vrai froussard soumis à X.A.N.A., et n'oserait jamais proposer quelque chose que le Maître n'appréciait gère. Et ses parents ? Non. Beaucoup trop conservateurs, à son plus grand désespoir; ils pensaient que le nombre ahurissant de morts sur les routes feraient peur à la communauté, et que l'alcoolisme diminuerait.
Effectivement l'alcoolisme diminuait. Mais pas parce que les mégatanks arrêtaient de boire, plutôt parce que ceux qui buvaient mouraient en tombant! Tank-Laude était de mauvaise humeur à présent. Il savait pourtant que dés qu'il pensait à ce genre de sujets il se fâchait tout seul. Il tira un coup de laser, histoire de se défouler. Une famille de Kankrelats qu'il n'avait pas vue failli être réduite à néant. Il s'excusa platement et reprit son chemin.
Il devait se calmer. Tank-Riette était proche de lui à présent. Il l'entendait déjà qui roulait vers lui. Plus que quelques secondes. Elle apparut enfin dans son champ de vision, et toute sa mauvaise humeur se dissipa.
- Oh Tank-Laude, mon amour, appela la mégatankette de son cœur.
- Je suis là mon chou aux pixels!
Ils se frottèrent l'un contre l'autre amoureusement.
- J'ai fait du plus vite que j'ai pu, mais j'étais dans la montagne, et la tour de passage qui relie les deux territoires est à l'autre bout de la forêt...
- Je sais que tu évites de rouler trop vite pour ne pas avoir mal à la tête et pour ne pas avoir d'amande mon chéri!
- Surtout qu'il ne me reste que 5 points sur mon permis, que j'avais d'ailleurs laissé à la maison... En parlant de ça, j'ai vu un Krabe se faire contrôler, ça a failli mal tourner! Les Frêlions de la Paix se font un peu malmener ces temps-ci...
- Je peux pas les voir en portrait ces Krabes, répondit Tank-Riette en faisant une petite moue. Ils te regardent de haut juste parce qu'ils ont de grandes pattes. Et ils se croient toujours tout permis, juste parce que EUX ils ont eu certains de leurs congénères qui ont été matérialisés sur Terre par le Maître. Quelle arrogance! Quelle suffisance! Les Kankrelats n'en font pas tout un plat alors qu'ils ont été bien plus nombreux chez les humains !
- Calme-toi mon amour, répondit Tank-Laude d'un air amusé. Arrêtons de parler de sujets qui fâchent, veux-tu ? Si tu acceptes on va passer à la maison avant d'aller à la fête organisée sur le désert, il faut que je me change, je ne suis pas présentable!
- Moi non plus de toute façon. D'ailleurs qu'est-ce que tu penses que je devrais porter ce soir ? Une jupe avec un haut ou une robe ?
- Une robe, affirma Tank-Laude sans hésiter, ça te mets toujours en valeur. Par contre ne mets pas celle avec le décolleté plongeant, je déteste quand les autres monstres te reluquent!
La mégatankette rigola:
- Ce que tu peux être jaloux et possessif quand tu veux!
Ils se dirigèrent tous les deux vers leur maison, en parlant de tout et n'importe quoi. Cela importait peu Tank-Laude, du moment qu'il était avec son amour, il se sentait bien.
Finalement, la politique et les questions de société pouvaient bien attendre un peu.