Pensées, Désirs, Revanche
L'homme réfléchissait, tranquillement assis sur le canapé de la maison qu'il occupait en attendant de pouvoir remplir la mission que son employeur lui avait ordonnée. Au bout d'un long moment de concertation intérieure, il se leva et se dirigea vers la cuisine, dans laquelle l'attendaient ses deux énormes molosses confortablement allongés et qui relevèrent la tête en l'apercevant.
Il se mit à sourire, dévoilant une magnifique dentition blanche, et dit d'une voix rauque et grave :
- Ah, vous avez faim je crois ! Et si vous vous battiez pour avoir à manger hein ?
Les deux chiens se levèrent d'un coup sec et commencèrent à battre de la queue, ce qui fit rire le géant qui se dirigea vers le réfrigérateur, l'ouvrit et en sortit deux morceaux de viande rouge de taille extrêmement différente.
Immédiatement, les bêtes s'assirent et attendirent le signal de leur maître ; ce dernier sourit et envoya les deux morceaux au milieu des bêtes, qui se jetèrent dessus en poussant de féroces cris de convoitise.
L'homme observa un instant ses rottweillers se battre pour la nourriture : il les adorait ces deux chiens, même s'il avait une petite préférence pour le plus gros et le plus féroce des deux. C'était d'ailleurs celui qui venait de remporter le combat, laissant le plus petit morceau à Hannibal, le dernier arrivé.
Les deux rottweillers étaient assez différents : Scipion était assez grand, avait un pelage noir foncé, une grande tête large et un museau plat. Son visage portait les traces de griffures et morsures dues à de précédents combats et son œil droit était crevé.
Hannibal, lui, venait de lui être confié par son patron : il était plus petit, avait un pelage noir à la limite du gris, une petite tête et un museau plat comme son confrère. Il n'était pas aussi violent que Scipion et se contentait seulement des restes... enfin, jusqu'à ce que son maître ait fini de lui apprendre tout ce qu'il devait savoir.
Ce dernier se décala et passa de l'autre côté de la table pour retourner dans le petit salon : ces animaux étaient certes sous ses ordres, mais même lui ne les dérangeait jamais pendant leur repas depuis que son patron en avait fait la douloureuse expérience.
Le géant se rassit tranquillement sur le canapé et ouvrit son ordinateur pour voir si le matériel qu'il avait installé pendant toute la matinée fonctionnait bien. Il ouvrit son logiciel et regarda pendant de longues secondes.
Tous les micros placés dans les chambres à Kadic étaient opérationnels, cela fit sourire l'homme qui se leva et se dirigea vers un coin de la pièce dans lequel se trouvait une petite parabole, cachée adroitement, qui lui permettait de capter et de pouvoir écouter directement les micros.
En effet, le géant n'avait pas choisi un appartement luxueux : il se trouvait dans une petite maison désaffectée à proximité du collège Kadic, dans laquelle il avait installé un matériel dernier cri : deux moniteurs de plus de dix mètres, deux antennes paraboliques non visibles sur le toit et deux dans la maison et surtout une rangée de câbles connectées à son ordinateur. Tout cela lui permettait d'entendre le moindre chuchotement ou toussotement de tous les internes du collège qu'il surveillait.
Mais sa meilleure arme était sans conteste le fusil d'assaut posé sur la table : il s'agissait d'un modèle unique jamais mis en production, le XM8, capable de tirer une quarantaine de coups à la seconde ; bref, une petite merveille que l'homme, en fanatique des armes, se devait de posséder.
En effet, ce géant avait comme identité Grigory Nictapolus et était à l'époque un mercenaire employé par les différents gouvernements pour accomplir leurs sales besognes. Maintenant, il était l'un des pontes d'un groupe terroriste... et il accomplissait les tâches que personne ne voulait faire.
Il était plutôt imposant en raison de sa taille, 2m10 au bas mot, mais également en raison de ses muscles et de son nez cassé en permanence, témoignage d'une violente bagarre dans un bar il y a de cela une dizaine d'années.
Il avait des cheveux blonds coupés courts, portait un long manteau noir et des lunettes de soleil en permanence, ce qui masquait ses grands yeux bleus perçants qui avaient la faculté d'intimider instantanément quiconque croisait son regard, constamment impénétrable et intransigeant.
Seul une personne arrivait à le regarder dans les yeux : le terrible « Magicien » appelé ainsi en raison du fait qu'il était extrêmement rusé et pouvait semer facilement même le plus coriace des agents gouvernementaux.
Grigory sourit dans sa barbe et se mit à penser à la mission que lui avait confiée ce dernier : il se doutait bien que son chef la lui avait confié parce que personne ne voulait l'accomplir et pas parce qu'il lui faisait vraiment confiance...
Enfin si, l'homme lui avait fait et faisait toujours confiance, ce n'est pas pour rien s'il était l'un des plus hauts gradés du groupe... Le problème, c'est la notion même de « confiance »...
En effet, Nictapolus était réputé principalement en raison du fait qu'il accomplissait toutes les missions sans poser de questions, même quand il s'agissait de tuer des enfants ou des civils. Pour lui, seule la récompense à la clé était importante. Aujourd'hui, son état d'esprit avait un peu évolué : en effet, même s'il n'éprouvait toujours aucun ressentiment à surveiller des enfants et peut-être les condamner à mort, l'ambition venait de s'ajouter à son panel de sentiments très restreints.
Grigory cessa de sourire brusquement et regarda lentement en direction de la cuisine : Hannibal était tranquillement couché dans un coin pendant que Scipion le surveillait du coin de l'oeil, prêt à se jeter sur lui à la moindre tentative d'attaque sournoise ou au moindre pas de travers.
Nictapolus adorait ses deux chiens essentiellement parce qu'il voyait à travers eux la relation qu'il entretenait avec son patron : une relation pleine de tensions, où l'un avait peur de l'autre et le respecte... En tout cas, c'est ce que « Le Magicien » croyait.
En effet, le géant blond voyait les choses autrement ; pour lui, son patron était certes puissant, mais ne pourrait pas rivaliser avec lui s'il décidait de se rebeller : il voyait en ces deux chiens une métaphore parfaite de lui, alias Scipion, qui n'avait pas peur de son patron, alias Hannibal, et qui n'éprouverait aucun ressentiment à le tuer pour prendre sa place.
Après tout, il avait été engagé pour son absence de sentiments humains autre que l'obéissance, la loyauté et la cruauté... Même si les deux premiers étaient fortement remis en cause maintenant par l'ambition naissante qui jaillissait de son cœur actuellement...
Soudain, il fut interrompu dans ses réflexions par un bruit venant de son ordinateur : une fenêtre d'appel venait d'apparaître. Il cliqua immédiatement dessus sans se poser plus de question et une personne masquée dans l'ombre apparut sur l'écran : seul était visible sur l'écran le bord d'un chapeau, ses mains recouvertes de bagues et deux grosses dents en or visibles uniquement quand l'homme mystérieux ouvrait la bouche.
C'est ce qu'il fit quelques secondes plus tard avant de parler avec une voix rauque et grave, tellement cryptée que Nictapolus n'arrivait jamais à avoir un son net :
- Grigory, le dispositif est-il prêt ?
- Oui Monsieur, répondit le concerné à haute voix dans le micro de l'ordinateur, tout est installé et fonctionne parfaitement !
- Parfait, répondit « Le Magicien ».
Un léger silence s'installa que Nictapolus rompit en demandant :
- Pour ce qui est de notre objectif principal, par qui je commence Monsieur ?
« Le Magicien » ne répondit pas tout de suite, comme s'il réfléchissait ; après plusieurs secondes, la voix cryptée retentit de nouveau dans la pièce :
- Fais comme bon te chante, tu as carte blanche dans cette affaire ! Cependant, j'exige un rapport quotidien de tes progrès... Tu l'enverras via la ligne sécurisée compris ?
- Oui Monsieur, répondit Grigory en serrant les dents, je vais commencer par Robert Della Robbia, il me semble être le plus simple à appréhender...
- Les Della Robbia sont simples d'esprit, commenta l'homme, c'est un bon choix ! Maintenant va et accomplis ta mission, Nictapolus !
Sur ces paroles un poil exagérées, l'homme cessa la conversation et le mercenaire soupira de soulagement.
Son patron commençait à sérieusement l'exaspérer avec ses manières de dirigeant extravagant... Soudain, un rugissement retentit de la cuisine, ce qui fit se retourner brusquement Grigory : Scipion venait de se jeter sur Hannibal et les deux chiens entamaient un véritable combat à mort.
L'homme envisagea un instant de prendre le fusil mais son instinct fut interrompu par le spectacle qui s'offrait à lui et qui lui dévoilait, enfin, ce qui se passerait s'il passait à l'action : un combat inégal remporté haut la main par lui.
Nictapolus éclata d'un gros rire froid et satanique avant de se reprendre et de claquer du pied bruyamment : immédiatement, Scipion cessa le combat et vint se coucher à ses pieds, suivi par son adversaire qui claudiquait et soufflait bruyamment.
Le blond les examina longuement avant de dire d'une voix ferme :
- Restez là et surveillez la maison ! Quiconque essaye de rentrer dans cette pièce, hormis moi, vous le tuez compris ?!
Les deux chiens battirent unanimement de la queue, ce qui fit comprendre à Grigory qu'ils avaient assimilé ses consignes : malgré leur nature d'animal, ils étaient bien plus intelligents que certains êtres humains...
Cette pensée fit sourire Nictapolus qui ramassa doucement son fusil avant de se diriger vers un placard, de l'ouvrir et de récupérer l'instrument primordial pour la réussite de sa mission : une paire de gants très spéciaux capables d'aspirer les souvenirs des gens et de les stocker dans une disquette, cette dernière étant la priorité du « Magicien » qui veut à tout prix la récupérer remplie au maximum de sa capacité...
Soudain, une idée vint hanter Grigory qui redoubla son sourire : il commençait à se demander s'il ne pouvait pas garder la disquette pour lui, et se servir de cela pour faire moyen de pression sur son patron et le faire « abdiquer »... Il en avait les moyens et l'audace mais bon, l'heure n'était pas encore venue... Pour l'instant, il devait remplir la tâche que son maître lui avait demandé... Enfin, la personne qui ne le serait plus dans peu de temps si Nictapolus décidait de le renverser...
Mais cette pensée disparut de la tête du blond qui se concentra de nouveau sur sa mission : après tout, c'était son objectif premier !
C'est donc avec cette idée en tête qu'il se dirigea vers l'entrée de la maison, sortit dans la rue et emprunta tranquillement un passage qui allait le mener droit vers son destin...
**
Hannibal Mago coupa la communication avec son second Nictapolus et soupira bruyamment : il commençait à soupçonner une certaine... dissidence chez lui, comme s'il doutait de ses objectifs... Il serait peut-être temps de le remplacer par quelqu'un de plus soumis...
Le chef de l'organisation secoua brusquement la tête en se rendant compte de ses pensées : non, c'était sa paranoïa qui reprenait le dessus et faisait en sorte qu'il doute même de son plus proche lieutenant... Enfin, Nictapolus lui-même n'échapperait pas aux mesures d'usage de l'organisation...
Mago enleva lentement son chapeau et ses bagues qu'il posa tranquillement sur le côté de son bureau, avant d'appuyer sur un bouton caché sous ce dernier et de dire d'une voix forte et puissante :
- Memory, dans mon bureau tout de suite !
Quelques secondes après son appel entra une jeune femme rousse d'une quarantaine d'années, habillée en vert de la tête aux pieds, avec un gros collier en or autour du cou et un phénix gravé sur son tee-shirt.
Hannibal se mit à sourire et dit d'une voix suave, tout en montrant ses deux dents en or :
- Active le programme de surveillance de l'ordinateur de Grigory ! Je veux savoir tout ce qu'il cherche...
- Mais Monsieur, intervint la jeune femme, vous ne faites pas confiance à Nictapolus ?
- Si, mais on ne sait jamais... Même nos plus fidèles alliés peuvent nous trahir et j'en sais quelque chose... Donc fais-le ! ordonna Mago en claquant son poing sur le bureau.
Memory se mit au garde-à-vous et sortit rapidement de la pièce, tout en faisant sourire Hannibal qui l'observait tranquillement, sans se gêner...
L'homme n'avait aucun scrupule à observer scrupuleusement son agente, d'autant plus que son passé était trouble : elle était en effet le seul rapport avec sa vie d'avant, à l'époque où il s'appelait James Hollenback...
Mago cessa brusquement de sourire en repensant à cette époque où il avait intégré le projet Carthage à seulement 16 ans : c'était là qu'il avait connu Memory, alias Anthéa Hopper...
Et c'était surtout là que Waldo Schaeffer, une personne qu'il respectait énormément et pour qui il éprouvait une sincère affection, l'avait trahi en détruisant ce pour quoi Hollenback s'était battu pendant toutes ses années...
C'était à partir de ce moment précis que le jeune militaire avait disparu pour devenir l'homme qu'il était aujourd'hui, à savoir un criminel cruel et intransigeant à l'image de ses ennemis et de ses sbires... Exactement comme Grigory Nictapolus, c'était sans doute ce pourquoi les deux hommes travaillaient maintenant en commun...
Plongé dans ses souvenirs, Mago prit doucement une tasse de café qu'il porta à sa bouche tout en continuant à ressasser son passé : il avait fait enlever Anthéa, qui était devenu la froide Memory suite à l'effacement de sa mémoire par Nictapolus.
Hannibal se mit à sourire en se souvenant de l'invention que Walter Stern, son ancien sbire, lui avait concocté : ces gants effaceurs de souvenirs étaient à l'époque une petite merveille et il avait réussi à en fabriquer un modèle permettant de les récupérer, ce dont son homme de main avait besoin pour accomplir sa tâche...
Le souvenir de Stern lui étant revenu en tête, il posa sa tasse et claqua son poing de rage : même une quinzaine d'années après, il se souvenait encore de la trahison de Walter Stern, son intermédiaire dans la capitale française, qui l'avait sournoisement lâché...
Brusquement, Mago se leva et posa sa tasse de café : ceci était derrière lui, il devait désormais se concentrer sur son plan, qui était à deux doigts de réussir... enfin, sauf si un autre de ses sbires décidait de le trahir...
Hannibal avait subi tellement de trahisons dans sa vie qu'il était devenu un poil paranoïaque, redoutant tout le monde... Seule Memory avait sa totale confiance, étant donné qu'il la contrôlait comme si elle n'était qu'un ridicule pantin... Enfin, techniquement, c'est ce qu'elle était, en effet...
L'homme s'avança tranquillement et se dirigea vers la fenêtre, en détaillant son large bureau du regard : l'endroit était très grand et décoré avec des tapisseries brodées du symbole de son organisation sur les murs.
Tout dans cette pièce respirait la bourgeoisie, du bureau en bois de chêne au gigantesque écran géant qui servait aux vidéoconférences en passant par la gigantesque porte en bois d'ébène au plancher fait dans un matière qui évoquait fortement l'argent. Cela montrait également le caractère de Mago, vu que des portraits de lui à différents âges étaient accrochés sur des coins dépourvus de tapisseries et que son symbole était présent partout, même sur son bureau.
Il était assez fier de sa réussite, même s'il l'avait obtenu de manière illégale : James Hollenback était né dans une petite ferme avec des parents pauvres, son alter ego Hannibal Mago était lui né dans un gigantesque manoir placé sur une colline, en Suisse... Tout cela, c'est tout ce dont il rêvait en étant enfant, et ses souhaits étaient désormais réalisés...
Mago s'arrêta devant la large fenêtre en verre et contempla le panorama qui lui était offert : une gigantesque plaine recouverte de neige et bordée de montagnes toutes plus hautes les une que les autres. Il baissa un peu les yeux pour observer la cour intérieure de son manoir, qui était gigantesque et au milieu de laquelle trônait fièrement une fontaine gelée en forme de phénix, comme tout dans l'habitat de l'organisation.
A côté de celle-ci, Hannibal put voir ses sbires, tous vêtus de vert, se battre vigoureusement dans la cour enneigée.
Il était très content de la troupe de mercenaires combatifs qu'il avait su dénicher : l'entraînement intensif de Nictapolus les avaient transformés en véritables machines de guerre, prêtes à se sacrifier pour réussir la mission que la Green Phoenix leur avait confiée... Et cette mission allait bientôt arriver... En effet, dès que Grigory serait revenu avec la disquette, l'opération pourrait vraiment commencer et ils domineraient alors le monde !
Certes, son objectif était un peu cliché mais tout génie qui se respecte doit avoir une pensée et un idéal à la hauteur de son intelligence...
Mago sourit, dévoilant de nouveau ses dents en or, et se détourna pour s'approcher d'un grand miroir trônant fièrement au fond de la pièce qui servait de lieu de travail et de gestion pour le terroriste... car, en effet, ce que Hannibal admirait le plus, c'était lui-même ; le chef de la Green Phoenix s'arrêta devant la glace et se détailla longuement du regard.
Il mesurait 1m95, avait de longs cheveux noirs coiffés en brosse et des yeux verts amandes cruels et arborant en permanence une expression neutre, pour que personne ne puisse voir le sadisme débordant dans toute la personnalité du bonhomme.
En effet, Hannibal n'hésiterait pas à sacrifier tous ses hommes pour que son diabolique et ultime plan puisse arriver à terme...
L'homme éclata alors d'un rire puissant, froid et transpirant le sadisme, qui dura pendant de longues minutes. Une fois son éclat de joie passé, Mago retourna à son bureau et remit son chapeau et ses bagues : en effet, seule Memory avait le privilège de voir l'homme sans accessoires, même son bras droit Nictapolus n'y avait pas le droit.
Soudain, l'homme perdit son sourire narquois habituel qui se transforma en expression calculatrice quand il se parla lentement à lui-même :
- Schaeffer, cette fois, c'est la fin... Ta fille et ses amis vont décéder et tu ne pourras rien faire pour nous en empêcher... Quand à Dido... ton heure viendra également...
Hannibal fit une petite pause, s'humecta les lèvres avec sa langue et conclut son petit discours :
- Quand la Green Phoenix contrôlera le monde, tu seras la principale personne à souffrir... Avec Walter Stern et toutes les personnes qui se sont opposées à moi... !
Le terroriste se dirigea alors vers la sortie de son bureau, tout en repensant à son plan parfait : il franchit rapidement la porte et se dirigea, tout comme son second, vers son destin...