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[One-shot] Un autre que moi

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 Auteur Message
Minho MessagePosté le: Mar 10 Nov 2020 23:21   Sujet du message: [One-shot] Un autre que moi Répondre en citant  
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Inscrit le: 29 Jan 2016
Messages: 109
Spoiler


UN AUTRE QUE MOI


Un dernier regard septuagénaire jeté dans l’eau du fleuve, mais il ne pourrait plus s’agir de faire le moindre vœu ; l’heure n’est plus à l’espoir, car dans ma traversée du long pont en bois qui mène à mon antique musée, privé d’avenir, je ne réfléchis qu’au présent et au passé. Je réfléchis à toutes ces années que je n’ai pas vues se lézarder comme les remparts délaissés d’un seigneur seul et sans suite ; je pense à ce que j’ai réussi ou failli devenir avec l’expérience, mais surtout à mon mentor, associé et ami Odd, dont je reviens de l’enterrement, et qui ne tuera plus volontiers le temps aux affaires de comptabilité, de compagnie et d’entretien du musée comme il l’a fait pendant plus de cinquante ans. J’avais seize ans quand je l’ai rencontré. Je sortais tout juste d’un traumatisme édifiant : la destruction de ma maison et la mort de mes parents. J’étais par conséquent tout ce qu’il restait de ma petite famille et, sans doute en raison de l’état de choc, je ne me souviens même plus de comment je m’en suis sorti. Le feu avait pris dans le garage, paraît-il, mais je n’ai jamais voulu m’informer davantage sur les circonstances ; j’avais besoin d’un nouveau départ et faire une croix sur mon passé m’était difficile, mais salutaire. Odd m’y a aidé en me recueillant. Ancien explorateur, il avait lui-même changé de vie après une vilaine blessure au pied qui l’avait rendu infirme pendant quelques mois. Pendant son rétablissement, il avait perfectionné ses compétences en guitare, et à la fin de sa convalescence, il s’est reconverti en conservateur free-lance d’un musée d’un nouveau genre. À cette époque, en effet, cela faisait déjà quelques années que l’on pouvait lire dans les journaux et sur internet qu’un nouveau type de musée avait fait son apparition en Occident : le Musée Cordial. Ce nouveau concept, importé des États-Unis, proposait de fonder des établissements éclectiques consacrés à l’exposition d’objets qui étaient chers au gérant, et qui l’avaient profondément marqué dans son existence. À l’ère des réseaux sociaux et du culte du moi, ce n’était pas étonnant de les voir pousser comme des champignons et, très vite, les conservateurs ont pris coutume d’installer leur résidence personnelle aux deux ou trois derniers étages. Odd s’était prêté au jeu, passionnément, et avait intitulé son bébé le Ka-musée, en référence à la notion de Ka, qui désigne grossièrement l’âme d’un être humain dans la mythologie égyptienne.
Je l’ai rencontré pas bien longtemps après l’incendie. J’avais fui le lieu du drame et je courais sans savoir où j’allais. J’ai fini par arriver sur les abords du fleuve, à quelques centaines de mètres de ma maison. J’ai vu un homme assis sur un banc de métal qui me regardait ; il avait déjà les cheveux excentriques et le regard perçant, le jeune Odd. Mais a-t-il au fond jamais connu la vieillesse ? Sur sa peau saignait la lumière orangée du crépuscule et à son cou pendait un appareil photo muni d’un immense objectif. Moi, j’étais encore haletant de peur et ces yeux qui me suivaient ne m’inspiraient pas confiance. Comprenant qu’il m’intimidait, il a dirigé son regard sur l’horizon couchant, et s’apprêtait à parler. C’est comme si c’était hier. Aujourd’hui, en ce dernier dimanche du mois de mai, il fait chaud, les oiseaux chantent, le ciel est d’un bleu régulier et l’eau du fleuve que je regarde en marchant est claire et fluide. Autant dire que le temps ne semble pas vouloir partager ma peine en perturbant les humeurs de la nature. Mais après tout, on ne demande pas au bourreau de pleurer : c’est bien le temps qui a déposé sur les mains de Odd les premières dunes ; c’est lui qui a asséché les terres de son crâne et fendu en virgules celles de sous ses yeux. Au fond, je pense que, comme le disait Odd, le grand horloger dont parlait Voltaire, ce Dieu qui est là sans qu’on le voie, n’est autre que le Temps lui-même.
— Quel beau temps, a-t-il dit, j’adore les couchers de soleil de cette période de l’année.
Il a pris son Canon en main, et l’a porté à son visage. Quelques oiseaux s’échappaient au loin, comme prêts à percer les nuages aux nuances ocre, et le vieillard les suivait attentivement d’un œil accroché. Il a pris la photo et a doucement déposé son appareil contre son torse avant de le lâcher. Il n’a rien dit, n’a rien fait paraître. Avait-il capturé un beau cliché ? Je n’en avais aucune idée. Il m’a de nouveau regardé, mais cette fois-ci avec une complicité telle que cela m’apaisait.
— Comment t’appelles-tu ?
J’ai répondu.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
Je me suis longuement confié.
— Bon, allons-y, a-t-il conclu.
J’arrive maintenant sur le domaine du musée sur lequel débouche le pont : c’est un grand terrain. L’établissement, haut comme un immeuble, renferme dix étages et est entouré d’un parc où sont plantés çà et là quelques arbres. C’est d’ailleurs à l’ombre de l’un d’eux que j’ai reçu mon premier baiser un soir d’hiver, mais passons... Les oiseaux, eux, continuent de chanter, et, de part et autre de la route de pavés de devant l’entrée, les fleurs sont joyeuses : les jonquilles et les soucis ne se sont jamais aussi bien portés. Je sens sur mon visage le feu, le poids et les railleries du printemps qui frappent fort. Je passe les portes automatiques qui s’ouvrent sur la salle d’accueil au bout de laquelle se tient l’ascenseur. Il n’y a personne, ici, hormis un employé zélé qui me salue depuis l’accueil. Malgré tout, je vois des fantômes, et plus que jamais, j’ai une envie soudaine de les enlacer et d’observer les pièces de mon musée avec une attention absolue, comme s’il s’agissait de la dernière fois. La toute première fois que je suis rentré dans le musée, une étrange sensation s’est emparée de moi. À peine a-t-on accordé la tutelle à Odd qu’il m’a emmené visiter son musée… Je n’avais jamais été au musée, moi, si ce n’est une fois, avec l’école. Mais tout me disait que celui dans lequel je venais de mettre les pieds était unique : des murs de marbre violacés, un sol en béton poli d’une propreté presque suspecte, des bancs blancs, un comptoir noir. Je ne saurais même pas dire aujourd’hui s’il s’agissait de couleurs qui s’accordaient bien ou pas, mais quelque chose de surréaliste s’en dégageait. C’était un drôle de rez-de-chaussée pour le dire sans trop descendre dans les détails. Je monte les marches. Elles se sont fissurées avec le temps, mais ont globalement tenu. Le niveau un, aux murs et au sol complètement noirs, est consacré aux photographies de Odd, bien protégées sous des vitrines rectangulaires. Sa dizaine d’appareils photo et sa vingtaine d’objectifs y sont aussi exposées. Il faut dire que, lorsqu’il était encore grand voyageur, il ne manquait pas une occasion de « saisir l’instant ». Il y a toujours eu un certain cliché qui m’intriguait : un polaroid flou, où l’on distinguait quelques touches jaune orangé. Pendant longtemps, Odd a réussi à me faire croire qu’il s’agissait d’un scarabée d’or immortel qu’il avait très maladroitement photographié en Égypte, et qui l’avait suivi jusqu’ici pour, depuis, veiller sur le musée. C’est le seul étage qui appartienne encore à Odd. À mes dix-huit ans, j’ai hérité du musée et on a échangé les rôles : il est devenu mon assistant (mais ça ne l’a pas empêché de continuer à m’interdire de me rendre dans le grenier, dont il m’avait toujours refusé l’accès). Il m’a laissé refaire toute la disposition du musée comme je l’entendais, avec mes propres souvenirs, et j’ai tenu à ce qu’un pan lui reste consacré à lui seul. Les murs, donc, ont gardé leur ardoise d’antan et servent encore aux visiteurs d’immense tableau où inscrire tout ce qui leur passe par la tête. Aujourd’hui, je pose ma main sur la vitre qui abrite des photos du temple d’Abou Simbel et du quartier Kabukichō. Je les contemple attentivement et m’imagine comme je peux les souvenirs de Odd (imaginer un souvenir…) : quel était son état d’esprit à l’époque ? Comment voyait-il les choses ? A-t-il assez profité ? M’étais-je aussi bien occupé de lui dans sa vieillesse qu’il s’était occupé de moi dans ma jeunesse ? Il a déjà répondu à toutes ces questions, pendant les soirées que nous avons passées ensemble devant la télévision, autour d’un jeu de société ou dans la salle de projection du dernier étage, sous l’intrigante trappe, mais aujourd’hui, j’ai comme l’impression que les souvenirs s’effritent, et que je les perds.
Pourtant, cela semble impensable d’oublier toutes ces sensations. Surtout la baise. Avec lui, c’était comme prendre le volant d’une Rolls-Royce après avoir passé des années à conduire une Kia. C’était découvrir la couleur après une vie passée en noir et blanc, Monroe après Mansfield, Margaux après HobNob, Uber après Tinder. Une seule giclée sous la langue suffisait. La rapidité de l’effet, la puissance choc, la qualité de l’envol. Oui, cela pouvait être dangereux : à un moment, on se retrouvait hors de son corps, flottant au-dessus de lui. C’était l’excitation d’une ultime chevauchée et il fallait être un excellent jockey pour ne pas être désarçonné.

Je gagne le deuxième étage : avant, c’est ici que Odd partageait ses œuvres musicales préférées avec, à chaque fois, une note apposée où il donnait son avis. Il avait vraiment vécu avec son temps : il adorait autant Maurice Chevalier que Charles Aznavour, Johnny Cash, David Bowie, Therapie Taxi ou des artistes plus récents. Et autant dire qu’il ne laissait aucun genre en reste : variété française, jazz, rock, hip-hop, country ; tout lui plaisait. Aujourd’hui, c’est dans cette même salle que j’expose des objets de mon enfance en tous genres, dont certains albums, justement. Il y a entre autres des lettres, billets d’entrée (musées, parcs d’attractions, concerts …), livres, bulletins, journaux de classe, tous accrochés aux murs dans des cadres et accompagnés d’une fiche explicative. Chaque page peut être consultée. Dans les vitrines, il y a quelques piles de jeux vidéo, des jeux de société, de vieilles bottines. Bien sûr, rien de tout cela ne date d’avant mes douze ans. De ce temps-là, rien ne subsiste… et c’est étrange, cette sensation qu’il en sera bientôt de même pour tout le reste.
— Qu’est-ce que vous avez fait aujourd’hui, à l’école ? m’a demandé Odd tandis qu’il venait de poser le journal qu’il lisait assis dans le canapé.
— J’ai eu un échec en math, ai-je répondu avec les larmes aux yeux. Je suis désolé…
Il est venu vers moi et m’a pris dans ses bras pour me réconforter comme un père. Il a ensuite pris sa guitare et a tissé quelques notes tandis qu’une araignée se reposait sur sa toile, en écoutant son arpège : « I’m on your side/ Oh, when times get rough /And friends just can’t be found/ Like a bridge over troubled water/ I will lay me down. » En haut, au troisième niveau, une seule œuvre est présentée et elle l’est en mémoire d’un événement charnière dans l’histoire du musée et de ma vie : une nuit que Odd dormait profondément, j’ai fait un tour du musée, comme il m’arrivait de le faire occasionnellement, pendant mes rares insomnies. Quand je suis arrivé au troisième étage, j’ai vu cette énorme fissure dans le mur, qui serpentait d’un coin à l’autre. Devant cette cruelle métaphore de l’inéluctabilité du temps qui passe, qui s’ajoutait à mes divers problèmes de harcèlements scolaires et à une crise existentielle, je suis devenu fou et j’ai voulu foutre le feu au musée. Oui, c’est bête, pour si peu. J’ai remonté les étages avec les yeux bestiaux et les ai redescendus, un Zippo à la main. J’ai pris le premier objet inflammable que j’ai vu ; comme c’était la bibliothèque publique de Odd, j’ai eu l’embarras du choix et les conséquences ne pouvaient qu’être dramatiques et irréversibles. Heureusement, Odd m’avait entendu pleurer dans ma course jusqu’au briquet, et m’avait suivi. Il m’a empêché de faire la plus grosse bêtise de ma vie. Depuis ce jour, par défense, je me suis promis d’éviter autant que possible de penser au temps qui passe. J’ai eu du mal à me pardonner ce que j’avais pensé faire et Odd, évidemment, est resté méfiant un moment. Je l’avais trahi dans mon égoïsme, mais avec mes piètres qualités de bricoleur et les conseils de quelques professionnels généreux, j’ai sculpté dans le bois un grand scarabée pour m’excuser. Pour je ne sais quelle raison, ce cadeau a permis à Odd de comprendre qu’il pouvait me refaire confiance et, depuis le réagencement du musée, c’est le seul objet exposé au troisième étage, au milieu du calme, et devant la fissure qui n’a fait que se creuser davantage. Le quatrième étage, l’ancienne salle de tennis de table (Odd adorait ce sport), concerne aujourd’hui un de mes loisirs principaux, que j’ai développé dans mon adolescence : les aquarelles. Je m’y suis mis par hasard, pour essayer. En fait, non, pas vraiment. Comme c’est le cas pour beaucoup de lubies, celle-ci m’a été inspirée par une fille… c’était une histoire d’amour qui n’a pas duré longtemps et qui m’a surtout appris à vivre seul, mais la passion, elle, a perduré. J’aimais beaucoup représenter les colibris et les piverts, deux espèces d’oiseaux que j’ai toujours trouvées fascinantes et qui ont élu domicile dans le parc, où je les observais. J’imagine que certains allaient et venaient, tandis que d’autres partaient pour toujours. Je me souviens de ces deux amis. Mes deux seuls amis, en fait. Ils étaient les seuls à me comprendre en plus de Odd. C’est avec eux que je passais mon temps libre l’après-midi, avant de rentrer, à dix-huit heures. Parfois, je les invitais à dormir. On s’est perdus de vue, bien sûr, quand ils ont été contraints de changer d’horizon. L’un a repris le boulot de pilote de bateau de croisière de son père et passe sa vie sur l’océan ; l’autre a repris l’hôtel de ses parents, situé bien loin, tandis que moi, je reste là, dans mon propre autel. Aujourd’hui, quand même, je m’interroge : pourquoi n’avons-nous jamais pris la décision ni le temps de nous retrouver ? Lequel est à blâmer ?
J’arrive au cinquième. C’est le pan consacré à une passion que j’ai contractée dans ma quarantaine : le modélisme ferroviaire. Je me souviens que j’avais découvert ce concept dans un magazine et ça m’avait fasciné. J’ai pris plus de vingt ans pour imaginer et créer le chemin de fer d’une petite ville côtière, et le résultat final occupe aujourd’hui toute une pièce. J’importais les éléments directement du Japon, parce qu’ils étaient plus solides qu’en Europe. Ils étaient aussi forcément plus chers, alors je devais souvent économiser. C’est entre autres pour cela que la durée de construction a été si longue. En tout cas, tout ça me rappelle ma première expérience en train : avec l’école, on allait passer un après-midi dans un parc d’attractions et, en y repensant, c’était sans doute l’une des plus belles journées que j’ai vécues. Aujourd’hui, amèrement, je regarde mon œuvre et m’imagine contemplant l’horizon, installé dans le minuscule train miniature enraillé sur le trajet éternel, et, au fond, je comprends que je ne suis pas beaucoup plus grand, et ma vie pas beaucoup moins balisée, si je me fie à l’échelle du monde. Oui !

L’univers est immense, et j’en rendais compte à mes visiteurs au sixième étage rempli d’objets en rapport avec l’astronomie : télescopes, oculaires, photos du ciel, fiches techniques. Quand j’étais jeune, il m’arrivait souvent de regarder les étoiles jusque tard le soir, couché dans l’herbe du parc. C’était un acte à la fois humble et apaisant, de se rendre compte de notre petitesse et du silence de la nuit. Comme pour beaucoup, la première constellation que j’ai repérée était celle d’Orion. J’ai petit à petit appris à me repérer dans le ciel : Sirius dans le prolongement de la ceinture, le Lion sous la Grande Ourse, les Pléiades près du Taureau. Plus tard, j’ai fait des recherches approfondies, notamment relatives à des aspects plus physiques et chimiques. Je m’étais pris d’une véritable sympathie pour ce domaine, au point que l’idée de faire des études en astrophysique m’était passée par la tête, mais j’étais conscient de mes grosses lacunes. Par conséquent, j’ai arrêté l’école à mes dix-huit ans pour reprendre le musée. Je dois dire qu’il m’arrivait de douter : j’aimais Odd comme personne et je ne l’aurais abandonné pour rien au monde, mais, parfois, je rêvais d’autre chose ; voyager comme il l’avait fait, découvrir l’ailleurs ; mais lui était trop vieux, et moi, sans doute trop terre-à-terre. Le dernier étage ouvert au public est sans doute le plus important, parce qu’il s’agit de la vidéothèque que nous avons établie ensemble, Odd et moi. Ce niveau nous lie plus que jamais ; le cinéma était notre passion commune. Sur les murs, il y a des posters de nos œuvres cinématographiques préférées, plutôt anciennes pour la plupart, encadrés et alignés parfaitement : Parasite, Shutter island, Joker 2, Interstellar (le remake sorti en 2026). Rien qu’à voir ces affiches, j’ai une envie soudaine de regarder un film. Je me tâte ; j’ai l’embarras du choix parmi les près de quatre cents Blue-Rays disponibles. Je consulte quelques-unes des fiches que nous avions faites, comme si ça allait vraiment m’aider à faire mon choix ; c’est finalement plus un prétexte pour revoir la magnifique écriture calligraphiée de Odd, à laquelle je me rappelle avoir essayé en vain de me confronter plus jeune. Je me décide à laisser le hasard choisir : je prends un DVD à l’aveuglette, et j’appelle l’ascenseur pour me rendre directement au dernier étage. Dans l’ascenseur, je me retourne pour me regarder dans le miroir qui reflète une vieille connaissance. Une torpeur m’envahit et je me revois petit garçon : les cheveux blonds ébouriffés semblant danser comme des flammes à chacun de mes mouvements, les lunettes toujours un peu de travers, et les yeux bleus comme deux saphirs propres. Je m’aperçois alors que je n’ai pas pris conscience à temps que l’existence humaine était aussi fugace ni que la porte de l’ascenseur s’était déjà rouverte depuis un bon moment. J’entre alors dans la salle de projection. Le jour où Odd me l’a montrée, il y a plus de cinquante-cinq ans, un élément m’a titillé : la trappe du plafond. Je me demandais ce qu’il y avait dans ce grenier. Plus tard, j’ai interrogé Odd, qui m’a dit qu’il n’y avait rien en particulier et m’a, dans la foulée, formellement interdit d’essayer d’y monter, certifiant que c’était dangereux. Toute ma vie, j’ai combattu cette curiosité latente et pas trop agressive, mais aujourd’hui, mon état d’esprit fait qu’elle s’exacerbe et qu’il me devient difficile de la contenir. Je crois que Odd m’autoriserait à y accéder et, de toute façon, j’ai toujours été têtu. Et puis, je pourrai enfin dire que je connais le moindre recoin de mon musée.
Décidé, je déverrouille la trappe en actionnant le levier ; elle se laisse tomber et découvre des escaliers escamotables. Je monte. Je vois des caissons réfrigérés, remplis de ce que les étiquettes qualifient de bobine de nitrate. J’ai l’impression d’avoir trouvé un trésor ; qu’est-ce qui inquiétait Odd ? Je prends un caisson et le descends, aussi rapidement qu’on le peut à soixante-et-onze ans ; je rembobine au hasard. Trop vite : une étincelle s’excite ! Surpris, je donne un coup malencontreux dans la bobine qui tombe et va rejoindre les autres pour s’enflammer ensemble. Le feu se propage vite à travers toute la pièce. Je comprends que c’est la fin du film. Acculé, et sans issue, je suis contraint de remonter au grenier, où je m’enferme. À travers le vasistas, je vois la pleine lune et je prends le temps qui me reste pour compter les étoiles comme on compte les moutons, tout en me rappelant ma vie, mon musée, et en espérant secrètement un miracle : mes deux amis d’enfance partis il y a longtemps, peut-être viendraient-ils m’aider à combattre le feu, car moi, je sais… je crois que j’aurais été là pour les faire sortir ou, au moins, pour sauver les meubles. Mais… oui, c’est vrai : moi, je suis cuit et je n’ai plus qu’à espérer qu’on épargne mon passé. Si l’on se souvient assez fort de moi, les flammes s’apaiseront peut-être avant d’avoir tout réduit en cendre. Mais même si ce miracle a lieu, je sais qu’un jour, quand le pont aura trop connu la dégradation du temps et de l’inattention, l’incendie détruira tout, et cette fois-ci, l’ardeur fleurie des cierges funéraires n’épargnera rien ni personne, pas même le scarabée d’or qui veille au grain. Que le destin fasse ce qu’il a à faire ; pour ma part, j’ai fait mon office.
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Silius Italicus MessagePosté le: Mar 19 Jan 2021 16:16   Sujet du message: Répondre en citant  
[Krabe]


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Localisation: à l'Est d'Eden
Bonjour très cher Minho,

Ainsi, nous vous avons laissé seul deux mois durant ? Il faut s’employer à corriger cela.

Une remarque liminaire sera qu’en fait les musées cordiaux existe déjà plus ou moins, ou en tout cas ont existé sous la forme de cabinet de curiosité. Là, le propriétaire des yeux entassait maints objets pour le plaisir des yeux de ses invités, objets révélateurs de son goût et de sa personne.

C’est un texte intéressant. Le thème est évidemment celui de la nostalgie et du temps qui a passé, mais la manière de l’aborder est plus original. La forme du musée que l’on remonte comme on remonte à travers les souvenirs. Le parallèle entre la progression physique et le pèlerinage mémoriel est assez bien vu et donne une jolie perspective. A mesure que le narrateur remonte dans le musée, il remonte aussi dans ces souvenirs. A noter, cette remontée n’est pas temporelle. Elle ne va pas des souvenirs les plus anciens d’Odd vers les plus récent (ou le sens inverse d’ailleurs). C’est une remontée thématique qui va de l’extérieur vers l’intérieur, du public vers l’intime. D’ailleurs, les derniers étages du musée sont interdits au public. Ils restent des lieux d’exposition, mais sont réservés à des happy fews que l’on sait être de plus en plus réduit. D’ailleurs, le dernier étage est réservé à Odd lui-même. Et remontant dans le musée, le narrateur croise de plus en plus de lui-même et de moins en moins d’Odd : tantôt ce sont des étages à lui, tantôt des étages conçus comme réceptacles de souvenirs ou d’activité à deux. En partant d’Odd, le lecteur en est venu au narrateur, avant de revenir à Odd. Une dernière fois. Une ultime fois. Ce grenier, ce sont les derniers secrets, les dernières facettes privées de l’intimité d’un homme (un petit Oncle Ernest en somme). Consumées avant même d’être connues. Odd restera un mystère : il a vécu, s’est consumé, laisse les cendres de ses souvenirs derrière lui.

Car le feu est l’autre thème majeur. C’est lui qui permet la rencontre entre le narrateur et Odd, lui qui représente et aliment leur relation, lui qui a failli y mettre fin, lui qui clôt le récit : un cierge ne brille jamais aussi fort qu’en ses derniers rayons. La vie d’Odd et de son compagnon était comme un feu, et le feu réduit en cendre, à la fin, même les souvenirs sont brulés, et ils sont brûlés précisément dans un ultime éclat, dans une ultime tentative de vivre encore, de savoir plus.

C’était en effet là le tout de la vie du narrateur. Il a organisé toute sa vie et son être à travers Odd qui était à la fois son ami, son amant, son mentor, sa famille… Le début du texte laissait à entendre une relation de type disciple et maître. Le narrateur aurait été le dernier disciple d’Odd, celui qui allait partager sa vieillesse, mettre en ordre ses papiers, assurer et faire vivre l’héritage. Mais en fait, il était bien plus le compagnon d’une vie entière et en même temps, le fanboy absolu, la glace qui dix ans après reste les yeux rivés sur la grande personne.

C’est peut-être là qu’une réserve se glisse dans le texte. Car à bien y réfléchir, la relation entre Odd et le narrateur semble toxique. Le narrateur est adopté à douze ou seize ans, il semble y avoir une possible incohérence du texte là-dessus. Ensuite, il passe sa vie entière avec, par et pour Odd. Il a beau dire que la plupart des étages du musée n’appartiennent plus à Odd, il est toujours question de ce dernier au fur et à mesure de la remontée. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le dernier étage, le plus intime, l’étage de l’origine en somme soit un étage privé d’Odd. On ne peut que se demander si les échecs amicaux, et possiblement amoureux ne sont pas lié à cette fixation sur le grand homme. Ce dernier avait d’ailleurs sans doute dix ou vingt ans de plus que le narrateur, donc même en admettant une rencontre et adoption à seize ans (et pas une émancipation ?), la possibilité d’être face à un cas d’abus est assez présente. Après tout, Odd disparaît, ses souvenirs mettent le feu et emportent avec eux le narrateur, qui n’as pas d’amis qui viendraient le chercher et le sauver. In fine, le narrateur n’était-il pas un Odd de substitution ? Un autre que lui-même ?

Une possibilité d’interprétation supplémentaire du texte se dégage à partir de là. Le narrateur n’est en effet autre que quelqu’un qui a passé sa vie à se dévouer à un autre. Métaphore d’un auteur qui se concentrerait trop sur un personnage alors que ce qui peut en être dit est infini ? Que le personnage échappe toujours à son ou ses auteurs, a toujours une part cachée ou à inventer ? Les étages du musée ne sont-ils pas autant de textes déposés là, rangés. Textes composés au fil des affinités personnelles de l’auteurs. Ces textes donc parle du personnage, le révèle, mais sont autant de portrait brisé qui reflètent le personnage, de même que les salles les plus personnelles dans le musée du narrateur, tout en étant représentations muséales des goûts du narrateur sont le reflet et le portrait d’Odd : elles respirent Odd. Cet appréciation et recherche du personnage de fiction ne finit-elle pas par isoler et consumer l’auteur ?

Un jour le temps emportera tout. Il emportera le pont qui donne accès au musée. Le temps dévore tout en effet, y compris la passion. Un jour ces textes, cet amour du personnage ne seront-ils pas exsangues sans force ? le personnage ne se sera-t-il pas trop éloigné de l’auteur, devenant trop lointain et différent d’accès ? Faut-il alors prendre garde à ne pas se faire consumer trop tôt, avant que ne vienne le jour ?

Cette interprétation s’appuie essentiellement sur le paratexte d’introduction.

Cela étant, c’était un bon texte, très plaisant à lire. Le thème est bien traité, la fin est assez surprenante tout en étant logique. Au niveau du style, il faut noter quelques phrases et tournures assez recherchées, et de manière assez caractéristique pour du Minho, une insistance sur les visages et les corps, mais d’une manière plus poétique que d’habitude. C’est un autre point notable du texte. Si on le rapproche de vos autres textes sur le forum, outre une mélancolie plus marquée qu’à l’habitude, et sans amertume, on trouve aussi un style qui s’est fait plus poétique qu’auparavant. Là où il tendant à osciller entre le réaliste et le fantasmatique, voir le fantastique. Il sera du reste intéressant de voir si ce style nouveau perdurera et comment dans vos textes à venir.

Au plaisir de vous retrouver dans d’autres textes en ce Royaume.
_________________
AMDG

Prophète repenti de Kane, vassal d'Anomander Rake, je m'en viens émigrer et m'installer en Lyoko.
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Minho MessagePosté le: Mar 19 Jan 2021 17:28   Sujet du message: Silius Italicus Répondre en citant  
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Inscrit le: 29 Jan 2016
Messages: 109
Merci beaucoup pour votre très beau commentaire sur un Un autre que moi, vous sublimez le texte Wink

Minho

Edikorih : on se serait attendus à voir flooder un autre que toi surtout...
_________________
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StellaeArrente MessagePosté le: Sam 06 Mar 2021 19:46   Sujet du message: Répondre en citant  
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Inscrit le: 08 Aoû 2009
Messages: 146
Localisation: Around Paris
Bon on a comprit : Odd c'est le grand amour de ta vie.

Sinon j'aime toujours autant ton style, j'crois même j'en suis amoureuse.
LMAO

C'est un bon OS, j'ai apprécié le lire même si Della Robia c'est pas trop ma tasse de café.
Ta encore réussi à me surprendre, les dernières lignes je me suis dis : Noooooon, WTF, c'est pas vrai, c'est volontaire ? Involontaire ? WHAT ?

Belle chute.

J'ai pas autant de choses à dire que @Silius Italicus, si ce n'est que, et c'est mon avis personnelle... J'aurais inversé les rôles.

Le narrateur qui n'a pas de nom aurait été ce Odd fanstamé, ce Odd de tous les âges. Et Odd ton perso que tu approfondis en y rajoutant l'expérience Lyoko. Mais peut-être que ce n'était pas ton intention, et que c'était là tout l'intérêt du titre ?

J't'avoue que un moment j'me suis posé la question sur cette relation et si elle était pas un peu pédophile, et quelle était cette relation au final. Y a un peu cette idée des personnages qui ont tout vécus, tout vus, tout connus, tout traversé.
M'enfin c'est qu'une impression.

Anyway, thank u for writting this !
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The urge To feel
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