Mes paupières sont closes.
Je ne ressens que la douce torpeur mélancolique de celui qui ne ressent plus rien.
Si j’avais un dernier sursaut d’énergie, un seul, je pourrais prendre conscience de mes doigts toujours serrés sur mon arme de fortune. Je pourrais sentir la dureté du sol sous mon dos, la froideur de quelques gouttes dans mon cou, là où Sissi pleure.
Ah oui, je pourrais entendre Sissi murmurer « Mon Ulrich » aussi.
Je préfère sombrer. Accroché au visage de celle qui, avec un peu de chance, est à l’abri.
Yumi.
***
Plus tôt dans la journée
Yumi Ishiyama avait déjà quitté son lit lorsque son réveil sonna. Assise sur le rebord de sa fenêtre, les genoux entre les bras, elle avait froid, malgré le pull noir au col roulé remonté jusque sous son nez. Ses yeux sombres regardaient les maisons voisines, leurs guirlandes de chauve-souris, leurs citrouilles ridicules encore plongées dans une obscurité qui masquaient leur sourire grossier.
Yumi n’avait jamais aimé Halloween. Au Japon, le 31 octobre était un jour comme les autres, si loin du O-bon. Comme les voisins étaient pathétiques avec leurs citrouilles ! Ils n’avaient jamais vu la beauté des
toro nagashi, ces lanternes disposées sur les eaux pour guider l’âme des morts.
Les Ishiyama n’avaient pas eu besoin d’interdire à leur fille de fêter l’évènement, malgré la déception d’Hiroki. Il avait eu beau faire des pieds et des mains pour la convaincre de venir avec Johnny et lui courir les rues en déguisements de vampire, elle avait refusé. Yumi trouvait stupide cette manie de vouloir faire peur, de se déguiser en mort ou en monstre.
Niveau monstre, XANA l’avait assez servie, merci.
Les yeux de Yumi se posèrent devant le portail de sa propre maison. Là où Ulrich avait failli mourir en venant à son secours suite à l’attaque de Krabes dans le monde réel.
Ulrich.
La japonaise descendit de sa fenêtre et alla éteindre son réveil. En temps normal, elle était plus rapide mais l’absence de ses parents la faisait tourner au ralenti. Pourquoi cela lui pesait-t-il aujourd’hui ? Après tout, ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait seule avec son frère.
Quand on parle du loup, songea Yumi alors qu’on frappait à la porte de sa chambre.
Avant qu’elle ait pu donner une réponse, Hiroki entra, les yeux à moitié fermés.
- Tu devrais mettre ton réveil encore plus fort, c’est pas comme si on était en vacances, ronchonna-t-il.
- J’ai cours avec Michael dans une heure, il faut bien que je me prépare.
- Mais t’es déjà habillée ! Et tu vas pas me laisser tout seul !
- Hiroki, tu es en cinquième maintenant, tu ne vas pas pleurer comme un bébé parce que tu restes deux heures tout seul !
Le garçon ronchonna à nouveau sans protester pour autant. Yumi attrapa le sac préparé la veille, dans lequel elle avait glissé un livre de japonais et un paquet de bonbons. Après tout, même si elle n’aimait pas Halloween, Michael était un gentil garçon, attentif, poli, et surtout, gourmand. Elle pouvait bien faire ce petit geste pour lui.
- Retourne te coucher ou va prendre ton petit-déjeuner mais ne reste pas dans ma chambre, avertit Yumi en voyant qu’Hiroki reste à la fixer.
- Tu vas voir Ulrich ?
Yumi en resta bouche bée. Un picotement familier lui confirma qu’elle rougissait et elle s’exclama :
- Quel débile ce frère !
Le visage d’Hiroki s’illumina d’un sourire victorieux. Il suivit sa sœur jusque dans la cuisine à grand renfort de « Yumi est amoureuse, Yumi est amoureuse ! ». Pour une fois, la japonaise ne s’emporta pas. Au contraire, elle regarda son petit frère pour lui annoncer droit dans les yeux :
- Effectivement, je suis amoureuse. On se mariera dès qu’on aura dix-huit ans. Tu veux être mon témoin ?
Hiroki fut si choqué qu’il ne trouva plus rien à répondre, ce qui eut pour effet immédiat de faire rire sa sœur. Le petit-déjeuner se déroula dans un silence total, Hiroki regardant Yumi avec les sourcils froncés comme s’il pouvait devenir télépathe et deviner si oui ou non, elle se moquait de lui.
- A plus, p’tit frère !
- Ouais, compte là-dessus !
Le sourire aux lèvres, Yumi quitta la maison, non sans avoir auparavant enfilé un long manteau noir et une écharpe assortie. Les doigts cachés par une paire de gants, elle se dirigea à grands-pas vers le centre-ville. Michael n’habitait pas loin, une dizaine de minutes tout au plus, mais le froid qui s’était abattu sur la ville était inhabituel pour une fin d’octobre. En outre, Yumi avait du mal à se défaire du pressentiment qui l’avait réveillée au beau milieu de la nuit.
Pourtant, depuis quelques mois, elle avait toutes les raisons d’être heureuse. XANA avait disparu, leur groupe était resté aussi soudé que durant leur vie de Lyoko-guerriers, ses notes avaient connu une ascension fulgurante, elle avait plus de temps pour Hiroki avec qui elle s’entendait mieux, elle donnait des cours de japonais à un jeune collégien adorable, ses parents n’avaient jamais paru aussi heureux.
Et il y avait Ulrich.
Un frisson bien différent de ceux du froid parcourut le corps de Yumi.
- Salut.
Un sourire apparut sur le visage de la japonaise. Parfois, elle se disait qu’Ulrich était télépathe. Comment faire sinon pour arriver chaque fois qu’elle pensait à lui ?
Pas très difficile, chuchota une petite voix dans sa tête.
Tu penses tout le temps à lui.
Yumi se retourna et son cœur s’accéléra. Elle se sentait toujours plus douce, plus ouverte, plus vivante, quand Ulrich Stern était face à elle. La fin de leur lutte contre XANA avait fait du bien au samouraï. Il avait gagné en sourire ce qu’il perdait en nervosité et trouvé un courage insoupçonné pour enfin avouer son amour à Yumi, sûrement inquiet de revoir William dans les parages.
Le « copain et c’est tout » avait volé en éclats, pour le plus grand plaisir de Odd qui avait manqué réveiller l’internat par un « ENFIN ! » que tout le monde pensait.
La main de Yumi se glissa instinctivement dans celle d’Ulrich. Elle n’était pas beaucoup plus tactile qu’auparavant. La confiance et la complicité qu’elle partageait avec lui étaient suffisantes à son bonheur.
- Alors, tu vas rejoindre mon rival ? plaisanta Ulrich alors qu’ils marchaient d’un pas plus lent.
- Et toi, tu viens me surveiller ? rétorqua Yumi du tac-au-tac.
- Pure coïncidence. Kiwi est malade, je suis chargé par son maître vénéré d’aller acheter je ne sais plus trop quel médicament.
- A huit heures du matin ?
Ulrich rougit et ses doigts serrèrent un peu plus fort ceux de Yumi.
- Une heure de sommeil, ce n’est pas grand-chose de sacrifié pour te voir.
***
Jérémie Belpois ouvrit doucement la porte du gymnase. Précaution de discrétion inutile : avec son casque, Aelita Stones n’avait aucune chance de l’entendre. Les yeux fermés, la tête marquant le rythme de la musique, elle était d’une beauté saisissante. Le simple fait de la regarder fit rosir Jérémie qui, une fois de plus, songea à toutes les épreuves traversées pour en arriver là. Les nuits blanches passées sur la matérialisation de son ange aux cheveux roses, les journées devant l’écran de son ordinateur pour la protéger, elle, leurs amis et le monde.
Mais elle surtout.
Jérémie avança vers la table de mixage sur laquelle Aelita passait toutes ses matinées depuis le début des vacances. Kadic avait été particulièrement déserté cette année pour la Toussaint et la jeune musicienne disposait du gymnase à sa guise. Toutefois, elle le délaissait chaque après-midi pour profiter du calme de l’établissement avec Jérémie et les autres.
Sans que sa petite amie ait remarqué sa présence, le surdoué s’avança jusqu’à elle, se glissa dans son dos et lui tapota l’épaule. Elle sursauta à peine, consciente qu’elle avait encore perdu la notion du temps.
- C’est déjà l’heure d’aller manger ? s’étonna-t-elle tout de même en reposant son casque.
- Nous ne sommes pas pressés. Kiwi n’est pas en forme, ça inquiète assez Odd pour lui couper l’appétit.
- A ce point ?
- Tu connais Odd : il panique dès que Kiwi a quelque chose.
Aelita sourit, l’esprit encore à moitié occupé par le nouveau morceau qu’elle était en train de composer. Elle quitta le gymnase aux côtés de Jérémie, déjà plongé avec passion dans un discours sur son nouveau programme.
Ce ne fut qu’une fois au réfectoire que le jeune homme s’interrompit. Odd les attendait et tout dans son attitude trahissait l’impatience.
- Quand même ! C’est pas trop tôt ! Kiwi est tout seul dans la chambre alors je dois me dépêcher de manger !
- Ulrich n’est pas là ? demanda Aelita.
- Tu rigoles ? Il mange en ville avec Yumi. J’ai déjà de la chance qu’il m’ait accordé quinze minutes de son temps pour sauver mon Kiwi !
- Odd, arrête d’exagérer.
- Je vous jure, j’ai peur ! S’il ne va pas mieux cet aprèm, je l’emmène chez le véto !
Jérémie remonta ses lunettes sur son nez. De toute façon, il était presque certain qu’Odd cherchait n’importe quelle excuse pour sortir. Quitter son train-train quotidien. Il était le seul à avoir souffert de l’extinction du Supercalculateur. Certes, ses notes s’étaient améliorées et, comme ses amis, il était passé en seconde sans problème. Sauf qu’il avait vite ressenti le manque d’adrénaline lié à Lyoko. Le skate et l’escalade ne suffisaient pas encore à combler ce manque, bien que Jérémie soit persuadé qu’Odd finirait par s’y faire.
Une fois leur plateau rempli, les trois amis se dirigèrent vers leur table habituelle où les attendaient déjà William et Sissi. Une telle image aurait pu paraître factice quelques mois plus tôt mais la bande avait su s’ouvrir aux autres, quitte à faire couler beaucoup d’encre dans
Les Echos de Kadic.
- Ulrich ne vient pas ? s’inquièta immédiatement Sissi.
Trop préoccupé par Kiwi, Odd ne répondit pas, laissant à Aelita le soin d’informer la jeune fille.
- Il est en ville avec Yumi.
- Oh, je vois.
William retint un sourire. Lui qui se croyait obstiné avait découvert en Sissi son maître absolu !
- Tu as un train à prendre ? demanda-t-il en voyant Odd engloutir son repas à une vitesse encore plus impressionnante que d’ordinaire.
- Kiwi est tout seul.
- Le pauvre, je suis sûr qu’il doit dépérir, ce n’est pas comme si ça lui arrivait tous les jours de l’année.
- Mais là, il est malade !
- Si tu veux, tu peux aller chercher quelques sacs plastiques dans ma chambre, proposa Jérémie. J’en ai toujours pour trier mes pièces de robots, ça peut toujours te servir si Kiwi vomit !
- Me parle pas de malheur ! gémit Odd. Mais merci du tuyau, c’est sympa.
Il avala la dernière bouchée de son yaourt et quitta la table sans plus de cérémonie. Depuis son arrivée à Kadic, Kiwi n’avait jamais eu le moindre problème de santé (
si on excluait son petit passage zombie, merci XANA). Odd se sentait pris au dépourvu.
Comme par hasard le jour où il devait aller au cinéma avec Samantha !
Elle ne revenait pas souvent dans les parages et déjà la dernière fois, il avait dû écourter leurs retrouvailles (
de nouveau, merci XANA, songea-t-il). Aujourd’hui, plus aucun programme ne pouvait se mettre entre lui et sa belle. Pourquoi fallait-il que Kiwi tombe malade ?
- Super Halloween ! ronchonna Odd en montant les escaliers. Quand je pense que ça fait trois mois que j’attends la sortie de Paraplégik Zombie 5 !
Il ouvrit la porte de la chambre de Jérémie en marmonnant mais s’arrêta une fois le seuil franchi. Soudain, il oublia tout. Paraplégik Zombie 5, Samantha, les sacs plastiques et même Kiwi.
Un son familier résonnait dans la chambre.
Un son qu’il n’était plus censé entendre.
Et sur l’écran d’ordinateur en face de lui, une fenêtre était ouverte. Fenêtre familière également mais tout aussi incongrue.
Le choc fut si grand que le « t’y crois pas » d’Odd resta coincé dans sa gorge.
- Tour activée ?
***
Malgré le visage neutre de Yumi, Ulrich sentait que quelque chose la tracassait. Malgré son envie de l’interroger, il savait que ce n’était pas en lui posant des questions qu’il aurait des réponses. Aussi se contenta-t-il de manger en silence.
Ce ne fut que lorsqu’ils eurent tous deux fini leur sandwich qu’elle soupira :
- Je ne comprends pas pourquoi Hiroki ne m’a pas laissé de mot. Ça ne lui ressemble pas de partir sans prévenir.
- Ne t’inquiète pas, il trouvera à manger quand il reviendra, c’est le principal, tenta de la rassurer Ulrich.
- Quand même…
Le portable de Yumi sonna et elle fronça légèrement les sourcils en voyant que l’appel provenait de Jérémie. Ils étaient censés se rejoindre dans moins d’une heure, que lui voulait son ami ?
- Allo ?
-
Yumi, t’es avec Ulrich ?
- Oui.
-
Rappliquez à l’usine.
Une vague de froid s’abattit sur Yumi qui éclata d’un rire nerveux.
- T’as rien trouvé de mieux pour Halloween ?
-
Yumi, je rigole pas. Dépêchez-vous.
Avant que Yumi ait pu répondre, Jérémie raccrocha. Ulrich n’eut pas besoin de demander ce qui se passait. Il attrapa son manteau, l’enfila sans réfléchir tandis que Yumi l’imitait. Ce ne fut qu’une fois dans la rue qu’il ressentit le besoin d’obtenir confirmation.
- On va à l’usine ?
- C’est une fausse alerte. XANA ne peut pas être revenu.
Yumi avait conscience que son ton nonchalant ne tromperait pas Ulrich. Pas alors qu’une boule d’angoisse se nichait dans son ventre, écho de la peur qui l’avait réveillée cette nuit.
Ils marchèrent en silence jusque l’usine, empruntant un chemin qu’ils auraient préféré ne jamais refaire. Main dans la main, ils ressemblaient à n’importe quel couple. Yumi tentait de se raccrocher à cette pensée mais elle ne pouvait s’empêcher d’espérer que Jérémie leur faisait une farce pour Halloween.
- On n’a jamais été si long à faire le trajet, remarqua Ulrich avec une pointe de gêne alors qu’ils arrivaient sur le pont. Si l’attaque est sérieuse…
- Elle ne l’est pas.
Ulrich n’osa pas répondre. En revanche, il tira la main de Yumi pour la forcer à s’arrêter et lui embrassa le nez.
- On sera ensemble. Que ce soit pour découvrir qu’Einstein fait une blague ou pour replonger sur Lyoko.
- Je sais.
- On sera ensemble.
Yumi sourit. Les mots qu’elles n’arrivaient pas à prononcer brulaient dans ses yeux et ce fut à cette flamme qu’Ulrich s’accrocha quand Jérémie lança d’une voix morne :
- On a une tour activée.
- Impossible, rétorqua aussitôt le samouraï. On a éteint le supercalculateur.
- Sauf que quelqu’un l’a rallumé.
Ulrich s’en doutait. Il n’avait pas vu Jérémie aussi frénétique depuis des mois, surtout pas dans son fauteuil de l’usine…
- Qui a fait ça ? demanda Yumi.
Elle serrait la main d’Ulrich plus fort que jamais. Aelita ne valait pas mieux, les mains crispées sur l’accoudoir, tandis qu’Odd caressait nerveusement Kiwi. William avait été convié à la réunion mais avait décliné de lui-même pour ne pas attirer l’attention de Sissi. « Inutile qu’elle recommence à se faire des films », avait dit Jérémie.
- Il semblerait que les caméras de surveillance se soient remises en route avec le supercalculateur. Je suis en train de remonter les données et… Oh non. Non, c’est impossible.
Jérémie avait pali tandis qu’à ses côtés, Aelita se raidissait. Le regard qu’elle lança à Yumi suffit à faire paniquer tout le monde.
- Quoi ? s’écria la japonaise. Qu’est-ce qui se passe ?
Incapable de répondre, Jérémie fixa Ulrich. Ce fut donc ce dernier qui s’avança vers l’écran et eut le souffle coupé.
Un spectre était sorti du supercalculateur, effectivement rallumé. Il avait bondi sur la première personne qu’il avait vue.
Hiroki.
Le cœur manquant quelques battements, Yumi observa les images sans les comprendre. Son frère xanatifié. Johnny qui partait en courant. Son frère qui le poursuivait. Johnny qui quittait l’usine. Les deux garçons qui disparaissaient hors du champ des caméras.
- C’est impossible, murmura-t-elle à son tour. Que venaient-ils faire ici ?
- Halloween. Ils ont dû croire qu’ils trouveraient des éléments de costume ou je ne sais pas quoi.
- Mais pourquoi ici ? Hiroki est nul en informatique, pourquoi il aurait touché au supercalculateur ?
- Je ne sais pas, Yumi. Peut-être pour la même raison que moi : la curiosité.
Le gémissement de Yumi fit tomber un silence de plomb sur le petit groupe. Recroquevillée dans les bras d’Ulrich, elle n’avait jamais paru si vulnérable. Personne ne comprenait ce qui se passait, tout allait trop vite, mais les larmes de Yumi étaient les gouttes de trop.
- Je vais sur Lyoko, annonça Aelita. On s’occupe de désactiver la tour d’abord, on s’inquiétera du retour de XANA ensuite.
- Je t’accompagne, se proposa Odd. Jérémie, je sais que l’heure est grave mais…
- J’aurais un œil sur Kiwi, promis. Yumi, tu…
- Je dois aller chercher mon frère.
- C’est dangereux, il est …
- Jérémie, je ne peux pas le laisser ! On ne sait pas ce que XANA compte faire, comment Hiroki peut être utilisé ! Je refuse d’aller sur Lyoko alors qu’il est en danger.
- Je viens avec toi, annonça sans surprise Ulrich. On va le retrouver.
- Hein ? Mais vous êtes fous ? Aelita et Odd ne vont pas aller à deux sur Lyoko, ça fait des mois que vous n’y aviez pas mis les pieds !
- XANA non plus, fit remarquer Aelita.
- Et puis l’overboard, c’est comme le vélo, ça s’oublie pas ! Allez, Einstein, on est partis !
Jérémie se mordit la lèvre. Yumi avait retrouvé sa détermination et Ulrich lui tenait la main avec une expression sans équivoque. Odd avait déjà embrassé Kiwi une dernière fois et attendait devant le monte-charge. Quant à Aelita, il la sentait prête à agir, pleine de cette énergie douce et forte à la fois.
De nouveau, il n’avait pas le choix.
XANA menait la danse et il fallait suivre pour ne pas trébucher.
- On fait comme ça.
***
- Hiroki ?
Yumi entra dans son salon avec la peur au ventre. Elle ne se faisait pas de souci pour elle mais pour son frère. S’il les attaquait, Ulrich se défendrait. Et elle ? Elle ne pourrait que regarder le pire combat de sa vie, incapable d’agir.
- Il n’est peut-être pas là, tenta de la rassurer Ulrich sans pour autant réduire sa vigilance.
- Hiroki ?
- Yumi ?
La voix qui venait de répondre n’était pas celle du japonais mais Ulrich se raidit tout de même. Le corps tremblant, Johnny sortit de la cuisine.
- Yumi ! s’exclama-t-il, les larmes aux yeux.
Le temps qu’Ulrich vérifie dans son regard l’absence du symbole de XANA, le jeune garçon fondait en larmes et se jetait dans les bras de Yumi.
- Hiroki… Il est… il a…
- Je sais. C’est Halloween et il joue un peu trop bien le jeu.
- Il y a d’autres enfants. Ils…
La voix de Johnny fut couverte par le tintement de la sonnette. Par réflexe, Ulrich attrapa un livre posé sur la table basse. Il aurait préféré son sabre mais faute de mieux…
D’un pas lent, tous ses sens en alerte, il s’approcha de la porte, l’ouvrit d’un coup sec.
- Des bonbons ou un sort ?
Une bande de sorcières, dont la plus haute devait faire un mètre trente, le regardèrent avec des grimaces qui se voulaient hideuses, leurs chaudrons brandis dans l’attente de friandises.
- Euh… Ce n’est pas demain qu’on passe pour les bonbons normalement ? demanda Ulrich.
- Non, c’est aujourd’hui ! Alors, des bonbons ou un sort ?
- Désolé, je croyais que c’était demain, j’ai complétement oublié d’acheter ce qu’il faut.
- D’accord. On te jette une malédiction !
L’une des sorcières fit quelques gestes de la main sous le nez d’Ulrich et elles tournèrent les talons en piaillant des mots incompréhensibles.
- Et dire que je faisais ça à leur âge, soupira le samouraï en refermant la porte.
- Il y en a des bizarres, avertit Johnny, les yeux écarquillés de frayeur. Des enfants déguisés mais… avec des drôles de lentilles. Ceux-là, ils font vraiment peur.
Ulrich et Yumi échangèrent un regard. Avant qu’ils aient pu parler, la sonnette retentit de nouveau.
- Elles viennent vérifier si leur sort a fonctionné, soupira le jeune homme.
Il rouvrit la porte, prêt à hausser le ton. Deux garçons déguisés en Frankenstein se tenaient devant lui. Leur visage était caché par un masque qui dissimulait également leurs yeux mais Ulrich sentit tout de suite le danger.
Il ne dut qu’à ses réflexes d’éviter l’éclair qui fusait vers lui.
Recroquevillé sur le sol, il ferma la porte d’un grand coup de pied avant de bondir pour la verrouiller.
- On se tire ! hurla-t-il en jaillissant dans le salon.
Yumi ne laissa pas le temps à Johnny de paniquer. Elle lui prit la main et courut jusqu’à sa chambre. Un bruit de verre cassé la dissuada toutefois d’entrer.
- Ils sont partout ! glapit Johnny, terrorisé.
Les lèvres pincées, Yumi fit volte-face. La porte de sa chambre s’ouvrit sur un Hiroki à l’aura glaciale au moment où elle rejoignait Ulrich dans le salon.
- Le sabre de ton père, où est-il ? demanda le garçon.
- Avec l’armure, dans leur chambre.
Ulrich serra les poings. Il allait devoir affronter Hiroki. Outre le fait qu’il aimait bien le japonais, cela signifiait laisser Yumi et Johnny seuls face aux Frankenstein de la porte d’entrée.
- Je reviens tout de suite.
Ses réflexes de combattants remontaient à la surface bien plus vite qu’il ne l’aurait pensé. D’un saut parfaitement maîtrisé, il esquiva le premier éclair d’Hiroki. Le livre qu’il n’avait pas lâché fusa vers la tête du xanatifié qui n’eut pas le temps de l’éviter. Cela permit à Ulrich de se glisser dans le couloir et de s’engouffrer dans la chambre des parents de Yumi. Il claqua la porte derrière lui, tira une commode en guise de barricade et courut jusqu’à l’armoire pour en sortir le sabre de samouraï qu’il avait déjà vu entre les mains de Monsieur Ishiyama. Comme il l’avait espéré, la lame était protégée par un fourreau. Certes, elle restait redoutable et Ulrich allait devoir maîtriser ses coups. Mais au moins, elle ne serait pas mortelle.
De son côté, Yumi avait du mal à se défendre. Elle avait caché Johnny dans la cuisine juste avant que les deux Frankenstein ne reviennent à l’assaut. Pour l’instant, Hiroki était occupé à essayer de rejoindre Ulrich mais il pouvait à tout moment se retourner vers sa sœur.
D’une roulade, la japonaise esquiva les deux xanatifiés. Sans se relever, elle leur faucha les jambes, ce qui les fit tomber lourdement sur le sol. Elle répugnait à affronter des enfants, ses coups manquaient de force mais elle n’avait pas le choix. Une main se posa sur son épaule et un courant d’énergie la traversa, lui arrachant un cri de douleur. Elle releva la tête et constata que c’était Johnny qui l’attaquait. Hiroki avait dû délaisser Ulrich pour aller xanatifier son meilleur ami.
- Les garçons, arrêtez, promis je fête Halloween avec vous l’an prochain, gémit Yumi.
Hiroki eut un sourire cruel qui ne lui ressemblait pas et leva la main.
Avec un grand cri guerrier, Ulrich s’interposa. D’un violent coup d’épée derrière les genoux, il fit tomber Hiroki, puis Johnny qui avait eu le temps de redonner une décharge à Yumi. Essayant de ne pas réfléchir à ce qu’il faisait, Ulrich frappa les deux garçons à la tête, tâchant d’être le moins agressif possible.
Les xanatifiés restèrent inconscients sur le sol sans qu’il en ressente la moindre satisfaction.
- Yumi, ça va ? s’inquiéta-t-il.
- J’adore me prendre des coups de jus…
- Je crois que je suis le seul de tes prétendants qui n’a pas encore essayé de te tuer, non ?
Yumi réussit à sourire et, aidée par Ulrich, elle se releva.
- Tu crois qu’ils vont rester sonnés longtemps ?
- Au moins, on sait que XANA nous en veut personnellement. Il ne fera rien à Hiroki, je crois que c’est lui seul qui peut contaminer les autres.
- Et Johnny ?
- On ne peut rien pour lui tant que la tour ne sera pas désactivée.
- Alors tu proposes qu’on retourne à l’usine ?
- Surtout pas. Faisons d’abord le tour des rues : si les xanatifiés peuvent tous eux-même xanatifier les autres, il y a des dizaines d’enfants en danger.
***
Debout sur son overboard, Odd avait l’impression de revivre. Il filait sur le territoire banquise à grand renfort de « Yahou » qui réussirent à faire sourire Aelita. Malgré cela, elle restait inquiète. Pas de monstre à l’horizon, pas d’indice sur l’attaque de XANA. Elle n’aimait pas ne pas savoir. L’incertitude avait été trop longtemps leur ennemi pour qu’elle puisse se sentir pleinement rassurée dans ce genre de situation.
- Jérémie, toujours rien ?
-
Toujours rien. Ni sur Lyoko, ni pour Yumi et Ulrich. Mais pour eux, j’aurai sûrement bientôt des nouvelles.
- Tiens-nous au courant.
-
Evidemment.
Aelita se concentra de nouveau sur l’observation du territoire. Elle avait retrouvé avec une pointe de plaisir ses ailes, délaissant l’invitation d’Odd et de l’overboard. Quand elle voyait les figures que l’homme-chat s’amusait à faire, elle ne regrettait pas son choix.
Ils arrivèrent bientôt à la tour activée. Son halo rouge avait gardé le même aspect inquiétant et Aelita frissonna.
Rien n’avait changé.
Qu’est-ce qui pouvait lui prouver que les derniers mois n’étaient pas un rêve ? Peut-être n’avaient-ils jamais détruit XANA. Peut-être étaient-ils coincés dans un entredeux numérique.
-
Odd ! Aelita ! Des monstres, droit devant vous.
- Ouais on a vu ! s’exclama Odd. Cinq pauvres Kankrelats ? XANA ne doit vraiment pas les aimer ! Contre nous deux, ils vont tenir… dix secondes ? Qu’est-ce que t’en penses, Aelita ?
- Je pense qu’il y a un piège.
- Comme par hasard. C’est agréable de travailler avec des optimistes ! Alors, le plan ?
- On fonce quand même dans le tas.
- Hein ?
- Ce n’est pas en restant ici que nous découvrirons ce que cache XANA et si ce n’est pas un piège, on perd du temps pour rien. Go !
- Jérémie, c’est qui la fille que tu as envoyé à la place d’Aelita ?
-
Je me le demande, crois-moi ! Oh non !
- Quoi, un autre monstre ?
-
Euh… si on veut. Kiwi vient de vomir partout.
- Mon pauvre toutou ! T’as raison, Aelita, on fonce, tu désactives la tour et on rentre fissa !
Dans le labo, Jérémie regarda avec dégoût la flaque qui s’étalait sous son fauteuil.
- Kiwi, tu nous aides pas beaucoup là…, marmonna-t-il.
Une fenêtre s’ouvrit, accompagnée de l’image d’un portable. Ulrich.
-
Jérémie ? C’est pas glorieux, ici. On a neutralisé Hiroki et Johnny mais un peu tard, XANA a pris le contrôle d’une pelleté de gamins. L’ennui, c’est qu’avec Halloween, on a du mal à déterminer les enfants normaux et les xanatifiés.
- Il n’y a quasiment aucun monstre devant la tour activée. Je me demande à quoi XANA joue.
-
Vous n’avez pas besoin d’aide alors ?
- Essayez quand même de revenir, on ne sait jamais.
-
Euh… désolé Jérémie, je crois que ça va pas être possible en fait. Je te rappelle !
- Ulrich, qu’est-ce qui se passe ? Ulrich ? Aelita, je viens d’avoir Ulrich, je crois que ça chauffe de leur côté. Et vous ?
Aelita parcourut la banquise des yeux. Odd n’avait eu aucun mal à exterminer les cinq Kanrelats avant qu’elle n’arrive à leur hauteur et rien ne bougeait plus sur le territoire.
- Je ne comprends pas Jérémie, il n’y a pas d’autres monstres ?
- XANA a peut-être besoin de retrouver de l’énergie. D’une certaine manière, il sort de sa phase d’hibernation, il faut qu’il reprenne des forces. C’est peut-être pour ça qu’il s’est attaqué aux enfants et pas aux adultes.
- Pour une fois qu’il nous mâche le travail, on ne va pas se plaindre ! s’exclama Odd. En temps normal, j’aurais bien dégommé une ou deux grosses bouboules mais là, j’ai un pauvre chien malade qui m’attend.
Toujours soupçonneuse, Aelita avança vers la tour et y entra sans problème.
- Attend un peu avant de ramener Odd, Jérémie. J’ai toujours un mauvais pressentiment.
-
D’accord, préviens-moi quand ce sera bon.
Un tintement délicat s’éleva dans la tour lorsqu’Aelita avança sur les cercles. Les yeux fermés, elle s’éleva jusqu’au niveau supérieur et l’interface apparut. Elle y posa la main, attendit et…
Attendit.
- Jérémie ? Je ne peux pas rentrer le code !
-
Quoi, qu’est-ce que tu racontes ?
- Je ne peux pas rentrer le code ! répéta Aelita, paniquée. L’interface me reconnait mais il ne me demande rien. Il reste vide.
-
Oh c’est pas bon ça… XANA a dû rassembler ses forces pour installer une sorte de firewall. Il va falloir que je trouve un programme pour le supprimer.
- Je peux t’aider ?
-
Pas si l’interface ne réagit pas. Il faudrait que tu ailles dans le Cinquième Territoire mais le problème serait sûrement pareil là-bas. Non, pour l’instant, tu restes à l’abri. Odd s’occupera de sécuriser la tour si jamais d’autres monstres arrivent.
- Et Yumi et Ulrich ? Ils sont peut-être en danger ?
-
Je sais, je sais, je m’en occupe.
***
Ulrich vivait un véritable cauchemar. Cauchemar d’autant plus saisissant qu’il n’aurait jamais imaginé que quelque chose d’aussi ridicule puisse lui faire peur.
Dos à dos avec Yumi, il était encerclé par des enfants en costume plus ou moins réussi. Vampires, lycanthropes, zombies, sorcières, diables. Des gamins qui fêtaient Halloween.
A ceci près qu’ils avaient troqués leurs chaudrons et autres sacs à bonbons contre des éclairs mortels.
A l’instar de William lorsqu'il avait affronté toute sa classe et Madame Hertz, Yumi avait déniché une épaisse branche de bois avec lequel elle absorbait l’énergie qu’on lui lançait. De son côté, Ulrich répugnait à utiliser son arme. Il n’arrivait pas à frapper des enfants.
- Ils n’ont pas de parents ceux-là ? gronda-t-il alors que deux fantômes lui sautaient dessus.
D’un coup d’épaule, il en projeta un sur le sol. Il fit tourner le second sur lui-même pour l’envoyer au milieu du groupe, ce qui dégagea une sortie suffisante.
La main de Yumi était déjà dans celle d’Ulrich lorsqu’il s’élança entre quatre momies.
- Où on va ? demanda la jeune fille alors qu’un éclair lui frôlait le bras.
- N’importe ! Il y aura des enfants partout de toute façon.
Comme pour confirmer, un autre groupe se planta face à eux. Avant qu’ils aient pu se mettre en garde, un bruit de moteur résonna sur leur gauche et une voiture déboula dans la rue.
- Enfin quelqu’un ! soupira de soulagement Yumi.
- Euh… je ne serais pas rassuré à ta place, rectifia Ulrich.
Il venait d’apercevoir le visage de William au volant, aux côtés d’une Sissi survoltée.
- J’aurais préféré quelque chose de plus efficace mais on ne va pas faire la fine bouche, grimaça le samouraï.
La voiture s’arrêta à leur hauteur et il entraina Yumi à l’intérieur sans réfléchir. William repartit dans un hurlement de moteur, visiblement aussi stressé que fier de lui.
- Jérémie nous a dit que vous aviez besoin d'un coup de main. Juste à temps, non ?
- Un peu avant, ça aurait été bien aussi, reconnut Yumi avec un sourire.
- Depuis quand tu conduis ? demanda Ulrich, soupçonneux.
- Conduite accompagnée, mon pote ! Vu que ce quartier est désert, je ne pense pas croiser les flics de toute façon.
- Conduite accompagnée ? Mais tu n’as pas pu avoir le temps de rentrer chez toi prendre ta voiture, si ?
- Non, confirma Sissi, c’est celle de mon père. On n’avait que celle-là sous la main. Tu fais attention, hein ?
- J’essaye, ne me met pas la pression !
- Le plus dur, ça va être de blesser personne, signala Yumi en voyant les enfants qui semblaient sortir de nulle part. Ils vont essayer de nous empêcher de passer et on ne peut quand même pas leur rouler dessus…
- Je fais ce que je peux.
Le klaxon hurla sans faire réagir les xanatifiés. Les lèvres pincées, William slalomait comme il pouvait entre eux mais il apparut vite que continuer à avancer dans ses conditions était impossible.
- Qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on fait ? glapit Sissi.
- On court !
William pila. Sa portière s’ouvrit violemment, heurtant des enfants qui tombèrent sur le sol. Sissi les regarda avec une pointe de tristesse mais ne s’arrêta pas pour les aider.
- Dégagez ! hurla-t-elle, son sac à main brandi comme une massue.
- Yumi, file à l’usine avec William, ordonna Ulrich alors qu’ils n’étaient pas encore sortis de la voiture.
- T’es malade ? Je ne pars pas sans toi.
- Odd et Aelita vont sûrement avoir besoin d’aide. Si Aelita se fait dévirtualiser, on ne pourra plus désactiver la tour.
- Mais… William…
- Tu préfères demander à Sissi ?
- Pourquoi on ne les laisse pas gérer l’affaire tous les deux ici pendant qu’on va sur Lyoko ?
- William sera plus utile contre des monstres que contre des enfants. Il risque d’en blesser sérieusement si le combat s’intensifie.
Yumi ne put protester davantage. Sa portière s’ouvrit et dans un réflexe qu’elle regretta presque, elle envoya son poing dans le torse d’une gamine. Sans prendre le temps de réfléchir, elle se retourna vers Ulrich.
- Sois prudent.
Il hocha la tête et alors qu’il allait sortir de la voiture, Yumi lui attrapa le poignet pour le retenir. Il la regarda, ses yeux parlèrent et ils s’embrassèrent fugacement.
- Bon courage.
- Toi aussi.
Ils jaillirent de la voiture chacun de leur côté. Ulrich se réceptionna dans une roulade, frappa une paire de jambes et courut vers Sissi qui assommait avec plus ou moins de délicatesse les enfants qui l’entouraient.
Quant à Yumi, elle effectua une roue magnifique qui la fit à la fois esquiver un éclair et la rapprocha de William.
- Ulrich et Sissi vont faire diversion, nous on va sur Lyoko !
- Donc le supercalculateur a bien été rallumé ?
- Trop long à t’expliquer. On y va.
***
- C’est pas vrai mais c’est pas vrai ! s’emporta Jérémie.
Ses doigts volaient sur le clavier sans qu’il réussisse à trouver un programme valable. Il s’en voulait tellement ! Tout ce temps a cogité sur un logiciel de statistiques visant à améliorer les performances de Kiwi 2. Il aurait dû prévoir qu’un incident de ce genre était possible ! Il aurait dû profiter du répit offert pour mettre en place des alarmes, des protections.
C’est déjà une chance que le superscan soit redevenu tout de suite opérationnel, songea-t-il.
A moi de faire en sorte qu’on ne soit pas distancés.
- Aelita, toujours rien ?
-
Toujours rien. Pourquoi, tu as lancé le programme ?
- Non, je ne trouve pas. Et toi Odd, toujours rien ?
-
Toujours rien. Comment va Kiwi ?
- Il fait la sieste.
-
Je ne vais pas tarder à l’imiter si ça continue !
- Oh non, Odd, tu portes la poisse ! gémit Jérémie en voyant des points rouges apparaître sur ses écrans. Une escadrille de Frelions et trois Krabes. XANA reprend ses esprits on dirait.
-
Euh… Bon bah, je m’en occupe.
- Je t’envoie du renfort. Enfin, je vais essayer.
Jérémie tapa quelques chiffres. Ulrich. Répondeur.
Oh non, j’espère qu’il ne se passe rien de grave…
Nouveaux chiffres. Yumi.
-
Jérémie ?
- Yumi ! Ulrich a un problème ?
-
Il est resté avec Sissi pour distraire les enfants. Aucun ne nous a suivis. XANA a du mal à revenir à l’attaque visiblement.
- Pas tant que ça. Odd va vite être dépassé sur Lyoko.
-
On est sur le pont.
- Génial !
Quelques minutes plus tard, William et Yumi apparaissaient sur la banquise.
- Supersmoke ! s’exclama le jeune homme avant même que l’overwing ne soit apparu.
Il disparut dans un nuage de fumée qui fila droit devant lui.
- Jérémie, je crois que William a gardé des marques de son passage chez XANA.
-
Tant que ça nous aide… Tiens, voilà ta bécane, fonce !
Sans perdre une seconde, Yumi sauta sur l’overwing et démarra plein gaz. Elle arriva juste à temps pour voir Odd se faire dévirtualiser. Il ne restait plus qu’un frelion et deux Krabes.
- Il a fait du bon boulot ! s’exclama la geisha. De toute évidence, le manque d’entrainement ne le touche pas !
-
Je le féliciterai pour toi.
Yumi lâcha les commandes de l’overwing pour attraper ses éventails. Alors que le véhicule finissait sa course vers le dernier Frelion qui l’évita de justesse, elle lança ses armes en direction d’un des Krabes. Les deux manquèrent leur cible et elle grogna.
- Génial, j’ai l’impression de devenir une pure débutante.
-
Tu vas vite te dérouiller, t’en fais pas.
Yumi rattrapa ses éventails juste à temps pour bloquer un tir de Krabe. De son côté, William esquivait plus qu’il n’attaquait. Cela lui paraissait si étrange de revenir sur Lyoko ! Son arme lui semblait lourde, ses mouvements lents. Il gardait dans un coin de sa mémoire le souvenir d’une gloire impressionnante, de capacité de combats stupéfiantes, mais il ne parvenait pas à les concrétiser. Il était Cassandre, porteur d’un immense savoir inutile.
Il fut le premier à être touché. Le tir du Frelion l’atteignit à l’épaule et il utilisa aussitôt sa Supersmoke, décidé à montrer à Jérémie et Yumi qu’il n’était pas inutile. Réapparaissant sur le dos d’un Krabe, il planta son Zanbaton dans le symbole de XANA et roula sur le sol avant que le monstre ne disparaisse dans une explosion de pixels.
- Gagné ! s’exclama-t-il avec une moue satisfaite.
- William, attention !
Un éventail siffla et disparut en absorbant le tir destiné au Lyoko-guerrier. Malgré cette aide, un second tir frappa William en pleine poitrine.
- William, encore un coup et c’est fini. Fais gaffe !
- Je fais ce que je peux Jérémie !
Assise dans la tour, Aelita sentit que quelque chose se passait.
- Jérémie ?
-
Y a un peu de grabuge dehors. Odd m’a rejoint mais William et Yumi s’occupent de tout, ne t’inquiète pas.
- Je vais les aider !
-
Non, Aelita ! Tu ne dois prendre aucun risque ! Tu es la seule à pouvoir désactiver la tour.
- Mais…
-
Aelita !
La jeune fille serra les poings.
- Dépêche-toi de trouver ce fichu programme.
***
- C’est pas possible, on habite une ville fantôme ou quoi ? glapit Sissi. Pourquoi personne ne vient nous aider ?
- S’il te plait, évite de me parler de fantôme ! gronda Ulrich en guise de réponse.
Les deux adolescents couraient vers le collège, une bande d’enfants à leurs trousses. Ulrich avait troqué son sabre contre la branche de Yumi et avait décidé qu’un combat dans la forêt serait moins risqué. Entre les arbres, ils auraient plus de cachette, sans compter qu’ils se rapprochaient de l’Ermitage en cas de besoin à l’usine.
- Oh non, c’est pas vrai ! s’exclama Ulrich.
Devant l’entrée du parc, Hiroki le toisait avec un air sadique. Derrière lui, ce n’était plus des enfants mais bien des adolescents qui ricanaient, le regard déformé par le symbole de XANA.
- Super. Demi-tour !
Sissi lança son sac à la tête du vampire le plus proche et partit en courant derrière Ulrich qui pianotait sur son portable.
- Jérémie ! Vous en êtes où ?
-
Je bosse le plus vite possible sur mon programme de… peu importe. Odd est hors-jeu, William n’a plus que vingt points de vie et Yumi va sûrement se retrouver seule face à un Krabe.
- Elle s’en sortira facilement.
-
Possible. En admettant que XANA n’envoie pas d’autres monstres.
Ulrich frissonna. Il raccrocha, conscient que plus de discussion ne servirait qu’à l’inquiéter davantage.
- Allez, Sissi. On va vers le canal.
- Bonne idée… A leur âge… il y en a sûrement plein qui… ne savent pas nager ! railla Sissi avec une voix hachée.
Et elle qui pensait que le plus dur des vacances serait d’arriver à voir Ulrich en tête-à-tête ! Finalement, elle aurait préféré rester dans sa chambre à faire semblant d’étudier !
- Allez, Sissi, répéta Ulrich qui commençait aussi à fatiguer. Si on atteint la vieille usine, on pourra rejoindre Odd.
- Super, je suis grave rassurée…
- T’en fais pas. On va y arriver.
Jetant leurs dernières forces dans la course, Ulrich et Sissi remontèrent rues après rues sans croiser une voiture ou un piéton.
- Comment ça se fait qu’il n’y ait personne ?
- Sinistre coïncidence.
- T’as pas mieux ?
- Les gens travaillent ou se cachent chez eux parce qu’ils sont superstiteux ou ne veulent pas croiser de gamins qui leur demanderont des bonbons. Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Cours et tais-toi !
Par chance, les adolescents xanatifiés n’étaient pas beaucoup plus rapides que les enfants. Lorsque Sissi et Ulrich arrivèrent sur le pont de l’usine, seul Hiroki était encore derrière eux.
- Cette fois, y en a marre, marmonna Ulrich.
Il s’arrêta avant d’entrer dans l’usine avec une sensation de déjà-vu.
Si Sissi essaye encore de m’embrasser avant le retour vers le passé, je crois que je vais vomir.
Son bâton dressé à la manière d’un katana, il s’élança à la rencontre d’Hiroki sous le regard horrifié de Sissi. Les premiers éclairs fusèrent, bloqués par l’arme de bois. Cette fois, Ulrich ne pouvait pas se permettre des états d’âme.
Dans le labo, Odd tapa l’épaule de Jérémie.
- Je crois qu’on a un problème sur le pont.
- Vas-y si tu veux, j’ai presque fini le programme.
Odd se dirigea au pas de course vers le monte-charge, non sans un regard à Kiwi qui dormait toujours. De son côté, Jérémie accentua encore le mouvement de ses doigts sur le clavier.
- C’est bon, Aelita ! Normalement, tu peux rentrer le code Lyoko !
Dans la tour, l’ange aux cheveux roses soupira de soulagement. Elle appliqua de nouveau sa main sur l’interface.
Rien ne se passa.
- Jérémie, ça ne fonctionne pas.
- Mais c’est pas vrai ! Je vais devenir taré !
- A qui le dis-tu… Je ne supporte plus de rester là à ne rien faire pendant que les autres se battent !
-
Ils s’en sortent très bien…
Au moment où Jérémie terminait sa phrase, deux points disparurent de son écran : le dernier Krabe, abattu par William, et William lui-même accidentellement frappé par l’éventail que Yumi destinait au Krabe.
- Et flûte, grimaça la geisha.
D’une série de pirouettes, elle esquiva les tirs du Frelion.
- Je ne sais pas ce qu’il a bu mais il est en pleine forme ! s’exclama-t-elle alors que le monstre virevoltait au-dessus de sa tête. Comment va Ulrich ?
-
Euh… il se débrouille. Odd est parti lui donner un coup de main.
- Quoi ?
L’idée de savoir son samouraï en danger déconcentra Yumi et un tir la toucha à la main, lui faisant lâcher son éventail.
- Comment vont-ils ?
-
Laisse-moi bosser sur le programme, Yumi, ils s’en sortent.
Si Odd avait pu entendre Jérémie, il aurait lancé un tonitruant « Menteur ! ». En effet, accoudé à la balustrade du pont, il tentait tant bien que mal de se redresser. Hiroki était fort et malgré son infériorité numérique, il n’avait aucune difficulté à tenir Ulrich et Odd en respect.
- Il nous fait perdre du temps ! devina Sissi, largement en retrait. Il attend que ses autres gros bras arrivent pour nous achever !
- Ah bon, tu trouves qu’il joue la montre ? railla Ulrich, les mains serrées sur son bout de bois. Qu’est-ce que ce serait s’il se donnait à fond alors ?
D’une main, Hiroki le frappa à la poitrine tandis que de l’autre, il lui envoyait un éclair au creux de l’estomac. Ulrich fut projeté à l’intérieur de l’usine, à quelques centimètres du vide. Sissi se précipita vers lui.
- Mon Ulrich !
Odd se jeta sur Hiroki avant que celui-ci n’avance vers son ami. Il était beau être svelte, sa hargne lui permit d’entrainer son adversaire rouler sur le sol avec lui.
- Je sais que c’est compliqué les histoires de famille mais ce n’est pas une raison pour t’en prendre à ton beau-frère !
Hiroki grogna et Odd sentit un courant électrique le traverser. Avec un cri qu’il aurait jugé pitoyable s’il n’avait pas déjà été inconscient, le blondinet resta immobile sur le sol.
- Jérémie, ça urge ! s’exclama William, les yeux rivés sur les écrans de surveillance.
- Je sais, je sais.
-
Je vais me laisser dévirtualiser pour aller les aider, proposa Yumi.
- Non, ça y est, j’ai le programme ! Cette fois, je suis sûr que c’est bon ! Aelita, go !
La gorge nouée, la jeune fille posa la main sur l’interface. Elle crut qu’elle allait fondre en larmes quand le mot « Code » apparut sous ses yeux.
- Tour désactivée.
A peine Aelita eut-elle fini sa phrase qu’Hiroki s’écroula sur le pont, à quelques mètres d’Ulrich qui respirait à peine.
- Super ! se réjouit Jérémie. J’espère que le Retour vers le Passé n’a pas été endommagé par l’extinction du Supercalculateur !
Il pianota à toute vitesse sur son clavier avant d’appuyer sur « entrée ».
- Retour vers le Passé.
Un halo blanc enveloppa l’usine puis la ville faisant disparaître dans sa lumière rassurante des dizaines d’enfants inconscients.
***
Yumi aurait pu choisir d’éteindre son réveil avant qu’il ne sonne mais elle avait préféré laisser Hiroki la rejoindre dans sa chambre.
- Tu devrais mettre ton réveil encore plus fort, c’est pas comme si on était en vacances, ronchonna-t-il.
- Désolé, petit frère.
- Tu es déjà habillée ?
- Je vais donner un cours à Michael, tu le sais bien.
- Mais Papa et Maman ne sont pas là. Tu ne vas pas me laisser tout seul !
Yumi sourit et alla enlacer son frère.
- Je ne te laisserai jamais tout seul. Je te le jure.
- Alors tu m’accompagneras faire la tournée du quartier avec Johnny pour Halloween ? On partagera équitablement le butin.
- Avec plaisir.
N’en croyant pas ses oreilles, Hiroki resta bouche bée.
- Tu n’as qu’à regarder dans mon placard s’il y a des choses qui pourraient améliorer nos déguisements. Sois gentil, ne sors pas dans la maison et ne fouille pas ailleurs. Je te fais confiance, petit frère.
- D’accord.
Cette fois, le petit-déjeuner fut animé par les prévisions costumières d’Hiroki. Lorsque Yumi quitta la maison, Ulrich l’attendait déjà devant le portail.
- Alors ? s’inquiéta-t-elle.
- Alors, Einstein a découvert que le firewall servait en fait à dissimuler un autre programme. XANA a trouvé un moyen de bloquer partiellement le retour vers le passé. Pour lui et donc pour nous, Hiroki a bel et bien rallumé le supercalculateur. Il est de retour.
Yumi frissonna, les yeux fermés. Tout recommençait.
Non. Cette fois, elle avait quelque chose contre lequel XANA ne pouvait rien.
Le bonheur.
Elle avait été parfaitement heureuse pendant plusieurs mois et elle allait tout faire pour que cela ne s’arrête pas.
La main dans celle d’Ulrich, elle rouvrit les yeux.
- On sera ensemble.
- On sera ensemble.