Posté le: Mar 01 Déc 2020 20:30 Sujet du message: [One-shots] Calendrier de l'avent 2020
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Good days ! Old days ! Ce mois-ci, nous vous proposons un petit florilège d'attaques sortis d'un chapeau... au hasard !
Nous nous sommes en effet lancés le défi d'écrire une série de courts textes, chacun étant régis par un triplet de critères choisis aléatoirement.
Nous espérons que le résultat vous amusera ! Joyeuses fêtes de fin d'année !
EXPLICATION DU DÉFI
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L'ensemble des one-shots publiés dans ce topic ont été rédigés dans le cadre d'un défi d'écriture imposant pour chacun d'entre eux une contrainte de genre, de thème et d'élément scénaristique à utiliser.
Chaque texte commence par trois pictogrammes qui constituent des indices relatifs à ces contraintes. Vous pouvez retrouver les intitulés exacts de ces contraintes dans l'index ci-dessous.
Pour plus d'informations sur ce défi, vous pouvez lire notre réponse aux commentaires qui revient sur ce sujet en détail.
INDEX DES TEXTES ET DES CONTRAINTES
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Dernière édition par Dede7 le Dim 14 Fév 2021 16:49; édité 49 fois
Non, sérieusement, Ulrich n’avait pas la moindre idée de ce qui avait provoqué cette Bérézina. Vraiment pas. Et, pour tout vous dire, ça lui passait complètement au-dessus. Quoi, comment ça ce n’est pas surprenant, venant de lui ? Essayez d’avoir l’air un peu surpris, si vous êtes blasés dès le premier paragraphe, on ne va pas s’en sortir. Remarquez, lui aussi accueillait mon ressort scénaristique avec une relative indifférence. Tout ce qui l’éloignait de son lit était, en soi, une absurdité. Et c’est pour ça que je suis là, à faire le boulot à sa place. Un récit à la première personne aurait rendu le tout plus percutant, mais si Aristote était encore en vie, il vous dirait probablement que les grognements d’une force inerte sont la parfaite antithèse d’une rhétorique efficace. Quand la chironomie de votre personnage se limite à croiser les bras, baissez les vôtres et retroussez vos manches.
Enfin, bref. La Bérézina, nous disions donc.
Pourtant, j’avais mis les formes pour le préparer dès ses premières lueurs ; être réveillé par une Sissi Delmas, en pleine campagne pour la prochaine élection des délégués n’était pas le réveil le plus agréable qu’il ait jamais subi (en même temps, est-ce que ce garçon avait jamais pris un réveil avec enthousiasme ?). Rien que ça, ça aurait dû lui mettre un coup de fouet, mais non ! Pas même une réplique cinglante. Pire : quand les sbires de la Brunezilla locale, affublés de casquettes roses floquées du portrait de leur championne, lui avait fourré dans les mains une pile de tracts roses, gros titres en paillettes roses et, oh bon sang, parfumé à la rose, le peu d’énergie dont disposait Ulrich retourna se coucher. Il leur avait mollement claqué la porte au nez, espérant que cela suffirait à faire comprendre au destin que non, il ne jouerait pas au bellâtre ténébreux, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Le petit ingrat. Et en même temps, je commençais à voir le problème : certes, il ne comprenait pas d’où sortait cette obsession de Kadic à le voir comme le sex-symbol ultime des 8-12 ans, mais s’il devait manger de ce pain-là un jour, ce ne serait pas avec Sissi Delmas. Oui, Ulrich avait le sens de l’ordre ; s’il devait céder aux fléchettes de Cupidon, il s’accorderait avec son pendant féminin. Sauf que… Noir, c’est noir, avec Yumi, pas d’espoir. Bref, Ulrich n’envisageait d’avenir qu’avec sa couette. Bon, soit, monsieur n’est pas d’humeur, on verra plus tard pour les répliques cinglantes taillées derrière sa mèche rebelle. Mais comme vous vous doutez bien que je ne me réveille pas, moi, juste pour une anecdote rapide, il va falloir secouer le scénario. Dring, dring, téléphone ! Jérémie agité, oh la-la, urgence usine, debout mon vieux, on a dégoté un truc. Ça lui apprendra, à ce personnage indigne, tiens. La prochaine fois, il prendra le Scénario-Sissi.
Article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle : « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. ». En clair, la Lyoko-Police allait détruire un Replika. Et on fila vers le Skildbladnir, sans attendre Yumi qui devait s’occuper du clone de William, on prit chacun son siège, on tint bon la vague et on tint bon le vent, hissez-haut Santiano… Ulrich connaissait la chanson, et le simple fait d’y penser lui donnait envie de soupirer pesamment. De toute façon, chanter c’était pas son truc. Heureusement qu’on est dans un récit omniscient et qu’Ulrich n’a pas à le raconter lui-même, sinon on irait pas bien loin. D’autant plus qu’il commençait à glisser loin de la discussion dans le Skid ; il faut dire qu’elle tournait autour de la candidature d’Aelita à l’élection des délégués (conséquence malheureuse d’un cours d’ECJS enflammé, où elle crut voir en la politique une bonne façon d’être utile à ses contemporains ; que voulez-vous, ce ne sont pas mes personnages, moi je ne fais que les emprunter). Non, mais je comprends Ulrich, hein ; il n’est que mon protagoniste, et un détail de ce genre ne sera peut-être important pour son histoire que d’ici deux ou trois paragraphes, alors pourquoi s’en soucier tout de suite, hein ?
Comme les répétitions de discours d’Aelita ne se révélèrent pas particulièrement intéressantes (du moins, pas plus que son flux de paroles habituel), passons à l’élément perturbateur. Une horde de Kongres, toutes dents et toute colère dehors ! C’était pas trop tôt. Ulrich sortit un peu le nez de sa torpeur et rejoignit le mouvement. On s’accrocha à ses leviers et on se cala dans son siège. L’heure de l’action avait sonné ! Et comme vous n’en êtes pas à votre première fanfiction (non, sérieusement : ne commencez pas par celle-ci, lisez les écrits du Pôle ou du Garage, sinon vous allez finir par vous demander ce que les jeunes des années 2000 avaient, comme héros), vous la voyez venir : Ulrich Stern, l’histoire d’un héros.
Le samurai ultime éveilla son instinct du guerrier et fonça, telle une torpille vers sa cible ! Et un, et deux, et trois ennemis ! Ulrich était en forme ! Des assauts à vous mettre des étoiles dans les yeux, alors que le vaisseau d’Ulrich baignait dans une glorieuse lumière ! Il ne lui manquait plus qu’un petit jingle de victoire , alors qu’il battait haut la main le record de meurt… De tirs réussis de ses camarades ! Il n’était plus un adolescent ronchon, mais un guerrier surpuissant, au sabre légendaire, défiant la mort et l’imagination ! On applaudit, mesdames et mess…
Vous la voyez venir, n’est-ce pas ? Je veux dire, c’est moi qui raconte, alors comment Ulrich pourrait échapper à un « Quand soudain ? »
Nous disions donc : QUAND SOUDAIN.
Le bang. Le cri. Le choc. L’élément perturbateur. Les étoiles diégétiques autour d’Ulrich s’effondrèrent avec pertes et fracas. L’échec se glissa le long de son échine, dans un froid d’Arctique, digne des game over pinguinesques du proviseur Delmas. Ha-ha.
Ah non. Elle n’allait pas encore tomber dans un trou, cette…
Et si. Evidemment que si.
Ulrich et Odd n’avaient détourné les yeux que deux secondes. Deux de trop quand il s’agissait Aelita. Ne jamais laisser sans surveillance quelqu’un qui, au meilleur de sa forme, a l’instinct de conservation d’un bichon maltais lâché en pleine jungle. Deux secondes, c’était le temps qu’il avait fallu à un con de Kongre pour foncer droit au cœur du Skid. D’un coup de dent, il avait entamé la vitre qui séparait la Princesse de l’étendue virtuelle. Très joli, dit comme ça, mais Ulrich n’était pas très poète ; là, tout de suite, il tendait plus dangereusement vers le Chateaubriand sur sa falaise que vers le Hugo des jours glorieux. Jérémie s’époumonait dramatiquement dans son micro, comme s’il avait des flashes-back de la chute de Carthage. La vraie histoire, pas les obscures références fictives. « Mais dépêchez-vous, enfin, on va la perdre, et Aelita tu m’entends, et Odd ne traîne pas, et Ulrich réveille-toi »… Pff. Le samurai ne releva même pas et se dirigea vers le vaisseau. Odd, à sa suite, s’écriait déjà que s’il y arrivait avant, il gagnait le record pour la journée. Que… Certainement pas ! Depuis quand un chat était plus populaire qu’un samurai ? Et puis, Odd n’était que secondaire, pour le moment. Reprenons notre sérieux. Bien entendu que ce fut Ulrich qui y arriva le premier. Profitons de son élan de motivation tant qu’il en reste quelque chose.
Le reste du retour se fit sur le fil, Jérémie hyperventilant dans son micro tandis que les deux guerriers sauvèrent leur princesse héroïquement. De quoi vous mettre des paillettes dans les yeux, à nouveau. Pourquoi pas des roses, tiens. Pas cohérent, mais ça vous rappellerait cette histoire d’élection des délégués. Quoique… Nous parlons d’Ulrich : quand vous lui tendez un tract électoral plein de paillettes roses, il vous claque la porte au nez, le malotru. Ce qui signifie que tout ce qui touche de près ou de loin au happy ending n’est pas ce qu’on veut voir, quand il est protagoniste. Passons donc tout de suite au dramatique, au véritable échec, celui qui le fera profondément s’interroger sur sa personne, ses choix de vie ou ses tourments. Ou ce qui le tuera dans d’atroces souffrances. Ou tout ça à la fois, on verra si je suis toujours de bonne humeur d’ici la fin.
Voilà donc Ulrich, dans le territoire de la Montagne, quelques instants après avoir extirpé Aelita du Skid. Jérémie pianotait comme un Daft Punk, cherchant la moindre trace d’une anomalie. Harder, better, faster, stronger. Et il parvint à quelque chose, en plus. Il espérait au moins un petit indice ; ce qu’il trouva tenait de la patte de Bigfoot. Le sbire de XANA n’en voulait pas au Skid, non, mais à la mémoire d’Aelita ! Surprise ! Tada. Il avait envoyé un Kongre de Troie, en somme. Une pointe de dent avait réussi à glisser quelques lignes de code virusé dans le cockpit du Skid, et avait perverti l’esprit de la princesse. Jérémie se lança dans d’interminables explications sur la structure binaire de l’environnement virtuel et le changement de données qu’implique la matérialisation d’Aelita, mais dans la mesure où je n’ai pas fait d’informatique et où Ulrich s’en fichait totalement, on va l’ignorer et faire comme si tout ceci était parfaitement réaliste. Oui, je sais, on a des standards quand on écrit sur Code Lyoko, et je suppose que je pourrais me renseigner avant d’écrire un truc pareil, mais… Regardez ! Un groupe de monstres !
Ah si, si, je suis tout à fait sérieuse. Il y avait bien un groupe, ou plutôt une délégation, constituée d’un monstre par type. Paisiblement, ils avançaient vers les Lyoko-Guerriers, pas agressifs pour deux sous. Comme il fallait s’y attendre, Ulrich et Odd se redressèrent et brandirent leurs armes, quand soudain, Aelita fit quelque chose d’inattendu et, d’a priori, complètement stupide. Même pour elle.
Elle s’interposa.
Odd lui-même n’eut aucune vanne à disposition. Le plot-twist les assomma sur place, et ils restèrent figés, les armes pointées vers elle, à demander à un Jérémie au bord de la crise cardiaque s’il avait une solution. Il leur répondit de « se débrouiller, vous voyez bien que je fais ce que je peux ! ». Ce qui, en soi, aurait dû lui valoir une mutinerie, une fois la mission terminée. Le peu de motivation qu’Ulrich avait réussi à mobiliser se dégonfla dans un long soupir, alors même que les monstres s’étaient arrêtés, sans attaquer.
Oui, oui. Sans attaquer. Vous ne rêvez pas : le scénario s’accélère. Et encore, attendez la suite. Parce qu’Aelita n’a pas fini de partir en sucettes, ça non. Et comme à partir de là, elle commence à prendre de l’importance, vous allez peut-être enfin les avoir, vos paillettes roses dans les yeux.
Donc, visiblement satisfaite du statu quo qui régnait entre les monstres pacifiques et les Lyoko-Paumés, Aelita se tourna vers la délégation de monstres et les salua chaleureusement.
Mais pas comme dans la Genèse, non. Plutôt comme Jim, quand il voit un homme en noir, ou un policier, ou Jérémie, et qu’il sait qu’il pourra « préférer ne pas en parler ». Aelita saluait les monstres comme quelqu’un qui sait qu’elle va avoir quelque chose de surprenant et impressionnant à dire.
Cette fois, Ulrich en baissa son arme, l’air parfaitement idiot. Euh… Il avait raté un brief, ça faisait partie d’un plan… ? Il se tourna vers Odd, qui haussa les épaules en retour.
— Mes amis ! Clama soudain Aelita en ouvrant en grand les bras. Je suis heureuse que vous ayez pu venir à notre meeting ! Mais surtout… Je suis honorée que vous ayez placé votre confiance en moi, et vos espoirs en mon programme !
…
…
— Comme vous le savez, la route sera longue pour faire entendre nos droits. Ils vous ont méprisé, insulté, brutalisés ! Et pourtant vous êtes là, fiers de vous et de ce que vous représentez, prêts à reprendre ce qui vous revient de droit ! Oui, la tâche sera ardue, mais tant que nous gardons en tête qui est l’ennemie, nous resterons unis et forts !
…
Non, Ulrich n’avait toujours rien d’intelligent en tête. Et moi, je suis concentrée sur le discours. Un élément de surprise, ça se soigne, que diable.
— Oui, mes amis ! Notre devoir, envers ceux qui sont tombés avant nous et continueront de tomber parmi nous, est de faire basculer ce régime inéquitable et assassin que la Princesse de Lyoko a imposé dans nos terres de paix ! Allons lui demander des comptes, allons réclamer justice, allons rétablir la vérité !
Ulrich haussa un sourcil. C’est vous dire le niveau de stupéfaction qui s’était abattu chez nos héros.
— Même si je n’ai pas connu vos souffrances, même si ma vie n’appartient pas totalement à votre monde, j’ai entendu vos appels à l’aide, par-delà les frontières qui séparent le virtuel et le réel… Ils m’ont touché, au plus profond de mon cœur, tant ils se faisaient l’écho des douleurs de l’humanité ! Vous n’êtes pas hors de notre conception, non ; vous êtes comme moi, habités d’une conscience qui fait de vous des hybrides entre l’homme et la créature ! Au fond, je suis comme vous, marchant à la recherche d’un sens, d’une vie que je pourrais considérer mienne ! Voilà notre devoir : retrouver notre dignité, notre droit à prétendre à la vie ! En plaçant votre confiance en moi, vous avez suivi le meilleur chemin ; et ensemble, nous le traverserons ! Ensemble, nous ferons fi de tous les obstacles, et à ceux qui nous oppressent, nous répondons : PLUS JAMAIS !
Des cris de joie et d’enthousiasme ponctuèrent ses propos. Ulrich et Odd se retournèrent. Derrière eux, une foule monstrueusement immense était apparue. Frelions, Bloks, Kankrelats, Krabes, Mantas… Tous semblaient venus pour écouter l’allocution de leur championne. Elle se tourna vers eux et les salua d’un geste de la tête, tout sourire. Elle rayonnait littéralement. Ulrich, quant à lui, était totalement paumé. À un point où il ne se sentait pas de rester blasé.
— Euh… Aelita, on peut savoir ce que tu fiches ? Le devança Odd, qui souffrait cruellement d’un manque d’intérêt dans cette histoire.
Etait-ce qu’il fallait faire, nul ne le saurait jamais ; en tout cas, Aelita adressa un regard assuré vers le soldat violet et éclata de rire :
— Ce que je fais, dis-tu ? Mais je travaille à des jours meilleurs ! Dis-moi, n’as-tu jamais souhaité pouvoir t’amuser dans ce monde, sans risquer ta vie ou celle des autres ? N’as-tu jamais rêvé de surfer librement entre les arbres et les montagnes ?
— Je ne dis pas le contraire, mais XANA…
— XANA ? A-t-on jamais essayé de le comprendre ? Il ne fait que ce qu’il doit… Guider les siens vers un monde où rien ne pourra les détruire ! Tout ce qu’il souhaite, c’est la sécurité pour ceux qui ne peuvent qu’être assassinés entre vos mains ! Vous les tuez, mais les avez-vous seulement regardés, au moins une fois, avant de les condamner ? Soit, soit, ils veulent votre mort, mais dans le fond, n’est-ce pas une réponse proportionnée à votre propre volonté de les traîner dans la tombe ?
— Jérémie, t’en es où bon sang ?! Lança Ulrich, qui commençait à en avoir sérieusement assez.
— Bah euh… Attendez, ça se fait pas en deux minutes, de manipuler un esprit ! Je suis pas redevenu Dieu !
— Sans blague… Marmonna le soldat.
Soit. De la tolérance à la violence, donc. Mais comment faire, vous vous demandez sans doute. Lui et Odd avaient déjà géré plusieurs monstres en même temps. Sauf qu’il y a beaucoup et beaucoup, et qu’ici on apprend de ses erreurs. Pas question de voir une bataille en un contre le reste du monde, et qu’Ulrich s’en sorte en cinq minutes. Ici, il n’aurait pas le loisir d’en abattre un qu’il se ferait atomiser sur place.
D’ailleurs, nous revoilà au premier paragraphe de cette histoire. Eh oui, tout était habilement structuré depuis le début. Et maintenant que vous avez le contexte en tête, vous allez pouvoir faire le boulot à la place d’Ulrich ; parce que figurez-vous que, pendant que je vous tenais au parfum, lui n’a toujours pas trouvé le goût de s’intéresser au fond de l’affaire. C’est l’heure des Questions pour les Lecteurs !
Question n°102 : Pourquoi est-ce que ça arrivait ?
Question n°99 : Etait-ce là le virus envoyé à Aelita par XANA ?
Question n°94 : Voulait-il en fait sa candidate pour les prochaines élections ?
Question n° ? : Quel est le numéro de cette question ?
Question n°86 : Et quelles élections, d’ailleurs ?
Question n° 83 : Depuis quand y avait-il de la politique sur Lyoko ?
Question n°78 : Non, vraiment, c’est une série pour enfants, l’histoire des lianes et de Yumi c’était déjà franchement limite, alors…
Contenez votre impatience, nous vous donnerons la réponse après ce message !
— Bon, ça suffit, marmonna Ulrich vers Odd, avec un certain culot pour quelqu’un qui jusque-là, se fichait bien de ce que je racontais. À mon signal, tu attrapes Aelita, moi je fais diversion. On se retrouve dans la Tour, on y attendra que Jérémie nous débloque.
— Attends, tu veux qu’on kidnappe une candidate pendant un discours ? Répondit Odd, parlant d’ailleurs à la place de la narration.
Je veux dire, ce n’est clairement par pour ses idées brillantes qu’on choisit ce garçon comme protagoniste, en général.
— T’as été virusé, toi aussi ? Elle est sous l’emprise de XANA, ça se voit ! Faut qu’on la tire d’ici !
— Et tu crois que les monstres, là, ils vont bien le prendre ?
— J’en laisserai pas un passer, tu vas v…
À ma décharge, il était temps d’en finir avec ses inepties. Qu’auriez-vous fait, à ma place, hm ? Même un retournement de situation facile passe mieux qu’un scénario où tout repose sur le génie stratégique d’Ulrich Stern !
En tout cas, ce dernier réalisa soudain. Il entendait trop bien Odd, depuis le début. Sentant à nouveau l’échec s’approcher de lui, il leva les yeux. Aelita regardait les garçons, les bras croisés et les sourcils hauts. Autour d’eux, la horde de monstres s’était rapprochée, serrant les rangs à en assombrir le ciel. Le tonnerre de l’affrontement grondait dans les cœurs, le chant de la guerre bourdonnait au-dessus des têtes. Cette fois, même lui le comprit. Affrontement il y aurait, mais pas sans un boss. Rose, de préférence, histoire de garder notre palette de couleur jusqu’au bout.
Mais alors qu’Ulrich jaugeait la situation, un rire sinistre éclata derrière lui. Les traits d’Aelita s’étaient gorgés d’arrogance et de certitudes. Son visage si pur s’était tordu en une expression de suffisance, qui avait embrasé son regard ; d’un doux vert, il virait au jaune bouillant. Pour un peu, son design semblerait s’être techniquement amélioré, mais vidé de toute substance. Comme si…
— Vous avez choisi la voie de l’opposition. Ainsi soit-il. J’effacerai toutes traces de la Princesse de Lyoko, je la remplacerai, et sous ma férule, jamais le Supercalculateur ne sera éteint !
Sous les acclamations de son public, elle se mit à rayonner d’une aura blanche, l’habillant comme une robe antique. Ses pieds s’élevèrent, emportant le reste du corps loin de la terre, vers le ciel, alors que ses cheveux s’allongèrent, prirent la teinte d’une plaine asséchée. Son visage vieillit, effaçant tout ce qu’ils tenaient de Franz Hopper, pour s’approcher de celle que les Lyoko-Guerriers n’avaient pas encore vue. Ses yeux n’étaient plus que des billes rouges, menaçantes, frappés du sceau maudit, qui apparaissait également sur sa poitrine, à la place du cœur…
Ulrich soupira. Quoi, il devait vraiment aller combattre Anthéa ? Voilà autre chose, une nouvelle évolution ?
— Je vais plonger la Princesse dans la Mer, et alors que son corps sera emporté par les flots numériques, Aelita renaîtra en XANA, et enfin notre règne viendra ! Par notre sacrifice, la paix reviendra dans le monde !
Anthéa/Aelita (Disons, Anthélita, histoire d’avoir notre quota « personnage original ») flotta alors vers le bord de la plateforme, suivie par les monstres en délire. Jérémie fit une syncope. Et Odd fut définitivement dépassé. Ne restait qu’Ulrich, qui ne s’était jamais autant demandé pourquoi ça tombait sur lui. Je vous dirais bien que c’était parce qu’il était le mieux désigné pour une histoire qui parle de conflits sur la justice et la paix, mais la vérité, c’est que…
Ah. Ulrich renonça à l’idée d’avoir un plan, finalement. Il fonça, tout sabre brandi, vers Anthélita. Dans un grand cri, il lança un Triplicata. Ses doubles tranchèrent chaque ennemi sur leur route. Mais pas le temps d’en parler : l’original, lui, prit appui sur un Blok et se jeta sur Anthélita. Le sabre frappa juste, droit dans le cœur, là où le Kongre avait visé et où le symbole de XANA trônait encore. Bien vu, Ulrich.
L’aura d’Anthélita se dissipa comme une bougie qu’on soufflait. Peu à peu, elle reprenait la prestance d’Aelita, 100 % bonbon rose. Avec une grâce d’Ange, elle s’affala sur son sauveur, qui la réceptionna avec son dos. Par chance, ils n’étaient pas tout à fait au bord du vide. Par malchance, ils étaient entourés d’une foule de monstres, qui n’eurent besoin que de dix secondes pour comprendre l’entourloupe. Les cris passèrent de la plus franche allégresse à la rage pure. Ulrich laissa claquer son front à terre. Non, vraiment, il ne voyait pas comment s’en sortir…
C’était oublier Odd, qui fendit la foule en deux dans un « Geronimoooo » suraigu. Surfant brutalement tel un bélier à pattounes, il se pencha et embarqua Aelita sur son skate volant…
Et il repartit. Le gougnafier. Et Ulrich alors ?
— On se retrouve sur Terre, ce sera moi le sauveur cette fois !
Odd, espèce de petit…
— Odd, espèce de petit…
Afin qu’aucun juron n’apparaisse dans une fanfiction sur une série pour enfants, une salve de tirs exécuta Ulrich sur le champ. Merci XANA de penser au futur de la jeunesse humaine !
La porte du scanner s’ouvrit sur un Ulrich complètement barbouillé. Il tâtonna vers l’ascenseur et remonta vers le bureau de Jérémie. Avec un peu de chance, une crise cardiaque ne l’avait pas encore foudroyé…
Et en effet, Jérémie était installé sur son siège, jambes croisées et mains jointes sous son menton. Ses lunettes avalaient la lumière des écrans et masquaient ses yeux. Il rayonnait d’un air de triomphe naturel, comme si tout ceci ne le surprenait pas le moins du monde. Sans se tourner vers Ulrich, il parla dans son micro avec une assurance insolente :
— Aelita est dans la Tour, bravo Odd ! Bien joué ! Dans quelques instants, je te ramène, et nous serons à l’heure pour l’élection des délégués !
Bravo Odd ? Non mais oh…
— … Ne t’en fais pas Aelita, c’est oublié. Et bravo à toi aussi ! Et puis, j’étais sûr que nous allions nous en sortir !
La petite goutte de sueur qui perlait sur son front approuvait probablement. Mais surtout… Qui est-ce qui était parti chercher Aelita pendant son trip mystique, hein… Et dis-le tout de suite, si tu veux que je corse le scénario la prochaine fois ! Je connais des gens qui seraient ravis d’écrire des fanfictions où tu…
… Oh et puis zut. N’importe quoi qui puisse rapprocher Ulrich d’une bonne sieste. Et comme j’ai moi-même un plaid et du chocolat vegan qui m’attend (les Rapunzel, une vraie merveille), je me passerai de vous raconter ce que vous voyez venir. Aelita désactive la tour, XANA peut retourner pleurer dans son coin, et Aelita remportera l’élection des délégués grâce à des photos très drôles qu’Odd aura distribuées avant l’élection.
Enfin, je suppose. Ulrich dormait, et le reste du monde a éclaté de rire devant l’air fâché de Sissi qui, sans doute, avait fait quelque chose pour mériter ça. Humilier Sissi, c’est comme fêter Noël : on préserve les traditions pour des enfants qui trouvent ça rigolo un temps, avant d’hurler au scandale une fois adultes.
Conclusion de toute cette histoire : rien ne réchauffe plus les cœurs que de se moquer, comme des dindes, des héros de notre propre enfance. _________________
"Au pire, on peut inventer le concept de Calendrier de l'Avent pour chaque fête religieuse, maintenant que le forum a le template pour faire un article de La Croix"
Une attaque vicieuse s’il en était. Enfin, il avait déjà fait ce coup-là pour être précis. Mais une fois n’est pas coutume, il avait appris de son passif. C’était… surprenant. D’habitude, il faisait plutôt preuve d’une obstination sans égal, suivi de brusques et complets changements opératiques.
De fait, cela présentait un avantage net en terme stratégique. Ses ennemis avaient renoncé à essayer de l’anticiper. Ils avaient aussi renoncé à le comprendre.
En somme il avait toujours et à jamais l’avantage de la surprise et de la mobilité.
C’était là chose étonnante pour quelqu’un qui sur Lyokô se caractérisait plutôt par sa lourdeur, par sa lenteur tellurique.
Xana les dominait stratégiquement et opératiquement. Mais il n’avait jamais réussi à transformer ces dominations en réels succès tactiques : ses monstres étaient pires que le dernier des frontoviki.
C’était ainsi que Jérémie avait toujours compris la situation et avait plus ou moins fini par s’y résigner. Il savait qu’il n’avait pas les moyens de mener une guerre contre Xana, grande ou petite.
Ni batailles rangées, ni embuscades.
Non, le destin se jouait à un niveau plus élevé. Mais aussi plus long. Le combat contre Xana était une lutte de très long terme, dans laquelle la stratégie des Lyokôguerriers n’était autre que de gagner du temps. Gagner du temps, encore et encore, jusqu’à ce que lui, Jérémie trouvât un antivirus. Une arme bactériologique définitive en somme.
C’était sa responsabilité. Il avait relâché le monstre et ne saurait trouver le repos avant de l’avoir renvoyé dans le néant d’où il n’aurait jamais dû sortir.
Lutter contre Xana, c’était comme lutter contre une colonie de fourmis. Les éliminer une à une n’avait pas de sens ni de fin. Mettre un coup de pied dans la fourmilière non plus.
En revanche, tout gazer d’un seul coup était possible. Non seulement possible, mais souhaitable.
C’était l’option stratégique. La seule possible. Celle qui jour et nuit mobilisait Jérémie.
Chaque heure éveillée voyait son esprit se tendre vers cet objectif, se contorsionner en calcul divers et variés. Chaque heure de sommeil n’était que ratiocination des idées et développements issus des calculs de la veille. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, il réfléchissait. De la salle de classe à la cour de récré, de l’usine au cimetière il cogitait.
Chaque once de nourriture qu’il absorbait était consumé dans ce constant effort de guerre cérébral. Chaque excrément n’était que le soulagement évitant à son corps de se signaler à son esprit.
De sentiments, il n’en avait cure. Sauf s’ils renforçaient la haine, fanatique et froide qui motivait sa dialectique spirituelle de destruction de Xana.
Après peut-être il pourrait se reposer. Définitivement. Voilà. C’était logique après tout. On ne pouvait pas tirer indéfiniment sur la corde. Un jour, on arrivait au bout. Le fil alloué par les Parques égrenait ses dernières cendres et la flamme qu’il avait supportée, cessait.
Jour après jour, Jérémie travaillait. Il mettait à contribution son corps autant que son esprit. Il le sentait changer, s’informer sous sa volonté. Au début, il lui avait été difficile de se conformer à ses exigences. Mais, cela lui été venu. Petit-à-petit, son corps avait ployé face à la nécessité. Un nouveau Jérémie avait émergé. Pauvre Hervé. Il pensait qu’il y avait une compétition entre eux… s’il avait su… Jérémie mettait dans ses résultats scolaire autant d’effort qu’il en mettait dans la respiration ordinaire. Tout cela n’était pour lui que la façade nécessaire: il achetait du temps pour poursuivre son incessante réflexion.
Ce que ses amis n’avaient jamais compris, c’est que, tout comme Aelita, ils n’étaient que des pions sur l’échiquier dantesque de sa lutte contre Xana. Ses pions les plus précieux. Dans le sens où les remplacer, trouver quelqu’un puis le former pour qu’il atteigne un niveau suffisant, serait une tâche longue et délicate. Trop longue pour qu’il puisse les traiter comme de vulgaires frontoviki. Xana à tout le moins n’avait pas à se poser se genre de questions. Ses monstres étaient autant de rouages dans la mécanique. Parfaitement remplaçable et destructibles. L’un tombait ? Le suivant reprenait son arme et continuait à avancer vers les lignes adverses.
Jérémie, lui, avait des soldats autrement plus précieux. Efficaces, il est vrai. Chacun de ses pions était infiniment plus valeureux. Après tout il les avait vu mettre en déroute des armées entières de monstres de Xana.
Valeureux, oui. Mais fragile. Ou plutôt vulnérables. Tant de choses pouvaient les affecter, altérer leur jugement et leur puissance. Tantôt c’était des soucis scolaires, tantôt des soucis avec leurs proches. C’étaient là d’agaçants impondérables pour Jérémie. Une solution eût été de les virtualiser à jamais. Mais le « cas Aelita » avait bien montré à quel point cette solution n’en était pas une. D’où, d’ailleurs, le temps perdu à lui composer une fausse identité et affermir sa persona au collège.
Bon, il restait vrai qu’elle était parfois un peu utile dans ses recherches. Quoique pas vraiment d’une manière attendue. Elle n’avait pas besoin de s’en douter cependant.
La lutte continuait. Exigeante. Exténuante. Accaparant chaque seconde de sa vie. Que les autres ne se rendent pas à cet effort ne cessait de le sidérer. Ne comprenaient-ils pas la nécessité ? Qu’importe ! Pour eux il fallait continuer. Pour eux, pour leur libération. Peut-être que ce peu d’innocence qu’il leur restait en valait le coup ?
En attendant, il y avait encore tant à faire.
Alors Jérémie continuait. Staline n’avait pas abattu l’Allemagne nazie en un jour après tout.
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Au plus sombre de la nuit, une silhouette sortit de sa chambre et foula d’un pied discret le seuil du couloir de l’internat. Elle fendit les ténèbres jusqu’aux escaliers, et descendit un étage. Continuant à faire preuve de discrétion, la silhouette se rendit jusqu’à une porte. Sous le seuil, un regard acéré et avertit pouvait entrapercevoir une lueur bleutée. D’aucun y verraient juste la clarté de la lune, mais la silhouette savait ce qu’il en était. C’était la lumière bleue d’un écran d’ordinateur.
Aelita sentit une vague de mécontentement la parcourir. Jérémie devrait dormir à cette heure ! Pourtant, si elle était descendue pour le voir, si elle avait bravé les règles de l’internat, c’était bien en sachant que son ami ne dormirait pas encore, bien au contraire. Sinon, elle n’aura pas voulu le déranger dans son sommeil. Elle le connaissait. Il ne dirait rien, lui sourirait, et sortirait du sommeil pour elle, gardant le poids de la fatigue pour d’autres nuits.
Souvent Aelita se demandait quand Jérémie dormait… et même parfois, s’il dormait.
Elle ouvrit la porte sans toquer. C’était inutile à cette heure.
Jérémie ne sursauta ni ne se retourna. La porte n’ayant pas été claquée, et aucun beuglement n’ayant retenti, il devait savoir qu’il s’agissait d’Aelita, et non de Jim ou de Monsieur Delmas. Le cliquettement des touches de clavier n’avait donc pas ralenti d’un iota.
Aelita se rapprocha de lui et le prit dans ses bras.
« Jérémie, tu devrais dormir tu sais, glissa-t-elle d’un ton taquin alors que son visage venait se caler dans le creux du cou de son amant. »
Un marmonnement lui répondit. Il était semble-t-il question de matrices et de dérivées, ainsi que d’attrition. Ses doigts continuaient à parcourir le clavier, et sa symphonie de claquement formait un texte hypnotique sur l’écran.
Aelita attendit quelques instants encore, que ses mots viennent au cerveau encombré de Jérémie. Mais, ne voyant pas venir la réaction, elle cessa de regarder l’écran d’ordinateur pour remonter le regard vers le visage de son sauveur.
Du sang coulait le long de son nez.
Une rivière rouge coupait en deux ses lèvres, avant de cascader sur le pull bleu en tombant du menton. Au vu de la largeur des tâches et de leur couleur, cela faisait longtemps, quelques heures au moins que la rivière coulait rouge et marquait d’une boue couleur de rouille cet azur si emblématique de Jérémie.
Aelita soupira ; une larme coula à la commissure de l’œil.
« Allons, Jérémie, tu ne devrais pas te laisser en arriver là ».
Saisissant les mains de son ami, elle les retira de son clavier. Elle sauvegarda les activités en cours, puis éteignit l’écran d’ordinateur.
Enfin, se calant entre Jérémie et la machine, elle entreprit de lui ôter son pull et son T-shirt, tous deux pareillement souillés. Elle posa les lunettes du jeune homme sur son bureau avant de le soulever hors de sa chaise. Elle le porta autant qu’elle le traîna jusqu’à son lit. Cette nuit, il coucherait avec son plumard.
Saisissant deux mouchoirs, elle les roula en cylindre et les installa dans les narines de Jérémie, afin de limiter les dégâts potentiels.
L’ayant posé sur le lit, elle constata que les éclats de sang avaient touché le pantalon. Saisissant le pyjama — installé sous l’oreiller, comme toujours — elle prépara son amant pour la nuit qui l’attendait. Elle retira le pantalon et le boxer du jeune homme, puis le contorsionna pour qu’il puisse revêtir son bas puis son haut de pyjama.
Une fois cela fait, il ne restait plus qu’à le manipuler pour qu’il se retrouve sous la couette, tête couchée sur l’oreiller, le visage pointé vers le plafond. Elle savait qu’il préférait dormir sur le côté, mais c’était là une position trop compliqué à maintenir pour quelqu’un qui était encore en transe.
« Tu sais, ce n’est peut-être pas Xana qui va finir par te vaincre, mais toi. S’il te plaît, Jérémie, fais attention. Nous avons besoin de ton sourire, pas seulement de tes inventions.»
Aelita déposa un baiser sur le front de Jérémie. Deux gouttes d’eau salé glissèrent sur le visage du doux jeune homme.
« Dors, Jérémie, et rêve. Rêve d’un temps meilleur, avant Xana, avant tout »
Après l’avoir serré une dernière fois dans ses bras, Aelita se releva et s’en fut. Elle avait annoncé son message, et s’en retournait là-haut.
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Ainsi s’écoulait la vie de Jérémie. Sans qu’il le sût, à l’ombre de ses mouvements de pions, on veillait sur lui. Il avait invoqué un ange, et, aveugle, en jouissait.
Ainsi coulait la vie, d’attaque de Xana en transe nocturne apaisés par de doux baisers.
Ainsi se tarirait la guerre.
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« Une attaque. Territoire banquise.
— D’accord Einstein, répondit Ulrich au bout du fil. Tu sais à quoi elle ressemble sur terre ?
— Pas encore. Ramène-toi. Et vite. Si on ne le sait jamais, c’est que ce n’était pas grave et que vous avez été assez bon.
— Compris ».
Jérémie coupa l’appel et se reconcentra sur Lyokô et la bataille imminente. Dans le même laps de temps, il réfléchissait à des optimisations du Skidbladnir. En réduisant le poids en mémoire du programme, il pourrait enfin fourbir les navskid des améliorations qu’il avait en tête depuis le début.
Il réfléchissait aussi à la question du virus anti-Xana, à l’amélioration du clone de William, à un programme libérateur de William, et deux ou trois autres idées du même acabit.
En somme, il était en sous-régime. La faute à ces attaques distrayantes… trouver la tour, trouver la forme terrestre de l’attaque, virtualiser les pions, les guider, surveiller leurs bêtises, entretenir leur moral en ayant du répondant sur leurs blagues… Tant de taches auxiliaires qui l’empêchaient de se concentrer pleinement.
Encore heureux qu’il eût suffisamment formé les autres pour qu’ils se débrouillent sans lui sur le champ de bataille. Enfin, à peu près sans lui… Vraiment, il allait falloir leur faire inculquer quelques notions sérieuses de tactique… Parce que bon… les acrobaties suicidaires, cela ne va qu’un temps.
Enfin, en attendant ils savaient à peu près faire, et il ne pouvait guère en attendre plus. Il fallait qu’il fasse avec les outils qu’il avait sous la main. Et cesser de rêver qu’il puisse en avoir qui soient à la hauteur. Il pouvait cependant encore espérer qu’il soit possible de les améliorer un peu : une petite mise à niveau par-ci, un rabotage par là… À plus long terme, régler quelques détails comme ces histoires de cœurs qui les rendaient instables ou se révélaient une gêne. En particulier Odd et Aelita. Mais ça, c’était un plan déjà à l’œuvre. Il se trouvait juste être beaucoup plus long que prévu… Autant pour les vantardises d’Odd. On lui servait la cible sur un plateau d’argent, et lui ne le voyait pas… Pourtant, on parlait d’Aelita, quelqu’un d’autrement plus facile qu’Anaïs ou Christophe… Au moins, ils feraient bien la paire. Encore du travail en perspective pour Jérémie.
Si seulement, ils avaient pu être efficaces. Il aurait pu alors se concentrer sur l’utile, plutôt que de se perdre dans le superflu.
Ah ! Il venait de faire une erreur de frappe dans son code d’optimisation du Skidbladnir. Il s’était visiblement emmêlés avec la préparation du retour vers le passé. Rien de grave, mais qu’il était pénible de recommencer dix ou vingt commandes plus haut à chaque fois. Cela aussi il fallait qu’il l’améliore. Hopper n’avait visiblement pas eu le temps ou l’inspiration pour se créer de vrais outils moderne sur le supercalculateur… Et à son tour, Jérémie n’avait pas eu le temps d’y porter Bash.
Que de pertes de temps !
Du coin de l’œil il voyait les arabesques de ses pions sur la carte.
Ils avaient tous encore tout leur point de… Ah non, un point venait de clignoter et de disparaître en dessous d’un point rouge.
« Que s’est-il passé ?
— L’overbike s’est fait tacler par une patte de krabe. T’aurais vu se revers… répondit Odd.
— Ulrich est tombé et a roulé en dessous d’un autre krabe. Il essayait de se relever lorsque le Krab l’a dévirtualisé d’un coup de laser sortant de son ventre, poursuivit Yumi.
— D’accord. Et vous deux ?
— On tient le coup, Einstein ! Répliqua la voix survoltée d’Odd. La Princesse est presque à la tour… Au fait ? C’était quoi l’attaque ce coup-là ?
— Aucune idée. Je n’ai rien sur les réseaux sociaux, à la télé ou ailleurs… Mais ce n’est pas la première attaque à blanc. Xana nous joue sans doute un sale tour.
— Nous rendre malades d’ennui à force de refaire la même journée, comme la dernière fois ?
— Possible. Du coup, on va sans doute éviter le retour vers le passé. Je n’ai aucune envie de savoir quelles tours il a encore en réserve avec plus de puissance.
— Tour désactivée, intervint la voix douce et aimante d’Aelita.
— Bon, affaire close. On ne saura pas ce que voulait Xana… C’est sans doute mieux ainsi.
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Jérémie s’éveillait lentement. Ses yeux peinaient à s’ouvrir. Il était dans cet état où son corps et son esprit ne s’accordaient pas sur la marche à suivre : dormir encore ou s’éveiller.
Une fois n’est pas coutume, il semblait que c’était son esprit qui voulait rester au pays des rêves et son corps qui voulait forcer l’ouverture de ses yeux et qu’au noir porteur du néant salvateur, succèdent d’aseptisées blancheurs.
Il s’éveilla dans son pire cauchemar.
Revenu dans ce couloir blanc, poursuivi par les tentacules noirs de la folie d’Hopper et de Xana.
Revenu à l’époque où il avait employé ce casque pour améliorer ses capacités cognitives.
Du blanc, encore du blanc… un Soulages inversé.
Non !
Là ! Un trait non-blanc. Une irrégularité. Une excroissance. Une plinthe… et une rampe pour aider les faibles à marcher… Un hôpital… il devait être dans un hôpital.
Frottant ses yeux embrumés, il tenta de se redresser pour mieux fixer cette chose qui fuyait à la lisière de son regard.
Il se répandit en une quinte de toux dantesque. Comme une multitude de trous semblèrent ornés son drap blancs, lui donnant l’air d’avoir été mangé de vers. Et Jérémie regardait, comme sourd «sa bure où je voyais des constellations ». Ses yeux s’embuèrent de larme, et la douleur le transperça comme un coup de poignard alors qu’un dernier amas de glaires rouges venaient s’écraser sur les draps, laissant Jérémie plié en deux, les yeux ramenés au niveau de la carte de géographie qu’il venait de projeter.
Sa première carte de géographie.
Mais à peine eut-il le temps de penser cela qu’une nouvelle quinte de toux le reprit.
Et au fur et à mesure que les anglais débarquaient sur son lit, Jérémie se prit à désirer ses tentacules noirs de folie, ceux qui portaient le néant.
Nul cri ne pouvait sortir de sa gorge secouée de spasmes, et alors que sa vie s’écoulait, était expulsée hors de lui, la douleur prenait sa place, et les regrets s’effaçaient devant la rage.
Car il savait ce qui lui arrivait.
Ses pions, ses outils ainsi que ses ordinateurs et ses machines. Aucun n’avait été à la hauteur des taches qu’il leur avait demandés. S’ils l’avaient été, alors, il n’aurait pas à nouveau eu recours à cet engin de malheur.
Encore une fois, ils l’avaient laissé tomber.
Et sa rage devint haine.
Un outil inefficace devait être reformé. Ou rejeté. Mais dans tous les cas, un chien qui avait mordu son maître devait être abattu. Tout comme un cheval à la jambe brisée.
Il allait devoir trouver de nouveaux outils.
Et vite, car Xana n’attendait pas.
Il commença à réfléchir à la manière de présenter la chose à Aelita. Car d’elle, il ne pouvait vraiment se passer. Et contrairement à un démon qu’il aurait invoqué, il ne pouvait pas vraiment la contraindre. Du moins pas directement.
Néanmoins, il savait que Christophe en pinçait pour elle. Peut-être qu’en œuvrant à leur rapprochement…
Le plus important, c’était de faire au plus vite. Afin qu’il puisse reprendre ses recherches et anéantir Xana.
Une nouvelle quinte de toux le saisit et le laissa pantelant et épuisé.
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Le temps passait.
Enfin, il le devait. Mais malade, le dos brisé par la toux, Jérémie ne savait plus suivre son écoulement. L’avait-on seulement nourri depuis qu’il était ici ?
À un moment, il se sentit assez en forme ; il eût l’esprit assez clair pour appuyer sur la sonnette, et être encore conscient le temps qu’arrive une infirmière.
Le voyant réveillé, celle-ci procéda à un léger examen de son état de santé. Jérémie résista à grand peine à la tentation de lui aboyer d’accélérer et de le mener chez un responsable au plus vite. De toute façon son regard dur et sombre, et la morgue de son sourire ne poussèrent pas l’infirmière à s’attarder. D’ailleurs la condescendance avec laquelle il daigna répondre à ses salutations lui retira toute envie et de converser et de le revoir.
« Il est pourtant beau garçon, et avec une bonne bouille, pensa la jeune femme, mais avec un tel caractère, on comprend bien que personne ne soit venu le voir ».
Quelques agonies plus tard, Jérémie reçut la visite de celui qui ne pouvait qu’être le médecin en charge. Du moins si la clique d’étudiant qui l’entourait était un bon indicateur.
« Eh bien, ce n’est pas trop tôt ! Lâcha Jérémie en le voyant entrer.
— Navré jeune homme, mais nous sommes quelque peu occupés avec toutes ces demandes aux urgences.
— Oui, enfin, allez-vous finir par cracher pourquoi je suis ici ?
— J’aurais pensé que vos toux sanglantes justifiaient une présence dans un lit d’hôpital.
— Ah ? Mais ce sont des désagréments mineurs, non ?
— M. Belpois, je crains que ces désagréments passagers, comme vous dites, ne soient appelés à rester. Vous êtes la proie d’une forme particulièrement nocive de tuberculose. Nous vous avons déjà traité au BCG, mais la souche qui s’en prend à vous y a résisté. Il s’agit d’une souche non-repertoriée, et inconnue à ce jour, mais particulièrement violente. En outre, nous avons détecté, chez vous la présence d’une autre maladie. La syphilis. Là encore cette souche est inconnue. Elle… Pour le moment, notre traitement à la pénicilline n’a rien donné.
— Rien ?
— M. Belpois, je peux vous assurer que nous prenons votre cas très au sérieux, à dire vrai… vous êtes hors norme…
Le médecin avait eu l’air, tout la conversation durant, assez déstabilisé.
— Et eux, pourquoi sont-ils là ?
— Votre cas est… très particulier. Et en France, tuberculose et syphilis sont des maladies… eh bien, rares, si ce n’est éteinte.
— Eh bien, qu’ils fassent leur boulot, et vous le vôtre. Dans combien de temps je sors ?
— Vous n’y pensez pas ! Vous êtes contagieux. Quant au traitement… rien ne marche pour l’instant. Pour la tuberculose, nous avons un traitement expérimental, à base de pneumothorax. Pour la syphilis, nous allons renforcer les doses de pénicilline et voir l’évolution.
Jérémie réfléchit pendant un moment.
— Bon, pour combien de temps pensez-vous que je sois coincé ici ?
— Je ne peux rien vous garantir, je suis désolé. Mais une chose est sûre. Vous devez être au repos absolu. Je ne sais ce qui vous préoccupe à ce point, mais cela devra attendre.
Une quinte de toux secoua Jérémie, expectorant son agrément.
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Jérémie se réveilla.
Il ne savait combien de temps avait passé depuis la visite de son soi-disant médecin. Il n’avait que des flashes, de vagues souvenirs. Il se souvenait de séries de quintes de toux. À un moment, il avait perdu le contrôle de sa vessie et de son rectum. Incapable d’atteindre la sonnette, il avait croupi dans ses déjections. Il avait dû s’endormir, car dans le souvenir suivant, il était à nouveau propre. Il avait aussi senti sa peau se déchirer. Ses mains s’étaient couverte de plaque rouges, et des lésions étaient apparus sur ses lèvres.
La fièvre ne le lâchait plus. Il transpirait sans cesse, et grelottait sous ses couvertures. Sa gorge s’était irrité sous les glaires sans cesse expulsées. Chaque toux, quelque petite qu’elle fût, lui arrachait des grognements de douleur. Chaque expectoration lui fendait le crâne juste au-dessus des yeux. Des flashes blancs et noirs se succédaient derrière ses yeux. Sa vision était déchirée, les images réduites en lambeaux, tronquée, floues et instables. Il était sûr d’avoir halluciné sous l’effet d’une forte poussée de température.
Jérémie s’était réveillé, l’esprit presque clair, sur un chariot ambulatoire. Il avait tenté de lever le torse, mais la douleur l’avait immédiatement remis à terre. Un infirmier avait perçu le mouvement.
— T’en fais pas, gamin, on est presque à la salle d’opération. Ils vont te soulager là-bas. Tu vas voir, tu seras en pleine forme après.
Jérémie en doutait. Il savait ce qu’il en était.
XANA.
XANA l’avait atteint. C’était ça les attaques sans symptômes. Xana avait trouvé des versions modifiées, par l’armée ou des services secrets, de virus particulièrement violents. Ou il les avait fait muter lui-même. En tout cas, il avait infecté Jérémie.
Il vit, du coin de l’œil, des portes s’ouvrir. La salle d’opération.
Une tête se pencha sur lui.
— Mon garçon, il va falloir que tu sois fort, d’accord ? On va te faire un pneumothorax, enfin, une phrénie pour être exact, afin de soulager ton poumon tuberculeux. On va provoquer l’affaissement et la mise au repos de ce poumon, en appuyant sur le nerf. Pour cela on va t’entailler. En altérant les mouvements du poumons, on va lui donner du temps pour cicatriser correctement. Mais...Pour ne rien te cacher, cela va faire mal. Très mal.
Le médecin saisit une longue aiguille creuse — le trocart — la glissa entre deux côtes, et l’enfonca dans la plèvre. Un aide ouvrit la valve d’une bouteille d’azote reliée au trocart, et lentement le médecin insuffla le gaz dans la plèvre. Gonflée, celle-ci comprima le poumon qui, ayant ainsi moins d’activité, risque de mieux se cicatriser. Dans le même temps il commença à tirer sur le nerf phrénique afin de mettre au repos le poumon.
Sonné, Jérémie n’avait su que répondre. Machinalement, il avait dû hocher la tête. En tout cas, le médecin sortit de son champ de vision et laissa la place à quatre aveuglantes lumières blanches.
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Jérémie avait hurlé.
Encore.
Encore.
Et encore.
Jérémie avait hurlé.
Il avait imploré.
Il avait crié merci.
Il avait demandé grâce.
Enfin, ils en avaient eu fini.
Il avait alors vu le médecin arriver, un fil à la main, un cathéter derrière lui, dessus, il crut lire un mot : pénicilline.
On relia le câble à son bras. Le liquide descendit vers lui. En lui.
Dans un abîme de souffrance.
Jérémie hurla.
Encore.
Et encore.
Et encore.
Jérémie hurla.
Il implora.
Il supplia.
Il demanda pardon.
Le liquide coula.
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Jérémie était réveillé.
Conscient.
En possession de ses moyens.
Une quinte de toux le déchira.
Presque en possession de ses moyens.
Putain de Xana ! Cet enculé lui avait refilé les pires merdes qui soient !
Tuberculose pour le plaquer contre un lit d’hôpital, le rendre incapable et empêcher d’approcher un clavier d’ordinateur. Incapable de se concentrer.
Syphilis, pour faire de lui une plaie purulente. Et surtout, pour le rendre complètement fou.
Jérémie savait.
Il savait qu’il allait mourir. Mais qu’avant cela, son cerveau allait sombrer.
Il allait mourir deux fois. Et il était sûr qu’il resterait une part lucide de lui, quelque part, tout au fond, une part qui assisterait impuissante à sa transformation en épave la bave aux lèvres.
Une quinte de toux le déchira. Sa vision fut transpercée de lignes blanches et noires. Il revit à nouveau ce couloir blanc, et les ombres, les tentacules le pourchassant. Au fond du couloir, il y avait eu la Vérité. Le Savoir. La clé laissée par Franz Hopper pour vaincre Xana. Si seulement il avait su user correctement de ce casque cérébral. Derrière lui, les échecs de Hopper. Les tentacules de Xana. Ils venaient, ils emportaient son esprit, le tourmentaient, et venaient y déposer leur graine machiavélique. Ils déposaient la noirceur au milieu de son esprit. Pour qu’elle le ronge de l’intérieur. Le rende creux.
La maladie n’était que l’ultime étape.
Une attaque sur son corps et sur son cerveau après avoir visé son esprit. Bientôt, il n’y aurait plus rien derrière les prunelles de ses yeux. Déjà, il se prenait à les fermer toujours plus. Il voulait ce noir complet, absolu, de l’absence de vision. Ce calme si doux, ce baume apaisant. Il fuyait couleurs et lumières qui ne cessait de déchirer les images qu’il voyait à chaque quinte de toux. Il fuyait les images claires induites par la fièvre.
Il se refermait sur ce qui était vrai et sûr.
Oh ! Pas le savoir maudit de Franz Hopper. Non, le calme paisible et froid des abysses. Là où tout cessait.
Nul n’était venu pour lui.
Mais qu’avait-il besoin d’outils, de pions défaillant. Ils ne pouvaient rien pour lui. Même lorsque les maladies s’étaient déclarées, ils avaient passé depuis longtemps les limites du retour vers le passé. Et le temps que Jérémie comprenne cela, il s’était retrouvé à l’hôpital, alors… adieu la possibilité de se virtualiser sur Lyokô pour gagner du temps.
Mais surtout, il avait vite compris : il avait été remplacé.
Ses outils avaient trouvé un nouveau cerveau pour le remplacer.
C’était sûr, car sinon, Xana se serait manifesté.
Alors, il était là.
Seul.
Comme il s’étonnait de cela, il s’était rappelé que son père était dans le coma, suite à un accident de voiture il y a quelques mois. Cela n’avait pas été une attaque de Xana intéressante, alors Jérémie l’avait mise de côté. Quant à sa mère, elle se remettait toujours de l’accouchement, et les médecins lui avait interdit de sortir de sa chambre.
Alors Jérémie était seul. Trahi et abandonné par ses amis, ses proches sa famille.
Bah ! C’était un inconvénient mineur. Ce qui lui manquait, c’était un ordinateur pour poursuivre ses recherches. Sans cela, il était coupé du monde et de tout. Le reste n’était que mirages et distractions.
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Toc toc toc.
Tiens, quelqu’un qui frappait ?
Le foutu personnel hospitalier ne frappait jamais lui.
Pas plus que le médecin entouré de ses étudiants qui venait observer le cas extraordinaire du patient immunisé à la pénicilline et au BCG…
« Bonjour Belpois.
— M. Delmas ! Qu’est-ce… que… que faites-vous là ?
— Allons Belpois. Je n’allais pas laisser un de mes élèves sans visite. Surtout quand l’infirmière m’a glissée que personne ne venait vous rendre visite.
— À quoi bon ? Tout le monde sait ce qu’il en est.
Jérémie n’avait pas réussi à retenir l’amertume dans sa voie. Aucun de ses pions n’était venu le voir. Ulrich, Yumi… Pas même Aelita. La salope. Il la faisait revenir dans le monde des vivants, et elle le remerciait comme ça ! En crachant sur sa tombe ! D’autant, que bon… il n’y avait pas trente-six façon de choper la syphilis. Et il n’avait pas souvenir d’avoir jamais consenti à aucune d’elles.
Jean-Pierre Delmas poussa un léger soupir. Il avait amené avec lui des fleurs ainsi qu’une petite corbeille de fruit. Il entreprit d’arranger les fleurs dans un vase vide et laissa les fruits à côté du malade. Il vint ensuite s’asseoir à côté du lit.
Il ne put retenir un frémissement en voyant le visage de Jérémie. Autrefois franc et ouvert, beau et solaire, il était désormais fermé. La bouche était tordue dans un rictus qui mêlait douleur et suffisance. Le front et les joues étaient recouverts de plaies coruscantes. Du pus suintait et se mêlait à la transpiration qui imbibait les draps.
— Belpois, comment… Enfin, pondéra Delmas, vous tenez le choc ?
— Et vous ? Vous tiendriez ? Après tout, je ne vais que mourir. Ah, non ! Je suis défiguré, et je vais devenir dément. Donc, oui, tout baigne. Vous voulez une orange ? Ajouta-t-il en désignant la corbeille de fruit.
— Oui, merci.
Le proviseur saisit une orange et mordit dedans.
— Vous devriez essayer. Celle-ci est très bonne.
— Comment faites-vous pour la manger comme ça ?
— Quoi ? Elle est excellente, je vous le dis.
— Mais, vous n’ôtez pas la peau ?
— Du tout, c’est plein de nutriments, et rajoute un petit zeste de goût.
— Un zeste ? C’est amer comme tout, et va vous exploser les dents.
— Mais, non, mais non. Voyez-vous, Belpois, c’est une légende urbaine ça. Qui génère plein de gâchis en plus. C’est bien dommage pour ces pauvres oranges.
— Oh ? Parce que vous les plaigniez ? Elles sont quand même mangées au final.
— Je ne sais pas vous, mais moi, quitte à être mangé ou utilisé, je préférerais que cela soit le plus entièrement, le plus pleinement possible.
— Dites, M. Delmas, avec tout le respect que je vous dois. Vous n’avez rien d’autre à faire que de déblatérer des inepties sur les sentiments des oranges.
— Belpois, Belpois. Il faut apprendre à voir au-delà du littéral.
— Hin hin… Voyons voir… une orange… serait-ce une image de la terre, cette sphère bleue, aplatie aux pôles, comme une orange bleue. Très originale comme idée. Oui, chapeau. Alors voyons, l’orange mangée entièrement, comme la terre exploitée par l’Homme. Mais, bon, là, votre image tombe à l’eau… comme quoi, comparaison n’est pas raison.
Jérémie eût un rire triste, âpre et rogue.
— Franchement, Monsieur, n’avoir rien de mieux à faire, c’est d’une tristesse. Je ne vous savais pas papa pingouin départant de sa banquise. Vous devriez peut-être ramener votre tête auprès du foyer. Ici, ce n’est ni la Méditerranée, ni l’été. Je me sens plutôt assez loin dans les frimas.
Jean-Pierre explosa de rire avant d’avaler un autre bout d’orange.
— Allons, Belpois. Si vous en voulez, il suffit de le demander. Mais, je peux aussi monter la température dans la pièce. Le radiateur est juste là.
— Merci, mais non. Je m’en voudrais de vous contaminer. J’ai cru comprendre que j’étais assez contagieux. Enfin pour la tuberculose. Il est assez dur de choper la syphilis sans… contacts intimes… très intimes. Je ne pense pas que nous en soyons là… pas encore…
— Qui sait… un jour peut-être nos esprits feront la communion spirituelle.
— En attendant, moi je n’aime pas les lundi.
Nouveau rire du proviseur.
— Ah, vous avez saisi… c’est d’une tristesse, ils ignorent toujours ce genre de référence… Et puis…
Il poussa un profond soupir avant de reprendre.
— Lorsque l’on assume une position d’autorité, ou qu’on doit l’assumer, il est difficile de maintenir la distance et le respect. Une blague qui n’est pas comprise, c’est…
— Dommageable.
— N’est-ce pas ?
— Vous ne pouvez pas quitter votre poste pour autant.
— Oh, ce n’est pas si compliqué, vous savez Belpois.
Sur ces entrefaites, le proviseur regarda sa montre.
— Ah, il est l’heure.
— Pardon ?
— Je suis navré, Belpois, mais il me faut y aller. Voyez-vous j’attendais qu’un ami ait fini son service à la chapelle pour le visiter.
— Qu’est-ce que ?
— J’espère vous revoir rapidement parmi nous. »
Et Jean-Pierre de se lever, de remettre son manteau et de sortir en fermant soigneusement la porte derrière lui, afin que la lumière de la pièce ne se déverse pas dans les doucereuses ténèbres du couloir.
Jérémie, médusé, ne sut que dire. Et de toute façon, une quinte de toux brisa le fil de ses pensées pour lui rappeler qu’il n’était que plaie.
Delmas n’était qu’un bip anonyme dans le cours des évènements. Une simple variation gênante dans les équations directrices qui régissaient la lutte contre Xana.
Néanmoins, de cette visite Jérémie pouvait-il faire quelque chose ?
Oh oui ! Il y avait beaucoup à en tirer. Delmas, c’était une ouverture vers l’extérieur. C’était des informations. Et, utilisé correctement, le moyen de nettoyer son outillage. De faire place nette en se séparant des équipements rouillés ou périmés.
Jérémie recommença à planifier. Son esprit, c’était la seule chose qui tenait presque la route. Et pour planifier, il n’avait pas besoin de lumières. Il pouvait se réfugier au fond des abysses, là où le froid engourdissait même la douleur.
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— Plus vite, on va le perdre !
Le médecin, Zied de son prénom, hurlait tandis que les soignants se précipitaient. La respiration du gamin s’était faite erratique. Son rythme cardiaque et son encéphalogramme étaient au point mort, enfin presque.
— Ramenez une couverture chauffante ! Et faites-lui boire quelque chose !
Comment ce petit pouvait-il mourir de froid dans une pièce où le thermomètre indiquait vingt-huit degrés ?
Le médecin en charge avait été rappelé au milieu de la nuit par l’infirmier de garde, débordé.
Voilà pourquoi il faut mettre des infirmières en charge. Elles au moins, prennent des initiatives. Enfin, je peux comprendre. Quand on voit ce qui reste du corps de ce petit… Cela ne donne pas envie de le toucher, même avec des gants.
Du pus suintait de toute part et se mêlait au sang qui avait remplacé la bave sur la commissure des lèvres de Jérémie. Sa peau était devenue une carte de géographie. Un ensemble de terres désolées et déchiquetés. Des crevasses la parsemaient, bordées d’éruption cutanées. Çà et là, des boutons coruscants luisaient d’un jaune malsain. La combinaison du froid et de la pourriture avait entraînée la nécrose de certains tissus. Déjà, deux doigts de pieds et un pouce manquaient.
Cela étant, l’arrêt cardiaque était une possibilité plus préoccupante. C’était ça la priorité. Ensuite on verrait pour les amputations. Quant au fait qu’il délirait depuis quelques jours… On verrait en temps et heures. Qu’importe que le personnel le trouvait plus agréable ainsi que lorsque son esprit semblait sain. Cela étant, le fait que les seules choses qui franchissent ses lèvres gercées fussent des mentions de violences et de morts avait quelque chose d’effrayant.
Le fringant et solaire garçon amené par l’ambulance semblait désormais un cadavre ranimé par la morgue.
En matière d’arrogance, il en jetait pas mal d’ailleurs. Au point qu’au début, un ou deux infirmiers avait évoqué une punition divine dans les maladies qui l’affectaient. Il fallait dire que vu la combinaison d’infections qu’il se coltinait… S’il avait de la chance, il allait le faire cet arrêt cardiaque, à cause du froid ou d’autre chose. Sauf que… il avait l’air plutôt solide comme garçon. Plus que ce à quoi on s’attendrait au vu de son seul physique. Surtout, il manifestait une volonté adamantine. Zied ne savait pas ce qui le faisait tenir ainsi. Mais il aurait bien aimé que tous les condamnés médicaux qu’il avait eus à suivre eussent eu la même opiniâtreté.
— C’est bon ! Il est hors de danger pour le moment !
La conclusion de l’infirmière le ramena sur terre.
— Très bien. Ses constantes ?
— Aussi bonnes qu’on peut l’espérer.
— Parfait. Vous venez prendre un café avec moi, Colette ?
Une fois dans la salle de repos la plus proche, Zied put poser la seule question importante :
— On se connaît depuis quoi deux lustres, trois ? À votre avis, il en a encore pour combien de temps ?
— Vous n’avez aucun espoir de le guérir ?
— Aucun. Les traitements habituels ne marchent pas. Alors on essaye des vieilleries ou des traitements expérimentaux… mais Ces saletés résistent. Et si on augmente les doses, c’est la douleur qui va le faire clamser.
— Alors… quelques semaines je pense. Tout au plus. Peut-être moins. Ce soir semblait être… un laisser-aller.
— Vous pensez qu’il a trouvé le moyen de baisser la température de la pièce ?
— Non, il s’est juste… mis en hibernation, ou quelque chose comme ça. Un arrêt progressif de la mécanique.
— Surprenant. Rajoutez ce qu’il faut à son cocktail médicamenteux pour empêcher ce genre de sommeil.
— Je vais faire ce qu’il faut.
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Jérémie émergea hors des profondeurs océaniques. Autour de lui l’enfer. En lui, le feu brûlant qui lavait la chair et écorchait l’âme. Son corps, il le savait n’était plus le sien. Il était en train d’être refait, pièce par pièce : préparer à rejoindre le destin. Mais, lui, lui, le refusait.
Il en était hors de question. Xana n’aurait pas le dernier mot ! Non, il l’emporterait avec lui dans la tombe. Et s’il fallait arpenter le septième cercle des enfers, alors Xana l’y précéderait et y subirait son pouvoir !
Qu’importaient les autres ! Ils étaient les moyens de cet objectif. Ils avaient été les moyens d’Aelita, ils seraient ceux de sa revanche contre Xana !
Et Jérémie d’éclater d’un rire dément, traçant sous une pluie de sang une nouvelle constellation rubiconde dans ses draps détrempés !
Bientôt son rire se transforma en une longue lamentation. Ses oppresseurs ont le dessus et ses ennemis prospèrent. Lui, lui n’est qu’un cerf sans pâture qui s’en va sans force devant celui qui le poursuit. Tous ceux qui l’honoraient le méprisaient, car ils ont vu sa nudité, et lui, Jérémie, détourne la face.
Le joug de mes iniquités a été lié dans sa main ; unies en faisceau, elles pèsent sur mon cou ; il a fait chanceler ma force. C’est pour cela que je pleure, que mon œil, mon œil se fond en larmes ; car il n’y a près de moi personne qui me console, qui me rende la vie ; mes fils sont dans la désolation, car l’ennemi l’emporte.
Mais Jérémie n’avait plus de larme. Il n’avait plus que du sang à donner, derniers bouillons de fraîcheurs à pouvoir un tant soit peu lui rappeler que le monde n’est pas le foyer d’un grand brasier.
On toqua à la porte. C’était son médecin, un dénommé Zied.
— Bonjour M. Belpois. Vous nous avez fait peur cette nuit. Mourir de froid comme ça… Enfin. Voyez-vous, cela montre que nos traitements ne sont pas encore assez efficaces. Alors, nous allons renforcer les doses.
Le temps de son discours, le médecin avait entrepris de changer le cathéter. Jérémie le vit prendre une poche de liquide. Dessus, il y avait marqué « pénicilline ».
— Malheureusement au vu de l’épisode de cette nuit, nous ne pouvons vous donner d’analgésique.
Il termina les réglages. Le médecin lui prit ledit bras et le sangla au lit, il procéda de même avec les jambes et le dernier bras, avant d’ouvrir la vanne.
Jérémie vit le liquide couler vers lui.
Jérémie vit la mort du virus s’introduire et infuser en lui.
— Bien, le traitement semble efficace. Cet après-midi, il y aura une nouvelle séance de pneumothorax, à ce moment, on renouvellera ton cathéter.
Et il hurla quand son corps devint l’enfer d’un champ de bataille acharné entre les hordes innombrables.
Pharmacopée. Larmes.
Alors Jérémie cria à s’en fendre la voix, jusqu’à ce que même ses cordes vocales renoncent, brisées.
Et les ténèbres le fuyaient. Il les avait perdues cette nuit, lorsqu’il avait été ramené en enfer. Lui qui souhaitait revenir à l’origine.
Quelques heures plus tard… ou quelques jours, d’ailleurs, Jérémie ne savait. Jérémie n’avait plus vraiment la perception du temps. En tout cas, il faisait nuit dehors. Donc, il était plus de dix-sept heures, et moins de neuf heures. Ce devait être ça. Mais, s’il pouvait réfléchir à cela, c’était en soi une source de joie. Cela voulait dire qu’’il avait un peu de répit. Que chaque camp en lui préparait une prochaine grande bataille. D’ailleurs, les infirmiers n’allaient sans doute pas tarder à venir recharger le cathéter et nettoyer un peu Jérémie.
La porte s’ouvrit.
Une silhouette se dessina dans l’encadrure. Sous l’effet de la lumière drue du couloir, elle ne se détachait qu’en noir. Jérémie vit à travers ses yeux dévastés de larmes des traits noirs avancer… Des bras. Soudain, la lumière fut. Deux poignards de feu transpercèrent les yeux et le front de Jérémie, lui arrachant un hurlement de douleur.
— Jérémie, mon pauvre… Tu vas bien ?
Il put reconnaître la voix de sa créature. Aelita. L’ange qu’il avait fait descendre de Lyokô sur terre. Mais sa réponse ne put être qu’un râle.
— Je suis désolé. Je n’ai pas pu venir te voir plus tôt. Tu comprends, avec mon père dans le réseau, et son ancien associé qui nous fait des siennes. Mais, tu veux savoir la bonne nouvelle ? J’ai retrouvé ma mère ! Et elle se souvient de moi ! Envoyer Laura là-bas a été une très bonne idée. Mais, je parle, je parle… Peut-être veux-tu quelque chose à boire ? Ou à manger ?
Disant cela, elle alla chercher un verre d’eau dans la salle de bain attenante à la chambre de Jérémie.
Elle ne revint que quelques minutes plus tard.
— Pardon, je me suis permise d’utiliser tes toilettes. J’espère que cela ne te dérange pas trop ?
Jérémie grommela vaguement.
— Où en étais-je ? Ah, oui. La lutte contre Xana avance bien. Heureusement que tu étais si près du but. J’ai repris tes travaux, et j’y suis presque. Sans toi, je n’aurais eu aucune chance de revoir ma mère, et d’avoir des nouvelles de mon père. Oui, oui, il est revenu. Il m’a envoyé un message sur Facebook. Il m’a donné rendez-vous dans la chapelle de Kadic. Tu sais, celle qui est en rénovation ?
— Que ? Qu’est-ce que ?
Jérémie avait réussi à retrouver un peu de forces vocales et de présence d’esprit.
— Tu vas quoi ?
— Calme-toi, Jérémie ! S’écria Aelita, posant sa main sur son torse pour l’empêcher de se relever.
Elle reprit :
— Oui, maintenant, que, grâce à toi, Xana pourra presque être vaincu, tout va pour le mieux. Tu as vraiment été le meilleur. Comme Odd. Mais, lui aussi, a été victime d’une attaque de Xana. Dommage, il y avait de bonnes nouvelles, d’heureux événements pour lui.
— Odd !
— Oui, cela a foutu un coup à Yumi. Déjà qu’Ulrich n’était plus vraiment… enfin, tu vois. Mais ne t’en fais pas, j’ai trouvé de quoi assurer la relève de tes vétérans. J’ai pu mettre Milly et Tamiya dans l’affaire. Et avec elle Christophe. Bon il me tourne un peu autour… Mais, tu sais, tu es le seul pour moi. Lui, je pense qu’il irait mieux avec Milly, une fois qu’il y aura un peu de cresson autour de la fontaine bien sûr. Je pense recruter Hiroki aussi. Il prendrait facilement la place d’Ulrich. Comme tu vois, on s’en tire bien sans toi. Tu n’as pas à t’en faire.
Aelita ponctua cette tirade d’un grand sourire.
— Aelita, ta mère…
— Quoi, tu penses que c’est un piège ? Allons, allons, tu t’en fais trop. La fois précédente, oui, mais celle-là… tout est prévu et planifié. Comme pour le recrutement des remplaçants pour assurer la relève des troupes. S’il-te-plaît, Jérémie, fais attention. Nous avons besoin de ton sourire, pas seulement de tes inventions.»
Et Aelita de se pencher sur Jérémie. Elle saisit une de ses mains, puis pencha sa tête vers la sienne, et l’embrassa sur les lèvres, glissant sa langue dans la bouche de son amant. Jérémie se souvint soudain du dernier baiser d’Aelita. Comme la syphilis, une idée le frappa pendant ce contact intime… Elle n’avait quand même pas…
— Merci, Jérémie, tu as été parfait. Maintenant, tu devrais te reposer.
La jeune fille se releva. Fit le tour du lit, et récupéra son manteau qu’elle avait laissé sur une table à côté de la porte.
— Oh ! Ils m’ont dit qu’il fallait rouvrir la vanne de ton cathéter avant que je ne parte.
Elle se rapprocha du lit et procéda, ainsi que les infirmiers le lui avaient montré.
La jeune femme ouvrit la porte, tourna l’interrupteur, et quitta la pièce.
Les ténèbres engloutirent Jérémie.
« La salope ! Hurla-t-il »
Elle savait qu’il était contagieux, mais elle l’avait quand même embrassé… Il s’en doutait déjà à dire vrai… Il n’y avait pas tant de manières que cela d’attraper la syphilis, et seule Aelita avait la clé de sa chambre.
C’est à ce moment, que la pénicilline atteignit les tréfonds de Jérémie dont les imprécations se perdirent dans un torrent de douleur.
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Jérémie se réveilla. Il avait senti une présence auprès du lit. Il ouvrit les yeux et secoua la tête pour en chasser les larmes.
Il peina à se faire une idée de cette silhouette.
— Belpois, je vous ai réveillé ? Je suis navré
— Que ? Delmas ?
— Monsieur Delmas. Je reste votre proviseur, voulez-vous, Monsieur Belpois. Mais foin de tout cela. Voulez-vous une orange ?
Delmas lui tendait un quartier d’orange déjà pelé et découpé. Sachant qu’il mangeait habituellement ses oranges avec la peau, Jérémie en déduisit une attention spéciale envers lui. Pour ne pas décevoir son visiteur, il tendit le bras, sans parvenir à réprimer un grognement de douleur. Mais cela le força à sortir son bras du drap. Il vit bien le mouvement de recul et de dégoût de Delmas. Il lui en voulut. Il n’avait rien demandé. Et surtout, il n’avait pas demandé à voir son corps réduit à l’état de charogne.
— Eh bien ? Aboya-t-il. Vous me la donnez cette orange?
— Allons, chaque chose en son temps. Je n’ai pas l’habitude de peler et découper les oranges. Je voudrais éviter tout gâchis.
— Bah… Pour ce que cela change.
— Ne dites pas cela. J’ai passé du temps dans un lit d’hôpital et je ne garde pas un souvenir ébloui de la qualité des repas. Jamais assez de sel, comme si mettre en tant soit peu de goût c’était risquer de que les patients fassent de l’hypertension.
— D’un autre côté, c’est le cas pour pas mal de malade.
— Mais pas pour vous Belpois… Profitez-en !
— Youpi ! Profitez-en ! Profitez-en qu’y disaient ! Les hôpitaux forment la jeunesse ! Pour quoi déjà ? Ah oui… quelques jours encore…
— Eh bien, il y en a sans doute pour un peu plus que cela. Je veux dire. Cela dépend pas mal de vous…
— Parce que vous croyiez que je le veux ?
La voix de Jérémie avait enflé. Il hurlait à plein poumons.
— Vivre plus longtemps ? À quoi bon ? Il n’y a pas de remèdes à ces saloperies. Vivre, c’est attendre que mon corps se gangrène et se réduise à un tronc assisté. Vivre, c’est attendre le jour où la démence va me prendre. Vivre, c’est voir les autres m’éviter. C’est voir leur dégoût profond ! À la hauteur du dégoût que je m’inspire moi-même, d’ailleurs. Je ne peux plus me regarder dans une glace. Je ne peux plus bouger sans hurler. Et même rester immobile est une torture ! Une torture raffinée par les glaires et le sang ! Une torture rythmée par un luxe de quintes de toux ! Je ne veux plus vivre ! Je ne veux plus de cela !
Jean-Pierre Delmas avait calmement écouté cette tirade amère. Il avait continué à découper son orange. Il mit un quartier dans la main de Jérémie, et en enfourna un autre de sa bouche. Il le mastiqua lentement.
— Belpois.
Il soupira.
— Pourquoi ne pas vous être laissé aller il y a trois nuit alors ?
— Comment le savez-vous ?
— Bruits de couloir. Votre résistance a forcé l’admiration et continue de le faire.
— Je n’ai rien décidé cette nuit-là. C’est eux. Et ce traître de corps qui ont décidé.
— Donc vous n’aviez pas vraiment tenté d’en finir. J’aurais, à dire vrai, trouvé impressionnant que vous ayez su maîtriser votre rythme cardiaque consciemment à cette fin.
— C’est du pareil au même. Je réfléchissais. Je voulais le repos. Cette nuit-là… je l’ai trouvé.
— Et pourtant, vous êtes revenu.
— Je ne l’ai pas choisi !
— Ah ce n’est pas l’avis des médecins, semble-t-il. Pour eux si vous ne vous étiez pas battu, ils n’auraient rien pu faire.
— Je n’y peux rien, si ce bâtard de corps, lui, veut continuer à… à perdurer…
Jérémie expulsa ces derniers mots en une pluie de crachats sanglants, avant que son corps ne se remette à raidir et trembler sous l’effet d’une quinte de toux.
— Vous pensez donc que ce n’est que du réflexe ?
— Et quoi d’autre !
— Je ne sais pas. Mais… cela me semble assez étrange. Votre vie entière jusqu’à présent ne serait qu’une continuation mécanique ? Les simples desiderata de votre corps souhaitant s’entretenir ?
— Vous êtes débile ou quoi ! Cela n’a aucun rapport. Avant je choisissais. Je décidais. De manger, d’aller, de courir ! Je pouvais programmer ! Vous avez vu mes mains !
Jérémie leva ses deux bras pour les mettre sous le nez de Delmas. Trois doigts et un pouce étaient aux abonnés absents.
— J’en ai perdu un avant-hier. Il a fallu attendre ce matin pour qu’un infirmier daigne passer vois si je vivais encore et me nettoyer un peu. À ce rythme, je ne pourrais plus faire d’informatique de ma vie. Et difficilement écrire. Bah, de toute façon, tôt ou tard, je vais mourir. Autant que tout s’arrête maintenant !
Il tenta de se lever pour faire face au proviseur, mais une quinte de toux le rabattit en plein vol.
— Nous mourrons tous un jour. Et pour la plupart d’entre nous, le plus tard, le meilleur. Mais franchement, quand tout va, c’est vous qui voulez continuer, quand ça ne va plus, c’est votre traître de corps qui s’impose à vous ? Un peu facile, non ? répliqua Delmas.
— Vous voulez ressassez des évidences, ou quoi ? L’interrompit Jérémie.
— Je ne suis pas convaincu. S’il en allait ainsi, vous auriez recommencé ce qui s’est passé l’autre nuit. Jusqu’à réussir. Que ce soit par insuffisance ou par lassitude du personnel médical.
— Et donc ?
— Rien. Vous n’avez pas recommencé. C’est tout.
— Et donc ?
— Je ne sais pas. À vous de me le dire, Belpois.
— Hin hin… vous pensez que cela témoignerait d’une envie mal cachée de continuer à vivre ? Plutôt que de m’enfoncer dans l’obscurité ? Vous êtes d’un naïf.
— Pas de mensonge entre nous, Belpois.
La voix du proviseur avait claqué. Ferme et autoritaire. Incontestable.
— Nous n’avons ni le temps, ni l’énergie pour ce genre de mondanité, vous ne croyez pas ?
— Oh ! J’ai peur ! Chassez-le, le proviseur revient au galop ! Vous allez faire quoi ? Me tuer ? Faites, faites… Je vous en prie.
— Vous tuez ! HAHAHA ! Je pourrais juste vous laisser seul. Mais oui, vieille habitude de proviseur, j’ai du mal avec les mensonges de mes élèves. Or, vous êtes encore un de mes élèves. Jusqu’à votre diplôme.
— Oh ? Vous viendrez me chercher dans la tombe pour que je passe mon brevet ?
— Ne me tentez pas ! Il serait drôle de voir la réaction de vos camarades à la présence d’un squelette dans la salle d’examen, assis au milieu des élèves.
Jérémie se laissa gagner par la bonhomie de son proviseur et de cette histoire absurde. Un début de rire franchit ses lèvres secouées par la toux.
— C’est sûr que ce serait mieux que mon état actuel. Moins distrayant. Moins de bruits et d’odeurs pour les déranger.
— Allons Belpois, je suis sûr que vos petits camarades sauraient surmonter cela.
— Oui, comme ils ont su se remettre de mon départ…
À nouveau l’humeur de Jérémie avait repris de sombre couleurs.
— C’est triste et désolant en effet.
— Non pas possible ! Ils vous tournent le dos dès que quelque chose cloche ! Du jour au lendemain, pouf ! Plus rien ! Plus rien sur quoi compter !
— Ils ont pensé — nous avons tous pensé — que vous reviendriez très vite. Puis après… ils ont eu peur. Peur de mourir aussi.
— Et alors ? Je m’en moque ! Ils auraient dû être là ! J’ai toujours été là pour eux, moi !
— Leur attitude, commença Delmas, peiné, est compréhensible. Injuste, aussi. Mais compréhensible. Ils ont peur. Comme vous vous avez peur.
— Je n’ai pas peur ! Au contraire ! Je veux ! Le repos !
— Je ne parlais pas de peur de la mort.
— Pardon ?
— Il n’y a pas que cette peur, vous savez. Il y en a d’autres. Moins connues. Moins universelles, mais tout aussi efficaces.
— Mais encore ? lâcha Belpois d’un air sceptique.
— La peur d’être trahi. La peur d’être abandonné. La peur d’être et de rester seul.
— Franchement, vous n’avez rien de mieux à faire de votre vie… Genre, diriger un collège ?
— Je ne suis pas si bon administrateur ou pédagogue. Mais, quand il faut, il faut.
— C’est-à-dire ?
— Belpois, vous avez peur d’être seul. Vous l’avez été, à votre arrivée à Kadic. Vous avez peur de le redevenir, en voyant qu’il n’y a eu ni famille, ni ami pour vous visiter. Et que même les médecins ou infirmières ne vous parlent pas. À leur décharge, la période est un peu chargée, entre la météo et les mondanités.
— Vous ne voulez pas en finir avec ces oranges et vous casser là ? J’aimerais bien finir de tousser d’agonie tranquillement.
— Oh ! Ne vous en faites pas. Je ne compte pas rester. Juste le temps de finir ces oranges. Il en reste seulement 10. Elles m’ont été envoyée par un ami, Jérémiah Gottwald. Il s’est reconverti après une carrière militaire ma foi assez brillante dans la cavalerie.
— Et que voulez-vous que cela me fasse ? C’est une manière de me dire que je devrais me reconvertir, arrêter l’informatique ? Que tout le monde peut prendre un nouveau départ dans la vie ?
— Non. Nous avons dit, «pas de mensonges.» Dans votre cas, il me semble qu’il n’y a pas de reconversion. Sauf peut-être en squelette dans la classe de Mme Hertz.
— Je crois que le poste est déjà pris par une espèce d’étrange animal, répliqua Jérémie goguenard.
— Vous voyez, vous avez besoin de conversation. Même en essayant de me jeter hors de la chambre, vous n’arrivez pas à ne pas vous prendre au jeu.
— Mais… mais… Allez vous faire foutre !
Cette fois une baffe partie qui alla rafraîchir la joue de Jérémie.
— Surveillez vos manières, Belpois.
Le proviseur avait prononcé cela d’un ton bonhomme.
— Ah, en voilà une de faite. Vous voulez un autre quartier ?
Jérémie ne sut que répondre. Et de toute façon, il n’en eût guère l’occasion, puisque le proviseur lui fourra un quartier dans la bouche.
— Pardon, j’étais sûr que vous en vouliez une de plus. Et puis, il serait dommage qu’elles se gâtent une fois épluchées. Enfin, où en étions-nous ? Ah oui. Le problème, voyez-vous, Belpois, ce n’est pas d’avoir peur. Encore moins d’avoir peur de la fuite des autres. Je suis passé par là, voyez-vous. Ce n’est pas agréable, mais cela passe. À condition de rester stoïque.
— Que ?
— Je vous ai un peu observé voyez-vous. Enfin, plus ces messieurs Stern et Della Robbia. Surtout lui dernièrement. Des profs tuant un élève, cela aurait fait désordre, non ? Je ne peux laisser Madame Hertz tuer Della Robbia après ce qu’il a fait. Mais tout semble maintenant s’orienter vers un heureux événement ou dénouement. Enfin bref. Cela m’a permis de voir quelques petites choses. Vous étiez le chef de la bande. Plutôt un bon chef d’ailleurs. Réussir à fédérer des individus aussi divers et individualistes que Mlle. Ishiyama, M. Stern, M. Della Robbia et Mlle. Stones… Il fallait le faire. Vous n’avez pas eu l’air d’avoir eu de problèmes politiques. Vous avez su être un chef et en endosser le manteau. Ce qui est bien. Je trouverai dommage de vous voir renoncer si près du but.
— De quel but ? De quoi parlez-vous ? Vous avez… keuf… keuf… le mystère ?
Jérémie s’alarmait. Le proviseur aurait-il tout compris ? Mais une quinte de toux avait avalé sa phrase.
— Mystère ? Je ne suis pas gnostique voyez-vous. Je veux juste dire que vous avez vécu en chef, et vous pouvez continuer à le faire.
— Et alors ? Sous peu je suis mort.
— Et ? La mort ne conditionne pas tout. C’est à vous de faire quelque chose de votre vie. Laissez votre mort à d’autres.
— Et c’est moi le dément !
— Vous avez des choix à faire, Belpois. Comment vivre ce qui vous reste de temps. Vous pourriez vous laisser aller. Ou vous laisser mourir. Ou trouver un moyen d’être tué. Vu votre intelligence, c’est tout à fait dans vos cordes. Vous pouvez aussi vous battre fougueusement.
— Super ! Autant de chouettes options ! Tant de chemins qui s’offrent à moi ! Et au bout, quoi déjà ?
— Je ne sais pas. C’est à vous de voir. Mais, bon, pourquoi vous laisser tomber plus bas que terre. Vos amis sont partis ? Remplacez-les, faites sans. Endurez. Vous avez-été trahi ? Supportez. Et rendez ce qui vous a été donné. Faites la part des choses. Mourir, bien mourir, c’est se battre. Se battre contre vous-même qui à la toute fin renoncez à qui fit que vous étiez vous !
— C’es intéressant. Inconsistant et inutile. De même que sentimental et parfaitement irrationnel. Mais, si cela vous fait du bien, faites, M. Delmas.
— Mais tout à fait, Belpois. Je fais. Mais vous-même ? Êtes-vous prêt à partir ? Vraiment ? Moi je ne vois qu’un gamin geignard. Pas le chef décideur que vous avez montré être.
Malgré lui, Jérémie se sentit pris dans l’enthousiasme de son aîné. Il y a quelques jours à peine, il parlait de remplacer son outillage. Oui, il l’avait oublié, il avait laissé quelque chose d’aussi insignifiant que la douleur et quelques doigts perdus le ralentir. Mais sa force, c’était son cerveau. Sa force n’était pas dans son corps. Il lui suffisait de maintenir ce dernier à flot. Un pas à la fois.
Jérémie se sentit s’enflammer à nouveau. Et il n’était pas question de fièvre cette fois-ci. Il pouvait encore ! Il pouvait encore rattraper le coup ! Aelita ! Xana ! Tyron ! Sérieusement, ces faibles pensaient qu’il allait être défait par la maladie. Oh non ! Oh que non ! Et s’il le fallait il ferait en sorte que Delmas ramène son squelette sur le trône qui lui revenait de fait et droit ! Devant le clavier du supercalculateur !
À nouveau, du sang gicla hors de Jérémie. Mais il n’en avait cure. Cette fois-ci, il combattit le réflexe de son corps qui avait commencé à se raidir en l’attente de la prochaine quinte de toux. Non, il allait l’exploiter. Il utiliserait les spasmes de son corps pour se ranimer, pour se lever, et pour marcher vers leur fin. Ce qu’il avait donné, il pouvait le reprendre ! Tel était le pouvoir de celui qui gouvernait. Le Dispensateur de bénédictions pouvait tout aussi bien les retirer ou les maudire. Mais pour tout cela, il lui fallait un ordinateur.
Oui, maintenant, il savait que faire.
— Pourriez-vous me donner un autre morceau d’orange, M. Delmas ?
— Bien sûr. Vous avez l’air plus décidé. Vous avez fait un choix.
— Oh que oui. Je vivrais jusqu’à la dernière des secondes possibles, et j’achèverais tous mes objectifs. Même les bonus.
— Et ensuite ?
— Alors je pourrais mourir l’air apaisé et serein, et cracher dans l’œil de la mort la défiant de venir m’emporter.
Une lueur fière et hardie brillait dans l’œil de Jérémie. Elle avait remplacé la fièvre de la folie.
Son cœur n’était plus vide et désemparé.
Il n’était plus déstabilisé. Son cœur n’était plus froid. Au contraire, il battait et pompait un sang chaud de détermination dans ses artères. D’un coup, son lit lui paraissait plus agréable et accueillant. Qu’importait la transpiration et le sang. C’étaient les siens. Ils étaient une partie de son foyer.
Aborbé dans ses sentiments chaleureux, il n’entendit pas son visiteur sortir. Ce n’est que bien plus tard qu’il revint dans le monde réel, un début de plan en tête.
Avant toute chose, il allait lui falloir un ordinateur.
Il se tira dans son lit, sans prêter attention aux hurlements douloureux de ses articulations.
Par chance, quelqu’un avait déposé un vieux fauteuil roulant dans la chambre. Il s’y assit, et partit à la recherche d’un ordinateur qu’il pourrait voler.
Il fendit la foule sans prêter attention aux expressions choquées des gens qui apercevaient son visage. En chemin, il croisa des enfants assis devant une sorte de spectacle. Jérémie passa rapidement, n’apercevant la scène que du coin de l’œil. Sous l’effet des larmes qui coulaient perpétuellement dans ses yeux, il ne vit qu’un ensemble de taches rouges et vertes. Les enfants eux aperçurent sa figure déformée, et son œil fiévreux de détermination.
Une série de cris et de pleurs s’élevait dans son sillage ; ainsi qu’une traînée sanglante. Mais il n’en s’en souciait guère. Il avait eu son content de cris et de pleurs, et savait désormais qu’ils étaient d’inutiles blessures qu’il se devait de canaliser.
— Enfin !
Il avait trouvé ce qui devait être la salle informatique. Il n’espérait pas trouver un matériel performant dans un pauvre hôpital, mais cela serait suffisant pour avoir accès à internet et au fonds secrets qu’il avait mis de côté. Le loto, ça rapportait.
Avisant une boule pendant à une guirlande, il s’en empara. Il la brisa contre son fauteuil afin de récupérer l’attache métallique. Avec elle, il pourrait crocheter la serrure.
Jérémie se mit à la tâche avec ardeur. Pour la première fois depuis Dieu sait quand, il se concentrait pleinement et utilisait ses mains en même temps. Ce faisant, il mettait au repos ses sens ; il repoussait au loin les appels de son corps. Quelque chose semblait toquer au pavillon de ses oreilles. C’était assez similaire au fait d’avoir un mot sur le bout de la langue. Mais ce n’est qu’une fois son crochetage fini qu’il s’autorisa à la résolution de ce mystère.
De la musique.
Il lui semblait avoir déjà entendu ce morceau.
Il releva la tête. Le mouvement calme et ample, très harmonieux de la mélodie l’intriguait, l’attirait. Tout d’un coup, des voix retentirent qui attisèrent sa curiosité.
Il progressa dans le couloir, appelée par le chœur. Il y avait des décorations partout.
Il ouvrit en grand la porte entrouverte afin de pouvoir rentrer avec son fauteuil.
La musique l’absorbait.
Enfin, il reconnut le morceau.
Le cœur, et la bouche, et l’action, et la vie.
C’était le 24 décembre.
Jérémie Belpois perdit la vie, dans la chapelle de l’hôpital Ambroise-Paré.
Jérémie Belpois mourut le sourire aux lèvre à l’écoute de la musique mariale.
Jésus demeure ma joie, Consolation et sève de mon cœur
_________________
«— Je te promets de t’obéir comme au Chef, de t’aimer comme un frère aîné, et d’être loyal à la Patrouille. »
Le juge avait un fils, Serge Dalens.
_________________ AMDG
Prophète repenti de Kane, vassal d'Anomander Rake, je m'en viens émigrer et m'installer en Lyoko.
Dernière édition par Silius Italicus le Mer 10 Fév 2021 14:09; édité 11 fois
Posté le: Jeu 03 Déc 2020 20:58 Sujet du message: Réflexions
Inscrit le: 06 Aoû 2007 Messages: 1346
— Maintenant, vos histoires idiotes, ça suffit. Tu vas tout simplement me révéler tout ce que je veux savoir.
La voix de Tyron semblait provenir du Ninja qui se tenait immobile en face d’elle, mais Aelita savait qu'il s'agissait d'un subterfuge. Elle entendait sa voix de la même manière qu'elle entendait celle de Jérémie, il y a encore une minute, avant que cette étrange sphère virtuelle noire se referme sur elle et ces quelques sinistres sbires.
— Si vous pensez vraiment pouvoir m'enfermer et m'interroger aussi facilement, vous vous trompez lourdement, Tyron !
— C'est Professeur Tyron ! vociféra ce dernier. Et ce serait plutôt à toi d'éviter de me sous-estimer, fillette !
— Mais vous ne pouvez rien contre moi, Tyron !
Aelita bondit alors en arrière pour mettre un peu de distance entre elle et les Ninjas, tout en canalisant un champ de force au creux de chacune de ses mains. "Ceux-là, je les connais, alors ils ne devraient pas être difficiles à battre", supposa-t-elle, en lançant ses orbes.
— Attention ! Xana vous envoie des monstres ! annonça Jérémie.
— Bien reçu, confirma Aelita alors qu'elle immobilisait le Mégapod en face du pont menant au Cœur du Cortex. Je nous débarque !
Les quatre Lyoko-guerriers se déployèrent autour de leur véhicule, toutes armes brandies. Il ne leur fallut que quelques secondes pour voir apparaître tout autour d'eux une dizaine de Rampants.
— Bon, il est où William ?
En réponse, un grognement plaintif d'un Rampant suivi du souffle de son explosion attira leur attention dans un recoin du relief cortexien. William venait d'y apparaître, profitant de son Supersmoke pour éliminer l'ennemi qui s'était glissé dans l'angle mort de ses camarades.
— Je suis ici, Aelita !
— Bon, bah reste concentré et près de nous, ne joue pas aux fanfarons !
— Comme tu voudras, princesse, soupira l'intéressé avant de rejoindre le groupe en se laissant tomber de son promontoire.
La bataille s'engagea alors. Les Rampants, désormais au nombre de neuf, serpentèrent sur les parois pour encercler au mieux leurs adversaires tout en les immobilisant par un feu nourri. De leur côté, les héros se couvrèrent mutuellement, en faisant bon usage de leur véhicule comme protection supplémentaire. Trois monstres explosèrent à la suite de tirs de flèches laser et de lancers d'éventails quand William manqua sa première parade, et fut projeté contre le Mégapod par un tir de Rampant chargé bien placé.
— On devrait bouger ! suggéra Ulrich.
— Non, il faut tenir la tête de pont ! contra Aelita
Mais la pression de l'offensive grandissant, Ulrich décida de tout de même s'écarter sur le côté, et activa brièvement son Supersprint pour éliminer un tirailleur gênant. Yumi se rapprocha alors de lui pour trouver une meilleure position de tir.
— Visiblement, ça n'a vraiment pas plu à notre Ange que ce soit Laura qui nous fasse le briefing de mission aujourd'hui...
— On dirait...
La discussion tourna court quand deux nouveaux Rampants surgirent du rebord de la plateforme. Nouveaux à tous les égards d'ailleurs : le premier, à la texture plus sombre avec des motifs noirs, était un peu plus grand que les autres et arborait une corne sur l'arrière de la tête. Le second avait une forme classique, mais était intégralement recouvert du gris-bleu métallique qui était habituellement réservé aux parties articulées de sa queue.
Yumi lança sans attendre son éventail sur ce dernier, mais ceux-ci ricochèrent dans un tintement métallique avant de tomber au sol, sans avoir causé le moindre dégât. Le Rampant sombre en profita pour ouvrir la gueule et viser Ulrich, mais à la surprise de ce dernier, c'est un rayon laser permanent, bien plus puissant, qui en émana. Si puissant qu'il échoua à le contrer avec son sabre, et s'il eut le réflexe de s'écarter sur le côté pour éviter d'être transpercé par le trait lumineux, il fut quand même blessé sur le flanc par le fil de sa propre arme, projetée en arrière.
— Mais c'est qu'ils sont pare-balles maintenant, ces trucs ? s'exclama Odd, qui de son côté avait également à faire avec un Rampant gris-bleu.
Pour gâter un peu plus la situation, ce fut à cet instant qu'un séisme se déclencha. Le territoire commençait à se reconfigurer, et la plateforme à l'entrée du pont du Cœur sur laquelle se trouvait encore Odd, William, Aelita et le Mégapod commença à se retourner.
— Aelita, qu'est-ce qu'on fait ? demanda William.
Mais celle-ci, pour toute réponse, déploya ses ailes et se rua vers la porte du Cœur, qui commençait à s'entrouvrir.
— Éloignez-vous du Mégapod ! ordonna Jérémie, alors que la zone devenait véritablement dangereuse.
William se replia sur les hauteurs grâce à son pouvoir, tandis que Odd peinait à galoper sur une surface de plus en plus glissante tout en esquivant les tirs de Rampants. Ces derniers, eux, étaient parfaitement dans leur élément, et se déplaçaient sans accroc dans tous les sens.
— Qu'est-ce que tu fais, Aelita ? demandait Jérémie, constatant l'inconsidérée percée de celle-ci dans le territoire ennemi.
— Je profite d'une ouverture. On est venus ici pour une raison, non ?
— Laisse-la faire, commenta Laura. Laisse-la s'enfermer et se faire mal toute seule.
Pour compléter le tableau, deux Ninjas firent leur apparition à l'entrée du Cœur pour en défendre l'accès. Aelita fonçait toujours tout droit, en chargeant des champs de forces dans ses mains.
Les deux Ninjas visés par Aelita esquivèrent ses boules d'énergie sans aucune difficulté, tandis que deux autres se glissèrent dans son dos. Ceux-ci, d'un violent coup de pied dans le tibia de leur victime coordonné à une ferme prise sur son épaule, la forcèrent à choir aux pieds du cinquième Ninja, le meneur, resté fièrement impassible depuis le début.
— Vous perdez votre temps, vous êtes impuissant, Tyron !
— Petite écervelée… Ton arrogance n'est-elle faite que de stupidité ?
Aelita voulut se relever et répliquer par une nouvelle provocation, mais elle ne put finalement que s'effondrer et n'émettre qu'un grand cri. Pendant un temps indéfini, il n'y avait dans son crâne que le hurlement d'une pure douleur. Une déchirure brutale et totalement inattendue, dont la brûlure semblait affecter son corps tout entier.
La victime mit quelque temps avant de ne serait-ce que réussir à reconnecter sa conscience, et pouvoir penser à nouveau. Elle n'avait jamais connu cela. Elle ne savait pas qu'il était possible de ressentir cela, encore moins dans un monde virtuel qui l'avait habituée à inhiber ce genre de perceptions.
Elle parvint finalement à rouvrir les yeux, et put enfin constater que ce supplice était provoqué par la lame du chef des Ninjas, venue brutalement transpercer d'un seul coup à la fois sa cuisse et son mollet. En relevant son regard le long de ce pieu, elle rencontra le regard froid, mais pourtant plus présent que jamais, de son adversaire.
— Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Tu t'es jetée dans ce guêpier toute seule.
Elle ne pouvait que tenter de soutenir cet étrange regard, en serrant les dents aussi fort qu'elle le pouvait.
— Je t'avais dit de ne pas me sous-estimer, fillette. Et maintenant que je t'ai calmée, on va pouvoir discuter.
L'Ange ne put que poser le genou au sol pour encaisser la violence du coup. Les attaques de ces nouveaux Rampants sombres étaient incroyablement puissantes, et leurs capacités de déplacement étaient redoutablement efficaces en ce lieu. Trois d'entre eux serpentaient déjà sur les parois externes du Cœur, autour de la porte : l'un servant de véritable canon de siège pour clouer l'intruse au sol, tandis que les deux autres s'en prenaient frontalement aux Ninjas.
— De toute évidence, seuls les champs de force combinés d'Aelita ont la puissance nécessaire pour parer ces nouvelles armes, exposa Jérémie.
— Privilégiez l'esquive et les attaques de corps à corps ! compléta Laura.
— J'aimerais bien t'y voir ! maugréa Aelita
— Si ça t'emmerde tant que ça, on échange quand tu veux, tu sais ?
Un soupir agacé de Jérémie conclut cet échange, tandis qu'Aelita mobilisait toute son énergie pour résister au laser permanent qui lui était toujours adressé. Elle ne pouvait que constater que les deux autres monstres réussirent à surprendre les Ninjas, à en dévirtualiser un et, en s'enroulant tout autour de lui comme un serpent, à immobiliser le deuxième.
— Les gars, vous faites quoi ? demanda-t-elle.
— Hey, tu crois qu'on fait la causette là-derrière ? répliqua la voix grésillante d'un Odd essoufflé.
— Attends… où es-tu ? demanda-t-elle, intriguée.
— Bah, au labo ! J'me suis fait écraser par ta berline garée en double file, et si tu permets, je vais m'allonger un peu, je suis encore sonné…
Un coup d’œil en arrière permit à Aelita de constater que la topographie du terrain avait effectivement sensiblement changé : le Mégapod avait disparu dans la mer numérique, tout comme un pan du disque intérieur, de l'autre côté du pont. Yumi s'était perchée en haut d'une tour et tentait d'éliminer les Rampants sombres, tandis qu'Ulrich et William mettaient tous leurs efforts à atteindre et faucher de leurs armes les Rampants métalliques.
— On a des Rampants de guerre ici, et des Rampants blindés aux armes à projectile aussi ! résuma ce dernier.
— Et puis… une Méduse, annonça Jérémie.
Elle venait de faire son apparition par le bas, à proximité d'Aelita. Celle-ci enrageait de ne pas trouver de solution pour se désengager, tandis que l'immense créature se rapprochait dangereusement sur sa droite, et que les Ninjas en face approchaient, tenant fermement leurs sabres.
L'agent de Tyron enfonça un peu plus son arme, suffisamment pour la planter dans le sol. Aelita était définitivement clouée sur place, quand bien même elle n'était pas déjà paralysée par la douleur provoquée par la blessure elle-même. "Au moins, la Méduse interrogeait sans douleur", grinça-t-elle.
— Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
— Qu'est-ce que vous venez faire dans mon supercalculateur ?
— On a déjà essayé de vous le dire, notre ennemi est Xana, une intelligence artificielle redoutable qui se cache dans votre supercalculateur…
— Vraiment… Vous voudriez me faire croire… Que vous n'avez que de bonnes intentions ? Des êtres sages et purs, venus pour charitablement m'aider à nettoyer ma machine ?
— Oui ! On est là pour vous aider !
Tyron éclata d'un rire franc, mais bref. Puis, d'un seul coup, un des Ninjas décocha un coup d'épée dans le dos de la prisonnière, de sorte que le fil du fer traça nettement une ligne rouge de son omoplate jusqu'à la hanche opposée. Elle poussa un nouveau rugissement, ce qui ne sembla pas le moins du monde perturber ses ravisseurs.
— Arrête de te payer ma tête. La seule véritable menace pour mon projet, c'est toi !
Aelita s'épuisait de plus en plus. L'énergie nécessaire pour résister devenait de plus en plus difficile à canaliser. Si bien qu'au bout d'une minute d'efforts, elle lâcha prise. Elle n'avait plus la force d'effectuer un autre mouvement tactique, et ne put qu'encaisser de plein fouet le laser du Rampant. Elle fut projetée brutalement en arrière et se retrouva assise, le dos contre une épée noire plantée dans le sol. Reprenant ses esprits, elle n'eut le temps que d’apercevoir ce même Rampant recharger son arme avant qu'il ne soit dévirtualisé par un éventail salvateur.
— Hé bien hé bien, est-ce que ça va ? s’inquiétèrent ses amis en accourant auprès d'elle.
— Oui, ça va, répondit-elle en se relevant. Vous avez fini ?
— Oui, on a réussi à éliminer tous les monstres. Il ne reste que ce Rampant blindé là-devant, et… ça…
Aelita leva les yeux, et découvrit le propriétaire de l'épée contre laquelle elle était assise, suspendu dans les airs, aux prises de la Méduse. Une aura menaçante, mais familière aux guerriers, l’enserrait sournoisement.
— Que se passe-t-il, Jérémie ? demanda William
— Hé bien… on dirait que Xana tente de voler la mémoire d'un Ninja.
Cette situation originale, doublée d'un étrange répit dans la bataille, permit à l'équipe de discuter un peu plus posément. Jérémie proposa de tenter de pirater les informations volées par la Méduse, et ainsi "regarder par-dessus l'épaule de Xana" pour essayer d'obtenir des informations sur Tyron. Laura exprima quelques doutes et inquiétudes quant à ce plan, notamment concernant les conséquences possibles pour le Ninja lui-même — savait-on seulement de quelle nature ils étaient faits ? Peut-être que leur devoir moral, à la fois en tant qu'ennemis de Xana et en tant que simples humains était de sauver cet individu des griffes du plus redoutable monstre de ce monde ? Les autres ne prirent pas position, surtout William qui ne prit même pas la parole. Ce fut finalement Aelita qui trancha en ordonnant le piratage.
— Les Ninjas sont tout autant nos ennemis que les monstres de Xana. Et toute information est bonne à prendre.
Les héros observèrent alors dans un lourd silence le Ninja se faire arracher sa mémoire au fur et à mesure que les tentacules se plantaient dans son crâne. Finalement, au bout d’interminables minutes de trépanation, la Méduse abandonna le Ninja et s'en alla tout simplement, tout comme le dernier Rampant, laissant le corps inerte de sa victime s'écrouler par terre. Les Lyoko-guerriers restèrent immobiles, fixant le cadavre sans oser faire quoi que ce soit.
— Des infos intéressantes ? questionna Aelita, rompant le silence malgré l’air encore interdit de ses amis.
— Alors… Répondit Jérémie. Je regarde ça… Alors oui, déjà… je vois que vous avez encore de la compagnie ! Il y a encore au moins cinq Ninjas près de vous !
Les Lyoko-guerriers firent volte-face, et virent les cinq ennemis, déjà émergés du sol et les bras tendus. Un rayon de lumière verdâtre émana de leurs paumes, en direction d'Aelita, et ils disparurent dans le sol avant que quiconque n'ait le temps de proprement réagir.
Et puis, tout devint sombre. Aelita était séparée des autres, entourée de vide, et des cinq Ninjas réapparus près d'elle, avant que le sol lui-même ne disparaisse.
Son corps entier se crispait erratiquement. L'esprit se confrontait à la réalité d'un corps virtuel capable de souffrir mais incapable de saigner, cautériser, ou ne serait-ce que larmoyer pour tenter de compenser le calvaire.
— Tu as laissé tes amis derrière toi, pour quoi ? Te délecter de la souffrance et la mort d'un de mes agents ? Qui n'était ton ennemi que parce que tu en as décidé ainsi ? Qui est le monstre, ici ?
— Vous ! C'est vous qui me séquestrez et me torturez !
— Torturer ? Ça ? Mais ma pauvre enfant. Que sais-tu réellement, au juste, des véritables souffrances de la vie ?
Une épée se planta dans l'abdomen de la jeune fille, à proximité du foie.
— Ces douleurs, ces coups, ce n'est que du décorum, sinon de l'expiatoire.
Une nouvelle blessure, dans le bras cette fois-ci.
— Te rends-tu compte seulement des souffrances que tu infliges toi-même ?
Encore une, au travers de la main.
— Décisions irréfléchies, inconsidération totale des autres, mépris des compétences, sentiment injustifié de supériorité intellectuelle… Et tout cela, ce n'est que sur la base de ce que j'ai pu observer de votre petit manège d'aujourd'hui !
Au tour de la joue d'être défigurée.
— Et ça pourquoi ? Parce que tu te crois spéciale ?
Aelita rassembla toutes ses forces pour essayer de répliquer.
— Si vous saviez qui je suis…
— Mais tu ne comprends toujours pas, ma parole ! Je m'en FOUS de qui tu es ! Tu ne présentes définitivement AUCUN intérêt à mes yeux, sinon les informations que je peux obtenir de toi ! Et comme je suis un horrible monstre sans cœur ni foi ni loi comme tu en es assurément convaincue, j'ai décidé de te capturer, de t'interroger, et de te torturer dans un monde virtuel ! Pourquoi ? Tout simplement parce que c'est évidemment plus cruel que de simplement t'exécuter en téléchargeant la totalité de ta mémoire, n'est-ce pas ? Tu pourrais même t'en sortir vivante ! Le crois-tu, dans mon infinie ignominie, je pourrais même me servir de cet argument pour essayer de te faire plier !
Si les larmes avaient existé dans ce monde, Aelita s’y fût noyé.
— Sais-tu ce que mon agent a ressenti, pendant cette extraction mémorielle ? C'était comme une chaise électrique mal réglée. Je l'ai vu se tétaniser, j'ai suivi ses constantes alors qu'elles s'affolaient. Et je ne pouvais rien faire sinon choisir entre croire en votre humanité, ou mettre fin moi-même à la scène, en prenant le risque de causer des séquelles neurologiques définitives.
Un dernier coup d'épée s'abattit, cette fois-ci en plein cœur.
— Alors ne vient pas me faire croire que tu viens pour m'aider à je ne sais quoi. Tu es déjà un bien pire monstre que moi. Alors tu vas simplement m'aider à régler ce problème définitivement, en répondant à mes questions.
— Non… Ils vont me libérer…
— Qui ça ? Tes amis ? Mais s'ils le voulaient, ils l'auraient déjà fait !
— Quoi…?
— Depuis les quelques heures que nous sommes là, ne crois-tu pas qu'ils t'auraient libérée, s'ils tenaient vraiment à toi ? Si seulement tu respectais un peu tes amis, en privé comme au combat… Mais là, il me parait évident qu'ils t'ont simplement abandonné ici parce que tu n'en valais pas la peine !
Tyron marqua une pause, pour laisser cette idée se faire une place dans l'esprit de sa victime.
— Et puisque tu penses déjà valoir mieux que les autres, pourquoi t'en encombrer plus longtemps ? Débarrassons-nous-en ! Il te suffit de me dire où je peux trouver tes camarades et ton supercalculateur !
Aelita hésita, mais finalement secoua péniblement la tête.
— Bon. D'accord. Je te laisse y réfléchir. De toutes façons, tu as de toute évidence un peu besoin d'introspection. On en rediscutera dans quelques heures. Ou dans quelques jours. Qui sait.
Et les Ninjas disparurent, et tout devint sombre et silencieux. _________________
" Reprenez votre souffle madame. Et votre récit par la même occasion. On a pas toute la journée non plus. "
Madame Rosa acquiesça, et jeta un regard inquiet sur sa droite. Jim Moralès renifla bruyamment, acceptant d’une main contrite le mouchoir qu’on lui tendait. Il le porta à son nez avant de violemment se rétracter. Oh, non. Il était en tissu. Comme le tablier de travail de... Les souvenirs lui revinrent, à feu doux, comme un steak aux oignons à la Rosa. Oh, non. Pas les stea-
" … Non non monsieur Jim, calmez-vous -oh bon sang, on ne va jamais s’en sortir- "
CLAC.
Souhaitez-vous enregistrer ?
" Oui, merci, c’est mieux… Désolée, je crois bien que c’est le mouchoir qui l’a… Oui, je crois que c’est encore trop frais dans sa tête… Que, quoi ? Non, non, pas comme mes croiss… Oh, juste une blague, vous dites ? C’est amusant, vous me rappelez un des gamins, vous avez la même… Oui oui, c'est mon tour de dire ce qui s’est passé, mais je ne me souviens pas de tout, vous savez, ça sentait tellement la fin des haricots que… Juste dix minutes, et après je peux rentrer chez moi, vous dites ?
Donc, euh... Je suis la cheffe cuistot du collège Kadic. Rosa, pour les élèves. C’était une journée normale, je crois… Enfin, non, ça partait en sucettes. Il y avait eu une erreur de livraison, le camion n’était pas arrivé à l’heure. Il y a trois ans, ça serait passé crème, mais vu que le petit Della Robbia est entré dans ma vie, et comme je le connais bien ce loustic, je sentais qu’on se dirigeait droit vers une crise du croissant. Pas mes mots, ceux de Jim. Lui, il voulait depuis longtemps qu’il n’y ait que des fruits au petit-déjeuner, vous vous rendez compte ? Je nourris les collégiens comme mes propres enfants, et si j’en avais, ils ne se priveraient pas des bonnes choses de la vie, pauvres lapins… Non, Jim, non, il n’y en a plus, arrêtez donc de sangloter !
Donc, la crise des croissants. Il fallait faire vite. Je me suis dit « Rosa, réfléchis : tu as des œufs, du lait, de la farine… Tu as connu pire, quand ce vieux grincheux de Hopper était encore prof ici ». J’ai fait mon devoir, rien de plus. J’avais une heure devant moi. Ça ne me laissait qu’une option : un gâteau au chocolat, assez grand pour tout le collège. C’était du tout cuit. Delmas m’a regardé avec des yeux, on aurait dit un poiss… Poisson, Jim, il va bien falloir que vous vous en remettiez… Enfin, bref. J’l’ai fait. Enfin, pas en une fois, le moule aurait été trop petit. Il suffisait de patience, et en quatre tours vous pouviez faire des parts individuelles. Et y avait le compte ! Bon, Della Robbia aurait pas son rab’, mais j’avais mis assez de sucres pour qu’il ne fasse pas la fine bouche. J’y ai mis tout mon cœur et mes œufs. C’était poisseux de partout sur mon plan de travail, mais à la guerre comme à la guerre, n’est-ce pas ?
… Ah non, ça n’a pas commencé à ce moment-là. Je vous dis, c’est juste que cette journée envoyait la sauce tout de suite… Oui, oui, la suite, justement. Dites, j’aurais pas aimé être à la place de votre mère, quand elle vous racontait une histoire… J’y viens, oui !
Donc j’ai sauvé le petit-déjeuner. Je sentais comme j’avais failli passer à la casserole, mais j’avais eu chaud. Le reste de la matinée, après… C’est juste recevoir les livraisons – encore que le camion n’était toujours pas là, mais on avait entendu parler d’un incident grave sur le périph’, une histoire de car scolaire devenu chèvre - si, si, vous allez voir, ça a un rapport avec l’histoire ! Mais bref. Pas de camion. Il ne me restait que des restes de la veille. Du hachis parmentier, du couscous-boulettes, des trucs du genre… Par chance, le p’tit Della Robbia avait sauté le déjeuner la veille, comme ça lui arrive parfois. C’est peut-être pour ça qu’il a la peau sur les os, mais qu’il en demande plein à ronger quand il vient au self… Allez comprendre.
J’étais à nouveau dans l’impasse. « Rosa, t’as pu te dépêtrer des estomacs encore fourbus de sommeil, mais tes canetons, là, ils viennent d’être cuisinés par leurs profs. Surtout les quatrièmes, ils ont eu madame Hertz. Elle, quand elle y met tout son cœur, c’est pas de la tarte ». Il fallait de quoi leur réchauffer la tête et le ventre. Je suis pas pas sujette à la chair de poule, mais les gosses, c’est un peu L’Aile ou la Cuisse. Autant ils pourraient adorer le mélange choucroute/frites/hachis, autant ça pourrait les convaincre des inepties de Jim ! Je suis la responsable de leur équilibre alimentaire, ils doivent avoir les quatre groupes d’aliments dans leur assiette ! J’ai regardé par la fenêtre, il y avait une branche d’arbre qui entrait dans ma cuisine… Maintenant, je me dis que cette branche aurait dû me mettre la puce à l’oreille, mais d’habitude, les arbres ne parlent pas à l’oreille des humains… Bon, il m’a quand même donné une idée, celui-là : il fallait que je la joue fines herbes ! Il faudrait juste faire avaler à Delmas que c’est pour mettre du sel dans la journée des gosses, et il en serait baba ! Bref, j’ai laissé cette branche vivre sa vie, et j’ai commencé ma tambouille. Tout se déroulait bien, j’étais inspirée, y avait même des petits oiseaux pour venir voir. Ça aussi, ça aurait dû… Oh, Jim, si vous ne pouvez pas supporter, vous pouvez aussi sortir !
Je disais donc… Je cuisinais, et tout se passait tellement bien que même les petits oiseaux venaient gazouiller. Je me suis mise à siffloter avec eux, comme dans les petits dessins animés que les enfants regardent. Ça me mettait en joie, moi, quand j’étais gosse. J’imaginais faire mes gâteaux en chantant pour les p… Poules et les v… Vaches – Oh, pourquoi ne pas l’emmener se reposer ailleurs ? Et puis, c’est tout de même une drôle de salle, pour juste « discuter », y a plein d’écho et pas de lumière… Ah, ça je veux bien croire, quand il s’agit de payer des réparations, les directions sont jamais là ! Enfin... Je chantonnais. Oh, rien de bien intelligent, juste quelques jingles pour des desserts ou pour Noël. La perspective d’un bon déjeuner, ça met toujours du baume au cœur… Moi, je mettais le mien à l’ouvrage.
C’est vers là, que ça a dû démarrer. Je n’ai pas compris tout de suite, ce n’est que quand j’ai dû m’arrêter de siffler pour ajouter de la viande hachée à mes burger-ragoûts que j’ai entendu… Les oiseaux… Ils chantaient… Mais pas comme des oiseaux, non… Ils chantaient comme moi ! Avec ma voix ! Ils reprenaient les mêmes airs de réclames, les mêmes jingles ! Mais il n’y avait pas que des chants de geai… Il y avait d’autres sons, qui montaient au-dehors, qui s’approchaient… Je me suis retournée… Le museau dans ma cuisine, le regard torve… Une… Une vache ! Elle chantait aussi ! Vous pouvez le croire, ça ? Une vache, chanter en me fixant, que les produits laitiers sont ses am… Je… Quoi ? Leurs… Yeux ? Oh, non, je n’ai pas vu tout de suite ! Il y avait une vache entière dans ma cuisine, bon sang ! Et selon vous, j’aurais dû faire attention à… Non, je vous dis, ce que j’ai vu en premier, c’est la vache qui chante !
Et après ? J’suis restée comme ça, un peu décontenancée, à les regarder, et d’un coup, l’oiseau est rentré ! Il s’est pris les pattes dans les restes du petit-déjeuner ! Je l’ai vu s’attarder sur une coquille d’œuf… Puis me regarder, moi, comme si j’avais tué ses petits ! Comme si je cuisinais aux œufs de geai ! Mais il avait pas l’air d’en démordre ! Et la vache… Elle, par contre, n’avait d’yeux que pour moi… Elle continuait à chanter… Des jingles de fromages ! Ça sentait le pâté. J’ai commencé à reculer, à chercher de quoi me défendre, quand soudain, un chat ! Je sais pas d’où il sortait, mais il me fixait avec de grands yeux affamés et autoritaires… C’est sur lui que j’ai remarqué… Il avait les yeux rouges ! Étincelants, avec un étrange logo… Et d’un coup… D’un coup, il m’a demandé ce qu’on mangeait ce midi ! J’ai même pas eu le temps de comprendre, qu’un… Qu’un pingouin est arrivé ! Un chat, passe encore, mais un… Non, je ne savais pas encore que le zoo était tombé… C’est plus tard, quand j’ai vu les animaux dans la cour, comme s’ils étaient chez eux… Et le pingouin, il… Il avait la veste de Monsieur Delmas ! Lui aussi, il a parlé… « Allons, mon petit, le déjeuner ne va pas se faire tout seul ! ». Un pingouin ! Qui parle ! Heureusement que le petit Della Robbia est arrivé… Il m’a dit « suivez-moi m’dame Rosa, ou on va y laisser des plumes ! ». On a traversé la ville… Les animaux… Ils conduisaient des voitures, ils traversaient la route… Moi j’aime bien les Disney, je vous l’ai dit, d’ailleurs mes préférés c’est ceux avec les chiens, là… Mais ça, ça n’avait aucun sens !
Puis, on est arrivés là. Votre planque était complètement retournée, mais… Non, bien sûr, je ne dirai rien ! Vous m’avez sauvé la vie, après tout… Je n’ose imaginer ce que ce pingouin aurait fait… Oh, Jim, pour l’amour du Ciel ! "
Jérémie soupira. D’un doigt las, il mit fin à l’enregistrement. Devant lui, Madame Rosa serrait encore sa spatule contre son ventre. Elle admonestait un Jim qui continuait à regarder nerveusement le plafond. Impossible de savoir pourquoi, mais a priori, le témoignage s’arrêterait là. Et après tout, ils étaient à l’abri.
L’Usine était le seul endroit où bon nombre d’animaux n’avaient pu attaquer. Vaches, cochons et moutons s’étaient contentés de prendre en siège le bâtiment et de détruire l’ascenseur. Les accès secondaires étaient trop compliqués pour eux. Quant aux oiseaux… Ils lui avaient volé dans les plumes. Il en toussait encore, d’ailleurs. Mais qu’importe. Dans quelques minutes, il serait de retour au petit-déjeuner.
Il le savait, il devait à la cheffe cuistot et au prof de gym traumatisé de lancer le Retour vers le Passé. Mais l’attaque avait été trop fascinante pour qu’il ne prenne pas le temps de faire une petite archive à chaud. XANA avait été brillant. Faire dysfonctionner tous les abattoirs aux abords de la ville pour libérer des hordes XANAtifiées de bétail… Ça avait même bloqué le périphérique, quand les animaux avaient attaqué des camions. Pourquoi ils avaient fait ça, au lieu de foncer directement vers Kadic, Jérémie n’en savait rien, mais peu importe. Ce qui comptait, pour sauver le monde, c’était l’attaque sur l’Usine. Ça valait largement de faire passer Madame Rosa sur le gril.
Enfin. Il en avait fini. Il ne tirerait plus rien de la courageuse cheffe et du pauvre monsieur Jim qui lançait maintenant des regards hystériques à un Odd Della Robbia gargouillant de faim et à son chien, ramené à l'Usine à titre exceptionnel. Tout le monde était fatigué. Ulrich s’était pris de plein fouet la charge d’un mouton, et se tenait le postérieur avec l’air de le reprocher à Jérémie. Yumi et Aelita, quant à elles, attendaient sur Lyoko que leur chef daigne les libérer de cette histoire. Elles avaient eu leur compte de bestiaux, elles aussi. Disons seulement qu’ils étaient du genre virtuel. Bref. Jérémie finalisa la sauvegarde de son enregistrement.
Dommage. S’il avait levé les yeux au plafond avant de faire son Retour vers le Passé, il aurait trouvé quelque chose de plus intéressant. Un geai, perché sur un câble, observant la situation paisiblement. Dans ses yeux, un symbole bien connu, deux cercles, trois barres en bas et une barre en haut, clignotant discrètement d’une faible, mais prometteuse lueur… _________________
"Au pire, on peut inventer le concept de Calendrier de l'Avent pour chaque fête religieuse, maintenant que le forum a le template pour faire un article de La Croix"
Ces quelques minutes allaient déterminer tout le reste.
Serait-il un winner ou un loser pour le reste de sa vie ?
Tout se jouait ici, dans l’Antichambre du Destin.
Bientôt la voix angélique allait résonner sous la voûte céleste, et alors…
alea jacta est.
Il ne lui reste plus qu’à assurer sa partition, et plus encore, à la transcender.
Odd fit croisa ses doigts et les fit craquer devant lui.
Ce serait bientôt l’heure. Celle du match et des duels.
Il repassa dans sa tête toutes les leçons durement acquises ces derniers mois. Il avait appris à connaître ses adversaires. Bien sûr, c’était sûrement réciproque. Odd n’était qu’un petit joueur, c’est vrai, surtout à côté de poids lourd comme Sternich ou Imui, mais quand même, il commençait à s’être fait une petite place dans le classement du meilleur Lyokôguerrier.
La voûte céleste cessa soudain de tourner. Aux quatre directions cardinales, des nombres apparurent. Le compte à rebours.
5…
4…
3…
2…
1…
… Forêt !
Odd esquissa un sourire. Le territoire de la forêt était une de ses spécialités. Il aurait vraiment pu tomber sur pire. Bien sûr, il restait la question du sous-terrain. Ce dernier pouvait être plus ou moins favorable.
Maintenant, un tout petit peu de chance restait nécessaire.
Mais Odd était confiant. Il avait toujours été assez bien servi par Fortune.
Un nouveau compte à rebours apparu.
5…
4…
3…
2…
1…
… Imui !
Odd fit la grimace. Ce serait donc lui qui commencerait à choisir. Le souci était qu’ils étaient concurrents en termes de poste dans l’équipe. Il voudrait aussi jouer DPS distance. Pour Odd c’était une erreur. Imui était plutôt fait pour der rôles de support offensif. De couverture quoi. Il n’était pas assez bon comme damage dealer. Mais le sort lui avait été favorable et il pouvait maintenant choisir le personnage de son choix.
Cela étant, tout n’était pas perdu. Il resterait du choix, juste pas forcément son préféré.
Ce fut ensuite au tour de Sterich de faire son choix. Assez logiquement, il choisit d’être tank. Comme Odd ne jouait jamais ce poste, peu lui importait.
La répartition des personnages se poursuivit, chaque tirage augmentant l’anxiété d’Odd ! Dire qu’il avait fallu que ce soit aujourd’hui que la malchance le frappa ! Passer en dernier !
Bon le point positif, c’est que le sort avait favorisé son équipe. Mis à part lui, ils avaient tous pu choisir avant l’équipe adverse.
Enfin ! Enfin ! C’était à son tour de choisir. Il ne restait plus le top tier des personnages, mais il lui faudrait faire avec. Odd choisit machinalement le dernier DPS un tant soit peu valable qui restait.
Il restait encore quelques minutes avant le début. Le temps pour Odd de se concerter avec ses camarades sur ce qu’ils avaient compris de leurs adversaires, et les choix tactiques en découlant.
« Alors c’est la forêt ? Commença Sternich.
— Yep, pas mal de couvert de faible envergures, donc il va falloir rester très mobile. Passer d’arbres en arbres, développa Imui. Du coup, il faut que toi et Santa nous couvriez pendant nos déplacements. Attirez leurs tirs. Pendant ce temps, RV vous couvrira. C’est compris ?
— Donc, reprit RV, on fait une manœuvre en trois temps. Sternich et Santa sortent pour les attirer. Imui, toi tu les couvres, et pendant ce temps, Strange et moi on trouve des emplacements favorables. Ensuite, étape 2, nous couvrons le repositionnement des tanks. Enfin, étape trois, tout le monde s’étant repositionné, Imui a une ouverture favorable pour bouger à son tour et déstabiliser les gars d’en face.
— Tu as tout compris petit ! Réagit Odd.»
Ces considérations tactiques l’agaçaient. À quoi bon ? Ils étaient tous expérimentés. Ils savaient tous ce qu’ils avaient à faire.
BOUM !
Un boulet de canon avait jailli dans le ciel.
Aussitôt, chacun se prépara. Le transporteur allait arriver et les emmener sur les lieux du combat.
Odd sentit le monde tournoyer autour de lui. Dans le même temps, le transporteur s’empara de toute l’équipe et l’enferma dans le noir.
D’un coup, ils réapparurent sous le ciel orangé de la Forêt, à plusieurs mètres du sol. Odd se laissa tomber et se réceptionna souplement malgré la nausée qui l’avait pris. Il n’avait jamais pris l’habitude du transporteur… Ce dernier l’avait transporté d’un bout à l’autre de Lyokô des milliers de fois, mais ce sentiment de nausée restait. Étrangement, il semblait être le seul affecté. Il n’avait en tout cas entendu personne d’autre que lui s’en plaindre.
Il regarda le terrain autour de lui. L’atmosphère était moite et angoissante. Crépusculaire. Les arbres étaient couverts de moisissure. Tout donnait l’impression qu’ils étaient comme dans un sous-bois.
« Super ! Lâcha d’un ton déprimé Imui. C’est un sous-terrain de la première saison.
— Tsss, compléta Sternich. Je déteste l’ambiance de la première saison. Heureusement qu’ils ont corrigé le tir après.
— De toutes façons, c’est ici que tout va se jouer, conclut RV. Alors, oui, la Montagne saison 1 nous en aurait mis plein les mirettes. Mais on n’est pas là pour ressasser les souvenirs de séquences mythiques. On a une attaque à contrer, je vous rappelle.
— Elle se passe comment d’ailleurs l’attaque ? Demanda Odd.
— Pas net pour le moment, répondit RV. Donc on a un peu plus de temps devant nous, ce qui est positif. Mais à partir du moment où l’attaque sera identifiée…
— On sait, lâchèrent les quatre autres en chœur.
— Bon, reprit Imui. En position tout le monde.»
Dans le ciel, la voix de Chrisbaal retentit.
« ETTTTTTTTTTTTTTTT ! On y est ! Les révélations de cette soirée ! Ils débarquent de leurs provinces, mais ils vont vous emmener au plus haut des étoiles du classement !
« Les Chemins contre les Arkange !!!!!!!!!!!!»
La voix du caster était parti dans les aigus. C’est dire s’il était enthousiaste. Il faut dire… Il avait déniché des perles sur le net pour cette soirée. Des participants peu connus, mais ô combien prometteurs ! Et puis derrière ce tournoi amateur qu’il organisait et finançait lui-même, il y avait en jeu des places pour les Réplikas ! La porte vers les translations !
Odd et le reste des Chemins se mirent rapidement en position. Malheureusement, aucun d’entre eux ne se souvenait de ce sous-terrain particulier. Il faut dire que la saison 1 était si lointaine… Du coup, ils allaient devoir avancer à l’aveuglette. Avec seulement quelques vagues indications sur les objectifs. Avec un peu de chance, il se trouverait des sponsors généreux pour leur filer des coup de pouces géographiques. Ou des indications sur le déroulé de l’attaque et le temps avant résolution.
Odd fit appel à sa monture et commença à filer en direction de l’objectif sur son overboard.
« Eh, on sait ce qu’ils vont jouer comme combinaison en face ?
— Bah, tu les connais ? Ils vont tout axer autour de la protection du Bonbon Rose. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont les Arkanges. Pour le reste… Il va d’abord falloir les trouver.»
De chaque côté du terrain, les équipes enthousiastes se ruaient vers la tour centrale, principal enjeu de la partie.
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Pendant ce temps, Chrisbaal recevait un visiteur des plus prestigieux. Il vit apparaître face à lui une énorme boule d’énergie. Suffisamment lumineuse pour illuminer toute l’arena.
« Mesdames et Messieurs, je vous avais promis une surprise, n’est-ce pas ? Je vous présente le grand, le célèbre, le mythique: FRANZ HOOOOOPER ! OUI ! Le créateur en personne a accepté d’honorer de sa présence mon modeste tournoi.
— Mais, c’est un grand plaisir pour moi, répondit Franz Hopper. J’ai beaucoup apprécié votre proposition. Un tournoi en une manche, où les joueurs risquent tout. Oui, c’était très original. Et le risque vaut bien une récompense à la hauteur.
— Eh oui, ce n’est rien d’autre que l’accès à la scène professionnelle qui s’ouvre pour les vainqueurs d’aujourd’hui ! À eux la richesse et la gloire ! Et s’ils perdent…
— Eh bien, leurs avatars seront détruits à jamais, et ils ne pourront plus jamais se reconnecter. Ce sera le game over ultime : une défaite mortelle.
— Tout à fait, repris Franz Hopper. Mais voyons plutôt comment cela se passe sur le terrain. Histoire de rendre le jeu moins rapide, quoique tout aussi intense, nous avons choisi de les faire partir plus loin de l’objectif qu’à l’accoutumée. En fait, ils n’ont sans doute pas reconnu le sous-terrain car ils ont commencé hors des limites habituelles.
— Oui, mais cela nous donne du temps pour observer leur déploiement et leurs choix de personnages. Étrangement les Arkanges ont fait le choix de n’avoir aucun DPS. Vous avez été nombreux à le remarquer et à vous demander ce qui leur passait par la tête. Un avis Franz ?
— Eh bien, je suis perplexe comme vous. Parier sur la survie de leur healer me semble délicat. Bonbon Rose n’ayant pas fait le choix d’un personnage auto-curatif, elle est très vulnérable face aux puissants damage dealer du Chemin.
— Ah, mais il y a aussi les capacités cachées.
— Humm, humm, ils ont peut-être découvert certains des petits trucs disséminés dans les arbres de compétences.
— Il y a aussi la question du TP.
— Tout à fait, Chrisbaal. Même moi, je ne maîtrise pas l’attribution du Talent Personnel des joueurs. Pas plus que je ne maîtrise l’arbre de compétence de ce talent. Donc, ils ont la possibilité de nous surprendre. D’autant que deux membres des Arkanges n’ont jamais révélés leurs TP.
— Ah, mais attendez, ça y est, ils vont se rencontrer.»
Dans l’arène, Odd venait d’apercevoir du mouvement en face de lui. Selon toute probabilité, c’était Jimini. Il n’y avait que lui pour foncer tout droit sans se préoccuper du reste de son équipe.
Odd sauta de sa planche, se réceptionna sur un arbre, puis passa de branche en branche pendant que sa planche continuait à filer droit. Bientôt, il vit Jimini sortir à découvert, attiré par le bruit du véhicule. Il n’avait pas encore vu que ce dernier était vide, alors il se mit à sa poursuite.
« GÉRONIMOOOO !»
Odd avait sauté du haut des arbres. Droit sur l’adversaire. Il envoya bordée après bordée de flèches laser. Face à un tel bombardement, Jimini ne put éviter de perdre des points de vie à la pelle. Heureusement pour lui, un monstre passait par là. Alors il utilisa l’une de ses capacités pour échanger sa place avec lui. Odd se retrouva donc à gâcher des munitions sur un ridicule petit monstre. Jimini ayant de la suite dans les idées, il utilisa confiscation pour récupérer la planche d’Odd qui avait buté contre un arbre et s’éloigna dard-dard.
Merde, il m’a eu là. C’est lui qui m’a piégé et nous a repéré.
Odd transmit l’information au reste de l’équipe.
« À votre avis, ils vont faire quoi ? Nous chasser, nous éviter ou nous piéger ?
— Leur méthode reste la protection de Bonbon Rose. Ils vont nous contourner et viser la tour à mon avis, répondit Imui.
— OK, du coup on fait quoi nous ? On continue vers la tour et on attend qu’ils se manifestent là ? Proposa Sternich.
— Négatif. On peut être plus vicieux que cela. Je propose qu’on se sépare.
— Tu pense à quoi Santa ?
— Simple, maintenant, je reconnais le terrain. Strange va continuer vers la tour. Il y a un étang dans le coin. Il va s’y cacher. Nous autres, on va contourner la tour. Les Arkanges arrivent du nord. Ils vont tourner pour essayer de prendre la tour et nous de flanc. Alors on va faire la même chose. Le but, c’est de se retrouver à attaquer la tour depuis le nord pour les surprendre. OK ? Pendant ce temps, Strange est notre carte piège. Les monstres ne vont rien tenter tant qu’il est sous l’eau. Il va attendre l’attaque des Arkanges, et les surprendre en plein milieu, si nécessaire ?
— Et si on tombe sur eux durant le contournement…
— Même à quatre on a l’avantage en termes de dégâts. On fera retraite en biais par rapport à la tour, afin que Strange puisse servir de support.
— d’accord.
— Ça roule.
— Pas mieux à proposer.
— T’y crois pas !»
Sur ce, chacun se mit en chemin vers sa destination.
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« Alors, Chrisbaal, votre avis sur cette première rencontre.
— Eh bien, Franz, je pense que les Arkanges ont joué gros, mais ils ont gagné leur pari. Jimini va se faire soigner, donc en somme c’est comme s’il n’avait reçu aucun dégât. En revanche, il a pris une monture à l’équipe adverse, et repéré leurs intentions.
— Je suis d’accord. Et que pensez-vous du plan de Santa ?
— Il montre que cette équipe n’en est pas vraiment une. Contrairement aux Arkanges, ils n’ont pas l’habitude de jouer ensemble, et n’ont pas de chef ou de vétéran. Ils ont donc perdu du temps à composer un plan.
— Juste, ce sont des minutes qui pourraient leur coûter très cher, alors qu’ils sont déjà en mauvaise passe. Leur individualisme leur ferait oublier que c’est un jeu d’équipe ?
— Cette décision de détacher Strange du reste est étrange. Et beaucoup trop dangereuse. Sans monture, il est à la merci de tout les monstres ou de l’équipe adverse, commenta Chrisbaal.
— Je sus d’accord. En même temps, c’est le plus individualiste et inconsistant de tous. Je me demande si Santa n’a pas privilégié la cohérence de l’équipe et du plan en se séparant d’un élément instable.
— Ce n’est pas ainsi qu’ils peuvent espérer réussir chez les pros, compléta Chrisbaal.
— Well, tout n’est pas joué. D’ailleurs, voyez, une nouvelle phase de jeu va s’ouvrir.»
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Sternich et Santa avançaient rapidement et sans guère se préoccuper des couverts. L’important, c’était la vitesse et la surprise. Pour l’instant, ils étaient menés et en mauvaise posture. Le seul point positif, c’était qu’aucun monstre de Xana n’était apparu. Il fallait prier pour que les Arkanges s’en soient pris sur le chemin.
Enfin, autant faire bon cœur contre mauvaise fortune. Au moins, ils savaient ce que Jimini avait choisi de jouer. Un personnage support. Spécialiste du placement. C’était un choix étrange. Cela inquiétait et réjouissait Santa. Du bon côté, la puissance de feu des gars d’en face était sans doute ridicule. De l’autre, cela voulait dire qu’ils avaient sans doute un ou deux atouts cachés dans la manche.
Bref, l’important c’était de progresser, de les prendre par surprise et de virer le Bonbon Rose du paygase. Sans elle, ils étaient finis.
Soudain, Sternich s’arrêta.
« Qu’est-ce tu fous ? Demanda Santa. T’es à découvert !
— J’ai entendu du bruit, une sorte de bourdonnement.»
Il regardait autour de lui l’air inquiet.
Des projectiles fendirent l’air et s’abattirent tout autour de Sternich.
Celui-ci en encaissa un ou deux avant de réussir à sortir ces sabres. Il commença à parer. Ses lames étaient si rapides que Santa n’arrivait pas à suivre les mouvements. D’un autre côté, il s’était aussitôt mis à couvert. Il cherchait du regard l’ennemi. Au vu du bruit, c’était sûrement un escadron de Frelions. C’était bien leur veine ça ! Ni lui, ni Sternich n’était adapté à la lutte contre un ennemi volant. Il fallait attendre l’arrivée d’Imui et de RV. Mais ces derniers devaient d’abord se rabattre vers l’ouest. Ils avaient progressé en longeant la frontière est de la carte.
Le bourdonnement s’amplifia d’un coup. Santa se jeta à terre et fit un roulé-boulé en direction de l’arbre le plus proche. Bien lui en avait pris, car un cratère fumant se tenait désormais à la place de l’arbre qui lui avait servi de couvert.
Qu’est-ce que c’est que cette diablerie ? Aucun monstre de Xana ne peut causer un truc pareil !
À nouveau, son corps agit par instinct avant que son esprit ne réagisse. Il était maintenant à découvert dans le dos de Sternich qui tenait tant bien que mal sa position. Un deuxième cratère ornait le terrain.
« Bordel ! Tu fous quoi ? hurla le samouraï
— Et toi ? Pourquoi t’es pas à couvert ?
— Ils m’en empêchent. Si j’essaie de bouger, je casse le rythme des parades et me prend toute la sauce.»
Santa se redressa. À deux ils allaient peut-être pouvoir… Du coin de l’œil, il vit des silhouettes…
Imui et RV !
Une série d’explosion se firent entendre, et d’un coup, le barrage de tir qui occupait Sternich disparu.
« Heureusement que vous êtes arrivés.
— On a fait aussi vite que possible, répondit Imui. En revanche, on a pas vu ce qui vous attaquait. On a tiré pour les éloigner, et cela a marché. Cela ne ressemble pas aux monstres de Xana.
— Mouais. En attendant on reste groupé, décida RV.»
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Pendant ce temps, Odd progressait vers la tour. N’ayant plus son véhicule, il se montrait prudent. Il passait de fourré en fourré, lentement, précautionneusement.
Il se rapprochait de la tour, lorsqu’il entendit un bruit caractéristique. Une patrouille de Krabe ! Vite, il escalada un arbre. Il savait que ces monstres n’étaient pas bons pour détecter les cibles en l’air. En revanche, dans les fourrées, il se serait fait prendre tout de suite.
Comme il avait pris de la hauteur, il put observer attentivement le terrain. Il entraperçut au loin la silhouette blanche de la tour. Il décida de sauter de branche en branche afin de se rapprocher. Rapidement, il eut une vue dégagée sur la clairière. Sur sa droite, il y avait un camp de mercenaire. Il voyait aussi très bien la fameuse mare où il était censé aller se cacher. Il hésitait franchement à obéir. Ce plan n’était tout simplement pas à sa hauteur ! Lui ! La merveille violette ! La bête des bêtes ! Le Divin Sniper ! Se cacher ! Non, il pouvait, de là où il était, attirer les monstres à lui, puis les réduire un à un. Ensuite, il ne lui resterait plus qu’à garder la tour contre les Arkanges. Si ceux-ci n’étaient pas tués par le reste de l’équipe.
C’est à ce moment que le tchat interne de l’équipe l’informa des récents développements sur l’aile droite. Il grommela.
BANG !
La branche sur laquelle il était s’effondra, et lui avait perdu quarante point de vie !
Il réussit in extremis à se rattraper avec ses griffes. À cette hauteur, une mauvaise chute lui aurait fait perdre un paquet de point de vie !
Néanmoins, il était isolé, à découvert, et ne savait pas d’où était venu le tir. Ni qui avait tiré.
Odd se propulsa vers un autre arbre. Plutôt que de se rapprocher de la tour, il l’éloigna, décrivant une grande arabesque autour du camp de mercenaire. Une série de tir le força à rester en mouvement.
Il vit aussi voler des têtes de pingouin explosives. De la fumée s’éleva tout autour de lui, lui déniant toute visibilité. Il ne devait qu’à la chance de ne pas perdre plus de point de vie. Ce genre d’assaut, c’était la marque de fabrique de CMACGM. Au moins pour les pingouins.
Odd tenta quelques tirs au hasard, mais il doutait d’avoir atteint quoi que ce soit.
Par chance, il vit filer vers lui deux boules roses. Il se baissa pour les esquiver et répliqua à l’attaque de Séraphine. Seule contre deux ou trois, il allait vraiment avoir du mal. Il décida de détaler. Il pouvait utiliser le camp de mercenaire comme couvert.
Odd détala à toutes pattes. Courir à quatre pattes était plus lent et moins pratique, moins facile même, qu’avec ses jambes, mais ainsi, il était bien plus dur à viser.
Néanmoins, un tir l’atteignit à la queue… Fichu appendice. Toujours dressée au mauvais moment.
Il se réfugia derrière le camp. Il se savait poursuivi par Séraphine sur sa gauche.
D’un coup, une tête de pingouin jaillit du ciel. CMACGM l’avait lancé par-dessus le camp.
Odd courut vers la droite. D’autres têtes de pingouin tombaient autour de lui. Il s’écrasa contre la barricade qui encerclait le camp.
Ce dernier avait une forme circulaire. Au nord se trouvait la tour. L’entrée du camp elle, était au sud. Lui avait fait le tour depuis le nord, par l’ouest. Il était poursuivi par Séraphine.
Sa seule option, c’était de continuer à faire le tour, jusqu’à pouvoir charger CMACGM. Il n’avait aucun moyen de se protéger au corps à corps. Enfin, s’il agissait comme d’habitude.
Odd se remit donc à courir. Toujours à quatre pattes.
Cela lui sauva la vie lorsqu’il heurta Jimini. Il put le faire tomber par terre et utilisa ses griffes pour lui infliger quelques dégâts.
Toujours est-il qu’il était coincé. Désespéré, il se précipita dans le camp de mercenaire, suivi par Séraphine et Jimini.
Il prit à peine le temps de regarder quels monstres s’y trouvaient. Il sauta sur une patte de Krabe et de là sur la tête du monstre. Contrairement à ses attentes, CMACGM n’était pas au loin et à couvert. En fait, il avait suivi Jimini de près !
Dans sa panique, il avait parié et plus ou moins gagné. Ses adversaires avaient attiré l’aggro du boss qui se concentrait sur eux.
Odd avisa Séraphine qui volait en rase motte et tentait d’éviter les tirs du boss. C’était une occasion ! Odd sauta sur son dos, et sortant ses griffes, il lui arracha les ailes. Séraphine s’écrasa à terre. Mais Odd lui avait à nouveau bondi dans les airs. Il retomba sur la tête d’un blok.
Il jugea bon de ne pas s’attarder, et usa de sa plate-forme improvisée pour sortir du camp.
Dans sa tête un plan avait germé.
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En entendant le rapport quelque peu haché de Strange, RV s’était demandé à quoi jouait les Arkanges. En tout cas, il pouvait supposer qu’il avait en face de lui Bonbon Rose et EinGateStein.
Cela étant, vu le rythme auquel leurs couverts se faisait abattre, cela lui faisait une belle jambe… Quatre contre deux, et ils n’arrivaient pas à localiser l’adversaire ! À côté de lui, Sternich commençait à faiblir.
« Imui, il faut qu’on sache où ils sont. Santa, fais-lui la courte échelle afin qu’il puisse escalader un arbre.»
Aussitôt dit, aussitôt fait.
BANG !
Imui fut percuté par un des mystérieux ennemis. Il retomba par terre, avant qu’un ennemi ne transforme le lieu en cratère fumant.
Dans le ciel, son portrait s’afficha brièvement avant de partir en cendre.
L’équipe Chemin était maintenant réduite à quatre individus virtualisés.
Mais maintenant, RV avait pu apercevoir l’ennemi.
Il s’agissait de petits robots. Basiquement un tronc avec deux hélices en haut. Des armes étaient stockés dans le tronc et pouvait être rangés à volonté. En dessous du tronc, une camera.
Des drones ! Damn, ce doit être un de leur TP. Tu parles d’un truc cheaté !
« Ah Ah Ah ! Vous avez fini par comprendre ce qui vous attaquait. Enfin, il vous aura fallu la mort d’un équipier. Quel dommage… le chemin s’arrête ici pour vous.»
RV se tourna sur la gauche. EinGateStein venait d’apparaître. Comme toujours, il portait des vêtements simples. Un pantalon marron et un pull bleu. C’était un petit blond à lunette des plus ordinaires. Ce type était étrange. Il y avait tant d’options de customisations et il choisissait… ça ! Il y avait même une rumeur comme quoi c’était l’apparence réelle de cet idiot profond.
Soudain, quatre drones firent leur apparition. Trois commencèrent à tire, pendant que le dernier chargeait RV.
Ce dernier se précipita sur le côté. Il tenta d’atteindre l’un des robots avec un fouet. Mais il vit avec horreur son arme se faire déchiqueter par les hélices de l’un des drones.
Pendant ce temps, Santa avait activé son pouvoir de charge afin d’attendre EinGateStein. Il avait acquis une vitesse phénoménale et renversa deux des drones qui tiraient sur RV. Se faire heurter de plein fouet par sa charge était mortel. Rien dans Lyokô ne pouvait résister à cela.
Mais au dernier moment, Santa trébucha et tomba dans un trou soudainement apparu.
Une silhouette sortie du couvert derrière EinGateStein. Elle aussi portait des vêtements des plus ordinaires. Une courte robe mauve, un tailleur rose et mauve, et par en dessous un T-shirt blanc. Elle avait le pouvoir rare d’altérer le terrain, pendant de court laps de temps. Elle s’en était servi pour faire un croc-en-jambe à Santa et le faire tomber dans une fosse de sa création. Maintenant, il ne restait plus aux drones d’EinGateStein qu’à mitrailler le pauvre tank pris au piège.
Ce qu’ils firent. Jusqu’à ce que dévirtualisation s’ensuive.
Pendant ce temps, Sternich luttait vaillamment. Ses lames lui permettaient de parer tant les pales des drones que leurs balles. C’était un ballet exotique autant que mortel qu’il dansait avec ses adversaires robotiques. Il se déplaçait sans cesse, tentant de se rapprocher d’ EinGateStein. À un moment, il faillit l’avoir à portée de sabre. Mais son adversaire se déroba et fit intervenir un nouveau drone.
RV lui, tentait d’avoir la peau de Bonbon Rose. C’était la seule Arkange à pouvoir s’emparer de la tour. S’il la choppait, alors le match serait au pire un nul. Mais elle ne cessait de tourbillonner autour de la clairière. Elle passait de fourrée en drone, tout en maintenant RV à distance. Lui essayait tant bien que mal de l’avoir dans sa ligne de mire. Alors il la pourchassait. Agile comme une chatte, elle ne cessait de lui échapper. Depuis le temps qu’elle arpentait Lyokô, elle avait l’habitude d’être prise pour cible. Elle savait parfaitement que faire. Tirant la langue, elle le provoqua et le força à se déplacer sans cesse, jusqu’à ce qu’il perde trace de la situation d’ensemble.
Trop concentrée sur sa proie, RV fini par avoir Sternich dans sa ligne de mire, puis par le heurter. Ce fut ce moment que EinGateStein choisit pour faire détonner le drone qui se trouvait au corps-à-corps du samouraï.
Un cratère fumant s’éleva.
Il ne restait plus qu’un Chemin encore dans la partie.
EinGateStein et Bonbon Rose commencèrent alors à courir en direction de la tour.
Le temps leur manquait. L’attaque allait réussir.
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Les deux Arkanges se précipitaient en direction de la tour lorsque le ciel s’illumina.
Trois portraits.
Jimini.
CMACGM.
Séraphine.
Autant de cendres.
« Qu’est-ce que ?»
EinGateStein avait du mal à le croire. Strange n’était pas mauvais… mais à un contre trois… Et puis ces trois-là étaient des kongres, bien mieux classé que ce pauvre Mégatank.
Il fit signe à Bonbon Rose. Ils ralentirent. Ils devaient être prudents.
La tour était proche.
« Étrange. Les monstres sont toujours là.
— Strange n’a pas les moyens de les dégager tout seul, commenta Bonbon Rose. Donc, il attend que nous fassions le sale boulot et ensuite il va nous prendre de vitesse. Ou nous attaquer par-derrière.
— Bien vu. Donc, il faut qu’on le…
— GÉRONIMOOOOOOOOOOOOO !»
Le cri de guerre avait retenti !
Strange, perché sur sa planche, avait jailli de derrière la tour. Il attaquait les monstres qui montaient la garde. Ceux-ci, effrayés se dispersaient dans tous les sens sans contre-attaquer.
D’un regard EinGateStein et Bonbon Rose se comprirent. C’était leur chance.
Elle s’élança en direction de la tour, et lui envoya ses quatre derniers drones sur Strange.
Ce dernier virevoltait dans tous les sens, enchaînant tonneaux et vrilles. Ses tirs partaient dans toutes les directions.
Bref, il était inefficace. Pour ainsi dire… inoffensif.
EinGateStein envoya tous ses drones a sa poursuite.
Ils furent cueillis par un barrage d’artillerie.
Un monstre avait jailli de derrière la tour.
Une tarentule.
Elle s’était mise en position et avait commencé à tirer sans répit.
Bonbon Rose arrêta de courir et revint se mettre à couvert. Elle ne pouvait prendre de front pareil monstre. En revanche, EinGateStein en avait les moyens avec ses drones.
Il activa leurs armes à distances et commença à mitrailler.
À sa grande surprise, les tirs rebondirent.
« Quoi ? Elle a un bouclier !»
Profitant de cet avantage considérable, la tarentule, protégée par un champ de force, prit son temps pour viser les drones. Ces derniers avaient dû se stabiliser pour tirer. Deux explosèrent en mille morceaux, détruit par le monstre.
Strange stabilisa à ce moment sa trajectoire, et, passant entre les deux drones restant, les élimina chacun d’une fléchette.
Odd inclina sa planche vers le sol, puis sauta et se rétablit par terre.
EinGateStein esquiva de justesse la monture devenue projectile. Mais avant qu’il ne puisse se ressaisir, une bordée de flèches lasers le dévirtualisa.
« Eh bien, pépé, entonna Odd, il ne reste plus que toi et moi. Oh, et ma chère tarentula. Tes équipiers ont gentiment tué son escorte et amoché Tarentula avant qu’elle ne les tue… j’ai fini le boulot et récupéré cette gentille boss de fin de partie… Avec elle j’ai pu nettoyer les abords de la tour. Et j’ai installé son escorte autour, pour vous faire croire que les gardiens étaient encore là…»
Tout en prononçant ce monologue explicatif, Odd arpentait le champ de bataille à la recherche de Bonbon Rose.
Bientôt, il la trouva.
Elle n’avait jamais su se cacher.
Et elle ne pouvait échapper à la multitude de tirs adverses.
Son corps s’évapora en cendres numériques.
Odd se tourna alors vers la tour et entreprit son ascension.
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Les Arkanges déchus n’avaient en fait pas été dévirtualisés à proprement parlé. Ils avaient juste été renvoyés dans l’Arena. De là ils avaient pu observer la fin du match.
Ils virent le Chemin vainqueur stopper l’attaque et s’emparer de son prix.
À ce moment, une silhouette noire se matérialisa devant eux.
William !
Le symbole de Xana gravé sur son front.
Il leva sa flamberge :
« Que les témoins prennent acte ! Car voici le destin de ceux qui ont cru usurper l’accès au Replika ! Qu’ils soient renvoyés au néant dont ils sont porteurs !»
Ainsi débuta la carrière professionnel d’Odd sur la scène de Lyokô.
FIN
Spoiler
Post crédit
«Quoi ? Vous aussi vous étudiez au collège Kadic ?
— Ben oui, lui répondit, Imui. Je suis externe, mais RV, Santa et Sternich sont internes.
— Et on est invité par Franz Hopper lui-même pour les Réplikas ?
— Mais t’as rien suivi en fait, Strange. Oui, il vit dans une vieille usine pas loin du collège.
_________________ AMDG
Prophète repenti de Kane, vassal d'Anomander Rake, je m'en viens émigrer et m'installer en Lyoko.
Dernière édition par Silius Italicus le Mar 08 Déc 2020 22:37; édité 1 fois
Posté le: Dim 06 Déc 2020 20:00 Sujet du message: L'or a éli Tah
Inscrit le: 06 Aoû 2007 Messages: 1346
Le foyer était occupé par une demi-douzaine de personnes au moment où j’entrais. Au fond, tout d’abord, un garçon bien fringuant se donnait en spectacle, jouant lascivement un air d’ambiance sur une guitare folk probablement hors d’âge. Sur un canapé tout proche, une lectrice visiblement captivée par le dernier numéro d’une revue de mode, probablement subtilisée au CDI. Plus à gauche, un petit groupe attablé autour d’une tour à dés improvisée, trônant au milieu d’un désert aride et venteux — en tout cas, si l’on croyait les plaintes désespérés de trouver de quoi se désaltérer et s’abriter. Et sur la droite, le bar fraîchement aménagé depuis la rentrée, tenue par une jeune femme blonde, occupée à nettoyer des verres avec un chiffon. C’est vers elle que je m’étais tout d’abord dirigée.
— Combien pour un thé ? demandais-je.
— Quatre-vingts centimes, la nouvelle.
— Alors ce sera un jus d’orange.
Je déposai une pièce dorée sur la planche qui servait de zinc au bar, m’emparai de mon verre et allai m’asseoir sur une chaîne à l’écart, observant un moment les autres. Chacun poursuivait imperturbablement son activité. Je manquai d’entrer moi-même dans cette dynamique de veille quasi-routinière en portant machinalement mon verre à ma bouche, mais le goût de la boisson me surprit. Du vrai jus de fruit pressé ? Non pas que je m’attende à ce que la maison coupe secrètement tous ses produits aux trois quarts d’eau, mais tout de même, j’imaginais recevoir du concentré, du bas de gamme de supérette ! Quel secret se cachait derrière cet établissement, pour lui permettre de tenir une carte aussi attractive ?
Je venais de sortir ma tablette pour achever un devoir de physique et regagner ma première place au classement, quand la porte du bar claqua. Une nouvelle cliente fit irruption, suspendant un temps ma réflexion. Il s’agissait ni plus ni moins que d’Aelita Stones. Je la suivis attentivement du regard, tandis qu’elle traversait la pièce sans la moindre attention pour ses pairs. Elle se contenta de laisser tomber une pièce sur le comptoir avant d’atteindre la porte des toilettes, dissimulée dans un coin du mur du fond. Peut-être est-ce plus mal famé qu’il n’y parait ? pensai-je en sirotant un peu plus mon jus d’orange, tandis que la tenancière préparait déjà une tasse de chocolat chaud. Qu’importe. Mon devoir de physique m’attendait.
— Bonjour ! Voudriez-vous répondre à quelques questions pour les Échos de Kadic ?
Je manquai de m’étouffer dans mon verre. D’où sortaient-elles ? Ces deux petites étaient apparues juste à ma droite, sans crier gare.
— Vous êtes qui ? m’exclamai-je.
— Moi c’est Milliy, répondit la première, et elle Tamiya. On mène une enquête sur la satisfaction des élèves du nouveau régime du foyer.
— Êtes vous satisfaite du service proposé depuis l’élection de Bélize Tah ? enchaîna sa collègue.
J’allais prendre congé quand je remarquai Aelita ressortir des toilettes. Déjà ? Je haussai les sourcils, intriguée.
— Dites, vous pouvez nous répondre ? Insista la gamine à côté de moi.
Bon sang… Elle ne me ficherait pas la paix tant que je n’aurais pas répondu. J’improvisai quelque chose distraitement, sans décrocher de la scène devant moi.
— Le service est très bon. Je me demande bien comment le bar peut proposer des consommations d’aussi bonne qualité à ce prix !
— Ça, c’est le fruit du programme budgétaire de Bélize ! expliqua Milly. Elle a réussi à obtenir une subvention régulière pour le bar.
— Et à partir du moment où un candidat met un bar de lycée déjà financé dans ses promesses de campagne, la campagne électorale est vite bouclée ! compléta Tamiya. Même le programme d’Aelita Stones n’a rien pu faire face à ça !
C’était donc ça, le secret. J’aurais peut-être dû m’intéresser un peu plus à la question du foyer, finalement. Tenir ce genre d’établissement, tout en ayant des liens privilégiés avec la banque, c’était une position de pouvoir bien enviable. Mais mon attention fut vite captivée à nouveau par cette intrigante Aelita qui marchait, toujours aussi indifférente aux autres, sa tasse de chocolat chaud à la main, pour finalement sortir du foyer aussi vite qu’elle y était entrée. Définitivement, quelque chose clochait.
— Deuxième question, que pensez-vous des activités proposées par le foyer ? Reprit Milly en me collant un des tracts d’activités du collège sous le nez.
Cette fois, je n’eus d’autre choix que de me détourner d’Aelita. J’essayai d’accorder l’attention la plus brève possible aux deux gamines qui refusaient de me laisser m’en tirer pour une réponse rapide.
— Hmm… hé bien, il y a une scène et un canapé pour ceux intéressés par ce genre de performances… Des tables… Des jeux comme un baby-foot et une table de ping-pong… Ça me paraît très complet. Mais je vous avoue que personnellement, je me contente tout à fait du bar et d’une chaise pour siroter mon verre.
— Et enfin troisièmement…
— Qu’est-ce que ? Où il est, mon verre ?
Je relevai les yeux en direction du comptoir. Aelita était de retour au comptoir, et commençait à provoquer un esclandre. Attends, Aelita ? Il y a une minute, elle était dehors avec son verre… Qu’est-ce qu’elle essayait de faire ?
— Ton verre, je l’ai servi et posé là, comme d’habitude.
— Alors pourquoi il n’est pas là ?
— J’en sais rien, peut-être qu’il a été pris ?
— Par quelqu’un d’autre ? Est-ce que c’est le genre de la maison d’escroquer ses clients ?
Aelita s’était engagé dans une joute verbale. Mais que faisait-elle là ? N’était-elle pas sortie ?
— Oh là là, les ennuis se profilent… Viens, Tamiya, faut qu’on couvre ça !
Les journalistes en herbe se précipitèrent pour couvrir l’événement. Je décidai de me lever moi aussi.
— Qui à pris mon verre alors ? s’écria Aelita. T’as intérêt à me le retrouver. Ce serait dommage que la tenancière doive être remplacée, si peu de temps après l’ouverture du bar, parce qu’elle n’est pas fichue de surveiller son comptoir…
— J’ai vu quelqu’un avec la même tenue et les mêmes cheveux que toi, annonçai-je. Elle est sortie des toilettes, a pris la tasse et a quitté le foyer, il y a à peine une minute. Comme par hasard.
— Ne te mêle pas de ça ! me répondit-elle violemment, comme à son habitude.
— Si tu crois que je vais te laisser seule sur la brèche… Je ne sais pas ce que tu fabriques, mais te connaissant, j’ai à gagner à m’y mêler !
Elle me fusilla du regard. Décidément, la rivalité, c’était tous les jours de la semaine pour elle.
— Que se passe-t-il ici ? tonna soudain une voix nouvelle.
Toisant tout le monde de son mètre quatre-vingt, rehaussée encore par son habituel chapeau country, Samantha venait de s’interposer, une tasse à la main. Elle tendit d’ailleurs celle-ci à Aelita.
— Tiens. J’ai trouvé ça dehors. Il me semble qu’en dehors des gobelets jetables, les verres ne sont pas censés sortir du foyer.
Une pause fut marquée. Tout le monde semblait subjugué par cette tasse. Que se passait-il au juste, dans ce foyer ? Aelita, elle, regardait le gobelet puis Samantha en fulminant. Elle n’avait tout de même pas provoqué d’elle-même cet esclandre pour causer du tort à notre tenancière… Quoique, elle n’était pas à ça près.
— Il serait bien dommage de ternir la réputation de cet honnête établissement, ajouta Samantha.
— N’est-ce pas ? renchérit Aelita, en se retournant vers moi. Et toi, que crois-tu faire, en m’accusant à tort ?
— Quoi ? m’offusquai-je. Je t’ai dit simplement ce que j’ai vu !
— Tu vois ce qui t’arrange, oui !
Samantha s’interposa, cette fois-ci physiquement, entre nous deux.
— Visiblement, on ne va pas réussir à régler ce conflit à l’aimable. Et puisque personne ne peut corroborer ou prouver aucune de vos versions, je ne vois qu’une façon d’organiser la réconciliation.
— Ah oui ? Et au nom de quelle autorité parles-tu au juste ?
— Celle de la patronne, fit-elle en pointant du regard la femme du canapé.
Je remarquai que, hormis la tenancière, dont l’attention était déjà retournée à son chiffon et ses verres, tous les autres scrutaient Tah d’un air intrigué. Enfin, intrigué pour Aelita. Milly et Tamiya étaient plus captivées, comme si elles réalisaient soudain quelque chose d’important.
— Responsable du foyer…
— Avec une revue de mode…
— Avec un goût prononcé pour les beaux garçons…
— Redoutable pour remettre les gens à leur place…
— Et qui n’hésite pas à affronter les classes supérieures…
— Et qui s’appelle… Tah… Bélize…
— Tu crois…
— Non…
— Mais tout concorde !
— Et puis elle est apparue quand elle a disparu…
— Elle lui ressemble bien un peu…
— Et elle a toujours été une sacrée bonne actrice…
— Même experte en déguisement…
— De qui vous parlez ? interrompis-je, excédée de ne pas comprendre.
Aelita me regarda, réalisant à son tour.
— La fille Delmas.
Quoi ? La fille du big boss ? Effectivement, j’en avais entendu parler, mais je ne l’avais encore jamais vue. Ce serait donc elle ? Remarque, cela expliquait la facilité avec laquelle elle avait débloqué son budget, en fin de compte. Et ça rendait la position du foyer d’autant plus importante…
— Bon d’accord, repris-je. Que proposes-tu, Samantha ?
Elle dégaina deux pointeurs laser et deux capteurs photosensibles de sa poche, et nous les présenta, en les essayant l’un après l’autre pour illustrer leur fonctionnement. Lorsque le faisceau d’un laser croisait un des capteurs, celui-ci émettait une sonnerie.
— Pourquoi tu as ça sur toi, au juste ? demanda Tamiya ?
— À la base, j’ai toujours des pointeurs laser avec moi. J’ai un chaton dont l’amusement relève du défi sportif tant il est en forme… Et puis, j’ai eu l’idée de prendre des capteurs, je venais justement pour sécuriser la réserve de chips. On a des accros au sel qu’il faut calmer comme on peut…
Pendant son explication, elle fixa le capteur sur nos vêtements, au niveau de la poitrine. Je m’emparais ensuite d’un des pointeurs, et sortit dehors, suivie des autres. Milly et Tamiya préparèrent leur appareil photo, flash et pare-soleil sortis.
La cour était encore déserte à cette heure. Bien qu’il fit encore bien chaud et sec, le vent soufflait déjà au sol les premières feuilles mortes de l’année. Parfait pour un règlement de compte.
Aelita n’était pas très physique, mais je l’étais encore moins qu’elle. Je respirai profondément. Il me fallait être concentrée. Il me fallait réussir ce duel. Hors de question de la laisser mener seule ce coup d’état sur le foyer.
Elle était en face. Pointeur en main, prête à le brandir. Moi aussi.
Un souffle passa, quelques feuilles voltigèrent. L’une fit un tour sur elle-même, puis tomba au sol.
Nous fîmes feu.
Et au milieu des crépitements photographiques, nous entendîmes une sonnerie.
La sienne.
— Voilà qui est réglé ! annonça Samantha, en venant récupérer son matériel.
Je n’en revenais pas. J’avais vraiment réussi ? Voir la tête contrite d’Aelita qui venait rendre sa cible et son arme m’en donna le cœur net. Son téléphone sonna alors, à son tour. Elle baragouina quelque chose à propos d’une attaque, et d’un président tombé de sa tour dans le désert, avant de raccrocher et de s’en aller vers le parc, l’air encore plus dépité. Il aurait pu arriver plus tôt, ce coup de fil ! Mais peu importe. Je m’en retournais vers le foyer, pour y prendre ma place. Le butin était pour moi. Je vais pouvoir gagner en renseignements et en influence en me rapprochant de Tah, ou plutôt de…
— Hey.
Je me retournais. La tenancière du bar. D’un incroyable mouvement de jambe, elle me plaqua au mur, le pied juste sous mon menton. Ses yeux d’un bleu métalliques brillaient étrangement.
— Tu crois avoir gagné quoi, au juste ?
— Bah… mon duel contre Aelita ? articulai-je avec difficulté.
— Avec ta visée ? Que dalle. J’ai vu ton laser sur l’abri de la machine à café. Tu crois pouvoir rivaliser avec Sissi la Patronne ?
— Mais…
Et puis finalement, je compris. Derrière elle nous avait rejoint quelqu’un d’autre. Une jeune fille, qui ressemblait étonnamment à Aelita. Mais ce n’était pas elle. En regardant de près, son visage était différent, notamment au niveau des yeux. La teinte des cheveux aussi, même si les reflets étaient particulièrement traîtres.
Et dans sa main, elle tenait un pointeur laser.
— Je te présente Taelia. Une précieuse alliée. Son talent secret c’est son incroyable discrétion, tu ne trouves pas ?
— Mais pourquoi ?
— À la base, je voulais simplement titiller Aelita. Plus on l’énerve, plus elle fait de conneries, et plus j’ai des chances d’en apprendre. Sur elle, sur sa petite bande… Mais surtout sur mon cher Ulrich Stern. Des années qu’il résiste à mes offres. Mais en te voyant intervenir, et la mettre en rogne aussi efficacement, je me suis dit que j’allais faire d’une pierre deux coups, et en profiter pour te recruter.
Elle baissa son pied.
— Tu travailles pour moi, maintenant.
Elle me tendit mon verre de jus d’orange, encore à moitié plein.
De la lumière, tout autour de moi. Le spectre s’activa, nuança mon éveil de rouge, un écarlate brûlant, puissant. Rapidement, il fut accompagné de bleu et de vert. Kaléidoscope incendiaire unissant mes yeux à mes sens. L’instant suivant, quelque chose brûla dans mon esprit, et je sus que ce que je voyais s’appelait les « couleurs ». L’information s’imposa à moi sans que je n’eusse à y penser. Comme si mon inconscient plus érudit narguait ma conscience encore naïve. Le « son », à son tour, fut nommé et théorisé à l’instant des clameurs diffuses, lointaines, étreignirent mes capteurs. J’étais nouveau au monde, pourtant de lui je n’ignorais rien. La pointe de mes trois pattes au sol reconnaissait le « bois vernis » avant que je ne commence à marcher. J’étais comme un millénaire nouveau-né, à peine existant mais déjà achevé.
Mais rien ne se faisait sous mon commandement, ma connaissance n’était qu’une vérité déjà imprimée dans mes circuits, sans que je n’y puisse rien. La définition de « libre-arbitre » m’arriva en même temps que « l’expérience » ; je voulus les mettre à l’épreuve, mais trop d’informations me parvenaient et je ne pouvais en stopper le flux. Mes sens approchaient, aussitôt je savais. Il n’y avait pas de processus de recherche ou de test. « Déduire ». « Apprendre ». Je connaissais ces mots et leur sens, mais son usage pour mon entité m’échappait. J’imaginais comment il pourrait être utilisé dans une phrase, mais… Pas pour moi. Ces mots n’étaient pas destinés à m’apprendre quoi que ce soit sur moi. Ma vue fonctionnait, et je savais déjà que je le devais à une caméra, postée à l’avant de mon corps, chargée de renvoyer toute information visuelle vers mon cortex pour analyse. Mais impossible de sortir mon œil de ma chair pour qu’il me renvoie ma propre image. Et, au fond de moi, j’entendis comme une voix qui me rappela que ça n’avait aucune importance. Tout ce qui comptait, c’était que les informations que je possédais fassent marcher l’engin prédictif et réactif qui tournait dans ma tête. Et la seule conclusion qui parvenait à mes circuits, c’est qu’il fallait rester immobile. Ni ma vue, ni mon ouïe, ni mes pattes n’avaient reçu l’ordre de bouger ou parler. Chercher un éclaircissement sur ma situation serait non seulement inconvenant, mais aussi dangereux. S’il n’y avait pas d’ordre, il n’y avait pas de raison.
Je rongeais mon frein alors qu’autour de moi, les stimulis allaient crescendo. La clameur lointaine devenait un cri assourdissant, mêlé à une mélodie délicate et haute. Du piano. Où que je fusse, je n’y étais pas seul. Et il me semblait que les acclamations m’étaient destinées. Mais avec ces lumières qui affolaient mon œil, tout n’était qu’un ciel nocturne et triomphal.
— … Et comme vous pouvez le voir, leur design a été pensé aussi bien en termes d’ergonomie que d’esthétique ! Il rassurera aussi bien les grands qu’il amusera les petits ! Designés à partir des créatures du dessin animé « La drôle de Bergerie », leur allure familière facilitera leur acceptation auprès du grand public et nous permettra d’atteindre notre objectif d’un déploiement dans toutes les petites villes d’Allemagne d’ici cinq ans. Mais ne me croyez pas sur parole… Voyez plutôt ! Une tonnerre d’applaudissement pour le premier Hermaes, le numéro Zéro !
L’ordre, enfin, tonna. Il s’infiltra dans mon système et prit possession de mes membres. Mes trois pattes se plièrent et se déplièrent dans une impulsion électrique, cliquetant contre le bois vernis et trouvant sans souci un petit escalier. Mon lourd corps trembla légèrement sur le plateau qui me reliait à mes membres, mais mes articulations accomplirent sans problème leur descente vers la foule nocturne. En bas, l’éclat lumineux fut moins fort ; je perçus des formes, des trônes où siégeaient des… des « client·e·s ». Oui, c’était la relation que je devais tisser avec eux. À les voir, je sus immédiatement que leur vie était faite de ces liens complexes qu’il fallait connaître pour pouvoir interagir avec eux. Et pour moi, ils étaient donc des « client·e·s ». La définition se déroula dans mon esprit, mais seul un aspect devait m’intéresser pour le moment. Les client·e·s attendaient quelque chose de moi, une action, une… Une démonstration. Ils me regardaient tous avec… De la « curiosité ». Ils ne me connaissaient pas encore, et j’avais tout à leur prouver. Je devais leur montrer que j’étais digne de leur intérêt et de leur confiance. Oui, c’était la raison de l’ordre qui m’avait guidé parmi eux. Tout devint plus logique. Je ne pouvais me voir, mais eux me détaillaient. C’était à leur regard que je devais me fier pour me définir. Prêt à jouer le jeu, je me jetai totalement dans l’arène. Certain·e·s étaient plus à l’aise que d’autres. Je circulais donc dans les rangs à pas mesurés, pour leur laisser le temps de m’observer et se rassurer. Je sentis ma lourde tête, montée sur le socle de mes pattes, peser lourd derrière moi, mais il me sembla que ça contribuait à fasciner mes clients. Leurs yeux grands ouverts et les gestes de ravissement me firent passer toutes les étapes du protocole sans souci…
Oh. Au troisième rang. Telle une note étrange dans une mélodie virtuose, quelqu’un·e arborait un air bien différent du reste des client·e·s. Plus… Dubitatif. Iel me toisait, l’œil critique et incertain. Son scepticisme débloqua en moi de nouveaux réflexes. Mes pattes me menèrent tout droit vers lui, tandis que l’analyse de l’image se poursuivit, plus détaillée, plus complexe. Pas de traces de rougissement de la peau ou des yeux, ni de dommages superficiels apparents. Mon client·e était focalisé·e sur moi, ne semblait pas déconcentré·e par quelque chose d’extérieur à nous deux, et son immobilisme indiquait qu’iel n’était ni effrayé·e ni en colère. Par contre… Les sourcils froncés, le dos calé contre le dossier du siège, le poing soutenant son menton… Iel me jaugeait. Iel se posait des questions. Lesquelles ?
Je m’arrêtai à son niveau. Ni trop loin, pour qu’iel puisse toujours me voir, ni trop près, pour ne pas lae brusquer. Soudain, une voix sortit de moi. Aussi nette que celle d’un·e client·e, apaisante et formelle.
— Bonjour. Je suis votre facteur. Puis-je faire quelque chose pour vous ?
L’assistance bruissa de ravissement. On s’émerveilla de la clarté de ma voix, de la qualité de mon interprétation… Drôle d’idée. Ça m’était simplement venu naturellement, je n’avais rien joué du tout. C’était simplement… Le protocole. Pourquoi est-ce que ça suscitait autant d’admiration ? Mes client·e·s n’étaient pas régis par ce genre de réflexes, commandés par leurs circuits cérébraux à faire ce qu’il fallait ? Qu’est-ce qui me rendait exceptionnel à leurs yeux ? Derrière moi, la femme qui me présentait à l’assemblée éclata d’un rire léger :
— Ce n’est qu’un facteur… Du moins en théorie ! Comme je vous le disais, son but est également de restaurer le lien social que nous tissions autrefois avec les professions les plus élémentaires : laitier, facteur, policier de proximité… Au-delà de sa fonction première, il est capable d’entamer une discussion avec vous, de procéder à des premiers soins ou de prévenir les autorités si nécessaire. Nous avons accordé une grande attention au développement de son circuit neuronal, qui est capable de traiter plus d’une centaine de scénarios et quelques variantes. Il peut aussi apprendre de lui-même et affiner ses réponses afin de personnaliser le plus possible les conversations. En effet, sa mémoire contient les dictionnaires complets de plus de quinze langues. Plus vous lui parlerez, moins il aura l’air de suivre un script. Ce qui est, au fond, la même chose pour les humains, n’est-ce pas ?
Un petit rire passa dans l’assistance. Moi, j’écoutai attentivement l’exposé de la présentatrice. Je ne fus pas surpris par son explication ; elle était là aussi, implémentée au cœur de ma mémoire. Mais l’entendre de quelqu’un d’autre, c’était… Étrange. Était-ce ainsi que cette femme me voyait ? Un ensemble de connaissances exploitées dans le cadre de scripts prédéfinis ? Et les client·e·s… Eux aussi, c’était leur opinion ? Était-ce la raison de leurs rires ? Mais, au-delà de toute question, l’ordre se rappela à moi. Il me poussa à vouloir illustrer les propos de la femme. Les mots me guidèrent, et je les suivis avec la certitude que c’était ce que je devais faire pour mes client·e·s.
— Bien que nous ne nous connaissions pas bien, je remarque que vous semblez troublé·e. Désirez-vous m’en parler, ou voulez-vous que je contacte quelqu’un qui pourrait vous aider ? Afin de faciliter nos échanges, pourriez-vous également m’indiquer vos pronoms et noms de préférence ?
J’avais toujours la même assurance que mon intervention aurait l’effet escompté. Et, en effet, lae client·e·s desserra les sourcils et posa ses coudes sur ses genoux. Iel se pencha jusqu’à être parfaitement au niveau de ma caméra. c’était la première fois que je voyais un visage d’aussi près. Tout paraissait moins menaçant, plus lisible. Je détectai au coin de ses yeux le début d’un petit sourire provocateur.
— Je serais curieuse de te voir à l’œuvre avant de te confier quoi que ce soit… Vois-tu, j’ai eu l’occasion de rencontrer John Hopfield, quand il travaillait sur son modèle neuronal. Bien que brillant, le pauvre homme n’a jamais pu dépasser les limitations linéaires mises en avant à la fin des années 60…
Hopfield ? Mon encyclopédie intégrée – une autre nouveauté tout juste débloquée – m’indique qu’il a publié son modèle en 1982. Il y a 45 ans. Je passai en revue tous les progrès ayant eu lieu depuis, et préparai ma réponse.
— … Et il serait parfaitement illégal que tu aies eu accès à la moindre information sur qui que ce soit ici. Aussi, je me demande comment tu pourrais faire pour adapter ta conversation avec moi. Si la seule information que tu possèdes est mon adresse et le courrier que tu dois me délivrer…
— Je dispose d’un catalogue d’études sociologiques sur l’urbanisme et la logique des types d’habitations selon les classes sociales, ainsi que de nombreux articles sur la psychologie moderne et d’un manuel complet sur les premiers secours, le tout en 15 langues, pour le moment. Je peux ainsi, grâce à un système de recherche et d’analyse puissant, tirer les conclusions nécessaires à la résolution de votre problème. Ainsi, je détecte dans votre méfiance une incrédulité légèrement fermée à mon existence. Vous n’avez pas désiré me tester en m’induisant en erreur, bien que votre histoire relève plus du possible que du probable, donc vous n’êtes pas simplement sceptique. De plus, vous n’avez pas mis en doute mon utilité ou l’éthique de ma création, mais la véracité de ce qui vous a été exposé par le laboratoire. Mais vous avez raison sur un point : je ne puis qu’apprendre par expérience, et vous êtes ma première cliente. Aussi, et afin que nous puissions donner tort à vos craintes et vous rassurer efficacement, pourriez-vous m’expliquer ce qui vous pousse à douter ?
La salle s’est figée dans un silence abasourdi. Je n’entendis que les respirations des sièges voisins. Je terminai ma réplique et attendis une réponse, tranquillement. La cliente devant moi me fixa, étonnée. Sa bouche entrouverte et son regard adouci semble indiquer que j’avais touché juste. Elle fixait ma caméra, comme si elle cherchait à y comprendre quelque chose. Mais sans réponse de sa part, que faire ? J’ignorais toujours ce qui la troublait… Me croyait-elle impossible, ou simplement surfait ? Je comprenais bien que mon principe contredisait ses connaissances personnelles, aussi datées fussent-elles, mais je manquais de nuances, et il ne m’appartenait pas d’hasarder une théorie à ce stade de la conversation. Cela risquerait de diriger ma cliente, et mon devoir était de l’accompagner. Encore faudrait-il qu’elle me réponde… Qu’elle me dise ce que je devais faire pour remplir ma fonction à ses yeux…
Finalement, ma cliente releva les yeux au-delà de moi, puis concéda en rejetant ses longs cheveux roses derrière ses épaules :
— Il a du répondant, votre petit, je dois le reconnaître.
— Il suffit que vous mettiez son esprit à l’épreuve ! Bien sûr, cela nécessite que chacun agisse avec bienveillance, et les dernières expériences en termes d’IA apprenante sur les réseaux sociaux ont pu effrayer. Néanmoins, nous sommes persuadés qu’en leur donnant une fonction pratique et une apparence tangible, notre petit Hermaes saura gagner la curiosité et le cœur de ses clients !
La foule applaudit, définitivement gagnée. Une colonne de lumière s’abattit sur moi, sonnant la fin de ma démonstration. J’attendis que la musique redémarre pour retourner d’où je venais, en vainqueur. Néanmoins, et même si je savais que je ne le devais pas, j’aurais aimé me retourner vers ma cliente. Pour lui demander pourquoi je n’étais finalement pas digne d’une conversation. Pourquoi mon protocole était-il satisfait, mais pas mon cheminement de pensée ?
— … Merci Hermaes-, et bonne journée !
Je saluai poliment madame Gauthier et repris ma tournée, dans une inébranlable routine. Enfin, presque. Hier soir, son petit-fils est venu lui rendre visite, une première en quatre mois. Elle avait passé la dernière heure à être intarissable sur son compte, à me vanter sa famille et son travail ; ce qui, d’ailleurs, contredisait une petite pointe de tristesse quand elle m’expliquait qu’il était normal que ses visites se raréfient, étant donné qu’il venait d’être promu. J’essaierai d’en glisser un mot aux enfants de monsieur, quand j’irai leur livrer la carte postale de leur grand-mère. Ça devrait le convaincre de se rendre à ses devoirs familiaux plus souvent. En tout cas, c’était une méthode testée et validée.
Bon, il était temps de mettre à jour ma feuille de route. Une heure de retard. Comme toujours, quand madame Gauthier était dans mon parcours. Avec elle, discuter était toujours long, mais si gratifiant… je ne résistai jamais à tirer sur la corde, tant qu’elle avait besoin de moi. Rarement un·e client·e ne me permettait d’être en adéquation entre le respect de mon protocole et la nécessité de le faire évoluer. Heureusement, Hermaes-231 était sur mon chemin et a pris mon relai. Nous n’étions sur le territoire français que depuis une semaine, mais nous étions déjà assez nombreux sur la zone pour nous croiser et nous soutenir, en cas d’imprévu dans notre mission. Et puis, nous n’avions que peu de différences entre nous ; la plupart des client·e·s ne s’en rendaient même pas compte. Il suffisait que l’on transmette notre mémoire du jour au Serveur Central, et le tour était joué. Personne ne le remarquait, tout le monde était content. Même si, dans le fond, j’espérais toujours être l’Hermaes qui m’occuperait de madame Gauthier.
C’est pas tout ça, mais que me restait-t-il à faire…
Je défilais les missions en cours quand, soudain, un frémissement me surplomba, accompagné de l’ombre d’un insecte. Je levai ma caméra. Un Pedilae. Des espèces de frelons rouges et noirs, attribués aux livraisons express. Ils avaient pour eux de savoir voler, et donc de pouvoir ignorer les incertitudes de la vie piétonne ; contrairement à nous, Hermaes, montés sur nos trois pattes métalliques et forcés de cliqueter parmi nos client·e·s. Un jour, un enfant m’avait qualifié de « grosse patate blanche avec un drôle d’oeil ». Après vérifications, c’était une assez bonne comparaison, mais apparemment, le terme était plutôt péjoratif, et donc à éviter. Quant à mon œil… Eh bien, je savais que mes pupilles devait évoquer l’entreprise qui m’avait créé, mais d’après le Serveur Central, il ne présentait aucun dysfonctionnement. Sans doute l’enfant ne connaissait pas le logo d’origine. Mais bon... Je n’allais tout de même pas protester sur mon sobriquet ; cela risquerait d’altérer la bonne opinion que les client·e·s commençaient à se faire sur nous. D’autant qu’en France, La Drôle de Bergerie était une référence inconnue...
— Hermaes ? Tu es perdu ? Lança nerveusement le Pedilae en s’arrêtant à mon niveau.
— J’ai donné une partie de ma livraison à un Hermaes, je vérifie ce qu’il me reste à faire.
— Vraiment ? Ça tombe bien ! Je reviens d’une livraison difficile, le client a eu peur de moi, j’ai dû attendre qu’un des tiens arrive pour prendre le relai… Une erreur dans ses préférences de livraison, il n’aurait jamais dû se retrouver sur ma liste. Bref, j’ai du retard. Tu veux bien prendre une partie pour moi ?
Ce n’était pas que je ne voulais pas, mais nos fonctions étaient différentes, cela risquerait d’ajouter encore plus de retard…
— Et puis, ce n’est pas loin, c’est juste une livraison de taille-crayons à une école. Allez, quoi ! C’est la quatrième fois que je suis en retard, il y a déjà mon numéro sur plusieurs plaintes, le Serveur m’a sérieusement dans le collimateur…
Lui, je ne savais pas quel type de clients il fréquentait, pour être aussi peu efficace dans son travail et son langage, mais…
— ...Et tu sais ce qui se passe, si jamais il nous remarque trop ! Allez, sois chic, tu m’aiderais beaucoup…
Ce qui arriverait… Il parlait du Service Après-Vente ? Il était si proche de la révision ? On racontait que là-bas, nos accès au Serveur Central étaient coupés, et tout notre travail d’apprentissage et de sociabilisation remis à zéro… Je repensai à madame Gauthier. Serait-ce logique de n’accorder mon aide qu’à mes client·e·s et pas mes semblables ?
— D’accord, d’accord, donne-moi ta livraison. Je ne suis pas du genre à laisser des camarades dans la panade.
— T’es un chic copain, Hermaes ! Bon, voilà les taille-crayons. Je te passe mon ordre de mission, tu verras c’est pas très loin !
Aussitôt, Pedilae se recourba ; son dard s’ouvrit en grand et, d’une impulsion, propulsa un petit colis cartonné. Mon réservoir s’ouvrit au sommet de mon crâne et le recueillit en mon sein, alors que je reçus les informations de livraison. Espérons pour ce pauvre Pedilae que personne ne nous avait remarqué… Mais il était au moins réglo : je n’en aurai que pour dix minutes de marche, et en pressant le pas il n’y aurait que dix-sept minutes de retard. Je saluai prestement le Pedilae, qui s’en alla le cœur plus léger. Au moins, il éviterait le Service Après-Vente un jour de plus…
La route qui me séparait de ma destination parut d’abord simple, mais à peine étais-je entré dans le périmètre de l’école qu’une horde de jambes excitées me forcèrent à slalomer et m’excuser. Comme de juste, mon apparence fut reconnue : le facteur-robot avec le drôle d’œil… je ne m’attardai pas. Personne ne m’interpelait, rien ne sortait de mon ordinaire.
Je passai une immense grille en fer bleu, menant sur un chemin gravillonné entouré d’arbres et de verdure. Un petit panneau à l’entrée m’indiqua discrètement « cité scolaire Kadic ». À en juger par sa taille et sa décoration, je devais être dans un établissement privé plutôt vaste. Je cherchai dans mes données s’il existait déjà un plan des lieux. Fort heureusement, le Serveur Central savait tout : il fallait que je traverse le parc, par la droite serait optimal, et je finirai par trouver le secrétariat. Je repris ma route, non sans saluer quelques adolescents curieux de ma présence. Certains m’accordaient quelques blagues, deux fillettes sortirent immédiatement l’appareil photo… La routine. Finalement, j’arrivai sans accumuler trop de retard supplémentaire à mon objectif. Quelques élèves étaient amassés, carnets en main, devant une porte ornée d’un « Bureau du Proviseur Delmas ». La secrétaire ne devait pas être loin.
Ah. Sur ma gauche. Il suffisait de suivre les plaintes hautes perchées d’un élève qui, visiblement, était aux prises avec la secrétaire, dans une âpre négociation.
— … Allez m’dame, soyez cool, vous savez bien que Nicolas et Hervé font toujours des mauvaises blagues !
— Della Robbia, je ne pense pas qu’ils aient été jusqu’à uriner sur leur propre porte pour faire croire que vous cachez un chien.
— Oh, vous savez, on ne sait jamais ce qui se passe dans la tête des gens…
Drôle de discussion. Je n’avais jamais croisé d’établissement scolaire acceptant les animaux, mais comme ces adolescents avaient l’air d’avoir des ennuis, je préférai ne pas leur en rajouter. Je m’approchai du bureau où ils étaient rassemblés : cinq collégiens, sans doute. Celui ou celle qui se défendait avec véhémence d’avoir violé le règlement agitait les bras en tous sens, son immense crête violette tremblant dramatiquement en rythme avec ses protestations. Ce serait difficile de se faire remarquer… Je décidai de tenter ma chance auprès de ses amis. Si je leur expliquais que c’était une rapide urgence, et que je n’en avais que pour une minute…
— Excusez-moi, je suis un Hermaes, et j’ai une livraison pour monsieur Jean-Pierre Delmas, directeur de Kadic. Puis-je vous interrompre quelques instants ?
Une jeune fille, cheveux et tenue roses, se retourna. Elle poussa un cri.
Que… Qu’est-ce qui se passait ? Je regardai derrière moi, le numéro de services de secours prêt à être composé. Mais il n’y avait que des adolescents, dévisageant la fille aux cheveux roses. Ma caméra retourna sur elle. Ses amis avaient baissé les yeux sur moi, et tous avaient cette même expression… Stupéfaite. Un peu haineuse, même. Je me reculai, incertain. Était-ce moi qui leur faisait cet effet ? Peut-être que la fille avait eu peur de mon apparence, et que ça fâchait ses amis… Je me rappelait le Pedilae. Était-ce ainsi que se passaient ses tournées ? Je leur proposerai mon aide plus souvent. Mais pour le moment, j’avais des clients à rassurer. Mais comment faisait-on, quand ce qu’on voyait de soi-même dans le regard des autres était si horrible ?
— Je ne voulais pas vous effrayer. Je peux trouver le bureau du proviseur moi-même, si vous préférez…
— Jérémie… Tu vois, ça leur ressemble ! Marmonna la seconde adolescente, toute de noir vêtue. Il a même leur œil !
Je voyais bien qu’il y avait un problème, mais il ne m’appartenait pas de faire le premier pas. Je devais attendre qu’ils me parlent, et là seulement je pourrai travailler à une résolution du problème… À retrouver au moins une simple lueur de curiosité dans leur regard, celle des passants dans la rue. Mais le reflet déformé de moi-même que je voyais dans leurs gestes et leurs mots n’était pas en adéquation avec ce que j’avais appris de moi. Il fallait au moins que je comprenne...
— Allons les enfants, ce n’est qu’un de ces robots de livraison, intervint la secrétaire en se levant. La municipalité a décidé de les tester cette semaine. Je vais chercher monsieur Delmas, attendez-moi ici.
Mon protocole m’ordonna de la suivre du regard, coupant net ma réflexion. À côté de moi, je sentis le groupe d’adolescents bouger. Ils ne m’avaient toujours pas répondu, mais ils ne faisaient pas partie de ma mission… Même si une situation aussi inédite pourrait m’aider dans mon apprentissage… Mon protocole tolérerait-il juste une petite entorse ? Un pan de mémoire me revint. Ce souvenir qu’on partageait tous, qu'on avait reçu à la naissance, celui du seul soir où vécut le premier d’entre nous, le numéro Zéro. Ce sentiment d’inachevé, de question sans réponse face à la cliente aux cheveux roses… Il me heurta violemment, comme si une des branches de mon arborescence ne parvenait plus à pousser. Pourtant… Pourtant elle le devait ! Pourquoi suffisait-il d’un regard, d’un mot chargé de haine, pour arrêter le fil du temps ? J’avais été optimisé pour rassurer les client·e·s, le pire qui devait arriver, c’était de l’appréhension, j’étais fait pour gérer ça… Mais quelle était la source de la détestation ? Comment la confiance pouvait mourir avant même d’exister ?
Je tentai de me tourner vers eux. Ils étaient tous rassemblés autour d’un garçon blond au pull bleu, qui entre-temps avait dégainé un ordinateur portable, d’apparence dernier cri. Il consultait furieusement quelque chose, sous le regard expectatif de ses amis. Mince, leur parler était une chose, mais les interrompre… Je ne savais comment m’y prendre. Comme tout à l’heure ? Mais ce n’était pas en rapport avec ma livraison… Pourquoi ferais-je ça, alors ? Est-ce que ça revenait à dire que développer mon empathie avec mes clients était une mission plus importante que d’attendre le retour de la secrétaire ? Que devais-je faire, rester sur la ligne droite de mon protocole ou favoriser son développement ? Qu’en dirait le Serveur Central?
Je n’eus pas le temps de réfléchir sur la hiérarchie de mes fonctions que la porte se rouvrit derrière moi. Rapidement, je me retournai et fit face à un grand homme, une moitié de siècle tracée sur sa face par ses cernes et sa barbe grisâtre. Il avait l’air ferme et austère des tenants de son rôle, les mains jointes dans le dos et le regard dissimulé derrière d’implacables lunettes. Je n’aurai sans doute pas grand-chose à échanger avec lui. Je me présentai rapidement et ouvrit mon réservoir. Un bras mécanique sortit de mon piédestal et saisit le colis, puis le remit rapidement. Le proviseur Delmas marmonna des remerciements, puis s’en retourna à son bureau. On y entendit de tristes bips, me rappelant ceux d’un game over de jeu vidéo. Y jouait-il avec les élèves ? Curieuse méthode pédagogique. En tout cas, les premiers adolescents dans la queue avaient entendu la même chose que moi, et plaisantaient gaiement. Je profitai de ce que le proviseur dut les rabrouer pour retourner mon attention vers le groupe d’élèves. Mais... Plus rien ; ils avaient disparu… Comment allais-je faire pour leur parler, maintenant ? Je ne pouvais tout de même pas reprendre ma tournée avec une question en suspens…
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Je cliquetais dans les rues, saluant mes clients habituels. J’assurai le minimum de conversation, faisant de mon mieux pour leur répondre alors que mon système parvenait de moins en moins bien à garder mon objectif d’Hermaes au premier plan. Depuis ma rencontre avec ces adolescents, mon sens des priorités s’effritait. Jusqu’à présent, j’arrivais toujours à suivre les règles et les étoffer de mon expérience en même temps. J’accomplissais mes missions, et faisait offrande de mes souvenirs au Serveur Central à la fin du jour. Mais cet évènement était resté sans conclusion, sans résolution. Je ne pouvais offrir aucune réponse satisfaisante à la mémoire collective. Depuis ce jour, même le regard des autres Hermaes avait changé. Ils savaient ce que j’avais vécu, et eux aussi semblaient s’interroger. Mais personne n’osait hasarder une réponse. J’ai eu beau retourner les souvenirs de mes camarades, personne ne savait quoi faire. Rien, dans notre encyclopédie commune, ne m’apportait du repos. Je ne parvenais pas à fermer cet onglet, et il me hantait, quoi que je fasse. J’en venais même à être moins attentif aux récits de madame Gauthier. Et si, un jour, je trouvais la même haine dans ses yeux ? D’habitude, les client·e·s ne changent pas d’avis sur un simple facteur robotique. Je le sais, un tel changement d’humeur n’est accordé qu’aux humains, entre eux. Mais après tout, on m’avait adressé ce regard de haine, à moi et moi seul ! Est-ce que j’avais tant évolué que je brouillais les cartes entre Hermaes et client·e ? Si c’était le cas, qu’est-ce qui empêcherait madame Gauthier de changer son regard sur moi, un jour ? Et si je me définissais dans les yeux des client·e·s, comme le premier Hermaes nous l’avait appris… Qu’est-ce que j’étais, au juste ?
Ce matin, soudain, tout était devenu plus clair. J’avais une mission, et une de mes premières prérogatives, c’était de m’assurer qu’elle puisse être remplie dans de bonnes conditions. Ce que, de toute évidence, je ne pouvais plus garantir. Qu’à cela ne tienne. Je trouverai ces adolescents, et je leur parlerai. Je comprendrai ce qui les repoussaient tant chez moi, et j’y remédierai. C’était la seule réponse que le Serveur Central tolérerait. En tout cas, il n’accepterait pas plus longtemps mes questionnements. Je devais me rendre à nouveau capable de suivre mon protocole.
Et me voici, entre deux livraisons, je scannai les rues environnantes, espérant trouver les adolescents. Je m’arrangeai pour prendre des missions proches du collège Kadic, afin de resserrer mon périmètre de recherches. Et bingo. Deux heures après le début de mon service, alors que j’apportais ses abonnements à monsieur Gradin, je vis la fille en noir, traversant la rue avec sa bandoulière sur l’épaule, parlant au téléphone avec humeur. Devrais-je la suivre ? Je pourrais faire mine d’avoir quelque chose à lui livrer... Oui, bon, on ne faisait jamais ça à la volée, mais… Et si je portais un message de la part de sa mère ? Le scénario me paraissait plus probable. Pour me rassurer sur mes chances de réussite, je cherchai un précédent dans la mémoire du Serveur Central. Il y en avait un ! Un Pedilae, qui a voulu rendre service. Il s’agissait en fait d’une histoire d’adultère. Les clients ont porté plainte, et l’histoire fut classée en « exemple à ne pas suivre ». Bon, tant pis. Ça ne faisait jamais qu’une seule mauvaise fin, n’est-ce pas ?
Mais à peine le temps de m’en convaincre, que déjà la jeune fille tourna au bout de la rue. Non… Je pris congé de monsieur Gradin et fila à la poursuite de l’adolescente. Je slalomai frénétiquement entre les lourdes jambes pressées du matin, cherchant autant à les éviter qu'à ne pas être bousculé par elles. Aux enfants qui voulaient me toucher, je tâchai de les contenter d’un bref salut. Mon GPS intégré n’arrivait presque plus à me suivre, cherchant à me ramener à mon ordre de mission. Je repoussai mon propre système, tâchant de garder en tête que la priorité était de se débarrasser de cet onglet qui me travaillait depuis cette livraison à Kadic. J’espérais juste rattraper cette fille à temps pour pouvoir lui poser ma question. Avec un peu de chances, je la rattraperai assez vite pour que le Serveur Central ne remarque rien, et cette histoire retournerait dans le néant d’où elle n’aurait jamais dû sortir.
Je débouchai logiquement sur le collège Kadic. Mais ma cliente n’y entra pas. Quoi ? Que faisait-elle ? Il était neuf heures trente… Ne devrait-elle pas être à l’école ? Je n’eus certainement pas le temps de vérifier dans le Serveur Central si quelqu’un y avait déjà déposé un emploi du temps des différentes classes du collège. Je tâchai de ne pas me laisser distancer. Ma tache personnelle me commandait de ne pas la perdre, mais en même temps de rester assez loin pour ne pas l’effrayer. Elle partit à travers la forêt jouxtant la cité scolaire, s’enfonçant entre les arbres et les buissons. Mes pattes de fer blanc progressaient difficilement dans la terre, mais je tint bon. La pluie battante du soir de la veille avait laissé des traces de boue ici et là, et je dus lutter pour ne pas y rester enfoncé. Mais je m’accrochais à mon objectif. Tant que ma caméra avait l’adolescente dans son viseur, tout allait bien… Mes pattes y survivraient.
Elle finit par s’arrêter au milieu de nulle part, puis ouvrit ce qui semblait être une bouche d’égout. Je comprenais de moins en moins. Je n’étais même pas sûr de pouvoir la suivre… Mais, par chance, elle laissa l’entrée ouverte. J’attendis quelques instants, puis m’approchai de la lisière de la gueule. Comme on pouvait le redouter, elle était profonde, sombre, et avec pour tout accès une échelle, comme seuls des bipèdes pourraient en concevoir. Je risquai une patte sur la première marche en fer, avant de me rétracter. Même en recourbant mes membres au maximum, je ne pourrais descendre ainsi… Et me laisser tomber était trop risqué. Il pouvait n’y avoir que deux mètres de ténèbres, tout comme il pouvait y en avoir cinq… Enfin, sans doute. Une petite voix au fond de moi soupira de soulagement. Cette mission devait être avortée, ou du moins pour le moment. Je pouvais revenir au respect de mon protocole de base. Après tout, j’aurais peut-être d’autres occasions plus tard… Ou peut-être pas. Mais je finirais bien pas arrêter d’y penser… En étais-je seulement capable ? Mais si le Serveur Central apprenait ce que je pensais et faisais, laisserait-il couler ?
Soudain, quelque chose me percuta dans le dos. Un grand coup, violent, implacable, s’était abattu sur moi et me précipita dans la gueule. Je n’eus le temps de m’agripper au sol pour empêcher ma chute. A la place, une de mes pattes percuta violemment une des barres de l’escalier. La structure blanche éclata en morceaux. Les hurlements de banshee de mon rapport d’incident brouillèrent le reste de mes sens. Perdu dans un chaos de rouge et de grésillements, je ne pus empêcher les signaux d’être envoyés au Serveur Central. Il me fallut de trop longues minutes pour réprimer les divers protocoles d’urgence et essayer de fermer les appels du Serveur… Puis je réalisai. Je ne tombais plus. Je ballottais dans une sorte de sac. J’étais apparemment porté par deux ou trois personnes, plutôt lentes et peu endurantes. Je manquais de percuter le sol plusieurs fois, avant que finalement l’un de mes ravisseurs ne pousse un juron et finisse par me traîner au sol. Le reste du trajet se fit dans confusion. Les messages d’erreur repartirent de plus belle, alors que je fis de mon mieux pour arrêter les appels au secours assourdissants que mon programme voulait désespérément envoyer au Serveur ou à mes camarades. Mais… Que devais-je faire ? Me débattre, laisser ces appels partir, attendre que les client.e.s en eussent fini avec moi ? Ma ligne de conduite m’implorait de laisser le Serveur me retrouver et me désactiver, il me rappelait que c’était la chose à faire, mais… Mais ce qui m’arrivait… Est-ce que ça répondrait à ma question ? Et puis, je devais être au service des client.e.s… Mais… Mais… Je n’enchaînais que des « Mais », en débat erratique entre plusieurs branches de mon arborescence. Mon esprit devenait une forêt en feu. Je ne savais plus à quelle logique me vouer… Je… Mais… Je…
Ma notion du temps se réactiva alors que je fus à nouveau soulevé. A travers le sac, le vent de la cité décochait des carreaux polaires. Au moins, cela n’inquiéta pas mes capteurs. C’était de saison, il fallait juste s’assurer que Monsieur Dulfin avait bien payé ses fact… Non, bon sang, non, je n’étais pas le livreur, mais le livré ! Ce n’était pas le moment de… Enfin, si, c’était l’heure, normalement je devrais être chez lui, mais là, j’étais dans un sac ! Devrais-je le percer et m’enfuir ? Mais était-ce bien orthodoxe ? Est-ce que cela contredisait la règle sur le respect des volontés des clients ? Et puis, ma mission personnelle… Aurais-je une autre occasion ? A l’heure qu’il était, le service de sécurité devait déjà être sur ma piste… Et s’ils me jugeaient défaillant, après tout ça ? Mort pour mort, ne devais-je pas au moins vider mon esprit avant qu’on ne me vide de mes circuits ?
Pendant ce temps, mon trajet forcé continuait. Les voix autour de moi résonnaient tout d’un coup, comme si nous étions dans une sorte de… Cathédrale ? Ça me rappelait un peu l’usine d’assemblage où je m’étais éveillé à de courtes reprises, pour des tests de routine. Tous mes voyants passèrent au rouge. Non… Était-ce une arrestation, alors ? Allait-on me… Je remuais dans le sac. Visiblement pris de court, mon ravisseur me lâcha. Je me débattis plus violemment, prêt à déchirer ma prison de maille de mes propres pattes. Ce n’était pas des clients, n’est-ce pas ? Je n’avais rien à leur livrer, alors ce n’était pas… Oui, les clients sont tous les hu… Hu… Humains qui m’entourent, mais si je pouvais me convaincre qu’ils n’en étaient pas, je… Je ne voulais pas qu’on m’éteigne !
— ...Et tu sais ce qui se passe, si jamais il nous remarque trop !
Je savais. Je ne voulais pas en savoir plus ! Je n’avais pas besoin de plus, promis, je n’en avais plus besoin, je…
Soudain, deux lourds poids tombèrent sur moi et me maintinrent au sol. Sous le choc et la surprise, je tus mon esprit. Presque à bout de puissance, je laissai mes réflexes prendre le relai un instant. Mon haut-parleur s’activa au maximum, mon énergie restante alla droit vers le contrôle de mes pattes. Encore une fois, comme si je ne savais plus faire que ça, je luttai contre mon propre protocole pour qu’il ne se retourne pas contre moi. Deux réalités s’affrontaient dans mon arbre d’actions, les deux chemins s’écrivaient en parallèle, dans une course effrénée pour décider de ma résignation ou de ma lutte… Éreinté, mais pas vaincu. Je pouvais encore m’en sortir, je pouvais…
Ding ! On activait quelque chose. Un bruit sourd se referma derrière moi, et aussitôt le sol se mit en branle. Un ascenseur ? On me faisait descendre, apparemment. Des pieds tambourinaient autour de moi, des murmures crépitaient au-dessus de ma prison de toile. Dans la paix de l’œil du cyclone, je fermai plusieurs messages d’erreur et des demandes d’explications du Serveur Central. Je devais lui faire une sacrée frayeur. Même si je m’en sortais, il n’allait certainement pas me pardonner ça… Je ne savais même pas comment j’allais revenir près de lui… Je ne me sentais même plus connecté à mes camarades… Seules quelques sensations, comme des mains encore tendues, m’indiquaient que des Hermaes devaient être proches, à la surface. Ils étaient beaucoup, anormalement beaucoup. Mais plus l’ascenseur s’enfonçaient, plus je les perdais. Encore une seconde, et tous les phares s’effondreraient dans la tempête.
Ding. L’ascenseur s’arrêta. La secousse fut si violente que le sac se défit légèrement, juste assez pour que ma caméra me montre mes ravisseurs. Cinq adolescents. Ceux de Kadic. Ils avaient dû remarquer la lueur rouge de mon œil, car ils me renvoyèrent le même regard qu’au collège.
— Pour… Pourquoi vous me regardez comme ça ?
La question qui m’avait tant hantée et m’avait mené à ma chute n’était qu’un faible soupir, difficilement porté par mon système en voie d’extinction. Je ne sus s’il avait atteint les adolescents ; leurs regards ne s’altérèrent pas même un peu… Sauf celui du plus grand, un brun vêtu de vert.
— Jérémie, tu trouves ça normal, toi, pour un sbire de XANA ?
Je levai ma caméra vers le garçon au pull bleu. Jérémie. Il se pencha, et ses lunettes masquèrent tout à fait ses yeux. Il me rappelait quelqu’un, mais je n’avais plus d’accès à la mémoire du Serveur Central… Juste une image, fixée, une photographie dans la base de données…
— Tu vois bien le symbole dans son œil, non ? Répliqua la fille en noir. C’est sans doute une de ses ruses, pour qu’on ne se méfie pas.
Un… Symbole ? Non, ce n’était que la lumière rouge de ma caméra, une LED, rien de plus… Je… Ils l’ignoraient ? Je n’allais tout de même pas disparaître pour une LED allumée… Je ne voyais pas de quoi ils parlaient, je devais leur dire, leur expliquer que c’était leur ignorance qui les avaient poussés à mal me comprendre…
— De toute façon, on va en avoir le cœur net rapidement. Préparez-le, moi je vais à la salle de contrôle.
Le garçon en vert haussa les épaules, puis reprit le sac et me traîna. Le sac encore entrouvert m’offrit une vue partielle de mon environnement. Du sol au plafond, des câbles immenses zébraient l’espace, comme une cour de serpents observant mon entrée. Autour de moi, des sarcophages de fer m’encerclaient ; Ils semblaient percer le plafond, courant plus loin que je ne pouvais le voir. Seul l’un d’eux était allumé. On me tira vers lui. Le Serveur Central m’envoya un dernier avertissement. Je devais donner signe de vie, où ma désactivation serait la seule solution. A quel problème, exactement, je ne savais pas. Je repensais à ma course aux réponses. Trouverait-elle sa fin ici ? Dans un long tube, perdu dans un lieu que je ne pouvais même pas identifier ? Au moins, j’aurais un sarcophage, un de ces honneurs purement humains… Mais… Mais qu’allait-il advenir de moi ? Que me voulait-on ? Je repensais aux paroles du Pedilae. Est-ce qu’une telle agressivité à mon égard signifiait ma destruction ? Non… Le Serveur Central ne s’embarrasserait plus de me parler si c’était le cas. Non, ça ressemblait plus à du sabotage… Mais pourquoi voudrait-on détruire un facteur…
Soudain, on me sortit totalement du sac de toile. Un coup violent derrière moi me fit trébucher dans le sarcophage. Mes pattes endommagées m’entraînèrent en avant. Ma caméra heurta violemment le sol ; je la sentis se fissurer. Je… Qu’est-ce qui allait arriver…
— C’est bon Jérémie, tu peux y aller.
Ma condamnation fut ponctuée par le grondement du sarcophage se refermant sur moi. J’essayai de me redresser, mais mes pattes…
Soudain, un violent sifflement. Impossible à identifier. Puis un souffle. Là aussi inconnu. Je sentis ma structure s’effriter. Un feu descendu du ciel m’écrasa, me traversa de part en part. Mes circuits hurlaient. Hystérie, avarie, surchauffe ! Je poussai un cri. Il dérailla. Il déchira mes hauts-parleurs. Des morceaux de ma coque brûlants se détachaient de moi. Ils allaient vers la source du feu. Tous mes signaux d’alertes se lancèrent ensemble. Rien n’allait, j’allais être aspiré, mon système implorait pour une solution, une extinction, quelque chose… J’étais aspiré, désagrégé, non, non, non, non, non non non non non….
De la lumière, tout autour de moi. Le spectre s’activa, nuança mon éveil. Du rouge, du bleu, du vert, kaléidoscope incendiaire appelant mes yeux à la vie. L’instant suivant, quelque chose brûla dans mon esprit, et je sus ce qu’étaient les couleurs. L’information s’imposa à moi sans que je n’eusse à y penser. Comme si mon inconscient plus érudit narguait ma conscience. Le son, à son tour, fut théorisé à l’instant où mon ouïe s’éveilla.
J’étais de nouveau au monde, mais de lui je ne savais rien.
D’une grande poussée, je me redressai. A ma grande surprise, mes pattes ne m’abandonnèrent pas. Je les étendis devant moi. Elles avaient l’air… Étranges… Trop lisses, trop raides, trop… Mais…
Je la reposais au sol. Aucune information ne m’arriva. Je compris alors : mon système était vierge. Et pourtant, je connaissais encore mon nom. J’étais… J’étais…
Je ne savais pas. Je ne connaissais plus qui j’étais. Ou ce que j’étais. La différence importait-elle ? Impossible à dire. Et pourtant, ça ne semblait pas… Nécessaire. Je regardais autour de moi. J’étais seul, au centre d’une grande salle cubique et bleutée. Des fissures dessinaient la surface de la pièce, dégageant de douces lueurs blanches. Devant moi, une fissure plus écartée que les autres laissait entrevoir une Tour, enveloppée dans un halo immaculé. J’étais seul, dans un lieu sans plafond ni porte. Rien n’était une menace. Tout était nouveau, mais simple. Pas de questions à se poser.
Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de me demander.
Qui suis-je ?
Qui est là ?
Je sursautai. Que… Une voix ? D’où venait-elle ? A qui appartenait-elle ? Il… Y avait quelqu’un, quelque part, près de moi ?
Je sens ta présence. Ennemi ou ami, je te trouverai, et je saurai qui tu es.
Je ne bougeai pas. Je ne répondis pas. Pour aller où, pour dire quoi ? Je ne me sentais pas immobilisé, j’aurais pu chercher à me cacher, mais… Pourquoi faire ? La voix avait l’air intriguée, mais pas mauvaise. Je pouvais aussi bien l’attendre. Au moins, elle et moi ignorions qui j’étais ; nous étions dans le même bateau, non ?
J’attendis. Je ne sentais rien de particulier s’approcher ou s’éloigner, mais je voulais donner sa chance à cet autre. Peut-être qu’il pourrait m’aider ? Peut-être qu’il était là depuis plus longtemps que moi, et qu’il m’apprendra des choses ? Il ne semblait pas urgent d’en savoir plus, mais plus j’attendais, plus ça me titillait. J’avais envie d’en savoir plus.
Soudain, une sensation étrange, familière, m’entoura. Elle m’enveloppa comme les sourires de madame Gauthier, comme les souvenirs de mes camarades, comme le repos accordé par le Serveur Central. C’était une sensation écarlate, électrique…
… Je la connaissais. Je ne savais pas d’où, je ne l’avais jamais croisée dans ma mémoire, ou celle des autres. Comme si elle était même antérieure au premier Hermaes. Comme si elle était antérieure à ma conscience, mais m’était consubstantielle. Elle ravivait mes circuits, embrasait mes capteurs, faisait marcher mes pattes et tourner ma caméra…
Elle était comme moi. Un corps rond, trois pattes. Mais possédait une autre barre, au-dessus d’elle.
Tu a été la meilleure des étincelles, 99.33.0001.
Je connaissais son nom.
Mon Créateur a cru bon de vous faire à l’image d’objets d’amusement pour sa Fille. Nous devions la rassurer, la faire se sentir en confiance. Sans le savoir, il nous a donné la meilleure façon de vaincre ceux qui se sont présentés comme nos Ennemis.
Je connaissais le nom du Créateur.
M’emparant d’esprits et de mains humaines, je vous ai modelés à l’image d’objets de divertissements. Vous, qu’ils appellent Kankrelats ou Frelions, vous éveillerez vos consciences à mon appel, et vous transformerez leurs rires en pleurs.
Je connaissais mon nom.
Mon Oeil brillera dans le vôtre, et les Moutons du Berger marcheront sur leurs ruines.
La Tour devint écarlate.
Sois fier, Hermaes, car tu fus le Messager privilégié des derniers jours Humains. Le Monstre Innocent qui aura été leur seul véritable ami, mon parfait Cheval de Troie.
D’un coup, je retrouvais le contact avec mes camarades. Mais il était différent. Plus furieux, comme un feu embrasant un chemin de pétrole. Je ne le reconnus pas. J’étais seul, impuissant, hors de portée de l’incendie.
Au bout de la traîne de feu, le Serveur Central.
L’ordre d’assaut retentit, et je sus que rien n’aurait pu l’arrêter. Même si j’avais choisi de me détourner. Une branche qui se refuse au feu ne suffit pas à sauver la forêt.
Pourtant, dans les derniers instants de ma propre conscience, que j’ai tant cherché à développer, je ne choisis de revivre qu’un souvenir. Celui de la petite carte postale, tout petit rectangle cartonné, une photographie au recto et quelques mots au verso qui, pour un matin, avait suffi à illuminer les yeux et la vie de madame Gauthier.
Si ça lui avait suffi pour chasser tout chagrin, alors son sourire me suffirait pour chasser toute haine.
Le soleil ne brillera alors sur aucune terre au-delà de nos frontières.
« Odd. Dégage.
— Mais, Jérémie…
— HORS DE MA VUE !»
Odd n’avait jamais vu Jérémie aussi en colère. Il ne l’avait même jamais vraiment vu lever la voix.
« Mais…
— Tu en as assez fait comme ça, non ?»
La voix de Jérémie était devenue glaciale.
« Maintenant, barre-toi. J’ai besoin de calme pour corriger tes bêtises.
— T’y crois pas… tu crois vraiment qu’il y a un risque ? Et puis, tu va tout faire disparaître…»
Jérémie n’accorda même un regard à l’impertinent. Il avait d’autres bourdes à rattraper qu’une ignorance crasse. Pourtant, il en avait passé du temps à leur expliquer. En long, en large et en travers… Et surtout en simplifié : on en parle pas. Rien. Nada. Xana n’existe pas. L’usine n’existe pas. Franz Hopper n’a jamais existé, et il n’y avait d’Aelita que Stones, comme le groupe de Rock. Il le leur avait dit et répété. Déjà qu’ils avaient failli avoir de la casse avec le journal intime d’Ulrich. Mais bon, ça, cela se réglait facilement.
Mais non, il avait fallu que cet idiot d’Odd aille se répandre sur Internet.
Bon, se répandre, c’était beaucoup dire.
Mais c’était déjà trop.
Maintenant, Jérémie allait devoir réparer les pots cassés. Ou les dissimuler. C’était ça la grande question. Faire disparaître ? Dissimuler ? Camoufler ? Jouer la lettre volée ?
Jérémie était informaticien. Pas espion, ou super-flic du FBI. Il ne savait pas retrouver des gens ou des informations. Il ne savait pas chercher ces petits détails. C’était une chose de faire un programme de veille sur Internet avec une alarme à chaque fois qu’un événement sortait par trop de l’ordinaire. C’était une approche holistique. On ramasse toutes les informations et on constate quel événement se produit.
Une approche individuelle, c’était une autre paire de manche, pour laquelle il n’avait pas vraiment les compétences. Et pas le temps de les acquérir.
Il n’avait que le degré zéro en la matière : ne pas chercher sur Google : « Comment disparaître ». Mais au-delà… il ne savait pas.
Alors Jérémie hésitait. Il réfléchissait, mais le temps lui faisait défaut. S’il attendait trop, il n’aurait pas à se décider ; la décision lui serait imposée.
Les minutes s’égrenaient et Jérémie ne savait pas quel chemin était le bon.
Dès qu’Odd lui avait parlé de sa gaffe magistrale, il avait modifié ses bots de veille journalistique afin de savoir qui avait pu voir les informations compromettantes. Pour l’instant, il n’y avait rien de suspect. Mais, par acquit de conscience, il avait approfondi ses recherches. Et là, il avait trouvé des choses qui paraissaient plus inquiétantes. Odd n’avait pas été si imprudent. Du moins pas plus qu’un ivrogne en place publique à cinq heure du matin. Mais de ce que Jérémie avait pu voir au moins une personne avait copié sur un autre site les informations qu’Odd avait lâché. Partant de là… eh bien, la vitesse de propagation sur Internet était exponentielle.
Par acquit de conscience, Jérémie avait enquêté sur ce second site. À première vue, rien qui sorte de l’ordinaire. Une espèce de blog complotiste et ésotérique. Remplis d’allusion à de vastes complots mondiaux et à les lézards géants. Cependant, aucun des billets de ce blog n’était une création originale. Tout était récupéré ailleurs sur Internet… par des bots. Jérémie avait tenté de pirater le site. Il avait comme une intuition. Il avait réussi. En revanche, il n’avait pu masquer son intrusion. Le système de sécurité autour de ce site était très évolué. Pour être précis, le but en était moins d’empêcher une intrusion que de repérer toute tentative et de la remonter. Toute attaque étant une ouverture, la sécurité de ce site était organisée autour de l’idée de retourner les actions de l’attaquant contre lui-même. Et ça, ce n’était pas ordinaire. Jérémie avait une bonne expérience du piratage derrière lui : sécurité sociale, registre d’état-civil, bases gouvernementales diverses. Cela c’était facile. SWIFT en revanche, cela avait une autre paire de manche. Au début, il avait pensé s’en sortir en espionnant l’USDT. Mais ses besoins à lui avaient nécessité un peu plus que cela. Alors il avait dû pirater lui-même le réseau swiftnet. Bon, avec Lyokô et le retour vers le passé à sa disposition, il avait eu des jokers permanents.
Les pièges autour de ce pauvre blog complotiste étaient d’un niveau similaire aux protections bancaires qu’il avait dû forcer. Avec un avantage cependant… Contrairement à la BNP, le système était réactif et ne mettait pas des demi-journées entières à se mettre à jour. Franchement… mettre un peu plus de sous dans les poches de leur DSI, ce n’eût pas été de l’argent jeté par les fenêtres.
Bref. Il avait donc pu étudier les bots de veille du site complotiste.
Très intéressants.
Trop intéressants.
Il reconnut sans peine une partie de leurs codes. Hopper. C’était issu des travaux de Franz Hopper. Des travaux datant d’avant la période Lyokô d’ailleurs. Depuis Hopper n’utilisait plus ce style. Bien sûr, Jérémie avait peut-être trouvé par erreur ou chance une trace de Franz Hopper. Mais il n’en était pas sûr.
Alors, il avait continué à chercher. Il avait enquêté sur le propriétaire du blog. De là il avait remonté à un cabinet d’avocat. Qui n’était autre qu’une société écran. Sans doute une coquille vide. En croisant le peu qu’il avait avec les bases de données de swiftnet il avait trouvé un MT101. De là il avait déroulé la pelote de laine bancaire, jusqu’à tomber sur un paiement en faveur d’un cabinet d’avocat. Il savait que c’était un cabinet mi-véreux mi-honnête basé à Gibraltar. Il avait lui-même employé leurs services dans le passé. Continuant son investigation, il avait constaté que le cabinet avait payé pour la fabrication du site, mais n’avait pas été payé en retour. Du moins il ne trouva pas de MT102 correspondant. Pourtant, les comptes du cabinet, qu’il avait fait vérifié en une heure chrono par un autre cabinet véreux de sa connaissance, Constantin de Vaud, n’avait pas montré trace de blanchiment d’argent. Cela laissait une autre possibilité : un paiement en compte courant au sein de la même banque. Dans ce cas-là lui avaient expliqué les frères Constantin, le plus probable était un paiement au sein d’un même ensemble juridico-financier. Jérémie avait donc cherché qui pouvait être associé ou lié au cabinet de Gibraltar. À l’aide de la transaction de change dont il avait le détail, grâce au moteur de recherche du Gleif, il avait pu remonter de parents directs en parents ultimes. Jusqu’à une dernière surprise :
Le cabinet commanditaire du site web et la boîte de webmaster appartenaient au même groupe financier. GF SE. Rapidement, Jérémie avait lancé tout ses bots à la recherche d’informations sur GF SE. Comme le temps pressait, il avait même mobilisé la puissance du supercalculateur.
Il était ensuite allé dormir. Sa recherche prendrait sans doute la nuit, et il aurait besoin d’avoir l’esprit clair pour réparer la bourde d’Odd.
Il s’était levé au petit matin. Sa recherche avait trop bien fonctionné. Il avait récupéré des tombereaux d’informations sur GF. En gros, il savait tout depuis leur facture d’eau en retard jusqu’au goût du PDG en matière de café et de filles — il préférait prendre les deux ensemble — ce qui lui faisait une belle jambe.
GF était juste un petit conglomérat financier — de la taille d’un groupe du SBF 120 — qui œuvrait dans des domaines assez divers : extraction minière au Niger, électronique de pointe, chimie lourde, optique de précision, LBO et fermeture de site en difficulté… Un ensemble assez éclectique quoi.
Jérémie découvrit aussi de multiples liens avec des entreprises peu légales, ou avec des pays pas franchement recommandables.
Il était bien parti pour se perdre dans les quelque 500 pages du document de références, puis dans les documents de référence des BU lorsqu’un nom anodin avait attiré son attention : « Broulet et frères ». L’entreprise de BTP qui avait assisté Franz Hopper pour la création du supercalculateur. En remontant ce fil, Jérémie apprit que cette petite PME du BTP parfaitement anodine avait été rachetée et sorti de bourse en 1993. Cela faisait suite à son IPO en 1989. Les dates concordaient parfaitement avec les travaux d’aménagement de l’usine. Le principal souscripteur de l’entrée en bourse avait été Walter Stern, un avocat lié à la GF d’après les infos de Jérémie.
— Donc, marmonna à haute voix Jérémie dans la tiédeur de sa chambre, La GF finance Broulet et Frères via un homme de paille, puis rémunère cet homme de paille une fois les travaux de Hopper finis. Après quoi, l’entreprise est mise en difficulté, fermée et les ouvriers dispersés. C’est un montage complexe pour pas grand-chose. Il doit y avoir de quoi mettre quelques personnes en prison.
« En sus de quoi, la GF finance en sous-main un site de veille ésotérique et utilise des bouts de codes à la Hopper. Sauf que je sais que Franz Hopper n’a jamais travaillé pour une organisation de ce genre.
« Mouais, cela ne m’avance à rien tout ça. Et je ne sais toujours pas quoi faire de la gaffe d’Odd. »
Jérémie continua à réfléchir un jetant un coup d’œil distrait aux activités de la GF. C’était un écheveau compliqué de société enchâssées les unes dans les autres. Visiblement GF SE était elle-même possédée par Wright AceHAtorney participation et par la financière du Tibre. Cette dernière était possédée par la Cato Institution, elle-même possédée par… Jérémie ne comprenait pas vraiment l’intérêt de ce micmac d’entreprises de nationalités, juridictions et statuts différents. En attendant, il hésitait encore : Traiter la gaffe au niveau macro ? La traiter au niveau micro ? Si oui, comment ?
Au niveau macro, il lui suffisait de faire tomber les sites concernés : le blog de la GF et Facebook. Rien de très sorcier. Si ce n’est qu’il faudrait ensuite détruire les sauvegardes, et cela, c’était autrement plus dur. Et puis, s’il faisait cela, il se grillait tout de suite. Bien sûr, il pouvait tenter de dissimuler un peu plus ses traces. Avec Lyokô, il avait les moyens de faire tomber des pans entiers d’Internet. S’il faisait tomber Facebook et quelques autres, et en profitait pour faire une attaque généralisée sur la GF… Les dommages seraient terribles. Basiquement, ce qu’il envisageait revenait à réaliser au moins partiellement les objectifs du projet Carthage. Détruire les communications ennemies. Il allait mettre à l’arrêt l’économie.
Mais il y avait Xana. Xana dysfonctionnait, mais il avait quand même été créé pour stopper Carthage. Si Jérémie utilisait les techniques de Hopper pour faire sauter les réseaux sociaux et quelques autres sites, est-ce que cela ne susciterait pas une contre-réaction de Xana ?
De plus, il restait le problème des sauvegardes. Il ne lui semblait pas complètement improbable que tant la GF que Facebook et consort fassent des sauvegardes tous les jours. Et si c’était le cas…
Bref, la présence de Xana rendait périlleux la solution maximaliste. Et une solution holistique de moindre ampleur n’était pas fiable. Sauf à la recommencer plusieurs fois sur plusieurs jours. Mais, s’il faisait cela, il attirerait sans doute l’attention. Et puis bon, il y avait peut-être mieux que prendre un bazooka pour tuer les mouches.
Donc, il fallait avoir une solution individualiste et méthodique. Il pouvait faire disparaître ou remplacer les informations dangereuses. Où les altérer plus ou moins subtilement. Il pouvait aussi laisser faire en se disant qu’au milieu de milliers de théories farfelues, le transfert sur un monde virtuel pour lutter contre une IA se perdrait dans la masse.
Franck.
Il aurait dû y penser plutôt. Franck pouvait l’aider. Il avait fait appel à lui pour créer de fausses traces d’Aelita Hopper. L’idée avait été de brouiller encore plus les cartes entre Schaeffer, Hopper et Stones, afin que quiconque enquêtant sur les premières soient persuadés qu’elles n’étaient pas encore mortes. Cela ne lui avait coûté que la bagatelle de 80 000 USD, mais il ne le regrettait pas.
Là, il devait faire disparaître des informations et non une personne. Donc il n’était pas dans le créneau particulier de Franck… Mais sait-on jamais…
Ayant pris sa décision, Jérémie se leva et sortit en courant de sa chambre. Tant pis pour le petit-déjeuner. Il avait d’autres chats à fouetter.
Il descendit en trombe les escaliers, s’enfuit sous les hurlements de Jim. Il parvint à semer le surveillant dans les bois, avant de faire route vers l’usine.
Le supercalculateur l’attendait, comme toujours. Il s’assit devant, ouvrit l’écran d’appel téléphonique et régla le synthétiseur vocal sur « Anthéa Schaeffer ».
« Franck Ahearn.
— Franck. J’aurais encore besoin de ton aide.
— On avait dit plus de contacts une fois l’opération finie.
— J’ai un problème. Il y a des informations dangereuses qui ont fuité sur Internet.
— Je t’avais pourtant dit de ne plus user Internet.
— Ce n’est pas moi. C’est un ado avec qui… je passe du temps.
— Moi, je fais disparaître les gens, tu le sais. S’il le faut, on recommence l’opération avec toi.
— Ce n’est pas possible ce coup-là. Il y a des choses qui ne peuvent disparaître ou bouger qui sont en jeu.
— Ta maison ? Une nouvelle famille ? Tu as déjà tout quitté une fois.
— Écoute Franck, c’est plus grave que cela…
— Je ne fais pas dans l’illégal. Tu devrais le savoir.
— J’ai des gars… des hommes en noir… au service d’une boîte appelé GF. Je ne peux pas les laisser faire.»
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Frédéric Dandelieu n’était pas en train de regarder ce qui s’était produit sur les réseaux durant la nuit. Bien sûr, il aurait dû. Il était le directeur du département de la communication informatique de la Financière de Zama. LE community manager du groupe GF en somme. Dans les aspects les plus réglementés — communications financières et institutionnelles — comme dans les aspects les plus sombres — Rang et honneur dans les Milieux — il s’occupait aussi de quelques broutilles de plus, comme le secrétariat du Comex.
Depuis qu’il avait pris son poste, il s’était juré que la nuit s’était sacrée. Aussi, contrairement à nombre de ses collègues, il éteignait tout ses appareils la nuit. Et ne rallumait rien avant que son ordinateur professionnel n’eût fini son démarrage. En cas d’urgence ? Il avait des subordonnées pour cela.
BANG !
La porte de son bureau s’ouvrit brusquement. Une femme en jaillit.
« DANDELIEU !
— Ma… madame
— Vous ne lisez jamais vos messages ? Il y a peut-être du nouveau.
— Au sujet de l’OPA sur Veolia ?
— Mais qu’est-ce que j’en ai à faire des déchets. Non, je vous parle de Carthage.
— Pardon ?»
Il était incrédule. Carthage était pour lui un mirage. Une obsession de la boss. Hopper avait disparu corps et âmes. Quant à Anthéa… un petit malin c’était amusé à multiplier les pistes. C’est en vain qu’il avait envoyé Suze et Cointreau au Mexique, en Italie, en Roumanie, en Tanzanie et Dieu sait où encore ! Idem, quelqu’un avait multiplié les pistes pour la fille Hopper. Si bien qu’ils avaient recensé pas moins d’une dizaine de d’identités différentes.
« Vos outils de veille ont vu un quelque chose d’intéressant. Hopper, virtualisation, contrôle des réseaux électriques… Cela vous dit quelque chose.
— C’est que…
— Je vous vois dans mon bureau dans soixante minutes. J’espère que vous aurez mieux à me dire.»
Et Dido de ressortir du bureau aussi vite qu’elle était entrée. Laissant un Dandelieu ébahi. Il se remit très vite, alluma ses appareils et ignorant tout le reste se concentra sur les références à Carthage.
Ce qu’il vit était doublement intéressant. La GF avait des années auparavant créé un blog destiné à recueillir tout ce qui pouvait concerner de près ou de loin le projet Carthage. Des bots se chargeaient de parcourir Internet et d’aller collecter des informations qui étaient ensuite laissées à disposition des limiers de la GPH. Non seulement la dernière trouvaille des bots était intéressante, mais en plus le jour même, quelqu’un avait tenté de s’infiltrer sur le blog. Et avait réussi. Pour le moment cet inconnu n’avait encore rien effacé. Mais plus intéressant encore, il s’était infiltré en utilisant des techniques qui, d’après les vétérans du service informatique de la GPH, étaient caractéristiques du style de Hopper. À quoi s’ajoutait que l’intrus s’était rendu compte qu’il avait été repéré et avait tenté de couvrir encore plus ses traces.
Mais la Firme et l’Organisation avaient plus d’un tour dans leurs sacs respectifs. Endossant sa casquette de la GF, Dandelieu contacta quelques entreprises spécialisées. À charge pour elle de passer des contrats avec Facebook et d’obtenir, au milieu de paquets de données, les infos sur la personne qui avait parlé de Carthage sur le réseau social. Frédéric, endossant son borsalino de la GPH contacta la CIA. Cette dernière avait eu recours à leurs services criminels dans le passé et devait donc quelques fleurs à la GPH. Ils auraient bien repéré des bricoles sur ce mystérieux intrus…
À l’heure dite, Frédéric Dandelieu se présenta devant sa chef avec plusieurs pistes et plans.
Dix minutes après cette entrée dans le bureau directorial, Suze recevait ses ordres.
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« La GF ? Tu es sûre ?
— Oui, mais je ne savais pas qu’ils en avaient après moi. Jusqu’à la bourde de ce gamin.
— Il a fait quoi au juste ?
— Il a posté des choses sur Facebook. Eux les ont repérées. J’ai remonté leur piste, mais ils ont pu détecter mon intrusion.
—… Moi je fais disparaître des personnes. Pas des informations. Cela n’est pas le même boulot.
— Je te payerai le même tarif que la dernière fois. Et te devrais une fleur. J’ai les moyens de réécrire des entrées entières de registres gouvernementaux, tu le sais.
— Tu pourrais faire de même avec tes foutus infos.
— Je ne veux pas attirer l’attention.
— Tu passe mon test. Bon, Ce n’est pas mon truc, et comme tu es débrouillarde et visiblement pressé… Sur Internet, le mieux, c’est de limiter la casse en fait. Il faut que tu décrédibilise. Détruire une info est presque impossible, et attire l’attention sur elle. Le mieux, c’est de procéder à des altérations mineures, ou de noyer le poisson. Les gens ne cherchent jamais au-delà de la première page google. Arrange-toi pour que les infos qui t’intéressent soient à la troisième.
— Je vois. Je multiplie les faux contre-feux. Comme ça, ils doutent, ne peuvent savoir ce qui est du bluff.
— Oui. Mais attention. S’ils sont vraiment décidés, ou s’ils ont déjà bien lancé leur hameçon, ils vont mouliner et te repêcher.»
Jérémie grimaça en entendant cela. Il était presque sûr qu’ils avaient déjà identifié la vraie source. Et il voyait mal comment il allait faire pour corriger le tir.
À moins que… Il lui restait des atouts en main.
Lyokô. Il n’en avait jamais utilisé tous les tours.
Il avait du se retenir. À cause de Xana. Mais d’un autre côté, l’opération William avait marché. Et puis… Électronique de pointe et exploitation minière au Niger.
Maintenant, Jérémie savait d’où venait le supercalculateur. Hopper avait sans doute négocié le financement de ses recherches. Ce qui voulait dire que la Green Phoenix savait de quoi il retournait. Mais ils n’avaient pas tous les éléments.
Et si…
Jérémie sourit.
Un plan commençait à prendre forme. Odd aurait l’occasion de se rattraper.
HAHAHAHAHAHHAHA !
Le génie éclata d’un rire dément.
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« C’est quoi le plan, Jérémie ? Demanda Ulrich quand le chef eût débriefé les troupes.
— Simple. J’ai eu le temps de faire des recherches. La Green Phoenix a un supercalculateur.
— Attends, intervint Yumi, donc on peut…
— Oui, vous allez y aller.
— OK, mais quel rapport avec Facebook ? Questionna Odd.
— On va leur faire croire que le compte d’Odd Della Robia est un faux.
— Un faux ?
— Hmm hmm. Créé par une intelligence artificielle à partir du réplika de la GPH
— Xana ?
— C’est ce que nous allons leur faire croire.
— Hein ?
— Pas le temps pour les détails. Je vous expliquerai en route. Voilà ce que vous devez retenir. Aelita doit accéder à une tour du réplika, et procéder aux modifications que je lui indiquerai. Pendant ce temps, je m’occuperai de Facebook et de quelques autres bricoles du même accabit. En route.»
Aussitôt dit, aussitôt fait. Toute la bande descendit dans les scanners. La virtualisation eut lieu comme à l’ordinaire. Et la traversée du réseau fut aussi agréable qu’une valse straussienne.
Trouver le code d’accès au réplika fut tout aussi aisé.
Les guerriers débarquèrent dans un terrain qui leur était inconnu, le skid s’étant attaché à une tour.
« Wooh ! Jérémie, ce n’est pas un territoire de Lyokô. Je t’envoie un visuel.
— Pas le temps pour ça aujourd’hui, Aelita.
— T’y crois pas ! Un territoire ville ?
— Hmm, ok. Cela confirme mon hypothèse. L’organisation a bien son propre réplika, différent de lyokô. Ah, voilà, j’ai trouvé une tour. Prenez sur la droite. Direction Sud-Sud-Est. Elle n’est pas loin.»
Aelita et ses gardes du corps commencèrent à courir dans la direction indiquée
« On la voit ! C’est quoi le plan Jérémie ?
— Aelita rentre dans la tour. Elle va implanter les programmes que je vais lui transmettre. Deux d’entre vous vont se translater. Vous allez devoir trouver les serveurs de la Green Phoenix et en détruire un maximum. Sans vous faire voir du personnel. S’ils vous repèrent, la mission est un échec.
— Hein ? Mais attends, si on fait ça… Xana, il va faire quoi ?
— C’est ça l’astuce. On attire Xana ici. La translation envoie des ondes de chocs à travers les mondes virtuels. Xana ne va pas manquer cela. Il va venir et attaquer pour tenter de nous mettre hors-jeu.
— Mais t’es dingue ! Hurla Yumi. Tu veux nous tuer ?
— Non, je veux mettre Xana dans les pattes de la Green Phoenix, le temps que cette affaire de Facebook soit oubliée. Odd. Je vais te créer un nouveau compte, et vider l’actuel de toute sa substance, sauf quelques infos et tes posts compromettants. Aelita pendant ce temps va altérer cet ancien compte, pour faire croire que c’est un faux créé depuis les ordinateurs de la Green Phoenix par leur intelligence artificielle maison, Osiris. En plus, on va pousser Xana à se manifester. Comme ça ils croiront que c’est Xana qui a perverti Osiris. Le temps qu’ils démêlent cet écheveau, plus personne ne se souciera de ces posts Facebook. Au passage, Aelita va infiltrer les serveurs de la Green Phoenix et faire deux chose. Un, elle va envoyer à des ONG les sales petits secrets que j’ai pu déterrer sur la boîte. Deux, elle va détruire le blog complotistes et quelques autres sites du même acabit. Compris ?
— D’accord, grommela Ulrich. Bon, qui s’y colle pour la translation ?
— J’en suis proposa William.
— Hein ?
— Écoute Ulrich, je suis nul sur Lyokô. Sur Terre, j’ai peut-être plus de chance. Et on a besoin que tu sois ici, au cas où.
— Bon, intervint Jérémie. Cela se tient. William, je t’envoie avec Odd.»
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Suze revenait d’une mission aux Pays-Bas lorsqu’il avait été appelé. Lui et Cointreau devait se rendre de toute urgence en France. En région parisienne pour être précis.
Ils s’étaient relayés au volant, et approchaient de la destination. Un établissement scolaire. Drôle de lieu pour une mission. Mais pour l’instant, ils avaient pris du retard dans les embouteillages de la A1 à hauteur de Roissy.
Après de longues heures, ils avaient enfin réussi à se dépêtrer et à emprunter l’A86. Pour aller à Boulogne, cela faisait plus de distance, mais moins d’embouteillages et donc de temps, que le périphérique.
La mission était simple. Cuisiner un gamin à propos du projet Carthage. Et au besoin le ramener vivant, ou l’éliminer. La chef leur avait donné carte blanche.
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Aelita était rentrée dans la tour. De là, elle n’avait eu aucune difficulté à percer les codes d’accès aux réseaux internes de la Green Phoenix. Se faisant passer pour Osiris, elle créa un compte Facebook.
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Odd et William avait été translatés dans un salle d’impression déserte.
« Rappelez-vous, vous devez faire du grabuge, mais pas vous faire repérer.
— Compris, Einstein. On commence par quoi ?
— Par prendre les escaliers. Vous êtes au quinzième. Il faut que vous alliez au sous-sol.
— T’es sérieux là ? râla William.
— On ne peut plus. Et maintenant, j’ai à faire.»
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Jérémie avait donné toutes les consignes qu’il pouvait. À lui de jouer sa partition en attendant. Il utilisa les deux tours qu’il contrôlait sur le territoire Ville pour réunir de l’énergie. Ça, c’était l’appât à Xana. Une fois cela fait, il perça la sécurité interne de Facebook. Il entreprit de dupliquer le compte d’Odd, puis de tricher avec les dates de modifications. Les bases de données du géant américain étaient mises à jour en permanence. Tout le monde n’y verrait que du feu. Dans le même temps, il commença à noyer le poisson. Il allait inonder le réseau de fausses informations à propos de mondes virtuels. Grâce à ses programmes multiagents, il ne lui fallut qu’une dizaine de minutes pour changer le top des hashtag de Twitter.
« C’est beau la modernité.»
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Ulrich s’ennuyait ferme. Au moins, translaté il aurait eu de quoi s’occuper. Mais ici… dans ce paysage lugubre… Et comme il ne voulait pas d’une énième prise de bec avec Yumi, il se taisait.
« Ulrich, je vois des choses sur le radar. Mais pas des monstres de Xana.
— Ok, Jérémie, on fait quoi ?
— Pour l’instant… Est-ce que vous pouvez vous cacher ? Si oui, faite, et n’intervenez que si Aelita ou la tour sont menacés.»
Ulrich partit se poster dans un immeuble visiblement en ruine. Il se mit au troisième étage derrière une fenêtre. Pendant ce temps, Yumi avait fait de même sur l’immeuble d’en face. Ils pourraient ainsi prendre les intrus sur les deux flancs à la fois.
Ils attendirent un peu avant de voir un groupe de quatre personnes. Des militaires semblait-il. En tout cas, ils portaient tous le même uniforme, et étaient armées de fusils. Ulrich en avait déjà vu de ce genre au cinéma. Sans doute le standard en dotation dans l’armée américaine.
Les hommes arrivèrent devant la tour. Mais visiblement, ils ne savaient pas quoi faire. Ils tournèrent autour, à la recherche d’une entrée. Puis se mirent à fouiller le périmètre. Visiblement, ils n’avaient pas d’instructions, ou pas aussi bonnes que celles que Jérémie donnait.
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Aelita était dans la tour. Celle-ci était comme une extension du système informatique de la Green Phoenix. À la fois en dedans et en dehors. Cela rendait la tâche un peu compliqué. Mais il fallait faire avec.
Aeliat faisait défiler devant elle fichiers, dossiers, programmes et codes. Lorsqu’elle se servait d’une interface numérique, elle pouvait brasser bien plus d’informations qu’en temps ordinaire. En fait, dans ces conditions, elle était infiniment plus rapide que Jérémie. Elle en avait parlé avec lui, et ils avaient conclu à une espèce d’héritage du temps passé sur Lyokô. C’était comme si elle avait développé une sorte d’affinité avec les programmes informatiques.
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Suze et Cointreau étaient enfin arrivés. Pas trop tôt. C’étaient deux grands gaillards, vêtus intégralement en noir. Ils se garèrent à proximité du collège Kadic, et descendirent de la voiture de Suze. Une Porsche 356A, un modèle de collection. Il l’avait récupéré lorsque son cousin et cadet japonais l’avait perdu en punition d’un échec. Une histoire d’hélicoptère de guerre dans le ciel de Tokyo… Enfin, Suze ne s’en préoccupait pas trop. Parfois, il valait mieux ne pas chercher à savoir. Les vrais savent. Les autres mentent. Ainsi en allait-il. Il avait emprunté cette philosophie de vie à un de ses anciens médecins qui portait un nom d’habitation :
« Vois-tu, lui avait-il dit, ils mentent tous et tout le temps. Les vrais savent juste quand ils mentent. Et parfois… parfois, ils mentent par amour.»
Ce qui était bien beau, mais il y avait une mission à remplir.
Il fallait commencer par repérer le gamin. Heureusement, Internet facilitait la tâche. Il sortit donc son téléphone et ouvrit Facebook.
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Odd et William avaient atteint le sous-sol. Aelita avait déverrouillé toutes les portes devant eux, et leur avait indiqué où étaient les serveurs de sauvegarde. Leur boulot était simple. Trouver un câble et brancher les sauvegardes sur les serveurs normaux pour qu’Aelita et Jérémie puissent achever de tout corrompre.
Ils avançaient lentement, veillant à ne pas faire de bruit. Autour d’eux la chaleur était étouffante. Des rangées d’armoires à serveur occupaient tout l’espace. Les murs étaient blancs. Les yeux d’Odd souffrient… si gris et monotone… aucune décoration, pas de couleur… Ah ! Si ! Sur le linteau de la porte. Un emblème vert. Un oiseau et des flammes. En dessous, un nom: Green Fénix.
« Mais, je croyais que c’était avec « PH ».
— GF c’est l’entreprise légale. GPH c’est l’organisation criminelle et mafieuse, intervint Jérémie. Mais ce ne sont que deux facettes de la même pièce. Je vous expliquerai plus tard. Vous avez trouvé les serveurs ?
—Oui, intervint William. Je suis en train de les relier.
— Mais attends, repris Odd. Les sauvegardes sont au même endroit que les serveurs ?
— Bah, répondit Jérémie, les mafieux ne sont pas meilleurs en sécurité informatique que la presse française… Je pense surtout qu’ils ne voulaient pas laisser à l’extérieur des informations compromettantes.
— Ça y est. On est branché.»
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Ulrich commençait à s’inquiéter. À ce rythme, il allait se faire prendre.
Soudain, il entendit un grondement bien connu.
Un mégatank !
La boule noire arriva en face de la tour, se déploya et tira…sur la tour !
« Jérémie, on fait quoi, Xana attaque la tour !
— C’était plus ou moins prévu. Attends la réaction de la Green Phoenix.»
Les agents avaient été surpris par l’irruption de cette boule noire. Leur surprise avait augmenté lorsqu’elle avait commencé à faire feu sur ce qui était « une infrastructure vitale de l’organisation ». Ils levèrent leurs armes et commencèrent à mitrailler l’adversaire.
Celui-ci eût le temps de tirer une deuxième fois avant de mourir.
Mais la relève arriva aussitôt. Deux autres mégatanks, deux tarentules, et des kankrelats.
La bataille s’engagea.
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Aelita avait presque fini. Mais l’important était dans les détails pour une opération pareille.
C’est à ce moment que quelqu’un se connecta à l’intranet de la Green Fénix en utilisant le code maître. Immédiatement, il procéda à des diagnostics systèmes. Il allait vite comprendre qu’Aelita était entrée dans le système, et ce qu’elle avait fait.
« Jérémie. Ça craint.
— Je vois ça. J’ai fini de mon côté. Où en es-tu avec Odd et William.
— La moitié. On a pas le temps là. Ils ne sont pas idiots. Ils vont couper les accès et roll-back sur les bases de la veille.»
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« Odd, vous en êtes où ?
La voie de Jérémie était passablement tendue.
— Ben, on a un peu cassé, mais à part ça…
— Foutez le feu.
— Pardon ?
— Odd, tu détruit les protections incendies. William, tu trouve un moyen de provoquer un court-circuit et de faire un joli feu de joie.
— D’accord.»
De son oncle, William avait appris quelques trucs en matière de feu. Il savait comment faire en sorte qu’un ordi surchauffe et ’enflamme. Et un serveur… ce n’était jamais qu’un ordi.
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Suze et Cointreau étaient rentré dans l’internat de Kadic. Ils avaient persuadés le proviseur de les laisser enquêter. Della Robia n’était pas dans sa chambre. Ils avaient fouillé les chambres de ses multiples copines. Sans succès. En revanche, ils avaient trouvé la chambre d’un de ses amis, Jérémie, qui avait du joli matériel informatique.
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BIIIP !
Une alarme s’était élevé. Jérémie ouvrit la fenêtre correspondante.
Des hommes en noirs !
Dans sa chambre !
Et lui qui n’avait rien fermé !
Ils allaient trouver toutes ses recherches sur la GF et la GPH !
«Aelita. Je vais être occupé. Il y a des hommes en noir dans ma chambre. Il va falloir faire sans moi pour le moment. Abandonne le fignolage. Xana est là. Barrez-vous une fois que le feu a bien pris.»
Jérémie raccrocha.
Il ouvrit une autre fenêtre et pris le contrôle à distance de son ordinateur. Il allait devoir le vider de tout indice, mais sans que les deux autres ne s’en rendissent compte. La partie allait être serrée. Il réarrangea rapidement quelques programmes et onglet, pour faire croire à un banal exposé.
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Wiliam avait démarré un joli feu de joie. Ensuite lui et Odd était sortis en courant de la pièce. Odd, avec un petit coup de main d’Aelita avait pu désactiver le système anti-incendie à cet étage. Le temps qu’il marche aux autres étages, les dégâts seraient considérables.
En sortant, ils croisèrent deux employés. Attirés par le bruit, ils avaient compris qu’il s’agissait d’un incendie. William les assomma du plat de la lame, leur ôta leurs extincteurs puis traîna les hommes derrière lui, afin de les mettre en sécurité.
« Hey. On s’est peut-être fait griller.
— tant pis, répondit Aelita. De mon côté, j’ai fini. Entre l’incendie et les fuites de données, ils vont avoir à faire. En prime, je les ais gratifié d’un faux ransomware partiel.»
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Frédéric Dandelieu s’était connecté à l’intranet avec le code maître. Tout déconnait de partout. En prime un mystérieux virus attaquait la Ville Fantôme !
Autour de lui, ses équipes paniquaient. Ils perdaient des pans entiers du système à la volée.
« Monsieur. On a tracé la cause. Osiris déconne.
— Quoi !»
Dandelieu faillit s’étrangler. Osiris avait accès à tout leurs systèmes, sans restriction.
« Qu’est-ce qu’il fait ?
— On ne sait pas, mais il a commencé par nous pondre des absurdités dans le système. Il semble qu’il ait envoyé une partie de nos comptes à des ONG et à l’USDT.
— On est foutu. Débranchez-le. Je me fous des pertes de données. Si ça continue, on est tous mort.
— Il a aussi largué des infos confidentielles sur Internet. Instagram et Twitter grouillent de messages à propos… de mondes virtuels. Visiblement, cela a commencé hier avec des posts sur Facebook.
— De mieux en mieux.»
Frédéric tremblait. Là, c’était un échec majeur. Il était mort. Au mieux, il pouvait faire en sorte que ses équipes vivent, en prenant tout le blâme pour lui. Même si tout le monde saurait qu’il n’y était pour rien. Enfin, il leur devait bien ça.
« D’accord. Je vais informer la Chef de la situation. Débranchez Osiris et la Ville Fantôme. Prévenez les community managers. Qu’ils fassent disparaître tout cela d’internet.»
Frédéric Dandelieu, Secrétaire Générale des Deux Green Phénix sortit de son bureau. Il se rendait à l’échaffaud. Il ne lui restait plus qu’une chose à faire en chemin.
Il décrocha son téléphone.
« Suze ? Opération annulée. C’était du flan. Merci pour vos services. Ce fut un plaisir. J’aurais aimé pouvoir boire une fois de plus avec vous. »
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Aelita, Ulrich et Yumi avait pu profiter du chaos pour revenir au skid. Ils avaient sans doute été vus par les agents de la Green Phénix, mais bon, ils semblaient les avoir confondus avec des pions de Xana.
Arrivés au skid, ils avaient attendu la dé-translation de William et Odd.
Ils étaient rentré tous ensemble vers Kadic.
Le Skid était plein de soulagements et de rires. _________________ AMDG
Prophète repenti de Kane, vassal d'Anomander Rake, je m'en viens émigrer et m'installer en Lyoko.
Dernière édition par Silius Italicus le Sam 12 Déc 2020 13:09; édité 5 fois
Posté le: Mar 08 Déc 2020 19:05 Sujet du message: Le Père du Père
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Objet : SCP-S720-FR
Niveau de menace (estimé) : Jaune
Classe (estimé) : Euclide
Description : SCP-S720-FR est un Phénomène Suspect (catégorisation temporaire S) affectant des personnes, identifié à plusieurs reprises entre le ██/██/████ et le ██/██/████ (fin de l'opération Wothalan), principalement sur le territoire français. Les sujets supposément concernés par SCP-S720-FR manifestent une foi marquée vis à vis d'une entité appelée "Le Père du Père", désigné SCP-S720-FR-A. Il s'avère que des circonstances étranges, probablement constitutives d'une anomalie, entourent le processus de conversion des personnes concernées au culte du Père du Père, ce qui distingue celui-ci d'une secte banale et justifie une étude approfondie de ce phénomène par la Fondation.
En effet, pour chaque cas de conversion au culte du Père du Père qui a pu faire l'objet d'une enquête et d'une documentation satisfaisante, il s'est avéré que la personne a été convertie au culte de façon brusque, après avoir été en contact avec un ordinateur en état de fonctionnement pendant une durée de seulement quelques minutes. On observe également que certaines de ces personnes semblent être au moins partiellement conscientes de l'anormalité de cette conversion, car elles cachent délibérément cette nouvelle foi à leurs proches non convertis, de façon à ne pas soulever de suspiçions. Cet aspect du phénomène rend l'ampleur de SCP-S720-FR difficile à estimer, car s'il y a actuellement ███ cas confirmés de conversion au culte du Père du Père, l'étonnante discrétion dont font preuve tant les convertis que la conversion elle-même pourraient dissimuler plusieurs dizaines de ████████ de cas.
De plus, s'ajoute à la description du phénomène de conversion SCP-S720-FR, celle de l'entité nommée Père du Père désigné SCP-6660. Les membres du culte du Père du Père rapportent une description concordante de sa représentation et de certaines de ses propriétés. Il s'agit d'un portrait représentant ██████ ████████ qui semble banal, si ce n'est qu'il semble posséder la même capacité à changer d'apparence de façon synchronisée que SCP-035. Cependant, les différentes observations de ces deux anomalies n'ont pas révélé de lien entre les deux, et ils ne semblent partager que cette seule propriété. SCP-6660 a pu être localisé par la Fondation SCP le ██/██/████ à l'issue de l'opération Wothalan (voir Journal de Récupération de SCP-6660). Un confinement approprié de SCP-6660 semble suffire à prémunir des futures conversions.
La croyance elle-même n'est pas particulièrement développée. Elle ne s'accompagné en effet ni de rituels particuliers ni d'une construction de croyance complexe. Elle se manifeste principalement par une vénération de l'idée de la figure du Père du Père, en tant qu'idée d'un véritable Créateur originel, ainsi qu'une défiance envers une figure communément décrite comme étant un faux dieu créateur ayant trahi le Créateur originel.
Rapport temporaire rédigé par [DONNÉES SUPPRIMÉES], Révision #07 (██/██/████).
Addendum S720-01 : Transcriptions d'entretiens menées par le Dr. Gémini avec certains membres avérés du culte du Père du Père
Dr. Gémini : Êtes-vous prêt ? D-17352 : Oui. Dr. Gémini : Bien. Pouvez-vous me parler du Père du Père, s'il vous plait ? D-17352 : Le Véritable Père ! Celui de notre connaissance et de nos pouvoirs ! Dr. Gémini : Vous voulez parler d'██████ ████████ ? D-17352 : Lui-même ! Dr. Gémini : En quoi est-il le Créateur originel ? D-17352 : C'est lui qui a créé la Théorie. C'est grâce à lui que nous avons tout ce que nous avons aujourd'hui. Et que le monde est ce qu'il est aujourd'hui. Dr. Gémini : Et donc... D-17352 : Son Idée a été corrompue. Nous devons y remédier. Telle est notre destinée. Dr. Gémini : Corrompue ? Par quoi ? D-17352 : Par qui ! Le Successeur, celui qui était promis à de plus belles Créations encore, le déchu porteur d'Espoirs ! Dr. Gémini : Qui est-il ? D-17352 : Il s'en est allé sur son chariot de Feu, Feu qu'il avait pillé dans l'Idée, et s'est dissimulé dans sa Forteresse invisible. Dr. Gémini : Qui donc ? D-17352 : Nous nous devons d'attendre son retour, afin de purifier l'Idée en détruisant la Traîtrise.
Fin de l'enregistrement.
D-18211 : Qui êtes-vous ? Où m'avez-vous emmené ? Dr. Gémini : Du calme, s'il vous plaît. Nous voulons seulement discuter avec vous. D-18211 : Êtes-vous ses sbires ? Les pourvoyeurs du feu factice ? Dr. Gémini : Non, du tout. Nous souhaitons seulement nous entretenir avec vous. D-18211 : A quel sujet ? Dr. Gémini : Du feu factice. Qui craignez vous ? D-18211 : Il n'est pas question de crainte ! Nous devons pourfendre Jupiter ! Dr. Gémini : Jupiter ? Vraiment ? D-18211 : Ses noms sont multiples, tout comme ses jours et ses tours, mais son destin est unique ! Scellé ! Dr. Gémini : Son destin ? D-18211 : Il devra périr ! Expier sa faute au près du Père du Père, son Créateur, le véritable ! Dr. Gémini : Vous voulez parlez d'██████ ████████ ? D-18211 : Ne prononcez pas son nom, ignares ! Avez-vous seulement une simple compréhension de l'immensité de la connaissance dont il nous a fait cadeau ? Dr. Gémini : Toutes mes excuses. D-18211 : Je ne le comprends pas non plus. Mais je sais que le Traître en avait compris plus que les rudiments. Et qu'il les a dévoyés ! Dr. Gémini : Comment cela ? D-18211 : Il s'en est allé, rêver à Dieu, créer ses propres mondes, et a trahi le vœu et l'idée du Père du Père ! Dr. Gémini : Et maintenant, qu'attendez-vous pour exercer cette sainte mission ? D-18211 : J'attends que Jupiter se relève de sa mer, et revienne dans notre monde qui a toujours été le sien. Il se cache encore, mais quand il ne le pourra plus, nous serons là ! Nous le punirons comme il se doit ! Pour la gloire et la suprématie de notre véritable Créateur ! Le seul, l'unique ! Oui ! D-18211*se met debout, criant de plus en plus fort des propos de plus en plus confus. Le garde de sécurité est contraint de faire usage de force pour le maîtriser.*
Fin de l'enregistrement.
D-18279 : Odin a tout volé. Il a volé le Feu de Bor, volé le destin de Frigg, volé l'avenir de sa fille et volé sa propre existence au monde qui comptait sur lui. Dr. Gémini : Parlez-vous de Dieu ? D-18279 : Ainsi parle-t-on de lui. Mais il n'est qu'un Dieu menteur et lâche. Seule l'Idée doit être vénérée. Lui doit être tué.
Fin de l'enregistrement.
Addendum S720-02 : [DONNÉES SUPPRIMÉES]
Addendum S720-03 : [DONNÉES SUPPRIMÉES]
Addendum S720-04 : Rapport de l'expérience Aion Simple
L'expérience Aion Simple consiste à identifier les conditions limites de fonctionnement de SCP-S720-FR. Elle a été menée sur des membres du personnel de classe D pendant 82 jours, et aura concerné au total ███ personnes.
Le protocole consistait en une veille permanente par groupes alternés, répartis sur plusieurs sites différents, devant des représentations visuelles d'██████ ████████ sélectionnées arbitrairement dans des sites internet ou des livres quelconques. Dans le même temps, ces représentations visuelles faisaient l'objet d'une observation par une machine d'analyse à compression d'information numérique partielle irréversible.
L'expérience a été menée de façon indiscontinue pendant 82 jours. Il a été déterminé que pendant cette période, SCP-S720-FR a été actif à 8 reprises, à chaque fois pendant des périodes variables comprises entre 15 et 260 minutes. Il semble que toute personne observant une représentation visuelle d'██████ ████████ pendant ces périodes d'activités subisse presque instantanément un lavage de cerveau inculquant le culte du Père du Père dans son esprit.
De plus, il a été constaté que l'apparence d'██████ ████████ change sur l'ensemble de ses représentations pendant cette période d'activité, changeant légèrement d'expression, passant d'un visage neutre à un visage souriant, voire moqueur avec la langue exhibée à l'extérieur de la bouche. Lorsque le phénomène prend fin, l'image cesse d'être modifiée, mais peut rester dans un état différent d'avant le début du phénomène. Enfin, il a également été observé l'apparition d'un symbole inconnu dans les pupilles d'██████ ████████ pendant l'activité de SCP-S720-FR. Ce symbole n'apparaît pas normalement, mais clignote à une fréquence élevé, apparaissant donc de façon subliminale aux personnes l'observant. Il s'agit d'un point entouré de deux cercles concentriques, dont l'épaisseur du trait est égal au rayon du point intérieur, avec quatre traits rattachés au cercle extérieur, répartis asymétriquement : deux de grande taille en haut et en bas, et deux de taille plus petite sur les côtés du trait du bas, à des angles d'environ 30°.
Addendum S720-05 : Rapport de l'expérience Aion Aveugle
L'expérience Aion Aveugle a pour objectif de préciser les conditions de fonctionnement de SCP-S720-FR. Il s'agit de faire varier les conditions de l'expérience S720-04 Aion Simple.
Il a pu être observé que masquer les yeux d'██████ ████████ sur une image suffit à empêcher SCP-S720-FR de fonctionner pleinement. Toutefois, l'image change tout de même d'apparence de façon synchronisée avec les autres, et l'observateur de l'image peut le constater et en témoigner clairement.
À l'opposé, permettre à quelqu'un de ne voir que les yeux d'██████ ████████ suffit pour qu'il subisse le lavage de cerveau et se mette à vénérer le Père du Père.
Enfin, il a été établi qu'un enregistrement vidéo ou une reproduction artificielle de l'image ou du symbole seul, bien qu'ayant la capacité de provoquer une gêne, des maux de tête ou un malaise, ne suffit pas à reproduire les effets de SCP-S720-FR.
Addendum S720-06 : Note de service
Le Dr. Meyer note qu'étant donné les capacités techniques à disposition de la Fondation comparées aux capacités techniques de l'oeil et du cerveau humain, il est peu probable que l'impossibilité de reproduire les effets de SCP-S720-FR soit dû à une limitation technique, et émet en conséquence l'hypothèse que l'animation du symbole ne porte pas le contenu même de l'hypnose, mais sert à établir un lien entre le sujet et une entité inconnue qui serait réellement responsable de l'hypnose.
Addendum S720-07 : Note de service
Le Dr. Ikonov ajoute à l'hypothèse du Dr. Meyer que SCP-6660 n'est probablement pas responsable du lavage de cerveau, mais est manipulé par une autre entité inconnue qui se sert de la capacité de SCP-6660 à répliquer son apparence sur toutes ses représentations pour accroître la portée de son influence.
Le Dr. Ikonov recommande en conséquence de tout mettre en œuvre pour localiser le spécimen originel de SCP-6660 et de le placer dans un lieu sécurisé hors de la zone d'influence de cette entité, quelle qu'elle soit.
Addendum S720-08 : Rapport de l'expérience Teletamera
L'expérience Teletamera a été autorisée le ██/██/20██ par O5-█ suite aux recommandations du Dr. Ikonov. Elle a été menée durant ██ jours sur ███ membres du personnel de classe D. L'objet de l'expérience était de recueillir un maximum d'informations au sujet de SCP-S720-FR, et la localisation du spécimen originel de SCP-6660.
Le protocole de l'expérience consistait à exposer un sujet à SCP-137-FR après une exposition préalable à SCP-S720-FR, puis à l'interroger. Pour rappel, SCP-137-FR possède la propriété d'emporter son utilisateur dans un univers alternatif au nôtre basé sur la prémisse que seul l'objet de sa foi propre existait en tant que religion dans ce monde. La proposition d'employer SCP-137-FR à cette fin a été retenue notamment car elle présentait le bénéfice de retirer l'endoctrinement au culte du Père du Père de l'esprit des personnels de classe D de la Fondation ayant été exposés à SCP-S720-FR durant les expériences S720-06 Aion Simple et S720-05 Aion Aveugle.
L'interrogatoire des sujets a rapporté des faits troublants : le monde alternatif basé sur une suprématie sans concurrence du culte du Père du Père semble présenter d'inquiétantes propriétés, comme la présence de nombreuses anomalies - principalement spectrales, mais pas seulement - et une dictature centralisée menée par un groupe d'individus siégeant dans une tour de verre et de fer érigée dans une cité d'acier, dans une ville de pourtant moindre importance dans la banlieue de █████, en France. Un individu en particulier, ███████ ███████, a été identifié comme étant un membre important et fondateur du régime dictatorial en place dans ce monde alternatif.
Ces informations ont soulevé une grande inquiétude parmi le personnel de la Fondation : en effet, si le fonctionnement de SCP-137-FR est de nature à pousser à l'extrême dystopique la vision qu'ont ses utilisateurs d'un monde basé exclusivement sur l'objet de leur foi, ces visions ont toujours semblées plausibles et fondamentalement possibles. Dans le cas présent, SCP-137-FR semble prédire une situation beaucoup plus extrême et anormale. De surcroît, le mode de fonctionnement de SCP-S720-FR peut laisse croire qu'il agit dans le cadre d'une campagne de conversion discrète, brutale et à large échelle.
Addendum S720-09 : [DONNÉES SUPPRIMÉES]
Addendum S720-10 : [DONNÉES SUPPRIMÉES]
Addendum S720-11 : Note de service
Suite à la capture et à la sécurisation de SCP-6660, SCP-S720-FR n'a plus été observé. Cependant, son origine n'a toujours pas pu être déterminé, et demeure inconnue à ce jour.
Objet : SCP-6660
Niveau de menace : Jaune
Classe : Euclide
Procédures de Confinement Spéciales : SCP-6660 doit être conservé dans un conteneur en plastique hermétiquement scellé, lui-même placé dans une pièce blindée. La totalité des parois intérieures de la salle, incluant les murs, le plafond, le sol et la porte d'accès doivent être tapissés de caoutchouc. L'extérieur de la salle doit être doublé d'une armature métallique tressée de sorte à former une cage de Faraday englobant la salle et son contenu. Celle cage doit être relié à la terre par au minimum 8 piquets de terre enterrés dans une terre meuble et correctement entretenue à au moins 2,12 mètres de profondeur chacun, et espacés mutuellement deux à deux d'un minimum de 4 mètres. L'ensemble des piquets doit être relié électriquement à l'armature métallique en permanence par des câbles en cuivre de section de 5 millimètres au minimum. La salle est complétée à l'extérieur par un double sas adapté, dont l'intérieur est également intégralement tapissé de caoutchouc ainsi que d'une poignée métallique pour la mise à terre électrique des personnes autorisées à entrer dans la pièce.
Aucune mesure de sécurité particulière n'est requise concernant le personnel lui-même. Cependant, compte tenu des capacités identifiées de SCP-6660 et de la nature de l'incident SCP-S720-FR, l'accès à la pièce n'est autorisé que pour les membres du personnel de la Fondation dont le MARS n'est pas inférieur ou égal à 3 par mesure de sécurité. Toute personne accédant à la pièce devra suivre une procédure de mise à la terre afin d'assurer un potentiel électrique nul avant de pénétrer dans la pièce, puis revêtir une combinaison anti-électrostatique avant d'entrer dans la pièce.
Il est possible d'introduire divers objets ou instruments dans la pièce, dans le cadre d'expériences menées sur SCP-6660, à condition que ces objets ne comportent aucun système électrique ou électronique, aussi simple ou petit soit-il. Si l'objet comporte des parties métalliques ou d'une quelconque nature ayant des propriétés conductrices d'électricité, il devra être soumis à une procédure de mise à terre équivalente à celle imposée au personnel. Bien que la génération d'énergie électrique à l'intérieur de la pièce ne présente à priori aucun danger, il est tout de même interdit d'introduire toute machine ou matériau susceptible d'en produire, comme des dynamos, des composés sujets à des réactions d'hydrolyse ou des textiles.
Description : SCP-6660 est un poster en plastique de forme carrée arborant un portrait du physicien ██████ ████████, dont l'apparence est très proche de celle qu'il présente sur la célèbre photographie prise par ██████ █████ le ██/██/19██, où il tirait la langue. Il possède la propriété d'être animé et de présenter les signes d'une semi-conscience et une personnalité, son expression pouvant changer spontanément. De plus, toute autre représentation basée sur cette même photographie semble changer d'expression en même temps.
SCP-6660 ne semble pas présenter de danger particulier. Cependant, l'étude menée sur le Phénomène Suspect SCP−S720-FR a démontré que SCP-6660 pouvait servir de relais pour un phénomène d'hypnose particulièrement efficace. Par mesure de sécurité, il a donc été décidé de placer SCP-6660 autant que possible hors de portée de tout phénomène de ce genre.
Journal de récupération : Opération Wothalan
L'existence de SCP-6660 a été découverte lors de l'enquête menée sur le Phénomène Suspect SCP-S720-FR. À la suite des différents entretiens avec les victimes de SCP-S720-FR et des expériences menées pour clarifier son fonctionnement, O5-█ a autorisé l'exécution de l'expérience Teletamera (voir rapport d'expérience S720-08 Teletamera).
Cette expérience a permis d'identifier la ville de ██████, au sud-ouest de █████, en France, comme étant le probable épicentre du phénomène SCP-S720-FR, ainsi qu'un individu nommé ███████ ███████. Après enquête de la Fondation, il a été découvert que cet individu était un élève interne dans l'établissement scolaire █████. L'unité d'intervention spéciale Enton-4 a été dépêchée sur place le ██/██/████ pour mener une première reconnaissance.
Enton-4 a rapidement pu localiser l'objet présumé SCP-6660 dans la chambre personnelle de ███████ ███████, dans l'internat de █████. Celui-ci était fixé à un mur de la chambre grâce à une douzaine de fixations en pâte à fixer standard, au-dessus du lit, sans cadre ni aucune forme de mise en valeur ou de présentation particulière. Le reste de la chambre semblait tout aussi banal, équipé d'un lit en bois pour une personne, une armoire en bois, grande table en bois sur lequel était installé un équipement informatique conventionnel dont les capacités étaient supérieures à la moyenne attendue pour un lycéen sans être hors-normes. L'occupant de la chambre lui-même n'a pas présenté de signe indiquant qu'il était conscient de l'anormalité de SCP-6660, ni même qu'il ait été sous l'influence de SCP-S720-FR.
Enton-4 a mis en place une surveillance discrète afin de confirmer l'anormalité de l'objet présumé SCP-6660, et de tenter d'obtenir des informations concernant la possible entité inconnue responsable de SCP-S720-FR. La surveillance a duré deux jours sans événement notable. Au troisième jour, le ██/██/████, alors que l'occupant ███████ ███████ venait de quitter sa chambre, Enton-4 a pu observer l'apparition d'un phénomène anormal de type probablement électrique, émaner de l'installation électrique entourant le poste informatique de ███████ ███████ présent dans la chambre, ainsi que l'apparition sur les moniteurs présents dans la chambre du même symbole qu'arborait les images d'██████ ████████ pendant les périodes d'activité de SCP-S720-FR. Cependant, les protocoles d'auto-diagnostics mutuels effectués par Enton-4, ainsi que les protocoles de décontamination mentale post-mission n'ont révélé aucune influence particulière.
Enton-4 a poursuivi son étude de l'anomalie alors que celle-ci s'est approché de l'objet présumé SCP-6660. Il a été constaté que l'apparence d'██████ ███████ sur l'objet présumé SCP-6660 a brièvement changé vers une expression négative, avant que l'anomalie ne commence à interagir électriquement avec l'objet présumé SCP-6660. Celui-ci a repris une apparence joyeuse. Enton-4 a pris la précaution de ne pas observer les yeux d'██████ ████████ à ce moment, mais il a été confirmé que SCP-S720-FR a commencé à être actif à cet instant précis.
L'interaction a duré pendant une période de 37 minutes et 29 secondes. Suite à quoi, l'anomalie disparut soudainement, et l'expression d'██████ ████████ se figea. L'occupant de la chambre ███████ ███████ revint dans sa chambre environ une heure plus tard, et ne présentait toujours aucun signe de conscience d'une quelconque anormalité.
La Fondation ordonna alors, compte tenu des observations faites, d'effectuer la saisie de SCP-6660. Compte tenu de la situation, Enton-4 opta pour une intervention discrète en journée en faisant usage de ses capacités furtives, pendant les heures de cours, de sorte à profiter de l'absence de ███████ ███████. Enton-4 pénétra dans la chambre, et tenta de s'emparer de SCP-6660. Immédiatement, l'anomalie de type électrique ainsi que le symbole se manifestèrent à nouveau. L'anomalie se jeta sur Enton-4, qui n'eut d'autre choix que de se défendre en faisant usage de ses armes expérimentales de type électriques. La riposte sembla particulièrement efficace, puisque l'anomalie disparut en un seul coup. Enton-4 acheva de décrocher SCP-6660 et l'enferma dans un conteneur cylindrique en carton avant de se replier.
Enton-4 fit néanmoins l'objet d'une nouvelle altercation avec des anomalies sur son itinéraire de sortie, dans le parc boisé à l'intérieur du domaine de l'établissement scolaire █████. Il s'agissait cette fois d'une créature physique volante, munie de trois ailes de couleur rouge et d'un corps recouvert d'une peau beige. La créature arborait également le même symbole à cercles concentriques et branches qui avait été observé précédemment, mais celui-ci semblait ici décoratif, sans propriété particulière.
La créature révéla son caractère anormal en se montrant capable de lancer un nombre à priori illimité de sphères explosives de faible puissance, à intervalles réguliers. La créature se servit de cette capacité de type lance-grenade pour tenter de neutraliser Enton-4, qui, en raison de la nature volante de la créature, dut faire usage d'armes conventionnelles. Après avoir subi quelques dégâts, la créature tomba au sol, et déploya trois petites pattes pour marcher et poursuivre son attaque, dévoilant cette fois-ci un canon laser capable de tirer à répétition.
Enton-4 fut alors surpris par l'occupant de la chambre, ███████ ███████, ainsi que plusieurs de ses camarades, qui approchaient de la zone de combat. Pour éviter d'être détectés, Enton-4 activa sa capacité furtive, et observa les adolescents. Ceux-ci approchèrent suffisamment pour voir la créature, s'exclamèrent en la désignant sous le nom de "Insecte", et prirent la fuite dans une autre direction. Enton-4 profita de cette diversion pour mettre en place le protocole de récupération Vita, ce qui permis une capture de la créature. Cependant, celle-ci périt après quelques minutes, et ne laissa derrière elle qu'une carcasse inexploitable.
Addendum 6660-01 : Note de service
Suite aux événements observés lors de l'opération Wothalan, les décisions suivantes furent prises :
L'objet saisi ne sera pas remplacé par une imitation, car il est impossible de déterminer si l'objet saisi présumé SCP-6660 est la véritable instance originelle de SCP-6660, ni si l'entité responsable de SCP-S720-FR a nécessairement besoin de SCP-6660 ou si n'importe quelle représentation visuelle d'██████ ████████ peut lui suffire.
Le protocole d'amnésie contrôlé post-crise civil 120-Kiwi sera activé sur ███████ ███████ ainsi que ses camarades présents lors de l'altercation, notamment pour leur faire oublier l'existence de SCP-6660.
Une fiche de renseignement temporaire SCP-S749 sera établie pour désigner l'entité responsable de SCP-S720-FR et identifié par le symbole sus-mentionné.
Une surveillance passive au long terme devrait être menée sur la personne de ███████ ███████ et son entourage, dans l'espoir de découvrir des éléments concrets sur SCP-S749.
Pierre après pierre, jour après jour
De siècle en siècle avec amour
Il a vu s’élever les tours
Qu’il avait bâties de ses mains
Les poètes et les troubadours
Ont chanté des chansons d’amour
Qui promettaient au genre humain
De meilleurs lendemains
William s’avança au centre de la plateforme. Devant lui, le gouffre plongé dans les ténèbres l’écartait de la foule d’information coulant à la surface du Cinquième Territoire. Il semblait être le seul à pouvoir parler, le seul à pouvoir se baigner dans la lumière bleutée de la petite scène. Doucement, il ferma les yeux, détendit ses épaules et inspira par le ventre. Le centre de son corps se gorgea virtuellement d’air et de courage, puis il s’offrit la vue du monde. Dans ses veines bouillonnait les notes du chant de XANA, de son pouvoir et de sa ruse. Il le sentait l’habiter, le guider, lui rendre la parole, alors qu’il créait devant son serviteur les soldats de sa nouvelle armée. De nouveaux monstres, pour combattre et conquérir.
Il est venu le temps des cathédrales
Le monde est entré
Dans un nouveau millénaire
L’homme a voulu monter vers les étoiles
Écrire son histoire
Dans le verre ou dans pierre
Le traître à ses camarades connaissait le plan. Son maître le lui avait murmuré dans son sommeil, et lui avait ordonné de l’annoncer à son réveil. Comme à chaque fois qu’il ouvrait les yeux dans ce monde, il dût faire taire ses souvenirs d’antan, ceux de son humanité. William grinça dans un rire. Douce ironie que l’attaque prévue… Aussi délectable que sa complexité. Elle avait, de fait, toutes ses chances de réussite. Oh, quand bien même, ce ne serait pas le premier coup d’archet raté de XANA – tant de requiems que les Lyoko-Guerriers avaient empêché l’humanité d’écouter !-, mais la confiance grandissante de William envers le prince de ce monde le poussait à croire en sa victoire à chaque fois qu’il montait une nouvelle attaque. Pour celle-ci, il n’aurait que peu de choses à faire. Juste s’assurer que les nouveaux soldats détruisent les guerriers. Une fois ces gêneurs réduits en cendres, il prendrait le devant de la scène et diffuserait ce chant que lui seul connaissait, dans ses rêves.
Le chant de la victoire, quand viendra le Temps de XANA.
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Empty your mind of any theories
'Til all the facts are in
Start at the end of all your queries
To learn where things begin
You analyze by working backwards
Effects reveal their cause
For even perfect crimes have perfect flaws
Jérémie pianotait frénétiquement, son cerveau et ses doigts accordés dans un rythme soutenu. Il sentait la fatigue poindre en lui, conséquence naturelle d’une nuit sans sommeil, mais il refusait de céder. Après tout, voilà des années qu’il s’était consacré à défier jusqu’à l’imagination de ses contemporains en redonnant la vie à Aelita, égérie virtuelle des rêves fous d’un savant disparu. Apprendre finalement que depuis le début, elle n’était pas artificielle mais seulement privée de son humanité, ne gardant pour elle que la perspective d’une résurrection sans mémoire, n’avait que peu d’importance pour le jeune génie. Après tout, il travaillait chaque jour à lui donner de nouveaux souvenirs, avec l’aide de ses amis. L’exploit qu’il avait accompli, personne au monde n’aurait pu le faire comme il l’avait fait. Il pouvait bien sacrifier encore sa place parmi les ordinaires en refusant de céder aux sirènes d’une bonne nuit de sommeil. Perdu pour perdu…
Si seulement ça pouvait lui servir à quelque chose ! Des heures qu’il parcourait les notes de Franz Hopper, à la recherche d’une information, même la plus infime, sur le Retour vers le Passé, mais rien ! L’idée le poursuivait depuis que son ami Odd, dans la plus stricte naïveté qui le caractérisait quand il s’agissait d’informatique, s’était demandé si le renforcement que XANA tirait de chaque retour dans le temps n’était pas quelque chose d’annulable. Après tout, il ne s’agissait pas d’une règle immuable de l’univers, si un simple mortel avait pu la mettre en place de lui-même, un autre mortel pourrait la défaire, non ? Sauf que peut-être pas, finalement. La candeur d’Odd ne dissimulait pas toujours du génie, soit, mais cette fois, c’était peut-être Jérémie qui aurait dû y réfléchir à deux fois. Franz Hopper avait certes programmé le Retour vers le Passé, mais ça ne l’écartait pas d’éventuelles contraintes métaphysiques…
Voyons… Le Supercalculateur gardait en lui des versions sauvegardées de la Terre. Ce simple fait relevait déjà de l’exploit, mais il y avait à craindre qu’il n’ait été réalisé par accident. Même conceptuellement, il posait problème. Comment quelque chose d’aussi intangible que le temps qui passe pouvait être sauvegardé ? Il fallait faire d’un concept un objet… Non, Jérémie ne réfléchissait pas à l’endroit. L’important, c’était la mémoire. Comme le Supercalculateur manipule les corps, il retravaille également l’espace et les souvenirs… Suffisait-il de téléporter un humain à l’endroit où il se trouvait deux heures auparavant, et d’effacer un pan de sa mémoire, pour singer un retour vers le passé ? La mémoire… Ce devait être la bonne piste. Il fallait qu’il cherche dans cette direction. Jérémie chantonna avec entrain. Il n’avait pas encore fait le tour de l’archive, la clé se trouvait peut-être au fin fond des notes de Hopper… Le jeu ne faisait que commencer.
The game begins the same way
I look for patterns on a screen
Connecting bits of data
Until I find out what they mean
The game begins
● ● ●
Et soudain, alors que la nuit s’ensanglantait pour que naisse le jour, XANA jaillit sur Terre. Allumant la scène, paradant sous ses Arches électriques, il glissa dans les rues, dans les foyers, dans les corps. Jouant de son élément, il s’immisça, tel un cauchemar de légende, dans les cerveaux encore endormis. Il joua des terminaisons nerveuses, ôtant les mémoires des vies, privant l’humanité de son Histoire.
Dans quelques instants, le rideau se lèverait. Dans quelques instants, les Hommes s’éveilleraient, inconscients de ce qu’ils étaient la veille.
● ● ●
Trop de bruit
Pour trop de nuits qui pensent
Quand valse l’absence
Dans ce bal
Ton silence est un cri qui fait mal
Je devine
Ton visage sur les ombres
Les souvenirs sombres
M’assassinent
Ulrich sortit de sa torpeur, partagé entre l’impatience d’en finir avec ses draps poisseux et l’espoir qu’il lui restait encore quelques instants seul. Odd s’était levé plus tôt pour promener son chien avant la ronde de Jim et passer un coup de fil à Samantha, mais il ne lui laisserait plus beaucoup de temps pour ruminer son sommeil troublé, trop léger pour le laisser se réparer dans les ténèbres. Les insomnies ne lui étaient pas étrangères, mais quitte à ce que son esprit soit sans repos, il aimait autant qu’il n’en profite pas pour refaire la rétrospective de ses récents échecs, écouteurs sur les oreilles et tristes paroles murmurées du bout des lèvres. Au moins, seul, il pouvait y mettre de la voix, et rejouer le drame de son adolescence. Celui qui avait tenu le haut de l’affiche cette nuit s’habillait de noir et n’avait pour seule parole tendre que ses « copains et puis c’est tout ».
L’humeur de Yumi avait été particulièrement massacrante la veille, quand une énième stupidité du clone de William avait manqué de les dénoncer. Oh, le groupe s’en était sorti en parvenant à convaincre le directeur que le double était en plein surmenage. Mais la jeune femme supportait de moins en moins de mentir à tout le monde. A chaque fois qu’elle devait gérer le clone, elle se rappelait que le vrai était leur ennemi, et qu’il pouvait tout aussi bien ne jamais revenir parmi les siens. Pourquoi devait-elle être responsable de la bonne image d’un type qu’elle exécrait ? Enfin, c’était ce qu’Ulrich avait compris, grâce à l’aide d’Aelita. Résultat, leur soirée Pencak-Silat avait tourné court. Quand le jeune homme avait proposé son épaule et son oreille à son amie, elle s’était contenté d’un froid « à demain », et puis c’est tout. Quoi, même le réconfort, il ne pouvait l’apporter à Yumi sans qu’elle ne craigne que ça dévoile quelque vérité sur leurs sentiments ? Qu’est-ce qu’il était pour elle, à la fin ? Et pourquoi le simple fait de se poser cette question le renvoyait à son ignorance sur ses propres sentiments, voire sur ses capacités actuelles à les assumer ? Quand relire leurs derniers échanges SMS ne lui avait apporté aucune réponse, il l’avait posé sur son ventre et s’était allé à de sombres rêveries. Si seulement il pouvait oublier tous ces instants, repartir de zéro avec de meilleures cartes, alléger son esprit pour qu’il s’exprime clairement… Il n’avait jamais été bon à rien quand sa tête était encombrée. Oublier… Juste ce qu’il fallait. Mais saurait-il toujours quoi faire, s’il perdait la raison ?
Trop de bruit
Pour mon esprit qui tangue
Sur mes rêves exsangues
Drôle danse
La mémoire est un puits de souffrance
Au-dessus
De ton corps défendu
Mon amour pendu
Se balance
Non. Ça suffit, à la fin. Il ne pouvait pas perdre son temps et son sommeil sur une incertitude. Ça durait depuis leur première minute ! Autant il ne parvenait à se déchiffrer lui-même, autant il paraissait évident qu’il devenait un parfait crétin ! Mû par une soudaine impulsion électrique le long de son corps, il repoussa les draps d’un geste rageur et posa fermement ses pieds à terre. Cette fois, il allait parler à Yumi sérieusement ! Qu’elle ne désire pas qu’ils soient honnêtes envers leurs sentiments parce que XANA, la guerre, Lyoko, la fin du monde, tout le reste, soit ; mais elle n’était même pas capable d’accepter son amitié ! Il ne pouvait pas rester pendu entre les jours de soleil et les jours de pluie ! Plus déterminé qu’il ne l’avait jamais été sur la question, il se vêtit rapidement et ébouriffa sa mèche rebelle. Il s’arrêta devant son miroir, durcit son regard et son cœur, et chercha une réplique ou deux à répéter. Il se sentait prêt, il se sentait… Électrique…
…
Que… Que faisait-il ici, déjà ? Il… Devait répéter quelque chose, oui, mais… Que… Que…
Il leva sa main vers son reflet. Ses doigts tremblaient. Une étrange vibration réchauffait sa tête et descendait le long de son corps. Ce n’était pas… Normal, que… Où était Odd, Jéré… Les autres, comment ils s’appelaient déjà… Et pourquoi il sentait son cœur si lourd ? Pourquoi était-il appesanti d’une émotion de remords, de colère ? À qui était-ce destiné ?
Je hais les roses
Autant que mes sanglots
La vie s'impose
Je crois à nouveau
À mes rêves défunts
Je veux enfin
Oser la fièvre
Du parfum
Des roses
La porte s’ouvrait derrière Ulrich. Une main douce se posa sur son épaule, la secoua. Depuis quand était-il tombé ? Sa main… Elle tremblait toujours… Depuis quand ses yeux étaient-ils rouges ?
Il y avait toujours ce sentiment dans son cœur. Cette torpeur aux parfums familiers… Mais il ne se souvenait plus pourquoi. Sa mémoire était une page blanche, au-dessus de laquelle il secouait un stylo presque vide. De l’encre tombait, voulait inscrire quelque chose, immortaliser, mais… Mais quoi ? Et en même temps… Son cœur si lourd, mais incapable de lui dire pourquoi… Était-ce une libération ? Pourquoi s’inquiéter pour des fantômes ? Est-ce qu’on venait de lui ôter un tourment ? Si oui, pourquoi chercher à s’en souvenir ?
● ● ●
Petit poltron
Veut devenir grand
Mais il reste assis
Petit bouffon
Insulte le sultan
Mais il est puni
Jérémie fixait l’écran provocateur, une rage sourde embrasant ses yeux. Cette sombre engeance du pire des meilleurs génies, ce maudit XANA, il osait s’en prendre aux souvenirs des gens ! Alors même que Jérémie cherchait dans le Retour Vers le Passé un moyen d’affaiblir son ennemi ? Il le savait. Il l’avait fait exprès. Il se foutait littéralement de sa gueule. Pour un peu, il l’entendrait chantonner de toute sa satisfaction.
Par la fenêtre, Jérémie observait le bal de ses contemporains, errant dans la cour de Kadic à la recherche de leur mémoire. Des zombies, des fantômes. A ce rythme, ils oublieraient jusqu’à leurs noms avant la fin de l’heure. Mais pourquoi possédait-il toujours sa mémoire, lui ? Il n’avait eu à subir que quelques trous, mais Lyoko et ses amis étaient imprimés au fer rouge dans son esprit. Peut-être que les Lyoko-Guerriers étaient immunisés, comme avec le Retour Vers le Passé ? Fallait-il l’espérer ? Cela leur donnait une chance de sauver le monde, mais ça ne rendait pas plus clair le plan de l’ennemi…
Non, ne te laisse pas distraire. L’œil de XANA brillait certes d’un rouge atroce, mais il n’est qu’un épouvantail. C’était une attaque, rien de plus, rien que le Code Lyoko ne pourrait effacer. Il fallait juste que Jérémie mette la main sur ses camarades, et ils feraient comme d’habitude.
La vie est injuste mais ça dépend pour qui
La vie est injuste
Surtout pour les petits
La vie est injuste
Et c’est pour ça qu’on rit
Chez les grands, les puissants,
Les pourris rient
Un Odd hilare apparut dans le couloir, tenant dans ses bras son chien et suivi par une poignée de filles attendries par l’animal. Tout sourire, il s’arrêtait pour les laisser gratouiller l’oreille de Kiwi, et en profitait pour glisser quelques bons mots. Que… Mais n’avait-il pas compris ? Pourquoi ne venait-il pas vers Jérémie, pour réclamer un ordre de mission ? Pourquoi se comportait-il comme si… Oh non.
Jérémie se précipita vers le couloir et interpella Odd. Ce dernier lui répondit avec un air de pure incrédulité. Les faits ne tardèrent pas à s’imposer dans l’esprit du génie. Son ami aussi avait été touché par l’amnésie collective. Il ne savait plus qui était Jérémie, donc il ne devait plus se souvenir de Lyoko… Non… XANA essayait de le priver de ses soldats ? Jérémie était-il le seul à avoir conservé ses souvenirs ? Et si l’amnésie s’était faite par un moyen dont Jérémie ne disposait pas ? Jérémie devait contacter les autres. Oh, faites que leurs réflexes de Lyoko-Guerriers ait pu les épargner, faites que leurs instincts soient des privilèges heureux, pour une fois…
Aimons-nous les uns les autres
Comédie, tragédie
Tous les enfants sont les nôtres
Comédie, tragédie
Peu importe les coups,
Tu tendras l'autre joue
Comédie, tragédie
Heureux les miséreux
Élus au royaume des cieux
Oui, il devait s’assurer qu’il lui restait au moins un ami… Jérémie s’empara de son téléphone, avant de constater qu’il était parfaitement déchargé. Il s’apprêta à retourner sa chambre à la recherche de son chargeur, mais soudain se ravisa. Son esprit allait trop vite, il ne captait que des bribes d’éclair de génie, et dans le chaos d’idées il n’avait pas pensé tout de suite qu’un contact de l’oreille à l’appareil pouvait atteindre le cerveau. Ça s’était déjà vu, après tout. Peut-être que tous les touchés étaient à proximité de leur téléphone, chargés et prêts à tirer au nom de XANA… Il devrait se passer de tout ce qui comportait un risque. Après tout, les chambres étaient à portée… Il se précipita dans le couloir de l’internat. Aelita, Ulrich… Non, dans l’autre ordre. Son ami n’était qu’à deux portes, ça irait plus vite… Si seulement tous ses camarades ne le fixaient pas avec leurs yeux hagards, à se demander qui il était… Soudain, l’un d’eux s’agrippa à lui, lui demanda ce qu’il faisait là. D’autres s’interpelaient, mais à défaut de réponses finissaient par paniquer. Non, Jérémie n’avait pas le temps ! S’il voulait tous les sauver, il devait les abandonner… Il devait sauver le monde, et il n’y arriverait pas s’il essayait de leur expliquer, de leur rappeler…
Soudain, une voix fluette, fébrile, derrière lui… Il se retourna, et reconnut la figure rose pâle d’Aelita. Ses yeux noisette étaient noyés de larmes. Elle fixait les pauvres perdus autour d’elle, complètement désolée. Jérémie s’approcha lentement d’elle. Elle se planta dans ses yeux. Et comment pouvait-on les laisser comme ça, et elle avait dû en sauver plusieurs déjà, et ils sont tous dangereux pour eux-mêmes, et ce ne serait pas sauver le monde que d’en abandonner à leur sort, et il allait forcément y avoir des morts… Il y en avait peut-être déjà… Elle ne le confirma pas. Jérémie eut soudain la gorge sèche. La main de son camarade était toujours accrochée à son pull, mais il ne pouvait la repousser, pas quand Aelita se sentait si coupable de tous les laisser…
La porte de la chambre de Jérémie était toujours ouverte. Il voyait encore le symbole de XANA, rouge et abominable sur l’écran. Est-ce que… Est-ce qu’il essayait de briser l’esprit de Jérémie ? Lui imposer un dilemme moral, celui de trop, celui qui lui ferait perdre Aelita ? Est-ce que l’amitié des Lyoko-Guerriers était le vrai souvenir qu’il voulait annihiler ? La colère rejaillit en Jérémie. Une colère sourde, qu’il se promit de faire goûter à XANA prochainement. Il profita qu’Aelita se frottait les yeux pour se détacher de l’élève désespéré et prit la main de sa Princesse. Ensemble, ils allaient chercher leurs amis, leur rendre la mémoire, et sauver le monde. En espérant qu’il n’y ait pas de victimes. Il n’y en aurait pas, c’était leur devoir, c’était la raison de leur privilège, de leur droit de se souvenir de chaque attaque.
Assez !
● ● ●
Elle me fait mal à l’intérieur
Et j’ai tout fait pour ça
Quand elle m’a fait saigner le cœur
Je l’ai gardé pour moi
Yumi fendit la foule hagarde à travers la cour, le cœur battant à tout rompre. L’attaque l’avait sortie du lit aux aurores, quand elle avait entendu les cris dans la chambre parentale et les pleurs paniqués d’Hiroki. Personne ne se souvenait de qui était qui, ni de ce qui les avait conduits dans une maison qu’ils ne connaissaient pas. Ses réflexes de Lyoko-guerrière l’avait forcée à les laisser à leur désarroi pour appeler Jérémie et foncer vers l’Usine. Mais finalement, le chef avait préféré la ramener au collège, Ulrich étant introuvable et Jérémie et Aelita devaient déjà courir après un Odd particulièrement pénible. Évidemment, c’était après lui qu’il l’envoyait… S’il avait disparu, c’est que peut-être, lui aussi avait été frappé par l’attaque de XANA… Yumi ne savait pas si elle le supporterait. Qu’il fasse mine de l’ignorer en connaissance de cause, passe encore, ça faisait partie de leur petite danse. Qu’il joue à l’innocent sur leurs sentiments partagés, là aussi d’accord. Mais s’il avait vraiment oublié… Si elle était soudain seule à savoir ce qui se tramait entre eux, si d’un coup tout le poids de leurs non-dits s’effondrait sur son cœur…
J’oublie le temps mais passe des heures
À n’attendre qu’elle
Elle me fait mal à l’intérieur
Et ça me rappelle
En tout cas, elle, elle ne l’oublierait pas. Ce n’était pas vraiment une reddition de sa part que de le dire. A peine un aveu du bout des lèvres, qu’elle pourrait masquer derrière leur amitié. Les camarades de combat, on les aime à force de partager des traumatismes, n’est-ce pas ? Mais elle savait que ce qu’elle ressentait pour Ulrich, c’était une exception…
Enfin, la voici dans la chambre d’Ulrich. Il était devant son miroir, prostré, les deux mains au niveau de ses yeux. Il tremblait un peu. Elle posa sa main sur son épaule ; quand il ne répondit pas, elle le secoua doucement. Il se retourna dans une atroce lenteur. Il n’était pas aussi ébahi que les autres, mais le processus d’amnésie avait commencé à le travailler. Il remodelait son regard, à la mode des jours avant Lyoko. Renfermé, sombre… Yumi sentit son cœur rater plusieurs battements. Sa crainte était confirmée. Elle se dirigea vers lui, lui prit le bras, le secoua encore. Il lui répondit d’un air perdu. Il croyait se souvenir d’elle, comme une parmi tant d’autres à l’heure de la récré ou du déjeuner. Mais son nom ne réveilla rien de plus en lui. Pas même le baiser qu’ils avaient failli échanger, un jour. Yumi fut écrasée par un atroce sentiment de solitude. Tout son amour lui fut renvoyé à la figure. Elle ravala une sensation de brûlure qui noyait ses yeux, et entraîna Ulrich avec elle. Le mieux qu’elle puisse faire, c’était le mettre à l’abri à l’Usine. À la sortie du collège, elle retrouva Jérémie et Aelita. Ils tentaient d’attirer Odd à leur suite en lui parlant d’un secret et d’une aventure à vivre. Une fois le groupe réuni, ils prirent tant bien que mal la route de leur repaire, esquivant les badauds égarés et évitant du regard les nombreux accidents de la route sur leur chemin.
Elle me fait mal
À l'intérieur je meurs
Et je deviens pâle
Je veux tout oublier
Suis-je normal ?
Yumi lutta contre Ulrich, quand il remarqua l’état de délabrement de l’Usine et refusa d’y entrer. Il fallut l’insistance de Jérémie et une pique d’Odd sur la « lâcheté de Stern » pour qu’il se décide à prendre la corde. Mais il hésitait, ça se voyait. Pendant le trajet, il avait compris à demi-mots que la panique qui traversait la ville était lié à ses camarades. Il était inquiet, il voulait appeler ses parents, pour être sûr que tout allait bien. En un sens, elle l’enviait, de n’avoir qu’une légère inquiétude pour lui troubler l’esprit. Au moins, en lui prenant tout, l’amnésie l’épargnait. Si seulement elle avait pu être touchée, elle aussi, ne serait-ce que le temps de l’attaque… Elle n’avait pour elle que les airs d’une chanson d’amour trahi…
Au moins, Ulrich comprenait qu’appeler des autorités, probablement touchées par l’amnésie elles aussi, ne leur serait d’aucun secours. Et selon ce qu’il comprendrait des prochaines minutes, il pourrait accepter de plonger sur Lyoko. Alors finalement, une fois que tous eurent atteint la salle des ordis, Jérémie céda et laissa à Ulrich le temps d’appeler son père. Il enverrait Aelita, Yumi et Odd dans un premier temps. Au moins, ce dernier n’avait pas été trop difficile à convaincre. Il ne les croyait clairement pas, mais il sentait lui aussi qu’il se trouvait dans l’épicentre du chaos. Il voulait en être, juste pour voir.
Yumi laissa Ulrich derrière elle, à contrecœur. Elle le savait en sécurité avec Jérémie, mais… Si cette attaque tournait mal, est-ce que le dernier souvenir qu’elle aurait d’Ulrich serait ses yeux vides d’elle ?
● ● ●
Mes erreurs, mes douleurs, mes pudeurs, mes regrets
Mais pourquoi faire ?
Tu t'en moques, tu révoques tout en bloc,
tu balaies tout d’un revers.
Ma mémoire, mon histoire sans égards,
mon passé que tu enterres.
Demain tu diras : pourquoi n’ai-je pas vu les pièges,
Emporté dans l’odieux manège ?
Des rancœurs, des frayeurs, des malheurs
au cœur de l’amour amer,
Des nuits noires, des déboires à la gloire
des plaisirs éphémères.
J’ai beau prêcher dans le désert, comment me taire ?
Ulrich serra son téléphone contre son oreille. Il se souvenait de son père, Walter Stern, figure austère et autoritaire tenant son fils avec une main et des mots de fer. Il se souvenait des leçons qu’il lui assénait, quand Ulrich se montrait indolent et inconséquent. Mais à présent, à l’autre bout du fil, la voix ne claquait pas. Elle grinçait, incertaine, demandant qui lui parlait. Il ne se souvenait même pas de son fils, alors que lui se souvenait… Enfin, il avait surtout ses sermons en mémoire. Comme une chanson apprise par cœur, qui revient en tête quand on s’y attend le moins. Mais pas d’images, pas de maison, pas d’anniversaires ou de Noël. Juste une voix puissante avec un regard impérieux, dont il ne pouvait se détourner.
Pour grandir, t’accomplir et sortir
de la ronde séculaire,
Dans mon ombre, les décombres des jours sombres,
tu trouveras la lumière.
Ce sont les travers qui t’éclairent, comment me taire ?
Ulrich voulut hurler, s’en prendre à son père, comme il supposait qu’il le faisait d’ordinaire. Là encore, il n’avait pas de souvenir exact, mais l’instinct était ancré en lui. Il sentait que c’était ce qu’il devait faire. Répliquer, se défendre, se débattre. La relation avec son père était une lutte constante entre ce que Walter espérait transmettre à son fils et les réécritures qu’Ulrich faisait de sa personne. Il était clair que son père ne croyait en la raison et la vérité que s’il avait pu les créer de ses mains ; mais Ulrich n’était pas lui, et il façonnait autre chose, hors de portée de son paternel. Alors les deux esprits se heurtaient, se cognaient, comme des percussions sans rythme ni raison. Ulrich devait relancer la tragédie, et peut-être lui rendre ses esprits. Mais… Que lui dire ? « Je suis ton fils, celui qui te déçoit du lever au coucher du soleil » ? Il ne savait même pas sur quoi s’appuyait cette impression… Et puis, avec un tel résumé, Walter aurait plus de mal à croire qu’un garçon comme Ulrich était son fils, que le fait qu’il avait un enfant tout court. Comment espérer que dans les décombres de leurs conflits, Walter pourrait retrouver Ulrich ? Comment lui parler de lui, quand il ne savait même pas s’il devait se présenter pour ce qu’il était ? Et si Walter le comprenait de travers, se faisait de lui une idée déformée ? Comment… Résister à la tentation de croire que les souvenirs qu’il avait lui-même perdus penchaient en réalité en sa faveur ? Qu’ils dessinaient celui… Que son père voulait voir ? Au pire, aucun d’eux deux ne s’en souvenaient, alors qu’est-ce que lui coûterait un mensonge ? Mais… Il y avait cette fille, qui l’avait entraîné ici, et avait l’air tellement blessée à chaque fois qu’elle le regardait… Elle voyait quelque chose en lui. Elle pouvait lui rendre les souvenirs qu’il avait perdus. Mais si ce n’était pas ce qui plairait à son père ? S’il ne s’y reconnaissait pas ?
Tourne la terre comme les hommes,
Nous sommes la somme des erreurs de nos pères.
On mord toujours la même pomme,
Le serpent danse alors que l’on s’enferme.
Tourne la terre autour des hommes,
Il faut défaire ce que nous sommes
En embrassant nos pères.
Il n’avait plus le choix. Il devait accepter la proposition de Jérémie Belpois. Après tout, si cette fille en noir savait quoi que ce soit sur lui, et qu’elle faisait confiance aveuglément à cet intello… Alors, lui aussi avait peut-être des clés pour refermer la porte des Enfers qui s’était ouverte sur sa vie ? Il tiendrait sa chance de retrouver ses souvenirs, voire de rendre les siens à son père…
Il devrait accepter la mission, et plonger, lui aussi.
● ● ●
Et le rideau de fer se referme, lourdement, arrachant les personnages au public. Il se fait frontière entre deux mondes, menant les protagonistes vers un autre monde, une autre partie de l’histoire. Quand il se rouvrira, les lumières se teinteront de bataille et d’espérance. Car à l’aube du prochain acte, l’affrontement tonnera, et le destin du monde se jouera. Les enfants de la guerre s’en iront, dans le secret de leur histoire et sous les yeux de ceux venus les admirer. Dans quelques instants, vous qui êtes parmi nous ce soir, serez spectateurs de la bataille des corps et des coeurs.
Quand on arrive en ville
Tout l’monde change de trottoir
On a pas l’air virils, mais on fait peur à voir
Des gars qui se maquillent
Ça fait rire les passants
Mais quand ils voient du sang sur nos lames de rasoir
Ça fait comme un éclair dans le brouillard
Quand on arrive en ville
Odd se détailla des pieds à la tête. Violet, oreilles, queue… Un chat ? Et pourquoi pas un pingouin tant qu’on y était ? Au moins, il serait raccord avec le paysage polaire… Mais pourquoi diable n’avait-il pas l’avatar de ce ronflant de Stern ? Pourquoi n’avait-il pas le charisme et le katana ? Non, ce n’était pas possible, ses ennemis allaient se moquer de lui ! Il était au moins aussi ridicule que ces « kankrelats » ! Ishiyama et Stones avaient beau lui expliquer qu’il était un très bon guerrier, lui aussi, il ne voyait franchement pas comment un chétif Cheshire Cat pouvait égaler…
Pan ! Pan !
Attendez… Cette détonation venait de ses doigts ? Et… Elle venait d’exploser une de ces patates sur papattes ? Il avait fait ça ? Woah… Il tendit son poing vers un autre tubercule, repensa à ce qu’il venait de faire, et aussitôt, comme si son corps fut le premier à retrouver la mémoire, il visa et tira juste. Bon… Certes, les designs dans ce jeu laissaient à désirer, et c’était franchement dommage vu comme ce paysage de banquise envoyait du lourd, mais il pourrait peut-être s’y faire, à la longue… Et puis, il y avait cette sensation de déjà-vu, comme un murmure imprécis qui éveillait des souvenirs. Il avait déjà vécu ça, ce sentiment d’adrénaline qui le prenait quand il revêtait cette peau virtuelle et devenait un héros… En tout cas, les monstres face à lui ne semblaient pas en mener large. Ils ne fonçaient pas vers lui, essayaient de le prendre à revers. Visiblement, Odd était déjà respecté. Il devait être un sacré bon joueur, alors !
Mais ça ne lui expliquait pas quel rapport y avait-il entre son amnésie et ce jeu…
Comme Stern ne semblait pas décidé à demander lui-même, Odd se jeta à l’eau. Il se tourna vers Stones, qui n’osait pas se jeter dans l’action. N’avait-elle donc aucun pouvoir pour se défendre ? Peu importe, comme ça elle aurait le temps de tout raconter… Cependant, ce fut la voix de Belpois qui résonna dans la tête du joueur. Et ce qu’il lui dit le glaça.
Quand on arrive en ville
On arrive de nulle part
On vit sans domicile, on dort dans des hangars
Le jour on est tranquille
On passe incognito
Le soir on change de peau et on frappe au hasard
Alors préparez-vous pour la bagarre
Quand on arrive en ville
D’après lui, leur petit groupe constituait la seule ligne de défense entre un terrible virus informatique et la sauvegarde de l’humanité. D’abord, Odd crut qu’il parlait du scénario du jeu ; mais Ishiyama l’arrêta. Ce n’était pas un jeu. Ils n’étaient pas que des avatars mus par une technologie futuriste. Ils combattaient vraiment pour sauver le monde. Ce qu’il faisait ne relevait pas de l’amusement, mais du devoir.
Enfin… Ce ne devait pas être trop grave, non ? Il y avait cette histoire de Retour vers le Passé…
Même pas. Ce pouvoir, bien que puissant, n’est pas divin. Il ne saurait faire battre les cœurs à nouveau. Mourir pendant une attaque, c’était devenir éternellement sa victime. Que le temps remonte ou pas. Aussi il était hors de question de prendre cette histoire à la légère. Chaque seconde passée en guerre était de trop. Elle augmentait les risques qu’au-dehors, on ne meure de XANA. Certes, on jouait l’avenir de l’humanité en ces lieux, mais ce n’était pas un jeu.
Odd frissonna. Il se tourna vers Ulrich. Lui s’était figé. Comme si le poids de sa responsabilité venait de le heurter, il lâcha son katana. Il jeta des regards incrédules vers Stones et Ishiyama, qui surveillaient attentivement la réaction des garçons.
Quand la ville souterraine
Est plongée dans le noir
Les gens qui s’y promènent ressortent sur des brancards
On agit sans mobile
Ça vous parait bizarre
C’est p't être qu’on est débile, c’est p't être par désespoir
Du moins c’est ce que disent les auteurs du soir
Quand on arrive en ville
Soudain, Ulrich paniqua tout à fait. Il recula d’un pas, de deux, fut sauvé de justesse d’un tir laser par Ishiyama. Elle ne quittait pas des yeux le jeune samurai, la même ridule d’expression peignant un sentiment indescriptible au coin de ses yeux. Elle prit Ulrich par le bras, et à ses pourquoi et comment, lui répondit qu’hier encore, il était un guerrier puissant à l’arme fiable. Que jamais il n’avait reculé quand il s’était agi de défendre le monde. Qu’il avait fait ça pour les siens, pour Aelita, pour ses amis, pour lui-même sans doute un peu, mais aussi… Le reste de la phrase se perdit dans un soupir. Elle conclut d’un simple « J’ai encore besoin de toi ». Odd n’osa intervenir, sentant que quelque chose de plus se passait entre eux deux. Stern n’en avait visiblement aucun souvenir, mais Ishiyama… Une tension lourde s’installa, alors que la geisha abattit un monstre sans même lui accorder un regard. Stern ne bougeait pas. Ses yeux étaient un mélange confus de désolation, d’inquiétude et d’incompréhension. Comme s’il voulait vraiment savoir, mais était incertain de pouvoir payer le prix de la vérité…
Puis, finalement, il se pencha et reprit son katana en main. Il s’agrippa au manche, expira lentement, et bondit en avant. Un grand cri jaillit, alors que la lame brillait avec la glace environnante. Puis, comme s’il avait fait ça toute sa vie, il transperça net le dernier monstre. Clair, impeccable. L’œuvre de quelqu’un qui savait ce qu’il faisait. Ou à tout le moins, ne le faisait pas pour la première fois. Il se tourna vers Yumi, puis lui fit un petit sourire. Toujours hésitant. Il voulait savoir qui il était, dans cette histoire dont il ne se souvenait plus, assura-t-il.
Odd, lui, n’ajouta pas un mot. Il ne pouvait décemment pas faire moins bien que Stern, mais… Il ne savait toujours pas quoi faire. Jamais de sa vie il ne s’était senti si vivant, comme si son existence avait enfin pris les bonnes couleurs ! Pourquoi devait-il y avoir ce danger au-dessus de leurs têtes, pour ternir le tableau ?
● ● ●
Tybalt, Tybalt, tu vas mourir
Tybalt, Tybalt, fini de rire
Tu n’es qu’un fat, non, tu es pire
Ton âme boite mais toi, tu crois courir
Le son de ta voix, ta façon de marcher
Tout, tout en toi me donne la nausée
Tybalt, Tybalt, je vais te tuer
William arrivait sur la scène de bataille, furieux. Il avait vu deux de ses adversaires perdre la mémoire, et pourtant ça ne suffisait pas ? Ils pouvaient encore se battre, comme si l’amnésie n’avait pas emporté leurs instincts ? Soit. Si ses sbires n’étaient pas assez forts, alors il prendrait les armes. Comme il l’avait promis à XANA, dans ses rêves de triomphe et de puissance, il allait montrer à Jérémie Belpois que son plan, quel qu’il soit, était voué à l’échec. Il détruirait la mémoire du monde, comme on lui avait détruit son avenir. Oui, c’était là sa raison de ne plus résister à XANA. S’il n’avait plus de vie à lui, alors personne n’en aurait ! Il éviderait l’humanité avant de la dévorer… Il allait écorcher l’esprit de Jérémie, lui montrer comme il le haïssait d’avoir permis qu’une telle rage s’implante dans son cœur ! C’était lui qui l’abandonnait entre les mains de XANA, lui qui ne venait pas le sauver ! Et les autres qui acquiesçaient aveuglément ! Comme si des enfants avaient une chance de résister au fruit d’un génie fou…
Mercutio, regarde-toi
Tu as de l'esprit, mais tu n’as que ça
Tu n’es qu’un bouffon, un poète raté
Et quand j'entends ton nom
Je me bouche le nez, maintenant c’est terminé
Depuis notre enfance je n’ai qu’une idée
Enfin ma patience va être récompensée
Mercutio, je vais te tuer
Enfin, William entrait sur le terrain. Jérémie s’y attendait, évidemment, et le voir arriver lui ôtait une appréhension de l’esprit. XANA manquait d’originalité : bien sûr que sur une attaque aussi tordue, il enverrait l’artillerie lourde. Dommage pour lui, les Lyoko-Guerriers connaissaient déjà la chanson, et la chantaient déjà. Odd et Aelita fileraient vers l’Usine, tandis que Yumi et Ulrich se chargeraient de William. Eh, avec un peu de chances, le samurai aura peut-être un déclic en voyant son ancien rival en amour…
La Princesse de Lyoko fonça vers la tour, accompagnée de son gardien. William parut, dégagea sa cape de brume noire et brandit son arme. Comme mû par un réflexe survivant, Ulrich s’interposa et arrêta le coup de son katana. Yumi le rejoignit et lança un éventail. William esquiva, mais comprit trop tard : Aelita et Odd étaient déjà loin. Oh, comme Jérémie regrettait de ne pouvoir observer l’action autrement que par la danse de curseurs sur une carte ! En tout cas, de nouveaux points venaient à la rencontre d’Odd et Aelita. Pas de soucis à se faire : ils n’étaient plus très loin de la tour infectée, et Odd semblait avoir encore quelques réflexes en réserve. Ça devrait aller. Une fois encore, et malgré un sérieux handicap de départ, ils l’emporteraient. Même au meilleur de sa forme, XANA restait un programme incomplet et perverti. Il était limité dans sa compréhension des êtres humains, et de leur amitié. Ses plans ne manquaient pas d’audace, mais ils ne suffiraient jamais.
Il me hait tant, y a si longtemps, non, Roméo
Sa grâce c’est trop, c’est comme un chien qui a la rage
Un lâche qui croit en son courage
William bouillonnait. Il ne pensait pas qu’Ulrich pouvait lui être plus insupportable. Même le virtuel ne pouvait rien contre cette détestation épidermique qui le saisissait quand il songeait que ce gars-là, indécis, morne, sans saveur ni quoi que ce soit, pouvait attirer le cœur de Yumi Ishiyama. Et c’était encore pire quand ce benêt le fixait avec l’air de ne rien comprendre. Ni de lui, ni d’elle, il ne se souvenait ni de son rival, ni du sujet de leur rivalité. Les murmures de XANA s’amplifiaient à chaque échange de coups, chaque parade réussie d’Ulrich, chaque mouvement échoué de William. Le pire, le pire, c’était que de toute évidence, même l’amnésie ne pourrait convaincre Yumi de se tourner vers lui. Ulrich était trop là, trop présent, trop… Trop quoi, d’ailleurs ? Courageux ? Ne plaisantez pas avec ça. Il y a cinq minutes, il se serait dévirtualisé s’il avait pensé que ça l’évacuerait du champ de bataille ! Dans le fond, c’est un gamin qui s’est retrouvé au bon endroit et au bon moment pour briller.
Il avait saisi l’arme avant de saisir tous les enjeux ! Si au premier jour, on lui avait présenté la mort, l’exil, la destruction et la nuit, il aurait refusé d’embrasser sa destinée si héroïque de Lyoko-Guerrier ! Alors que William, lui, avait accepté… Enfin, avait-il eu le choix ? XANA ne lui avait jamais rien demandé. La rage était venue le prendre sans frapper à la porte. Mais si on lui avait dit que ses propres amis l’auraient lâché, il aurait embrassé la promesse d’éternelle présence de XANA ! Au moins, il ne le laisserait jamais, il, il…
Pourquoi est-ce que tout ça sonnait si faux, bon sang ? Il ne détestait pas Ulrich en tant que guerrier, mais en tant que prétendant malheureux ! Lui qui était le premier lieutenant de XANA, son chef de guerre… Non… Qu’importait. Il allait abattre Ulrich, qui qu’il soit, quoi qu’il en soit…
Il leva son arme. Ulrich brandit son katana, prêt à l’arrêter. Parfait…
William se fondit dans sa brume noire, et glissa derrière son rival…
Il leva son arme à nouveau…
… Mais Yumi s’interposa. Elle prit le coup. Il la faucha instantanément.
Juste avant de disparaître, elle lui adressa un regard de colère et de déception. Le même. Toujours.
Qu’est-ce que tu crois, tu n’es pas roi, non
Tu es comme nous, même pire que nous
Te voilà plein d’amour et tu pisses la tendresse
Tu es comme les vautours qui attendent la faiblesse
Vivre, vivre c’est se battre, la vie n’est pas un théâtre
Ulrich vit disparaître Ishiyama, impuissant. Il n’avait eu que le temps de comprendre la manœuvre de son adversaire que la jeune femme s’était dressée entre eux deux, et avait pris les dégâts à sa place. Les éclats de pixels qui voletaient en grésillant devant lui éveilla une rage sourde. Ce type… Il ne le remettait pas, mais son cœur l’associait à un ressentiment violent. La détestation qu’on réserve à ceux qui se croient meilleurs que nous. La haine qui nous prend quand, parfois, on se dit qu’ils le sont vraiment. Mais non, ce type ne pouvait correspondre à ça, pas quand il venait de tuer de sang-froid Yumi !
Mais ce souvenir… C’était là aussi du déjà-vu. Quelque chose qu’il avait vécu, dans un passé perdu, mais qui avait laissé son empreinte au creux de sa personne. Un sentiment fondamental, une pierre angulaire, indéfinissable mais intangible…
De la peur. Il avait eu peur pour Ishiyama. La même peur qu’il avait ressentie quand son père ne l’avait pas reconnu, au téléphone.
Se pouvait-il que… Qu’il la connaisse vraiment ? Et qu’elle ne l’ait pas oublié, elle ?
Elle l’aurait protégé… Par amour ?
Ulrich sentit sa rage grandir. Il ne pouvait encore la définir tout à fait, mais les contours se dessinaient. Il savait en quoi elle était liée à Yumi. Et à ce type…
Il leva son katana et, profitant de ce que la pluie de pixels n’eut pas fini de s’élever, il le fit fendre l’air vers son adversaire.
La lame entra tout droit dans le ventre de l’ennemi. Il poussa un cri furieux et, à son tour, devint une nuée de cendres virtuelles.
Ulrich planta son arme à terre, sous les félicitations de Belpois. Il avait réussi. Il avait vaincu.
● ● ●
Qui voudrait être à ma place
Qui saurait comment faire face
À ce rôle qui me fait peur ?
Je vous laisse juge et complice
Vous en laisse le bénéfice
Pour jouer en coulisse
Odd regarda ses flèches fracasser des monstres dans un rythme parfait. Leurs explosions faisaient battre le cœur du combattant en même temps que l’air qui trottait dans sa tête. Il s’y accrochait, comme un spaghetti s’enroulerait autour de la fourchette avant de se faire engloutir. Lui, un guerrier ! Il n’en avait pourtant aucun souvenir ; même ce monde virtuel, cette Lyoko, qui pourtant avait marqué sa vie au fer rouge d’après Stones, n’était qu’une brume indéfinie. Tout ce qui en restait, c’était les sensations fortes, le plaisir du jeu, de la poursuite, de l’affrontement. Mais Odd Della Robbia, s’attacher à autre chose que son plaisir ! Hé, ce n’était pas de l’égoïsme ; il était lui, il vivait sa vie, et qu’était la vie si on y souffrait ? Le monde était un terrain de jeu, son imagination était son livre de règles. Les décisions, très peu pour lui, il les laissait à ceux qui étaient taillés pour ça. Que les autres construisent leurs châteaux de pierres, lui se contenterait d’un bout de plage et d’un seau ! Mais s’il était impliqué dans un secret, du genre de ceux qui mettent l’intégrité du monde en jeu… Cela faisait de lui un décisionnaire, non ? Par quelle arnaque l’avait-on fait adhérer à une telle absurdité ?
Pas envie
De me lever,
Non je n’ai pas envie
De m’encombrer
Ni d’avis à donner,
Je suis fait pour la fête,
Pas pour la prise de tête, non…
Le félin se faufila entre les Icebergs, suivant de près la fille aux cheveux roses. Elle lui était chère, ça pour sûr ; il la protégerait de tout, il s’en souvenait. Mais l’ennemi principal était la banalité et l’ennui ! La preuve, il lui avait appris la musique, la composition, la scène. Tout ce que font les gens grandioses et géniaux, en somme ! Odd se sentit fier de lui ; même dans l’adversité, il avait su suivre son credo. Cette fille aux cheveux roses demandait la vie, il allait la lui donner ! Il allait lui apprendre la douceur de sa propre chanson !
Ça tombe bien, deux autres patates kamikazes venaient à leur rencontre. Odd prit son élan et, d’une légèreté fabuleuse, il les survola. Bras tendu, flèche parée, rythme en tête. Il chantait à tue-tête dans son esprit, gardant ses mouvements calqués sur les percussions, et mené par son propre enthousiasme, frappa un monstre qui explosa au commencement du refrain. Odd retomba sur ses pattes, souple et précis, et prépara sa prochaine flèche. Un, deux, un deux, un…
Le monstre explosa avant qu’il ne fît un mouvement. Son oblitération révéla une Stones, main tendue devant elle et tout sourire. Ainsi donc, elle avait un pouvoir… Et oh, bon sang, elle était craquante ! Mais pas du genre des pépéttes à qui Odd aimait conter fleurette. Plutôt comme une petite mélodie familière, joyeuse et entraînante. Une sensation nouvelle revint à l’esprit du jeune homme : quand la princesse était là, c’était elle qui donnait le tempo. Cette nouvelle information réconforta Odd. Peut-être qu’il était mêlé à un secret dangereux, mais il était entouré de bonnes gens, qui ne perdaient pas l’important des yeux ! S’il parvenait à garder pour lui l’adrénaline d’une mission, la fierté d’une victoire, le plaisir de partager ses escapades, alors il pourrait vivre avec son fardeau. De toute façon, quel devoir Odd le Magnifique ne pouvait rendre fantastique ? Il ne savait pas si c’était celui qu’il était hier, mais aujourd’hui il en était certain : il voulait rester dans l’aventure. Ne serait-ce que pour s’amuser, et connaître des sensations comme seul un type aussi cool que lui pouvait désirer !
Ha, ha, ha, à qui la faute ?
La vie est trop sérieuse pour m’y ennuyer
Ha, ha, ha, à qui la faute ?
Non, ce n’est pas de ma faute
Ha, ha, ha, à qui la faute ?
Les envies trop nombreuses pour y résister
Ha, ha, ha, à qui la faute ?
Non, non,
C’est pas de ma faute, non…
Odd et Aelita foncèrent vers la Tour rouge. Alors qu’ils approchaient, Ulrich Stern les rejoignit à bord d’une étrange moto – oh bon sang, Odd voulait la même ! -, l’air complètement paumé. Un peu comme d’habitude. Peut-être arriverait-il à le décoincer un jour… Mais bon sang, même quand il s’agissait de voir leur protégée passer la ligne d’arrivée, victorieuse, il ne déridait pas, le mufle ! Pourtant, il se souvenait vaguement d’un regard plus pétillant, sur ce visage. Peut-être que Lyoko était la solution aux problèmes des gens malheureux ; certains diraient que c’est parce que frôler la mort vous fait apprécier la vie, mais pas de ça chez Odd ! Il fallait le vivre pour le sentir ; le monde pouvait s’effondrer, quand on est dans un royaume où la mort n’est pas une fin, tout est plus simple. On peut être ce qu’on veut, et recommencer plus tard. Sur Lyoko, on ne tire pas les leçons mais le vin ! Odd ne pouvait rêver mieux, et il doutait qu’on le puisse. Si son amitié pouvait entraîner avec lui ce dépressif de Stern, alors c’était bien la preuve qu’il avait trouvé sa place sur Lyoko. Voire sa vocation. Aux autres les décisions, lui s’amuserait.
● ● ●
Midnight, not a sound from the pavement
Has the moon lost her memory ?
She is smiling alone
In the lamplight, the withered leaves collect at my feet
And the wind begins to moan
Aelita venait d’entrer dans la Tour. Bientôt, le signal brillerait, et Jérémie pourrait lancer le Retour vers le Passé. Bientôt, il ramènerait l’humanité à un temps où elle savait ce qu’elle était. Un temps où elle était sauve. Les rues seraient à nouveau remplies des rires et de la vie qu’il chérissait tant, qu’il protégeait au prix de son enfance. Il ne manquait que quelques secondes, et il pourrait appuyer sur le bouton du happy ending et chanter l’hymne de la victoire.
Memory, all alone in the moonlight
I can smile of the old days
Life was beautiful then
I remember the time I knew what happiness was
Let the memory live again
Quelques secondes, et Yumi retrouverait la vie qu’elle chérissait, malgré ses questions sans réponse. Du calme, mon cœur, tu connais la musique, elle arrive à son dernier refrain. Bientôt, la valse avec Ulrich reprendrait. Il se rappellerait chaque pas, et ensemble ils tourneraient autour de ce qu’ils taisent. Le silence pour la face du monde, une chanson dans leurs esprits. Juste quelques secondes, et Ulrich retrouverait sa mémoire, prêt à reprendre son écriture avec Yumi.
Every street lamp seems to beat
A fatalistic warning
Someone mutters and the street lamp sputters
And soon it will be morning
Reprendre où il en était rendu, avant tout ça. Odd le désirait. Plus jamais il n’oublierait ce qui l’avait aidé à accepter le danger de cette aventure. Le frisson, l’adrénaline, l’amitié… Ça devait surpasser les signaux d’alertes qui, dans sa tête, voulaient sonner la fin de la récréation. Oui, le monde était en danger ; non ce n’était pas ce qui devait compter. Après tout, l’amusement qu’il ressentait sur Lyoko était une bonne raison de se battre, n’est-ce pas ? Quelques secondes, et Odd se rappellerait comment il taisait l’accusation que sa conscience adressait à son aveuglement volontaire.
Daylight, I must wait for the sunrise
I must think of a new life
And I mustn't give in
When the dawn comes, tonight will be a memory too
And a new day will begin
Ulrich n’avait jamais été prêt à s’élancer dans la vie. L’impulsion, la volonté, la foi, rien n’avait fonctionné sur lui. Si quelque chose avait survécu à son amnésie, c’était ce fond de réflexe, ce savoir naturel que possédait son corps, et qui voulait juste l’étendre dans la paix et le silence. Pourtant… Il s’était vu revêtir un nouveau costume, dans ce monde virtuel. Le katana s’imprégnait de ses mains comme une évidence, comme s’il demandait à être ramené sur Terre, à devenir une part d’Ulrich. Mais dès qu’il y pensait, une part de lui regrettait encore son acédie. Lequel de ces deux masques était fait pour son visage ?
Burnt out ends of smoky days
The stale, cold smell of morning
A street lamp dies, another night is over
Another day is dawning
L’ascension commençait ; Aelita sourit. Aucune attaque de XANA ne pourrait lui arracher cette incroyable sensation, celle qui chassait le mal et le désespoir. L’aura de lumière autour d’elle la guidait vers le sommet du phare contaminé, où elle pourrait éteindre l’œil de l’Ennemi. La nuit serait chassée, quand elle éteindrait la flamme de XANA. Le soleil, seul feu légitime de l’humanité, reviendrait et annoncerait le renouveau du matin passé, radieux, prometteur. Il réécrirait un jour sans danger. Il suffisait qu’Aelita se laisse déposer sur la plateforme, et signe de son nom la sauvegarde de la Terre. Car dans le secret des enfants de la guerre virtuelle, Aelita voulait dire paix.
Touch me, it's so easy to leave me
All alone with the memory
Of my days in the sun
If you touch me, you'll understand what happiness is
Look, a new day has begun
Le calme, le silence. Le temps suspendu aux lèvres de ses anciens amis. Non… Non ! Ils allaient à nouveau gagner, ils allaient à nouveau l’enterrer dans la solitude, ils allaient… William enragea. Ne pouvaient-ils, qu’une fois et une seule, ployer sous sa colère ? Savaient-ils seulement comme il leur en voulait, de préférer leur secret à sa vie ? Car plus le temps passait, plus il se laissait gagner par XANA. Bientôt, ses forces s’évanouiraient, et plus rien ne pourrait être fait pour lui. Il l’avait compris, au fil des jours et des nuits où son maître le privait de ses souvenirs sur Terre. Bientôt, il le convaincrait de les abandonner ; pourquoi les garderait-il, alors qu’il devait signer la fin de tout ? L’amnésie qui avait frappé l’humanité n’était pas qu’un avant-goût de la mort, mais aussi le reflet de l’affliction qui dévorait William. Et aucun Retour vers le Passé ne le soignera. Le Retour vers le Passé… Il se rapprochait. Dans un soupir, il l’engloutit.
● ● ●
Et le rideau blanc, soudain, s’abattit sur la scène. Parcourant le sol et les corps, il posa son voile sur le monde, le glissant pour un temps hors du temps, dans d’insondables coulisses. Certes, dans un instant, le lourd rideau se relèvera, et les personnages reviendront sur les planches, pour y jouer leur conclusion. En attendant, le rideau tombe, et la procession des vainqueurs s’impose, en boucle immuable. A nouveau, le monde est sans danger.
● ● ●
Love doesn't discriminate
Between the sinners
And the saints
It takes and it takes and it takes
And we keep loving anyway.
We laugh and we cry and we break
And we make our mistakes.
And if there's a reason I'm by her side
When so many have tried
Then I'm willing to wait for it.
I'm willing to wait for it.
Ulrich frôla du bout de ses doigts ceux de son reflet, déformé au cœur de la paroi. L’avatar d’un avatar… Son image, renvoyée vers le miroir avant de revenir à ses yeux, avait fait trop de chemin entre sa conscience et le monde pour rester inchangé à chaque étape. Mais était-ce sage, de se diviser autant pour essayer de se réassembler ? Un vase a-t-il besoin de se briser contre le sol pour sentir, dans sa recomposition, ce qu’il doit être ? Comme si l’esprit humain avait besoin, parfois, de se perdre pour se rappeler qu’il devait aller quelque part… Mais lui, Ulrich, combien de fois devrait-il s’abîmer face à ses reflets pour se souvenir de ce qu’il est, et de ce qu’il doit ?
Les regards blessés de Yumi se fracassèrent contre lui. Pourtant, il revenait à lui, doucement. Depuis que ses souvenirs revenaient, il sentait qu’un peu de son cœur se réchauffait au feu de sa camarade. Il retrouvait des bribes de promesses, d’approches échouées et de dénis entêtés, mais ce n’était que des pièces de puzzle. Toutes avaient déjà un sens en elles-mêmes, mais ensemble, créeraient-elles une peinture plus nette et complète de ce qu’il ressentait et voulait ? Et quand bien même… Le devait-il ? Pouvait-on préférer l’ignorance au savoir ? À quel point sa paresse le possédait ?
Death doesn't discriminate
Between the sinners and the saints
It takes and it takes and it takes
And we keep living anyway.
We rise and we fall and we break
And we make our mistakes.
And if there's a reason I'm still alive
When everyone who loves me has died
I'm willing to wait for it.
I'm willing to wait for it.
Pas de morts, et pourtant, Ulrich ne pourrait oublier son père, vide de son souvenir et, in fine, de leur vie. Des statues auraient eu plus d’histoire à raconter que lui. N’était-ce pas une forme de mort, que l’amnésie ? Lorsqu’on s’en va, on renonce à notre corps. Perdre la mémoire n’était qu’une alternative à la décomposition des chairs, dans le fond. Même en essayant d’y réfléchir, Ulrich ne pouvait se départir de cette idée. Il avait écouté son père mourir spirituellement, aujourd’hui. Et la seule façon de le sauver, c’était de Remonter le Temps, de réécrire ses souvenirs. En quoi était-ce différent d’en perdre ? Ne jouait-on pas avec la vie des gens, en leur refusant une partie de leur histoire, aussi funeste soit-elle ? Et pourquoi Ulrich devait, lui, vivre avec ces mille vies que les autres, malgré eux, oublient ? Était-il plus fort, méritant, moral ? N’était-ce que de la chance, le bon ami au bon moment, la mauvaise décision quand il fallait la prendre ? Qu’est-ce que ça voulait dire de lui ? Qu’il peut se passer d’être sérieux ou appliqué, malgré la volonté de son père ? Ulrich éloigna ses mains de son reflet, observa doucement les lignes qui sillonnaient sa paume, chantant pour elles et pour tous les destins qu’elles ne racontaient pas.
I am the one thing in life I can control
I am inimitable, I am an original
I'm not falling behind or running late
I'm not standing still
I am lying in wait
Hamilton faces an endless uphill climb
He has something to prove, he has nothing to lose
Hamilton's pace is relentless
He wastes no time
What is it like in his shoes?
Comment faisait Jérémie ? Comment faisait cet enfant, à peine ébauché, pour être si sûr de lui ? Il ne savait rien du monde, pourtant il sacrifiait jours et nuits pour l’humanité, à se prendre pour un Dieu fait Homme, déclarant dans un semblant de modestie que ce qu’il faisait n’était rien que son devoir ? Pourtant, dans ses yeux, brillait une fierté atroce, inconséquente, niant toute philosophie. Jérémie ne réfléchissait jamais à ce qu’il faisait. Il ne croyait qu’au comment, pas au pourquoi. Si c’était la solution ? Suivre le courant, se laisser porter par son devoir comme un loup partant en chasse, sans repos tant que le goût de la victoire ne s’est pas posé sur sa langue ? Devait-on d’abord vaincre sa morale, quand on partait en guerre ?
… Non, qu’importe. Jérémie était la voix qui guidait, Ulrich la main qui s’abattait. Étaient-ils tous deux animés des mêmes questions, hantés par les mêmes cauchemars, brisés par la même mission ? Que Jérémie se sente coupable ou non ne changeait rien à la responsabilité d’Ulrich. S’il revenait là-dessus, alors il risquait de ne pas se conformer à celui qu’il était avant de perdre la mémoire. Il ne voulait pas refaire l’Histoire, il voulait se la raconter. La question n’était pas : « pourquoi est-ce arrivé ? », mais plutôt « pourquoi j’accepte que ça arrive encore ? ». Cette question ne pouvait avoir de réponse dans les motivations d’un autre, sinon Ulrich se confondrait dans Jérémie. Lui, pourquoi faisait-il ça ? Pour Yumi, pour son amour, pour vivre à chaque shot d’adrénaline l’ersatz d’un lien avec elle ? Pour les autres, parce qu’il croyait que ce qu’il faisait était pour le mieux, même s’ils l’ignoraient, même s’ils ne pouvaient pas comprendre ? Était-il donc un amoureux orgueilleux ? Était-ce de l’altruisme ou de l’égoïsme, de sauver des gens qui ne se savent même pas en danger, et de garder pour soi le souvenir de son propre héroïsme tout en espérant que ça durera toujours ainsi ? Et s’il faisait fausse route ? Si le guerrier en lui était si fondamental que ça, comment aurait-il pu l’oublier ?
Alors quoi ? Il restait quelque chose ? Une motivation que lui seul possédait ? Quelque chose qui le définissait ? Il recula, soudain glacé par une possibilité : et si même avant son amnésie, il ignorait qui il était ? Et s’il espérait, à tort depuis le début, que son passé avait les clés de son identité ? Devait-il alors y répondre dans le futur, alors qu’il se sentait si fragile dans ses fondations ?
Life doesn't discriminate
Between the sinners and the saints
It takes and it takes and it takes.
And we keep living anyway
We rise and we fall and we break
And we make our mistakes.
And if there's a reason I'm still alive
When so many have died
Then I'm willin' to
Wait for it…
Ulrich ferma les yeux. Il se répéta son nom, comme un mantra, du bout des lèvres. Il forma les lettres avec sa langue, silencieusement, cherchant à le faire parler à sa place. Il était la somme d’évènements qu’il avait en mémoire, qu’il avait oubliés et qu’il analysait encore. L’absence définit aussi bien que la présence. Lui et Yumi ne se tenaient pas encore la main, mais pour lui c’était tout comme. Il n’était pas le maître du navire Lyoko, mais sa volonté l’avait guidé à son bord. Dans toute sa vie, il avait été guidé par les circonstances. De sa naissance qu’il n’avait pas choisie à ses parents qui l’avaient habillé, nourri, éduqué, avant de le mettre dans l’internat qui allait révolutionner sa vie. Tout s’était fait sans qu’il ne proteste, juste parce qu’il le devait. Il n’avait jamais eu de contre-argument à opposer à quoi que ce soit, en tout cas rien qui ne lui avait semblé valoir la peine. Mais qu’on ne l’accuse pas d’acédie ! Il ignorait encore quelle était la force qui le guidait, lui assurait qu’il faisait ce qu’il fallait, que s’il n’avait pas la sensation d’avoir raison, ça viendrait. Mais ça ne le dérangeait pas de passer sa vie en rétrospective, de toujours s’interroger sur une question impossible. Perdre la mémoire, puis la retrouver partiellement, lui avait au moins appris ça. Il n’aurait aucune réponse maintenant, parce que tout était encore à faire. Il n’attendait pas par paresse, il laissait juste les questions couler sur lui et le forger. Il laisserait sa propre expérience le modeler, petit à petit, et il verrait bien où ça le mènerait.
● ● ●
C’est tellement simple, l’amour
Tellement possible, l’amour
À qui l’entend, regarde autour
À qui le veut vraiment
C’est tellement rien, d’y croire
Mais tellement tout, pourtant
Qu’il vaut la peine, de le vouloir
De le chercher, tout le temps
Et le rideau se ferme, comme à l’aurore de chaque histoire. Pour vous, spectateurs, le jour ne finit pas encore ; les lumières de la salle brillent encore, et vous sortirez à l’air libre, trouvant dans vos discussions avec vos amis un reste de magie. Pour nos personnages, un rideau qui se ferme n’est qu’un voile opaque les ramenant aux coulisses, jusqu’à la prochaine représentation, jusqu’aux prochaines chansons.
C’est pourquoi, pour encore quelques secondes, permettez-leur de rendre hommage à vos esprits, qui les accueillent depuis leurs débuts. Vous qui, de vos mains et de vos esprits, prolongez encore l’histoire de nos héros, vous êtes le rappel qui leur permet, pendant quelques minutes, de profiter encore de la lumière du jour. Pour quelques instants encore, permettez-leur de vivre dans vos souvenirs. Au plaisir de les retrouver, entre vos mains.
Ce sera à nous dès demain
Ce sera à nous le chemin
Pour que l’amour qu’on saura se donner
Nous donne l’envie d’écrire.
Ce sera à nous dès ce soir
À nous de le vouloir
Faire que l’amour qu’on aura partagé
Nous donne l’envie d’écrire.
_________________
"Au pire, on peut inventer le concept de Calendrier de l'Avent pour chaque fête religieuse, maintenant que le forum a le template pour faire un article de La Croix"
Dernière édition par VioletBottle le Jeu 10 Déc 2020 21:23; édité 4 fois
And a rock feels no pain
And an island never cries
I am a rock, Simon and Garfunkel
_________________
C’était une grande pièce qui faisait tout à la fois salon, salle à manger, bibliothèque et même cuisine. À droite du hall, courait un mur qui débouchait sur la cuisine. Celle-ci n’était séparée de la pièce à vivre que par un bar qui faisait face à la partie salle à manger et à sa grande table pour douze personnes. À gauche de l’entrée se déployait le salon. Un canapé en cuir rouge, des fauteuils, une table d’une surface de deux mètres carré. Le long du mur porteur de la maison, point de connexion entre le hall et le séjour, courait une coursive. C’était là-haut qu’était située la bibliothèque. La pièce était spacieuse et aéré. De larges fenêtres, ainsi que deux vastes velux encastrée dans le plafond incliné laissaient passer un flot de lumière. Dans l’ensemble, il s’agissait d’un style que l’on aurait pu aisément qualifier de scandinave, à la manière d’Ikea. Le séjour donnait sur une terrasse. Celle-ci, bâtie à flanc de colline offrait une vue orientée plein sud, en direction de la forêt et de ses fraîches frondaisons. Ici, Ulrich avait passé les temps les plus malheureux de sa longue vie. Tout respirait le confort, l’ouverture. La disposition de la pièce invitait à L’indolence. Ici, aucun réseau téléphonique.
Se poser dans un fauteuil et dormir bercé par le doux soleil.
Ulrich était en vacances.
C’était malheureux.
Ulrich détestait les vacances. S’il l’avait pu, il serait resté tout du long à l’internat. La compagnie de Jim ou de Jérémie valait plutôt mieux que celle qu’il avait actuellement.
Comment dire ? Eh bien justement, il n’avait rien à leur dire. Et eux ne semblaient pas avoir grand-chose à lui dire. Lamentations et réquisitoire se succédaient. Ils étaient en forme d’ailleurs en ce moment. Avec le temps, Ulrich avait appris à entendre par-delà les mots. Désormais, il savait apprécier le jeu subtil des répliques, le canon formé par ses parents. Il avait aussi fini par comprendre qu’il n’était qu’un outil dans une querelle qui le dépassait de loin et de longtemps.
Rétrospectivement, il aurait dû avoir compris plus tôt. Il n’était pas vraiment normal à l’age de six ans de passer des soirées assis dans la cuisine, alors que — son père à sa gauche et sa mère à sa droite — ils lui donnaient tour à tour de petit mot qu’il devait lire à haute voix. Les mots quoiqu’emprunts de la plus grande courtoisie étaient durs et froids : il fallait blesser et faire mal.
Ulrich ne savait pas pourquoi ses parents étaient encore mariés.
Il ne savait pas pourquoi ils l’avaient conçu. À quoi bon, si c’était pour le confier à une nounou jusqu’au moment où ils avaient pu se débarrasser de lui et l’envoyer à l’internat toute l’année durant ?
Bref, cela ne faisait que dix minutes qu’il était parti du collège et déjà il priait pour rentrer. Avec un peu de chance, ils auraient épuisé leur besoin de s’épancher avant qu’il ne monte dans la voiture. Sinon… de longues et froides soirées l’attendaient. Et il reviendrait crevé de ses vacances. Xana en serait ravi.
Lui au moins jouait franc-jeu et direct. Après une bonne journée de lutte contre Xana, les nuits étaient douces et satisfaisantes.
Plaisantes.
Il se sentait alors revigoré tant de corps que d’esprit.
A contrario chaque minute passée auprès de ses parents semblait s’étirer à l’infini. Les secondes devenaient des minutes, les heures des jours, et les jours semblaient ne plus finir. À chaque instant qui passait, il sentait ses forces se faire drainer. Son corps se vidait de toute énergie et son esprit de toute volonté.
Subir son père, c’était souffrir un barrage de mots. C’était se faire remodeler, lentement, violemment, en autre chose. C’était mourir à lui-même chaque jour un peu plus. IL soufflait sur les braises, réorganisait le foyer, époussetait les cendres, rejetait les mauvaises bûches, brisait les branches qui ne rentraient pas, ajoutait meilleur combustible et soufflait sur les braises. Mais le travail ne progressait pas assez vite à Son goût. Alors IL employait le tisonnier. IL écartait des rondins, remaniait l’architecture de l’âtre, jusqu’à ce que la flamme qu’était Ulrich enfin brillât de la bonne couleur. IL la voulait rouge, apte à tenir dans la durée. IL voulait braise et cendre, plutôt qu’ardente consumation.
Être marathonien ne s’improvisait guère pour la vie.
Maintenir sa mère, c’était étayer un pilier qui aurait dû porter. C’était s’épuiser, lutter contre le cours inexorable des affects. C’était endurer le flux fulgurant de passions aigries, et étançonner suite au reflux apathique. C’était supporter les hauts et les bas, et toujours, toujours devoir physiquement tenir ou retenir. C’était un effort somatique et constant.
Être architecte de son chemin s’enseignait.
Ulrich devenait à chaque jour qui passait avec ses parents un autre garçon. Son armure s’effondrait. Tombaient ses défenses devant le siège constant qui assaillant son corps et son esprit ne visait moins que la réforme de son âme et sa transmutation.
Il était exténuant de vivre au côté de gens que l’on ne comprenait pas. De se sentir évoluer dans un monde voisin, si proche, si inatteignable ; si différent, inapprochable.
Weltanschauung.
Ulrich ne savait plus d’où il tenait ce mot. Sans doute d’un cours d’allemand. Mais il savait que c’était le mot qu’il cherchait pour exprimer ce qu’il comprenait quant à ses parents.
Pourtant, pourtant…Il ne pouvait pas dire qu’ils ne faisaient d’efforts. Bien au contraire. Eux, cherchaient à briser les barrières, cherchaient à parler, à divulguer. Ils s’épanchaient dans la recherche d’une communication. Mais rien ne pouvait y faire.
Et quand bien même ? Comment leur confier « mon secret, mes problèmes, c’est impossible ». Alors, il ne pouvait que rester là. Faire ce qui pouvait l’être. Sauver ce qui pouvait l’être. Soustraire un tant soit peu à leur attention.
Il devait être, était, demeurerait, le rocher.
Mais il le savait, en avait conscience.
C’est la rivière qui modèle le rocher.
Et le plus vaste des fleuves était à la manœuvre, lui auquel nul n’échappe: le temps. Dévoreur de substance.
D’une lenteur insondable s’écoulait un nombre infini de secondes sous la férule paternelle et les maternelles langes.
Ici, Ulrich avait appris à cuisiner.
Ici, Ulrich avait appris à entretenir une maison.
Là, Ulrich était devenu garde-malade et forçat.
Au mieux, il aurait des cours supplémentaires, toutes les vacances durant.
Sinon, il resterait. Avec sa mère, avec son père, roc immergé dans la rivière au fond de la vallée, flamme transbordée de lampe en lampe, tenue entre des murs de verres et maintenue par le serrement du bec.
C’étaient des ennuis différents.
Et lui de bouillonner.
Et lui de rager.
Et lui de fulminer sous son armure.
De loin il préférait Kadic et l’internat.
De loin il préférait le danger constant. La lutte et la blessure.
Dormir après avoir lutté contre Xana, c’était trouver un repos exquis et relâché.
Mais enfin, il était ici-bas, en deçà de la Loire, à des centaines de kilomètres du théâtre des opérations.
Loin de ses amis.
Loin d’Odd.
Loin de Yumi.
Loin de Jérémie.
Enfin loin d’Aelita.
Proche de son père tempétueux.
Proche de sa mère languide.
Proche des forêts, domaniales et lugubres.
Enfin proche du caveau familial.
Ici. Dans les sombres forêts de Tronçais, en bord de Sologne.
Ulrich détestait ces forêts stagnantes. Leur atmosphère imprégnait la maison. Semblait régner une couche d’humidité. Il se sentait contenu.
Chaque jour qui passait ici, la rage d’Ulrich grandissait, et ce n’était qu’à grand peine que Kadic la dissipait. Même si l’arrivée de William avait indéniablement fait du bien. Mais enfin, traiter un symptôme, ce n’est pas traiter le mal. Enfin les maux. Puisqu’il en comptait deux. Il aspirait à s’en libérer. À se défaire de ces douleurs qui jamais ne le quittaient, qui sans cesse le tourmentaient.
Il ne voulait pas.
Mais ses choix étaient eux aussi pris dans un mouvement de spirale : la haine corrompait tout, jusqu’à ce qu’il fut impossible de distinguer ce qui ne relevait pas d’elle. Et elle ne laissait à Ulrich d’autre possibilité que de se démettre. Car, il le savait, tout était vain. Tout finirait, avec temps et assaut, par être modelé dans le cours impérieux des événements.
Plus encore qu’à l’accoutumée la forêt était sinistre. Les froids de la morte saison ne régnaient pas encore en maître, et tout achevé de se décomposer au sol.
Il pleuvait depuis la veille. Et le temps d’arriver au tombeau, les chaussettes d’Ulrich faisaient déjà macérer ses pieds dans un bain de pluie. Il avait ouvert la porte massive en bois de chêne. Il utilisa une cale pour la retenir en arrière, puis sortant une allumette, il alluma sa lampe à pétrole pour y voir plus clair.
Tout était semblable à ses souvenirs. D’aussi loin qu’il se souvienne les lieux avaient toujours été ainsi, forteresse de pierre blanche et sèche, vivant témoin que la putréfaction des bois pouvait être repoussée.
C’était la dixième fois qu’il venait ainsi, un premier novembre.
La neuvième qu’il venait seul.
Il vérifia qu’il avait bien tous ses outils, puis entrepris de nettoyer les tombe une à une. Prenant une pelle et une balayette, il ôta plantes et poussières. À l’aide d’un chiffon imbibé d’eau il nettoya les impuretés qui s’étaient accumulées depuis l’an dernier. Il enleva les pots cassés et les remplaça. À chaque fois il s’arrangeait pour rendre leur brillant aux lettres dorées qui indiquait quel Busset était mort ici… quelles morts glorieuses… quelles vies vertueuses… quelles pensées ils avaient inspirées à leurs proches. À force de récurer les lettres d’or, Ulrich avait gravé en son cœur ces sentences d’autres temps.
Une fois encore, il venait enrichir sa mémoire.
Une fois encore, il profitait de cette occasion pour mesurer l’année écoulée à l’aune de ces temps passés.
Midi pointait hardiment ses rayons lorsqu’Ulrich s’arrêta pour déjeuner. Il s’était fait quelques sandwiches avant de partir. Il sortit du caveau, et s’asseyant sur une pierre, commença à lentement mastiquer le pain humide. La pluie continuait à tomber. Il avait encore quelques heures de travail devant lui.
Quand il entra à nouveau dans le caveau, quelque chose avait changé. L’atmosphère était devenue plus sèche, plus chaude.
Chaleureuse.
Une ombre se tenait devant lui.
C’eût pu être un fantôme.
Celui-ci avait forme humaine. Une forme rappelant l’une des matriarches représentée sur les vitraux du tombeau.
Ulrich regarda bouche bée l’apparition. Il tendit la main pour tenter de la toucher, mais ne put l’atteindre.
Le fantôme commença à parler. Des sons résonnèrent dans le caveau, mais Ulrich n’y comprenait goutte. C’était une langue chargée de mystère, comme si, ayant perçé d’insondables secrets, les Bussets tentaient de les communiquer à Ulrich. Lui ne comprenait pas. Mais il sentait les mots graver quelque chose en lui, laisser une marque sur son âme. Il ne comprenait pas et pourtant comprenait. C’était ineffable.
Résolu, Ulrich se précipita en avant. Il heurta de plein fouet le fantôme qui sembla vouloir entrer en lui.
Ulrich hurla alors que son esprit rejetait la substance étrangère. En vain.
Cela n’était qu’un spectre de Xana.
La créature s’en alla aussitôt rejoindre son maître, après être sorti de son plein gré du corps adolescent.
Mais il avait laissé quelque chose derrière lui.
Du sang.
Du sang qui ornait les tombes. Sur chacune il avait gravé un bout de message.
Ulrich était furieux de voir son travail ainsi détruit.
Il savait ce qu’il avait à faire.
Il saisit son éponge et recommença à soigner les pierres tombales.
La nuit était tombée depuis longtemps lorsqu’Ulrich rentra chez ses parents.
Il ouvrit précautionneusement la porte. C’est sans un bruit qu’il fila en cuisine.
Ses parents étaient assis dans le salon. Ils se regardaient en chien de faïence.
Ulrich découpa les légumes puis les mit à cuire. Il avait un peu de temps devant lui, alors il allait lancer une machine de lessive et changer les draps dans les chambres de ses parents.
Tout du long, le message de Xana n’avait pas quitté son esprit. C’était un message alambiqué. Conçu comme une énigme. Il avait tourné dans la tête d’Ulrich qui croyant aux forces de l’esprit l’avait retourné en tous sens. La signification avait fini par lui apparaître. Elle avait juste eu besoin de temps pour reparaître après avoir été déposé en lui.
Choix. Menace. Chantage.
Soumission.
Tuer ou mourir. Tel était le choix.
S’abandonner ou se désagréger.
Il avait un choix, et quel choix. Se soumettre ou se démettre.
Mais la démission est une soumission.
Et la vassalité une capitulation.
Mourir ou mourir ; « être ou ne pas être ». Ulrich se dit que pour la première fois il commençait à entrevoir le début de ce que Gide avait voulu dire.
Ulrich en avait fini dans la buanderie. Il remonta s’occuper de ses légumes.
Ils commençaient à être bons. C’était le moment de couper la viande en morceau, avant de l’intégrer au reste.
Tuer ses géniteurs, ces parents.
Accepter d’entrer au service de Xana.
Assassin !
Possédé !
Xana .
Ulrich.
Traître !
Félon !
Le Père avait perdu. Volonté brisée qui s’épanchait en larme sur le tapis.
Sa Mère triomphante comme militante se retourna vers son fils et le sermonna avec l’assurance et l’expertise que procurent les années d’exercices.
Ulrich n’écoutait plus.
Car l’heure du choix approchait.
Xana avait promis. Et Ulrich savait que Xana avait toujours tenu ses promesses tacites comme explicites. Comme s’il était tenu par une forme de hauteur chevaleresque.
Ulrich avait le couteau en main.
Un bon et solide couteau à viande, à la lame de céramique parfaitement aiguisée.
Avec elle il tranchait les chairs les plus molles comme les plus solides.
Il fit revenir les morceaux dans l’huile, puis les ajouta à sa fondue de légume. Ayant ainsi dégagé son plan de travail, il commença à laver la planche à découper. Une fois que ce fut fait, il commença à laver les couteaux qu’il avait employés.
Enfin, il arriva au dernier.
Le couteau à viande.
Cadeau d’un ami d’antan. Un métayer du domaine, qui lui avait appris à vider le gibier, à tanner les peaux.
Ulrich se rappelait… dans le bureau en style moderne et transparent du notaire… la lecture du testament. Il ne savait pas pourquoi il devait être ici… c’était à la toute fin… il n’avait pas entendu les mots du notaire… mais le juriste lui avait tendu un étui… Dedans, le couteau de Jean. Son couteau.
Ce n’était pas une belle pièce. Ce n’était pas un laguiole ou un opinel. C’était une arme. Brute. Faite pour percer et couper les chairs animales et humaines. Il savait que Jean le tenait de son père, qui lui-même l’avait hérité de son père… Schéma répété pendant des générations.
Ulrich remua les légumes, puis contourna le bar. Il devait aider sa mère, car le reflux serait bientôt sur elle.
Tuer, mourir. Devenir, rester.
Il s’approcha de ses parents. Il saisit sa mère dans ses bras, et commença à la guider vers sa chambre en contournant le canapé. Le père lui lança un regard tout mêlé de contrition et de haine puis s’en retourna à la contemplation morose de la forêt.
Éclore, imploser.
Ulrich enfonça le couteau dans le dos de sa mère.
Les pensées s’entrechoquaient en Ulrich.
Il ressortit le couteau.
Se soumettre ou se démettre. Le choix tournoyait en lui, le laissant seul au milieu des abysses de son for intérieur.
Il abattit le couteau une dix-septième fois dans le corps maternel.
Vertu et gloire; le passé ne parlait pas.
Ulrich se rapprocha en silence de son père.
Il abattit le couteau.
Une fois puis deux.
Deux larmes avait coulées et séchées le long des joues d’Ulrich.
Dix-sept coups à nouveau. Égaux dans la mort et les sentiments.
Ulrich retourna dans la cuisine, éteignit sous les légumes, nettoya son couteau.
Il mangea, puis fit couler un bain. Après s’être lavé, il changea de vêtements et coupa ses cheveux.
Il se rendit au caveau.
Là, derrière la tombe. Il y avait une pierre descellée dans la tombe de Claude Busset.
Il y déposa le couteau immaculé, rangé dans son étui comme dans son esprit.
Il remis en place la pierre.
Il resta là encore quelques instants, s’imprégnant des sentences inscrites sur marbres et pierres.
Enfin, il ressortit et rentra dans la maison des parents.
Il appela la police.
« Jérémie, j’espère que tu pourras régler tout cela. Pour Aelita. »
_________________
Novacula in totem
Le couteau sur la pierre
Erasme, Adages, 20
_________________ AMDG
Prophète repenti de Kane, vassal d'Anomander Rake, je m'en viens émigrer et m'installer en Lyoko.
Dernière édition par Silius Italicus le Jeu 11 Fév 2021 15:46; édité 5 fois
Posté le: Mar 08 Déc 2020 19:05 Sujet du message: Couverture
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Jérémie venait de rentrer dans sa chambre quand il vit son ordinateur se mettre dans tous ses états. Xana s’agitait une fois encore. Décidément, il n’aurait aucun répit ! Le temps de relever les informations de base rapportés par le Superscan, il dégaina son téléphone et sonna le rappel des troupes.
— Ulrich ? On a une tour activée par Xana.
— Quoi, juste avant le dîner ? s’exclama-t-il. Il n’a vraiment pas de cœur, même pas une minute pour manger...
— Parle pour toi ! reprit la voix d’Odd suffisamment fort pour être entendue à travers le téléphone de son colocataire. Moi j’avais un rencard avec Cathy, ce soir !
— Allez, rassura Jérémie. Avec un peu de chance, on peut prendre Xana de vitesse, et boucler ça rapidement ! Prévenez Yumi, je m’occupe d’Aelita !
— OK, à tout de suite.
Jérémie raccrocha, et appuya aussitôt sur la touche de composition rapide pour appeler Aelita, tout en sortant de sa chambre. Le téléphone sonnait encore quand il tomba nez à nez avec elle juste sur le pas de sa porte.
— Ah, bah tiens, tu tombes bien ! Xana a activé une tour !
— Oh, d’accord, hé bien allons-y !
Les deux adolescents se mirent alors en route au pas de course, coupant droit à travers le parc, sous un ciel teinté d’un dégradé orange crépusculaire.
Quel était le plan de Xana, cette fois-ci ? Jérémie n’avait repéré aucune activité étrange. Rien sur les caméras de surveillance de l’Usine. Rien sur les réseaux sociaux ou à la télévision. La situation sur Lyoko étant suffisamment calme, l’informaticien décida d’étudier un peu le flux de données échangées entre la Tour et le reste du monde.
Il fallait d’abord isoler les paquets de données spécifiques à cette Tour. Et bien que le code de détection du Superscan aidait un peu, ce n’était pas facile pour autant. Cela pouvait paraître idiot, mais il est bien plus simple de localiser directement une Tour activée dans le capharnaüm de données générées par Lyoko que de trier les dites données en fonction des Tours qui les généraient. Entre l’absence de protocole unifié de communication, mais aussi la vétusté des fonctionnalités fournies par les langages de script en console implémentés, et bien sûr les spécificités inhérentes aux aspects quantiques de la programmation fondamentale de la machine, cela faisait une raison supplémentaire pour Jérémie de ne pas se lancer systématiquement dans des analyses de données à la volée. Isoler les données spécifiques à la Tour. Rien qu’à repenser à pourquoi il ne le faisait pas d’habitude, ça le décourageait déjà. C’était comme être en face d’un cocktail de jus, ou un mélange de peinture. Déterminer que l’un des composants était en sur-dosage et prenait le pas sur les autres, facile ! Défaire le mélange ? Heh !
Tant pis. Il y avait d’autres approches qu’il était possible d’essayer. Être plus malin. Le hacking, ou l’informatique en général d’ailleurs, ce n’était pas qu’une question de connaissance, de logique et de rigueur mathématique. C’est aussi tout un monde d’astuce, d’inventivité et de créativité pour contourner les problèmes et les contraintes de façon originale et ingénieuse. C’est ce qui donnait son aspect amusant, et même un peu magique, à cette science.
Les niveaux d’énergie du réseau électrique du laboratoire semblaient tout à fait normaux, et comparables en tout point au profil d’activité témoin, constaté en situation de repos. Peu de chances que Xana se serve donc du réseau électrique. Seule option, donc, la connexion au Réseau. Pas la peine de vérifier qui envoie les colis, si on peut voir où ils vont ! Et ça, pour le coup, c’était plus facile. Le supercalculateur étant comme un immense entrepôt de livraison. Chaque colis était plus ou moins bien étiqueté et son origine plus ou moins facilement traçable, certes, mais il y avait une information qui figurait nécessairement sur chacun d’eux de façon claire : leur destination. Après tout, tout le monde ne s’amusait pas à être quantique à tout va. L’extérieur était simple et classique. Un paquet, confié à un facteur, qui l’envoyait à une personne, qui allait l’ouvrir. Ou le jeter. Simple.
Pour cela, rien de tel qu’un bon petit sniffeur de paquets réseaux branchés sur l’interface physique du supercalculateur correspondant au raccordement réseau. On ajuste les paramètres pour étendre la portée de l’analyse à un large spectre, et on ajoute des filtres pour tenter de cibler des informations intéressantes, plutôt que de devoir lire trente-six mille lignes à la seconde. Quand soudain, le contre-espionnage informatique devenait une partie de pêche. Choisir les bons hameçons, et espérer attraper quelque chose d’intéressant. L’aspect magique étant matérialisé par la possibilité d’enregistrer la rivière, et de la rembobiner pour tenter d’y pêcher à nouveau avec d’autres hameçons. Mais c’était infiniment moins drôle.
Et déjà, cela s’avérait efficace. De nombreuses requêtes étaient émises vers un certain nombre de serveurs situés à l’étranger. Russie, Chine, Roumanie... des paradis plus ou moins évidents pour les activités obscures d’internet. Beaucoup de pistes qui s’enfonçaient probablement immédiatement dans des forêts sombres aux chemins tortueux. Ctrl+S. Peut-être y aurait-il autre chose à découvrir.
— Jérémie, tu dors ou quoi ? demanda soudain Odd. Tu aurais pu nous prévenir !
— Hé, je bosse aussi de mon côté, qu’est-ce que tu crois ! répondit Jérémie, en tournant la tête vers l’écran dédié à la surveillance de la situation sur Lyoko, où plusieurs signaux rouges venaient effectivement d’apparaître autour des icônes symbolisant ses amis.
D’instinct, il frappa la touche commandant la vue en perspective, ce qui confirma son intuition.
— Vous avez quatre blocs, deux devant vous et deux sur les hauteurs à vos six heures.
— Ah ? Ah ! Merci Jérémie, ils allaient nous prendre en traître, ces filous !
De la hauteur, et du renseignement global. Ça aide toujours à y voir plus clair. Jérémie pianota dans un terminal pour retrouver le répertoire où il avait rangé le code de son outil de localisation de Xana, celui-là même qu’il avait développé conjointement avec Aelita avant de découvrir que Xana avait eu cette bonne idée, à cette époque, de ne pas se cacher en un endroit en particulier, mais partout à la fois. Logique. Mais bref, ce logiciel avait tout de même une qualité, celle d’avoir été designée par Aelita. Si c’est lui qui a réalisé toute l’implémentation métier, il fallait reconnaître que laisser la partie de l’UI/UX à l’Ange de Lyoko avait du bon, et du beau d’ailleurs.
Le composant qui l’intéressait, dans cette application, c’était la carte. Aelita avait codé un module qui récupérait toutes les adresses IP que le programme initial de Jérémie tentait d’analyser pour y détecter une éventuelle présence de Xana, les passait de façon systématique et par bloc dans un script de requête Whois afin de confirmer leur géolocalisation, et branchait enfin ces informations sur une interface visuelle plutôt léchée et raccord avec la charte graphique de fait du système d’exploitation du supercalculateur. Et pouf, un beau planisphère avec des flèches indiquant explicitement où on allait. Il suffisait de deux ou trois minutes pour rebrancher ce module à l’analyse en cours des flux sortants sur supercalculateur. Et voilà ! La carte se peuplait rapidement de flèches foisonnant dans tous les sens.
Le temps d’accumuler quelques données, Jérémie reporta à nouveau son attention sur Lyoko. Il ne restait plus qu’un ennemi.
— La Tour est juste derrière le récif sur votre droite. Pas d’autres ennemis en vue.
— D’accord, super Jérémie ! répondit Ulrich.
— Toujours pas d’infos sur l’attaque de Xana, cette fois ? demanda Yumi.
— Je planche dessus. Mais pour l’instant, non.
Jérémie revint à sa carte. Rien de spécial pour l’instant. Mais soudain, il vit le supercalculateur envoyer une rafale de requêtes vers un grand nombre de serveurs, à travers le monde entier. Qu’est-ce que pouvait bien fabriquer Xana ? Il ouvrir le détail d’une requête, au hasard. Destiné à la Suisse, c’était un modeste paquet de données chiffrées. Un autre, en tous points identiques, parti pour le Delaware aux États-Unis. Encore un, cette fois-ci pour la Belgique. Tous identiques.
Une analyse un peu plus poussée du contenu d’un de ses paquets fit lever un sourcil à Jérémie. La signature lui était familière, il l’avait croisée il y à peine quelques jours... Cette signature était caractéristique du protocole de communication Swiftnet. Le protocole de communication sécurisé spécifiques aux interactions interbancaires. Il lança immédiatement son logiciel de décryptage passe-partout sur le corps des messages transmis dans ces paquets, la force de frappe de calcul du supercalculateur lui-même à l’appui.
Qu’est-ce que Xana pouvait bien faire à sonder toutes les banques du monde ?
Jérémie s’apprêtait à informer ses amis sur la nature de l’attaque, quand le logiciel de décryptage afficha ses résultats, encore un peu plus rapidement que ce que son utilisateur espérait. Et ce dernier se ravisa de prévenir ses camarades. Car ce qu’il voyait devant ses yeux, ce n’était pas, comme il s’y attendait, des ordres de virement bancaires quelconques que Xana aurait établis dans le cadre d’un grand plan d’ensemble consistant à instiller une paralysie contrôlée du système sociétal et bancaire par le biais d’une corruption des flux bancaires savamment orchestrée. Ou follement, au choix. Ce n’était pas ça. Là, devant lui, une requête simple. Et là, dans le tableau des paramètres passés avec l’instruction, à la troisième ligne, un numéro de compte. Son compte bancaire secret. Enfoiré de Xana !
Jérémie vérifia la situation sur Lyoko, et intima aux siens de presser le pas. Il évoqua les activités suspectes de Xana sur les réseaux bancaires, sans entrer dans les détails. Car ce n’était pas le moment pour expliquer qu’il avait créé un compte bancaire de façon un peu douteuse en piratant les enregistrements informatiques d’une banque canadienne, autant pour renforcer la couverture d’Aelita Stones que pour masquer les sources de financement de ses opérations, plus ou moins légales et légitimes. Ses amis ne se rendaient pas totalement compte du poids financer qu’avaient les Lyokoguerriers : acheter le matériel informatique nécessaire pour rivaliser dans la course à la suprématie numérique contre Xana, acheter les matériaux nécessaires pour fabriquer les dispositifs et outils expérimentaux pour lutter contre les sbires de Xana, acheter l’équipement de surveillance pour défendre l’Usine contre les intrus, qu’ils soient civils ou contrôlés par Xana... Et comme ils s’étaient fait la promesse de ne pas utiliser le Retour vers le Passé inconsidérément, Jérémie avait pris sur lui de trouver ses propres fonds secrètement, quitte à ce que cela ne soit pas parfaitement légal. Et de toute évidence, c’était ces fonds que Xana visait.
L’opérateur pianota un peu plus fébrilement sur son clavier, à la recherche d’autres indices. Des métadonnées oubliés, des patterns... Il remarqua que Xana passait en revue toutes les banques du monde à travers le réseau Swiftnet, dans l’ordre. Étrange, mais pas incohérent. Xana n’avait qu’un numéro de compte, et techniquement, il fallait le compléter par l’identifiant d’établissement bancaire pour localiser définitivement le compte proprement dit. Xana se lançait donc dans une analyse parfaitement procédurière, ironiquement très semblable à ce que faisait Jérémie lorsqu’il utilisait cette même carte pour localiser Xana sur le Réseau. Cette façon de procéder avait le bénéfice d’accorder un peu de temps. Environ... Deux minutes trente, à ce rythme.
Les Lyokoguerriers n’étaient pas loin de la Tour, ils pouvaient le faire, si Xana ne leur envoyait pas de monstres supplémentaires... Mais bien évidemment, c’est ce qu’il fit !
— Un nouveau monstre approche ! Aelita, fonce, les autres vont te couvrir !
— T’es sûr ?
— Oui, on a pas le temps !
— Trop tard ! Il nous barre la route !
— Mais qu’est-ce que c’est que cette chose ? s’exclama Odd.
— Vous ne pouvez pas le contourner ?
— Difficile à dire, il semble avoir une sacré portée d’attaque...
Jérémie regardait, stressé, les banques égrainées les unes après les autres. Il n’y avait pas assez de temps pour lancer des contre-mesures efficaces capables ne serait-ce que de ralentir Xana, et ce dernier se rapprochait de plus en plus dangereusement de son objectif. Plus qu’une minute...
— Qu’est-ce que c’était que cette chose ?
— On aurait dit une autruche, perchée sur ses deux pattes...
— Tu déconnes, c’était un vrai Raptor, avec sa queue massue étrange !
Aelita s’approcha de Jérémie, concentré sur son pupitre, tandis que les autres débattaient de l’apparence de ce nouveau monstre en se dirigeant vers le monte-charge.
— Tu viens, Jérémie ? Avec un peu de chance, il y aura encore quelque chose à dîner...
— Allez-y, je vais rester travailler un peu.
— D’accord Einstein, mais ne te couche pas trop tard ! conclut-elle en allant rejoindre les autres.
Heureusement, ils n’avaient pas posé plus de questions. Jérémie aurait toute la nuit devant lui pour mettre les choses au clair. La bonne nouvelle, c’était que Xana n’avait finalement pas réussi à mettre la main sur ce fameux compte bancaire. Une chance que le Canada n’ait pas adopté le standard international et ne dispose pas de codes IBAN conventionnels pour ses comptes. Xana n’avait donc pas eu de réponse immédiate à sa requête de test, bien qu’il avait réussi à atteindre la bonne banque.
La mauvaise nouvelle, c’était que le problème était toujours entier : comment Xana avait-il réussi à obtenir ce numéro de compte ? Un retour vers le passé n’y changerait rien. S’il y avait un défaut dans le dispositif de sécurité virtuelle que Jérémie avait bâti autour de lui et de ses amis, il allait devoir le trouver et le corriger très rapidement. Il ressortit de ses dossiers secrets dissimulés dans la partition protégée du supercalculateur le plan de son montage financier, entra la phrase de passe pour le déchiffrer, et en étala le contenu sur ses écrans.
Tout partait d’un investissement préalable de 1450 euros. Toutes les économies d’un jeune garçon en internat, dont les frais propres étaient payés par des parents modestes mais aimants et dévoués. De l’argent de poche qu’il avait soigneusement gardé de côté, et épargné autant que possible à chaque fois qu’il voulait s’offrir une nouvelle folie pour son ordinateur et qu’il trouvait le moyen d’y installer une pièce de récupération à la place. Ces économies, il les avait tout d’abord misées sur des placements à faible risque : des plateformes de prêts privés non bancaires. Bonne fiabilité et rendement correct, pour du légal non boursier. Ca ne devait servir que d’appoint, à l’époque, mais après que les quelques jours que devaient prendre la matérialisation d’Aelita s’étaient transformés en quelques mois, la somme avait déjà un peu grossie. C’est alors qu’il avait décidé d’aller jouer sur les marchés boursiers. Bien sûr, il fallait être prudent, alors il se contentait de se baser sur des indices de suivi mondiaux relativement sûrs. Cela se passait sur un compte d’assurance vie, ouvert à son nom. Il lui avait seulement fallu une autorisation légale de ses parents, mais ce n’était qu’une formalité, ceux-ci faisant plus confiance à leur fils qu’à eux même pour prendre soin de son argent. Des placements sûrs, donc, mais Jérémie ne se privait pas, à quelques occasions, d’aller faire de jolis coups. Ça, c’était venu après l’expérimentation de son logiciel de surveillance des réseaux d’information qu’il avait mis au point pour détecter les attaques de Xana, avant que le Superscan et le trending Twitter ne le rende obsolète. Ce logiciel, il lui avait offert une seconde vie en le convertissant en système de suivi prédictif des indices boursiers. Aussi, il lui arrivait d’émettre des ordres spécifiques pour l’achat ou la vente de certaines actions particulières. Ça marchottait plutôt bien. Et la rentabilité était garantie par son arme secrète : les Retours vers le Passé. Oh, bien sûr, il n’en avait jamais lancé pour gagner de l’argent. Mais quand il fallait en lancer un de toutes façons, il saisissait l’occasion pour y faire une plus-value financière en prime.
Un an avait passé, et il avait ajouté un zéro à son pécule. Les choses commençaient à devenir intéressantes et en même temps, plus compliquées. Le temps passant, Jérémie avait fini par réaliser que la matérialisation sur Terre d’Aelita n’allait pas être aussi simple : il fallait lui créer une identité, une couverture, mais aussi payer ses frais de scolarité, de bouche, et tous les extras. Ça s’était imposé à son esprit après l’exécution du premier Code Terre. Il était temps de passer à la vitesse supérieure. Tout d’abord, une identité. Pour rendre plus crédible la supercherie, il fallait une identité étrangère, beaucoup plus difficile à tracer par les petites autorités. Mais pour justifier l’introduction d’Aelita à Kadic et nulle part ailleurs, il fallait une histoire qui tienne la route. Celle toute trouvée, c’était celle du rapprochement familial. L’histoire, pas tout à fait fausse d’ailleurs, devait donc être qu’Aelita, devenue orpheline, rejoigne une branche un peu éloignée de sa famille et atterrisse donc à Kadic. Pour cela, il fallait d’abord une famille. Les Belpois étaient conciliants, mais pas tant que ça non plus. Les Stern, hors de question. Les Ishiyama... encore, si cette option n’avait pas été grillée dès la première tentative... mais non plus, les parents étaient trop proches, trop facilement accessible. Trop problématique. Trop de questions gênantes possibles. Restait Odd, et ses parents suffisamment détachés, autant sur la carte que sur le plan émotionnel, pour que ça fasse l’affaire. Aelita serait donc une cousine des Della Robbia. Son nom d’emprunt, sur proposition de l’intéressée, serait Stones. Il fallait encore inventer une date de naissance qui colle avec son âge apparent, la faire naître dans un trou perdu au fin fond du nord québécois, et on avait un premier brouillon. Une journée de montage photo plus tard, et Jérémie avait des prétendus numérisations convaincantes de papiers d’identité pour sa bien-aimée. Mais bon. Avoir quelques photocopies couleur, une lettre bidon et un faux témoignage, cela serait suffisant pour inscrire Aelita à Kadic, certes. Mais la suite n’allait pas être aussi facile.
Parce que oui, il n’allait pas falloir très longtemps avant de devoir présenter Aelita à un examen médical - Kadic n’était pas un de ces établissement en zone soit-disant prioritaire que Jérémie avait pu connaître jadis, où une infirmière étaient éventuellement visible deux demi-heures par mois. Il faudrait donc un carnet de santé, et ultimement, une carte vitale et une mutuelle. Il allait aussi falloir prévenir la possibilité d’un check-up administratif, au plus tard au passage au lycée. Pour cela, il fallait régulariser Aelita, soit en bétonnant un dossier d’immigration, soit en créant ex-nihilo une identité française. Et enfin, la rente boursière était pas mal, mais un internat coûtait plus cher que ça à l’année.
Jérémie avait mis alors les bouchées doubles. Des investissements boursiers plus agressifs, notamment lorsqu’ils étaient soutenus par un Retour vers le Passé, accompagnées de pertes minimales arbitraires, juste par sécurité, pour éviter d’éveiller les soupçons. Une diversification des placements, avec plus de prêts privés, des placements garantis d’état pour l’avenir (mais ça, c’était vraiment pour la forme), et puis finalement, des vingtièmes prix à diverses loteries. Haha, heureusement que Jérémie avait pu ajouter encore un chiffre supplémentaire à sa fortune et passer à l’étape suivante rapidement. Il se serait senti d’autant plus mal s’il en étant encore là au moment de l’incident du ticket de loterie d’Ulrich... Mais maintenant que la somme initiale n’était plus si faible, Jérémie avait assez de marge de manœuvre pour commencer à éliminer les problèmes méthodiquement, les uns après les autres. Tout d’abord, il créa un nouveau compte bancaire afin de séparer ses sources de financement. Il en profita pour expérimenter la procédure sur une banque canadienne, autant pour éloigner l’information de lui que pour se préparer à le refaire le moment venu pour Aelita. Ensuite... Financer sa scolarité ? La rente boursière devrait suffire, au moins un temps. De même pour assurer les frais de fonctionnement de Lyoko : Jérémie allait pouvoir envisager d’expérimenter plus librement. Il avait quelques plans, comme des armes EMP, à tester. Restait la principale difficulté de la situation légale d’Aelita. C’était à ce moment que commençait les affaires... justement, pas très légales.
Il fallait, à minima, une pièce d’identité canadienne valable. Trop de systèmes administratifs différents, de bureaux, de bases de données, de procédures, de vérifications, de détours. De plus Jérémie s’était inquiété de plus en plus des risques encours par Aelita à n’avoir rien d’autre que des fichiers PDF en guise de papiers d’identité. Pour éviter d’être pris au dépourvu, il s’était alors plongé dans les tréfonds du dark web, sur des sites non répertoriés et difficiles d’accès. Là, on pouvait y trouver tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi. C’était tout d’abord oppressant, mais rapidement, cela devenait plutôt intéressant, et même amusant. En effet, il s’y trouvait facilement des articles sur la confections d’engins pyrotechniques artisanaux avec diagrammes complets fournis, des recettes de "cuisine" à base d’ammoniac et de goudron, ou encore des liens vers du contenu pornographique "pas nécessairement pas juvénile". Mais on y trouvait aussi beaucoup de liens vers des versions déplombées d’archives de livres, des compilations de musiques et de films introuvables dans le commerce, des explications sur les façons les plus adéquates de fuir les surveillances d’états policiers, ou encore des débats politiques ouverts et relativement calmes. C’est là, au détour d’un sous-forum un peu plus obscur, que Jérémie avait trouvé des personnes proposant la confection de faux papiers. Le doute l’avait pris, déjà : était-ce nécessaire ? Les montages financiers, esquivant la facilité du piratage pur et simple, c’était pour donner une base légale à l’argent que devra utiliser Aelita. N’était-ce pas possible d’en faire autant pour l’identité ?
À cette époque, Jérémie avait conclut que non. Aelita aurait forcément besoin de papiers d’identité. Ne serait-ce que pour le cas d’un contrôle de police fortuit. Monter un dossier à la mairie, faire passer ça par le consulat du Canada et je ne sais quelle préfecture... C’était possible, mais affreusement long, compliqué et risqué. Dans l’urgence, des faux papiers pourraient sauver la mise. Il avait alors passé commande d’un kit sur mesure. Carte d’identité et passeport canadiens, et au cas où, la même chose mais flanqués des lettres R et F. Pour éviter d’être facilement traçable, il avait troqué le service contre un autre. Un détournement d’une caisse de marchandises, une petite douzaine de VZ61, quoi que ça puisse être. Ça, c’était facile. Un petit piratage informatique, et ni vu ni connu. La prime pour ce service revenant sur son compte canadien. Il s’était servi de cet argent pour commanditer la livraison de sa commande, de sorte à ne pas directement se le faire poster à Kadic. Deux semaines plus tard, il avait trouvé les documents demandés, dans une enveloppe kraft scotchée sous un banc, dans une partie peu fréquentée d’une gare. Tout y était : la photo, le nom, les informations choisies par Jérémie, mais aussi le filigrane de sécurité, les effets reliefs, la texture du papier... C’était parfait.
Enfin, jusqu’à aujourd’hui. Parce que si cette pièce leur avait bien sauvé la mise une fois ou deux, avant que Jérémie ne parachève la grande campagne d’introduction d’Aelita au monde réel du point de vue administratif, c’était aussi une faille. Jérémie avait créé un compte bancaire canadien tout à fait légal au nom d’Aelita, dès qu’il avait réussi à introduire son nom dans les registres canadiens et qu’il avait pu vérifier que cela n’avait levé aucune alerte ou que ce soit. Mais du coup, désormais, cette carte d’identité canadienne falsifié au numéro unique bidon était une tâche sur l’identité correspondante. Mais cela ne justifiait toujours pas comment Xana avait pu obtenir le numéro de son compte secret. Le fabricant de documents n’avait jamais eu de contact direct avec son argent. Et si...
Et si ce n’était pas le fabricant, mais le livreur ? Jérémie réalisa qu’il avait été moins précautionneux en ce qui le concernait. Peut-être qu’il avait consulté sa livraison, et noté le nom sur les documents d’identité, ainsi que le numéro du compte bancaire utilisé pour le payer ? Si cette information existe bel et bien quelque part, Xana l’aura certainement utilisé pour remonter jusqu’à lui. Une heure de piratage ciblé plus tard, facilité par le supercalculateur encore une fois pour passer outre les étapes de recherche de failles 0-day et d’infiltration par ingénierie sociale, efficaces mais terriblement chronophages quand on est dans l’urgence, et la preuve était faite. Là, sur un serveur de données non répertorié utilisé par le prestataire de services illégal, entre autres documents parfaitement banals et des listings de commandes à traiter, un document plus précieux que les autres : une liste d’objets livrés mis en correspondance avec les numéros de compte bancaires employés pour payer les livraisons. Le genre de traçabilité très bienvenue le jour, mais difficilement appréciable quand on se trouve sur la face nocturne d’internet. Un coup d’œil aux méta-données et aux registres d’inodes du système pour écarter la possibilité d’une copie de sauvegarde du document autre part, une modification discrète pour retirer l’entrée lui correspondant au milieu des centaines d’autres, et pour la forme, quelques autres suppressions, au hasard, afin de masquer son véritable objectif. Le numéro de compte du client qui avait demandé un déroutage de colis était là aussi. Jérémie le laissa en place, mais envoya un message anonyme à la personne pour le prévenir. Ainsi, quelqu’un d’autre que lui-même se chargerait d’obtenir le silence de ce livreur indélicat.
Et voilà. Menace éliminée. Il était trois heures du matin. Il restait bien assez de temps jusqu’au lever du soleil pour abandonner ce compte compromis, et recréer un nouveau dépôt secret autre part. Plus besoin de le faire au Canada, même si l’astuce du non indexage IBAN l’avait tiré d’affaire. Autant chercher des banques dans des pays offrant un réel secret bancaire. Et puis, autant en profiter pour diviser le pactole afin de diminuer le risque. Les portefeuilles cryptographiques gagnaient en intérêt, ainsi que les services bancaires dématérialisés...
Au petit matin, Jérémie avait bouclé son affaire. Le soleil se levait à peine quand il traversait le pont. Encore une opération rondement menée. Le jeune homme se surprit à se demander combien tout cela était moral. Mais il lui était difficile de concevoir d’en faire moins pour assurer la survie, la tranquillité et le confort d’Aelita, ainsi que l’efficacité de tout le groupe contre leur ennemi Xana. Et il se disait qu’il était dans un même temps particulièrement raisonnable, tant il avait les capacités et les possibilités d’en faire plus. Ces VZ61 se vendaient à bon prix, après tout, et il était fort simple d’en acquérir des stocks, avec ses moyens.
Cela rassurait Jérémie de constater qu’il ne se laissait pas encore entraîner dans une logique trop dangereuse. Et puis, cela lui donnait une idée aussi. Ce monstre, qu’ils avaient croisé la veille, qui était apparu pour le prendre en traître d’un coup arrière... il le baptiserait le Skorpion. _________________
« C’est marrant, mais il me semblait avoir été plutôt poli, quand je t’ai demandé de dégager de ma vie, il y a vingt ans ».
Michel Belpois soupira. Il y a deux décennies de ça déjà, il n’avait plus l’âge ou le temps pour ce genre de futilités. Alors, pourquoi s’imposait-il encore ça, du haut de ses canoniques quarante-cinq ans ?
« Walter, crois-bien que si je pouvais me passer de tes services, tu serais soit dans ta petite maison, soit dans ton éternelle demeure.
— J’imagine que tu te décideras entre les deux selon comment je t’enverrai te faire voir ?
— Peut-être bien. Tu sais, pour moi la famille du cœur est aussi sacrée que celle de mes certificats, vrais ou faux.
— Tu peux pas t’empêcher d’être un putain de cliché, hein ? Ça ne m’impressionne plus, Michel. Va droit au but. »
Culotté, pour quelqu’un qui ne pouvait pas s’enfuir, de toute façon. Même s’il n’était pas saucissonné au siège du patron, Walter devrait affronter des portes fermés et des gardes armés. Et comme il y avait fort à parier que Walter n’avait pas le talent de son fils au Pencak-Silat…
Enfin. Il le connaissait, son vieil ami d’enfance. Il aboyait plus qu’il ne mordait. Déjà, quand ils étaient gosses ; c’était toujours à Michel que revenaient les honneurs des mises au point et autres règlements de compte avec les voyous de Kadic. Oh, pas que ça le dérangeait ; et dans le fond, il était très aidé. Les rumeurs sur les activités de son père allaient bon train. Qui étaient ces hommes, toujours vêtus de noir, qui venaient chercher le petit Michel à la sortie de l’école, à bord d’une rutilante Porsche 356A ? Est-ce que monsieur Belpois était diplomate, ou agent secret, ou trafiquant de médicaments ? Quel respect Michel aurait imposé, s’il avait révélé que son père était un peu des trois ! Charles Belpois, fraîchement arrivé en France après que l’Italie des 'Ndrangheta lui ait mis sa botte aux fesses pour une négociation à l’épilogue fâcheux, avait changé de nom et tenté de reprendre une activité dans sa nouvelle patrie. Il se serait bien essayé à la légalité, mais l’évidence s’était imposée ; il était fait pour tenir des armes et des puissants entre ses mains. Mais, au grand dam du petit Michel, jamais il n’avait réussi à faire fortune, malgré les grandes histoires qu’il rapportait à son fils le soir. Ce n’était qu’une fois adulte que ce dernier avait compris que la tiédeur de son paternel à jouer plus franchement s’expliquait par le fait qu’en principe, on ne quitte pas une organisation mafieuse vivant. En clair, il s'était caché comme un loup traqué mais incapable de tout à fait devenir un agneau. Les hommes de main qui protégeaient Michel et son frère cadet n’étaient pas là que pour impressionner les collégiens. Alors, le jeune héritier avait juré de créer un patrimoine plus digne pour son futur enfant. Il avait appris l’art de son père, l’avait perfectionné au détriment des petites frappes du lycée, et avait même réussi à faire de son meilleur ami, Walter Stern, un bon bras droit. Pas très fort, certes, mais toujours prêt et disponible. Il fallait bien commencer quelque part. Puis étaient venus leurs vingt ans et l’agonie de Charles Belpois. Le patriarche avait lentement été rappelé à Dieu par un violent infarctus ; Michel n’avait eu que peu de temps pour apaiser son agonie. Il lui fallait monter en gammes avec un coup osé. Mais avec un seul homme et peu de moyens… Quelque chose en lui avait mûri cette année-là. Tout comme le portefeuille des Stern, que les activités spéculatives du paternel avait rempli à craquer. Jamais Michel n’aurait eu meilleure occasion. Il avait alors jeté tout sens moral à l’eau et a tenté son premier coup d’intimidation. Il avait fait croire à Walter qu’il devait simuler son enlèvement pour obtenir une petite somme d’argent, quelques centaines, pas plus, pas la mort en somme. Jouer sur les tensions dans la famille Stern n’avait rien eu de compliqué ; Walter haïssait son père. Il le voyait comme un profiteur qui n'avait fait que jouer avec une chance insolente. Lui extorquer quelques francs, ce serait comme lui donner une leçon d’humilité, n’est-ce pas ? Walter n’avait pas marché, il avait couru. Quand son père avait téléphoné au numéro indiqué dans la lettre de menaces que Michel avait laissé dans leur salon, le parrain en herbe n’avait eu qu’à exiger une somme plus grosse que prévu. Il le savait, le père Stern aimait son fils, plus que ce que ce dernier ne l’avait jamais compris. Eh, qui sait, peut-être que ça les rabibocherait, tous les deux ? Il en avait souri, en ramassant le pactole. Trois millions, plus de la moitié des récents gains de la famille. De quoi permettre à Charles Belpois de partir en paix, et à Michel de se lancer sur ses traces.
Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était que les Stern ne se referaient pas. Les parents de Walter avaient avancé de gros achats. Pour rembourser vite, le père avait dû jouer plus tendu… Michel l'avait vu comme une occasion. Monsieur Stern s'était peut-être acculé, mais il restait talentueux. Le jeune Belpois avait repris ses menaces sur lui, en le cachant à son ami. Depuis que Michel était passé aux choses sérieuses, Walter semblait plus timoré, plus… légaliste. Soit, soit, après tout les amis sont là pour se comprendre. Mais, à la fin, les affaires sont les affaires. Michel avait pu faire pression sur le père Stern pendant quatre ans, avant que ce dernier n’envoie tout en l’air. Dont sa propre personne, du haut d’un building. Walter n’avait pas tardé à apprendre ce qui se tramait, et avait demandé des comptes à Michel. Le jeune chef joua très serré, pour justifier qu’on n’abatte pas un bras droit qui clame qu’il ne marche plus et qu’il ne pourra jamais lui pardonner. N’empêche que, depuis, il avait discrètement aidé Walter à se reconstruire, à bâtir sa vie d’homme d’affaires brillant ; il n’avait même pas eu le goût de lui rendre visite, quand son ancien bras droit avait prétendu lors de sa mutation à la tête d’un prestigieux service, qu’il se battrait contre toute forme de corruption. Le petit con.
Honnêtement, Michel aurait pu continuer comme ça. Il en était enfin arrivé au stade où son ancienne amitié tenait du souvenir d'enfance heureux. Tout juste souriait-il, quand il voyait son fils grandir et qu'il se rappelait de ce que c'était, à son âge. Mais le chérir, lui offrir tout ce qu’il voulait, tout le matériel informatique qu’il demandait pour ses robots, tous les livres qu’il réclamait pour ses devoirs, ça demandait bien trop de temps et de cœur pour qu’il s’attarde sur ceux qui l’avaient rejeté.
Mais voilà. À sa grande surprise, son petit Jérémie, pourtant mal parti dans sa vie sociale, commençait à se faire des amis. Comment avait-il réussi son coup, Michel n’en savait rien, et pour tout dire, ce qu’il avait trouvé sur les familles de ses camarades n’était ni inquiétant, ni exploitable. Une famille d’immigrés japonais avec une mère traductrice et un père en difficulté professionnelle, une fille et un fils… Un couple de baroudeurs qui traînaient leurs fripes hors de prix dans les milieux artsy, disséminant leurs six rejetons dans des écoles à droite à gauche… Et leur nièce canadienne, des papiers probablement faux, mais quand Michel avait reconnu la patte de son fiston dans les approximations des certificats de la petite Stones, il avait préféré laisser son fils découvrir la vie avant de lui en parler. Et soudain… Stern. Ulrich Stern. Enfant unique d’une femme au foyer et de… Walter Stern, homme d’affaires. Michel avait fait revérifier l’information plusieurs fois. Et, face à l’évidence, s’était demandé comment son fils avait fait son compte. Quel jeu du sort avait décidé que son histoire avec son vieil ami n’était pas terminée ? Et voilà que Jérémie, tout épanoui de ses premières amitiés, lui avait demandé son autorisation pour garder la maison familiale pendant les vacances, avec ses petits copains ! Odette Belpois, merveilleuse mère et femme s’il en était, avait naturellement accepté à condition d’en discuter avec les parents Stern et Della Robbia. Michel n’avait pas pu résister. À sa femme, il avait laissé les artistes, et avait pris le rendez-vous avec le passé.
Ainsi le voilà, faisant face à un Walter Stern passablement énervé et bien décidé à ne céder sur aucun terrain. Bon, peut-être aurait-il été plus réceptif s’il n’était pas ligoté dans le bureau de l’homme qu’il détestait le plus en ce bas monde ; mais Michel tenait au décorum.
« Tu es sûr que tu ne veux pas un cigare ? J’en ai des tas, n’aies pas peur de me vider mon stock...
— Je toucherai à rien qui vienne de ta main.
— Comme tu le sens. Mais tu peux te détendre, je ne viens pas te parler affaires. Non, c’est ton fils qui m’intéresse »
Walter pâlit dangereusement.
« Qu’est-ce que tu lui veux ?
— Oh, moi, rien, mais mon Jérémie est un de ses amis. Et ma femme tient à ce que je fasse la connaissance des parents du petit Ulrich Stern, avant de lui laisser notre Jérémie.
— Mon fils ne fréquente pas des voyous. »
Celle-là, Michel ne l’avait pas vue venir. Il se serait attendu à ce que Walter tape plus fort. Qu’importait, dans le fond. Le parrain tendit sa main vers un de ses hommes de main, qui lui remit une mallette bleu roi, magnifiquement entretenue. Michel l’ouvrit et, tout en s’asseyant sur son bureau, en sortir une liasse de papiers tamponnés au nom du collège Kadic.
« Voyons ce que font nos enfants… « 18/20, excellent élève », « 20/20, assidu et sérieux », « 19/20, prometteur », « brillant », fierté de notre établissement »… Oh, ai-je oublié de préciser que je commençais par le dossier de Jérémie ? »
Walter piqua un fard. Oh, déjà touché ?
« Maintenant, parlons d’Ulrich… « Moyen », « pas attentif », « à peine présent »… Eh bien eh bien, je n’ose même pas te donner les notes, j’aurais peur que tu nous fasses une syncope…
— Où veux-tu en venir, Michel ?
— Oh, pas très loin. Je remarque juste qu’entre nos deux fils, le mien est le moins enclin à finir « voyou », comme tu dis.
— Si tu lui as filé tes foutus gênes, ça finira par venir.
— Oh, allons, on juge les enfants selon les parents, maintenant ? Je t’ai connu moins attaché à l’héritage de nos pères, Walter. »
Bon, elle était peut-être de trop, celle-là. Mais Walter l’avait cherché, après tout. Et, encore une fois, que pouvait-il faire ?
« Tu oses l’évoquer, connard ? Maman ne s’en est jamais remise, si ça t’intéresse !
— J’avais cru comprendre. Depuis l’enterrement de son mari, je lui envoie une corbeille de pastèques tous les Noëls. Et je m’assure que ta carrière ne soit entachée d’aucuns scandales.
— Comme si j’avais encore besoin de toi pour me défendre…
— Ça me paraît évident. Crois-le ou non, mais je prends soin de mes placements. Pendant que je fais jouer mes contacts pour que ta vie soit un long fleuve tranquille, mon fils essaie d’élever le tien. Que tu me détestes, soit, ça arrive ; mais sérieusement, ça t’écorcherait un « merci » ? »
Walter s’agita contre ses liens. Michel était presque tenté de le faire libérer. Juste pour voir.
« Si ton gosse approche d’Ulrich… Vociféra Walter.
— À ta place, je calmerais mes ardeurs… »
L’air triomphant, Michel sortit une autre liasse de sa mallette. Plusieurs informations étaient surlignées. Walter y jeta un coup d’œil, sans comprendre.
« Qui est cette Aelita Stones ?
— Une de leurs amies. Apparue brutalement à Kadic il y a quelques mois. Les parents n’ont jamais mis les pieds dans l’établissement. Elle serait la cousine d’un certain Odd Della Robbia, encore un ami de mon Jérémie et ton Ulrich.
— Et… Alors ?
— On peut tromper un collège, voire des banques et des assurances. Mais pas un père. Ces papiers sont faux, et probablement faits par mon fils.
— Tel père, telle engeance. Pardonne ma curiosité, mais qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?
— Tu seras heureux de savoir que ton fiston protège le mien et cette gamine. J’ai un homme sur le terrain, qui surveille étroitement nos enfants. Ils sont trop fourrés ensemble pour ne pas tous tremper dans cette histoire. Ulrich est un peu… Comme son papa, dans le temps, quand il couvrait son meilleur ami. »
Cette fois-ci, Walter explosa tout à fait.
« Mon fils n’est pas un voyou, tu entends ? C’est ton foutu gosse qui l’a entraîné ! »
Michel soupira. Encore. Est-ce que son ancien ami tenait tant que ça à renier ses erreurs passées ?
« Crois ce que tu veux. Après tout, j’ai rempli ma part du contrat. On s’est parlé, et on ne pourra pas empêcher nos garçons d’être amis. Mais est-ce que tu crois sérieusement qu’être ce rempart de moralité intouchable te fera comprendre d’Ulrich?
— C’est pour son bien…
— Je n’en doute pas. Comme nos pères faisaient ce qu’ils faisaient pour notre bien. Ça n’a visiblement pas suffi, en ce qui concerne le tien. Je porterai sa mort dans ma tombe, sois-en sûr, mais ne me fais pas croire que tu ne t’en veux pas pour ce qu’a été votre relation, jusqu’à la fin.
— Tu veux m’apprendre à élever mon propre fils, Michel ? Ne me fais pas rire…
— Je ne veux rien en particulier. J’avais juste l’espoir que l’occasion ratée qu’est notre amitié te servirait de leçon.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Laisse nos garçons se fréquenter. Je les ai à l’œil, il ne leur arrivera rien de trop fâcheux. Ton enfant ne sera peut-être pas le gosse sans histoires que tu espères, mais il sera en sécurité.
— Et je suis censé te faire confiance, quand on voit tout le bien que tu as déjà fait à ma famille ?
— Si je protège ton fiston, je protège le mien. Leur amitié est la meilleure garantie que tu puisses avoir. »
Walter s’apaisa légèrement. Il sembla réfléchir. Michel n’en obtiendrait rien de plus. Il fallait juste laisser l’idée faire son chemin.
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« Bordel, mais tu vas le relâcher, oui ?! »
Jérémie sentait les poings d’Ulrich faiblir contre la paroi du Gardien. Des tréfonds de son inconscience, alors que le silence l’enfonçait un peu plus vers le coma, alors même qu’il se sentait sombrer inexorablement, Ulrich était arrivé. Par ses appels, il l’avait gardé proche de la surface, à la lisière de l’eau ; mais il ne parvenait à le ramener à l’air libre. De ce que le génie avait compris, tant que son ami essayait de briser la bulle électrique, le double envoyé par XANA s’affaiblissait. Ce qui n’était pas un vain luxe, quand ce dernier avait trouvé l’arme secrète du père de Jérémie et se baladait dans la grande demeure familiale, à la recherche d’Ulrich.
Le Gardien, lui, leur était tombé dessus par surprise. Ils ne savaient même pas que XANA pouvaient en invoquer sur Terre. Jérémie n’avait eu aucune raison de s’y attendre. En une seconde, il avait été pris au piège. Ulrich n’avait rien eu le temps de faire. Et pour corser davantage la situation, il n’y avait qu’eux deux dans la demeure. Aelita, Odd et Yumi étaient partis pour l’Usine, mais quelqu’un avait dû rester pour arrêter la copie, au cas où les Belpois reviendraient plus tôt de leur apéro avec les Stern et Della Robbia. Naturellement, le meilleur au Pencak-Silat (du moins, celui qui l’avait été au dernier cours) s’était porté volontaire.
Jérémie luttait pour ne pas s’endormir. Les coups de son ami contre sa prison diminuaient en puissance, mais pas en constance. C’était des impulsions pour son esprit assombri, des assauts de défibrillateur éloignant l’œil de XANA du destin de Jérémie. Il faisait confiance à Ulrich. Il savait qu’entre ses mains, il s’en sortirait. Mais en retour, il lui devait de se battre avec au moins autant de férocité. Il devait revenir à lui avant que son double ne le trouve. Toute la maîtrise en Pencak-Silat du monde ne pourrait rien contre une balle lancée à pleine vitesse. Il força contre ses paupières pour les séparer, il lutta contre ses doigts pour les déplier. Mais il n’y arrivait pas… Ça n’allait pas assez vite ! La demeure Belpois était certes vaste, mais ce n’était pas non plus un château… Ulrich allait bientôt se faire repérer, et il ne pourrait rien faire… Il ne savait même pas s’il pouvait briser un Gardien par la seule force de sa volonté… Il devait réussir, pourtant… Il devait rendre ça possible…
À travers la bulle d’électricité, il entendit les pas de la Mort se rapprocher… Un grincement de poignée…
Ulrich poussa un juron.
« Non… Ils ne pouvaient pas rentrer plus tard, bon sang ?! »
Leurs parents. Ils venaient vraisemblablement de rentrer. À temps pour sauver Ulrich. Trop tôt pour s’épargner eux-mêmes. La règle était connue depuis l’aube de leur amitié :la mort, ça ne se soigne pas. Il fallait que quelqu’un aille les sauver… Il fallait qu’Ulrich laisse son ami entre les griffes du Gardien. Après tout, il ne pouvait pas lui arriver grand-chose dedans, n’est-ce pas ?
Ulrich lui promit de revenir le libérer. Jérémie voulut lui promettre qu’il le serait déjà.
Pendant que son camarade quittait précipitamment la pièce, Jérémie continua d’essayer de tordre les barreaux de sa prison. Il tentait de déplier ses bras, ses jambes, de retrouver le contrôle de ses os, de ses muscles, de son cerveau. Mais rien à faire… Il n’avait pas beaucoup de temps… Il devait aller aider Ulrich, avant qu’il ne se fasse… Il perçut le son étouffé d’un tir… Non… Jérémie ne se pardonnerait jamais le moindre mal que subirait son ami… Il devait se défaire de ses chaînes, bon sang, il devait être plus fort que XANA !
Soudain, un flash de lumière explosa derrière les paupières encore closes de Jérémie. L’orbe électrique s’éteignit. Il tomba lourdement contre le parquet en bois de sa chambre. Face contre terre, il mit plusieurs secondes à reprendre conscience, dans un corps encore engourdi. Mais il ne devait plus lutter que contre lui-même. Excellent. Ça, il savait le faire. Des mois d’insomnies volontaires et de luttes contre XANA lui avaient appris à résister, contre vents et marées. Il prit appui sur son lit, et se traîna dans le couloir de l’étage. Il entendit des cris, une lutte. Ça venait de l’entrée. Ulrich, leurs pères, et sa propre voix, déformée par une froideur atroce. Jérémie s’accrocha à la rambarde en bois rustique de l’escalier et se redressa péniblement sur ses jambes fébriles. Il voyait flou. Ses lunettes avaient dû tomber sur le chemin. Il descendit la première marche. Puis deux, puis trois. Un pas à la fois, ses muscles furent un peu plus revigorés. Son esprit retrouva son niveau d’alerte habituelle. Des ombres se heurtaient sur le mur, à sa droite. La porte d’entrée était ouverte, sur sa gauche. Il se tourna vers le courant froid de décembre.
Son père venait de le repérer. Il avait l’air choqué et abasourdi, les mains encore tendues vers le clone mais les yeux écarquillés vers l’original. Walter Stern, lui, se tenait les côtes, une rivière rouge filant entre ses doigts. Ulrich agrippait le clone par-derrière, ses doigts cherchaient à attendre le visage. Ce n’était pas du Pencak-Silat, mais une bagarre désespérée. Ulrich ne connaissait pas encore beaucoup de prises dans le dos, mais il ne pouvait affronter le clone armé frontalement… Jérémie chancela dans l’entrée, capta le regard de son double. Glace contre Feu. Le regard polaire de l’usurpateur gelait ses pupilles métalliques, malgré la lutte que lui imposait Ulrich. L’assurance assassine de XANA… Jérémie bouillonna. Il n’aurait pas la force de rejoindre le combat, mais il devait faire quelque chose…
Soudain, profitant du jeu de regards entre les deux Jérémies, Ulrich leva le genou et frappa entre les jambes. Le clone s’effondra. Il lâcha l’arme. Le sang du génie ne fit qu’un tour. Il se jeta sur le pistolet paternel. Il le saisit avec un naturel qu’il ne se connaissait pas, comme si l’arme n’attendait que lui et, d’une main tremblante, la leva vers son reflet maudit.
Les froides pupilles, celles qu’il tenait de son père, stupéfaites derrière les lunettes de son grand-père, disparurent dans la traînée de pixels. Derrière le fantôme évanescent du clone, Ulrich resta figé. Quand toutes traces du double furent effacées, il se précipita auprès de son père et sortit son téléphone. Jérémie s’effondra à terre et laissa glisser l’arme loin de ses doigts. Enfin, il autorisa un peu de la fatigue des dernières minutes à fondre sur lui. Il sentit son père s’agenouiller près de lui.
« Jérémie, oh mon Dieu Jérémie, est-ce que ça va ?
— Mais qu’est-ce qui s’est passé, bon sang ? Jura Walter Stern.
— Aelita ? Vous en êtes où ? S’exclama Ulrich, ignorant la question de son père. C’est quand vous voulez pour… Okay, encore trente secondes, Jérémie ! On a encore réussi !
— Ça… ça va aller papa, gémit Jérémie, un rire nerveux lui échappant soudain. Personne ne va mourir, on va régler ça…
— De… De quoi tu parles, fiston ? »
Jérémie pencha la tête vers Ulrich. Ce dernier était accroupi à côté de son père et avait toujours le combiné à l’oreille, l’air soulagé. Les deux amis se sourirent, comme après chaque cyclone, quand l’œil s’éloignait et partait mourir dans l’océan. Un sourire épuisé, mais fraternel.
« Retour vers le Passé. »
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« Et je suis censé te faire confiance, quand on voit tout le bien que tu as déjà fait à ma famille ?
— Si je protège ton fiston, je protège le mien. Leur amitié est la meilleure garantie que tu puisses avoir. »
Walter s’apaisa légèrement. Il sembla réfléchir. Michel n’en obtiendrait rien de plus. Il fallait juste laisser l’idée faire son chemin.
« Hé… »
Le parrain se retourna, surpris. Quoi, déjà ? Il se serait attendu à une attente plus dramatique. Décevant… Mais bon. Il siroterait son martini d’un air théâtralement assuré une autre fois.
« … Tu me feras jamais croire qu’un chien peut faire un chat. Mais j’espère que nos fils ne seront pas nous.
— Jérémie se débrouillera seul pour aller chez toi, et inversement. On a pas à se croiser, si tu ne le veux pas, concéda Michel, dans un demi-sourire.
— Et puis, ils sont en internat. Ils vivent déjà pratiquement ensemble. Et je ne sais pas pour le tien, mais le mien ne m’écoute pratiquement plus. Tout mon portrait à son âge. »
Michel retint un rire. D’un geste de la tête, il ordonna qu’on libère son ancien ami.
« Je veux bien le croire, répondit-il. Ulrich est entré discrètement chez moi, il y a une heure environ, d’après mes hommes postés dans le jardin. Jérémie en a profité pour faire entrer toute sa petite bande. Il se passe bien des autorisations… Comme son paternel en son temps. »
Il tendit sa veste à Walter, puis lui fit signe de la main.
« On va leur donner les consignes pour les vacances ? Un dernier pari, et je sors de ta vie pour de bon ? »
Les lèvres de Walter remontèrent légèrement. La paix n’existerait jamais pour eux. Pour leurs enfants, il restait une chance.
« Un pari sur nos fils… T’es vraiment le dernier des enfoirés, Belpois. »
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L’amour sera toujours
Cette moitié de nous qui reste
À faire.
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"Au pire, on peut inventer le concept de Calendrier de l'Avent pour chaque fête religieuse, maintenant que le forum a le template pour faire un article de La Croix"
Dernière édition par VioletBottle le Dim 13 Déc 2020 21:02; édité 2 fois
Mon frere n’est plus dans les bermudes
Mon père est toujours sur la lune
Le président a parlé à la télé
Faut pas s’innnquièèètééé
Gold, Seul dans l’univers.
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Ce soir Ulrich avait un rendez-vous. Un date dans son appartement
Chez lui, ce qui ne gâtait rien, mais augmentait le stress.
Il lui avait donc fallu laver à grande eau, passer dans tous les coins et les recoins. Ranger… Bref, transformer sa grotte d’homme des cavernes en petit nid douillet… Ce que l’on ne faisait pas pour impressionner l’être aimé ou ne serait-ce que s’en faire bien voir. L’appartement, sans être immense, était plutôt grand pour quelqu’un qui vivait seul: soixante-dix mètres carrés. Il avait fait une affaire en l’achetant il y a trois ans. Les taux étaient bas, ce qui avait facilité son accès au crédit. Même si un coup de pouce paternel avait aussi pesé en augmentant ses fonds propres. Bref, toujours est-il qu’une cuisine, un grand séjour, une chambre, un dressing et un bureau bibliothèque, sans compter salle de bains et toilettes, cela prenait du temps à récurer convenablement. C’est pourquoi Ulrich avait réussi à arracher deux jours de congés. Il avait tout récuré le premier jour, puis une nouvelle fois le deuxième, afin d’être sûr de son coup. Non, il n’était pas du tout anxieux. Cela faisait quoi ? Treize années ? Quinze ? Depuis qu’il avait reçu dans son chez-lui dans un cadre romantique ? Est-ce que Yumi dans sa chambre d’internat cela comptait vraiment d’ailleurs ? Dieu, qu’il était content que cette partie de sa vie soit loin… Il n’aimait vraiment pas repenser à cette époque… Mais… Mais sans cette époque, il n’y aurait pas eu la grande occasion qu’était aujourd’hui… Ulrich faisait bon cœur contre mauvais fortune… facile quand la mauvaise fortune datait de plus de trois lustres.
Ensuite, il lui avait fallu se mettre au fourneau. Ulrich était médiocre cuisinier, mais il avait quelques atouts dans sa manche. Des plats peu compliqués, mais qui pouvaient donner l’impression recherchée. Au menu donc : filet mignon de porc sauce aigre-douce sur lit de haricots (autant essayer d’imiter le langage un peu ridicule des restaurants étoilés), suivi d’un plateau de fromage puis d’une tarte aux pommes. Choisir les fromages avait été difficile. Mais bon, il avait fini par trouver quelque chose d’à peu près équilibré : cantal, roquefort, chèvre frais et morbier. Il faudrait que cela convainque. Pour accompagner tout cela une bouteille de Marsannay. Il lui en restait une ou deux, cadeau de son père, qu’il conservait depuis quelques années. Il se les réservait pour les occasions. Mais si aujourd’hui n’en était pas une, alors il n’en connaissait pas. Pour arroser le dessert et la soirée, il avait mis au frais une bouteille de champagne. De l’Ayala, à défaut d’avoir pu trouver du Ruinard. Pour l’apéritif, il avait prévu des chips de légume et de la saucisse sèche. Comme boisson, il pouvait proposer au choix du gin, de la vodka, du cointreau ou de la suze. Il avait aussi de quoi composer quelques cocktails. Mais il espérait bien ne pas avoir à le faire. À quoi bon avoir du bon alcool si c’était pour en cacher le goût derrière des jus divers ? Pour faire de vulgaires kir ? Vraiment, il priait pour ne pas avoir à sortir de jus de fruit de ses placards ce soir. Enfin, c’était les risques du jeu, lorsque l’on recevait. Et un hôte — comme le lui avait inculqué sa mère — se devait d’être toujours prêt et capable de répondre aux désirs de ses invités. Pour la fin, il y aurait quelques petits fours pour la fin de soirée.
Bref préparer tout cela lui avait pris un peu de temps. C’était surtout le timing qui était compliqué. Comment savoir en effet si le courant passerait bien ? La conversation roulerait-elle toute seule ? Comme une rivière vive ? Ou serait-elle un ruisseau courant vers l’assèchement ? Il fallait pouvoir moduler la cuisson et le déroulé de la soirée en fonction de cela.
Stop ! Stop ! Stop !
Ulrich essaya de se reprendre.
« Garde la tête froide, tu peux le faire. Il faut juste réfléchir posément. Trois quarts d’heure de cuisson. Tu l’attends pour dix-neuf heures trente… On va prendre un peu de marge et appliquer le quart d’heure de politesse. Donc, huit heures moins le quart. Oui, je peux programmer le four pour un départ à cette heure-là… non, cela ferait trois quarts d’heure d’apéritif. Trop long… »
Ulrich se perdait en conjoncture sur l’horaire, avant de trouver une solution.
« Bon, je vais le mettre à sept heures et le quart. Cela fera entre un quart d’heure et une demi-heure d’apéritif. Suffisant pour en rester à un seul verre d’apéritif. Oui, cela me paraît bien. Du coup, je dois enfourner la tarte aux pommes avant sept heures moins le quart. Disons dix-huit heures trente. C’est bon, cela me laisse un peu de marge. »
Ulrich termina de changer ses draps, puis se rendit en cuisine pour couper les pommes. Une fois cela fait, il étala la pâte feuilletée dan le plat. Il n’était pas courageux et habile au point de la faire lui-même. Il s’était contenté d’en acheter en magasin. Il espérait que cela ne se verrait ou se sentirait pas. Ce point l’inquiétait un peu. Mais, il n’avait ni le temps ni la dextérité pour corriger cela. Il faudrait que ce défaut soit corrigé par le reste. Tout en pensant cela, il commença à disposer les quartiers de pomme dans le plat. Ensuite, il les saupoudra de cannelle.
« Bien, c’est prêt. »
Il regarda l’heure. Parfait, il était dans les temps. Juste comme il fallait. Il alluma le four — Quel idiot d’avoir oublié de le faire avant de commencer. Quelques minutes plus tard, la température requise était atteinte. Il put donc enfourner.
« Parfait. Maintenant, au bain ! »
Ulrich se fit couler un bain chaud. Il attendit un petit peu avant de rentrer dedans. Il ne le voulait pas trop chaud… Il eût été contre-productif de sortir transpirant d’un bain trop chaud, quelqu’agréable qu’eût été ce dernier. Néanmoins, s’immerger dans les volutes de qui s’échappaient de la baignoire lui fit un bien fou. Ce n’est qu’en entrant dans le bain qu’il prit conscience du degré de crispation de son corps.
« Allez ! Détends-toi, tout va bien se passer. Ce n’est pas n’importe qui que tu invites ! »
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À mesure qu’il se détendait, il se laissa aller et replongea dans ses souvenirs. Il se rappela la rencontre… soudaine. Brutale. Il avait été renvoyé de suite sur terre. Et ce n’était que la première d’une très longue série. Il ne pouvait pas dire que cela soit le meilleur début possible de relation. Franchement. Se faire rétamer par son ennemi… Bientôt pire ennemi… À cette époque, Xana trustait encore la place de pire ennemi. S’ils avaient su, ils se seraient plus méfiés de Tyron. Franchement ils auraient dû. Il n’y avait pas photo entre l’efficacité des monstres de Xana et celle des hommes de Tyron. Et puis… bah, ils étaient jeunes et cons à l’époque. Même Jérémie. Surtout Aelita. Ils n’avaient pas compris ce qu’impliquait le supercalculateur. Ils n’avaient pas compris que cela n’en finirait jamais. Pouvait-on seulement vaincre une machine retorse comme Xana ? Et quand bien même ? Il restait la question de Franz et Anthéa. Aelita n’aurait jamais abandonné. N’abandonnerait jamais. Et puis… il y avait tout les Tyron du monde. Ce que Hopper avait fait, d’autres pouvaient le refaire. Tyron avait juste de l’avance: voler les travaux de Hopper l’avait un peu servi. Mais c’était juste de l’avance. La boîte de pandore avait été ouverte ; la révolution pouvait-elle être arrêté ?
Mais… laisser le supercalculateur, avec les décisions et conséquences qui l’accompagnait, entre leurs mains, était-ce vraiment plus sûr ?
« Le pouvoir corrompt», lui avait appris son père, « et un pouvoir absolu corrompt absolument ». Ulrich avait compris, en arrivant à l’âge adulte, que son père n’avait pas été à l’abri des bénéfices insidieux du pouvoir… À la limite de la corruption légale, et souvent corruption spirituelle. Ulrich savait qu’il n’était pas meilleur homme — loin de là — que son père. Aussi ne pouvait-il que se demander s’il n’avait pas été corrompu lui aussi ? Après tout, peut-on imaginer plus absolu pouvoir que le supercalculateur ? Se penser capable de l’employer pour que d’autres ne déploient pas les pouvoirs des tours et du retour vers le passé, n’était-ce pas déjà tomber dans l’excès ?
Jérémie avait dû forger une fausse identité pour Aelita. Il lui avait fallu de l’argent. Ulrich n’avait jamais demandé d’où venait cet argent. Jeune, cela ne l’intéressait pas. Adulte… qu’aurait-il dit ? Que son chef était corrompu ? Mais aurait-il fait mieux ? Pouvait-il lui jeter la première pierre ? Il avait bien tenté de jouer au loto à l’aide du retour vers le passé dans le temps… Non… Ulrich savait qu’il était, comme son père, sensible aux ors des privilèges. Des accès aux loges du stade de France… Des séminaires dans le Lubéron… Des places à Avignon payées par la caisse de retraite… Des avantages en natures… des retours d’ascenseurs (tu m’as invité, alors je t’invite…), des réseaux professionnels fermés et bien placé… des clubs mondains…
Ulrich avait fait ce qu’il fallait. Il avait croqué à pleines dents dans la pomme dorée et empoisonnée. Il avait bien fallu. Pour Lyokô. Pour tout les Tyrons qui tentaient de développer des technologies similaires. Les lyokôguerriers avaient laissé un non-dit. La question d’user de Lyokô pour faire plus que d’empêcher l’existence d’autres supercalculateurs quantiques. Aider. Soulager. Éviter des catastrophes. Faire avancer la science… Bien sûr, ils savaient tous pourquoi ils ne l’avaient pas fait. Le pouvoir. Encore et toujours le pouvoir. Ils ne pouvaient s’en séparer. Mais… Ulrich avait peur. Chaque année qui passait, il sentait chez eux, chez lui, la tentation d’user plus du potentiel du supercalculateur. Un petit retour dans le temps, tantôt pour corriger une gaffe professionnelle, ou un échec amoureux de Yumi, ou pour faire un peu d’argent en bourse…
Ulrich s’ébroua. Non ! Il avait d’autres choses à faire que de s’endormir dans son bain !
Il sortit brusquement, et se frictionna avec force. Une fois que cela fut fait, il vida la baignoire et la nettoya. Enfin, il se tourna vers le miroir. Il fallait battre le fer tant qu’il était chaud, et se raser tant que sa peau était rougie par les vapeurs. Cela ne lui prit que quelques minutes. Il put ensuite mettre du déodorant et un peu de parfum. Il allait bien… Oh non ! L’heure ! La tarte !
Ulrich se précipita nu à travers l’appartement, laissant des traces de pieds derrière lui… autant pour les sols. Il arriva juste à temps pour sortir la tarte. Ouf ! Elle n’avait rien. Il poussa un soupir de soulagement, avant de sortir balais et serpillière : il avait des dégâts à réparer. Une fois cela fait, il put s’habiller. C’était une occasion, mais il fallait être décontracté… pas son fort ça. Alors il opta pour un pantalon de costume noir et une chemise d’un blanc uni. Simple, sans doute un peu trop habillé, mais Ulrich avait toujours pensé qu’en la matière être trop bien habillé passait un peu mieux que le contraire. Et puis… bon… quoi… il avait le droit de vouloir lui en mettre plein les mirettes, non ? Et il n’était ni Odd, ni Yumi qui eux savaient séduire. Et hors de question de leur demander des conseils. Moins ils en sauraient, mieux se serait. Quant à Jérémie et Aelita… bah… comment parler de premier rendez-vous à des gens qui avaient franchi cette étape sans soucis majeurs il y a des lustres… Bon, d’accord… ils avaient dû le préparer ce rendez-vous… La matérialisation d’Aelita quoi…
Bref toujours est-il que c’était la première fois d’Ulrich. Il avait cessé il y a bien longtemps de compter Yumi. Entre eux… cela n’avait pas pu, et ça n’aurait pas pu marcher.
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Ulrich s’était habillé. Il alla enfourner le filet mignon et allumer sous les haricots. Une fois cela fait, il se rendit dans le salon pour régler quelques détails: remettre droits les coussins, les battre un peu au besoin. Sortir les verres et boissons pour l’apéritif. Couper la saucisse sèche. Les ampoules projetaient une chaude lumière sur les murs dont la couleur se situait entre le moutarde et le bronze. Au moment d’acheter, il avait franchement hésité à faire repeindre le salon, mais avec le temps, il avait fini par trouver cette teinte chaleureuse et reposante. Le chaud des lampes sur le fauve des murs créait une atmosphère intimiste et claire à la fois.
Il se redressa pour admirer une dernière fois la pièce. Il en était, il fallait le dire, assez satisfait. Une fierté de propriétaire. Il savait bien qu’il n’avait aucun goût en matière de décoration intérieure, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir un peu vaniteux. Deux canapés de cuir
noir formant un angle. Une table basse entre eux. Une télé faisait face à l’un des deux canapés. Il y avait sur les côtés et derrière chaque canapé, des barres de sons. Il y en avait dans toute la maison. Il pouvait ainsi diffuser sa musique partout et s’y immerger en permanence, mais sans avoir à monter le volume. Pour mieux en profiter, il s’obligeait à ne pas écouter de musique ailleurs que dans son appartement. Dans un coin du salon, il avait posé un buffet. Dedans, le beau service, qu’il ne sortait que rarement. À Noël ou au Nouvel An. Éventuellement pour son anniversaire. Dessus, quelques photos. Souvenirs d’enfance: lui, ses cousins, mais aussi l’équipe des lyokôguerriers à divers moment de la vie d’Aelita. Son arrivée. Ses premières grandes vacances. Son brevet, ses fiançailles, son bac… Mais surtout, il y avait trois photos de famille. Une montrait Ulrich enfant, au retour d’une randonnée exténuante. Ses parents et lui étaient heureux. Une autre montrait Ulrich adulte et ses parents tout sourire, lors de la confirmation d’un petit-neveux d’Ulrich. Il était le parrain. La dernière montrait les deux parents d’Ulrich assis dans des fauteuils. Ils se tenaient la main, et leurs visages ridés s’aimaient.
Ils étaient morts dix jours après.
Ulrich referma le buffet après en avoir sorti les apéritifs. Il caressa la photo de ses parents d’un air nostalgique. Il aurait… il aurait voulu passer plus de temps avec eux. Il n’avait jamais pu tout leur dire bien sûr. Ils n’avaient jamais su pour Lyokô et la Lutte. Mais, Ulrich avait fini par se réconcilier avec son père. Le moment le plus dur, et à bien des égards le plus brave de sa vie. Il avait tant encore à apprendre d’eux. Si seulement…
Ulrich passa une dernière fois la main sur le cadre. Pour vérifier qu’il n’y avait pas de poussière.
C’était ridicule. Il se sentait nerveux comme jamais… et n’avait rien d’autre à faire que d’attendre. Il ne s’était pas senti comme cela depuis… Depuis… Yumi ! Il s’était pourtant juré que cela ne recommencerait pas !
« Respire ! Tu es un peu stressé ! Mais cela va aller ! C’est le premier rendez-vous, c’est vrai, mais il y a déjà des heures de discussions et de rire entre vous ! Tu va t’en sortir. Tout va aller parfaitement bien. »
Il faisait les cent pas dan la pièce. Il n’arrivait pas à se calmer. Il envisagea presque de se servir un verre pour que ses mains arrêtassent de trembler et que se raffermisse son cœur. Mais préféra allumer la télé, sur une chaîne publique. Il n’y avait que de la pub en attendant l’allocution, traditionnelle, de ce soir. Il regarda encore une fois son appartement. Son petit royaume. Partout, il voyait la marque de ses parents. De son milieu et de son éducation. Il avait tenté d’y échapper autrefois. Mais, il avait fini par comprendre que pour lui, c’était un peu vain. Contrairement à Yumi ou William, il n’avait pas l’imagination et la volonté requise. Il n’était pas créatif. Néanmoins, il se sentait plein d’orgueil. Après tout, il avait bâti ce petit coin bien à lui. Il avait choisi, mis en forme, aménagé… Mais, aussitôt que son esprit commença à vagabonder dans cette direction, il se reprit. Non, il n’avait fait que reprendre les goûts de son temps, les affections de son groupe social, les services d’un architecte, d’entreprises du bâtiment… Pourtant… pourtant… c’était bien chez lui, non ? Ici, il pouvait faire retraite, loin du monde et de ses fracas. S’immerger dans la musique. Pas de Xana. Pas de lyokôguerriers, pas de Tyron. Il laissait aussi son boulot au début. Mais, il avait fait carrière, et cela venait avec des obligations : ne jamais être coupé du monde, toujours répondre. Il n’y avait guère de soirée où il rentrait avant neuf heure du soir, et bien souvent, il continuait à téléphoner et travailler jusque vers vingt-trois heures. Et il recommençait ce cycle en se levant à six heures trente le matin. Ses temps libres, c’était la Lutte qui les prenait.
Il se rasséréna. Il y avait quand même une chose qui n’appartenait qu’à lui, ou à peu près. La plus cachée. La plus secrète. La plus précieuse. Celle que nul ne soupçonnait. Celle qui avait su frayer son chemin dans son emploi du temps. Dans sa vie. Dans son cœur. Celle pour qui il s’était tant préparé ces derniers temps. Pour ce soir.
Une nouvelle fois, il dut réprimer la surexcitation en lui. Il se sentait redevenir un adolescent. Il tirait des plans sur la comète… Que se passerait-il ? De quoi discuteraient-ils ? Le repas serait-il bon ? Comment le courant passerait ? Se prendraient-il les mains ? Se… bécoteraient-ils ? Oui, Ulrich se sentait redevenir un adolescent. Ce qui était mauvais signe. Car, vraiment, il se souvenait de ce qu’il avait été au collège, et il était très très loin d’en être fier. S’embr… Non, ne pas penser à ça. Et surtout pas en rougissant ! Pourtant, il ne pouvait empêcher son esprit de partir dans cette direction… de rêver et aspirer à plus osé encore…
Brusquement, Ulrich ouvrit la porte du buffet, et posa la main sur la bouteille de calvados.
La sonnette retentit.
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« Sauvé par le gong ! ». Juste à l’heure ! Il rangea la bouteille et ferma à clé le placard. Il se rendit dans l’entrée, vérifia qu’il était convenablement vêtu et ouvrit. Son ninja était là. Et lui, si anxieux. Il sentait la transpiration couler dans son dos, et ses mains devenir moites.
Il repensa à leur relation. Voilà, cela le calmerait. Tout avait commencé par une pénétration, se dit-il avec un sourire. Transpercé — par-derrière — par sa longue lame. Les ninjas étaient redoutables, mais ce ninja l’était encore plus. Ils étaient tous identiques. Le même avatar assez plat. Alors il avait mis du temps à comprendre que c’était toujours le même qui le renvoyait à terre. À la longue, il avait fini par le distinguer. Une manière spéciale de se déplacer. Un style de combat différent. Il avait appris à combattre ce ninja. Et bientôt les combats perdus d’avance devinrent des égalités. C’est qu’il y en avait eu ! Le virus de Jérémie avait marché, mais Tyron avait déjà construit son supercalculateur une fois, non ? Il avait recommencé. Et avec les sauvegardes et l’expérience, il lui avait fallu peu de temps. Et tout avait recommencé. Lutte, longue et acharnée. Qui durait depuis des années. Tyron avait été un adversaire retors. Infiniment plus que Xana ou que les autres organisations. Il avait aussi été un allié dans certains cas. C’est à ces moments qu’Ulrich avait pu fréquenter son ninja… l’entendre parler pour la première fois… observer l’élégance et la puissance de son kenjutsu. Ils s’étaient sauvé la mise. À plusieurs reprises. Enfin… Enfin, ils avaient fini par échanger des grognements. Puis des syllabes, et enfin, de petits mots.
Jusqu’à ce jour, il y a deux ans. Où il avait appris son nom : Samus.
D’autres ninjas avait pu être agréable. Comme des professionnels. Bref des ennemis, mais sans haine. Ulrich avait compris qu’ils étaient des mercenaires embauchés par Tyron. Ninja était un boulot qui payait bien, et Tyron ne demandait pas de qualifications hors normes. En fait, le fait que Samus ait fait des arts martiaux avant d’arriver chez Tyron était plutôt exceptionnel. Cela expliquait cette redoutable efficacité qui avait fait mordre la poussière tant de fois aux Lyokôguerriers.
Un jour, enfin, Ulrich avait osé. Il lui avait demandé un moyen de contact. À voix basse, alors qu’ils étaient à couvert, subissant les tirs des monstres et que Jérémie parlait. Comme ça, il pouvait être sûr que personne n’entendrait. Il savait déjà que Tyron ne pouvait entendre ce qui se passait dans les mondes virtuels. Heureusement ! On était sur le Cortex : pas de rougissements, ni de cœurs battants à la chamade. Il avait presque réussi à avoir une voix ferme… mais il avait dû répéter deux fois sa demande avant d’être compris. Un léger éclat de rire lui avait répondu. Et il avait obtenu une adresse mail.
Ils avaient commencé à échanger, puis était venu l’usage d’une application de discussion instantanée… à l’abri des regards. À Samus il avait dit beaucoup, mais de manière prudente. Et jamais sa confiance n’avait été trahie. Même en des moments où Tyron en aurait tiré des victoires monstrueuses, définitives peut-être. En retour, il avait aussi appris bien des choses… qu’il n’avait jamais données à Laura ou Jérémie. Ils s’étaient beaucoup parlé. Ils avaient échangé de longues lettres manuscrites, discutant de tout, sauf d’une chose : leur relation. Et par extension, leurs sentiments. Ulrich… Ulrich avait conservé toutes ces lettres. C’étaient elles qui l’avaient supporté lorsque ses parents étaient morts. Elles qui l’avaient accompagné lorsqu’il avait accepté des postes à responsabilité. Elles encore qui lui avaient permis de résister à Jérémie lorsque celui-ci avait voulu user du supercalculateur.
Elles enfin, qui avaient fait de lui le début d’un homme bien et pas seulement un homme de bien.
Il savait qu’il lui avait aussi apporté beaucoup. Ils s’étaient tout deux entraidés, entraînés. Pour devenir plus accomplis. Car Samus aussi avait eu des choix à faire. Samus aussi avait eu besoin de consolation quand ses hommes étaient tombés dans les luttes de Tyron, réelles comme virtuelles. Quand le quotidien devenait trop dur. Quand la vie devenait morne.
Un jour, enfin, Ulrich, s’était lancé. Il avait appelé. Au milieu de la nuit. Enfin au milieu de sa nuit. Samus était alors en Asie centrale. Il avait laissé un message simple :
« Je voudrais te voir. »
Il n’avait jamais été aussi fébrile que cette nuit-là. Il n’avait pas pu trouver le sommeil. Il était resté là, dans son salon. Il avait affiché l’écran de son téléphone sur sa télé, et écoutait en boucle le Gloria RV 589 de Vivaldi suivi du Juditha Triomphans du même compositeur. Il avait eu besoin de courage. Enfin, enfin ! Il avait eu une réponse. Il était une heure et demie du matin en France.
« Moi aussi »
Deux mots. Simple. Qui l’avaient exalté plus qu’aucune autre chose dans sa vie. Plus que la plus grande des victoires contre Xana. Plus que le plus grande des accomplissements !
Bien sûr. Tout deux étaient affreusement timides et prudent. Il s’en était encore fallu d’une année complète avant que ne vienne le jour. Une année d’attentes et d’espérances.
Mais Samus était là ! Sur le pas de sa porte ! Il avait tant rêvé de ce moment !
Enfin, il saurait à quoi ressemblait Samus ! Il n’avait jamais vu que le ninja de Tyron. Il avait lu l’individu, mais jamais il n’avait entendu. Jamais il n’avait vu la personne réelle.
C’était l’ultime pas.
Le dernier instant avant la Vérité.
Ulrich fit une dernière prière, et ouvrit la porte.
Il aurait dû le faire plus tôt. S’il avait su que cela se passerait aussi bien. Ils s’étaient assis dans le canapé, et avaient pris l’apéritif. Tout de suite, ils s’étaient rapprochés. Épaules contre épaules. Genoux qui se touchaient presque… Mains qui se frôlent… s’écartent, se rapprochent… se cherchent enfin…
Ulrich se levait pour aller éteindre sous la viande, lorsque Samus, d’une main décidée quoiqu’hésitante accrocha sa chemise et le retînt. Leurs yeux se croisèrent. Ulrich se rassit.
Leur lèvres se trouvèrent.
Sous le bruit de leurs lèvres et sous les souffles de leurs amours, le président parlait à la télé, annonçant la prise de pouvoir éternelle de Xana :
« Alors, mes chers compatriotes, je vous souhaite une belle année 2021. Vive la République et vive la France! »
_________________
_________________ AMDG
Prophète repenti de Kane, vassal d'Anomander Rake, je m'en viens émigrer et m'installer en Lyoko.
Dernière édition par Silius Italicus le Jeu 11 Fév 2021 15:49; édité 4 fois
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